« Sauf si t’as envie de vomir en lévitation. » L’arête de son nez se fronce. « J’ai envie de plein de choses mais pas de ça. » Vomir sur Dirty Dancing, clairement pas en haut de sa ‘‘to–do’’ liste. « Tellement incroyable ce moment. » La tête qui commence à hocher – non, fausse bonne idée, arrête tout de suite.

« Je pense qu’on se complète bien d’une certaine façon et on est juste doué ensemble. » Les yeux toujours rivés sur les traits du producteur, ses doigts s’ancrent en même temps dans son bras désigné comme son oreiller. Comme si le corps géant de Jordan, qui semble plus solide que le sien à l’heure actuelle, peut lui faire oublier qu’il y a des roues qui roulent à une allure plus ou moins respectables en ville et que surtout, son intérieur n’est pas un gigantesque milkshake qu’on est en train de secouer mille et une fois. « Faudrait qu’on soit toujours ensemble. On pourrait être doués partout dans notre vie comme ça. Unstoppable. » Si y avait pas la chanson – leur chanson – à la radio, elle aurait sûrement l’autre qui prendrait la place dans sa tête nébuleuse. Comme une ligne conductrice qui permet à son cerveau de ne pas penser aux alentours – juste Jordan et la soundtrack, that’s all.

« Je vais te raconter l’histoire d’une fille sur qui je suis tombé en soirée y’a au moins dix ans de ça. Une meuf qui a envahi mon espace et autant elle m’a saoulé, autant elle m’a bien changé les idées. » Birdie a fini par fermer les yeux, la joue appuyée contre le sweat du géant blond, sa main contre son dos alors qu’elle essaie de se focaliser que sur les mots. D’habitude, c’est elle la tactile mais avec Jordan, il y a une connexion d’une facilité incroyable, comme s’ils se connaissent depuis bien plus longtemps que la réalité.
Même si les paroles qu’il prononce, ça a une certaine résonnance. « Elle m’avait dit que les sentiments c’était juste une opportunité d’autrui pour te nuire. » Pourquoi elle a l’impression que ça lui dit quelque chose ? La ride du lion se forme sur son visage maintenant complètement focus sur les paroles de Jordan – parce que ça lui parle, ce qu’il raconte, et que c’est bizarre, et qu’elle veut savoir mais en même temps… – « Cette phrase m’a marqué. » Elle aurait bien aimé que ça la marque, elle aussi. « C’est le genre de choses que je pourrai dire. » Tu l’as dit dans une autre vie. Y a au moins dix ans, Jordan a dit. T’étais où, y a dix ans ? Certainement aussi en train de cuver quelque part. Des choses ne changent pas mais au moins, Jordan la serre un peu plus contre lui en même temps qu’il continue. « J’espère qu’elle a trouvé du réconfort quelques fois depuis le temps. » Birdie finit par lever les yeux vers lui, l’illumination derrière ses paupières remettant en place cette sensation qu’elle a depuis le début qu’elle fréquente le musicien. Celle de le connaitre d’avant, sans avoir quand ni d’où.

« Ça me viendrait jamais à l’esprit de lui nuire. »
« Même si elle t’avait nuit avant ? »

La petite blonde se mord l’intérieur de la joue, déviant son regard vers la fenêtre – nouvelle erreur qu’elle camouffle derrière un rire étouffé contre le sweat de Jordan. « Je trouve que cette fille soûlante était quand même pleine d’esprit. » Jamais très loin pour booster son propre égo, son rire toujours couvert avant que sa main libre se dirige vers la mâchoire de Jordan, ses prunelles les suivant. « Tu peux dormir tranquille. Si elle a un mauvais karma, c’est qu’elle l’a provoqué. Et elle réussit à trouver le réconfort parfois. » A breath away et la voiture s’arrête. « Thanks god ! » Une exclamation qui la coupe de faire n’importe quoi qui pourrait (encore) tout foutre en l’air alors qu’elle s’éloigne pour aller ouvrir la porte de son côté. Un regain d’énergie tout trouvé mais qui ne fait pas bon ménage avec son for intérieur, qui se rappelle à elle tel un boomerang dans ses intestins une fois à l’extérieur de la voiture. « Oh god. Il veut pas m’aider. Il a quelque chose contre moi. » Parce que si ce n’est pas de sa faute à elle, c’est forcément de sa faute à Lui, n’est–ce pas ?

« Faudrait qu’on soit toujours ensemble. On pourrait être doués partout dans notre vie comme ça. Unstoppable. » Hmmm? Tu trouves sa phrase bourrée de mots qui lui donne un sens qui pèse lourd. She’s not serious. Mais tout comme certaines autres de ses phrases, celle ci est déjà ancrée dans ton esprit. Les sentiments c’est juste une opportunité d’autrui pour te nuire. « C’est le genre de choses que je pourrai dire. » Un léger sourire se forme sur tes lèvres de l’entendre répondre ça. Elle n’a pas encore fait le lien dans toute ton histoire. Votre histoire. Tu as l’impression que ça fonctionne parce qu’elle semble apaisé, toujours contre toi. Ce que tu dis par la suite l’interpelle car la voilà redressée à te dévisager. « Même si elle t’avait nuit avant ? » Tu sens le poids de ses mots de nouveau. Tu ne sais pas de qui elle parle, mais elle a l’air de se torturer pour des actions passées. Feeling that. « Je trouve que cette fille soûlante était quand même pleine d’esprit. » Qu’elle lance en se recalant contre toi confortablement. « Je trouve aussi. » Tu ne serais pas encore à passer du temps avec elle dans le cas contraire. Et puis elle va poser sa main sur ta mâchoire, tu baisses les yeux vers elle qui demande un peu plus de ton attention. « Tu peux dormir tranquille. Si elle a un mauvais karma, c’est qu’elle l’a provoqué. Et elle réussit à trouver le réconfort parfois. » Elle a saisit le message. Elle sait de qui tu parles. Tu hoches la tête, appréciant sa réponse qui ne fait que confirmer vos similitudes. « Thanks god ! » Tu réalises que vous êtes arrivés et Birdie est déjà en train de sauter sur la portière pour s’échapper de là. « Merci. Passez une bonne soirée. » Que tu dis au chauffeur avant de sortir de la voiture. Y’a pas plus poli que toi sur cette planète Jordan.

« Oh god. Il veut pas m’aider. Il a quelque chose contre moi. »
« Parce que tu crois en Dieu ? »

Tu te fous gentiment d'elle en faisant le tour de la voiture pour revenir à ses côtés. Tu la vois immobile et tu comprends bien qu’elle risque de vomir d’un moment à un autre. Ta main qui va dans son dos pour le lui caresser doucement. Tu cherches pas à avancer. Y’a pas le feu au lac et tu préfères qu’elle vomisse dans la rue que chez toi. T’es sûr qu’avec sa chance et la tienne réunis, elle n’aura pas le temps d’atteindre la salle de bain. « Tu te sentiras mieux après. » Autant tu détestes vomir, autant t’as pris l’habitude - contre ton grès - et tu t’es toujours senti mieux dans ta déchéance après avoir laisser sortir tout ça de toi. « Si je te dis que c’est une partie de tes démons qui veulent sortir. S’en aller. Ca donne plus envie ou bien tu veux que j’aille mettre mes doigts au fond de ta gorge? » Tu feras pas ce que tu viens de soumettre comme hypothèse. Elle est assez grande pour faire ça toute seule, mais l’image t’a fait beaucoup marrer.

Spoiler:

« Je trouve aussi. » Y a un ‘‘hum’’ satisfait qui s’échappe des lèvres de la petite blonde. « Merci. Passez une bonne soirée. » Grand Jupiter de tous les saints qu’il est poli. Comment peut–on être poli dans un monde pareil ? Pourquoi s’embêter à dire ‘‘merci’’ à quelqu’un qui a juste fait son job ? Personne ne la remercie, elle, quand elle a fini de présenter la météo. De la salive gaspillée pour rien, et c’est bien pour ça que Birdie joue le rôle de l’impolie, de la grossièreté de service en s’échappant magistralement – de la voiture ou du confort de Jordan, heaven only knows. Le nez tiré vers le ciel, elle prend une profonde inspiration comme si elle avait failli être étouffée pendant bien trop longtemps, ces poumons appréciant la stabilité (même précaire) de ses jambes et l’air frais.

Même si l’appréciation dure sûrement moins de cinq battements de cœur avant qu’elle grimace et qu’elle se plaigne. « Parce que tu crois en Dieu ? » Birdie se gratte la tête, l’air pensif, avant de lui foutre un doigt d’honneur dans la vision et dans sa moquerie. « Quand ça m’arrange, ouais. » Parce qu’elle ne se blâme de pas grand-chose. Donc elle blâme les autres. Mais quand il n’y a pas d’autres à blâmer, elle le blâme Lui. Elle n’y croit pas mais elle a besoin de rejeter la faute sur quelqu’un. Lui, le destin, la destinée, les dieux, le fantôme de son chat n°3 qu’elle avait quand elle avait cinq ans et qui lui en veut encore, qu’importe. « Pour ça qu’il doit pas m’aimer, hein. » Même si c’est vraiment le cadet de ses soucis.

Non, son souci principal à l’heure actuelle est le yoyo intempestif dans son tube. « Tu te sentiras mieux après. » Birdie grogne. « T’aides pas. » Jordan n’avance même pas. Il reste là, à côté d’elle, à attendre. Il attend quoi exactement ? Sa déchéance à elle, certainement. Heureusement que Birdie ne possède quasiment aucun égo. Par contre, elle grignote encore les restes de sa fierté éparpillée pour tenter de garder la tête solide, froide, au moins jusqu’à arriver chez lui. La petite blonde s’en va ouvrir la bouche pour lui dire expressément de lui montrer le chemin de chez lui, mais il est plus rapide qu’elle. « Si je te dis que c’est une partie de tes démons qui veulent sortir. S’en aller. Ça donne plus envie ou bien tu veux que j’aille mettre mes doigts au fond de ta gorge ? »

Ok, là, il aide un peu trop et elle ne s'y attendait pas.

A ces derniers mots, Birdie sent que ça s’agite furieusement et elle finit par courir vers le premier pan de terre pour aller y déverser ‘‘les démons’’ – elle a plutôt l’impression d’y laisser la moitié de ses intestins et surtout le peu de fierté qu’il lui restait. Une fois fini, elle atterrit par terre, épuisée, vidée, l’énergie nécessaire pour disputer Jordan – pour la forme surtout, parce que le fond se sent effectivement mieux. « Jordaaaaaaaaan, est-ce que ça montre le niveau d’indécence de cette proposition ? C’est pas mes démons qui sortent, c’est le résultat de ta connerie. » Les agents de nettoyage ou les jardiniers ne le remercieront sûrement pas. Elle passe une main sur son visage, son cœur commençant enfin à ralentir la cadence pour atteindre un rythme normal mais pas encore assez téméraire pour faire confiance à ses jambes de la soutenir. « Ok, on se sent proche mais c’est pas le genre d’intimité que j’aurai proposé, perso. » Elle aurait fait en sorte de ne pas être à moitié morte en premier lieu.

« Quand ça m’arrange, ouais. » Un peu - beaucoup - comme toi. T’es surtout fasciné par tout ce que la religion représente aux yeux de certaines personnes. Tout l’espoir que ça leur donne. Tu es du genre à prier de ton côté. Ou collectivement avec ta belle famille, mais pas à leur Dieu. Tu pries le ciel, tu pries l’univers, tu pries Rosa, tu pries ta mère et tous les amis que tu as perdu au fil des ans. « Pour ça qu’il doit pas m’aimer, hein. » T’as envie de lui dire qu’elle est bien mieux sans lui. Y’a des choses plus grandes que ça sur cette planète mais c’est clairement pas du tout le moment de se lancer dans ce genre de conversation.  « T’aides pas. » Tu trouves que tu l’aides plutôt beaucoup avec la suite de ta réflexion car ça a la réaction escompté. Tu sors ton téléphone en attendant qu’elle ait terminé de se vider le bide. Quand les râles sont plus à tes oreilles tu la vois assise par terre. « Jordaaaaaaaaan, est-ce que ça montre le niveau d’indécence de cette proposition ? C’est pas mes démons qui sortent, c’est le résultat de ta connerie. » Elle te fait rire. Franchement rire. « Rien que ta façon de crier mon prénom, je le sens que tu te sens mieux. Win. » Tu te sens malin. Tu te rapproches d’elle parce qu’il va falloir bouger de là à un moment. Tu sens qu’elle a besoin d’aide quand même. Encore.

« Ok, on se sent proche mais c’est pas le genre d’intimité que j’aurai proposé, perso. » Nouveau sourire sur tes lèvres. Cette meuf s’arrête jamais. Tu lui tends la main pour qu’elle se remette sur ses pieds. Tu comptes continuer de l’escorter en tant qu’oreiller géant. « Tu pourras proposer toutes les intimités que tu veux une fois que tu auras pris une douche. Allé viens… » Et c’est ainsi qu’elle va entrer chez toi pour la première fois. Peut être l’unique fois ? Tu ne sais pas si elle va user de ton toit pour s’échapper de sa vie qui a l’air très compliqué. Sa vie dont tu ne sais rien malgré que vous vous soyez croisé pas mal de fois maintenant tous les deux. T’es pas pressé de tout découvrir, même loin de là. Etre dans l’ignorance c’est une bénédiction très souvent.