Allonger sur la table à langer, Tracy babille légèrement, ses grands yeux ouverts et fixer sur mon visage. Lentement, je prends le temps de lui changer sa couche, venant bien trop souvent embrasser son petit ventre nu. Un énième baiser et voilà qu’elle commence à ronchonner. « Papa, il t’embête ? » Je garde mon visage proche du sien alors que sa petite main vient doucement se poser sur mon nez. Un sourire se dessine sur mes lèvres alors que je laisse ma fille se mouvoir lentement, à la découverte du monde qui l’entoure. « On va mettre la jolie robe que tata t’a acheté. » Jill ne voulant jamais trop faire d’achat, je me suis rapidement rendu compte que je n’avais pas assez de vêtements pour les deux, quand ils arrivent à salir deux pyjamas par jour et que j’ai à peine le temps de me nourrir. Le linge sale s’accumulait sans que je n’aie le temps de le gérer. Puis un beau matin, Ginny a débarqué à la maison, les mains chargées de sacs en tout genre contenant assez de vêtements pour enfin remplir leur armoire. Après un argument serré où je refusais de la laisser tout payer, j’ai fini par céder, réalisant que je pourrais toujours rembourser Auden bien plus tard sans qu’elle ne soit au courant. Depuis, la marraine s’extasie à chaque fois qu’elle remarque que je leur ai enfilé un des vêtements pour lequel elle avait craqué. Cette robe d’un jaune pastel, agrémenter de petits nuages blancs en faisait partie. Elle a croqué ma fille dans sa petite tenue, ses jambes recouvertes d’un collant blanc. « T’es la plus belle ma puce. » Je viens encore manger ses joues de bisous avant de la prendre contre moi pour l’installer dans son siège-auto. Bowie est déjà dans le sien, son doudou lapin contre lui.

Il me faut encore plusieurs minutes avant de pouvoir quitter la maison avec mes deux enfants et un sac à langer prêt à toutes les éventualités. On est pas en avance, mais pas trop en retard non plus. Le trajet en voiture se déroule dans le calme. Je me perds dans mes pensées, me demande si Jill sera présente au rendez-vous, manque de rater la sortie et fait trois fois le tour du bâtiment avant de pouvoir me garer. Les enfants dans la poussette, je me dirige vers le cabinet du pédiatre. Ils sont calmes, mais moi, je suis stressé. La secrétaire m’annonce que le médecin est un peu en retard et je me retrouve seul dans la salle d’attente.

J’étais en train d’agiter son doudou sous le nez de Bowie lorsque je la vois arriver dans la salle. Mon cœur s’emballe, on ne s’est pas revu depuis cette soirée affreuse où j’avais trop bu. Mais elle est là, c’est tout ce qui compte. « Salut. » que je murmure sans trop croiser son regard. « Le pédiatre a un peu de retard. »

@jill mcgrath-fitzgerald

Elle est restée un très long moment toute seule, assise dans un coin à réfléchir à si elle devait rejoindre Bailey et les enfants au rendez-vous médical. Elle ne sait pas si c’est obligatoire, et encore moins quelles questions le médecin va bien pouvoir poser. Mais elle finit pas y aller. Elle prend sa voiture et elle se dirige vers la bonne adresse, en stressant un peu. Elle est en retard, et elle se dit que Bailey serait sûrement capable de hurler pour ça puisqu’il lui reproche tous les malheurs du monde depuis qu’elle est revenue de Nouvelle Zélande. Leur dernière entrevue s’est mal passée, comme toutes les conversations qu’ils ont eu depuis quelques semaines, et elle se demande bien comment ça va se passer aujourd’hui. Ils ne vont pas s’engueuler devant le docteur, elle l’espère du moins. Ils sont certainement capable de mettre leur rancoeur de côté pour une heure ou deux.

Elle attend quelques secondes devant la porte fermée en soupirant longuement. Il est encore temps de faire demi tour pas vrai ? Elle ferme les yeux et finit par pousser la porte. Elle les cherche des yeux, trouve le regard de Bailey qui a l’air un peu moins rempli de haine que les derniers jours. Peut-être que ça va bien se passer finalement. Elle se rapproche pour s’asseoir en face de lui, ils sont quasiment seuls dans la salle d’attente. “J’avais du retard aussi.” Tout le monde est en retard aujourd’hui, sauf lui. Il a encore une fois préparé les bébés et toutes leurs affaires sans l’aide de personne, et elle se sent de trop. Elle regarde ses bébés qui sont réveillés mais calme en attendant leur tour. Le silence est pesant et elle déteste ça. “Tu crois qu’il en a pour longtemps ?” Elle n’a pas plus à faire, mais elle déteste qu’ils n’aient rien à se dire, que depuis quelques jours ils ne soient capable que de se faire des reproches.

Lorsque nous avons ramené les jumeaux à la maison, une des infirmières avec qui j’avais un peu sympathiser lors de notre séjour, m’avait donné une liste des choses à faire dans le premier mois de vie des bébés. S’occuper de bien nettoyer leur cordon, revenir à l’hôpital pour leur faire le test ORL que nous n’avions pas eu le temps de faire et pour finir ce premier rendez-vous chez le pédiatre à un mois de vie. Elle ne m’avait pas réellement expliqué en quoi, cela consistait. Je suppose que le médecin va vouloir s’assurer que tout va bien pour eux, qu’ils ont pris du poids ou je ne sais quoi. Je ne me fais pas de souci là-dessus puisque certains bodies que je pouvais leur mettre la première semaine ne leur vont déjà plus. Surtout à Tracy qui est une bien meilleure mangeuse que son frère. Peut-être que c’est quelque chose que je devrais notifier au praticien. Assis dans cette salle d’attente, seul avec mes enfants, je me fais une liste mentale de toutes les questions que pourrait éventuellement me poser le pédiatre. Je sais que je dois lui parler du fait que parfois Bowie refuse le biberon avant de l’accepter quelques minutes plus tard. Peut-être aussi évoquer le fait que Tracy refuse de s’endormir sans son frère dans le berceau. Je me perds dans mes pensées, tellement que je ne remarque pas de suite, Jill qui vient d’entrer dans la pièce.

« J’avais du retard aussi. » Je lui adresse un sourire poli alors qu’elle s’assoit en face de nous. Je rends son doudou à notre fils qui me fait son fameux petit sourire en coin. Je viens caresser sa joue avant de relever la tête vers sa mère. Un simple regard et déjà, je fuis de l’autre côté de la pièce. Je ne sais pas quoi lui dire après notre dernière conversation. Nerveusement, je joue avec le cordon de mon sweatshirt. « Tu crois qu’il en a pour longtemps ? » Ma mâchoire se serre fasse à sa question. Tout ce qui lui importe, c’est de partir, encore une fois. « T’en fais pas t’aura pas à te forcer bien longtemps. » C’est plus fort que moi, je réponds du tac au tac avant de me concentrer sur les enfants. Je retiens un rire nerveux. Je voulais juste que tout se passe bien, mais il faut croire que ça ne sera plus jamais le cas. « Ils vont bien si jamais tu te demandais. » que je murmure doucement alors que Tracy babille un peu plus fort.

Elle est venue la McGrath. Elle a hésité mais elle a fini par venir au rendez-vous médical pour ses enfants. Cette fois, personne ne va lui poser de question, pas sur elle en tout cas. Ca la rassure un peu. Elle sait que ses enfants vont bien et elle ne s’inquiète pas vraiment pour eux et pour les résultats du rendez-vous. Elle s’assoit en face de Bailey, la seule chose qui l’inquiète vraiment c’est de savoir comment ça va se passer entre eux. Ils ne parlent que pour se hurler dessus depuis quelques jours, Elle reste dans son coin et cherche à faire la conversation sans que ça ne déborde. Ils sont seul mais elle n’a pas envie de s’énerver contre lui aujourd’hui. Elle pose des questions en rapport avec le rendez-vous, c’est le sujet le moins dangereux pas vrai ? Et pourtant il suffit d’un seul mot pour que ce soit lui qui s’énerve. Il lui faut très peu de chose pour s’énerver contre Jill et elle ne sait plus vraiment quoi dire. Elle ne peut plus rien dire, plus rien faire sans qu’il ne se sente agressé. Elle lève les yeux au ciel, il aurait mieux valu qu’elle se taise. “Tu cherche à me faire sortir avant même que le médecin les ait vu ? Parce que t’es bien parti.” Elle ne restera pas des heures pour qu’il lui reproche une nouvelle fois tous les malheurs du monde.

Elle utilise le même ton que lui. Elle est agressive s’il l’est, elle restera calme s’il l’est aussi. Elle souffle et joue avec un fil qui dépasse de son jean en attendant que ce soit lui qui reprenne la conversation. Elle ne relève pas les yeux vers lui quand il parle mais elle croise le regard de Bowie qui a encore tourné sa tête vers elle. Elle sourit un peu et reporte son attention vers son jean. “Ils dorment mieux ?” Elle n’a pas passé de nuit avec eux depuis qu’elle est rentrée de Nouvelle Zélande, mais elle sait qu’ils ont toujours eu du mal à faire leurs nuits.

On en a connu des disputes tous les deux. Des semaines, des mois même, sans s’adresser la parole. Pourtant, jamais je ne m’étais senti aussi mal à l’aise alors que je me retrouve dans la même pièce que Jill. Cette sensation que plus rien ne sera plus jamais comme avant entre nous me colle à la peau. Heureusement, je peux reporter mon attention sur les enfants et prétendre que tout va bien. Tenter de maîtriser la colère quand elle sous-entend qu’il ne faudrait pas que cela dure trop longtemps. Rien n’est simple. À mes yeux, elle collectionne les erreurs comme jamais auparavant. On danse sur un fil dangereux. À valser entre amour et colère, joie et haine profonde. On ne se comprend plus et aucun d’entre nous ne veut abaisser les barrières le premier. En tout cas, pas moi, pas cette fois. « Tu cherches à me faire sortir avant même que le médecin les ait vu ? Parce que t’es bien parti. » Un léger rire nerveux m’échappe alors que je croise son regard noir. Je l’ai énervé, je le sais, mais elle en a tous les droits Jill. Elle peut s’énerver, mais moi, je devrais me taire et hocher la tête docilement. Je voudrais qu’elle comprenne que cela ne peut plus durer, mais elle est têtue ma femme. Pourtant, en rien, je ne souhaite déclencher une énième dispute dans la salle d’attente du pédiatre. « Ils aimeraient juste que tu restes un peu. » Eux. Pour ne pas dire moi, alors que mon corps tout entier lui crie de rester à nos côtés. Le manque de sommeil, l’envie de pleurer qui ne me quitte pas, c’est tout ce que je peux lui donner comme indice tant je cherche à reconstruire cette carapace solide que j’ai perdu à ses côtés depuis si longtemps.

Le silence retombe, les regards s’évitent. Pour une fois, aucun des petits ne pleure. Bowie oscille entre éveil et sommeil tandis que sa sœur babille sagement en agitant ses petits bras et ses jambes. « Ils dorment mieux ? » Sa question me surprends tout autant qu’elle me fait plaisir. Elle s’intéresse et c’est tout ce qui compte. « Ça dépends des jours. » que je réponds calmement, haussant un peu des épaules, mon regard se perdant sur nos enfants. « Il refuse de dormir tant que je l’ai pas entouré de peluches. » Un sourire se dessine sur mes lèvres. « Elle refuse de s’endormir tant qu’elle n’est pas auprès de lui. » Il se tisse déjà le lien entre nos jumeaux. « Mais ils se réveillent encore toutes les 2/3 heures. » Et moi, je suis épuisé Jill.

Elle ne venait pas en étant hostile. Elle était vraiment là pour eux, tous les trois. Elle ne peut pas se résoudre à les éjecter de sa vie aussi facilement. Elle ne serait jamais partie trop longtemps loin d’eux, elle ne pourrait pas les abandonner pour une vie. Mais Bailey est hostile, il prend tout ce qu’elle dit pour le retourner contre elle. C’en est épuisant, et elle répond. Elle ne veut pas s’engueuler avec lui, pas ici, pas encore. Elle lève les yeux au ciel et évite son regard pendant un temps, elle doit rester calme. Elle sait qu’il lui en veut, elle lui en veut aussi mais aujourd’hui ils doivent être là pour les jumeaux. Elle ne sait pas quand ni si ça s’arrangera entre eux, mais elle sait qu’elle ne veut pas le perdre. Il utilise les petits pour lui dire qu’il aimerait qu’elle reste un peu et elle soupire. Elle croise son regard et fronce les sourcils. “Ils avaient pas l’air d’avoir envie que je sois dans les parages il y a quelques jours.” Bien sûr qu’elle ne parle que de lui et en aucun cas des enfants.

Elle change de sujet, détourne la conversation pour parler des bébés. Elle s’intéresse Jill, elle essaie. Elle aimerait que ça devienne un peu plus naturel, qu’elle n’ait pas besoin de se forcer ou de réfléchir constamment. Il y a des tas de choses qu’elle ne connait pas sur eux, et c’est dans ces moments là qu’elle ne se sent pas à sa place. Plus le temps passe et plus ce sentiment devient fort. Elle ne sait pas comment y remédier, elle ne sait même pas si elle en a vraiment envie. Elle doute encore, elle doute beaucoup trop la McGrath. Elle sourit un peu quand elle entend que Tracy ne dort pas si elle n’est pas juste à côté de Bowie. Elle ne se sent pas proche de Tracy, mais cette fois elle sourit un peu en pensant à elle. “Je pourrai toujours les prendre chez moi de temps en temps.” chez elle qui n’est plus chez eux. Elle ira chez Matt, ou chez Ginny, elle ira quelque part pour ne pas être seule avec eux, elle ne se sent pas prête. Mais Bailey a l’air épuisé. Les minutes défilent et le médecin est de plus en plus en retard. “Fitzgerald” elle se lève et s’avance vers la salle.

« Ils avaient pas l’air d’avoir envie que je sois dans les parages il y a quelques jours. » Le juste retour de bâton. Je ne vais pas plier, après tout, je l’avais bien cherché. On dirait deux adolescents, assit l’un en face de l’autre. Ce sera à celui qui fera le plus mal, celui qui aura la meilleure réplique pour détruire l’autre. Je ne voulais pas entrer dans ce jeu malsain, mais il faut croire que nos caractères nous on amener là sans qu’on le décide vraiment. À cet instant précis, Bowie se met à gazouiller bien fort, comme pour contredire sa mère et je souris quelque peu. « Ils se sont calmés. » que je renchéris sans jamais croiser son regard. Je me suis calmé. La colère est toujours présente, la rancœur également, mais je suis bien moins hostile que lors de notre dernière rencontre. J’ai dit tout ce que j’avais à lui dire, désormais toutes les cartes sont entre ses mains et ça… Je ne suis pas sûre qu’elle en ait pleinement conscience. Le processus est long, semble interminable même. Peut-être que jamais on ne trouvera un moyen de s’accorder et de se comprendre. En réalité, je refuse de penser à cela pour le moment tant, je me perds dans la gestion des jumeaux à chaque jour qui passent. Ils sont ma priorité que cela lui plaise ou non d’ailleurs. Notre couple viendra après, je crois. Pour le moment, je n’ai plus vraiment la force de me battre pour cela. Ou je prétends ne plus avoir la force quand en réalité, c’est auprès d’elle que je place toutes mes attentes ? Je ne sais plus vraiment. Je me perds dans ce qui se passe tant la fatigue est devenu mon problème au quotidien.

Elle s’intéresse un peu aux jumeaux et déjà mon ton est radicalement différent. Je répondrais à toutes ces questions tant que cela restera autour des enfants. Je vois son sourire et il me fait du bien. « Je pourrai toujours les prendre chez moi de temps en temps. » mais mon cœur s’arrête à ses paroles. Elle est leur mère, elle devrait pouvoir les prendre quand elle le souhaite, mais rien ne va dans cette phrase. Chez elle et non chez nous. Déjà, je sens une boule se former dans le fond de ma gorge. Elle grossit à l’instant même où je comprends qu’elle envisage que je ne sois pas avec eux. Cela me demande tous les efforts du monde pour prononcer ces quelques mots : « On pourra essayer. » Lui montrer que je ne suis pas hostile quand bien même l’idée de passer une nuit entière loin de mes enfants m’empêche déjà de respirer convenablement. Nous n’avons pas le temps d’en discuter plus que le pédiatre viens nous chercher. Je galère a fait rentrer la poussette dans le cabinet, mais on se retrouve bien rapidement en face du médecin. « Je vous propose de les ausculter d’abord et après, on discutera un peu. » Je hoche la tête alors que déjà, je plonge sur la poussette pour en sortir Tracy, laissant toute l’opportunité à Jill de prendre Bowie. Je dépose ma fille sur la table et elle semble soudainement si petite. « Vous… Vous allez vérifier quoi ? » Tout me stresse subitement et alors qu’il pose sa main sur Tracy, cette dernière se met à pleurer. « C’est rien bébé, papa est là. » Je ne vais pas aimer ce moment, j’en suis certains.

Ils se sont calmés, autrement dit, Bailey s’est calmé. Mais il parait sur les nerfs, prêt à utiliser tout ce qu’elle dit pour le lui reprocher. Il lui en veut bien plus que ce n’est jamais arrivé, et elle ne comprend pas pourquoi cette fois c’est si fort. Ca ne fait que quelques jours qu’ils ne sont plus ensemble, et peut-être qu’elle met juste du temps à s’en rendre compte la gamine. Elle ne sait pas à quel point tout ce qu’elle peut lui dire le touche profondément. Ils ne se comprennent plus depuis que les jumeaux sont nés, et ça n’avait jamais été aussi fort. Ils ont toujours eu des moments où ils ne voulaient pas se voir ni se parler. Mais ils avaient avancé, ils avaient passé une étape mais Jill était encore là pour tout gâcher. Elle pensait que Bailey n’était pas une personne capable de s’éloigner d’elle et de la laisser, et il lui donne tort depuis qu’elle est revenue de Nouvelle Zélande. Elle ne dit rien, elle pince les lèvres et elle se tait. S’il est plus calme elle ne dira rien pour l’énerver de nouveau.

Elle sent qu’il est tendu, que sa respiration s’est coupé au même moment où le coeur de Jill s’est arrêté en parlant de chez elle qui n’est plus le même qu’avant, qui n’est plus celui qu’elle partageait avec lui il y a encore quelques semaines. Ca semble tellement long. Les moments pendant lesquels ils allaient bien ne semblent être qu’un rêve, une vie qui date d’il y a des années. “T’as l’air fatigué.” Et elle le sait qu’il est épuisé, et que c’est autant à cause d’elle que de lui que tout s’accumule et rien ne s’arrange. Ils sont bloqués, c’est une voie sans issue et pourtant ils continuent de s’enfoncer toujours plus profondément. Le pédiatre entre dans la pièce et leur discussion est coupée.

La poussette entre dans la pièce et Jill reste en retrait quelques secondes. Bailey attrape Tracy et elle part chercher Bowie pour que le médecin puisse rapidement voir les deux enfants. Elle le garde dans ses bras pendant que Tracy pleure quand le médecin la touche et elle lève les yeux au ciel. Elle s’éloigne, c’est un réflexe. Et Bowie commence à bouger la tête dans tous les sens en entendant sa soeur pleurer, il chouine de plus en plus fort et elle commence à paniquer Jill. Elle ne sait pas quoi faire, elle ne sait jamais quoi faire quand elle se retrouve dans la même pièce que ses propres enfants. Elle tente de le bercer mais ça ne fait qu’empirer les choses, alors elle se rapproche de la poussette pour remettre Bowie à sa place en attendant que Tracy ait été ausculté. “C’est normal à cet âge là, ils ont l’air très fusionnel.” Il parle à Bailey bien plus qu’à elle, elle, elle ne sait pas grand chose de tout ça. “Ils mangent bien ? Pas de problèmes de régurgitation ?” Il regarde un dossier et lance un regard à Jill pendant qu’il écoute le coeur de la petite fille qui continue de hurler. “Le petit bonhomme n’a pas eu d’autres soucis après l’accouchement ?” Jill fronce les sourcils avant de tourner ses yeux vers Bailey. Elle ne va certainement pas beaucoup parler pendant ce rendez-vous.

Elle évoque un chez elle qui n’est pas le nôtre et c’est comme si tout s’écroulait à nouveau. Elle a pris sa décision, elle va se prendre un autre logement. Alors c’est comme ça que tout se termine ? Sur son départ, un silence total et un retour imprévu ? J’ai du mal à y croire et pourtant, je suis incapable de lui en demander plus. Ce n’est clairement pas l’endroit, ni le moment. Je ne sais pas si je serais assez fort pour supporter une telle conversation. « T’as l’air fatigué. » Je retiens un rire tant, ma tête doit faire peur. Au fond d’elle, elle doit savoir, elle reconnaît encore les signes. Je tente de m’en persuader alors que je hausse les épaules plus par fierté qu’autre chose. « Ça va. » Non ça ne va pas, mais elle a de bien vouloir le voir. Bien sûr que je suis fatigué lorsque je suis constamment seul avec des jumeaux qui viennent tout juste d’avoir un mois, mais le souligner encore une fois ne fera que du mal. Heureusement, le pédiatre arrive pour couper court à la conversation.

Dans la salle d’auscultation, Tracy décide que se faire toucher par un inconnu ce n’est pas vraiment quelque chose qui lui plaît. Qui pourrais lui en vouloir, ses deux parents détestent les médecins. Dans les bras de Jill, Bowie commence à s’agiter également. Normal, il déteste entendre sa sœur pleurer, mais ça elle ne le sait pas vraiment la brunette. Je la vois ne plus savoir quoi faire, mais lui laisse une chance de s’en sortir par elle-même, alors que le médecin semble fasciner par le lien qui les unit. J’essayer de rassurer ma fille, mais finis par m’approcher de Jill lorsqu’elle dépose Bowie dans la poussette et qu’il se met de suite à hurler bien plus fort. Je me penche pour récupérer notre fils et reste près de Jill. « Le mieux c’est que tu lui expliques. » Il est petit certes, mais les bébés à cet âge sont des éponges et si je lui dis que tout ira bien en contrôlant ma voix, je sais qu’il va se calmer. J’emmène alors le petit garçon près de sa sœur. « Tu vois, elle est là, Tracy. » J’embrasse la tempe de mon fils et l’allonge aux côtés de sa sœur. « Elle est juste pas trop contente. » Et le pédiatre rigole un peu. « A cet âge-là, ils ne sont pas nombreux à m’aimer. » J’ose imaginer que les bébés souriants il ne le voit qu’un peu plus âgé, et encore.

L’homme commence à poser des questions et c’est tout naturellement qu’il se tourne vers Jill. Elle semble paniquée dans son coin et je ne sais quoi faire pour la rassurer. La vérité se tient là, elle ne sait pas s’ils mangent bien ou même comment va Bowie. « Ils mangent bien tous les deux. » que je finis par répondre. « Parfois, Tracy a des régurgitations, mais elle se jetais un peu trop vite sur les biberons, alors je lui donne un peu plus. » Pour la caler un peu mieux alors que son frère semble avoir un petit appétit de moineau pour le moment. « Il est très discret, mais il va bien. » Et je le sais parce que je passe des nuits entières à ne pas dormir, juste pour m’assurer qu’il respire encore dans son sommeil. « Enfin, des fois, il pleure beaucoup après le biberon. » Et s’en vient une conversation sur le lait en poudre que l’on (que je) utilise et si tout se passe bien dans la couche. Du coin de l’œil, je vois Jill qui ne cesse de s’enfermer dans sa bulle quand je voudrais tant qu’elle essaye de participer même si elle ne sait pas tout.

Ca ne va pas, rien ne va dans cette situation. Rien ne se passe comme elle avait bien pu le prévoir ou l’imaginer. C’est terriblement triste, de se dire que ce qui devait les souder à jamais ne fait que les détruire un peu plus chaque jour. Et elle regrette la plage, elle regrette le mariage, elle regrette ces moments où ils étaient tous les deux contre le reste du monde. Elle pince les lèvres, et elle ne dit rien. Elle soupire et s’enfonce un peu plus sur sa chaise. Il ne serait pas fatiguée si elle avait été là depuis le début, il ne serait pas fatigué s’il ne lui avait pas demandé de partir de chez eux. Ils ont chacun leurs torts, et, pour le moment, aucun d’eux n’arrive à passer au dessus de tout ça. Ca prend du temps, bien trop de temps que d’habitude. Elle a l’impression qu’il n’y a pas de retour en arrière possible, que jamais plus ça ne sera comme avant. Et c’est cette pensée qui lui pince le coeur, celle qui lui dit qu’elle a tout gâché.

Le médecin leur dit d’entrer et commence son auscultation. Jill tente de prendre part à ce qu’il se passe, elle prend même Bowie dans ses bras en attendant que Tracy se calme mais lui aussi se met à hurler. Elle ne sait pas gérer ses enfants, elle ne sait pas gérer les pleurs, elle ne sait pas se gérer elle. Bailey reprend les rênes et s’occupe des jumeaux bien mieux que Jill ne l’a jamais fait. C’est une mauvaise mère, depuis 1 mois déjà. Les deux hommes parlent entre eux et elle ne se sent pas à sa place, elle ne sait rien, elle ne les connait pas. Il avait raison Bailey, elle n’est qu’une inconnue pour ses propres enfants. Ils parlent de nourriture et elle n’est plus incluse dans quoi que ce soit la brune. Elle ne peut répondre à aucune question alors elle se terre dans son coin en attendant que ça passe et que le rendez vous soit fini. Elle n’ouvre pas la bouche, Bailey sait tout mieux qu’elle, il fait tout mieux qu’elle et elle se dit qu’elle a peut-être eu raison de les laisser tous les trois. Le regard de Bailey se tourne vers elle une seconde et elle lui sourit à peine, elle n’aurait jamais dû venir. “Vous allez bien ?” Elle tourne la tête vers le médecin. “Les mamans ne sont pas aussi discrètes en général.” Il tente de faire dans l’humour mais ça ne la fait pas vraiment rire. “Tout va bien, il sait bien mieux que moi toutes ces choses là.” Elle déglutit et reste encore un peu dans son coin, en regardant de loin Tracy qui pleure un peu moins.

Nos histoires d’adultes ne devraient s’interposer entre nos enfants. L’absence de Jill se ressent dans tout ce que l’on fait pour les jumeaux. Encore plus dans cette salle alors qu’elle tente de calmer Bowie, mais qu’elle préfère le remettre dans sa poussette alors qu’elle devrait savoir, autant que moi, que tout ce qu’il veut, c’est être près de sa sœur quand elle pleure. Nos enfants ont ce lien si fusionnel que lorsque l’un commence à pleurer, l’autre se doit de s’assurer qu’il n’est pas loin. Elle devrait savoir tout cela, Jill. Sans aucune once de reproche, je tente de lui expliquer ce qui est le mieux, mais déjà elle s’éloigne. Elle ne cherche pas à s’impliquer alors que c’est tout ce que j’aimerais de sa part. La voir prendre quelques pas de reculs me brise le cœur. Pourtant, je me dois de me concentrer sur nos enfants et sur les questions du médecin. Il voit rapidement que quelque chose ne va pas, peut-être qu’il a l’habitude après tout. Peut-être que nous ne sommes pas un cas isolé comme j’ai la sensation que ce soit le cas depuis le départ. « Tout va bien, il sait bien mieux que moi toutes ces choses-là. » On pourrait entendre mon être éclater en mille morceaux tant, le silence semble durer dans la pièce. Jusqu’à ce que les jumeaux nous ramènent sur terre. Jusqu’à ce que le médecin me fasse un sourire et s’adresse à nouveau à Jill. « Je vais avoir besoin d’aide pour vérifier que le cordon est bien tombé. » Et c’est comme ça que je prends quelques pas de recul, lui laissant toute la place auprès de ses enfants. Petit à petit, c’est moi qui rejoins le coin de la pièce, observant la scène de loin. Incapable de dire quoique ce soit, laissant juste la tristesse m’envahir, serrant les dents pour ne pas recommencer à me pincer la peau. Le pédiatre s’occupe de Tracy et Jill de notre petit bonhomme qui ne cesse de la fixer en gazouillant. « Je vais vous montrer un petit massage pour calmer les maux de ventre aussi. » Et il prend le temps cet homme, il observe sans juger, il lui donne toutes les occasions du monde pour s’impliquer. Tout cela sonne tant comme une dernière chance et ma respiration se calque sur ses gestes à elle. Et alors que je sors mon téléphone pour regarder l'heure, je finis par prendre une photo de ma femme et mon fils. Si elle recule, je me noie.

Elle n’a pas envie de parler, elle n’a pas non plus envie de de les gêner. Elle ne se sent pas à sa place, elle aimerait sortir et les laisser faire, s’éloigner des hurlements le temps du rendez-vous pour les retrouver à l’extérieur. Elle se sent de trop et elle voit que Bailey connait absolument tout de ses enfants. Il est à sa place, il est parfait dans son rôle et Jill ne se sent pas à la hauteur. Elle reste dans son coin tout en les écoutant parler de tout ce qui intéresse le médecin. Elle sent le regard du médecin sur elle et elle tente de le rassurer. Elle ne veut pas attirer l’attention, pas cette fois. Elle ne fait qu’observer sa famille de loin.

Elle sent que ses mots blessent Bailey, elle le sent dans ses respirations, ses soupirs et ses regards. Elle le connait par coeur, elle ne fait qu’essayer de l’ignorer pour qu’ils n’aient pas cette discussion tout de suite. Ils ont le temps, et elle préfère encore repousser le moment. Elle n’aime pas leurs discussions ces derniers temps, ils finissent toujours par se hurler dessus et elle n’a plus envie de ça. Elle n’a pas envie d’avoir encore l’impression de tout briser à chaque mot.

Le médecin se tourne vers elle et de nouveau il veut la faire participer au rendez-vous. Elle capitule et se rapproche pour prendre la place de Bailey qui se pose à son tour dans un coin. Ils auraient dû faire ça ensemble, à deux, en famille. Mais ils ne font rien comme tout le monde, ils ne vivent rien comme ils le devraient parce que Jill n’est pas aussi heureuse et épanouie qu’elle le devrait. Elle pose ses mains sur le ventre de Bowie qui tourne à nouveau ses grands yeux brillants vers elle. Il est rassurant ce médecin là, il ne lui lance pas les pires regards noirs en la voyant aussi éloignée de ses propres enfants. Il essaie juste de la faire participer autant qu’il le peut. Et pour une fois elle garde ses mains sur son garçon et elle masse délicatement son ventre. Cette fois, le temps d’une seconde, elle a l’impression d’être une mère.