| | | (#)Mer 26 Aoû 2020 - 22:30 | |
| | | ► MOONDUST
Lookin' at you, like a star From a place, the world forgot And there's nothing, that I can do Except bury my love for you
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Il frappa à la porte de l’appartement, sans conviction aucune. Les maigres raisons qui avaient pu pousser Hayden à fouler de nouveau le sol australien s’étaient certainement envolées, et il lui semblait logique, inévitable même, que la jeune femme suive le mouvement également en sautant dans le premier avion pour Londres. Pourquoi serait-elle restée, après tout ? Pour les mêmes raisons qui l’avaient ramenées à Brisbane, espérait Jamie. Car sans cela, il ne lui restait plus la moindre chance de revoir la comédienne -et c’était cette pensée, cette horrible, terrifiante pensée, qui l’avait traîné jusqu’à son logement. L’idée que les non-dits resteraient tels quels, que les peurs d’autrefois demeureraient leur malédiction, le fantôme l’un de l’autre dans chacun de leurs pas. Plus les jours passaient plus la boîte de Pandore pesait sur son torse, sur sa conscience, sur tout ce qui était injustement resté trois ans plus tôt et n’avait jamais eu la chance d’être prononcé. Et ainsi, le chapitre ne fut jamais clos, pas pour eux. L’histoire sans fin ni début, comme un brouillon jeté à la poubelle trop rapidement, un premier jet brut et insolent. Tout ce que le temps leur avait conféré fut le perfectionnement de leur art du déni. Mais se pouvait-il qu’ils aient grandi de sorte à être meilleurs que leurs homologues, ceux qui avaient vécu dans ce brouillon, trois ans plus tôt ? Pouvaient-ils se regarder dans les yeux et parler à coeur ouvert, sans plus de messages entre les lignes, sans pensées refoulées ? L’anglais était tiraillé. Si elle ouvrait, aurait-il le courage, lui ? Lui qui n’avait jamais trouvé les mots, qui ne savait jamais prendre les bonnes décisions. Lui qui se sentait perdu, esseulé, vulnérable.
Non, Hayden était partie. C’était terminé, il n’y aurait plus d’autre chance. A croire qu’il ne savait que gaspiller toutes celles qu’on lui offrait. Il soupira. Son corps bascula, se tourna, ses épaules pivotèrent et ses talons faillirent faire de même ; mais la porte s’ouvrit, et dans l'entrebâillement, il la vit. Et pris de surprise, sa bouche s’ouvrit sans que sa voix n’émette de son. Il lâcha bêtement un “hey” dans une expiration. Perdu dans son élan, il se redressa, bancale, les bras les ballants, les mains nerveuses. Son regard glissa sur le sol comme si ses mots y étaient tombés, éparpillés sur le paillasson. “Je… Je ne pensais pas que tu serais encore là. Je ne savais pas. J’espérais, mais…” Jesus, James. Vivement, il passa ses doigts dans ses cheveux. Il se racla la gorge -peut-être que les mots étaient tombés là, finalement. Peut-être que son courage se cachait là aussi. Il releva ses yeux également, sans se permettre de détailler Hayden. “Tu aurais eu toutes les raisons de partir.” Elle le détestait certainement. Ne l’avait-il pas déçu une énième fois ? N’avait-il pas prouvé qu’il n’était pas à la hauteur, qu’il ne valait pas tous les efforts ? Si la comédienne ne l’avait pas saisi elle-même, Jamie pouvait compter sur l’ensemble de son entourage pour le lui rabâcher et l’ancrer dans son crâne. L’avait-on retourné contre lui, ou s’était-il débrouillé tout seul pour démontrer qu’il n’en valait pas la peine ? Il y eut un silence à nouveau. Un moment d’équilibre fragile où la Terre entière lui sembla tourner sous ses pieds, sans lui. Voilà qu’il souhaitait fuir à nouveau, courir loin de ce vertige. Pourtant ses deux pieds ne faisaient qu’un avec le sol. Il n’irait nulle part ; c’était peut-être sa seule occasion, il ne pouvait pas l’oublier. Toutes ces pages froissées qui méritaient mieux que d’être un souvenir mélancolique. “Je voulais te dire…” Là, Jamie ? Sur le pallier, vraiment ? Il se ravisa, inspira profondément. “J’ai beaucoup de choses à te dire.” il reprit, ses esprits se rassemblant peu à peu. Il était certain d’une chose ; ils avaient besoin de cette conversation, autant l’un que l’autre. Et peut-être qu’ils n’iraient pas mieux, peut-être que rien n’irait jamais plus ; mais le voile ne pouvait prendre plus longtemps la poussière par-dessus leurs divers regrets. “Je peux entrer ?”
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| | | | (#)Lun 21 Sep 2020 - 0:02 | |
| Si Hayden n’avait jamais réellement quitté Brisbane durant ses jeunes années, elle était paradoxalement devenue une spécialiste du déménagement à la minute où elle avait décidé de poursuivre des études, puis une carrière dans la comédie. La jeune femme avait régulièrement vogué d’appartements en hôtels sans que cela ne la dérange aucunement et, très tôt, l’habitude de se tenir prête à quitter le lieu où elle vivait dans l’instant pour rejoindre une destination parfois située de l’autre côté de la planète s’était imposée à elle. Poussée par cette accoutumance, Hayden avait accueilli l’opportunité d’enfin réintégrer son appartement le cœur léger ; oh, bien sûr, rien à voir avec Elizabeth qui s’était révélée être la meilleure des colocataires possible. La comédienne lui devait une fière chandelle, elle ne l’oubliait pas, et sa présence avait été une véritable bénédiction à la suite de cette soirée catastrophique qu’Hayden s’était refusée d’évoquer avec quiconque d’autre. Paradoxalement, l’envie de se retrouver seule pour tenter de faire taire le chaos intérieur qui l’agitait ne s’était jamais exprimée aussi fortement, et la jeune femme n’avait plus quitté ses cartons depuis. Pour autant, et malgré son euphorie des débuts, Hayden devait avouer qu’une fois seule face à la situation, le brouillard s’était fait plus épais. Elle s’était rapidement sentie tiraillée entre l’envie de retrouver un intérieur douillet, et la désagréable sensation que, peut-être, il n’était pas nécessaire de déballer l’entièreté de ses affaires quand elle n'était pas certaine de son propre futur. Une semaine après son départ de chez Elizabeth, donc, la comédienne demeurait entourée de cartons à peine ouverts ou très peu déballés, à l’image de son incertitude flagrante concernant la marche à suivre. Si Brisbane ne lui semblait plus aussi accueillante et emplie de possibilités qu’elle ne l’avait été par le passé, l’idée de déposer les armes face à des événements qui avaient échappé à son anticipation et à tout contrôle lui était insupportable.
Elle en était à là de ses réflexions, une tasse de thé dans une main et ses questionnements intérieurs dans l’autre, quand on frappa à sa porte. Hayden fronça les sourcils, à peu près certaine que personne n’était au courant de son retour aux sources hormis Elizabeth, qui n’avait jamais été le genre de personne à lui rendre visite à l’improviste, même après toutes leurs années d’amitié. Un coup d’œil rapide à son téléphone lui signifia que personne de son entourage n’avait prévenu de son arrivée prochaine, et Hayden hésita quelques secondes avant de laisser la curiosité remporter la bataille. La porte s’entrouvrit sur la silhouette de Jamie, et la comédienne resta interdite, incertaine de l’interprétation qu’elle devait apporter à la présence de l’ancien rédacteur en chef sur le pas de sa porte. Elle eu l’occasion de noter à quel point il devenait régulier que le brun brouille l’ensemble de ses certitudes, mais pas suffisamment de temps pour s’attarder sur cette pensée outre-mesure. Jamie avait déjà pris la parole, aussi peu à l’aise qu’Hayden elle-même, laissant échapper des phrases que la comédienne aurait donné cher pour entendre des semaines plus tôt. Son cœur se serra quand la maladresse de son ancien amant fit écho à sa propre incapacité à comprendre le chemin qu’elle devait emprunter, et elle ne parvint à articuler qu’un seul mot pour toute réponse. « Entre. » La comédienne s’effaça pour laisser son visiteur impromptu s’avancer dans le hall d’entrée, regrettant presque instantanément l’image que les cartons étalés ci et là pouvaient renvoyer.
Hayden invita Jamie à s’asseoir sur le canapé du salon, tandis qu’elle trouva un réconfort de courte durée dans la cuisine ouverte. Ses mains tremblantes s’affairèrent à la préparation d’un thé répondant aux goûts de celui qu’elle avait côtoyé trois ans plus tôt, mais la nervosité de la comédienne l’empêcha d’y voir un parallèle pourtant évident à sa propre visite quelques mois en arrière. « Je suis désolée, je n’ai rien d’autre qu’un thé à t’offrir. Les bouteilles de vin sont encore dans des cartons, je n’avais pas vraiment prévu de recevoir de la visite aujourd’hui. » Ni même dans les prochains jours, d’ailleurs. Mais Hayden n’ajouta rien, consciente qu’elle risquait avant tout de faire comprendre à Jamie qu’il n’était pas le bienvenu ici. Car si la comédienne continuait d’osciller entre la honte et la peine lorsqu’elle repensait aux événements du gala, elle ne cherchait nullement à faire taire le soulagement qui lui avait réchauffé le cœur en constatant que visiblement, la discussion était toujours possible entre eux. C’en était fini, du sentiment d’être la seule à avoir quelque chose à dire. Terminé, la déplaisante sensation que ses mots ne parvenaient jamais tout à fait à atteindre leur but. Si Hayden était intimement convaincue de s’être suffisamment exprimée, il lui semblait que Jamie, quant à lui, possédait un droit de réponse qu’il n’avait pour le moment encore jamais utilisé. « J’y ai pensé, tu sais. » Hayden avait rejoint le salon à son tour, tendant à Jamie sa tasse, tentant d’ignorer les battements de son cœur qui s’accéléraient tandis qu’elle récupérait son propre thé abandonné sur la table basse au moment d’aller ouvrir la porte quelques minutes plus tôt. « A partir. Et puis je me suis souvenue que la dernière fois que j’ai pris la fuite en pensant tout arranger… » Hayden marqua une pause, soudainement pensive. Elle songea à Jamie à qui elle avait sans cesse la douloureuse perception de dire au revoir pour la dernière fois, à Keith qui semblait avoir pris l’excuse de son départ pour Londres comme la parfaite excuse pour se comporter comme un enfant pourri gâté, à sa famille avec qui elle ne parvenait même plus à communiquer à force d’avoir toujours plus repoussé le moment des retrouvailles. Hayden était aujourd’hui certaine que rejoindre Londres faisait partie des plus grosses erreurs de sa vie. Ou peut-être était-ce la décision de faire machine arrière. A force, elle ne parvenait plus très bien à y voir clair. « Eh bien, ce n’est pas à toi que je vais apprendre ce qu’il s’est passé. » Personne ne l’ignorait, de toute façon.
La comédienne ne fit pas l’affront à Jamie de lui demander s’il était venu pour sa note de pressing. Elle se contenta de lui faire face en prenant soin de ne pas envahir son espace vital, comme si elle ne savait pas vraiment où se situer sur l’échelle de leur relation. C’était peut-être la première et dernière fois qu’Hayden aurait l’occasion d’entendre ce qu’il avait à lui dire, et elle ne voulait pas gâcher ce moment en le brusquant par erreur. C’était peut-être aujourd’hui, que la résolution des non-dits viendrait dissiper quelque peu le poids qui lui pesait sur la poitrine. Et sans s’attendre à quoique ce soit, la comédienne savait que cette discussion leur permettrait sans doute d’enfin clore un chapitre. « Je voulais simplement te répéter à quel point j’étais sincèrement navrée, pour la dernière fois. Je sais que c’est difficile à croire, mais je n’ai rien prémédité. Ça me coûte de l’avouer, mais la situation a totalement échappé à mon contrôle. » Hayden haussa vaguement les épaules, se gardant bien d’ajouter que si elle avait vraiment désiré provoquer un scandale, elle n’aurait certainement pas fait appel à des manœuvres aussi grossières. Après tout, la comédienne savait parfaitement distinguer un bel esclandre d’une humiliation publique qui n’avait pas lieu d’être. Et elle refusait de croire que Jamie ne la connaissait pas suffisamment pour le comprendre de lui-même. « Mais tu n’es sans doute pas là pour ça. » C’était devenu si difficile de lire en lui, de comprendre ce qui pouvait bien agiter ses pensées, là-haut. Hayden avait-elle perdu définitivement ce droit, en tournant les talons trois ans plus tôt ? |
| | | | (#)Ven 25 Sep 2020 - 22:30 | |
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Sans cérémonie, elle le laissait entrer ; sans commentaire, il s’exécuta. Son regard fit immédiatement le tour du salon et, notant les cartons scellés de part et d’autre, Jamie eut vit fait de s’imaginer que la jeune femme était bel et bien sur le départ et qu’il l’aurait manquée à quelques jours près. Une hésitation supplémentaire, et elle lui aurait glissé entre les doigts définitivement. Sa bouche demeura close jusqu’au sofa où il osa à peine s’installer. Son dos tourné à la cuisine lui permit vaguement de souffler, mais ses inspirations demeuraient bloquées au fond de poumons prêts à exploser, son coeur lui-même à deux doigts de le lâcher une nouvelle fois lui semblait-il. Etait-ce une bonne idée finalement ? Que faisait-il ? Qu’espérait-il ? L’espace d’un instant, il ne savait plus vraiment et ne songeait qu’à fuir, par le couloir, par la fenêtre, qu’importe. La voix d’Hayden lui arracha un sursaut qui crispa ses épaules. “Du thé fera parfaitement l’affaire.” assura-t-il. Du thé faisait toujours l’affaire. A la senteur, à la première lapée, l’anglais savait qu’il retrouverait ses esprits et sa contenance. En attendant, il se passait bien de leur imposer à tous deux un small talk qui ne saurait remédier à l’atmosphère qui régnait dans l’appartement. Il préférait le son de la bouilloire à celui d’une conversation hypocrite qui, à ses yeux, aurait été du plus mauvais goût en introduction de ce qui l’avait amené jusqu’à la comédienne. Ses yeux la suivirent dès qu’elle entra dans son champ de vision, tasse à la main, annonçant que l’éventualité de retourner à Londres l’avait effleurée. Les sourcils froncés de Jamie suffisaient à traduire sa surprise ; lui qui l'imaginait déjà loin réalisait que les cartons devaient être vidés, qu’elle s’installait. Il n’osa pas demander pourquoi, ni combien de temps ; il savait se contenter d’une bonne nouvelle sans poser plus de questions. “Je pensais que ça t’avait plutôt bien réussi.” souligna-t-il simplement avec une pointe d’incompréhension ; certes, son départ trois ans plus tôt n’avait pas été sans douleur, mais est-ce que sa carrière à l’autre bout du monde n’en avait pas valu la peine ? Ne la valait-il plus, en tout cas ? Il ne souhaitait pas creuser le sujet et se contentait de s’estimer heureux que Hayden ne prenne pas la fille de l’air à nouveau. Un seul déracinement avait suffi, c’était ce qu’il en avait conclu.
Avec une gorgée de thé, il écouta la comédienne faire le mea culpa de la soirée qui les avait réunis pour la dernière fois. S’il savait Hayden bien assez décente pour assumer ses torts, il ne se serait pas douté que celle-ci endosse tout le blâme. “La situation nous a tous échappés.” corrigeait Jamie. Strictement rien n’aurait pu se dérouler sans heurts dès lors que Hayden et Joanne étaient dans la même pièce, mais les récents événements et les choix des uns et des autres avaient rendu l’issue de ce gala tracé d’avance. Ils avaient tous une part de responsabilité et il n’était pas question que Hayden fasse reposer ce désastre sur ses propres épaules. L’unique facteur inconnu de la soirée fut le cavalier de la comédienne, mais comment pouvait-elle espérer tenir en laisse un trentenaire d’un mètre quatre-vingt avec un sale caractère ? “Sauf Keith, lui seul le contenu de son verre lui a échappé.” il ajouta avec un sourire. Le temps avait amplement permis à l’anglais de relativiser les événements, et en comparaison avec ce qu’il vivait depuis un an, ce gala avait été une farce. “C’est oublié, ne t’en fais pas.” assurait-il. Au moins, Jamie n’avait plus à cacher le retour d’Hayden à Joanne, et la fin de ce mensonge par omission était un soulagement, qu’importe les conséquences.
Le gala n’était cependant pas l’objet de la visite de Jamie et la comédienne l’avait su bien avant d’aborder le sujet ; ce n’était pas le ridicule d’un cirque de ce genre qui pouvait justifier sa nervosité, ses mains moites, hésitantes, ses sourires timides spasmodiques, son regard fuyant. Dire rien de tout cela ne faisait justice à l’anarchie qu’il ne parvenait à canaliser dans son coeur, dans ses pensées. “Non, en effet…” Et il ne pouvait plus faire marche arrière, trouver un prétexte et se cacher derrière. Il s’était promis d’être honnête, de se livrer, et il comptait s’y tenir ; son estime de lui-même ne survivrait pas à une couardise supplémentaire. Lui qui n’avait toujours été que demi-mots et insinuations voilées avec Hayden, lui qui n’avait jamais su assumer ses envies et ses doutes, lui qui avait toujours manqué de courage face à ces prunelles noisette ; il voulait être pleinement vrai, pour une fois, quitte à trébucher, à être maladroit. “Tout ce qu’il s’est passé récemment m’a beaucoup fait réfléchir, et je crois qu’en réalité, c’est moi qui te doit des excuses.” Il reposa sa tasse et capta le regard d’Hayden pour ne plus le lâcher. Tout chez elle l’intimidait et le fascinait à la fois, comme si elle était le côté similaire au sien d’un autre aimant. “Peu de personnes m’ont apporté du soutien suite à cette affaire avec Mina. Beaucoup ont fait passer leur image avant toute chose, et même si je le comprends et que je n’en tient rigueur à personne, le fait est que j’ai passé une année très solitaire.” Ce fut à l’inauguration de la Fondation que Jamie eut le plus grand nombre d’exemples de ce genre de manoeuvres. Tout le soutien qu’il avait reçu ce soir-là, il n’en avait pas vu la couleur auparavant. Et bien qu’il ne se sentait plus si isolé, ces maigres tapes dans le dos ne pouvaient lui faire oublier la profonde solitude, l’écoeurement qu’il avait face à son propre reflet. “Parmi les rares proches qui ne m’ont pas tourné le dos, il y a toi… Tu as fait la moitié du globe pour être là, et je me suis montré particulièrement ingrat. Je n’ai pas su te remercier et te dire à quel point j’étais touché.” A côté de cela, et comme il n’avait pas manqué de le faire remarquer, sa propre épouse l’avait repoussé, évité comme la peste. “Sûrement parce que… j’étais également surpris, et apeuré, confessa Jamie, estomac noué. Je n’étais pas prêt à refaire face à… toi, et tous les souvenirs qui vont avec toi.” Nul besoin de raviver la mémoire d’Hayden ; depuis son retour ces souvenirs étaient aussi vifs que si elle n’était jamais partie pour Jamie, et il supposait qu’elle se trouvait dans le même cas de figure. Pour cause ; “J’ai cherché à simplement oublier tout ça, ignorer notre histoire comme si elle n’avait jamais existé. J’ai fermé les yeux à ce sujet depuis ton départ. Et te revoir m’a soudainement fait prendre conscience que ce chapitre n’avait jamais vraiment eu droit à une véritable clôture.” Parce qu’il n’avait jamais eu le courage de dire tout ce qu’il avait sur le coeur, il n’avait pas su faire un choix. C’était un fardeau, depuis, cette fable sans morale, ce récit sans point final.
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| | | | (#)Jeu 1 Oct 2020 - 0:25 | |
| Distinguer l’anxiété qui se dégageait de Jamie ne fut pas chose ardue. Même le dos tourné, Hayden pouvait ressentir l’atmosphère chargée, comme si un orage se profilait à l’horizon. C’était presque déstabilisant, de le voir aussi incertain, elle qui l’avait toujours considéré comme une figure aussi déterminée que sûre d’elle. La comédienne pouvait cependant le comprendre mieux que quiconque, elle qui se raccrochait à sa tasse de thé pour se donner autant de courage que de contenance. Une vaillance qui se dissipa quelque peu lorsque Jamie évoqua son départ pour Londres qui, bien sûr, était passé aux yeux de tous comme une parfaite réussite. Et au fond, c’est bien vrai : Hayden ne regrettait presque rien, convaincue qu’elle n’aurait jamais connu un début de carrière aussi fulgurant si elle n’avait pas tenté sa chance lorsque l’occasion s’était présentée. Professionnellement parlant, elle n’avait pas à se plaindre. Sous un aspect plus personnel, en revanche… c’était une toute autre histoire. « Je suppose que la notion de réussite dépend du point de vue de chacun. » La comédienne n’insista pas, redoutant l’image ingrate qu’elle pouvait dégager. N’existait-il pas un adage selon lequel il n’était décemment pas possible d’espérer obtenir le meilleur des deux univers ?
L’oxygène regagna peu à peu ses poumons quand Hayden pris conscience que Jamie ne semblait pas lui tenir rigueur du gala. On lui prêtait un goût prononcé pour l’esclandre qui était justifié, et elle avait toujours assumé apprécier lorsque la situation tournait à son avantage lorsqu’il s’agissait d’être vue. Pour autant, la comédienne ne tirait aucune satisfaction des humiliations publiques, pas plus qu’elle ne ressentait un quelconque plaisir à attirer l’attention de manière aussi basse. « Pas seulement le contenu du verre. Notre amitié, aussi. » Hayden l’avait corrigé presque machinalement, décidant de ne pas entrer dans les détails malgré tout. Peut-être avait-elle voulu signifier que si Jamie avait certainement dû essuyer un sermon de la part de Joanne le soir-même, il n’était pas le seul pour qui le gala s’était achevé sur une note amère.
Le moment de vérité arriva bien trop vite. Hayden ne chercha pas à dissimuler la fébrilité qui la tiraillait déjà, bien qu’elle se sente comme mise à nue à l’idée d’apparaître vulnérable aux yeux de qui que ce soit. Mais face à Jamie, la jeune femme ne parvenait décemment pas à se résoudre à porter son masque de cire plus longtemps, surtout lorsque lui-même paraissait rassembler tout le courage du monde pour exprimer ses remords à voix haute. Son cœur joua du tambour dans sa poitrine, et la reconnaissance qu’elle éprouva à l’entente de ces paroles tant désirées se teinta d’une légère mélancolie, comme si elles marquaient la fin d’une course achevée à bout de souffle. « Je dois avouer que j’étais très en colère, quand j’ai appris ce que tu avais fait. C’était inqualifiable et, sur le coup, j’ai sans doute pensé la même chose que tous ceux qui t’ont tourné le dos par la suite. » La comédienne s’exprimait avec une franchise la plus totale, ne souhaitant aucunement endosser le beau rôle lorsqu’il était certain que sa première réaction avait elle aussi été de blâmer Jamie pour son comportement inacceptable. « Et puis, je me suis demandé pourquoi. Pourquoi tu avais eu besoin d’avoir recours à ce type de chantage, alors que tout était supposé te sourire. C’est ce que j’ai voulu te faire comprendre, la première fois. Malheureusement, tu l’as perçu comme des reproches. » Hayden marqua un constat plutôt qu’une critique. Leurs retrouvailles avaient été si maladroites qu’il ne lui avait pas semblé possible d’échapper aux malentendus. « J’ai fini par culpabiliser en me disant que si je n’étais jamais partie, alors peut-être que les choses auraient tournées différemment. C’est plutôt prétentieux de ma part, n’est-ce pas ? » Hayden laissa échapper un petit rire sans joie. Il lui semblait désormais tellement présomptueux, d’avoir imaginé que Jamie avait besoin d’elle pour s’éviter des erreurs.
Apprendre que l’ancien rédacteur en chef avait vécu son retour avec une appréhension tenace lui arracha un soupir. La comédienne ne pouvait s’empêcher de penser à quel point toute cette histoire respirait le gâchis, largement encouragé par leur incapacité à communiquer correctement. Les choses auraient-elles été plus simples si elle avait réussi, à l’époque, à lui faire comprendre qu’elle non plus, n’en avait pas mené large ? « Je suis définitivement une très bonne comédienne, si j’ai pu te laisser croire que j’ai totalement maîtrisé mon retour vers toi. » L’ombre d’un sourire amusé passa sur ses lèvres durant un bref instant. « Je pense que… » Hayden marqua une pause, se ressaisissant in extremis. Si elle voulait être certaine que leur discussion mène quelque part, il lui fallait désormais apporter des certitudes, et non des hésitations qui gommaient les trois années durant lesquelles la comédienne avait eu l’occasion de cogiter sur le sujet bien malgré elle. « Je sais que ça m’arrangeait, au fond, que cette histoire ne possède pas réellement de point final. C’était moins difficile, de me dire qu’il restait peut-être quelque chose à sauver, même si j’essayais de me persuader que, puisque j’avais pris la décision de partir, il n’était plus question de sauvegarder quoique ce soit de mon côté. » La comédienne avait donné le change pendant si longtemps. Elle avait tenté de se convaincre qu’elle maîtrisait parfaitement la situation, que son choix de s’effacer au profit de Joanne était mûrement réfléchi et qu’il valait mieux ne rien être du tout plutôt que de continuer à se complaire dans un entre-deux non désiré. Sans doute était-il temps de s’avouer qu’Hayden avait surtout redouté d’être laissée pour compte. « Paradoxalement, j’avais peur de tirer un trait définitif sur tout ça. Je sais que notre mode de fonctionnement n’a pas toujours été très sain mais… » Sa voix s’était brisée quelque peu et le tremblement de ses mains avait repris, mais Hayden ne détacha pas son regard de celui de Jamie pour autant. Si c’était la dernière fois qu’elle avait l’occasion de sonder leurs esprits, si c’était leur seule et unique chance de faire preuve d’honnêteté en oubliant le monde autour, la comédienne ne se sentait pas légitime d’en gaspiller une seule seconde. « Si l’on clôt ce chapitre, qu’est-ce que l’on devient, au juste ? » La question était purement rhétorique, et pourtant. Hayden aurait donné beaucoup, pour que l’un d’entre eux possède une réponse à cette cruelle interrogation, même incomplète. C’était devenu bien trop difficile, d’avancer les yeux bandés.
Dernière édition par Hayden Siede le Sam 7 Nov 2020 - 1:54, édité 1 fois |
| | | | (#)Dim 18 Oct 2020 - 0:26 | |
| | | ► MOONDUST
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Il l’avait entendu de la bouche de bon nombre de personnes au sein de son entourage ; la colère, la déception, l’incompréhension que ses agissements avaient suscité chez eux et qui les poussèrent à prendre leurs distances, voire à couper les ponts. Toute cette année durant, il n’avait pas été le seul à digérer la situation, et il espérait que cette isolation qui lui avait permis de penser, de réfléchir, avait également donné du temps à ses proches, ses amis, ses anciens collègues, de respirer et de se faire leur propre opinion. Pas ce qu’il leur avait été dicté par les médias, pas les gros titres accrocheurs et les qualificatifs choquants. Mais de lui accorder le bénéfice du doute, d’oser demander pourquoi, de vouloir comprendre peut-être, ou se désolidariser complètement. Après ces nombreux mois de silence et, songeait-il, de repenti, Jamie tentait désormais concrètement de réparer certains pots cassés, de faire ce qui lui semblait juste afin de repartir du bon pied. Il était prêt à s’ouvrir à ce sujet, prêt à parler, plus maintenant que lorsque Hayden lui avait rendu visite à son retour et que le choc de sa présence avait tout chamboulé. Cependant, l’affolement médiatique autour de ses nombreuses erreurs n’était pas non plus l’objet de sa visite. Ce n’était pas à propos de lui, c’était à propos d’eux. “J’ai souvent pensé de la même manière. Il y a eu beaucoup de “et si ?” dernièrement.” confessa-t-il timidement. C’était la plus grosse, la plus importante de toutes les hypothèses qui avait été capable de le tenir éveillé la nuit de nombreuses fois ; et si elle n’était pas partie ? Tout serait différent, mais serait-ce mieux ? Seraient-ils heureux ? Non seulement lui, elle, mais aussi Joanne, Hassan, Daniel, et Louise qui n’aurait peut-être jamais existé. Tant de choses, tant de personnes, tant d’événements avaient découlé du départ d’Hayden qui lui même n’était que l’aboutissement des actions de Jamie. Chaque étape ressemblait à goutte d’eau dans l’océan, et pourtant, vague par vague, c’était ainsi que leurs vies s’étaient dessinées. Et les “et si” continuaient de le torturer. Qu’en serait-il désormais, si Hayden n’était pas revenue ? Pourquoi était-elle là, et pourquoi cela importait tant ? Pourquoi était-il face à elle, au final, et où cela mènerait tout cet écosystème autour d’eux, si fragile, si précaire, si tourmenté ? Ils avaient besoin de clore ce chapitre, de ce point final. Mais est-ce qu’un point n’est pas également le début d’une autre phrase, d’une nouvelle histoire ? “Je ne sais pas.” souffla-t-il. Anciens amants, amis, bons ou mauvais souvenirs, piètres décisions, regrets, inconnus ; qu’en était-il d’eux une fois que le passé était rendu au passé et que leurs regards pouvaient se tourner vers la suite ? Le fait était que Hayden ne connaissait toujours pas la fin de cette histoire, que cela ne lui avait jamais été raconté, et le livre demeurait encore grand ouvert. “Il y a quelque chose que je n’ai jamais eu l’occasion de te dire. Ou, non, plutôt… que je n’ai pas eu le courage de dire, à l’époque. Et puis tu es partie, et l’occasion était passée…” Il ne le lui reprochait pas, malgré toute la rancoeur qu’il avait ressenti à l’époque, le sentiment d’abandon, la dévalorisation. Il avait compris que la comédienne avait fait ce qu’il y avait de mieux pour elle, pour se préserver, et peut-être pour épargner plus de peine à tout le monde. Il ne pouvait la blâmer de s’être sauvée de pareil climat. C’était contre lui-même, en réalité, qu’il fut en colère à ce moment-là. C’était contre ses actes manqués, son manque de courage, son indécision, le deuil de l’opportunité. “Je t’aimais sincèrement. C’était toi que je voulais, que mon coeur voulait.” avoua-t-il finalement, trois ans trop tard. Et Hayden fut la seule, tout ce temps, à ne pas le savoir. “Je l’avais dit à Joanne, elle le savait.” Il se revoyait lui tourner le dos alors qu’ils venaient d’accueillir leur fils, réalisant qu’ils n’étaient ensemble que par devoir envers lui mais que les sentiments étaient éteints depuis longtemps. “Je ne sais pas pourquoi je me suis figé quand j’aurais pu te dire que j’avais fait mon choix, et que c’était toi.” Pourquoi les mots n’avaient jamais traversé sa bouche ? Pourquoi il avait tant attendu, jusqu’à ce que ce soit elle qui ne l’attende plus ? Il n’y avait aucune réponse à cela, rien d’autre que la peur, l’anticipation des regrets, que ce soit avec elle ou avec Joanne. Choisir était renoncer, et alors qu’il pensait avoir fait son choix, lâcher prise s’était avéré trop dur. “Après que tu sois partie et que ma chance était passée, Joanne s’était rapprochée de son ex-mari et je vous avais bêtement perdu toutes les deux.” Et ce n’était franchement que justice. Ce fut à ce moment-là que Mina intervint. Jeune Mina, belle Mina. Elle et ses flatteries qui se tenaient à la fois si près et hors de portée, elle qui jouait avec lui. Elle avait été une manière pour lui de flatter son égo, rien de plus. Une manière pour lui de se sentir un peu moins seul et rejeté le temps d’une seule nuit. Juste une nuit dont il payait le prix des années plus tard parce qu’il s’était persuadé qu’il n’aurait pas son intérêt s’il ne forçait pas sa chance, et parce qu’il avait décrété qu’il voulait et qu’il aurait ce petit bout de diamant brut. Tout cela parce qu’il n’avait pas été capable de dire son choix avant qu’il ne soit trop tard. Tout cela par peur. “J’ai conscience que c’est lâche et égoïste de te dire tout ça maintenant.” C’était également injuste vis-à-vis de Joanne pour qui ses sentiments ne furent pas illusoires pour autant, de même que leur mariage et leurs souffrances actuelles. Le divorce était sur la table, et lui, il était là. “Je sais bien pour quel genre de monstre je passe encore. Mais je ne pouvais plus me taire et le garder pour moi, et risquer que tu t’en ailles à nouveau sans avoir pu te le dire et… clôturer l’histoire.” Et maintenant que la boucle était bouclée, la question se posait à nouveau ; que devenaient-ils, au juste ?
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| | | | (#)Sam 7 Nov 2020 - 19:13 | |
| Hayden n’avait pas pris la parole pour obtenir des réponses. Elle ne s’était pas exprimée dans l’attente d’un constat, peu importe lequel puisse-t-il être, et s’était même résignée à l’idée qu’il lui faudrait sans doute tourner la page en acceptant de ne jamais savoir, de ne jamais comprendre, de ne jamais définitivement prendre conscience de ce qu’elle avait eu, de ce qu’elle avait perdu, de ce qu’elle aurait pu obtenir. Si elle n’avait pas eu peur, si elle n’avait pas pris la fuite, si, et si, et si. C’était sans doute un peu égoïste, d’exposer aussi tardivement son ressenti, de laisser libre court aux regrets enfouis depuis tant d’années en sachant pertinemment que tout avait changé, que les cartes avaient été redistribuées, qu’ils n’étaient plus vraiment Hayden et Jamie mais plutôt Hayden et son départ, Jamie et sa famille, à la fois des fantômes du passé et des bribes insaisissables du présent qui s’étaient coupés d’un futur sans vraiment le vouloir. La comédienne ne voulait pas dégager le sentiment qu’elle souhaitait imposer quoique ce soit à l’ancien rédacteur en chef maintenant qu’il était visiblement trop tard pour remédier à leurs erreurs et à leurs occasions manquées. Pour autant, s’exprimer enfin à cœur ouvert lui donnait la sensation sans doute faussée de repartir sur de bonnes bases, comme s’il restait un semblant d’amitié à sauver ici-même, comme si son propre cœur ne lui criait pas jusqu’à l'épuisement que plus rien ne serait jamais comme avant. Jamie aurait pu lui reprocher de se servir de ses confessions tardives pour nettoyer sa conscience et s’octroyer le droit d’avancer sans que la culpabilité ne la frappe un jour ou l’autre, et Hayden n’aurait rien trouvé à y redire. Mais une nouvelle fois, son interlocuteur fit preuve d’une compréhension aussi totale qu’inattendue, et la comédienne sentit le poids sur sa poitrine s’alléger quelque peu, en entendant qu’elle n’était pas la seule à avoir subi un tourbillon de questionnements qui avait pris place dans son esprit. Cela ne signifiait en rien qu’il existait un recours à la situation dans laquelle ils se trouvaient, mais c’était tout de même rassurant, en un sens, de réaliser qu’Hayden était accompagnée sur cette pente glissante. Que tout ce qu’elle avait imaginé, ressenti et éprouvé depuis son retour à Brisbane n’était pas simplement le fruit de son imagination. C’était sans doute bancal, et nullement consolant ; mais c’était réel, et c’était tout ce qui comptait, à ce stade des choses.
Rien pourtant n’aurait pu la préparer à ce qui allait suivre. Elle était la reine de l’anticipation, elle qui avait fait du contrôle absolu son ADN, elle qui ne supportait pas de céder la main sur la situation la plus insignifiante qui soit. Tout avait si bien commencé, pourtant. Jamie approuvait ses dires, ignorait comme elle le chemin que leur relation prendrait maintenant que les secrets étaient dévoilés, laissant Hayden songer qu’ils finiraient sans doute par se saluer d’un signe de tête poli les rares fois où ils se croiseraient au détour d’une cérémonie qui les réunirait tous les deux. N’était-ce pas là la décision la plus sage à prendre, après tout ? Le passé avait été suffisamment remué ces dernières semaines, et la comédienne doutait que son cœur soit encore capable de supporter d’autres montagnes russes pour les dix prochaines années. Mais c’était sans compter sur Jamie et sa sincérité désarmante, Jamie et son Jiminy Cricket intérieur qui lui avait sans doute sommé de faire la lumière sur les dernières zones d’ombres que leur relation pouvait encore comporter. Hayden se sentit vaciller sous le poids des mots qui lui étaient adressés, sous la force de leur signification, sous l’intensité du message qu’ils renfermaient. Elle n’eut le temps de se féliciter d’être déjà assisse que pendant quelques secondes seulement, avant que la vérité qu’elle s’était toujours refusée à envisager ne vienne la percuter de plein fouet, comme une vague tardive qu’elle n’était pas parvenue à esquiver. La comédienne avait manqué de patience, et son désir d’être celle qui coupe les ponts avant que Jamie ne décide de l’évincer de sa vie n’avait eu que pour conséquence de se déclencher comme une prophétie auto-réalisatrice particulièrement ironique. Toute l’injustice de cette situation l’envahit sans détour, figeant sa parole, rendant chacun des battements de son cœur plus douloureux que le précédent. Jamie l’avait aimé sincèrement, elle l’avait aimé sincèrement, mais rien de tout cela n’avait été suffisant, et c’était terrible, de constater que la déviance de leurs chemins respectifs tenait à si peu de choses. Mais Hayden ne possédait malheureusement pas de machine à remonter le temps, et il lui fallait conjuguer avec sa gorge serrée et la profonde mélancolie que lui inspirait une telle révélation cruellement tardive. « Je comprends mieux certaines choses. » La méfiance disproportionnée de Joanne à son égard, les regards inquisiteurs, l’entièreté du désastre qu’avait représenté le gala, pour ne citer que ça. Pendant tout ce temps, tout le monde savait, sauf elle, et c’était comme si l’on lui avait retiré son droit de réponse, son droit d’agir en connaissance de cause. Et bien qu’il fût désormais trop tard pour y remédier, Hayden ne parvenait pas à apaiser la sensation de gâchis qui l’avait saisi en prenant conscience que tout son bonheur avait été à portée de main, et qu’elle ne pouvait désormais plus rien y faire. « J’aurais tant donné, pour t’entendre prononcer ces mots trois ans en arrière. Tout aurait été si différent, alors. » Aurait-elle rejoint Londres ? Aurait-elle développé sa carrière à l’international ? Aurait-elle tout sacrifié comme elle avait pu le faire à l’époque ? Mais à quoi bon évoquer ces questionnements sans réponses, ces interrogations sans certitudes. C’était trop tard et, si au fond, Hayden l’avait toujours su, c’était pire encore de réaliser que tout ce gâchis aurait pu être évité, si seulement ils s’étaient parlés.
Jamais Hayden n’avait connu un tel abasourdissement. Elle ne parvenait pas tout à fait à briser le silence qui suivait la confession de Jamie, et cela n’avait rien à voir avec de la colère ou des reproches difficiles à formuler. Non, c’était bien plus insidieux : la comédienne se sentait soudainement très triste, poursuivie par le fantôme d’une interrogation qu’elle n’osait pas exprimer à voix haute, mais qui la suivait depuis qu’elle avait pris conscience que la réputation de Jamie n’était sans doute pas la seule chose qu’elle avait souhaité sauver en revenant à Brisbane. Et peu importe si elle s’était menti à elle-même durant tout ce temps : le constat demeurait tout aussi amer et implacable. « C’est moi, l’égoïste de cette histoire. Pas toi, Jamie. » Hayden laissa échapper un léger soupir, verrouillant son regard sur celui du jeune homme. Puisque la formule « trop tard » résonnait toujours dans son esprit, ce n’était désormais plus nécessaire de chercher à fuir. « Parce que la seule chose qui me blesse encore, c’est de t’entendre évoquer tes sentiments pour moi au passé. Je ne suis pas certaine d’être capable d’en faire de même. » Elle était là, la réelle injustice. L’ironie du sort, la certitude mordante qu’Hayden continuait de payer chaque jour pour une situation dans laquelle elle s’était complu pendant tant d’années, la tête haute, assurant à qui voulait l’entendre que toute cette histoire était derrière elle, et que rien ne s’y rapportant ne pourrait jamais plus l’atteindre. Jamie avait une vie qu’il s’était forgé sans elle et qu’elle lui souhaitait sincèrement de parvenir un jour à récupérer entièrement, même si différemment. Qui était-elle, pour s’octroyer le droit d’espérer qu’il puisse souhaiter renoncer à tout ça pour elle ? Trop tard, Hayden. Trop tard. |
| | | | (#)Jeu 12 Nov 2020 - 22:19 | |
| | | ► MOONDUST
Lookin' at you, like a star From a place, the world forgot And there's nothing, that I can do Except bury my love for you
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Joanne avait eu raison. Raison de croire que le coeur de Jamie avait penché vers Hayden la première fois et qu’il n’avait jamais tout à fait oublié, raison de craindre son retour et de se méfier des omissions de son mari à ce sujet, raison d’essayer d’interroger celui-ci sur ses sentiments face à cette revenante. Il n’avait jamais répondu, de peur de devoir mentir, ou pire, d’en être incapable. Sa sincérité était finalement l’une des rares choses qui lui restaient, un des rares arguments afin de le qualifier “d’homme bien”, et il ne pouvait plus effectuer le moindre travers. Il n’en avait pas envie. Il ne voulait plus vivre à demi-mot, écrasé par la honte et les regrets. Tout ce qu’il avait sur le coeur, il l’avait livré. Il avait confié son profond mal être à Joanne face à leur relation. Il lui avait semblé avoir nul autre choix que d’avouer toute la vérité à Hayden également. Et il ne savait pas ce qu’il en ressortirait, l'inattendu ne cessait de frapper à sa porte. Il accueillait le pire comme le meilleur, pliait un peu plus, acceptait le sort qui était le sien. Joanne voulait divorcer. Peut-être que Hayden le mettrait à la porte pour ses confessions si tardives. Jamie retournerait à la case départ, perdant à nouveau les deux femmes qui avaient le plus marqué sa vie. Tel était le scénario auquel il s’était préparé lorsqu’il avait frappé chez la comédienne ce jour-là. Telle était l’éventualité qui lui paraissait la plus juste après ses multiples erreurs au fil des années. Il attendait que le couperet tombe sur sa nuque, que la brune mette un terme à tout lien entre eux, certain qu’elle lui en voudrait d’avoir ruiné leurs chances trois ans auparavant, de ne pas l’avoir rattrapé et de confesser ses regrets après deux ans de mariage et deux enfants avec une autre comme s’il avait le droit de débouler un beau jour pour rouvrir des plaies. Elle avait juste à le dire, qu’elle ne voulait plus jamais le voir. Ils repartiraient chacun de leur côté sans plus de regrets, sans interrogations suspendues. Ils s’oublieraient, peut-être. Ils n’y repenseraient plus, ou alors, comme une vague erreur passée. Oui, il avouait trois ans trop tard et ils avaient sûrement raté le coche. Rien ne pouvait leur rendre ce temps perdu ni toutes les possibilités gâchées.
Jamie avait baissé le regard au fond de son thé, les mains autour de sa tasse. Il laissa le silence retomber sans exiger de réaction, de réponse ; il s’effaçait un instant, laissant la comédienne à ses pensées. Elle était revenue à Brisbane en amie pour lui, et s’il s’était excusé de n’avoir pas su apprécier le sacrifice de sa vie londonienne à sa juste valeur, paradoxalement, il avait l’impression de cracher une nouvelle fois sur la noblesse de ses intentions en déchargeant sa conscience au dépit des efforts de la comédienne pour mettre tout ceci derrière elle. Il était prêt à être détesté, jugé, maudit. Loin de s’imaginer que Hayden puisse se laisser aller à la confidence à son tour, et lui avouer que ses sentiments n’avaient pas fané malgré tout. Jamie releva la tête, oublia son souffle un instant. Il ne comprenait pas comment ni pourquoi. Il réalisait difficilement qu’elle lui confiait, au fond, les réelles raisons de son retour. Et si une partie de l’anglais ressentait à la fois soulagement et joie d’entendre sortir de sa bouche des mots aussi inespérés, l’autre était désormais torturée par cette volonté qu’il lui restait de sauver son mariage avec Joanne. A nouveau, son coeur était tiré d’un côté et de l’autre. Mais cette fois, il savait ce qu’il devait faire ; il n’était pas question de faire souffrir qui que ce soit à nouveau.
Sa main chauffée par la porcelaine se posa sur le bras de la comédienne. Ce contact l’électrisait comme à chaque fois. “Non, Hayden. C’était du passé jusqu’à ce que je te revois.” fit-il, toujours armé uniquement d’une profonde honnêteté, sans filtre, sans faux-semblants. Son coeur tambourinait, exalté et terrifié à la fois par cet aveu qu'il n'aurait jamais pensé avoir à faire. “C’est pour cette raison que je devais te maintenir à l’écart. Je ne voulais pas prendre le risque de tous nous replonger trois ans en arrière. Pas après l’affaire avec Mina, et les enfants…” Joanne avait assez souffert. Il les avait tous fait assez souffrir. S’il n’avait pas repoussé Hayden ce jour-là, ses inquiétudes envers lui, son amitié, il risquait de succomber une nouvelle fois à ce regard, à ce sourire. Il s’était senti flancher et il avait pris peur. Il avait immédiatement saisi toute la dangerosité de la présence de la comédienne sur le sol australien. Il n’avait pas eu d’autre choix que de mettre un second tour de clé sur ses sentiments, songeant alors que ceux d’Hayden relevaient de l’histoire ancienne. “Ca n’a rien empêché malgré tout, il reprit, joignant ses mains à nouveau autour de son thé fumant. Joanne et moi allons divorcer.” Cela lui paraissait encore irréel. La décision n’était pas imprimée dans son esprit. Pourtant le rendez-vous chez l’avocat était bel et bien noté dans son agenda. Il dormait dans la chambre d’amis depuis, et, honnêtement, il avait perdu autant le sommeil que l’appétit. “Ce n’est pas de ta faute, rassure-toi. Ca n’a rien à voir avec toi. Nous avons essayé de tenir bon et ça n’a tout simplement pas marché.” L’échec était cuisant, mais était-il vraiment surprenant ? Jamie n’avait cessé de mettre leur relation à l’épreuve, souvent bien malgré lui, et Joanne avait cessé d’essayer de les sauver. Daniel et Louise étaient le trait d’union entre eux, mais cela n’était pas suffisant pour faire d’eux une famille, un foyer. Ce mariage était devenu le boulet à leur pied et Hayden n’y était pour rien. Qu’elle soit revenue ou non, ils n’auraient sûrement pas survécu à Mina et au tribunal du regard du grand public. Etait-ce un hasard pour autant, que cette séparation intervienne maintenant plutôt que quelques mois avant ? Jamie ne savait que croire. Cependant il songeait que le destin lui donnait peut-être une seconde opportunité de faire les choses bien avec Hayden. “C’est sûrement présomptueux de ma part mais… Si tu es toujours intéressée par un quasi-quarantenaire avec deux enfants et deux divorces à son actif lorsque les choses seront actées et que l’émotion sera retombée… Peut-être qu’on pourra se donner une nouvelle chance.” suggéra-t-il avec un sourire hésitant. Elle l’aimait encore. Il ne l’avait pas oublié. Ils avaient manqué le coche la première fois. Se pouvait-il qu’ils soient prêts désormais ?
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| | | | (#)Lun 4 Jan 2021 - 23:59 | |
| Le discours de Jamie faisait sens, et Hayden regrettait de ne pas avoir compris toutes ces choses par elle-même un peu plus tôt. Aveuglée par sa spontanéité, la comédienne n’avait pas suffisamment pris le temps de prévoir les conséquences de son retour, et elle en payait désormais le prix fort. Tout acte avait ses conséquences, et son coup de tête trois ans plus tôt n’échappait pas à la règle de l’effet papillon. Elle l’avait appris bien trop tard et à ses dépens, songeant que son manque de clairvoyance était devenu aussi ironique que problématique, pour quelqu’un qui avait toujours pu compter sur son instinct et sa perception des choses. L’annonce du divorce des Keynes en apporta une confirmation supplémentaire, s’il en fallait-une. Et avec elle, une pléiade de questions que Jamie s’empressa de balayer d’un revers de main, excepté pour la comparaison attendue qui avait pris forme dans son esprit. Auraient-ils tenu la distance, si elle s’était retrouvée à la place de Joanne durant toutes ces années ? Possédait-elle réellement le bon rôle, comme cette dernière devait certainement le penser ? Au fond, rien de tout cela n’avait vraiment d’importance. Hayden était fatiguée de courir après des réponses qui ne viendraient jamais, de supposer sans jamais prendre la peine de profiter du moment présent et de ce que les possibilités avérées pouvaient lui apporter. « Je suis désolée de l’apprendre. » Face à n’importe qui d’autre, Hayden se serait sans nul doute sentie obligée de préciser qu’elle était sincère. Pour beaucoup, elle savait à quel point il était aisé de s’attendre à ce qu’elle se réjouisse d’une telle situation plutôt qu’elle ne plaigne le couple, tant l’image de la briseuse de mariage lui avait collé à la peau auprès de certaines personnes. Rien de tout cela n’était plus faux, cependant, et elle espérait, au fond d’elle, que Jamie le comprendrait. Jamais la comédienne ne s’était félicitée de la misère d’autrui, pas plus qu’elle n’avait attendu l’effondrement d’un bonheur conjugal pour tenter de construire sa propre félicité ailleurs, et par un autre moyen. Hayden s’était éloignée pour laisser une chance à leur histoire, pour se protéger plus encore, par peur certainement bien au-delà de ce qu’elle se sentait capable d’avouer à voix haute. Sa vision des choses n’avait pas changé, depuis, et si elle songea vaguement qu’il s’agissait d’une décision aussi sage pour l’un que pour l’autre, il n’en résultait pas moins qu’elle percevait la tristesse de Jamie et qu’elle partageait la peine qu’un tel aveu d’échec pouvait bien provoquer chez lui. Avant de devenir son plus remarquable regret, l’ancien rédacteur en chef avait été son ami, et la loyauté d’Hayden qui la poussait à célébrer les victoires de ses proches autant qu’elle pleurait leurs défaites n’était plus à prouver. « Merci d’avoir pris la peine de préciser que je ne suis pas responsable. » La comédienne lui adressa un sourire bref mais sincère, comme pour lui prouver que l’effort était réellement apprécié. Son sentiment de culpabilité naissant était bien trop faible pour lui torturer l’esprit, mais ce n’était pas pour autant que l’idée ne lui avait pas traversé l’esprit. Le hasard était beaucoup trop flagrant, la concordance des faits suffisamment bien tombée pour que, quelque part au fond d’elle, Hayden ne soit contrainte de s’interroger de nouveau sur les conséquences profondes de son retour à Brisbane.
Des instants à couper le souffle, des moments où le temps semblait s’être arrêté pour laisser place à un défilement de minutes en slow-motion, Hayden en avait vécu plus que de raison. Elle se souvenait de ses premiers pas sur scène, de sa découverte des musicals, de son premier Noël devant les illuminations londoniennes, et même de son jour d’entrée à l’université. Ce jour-là cependant, l’émotion était tout autre, si contenue et délicate qu’il aurait été possible de la manquer si l’on fermait les yeux un peu trop longtemps. Jamie venait de prononcer des mots que la comédienne n’aurait jamais cru possible d’entendre un jour, si bien qu'il ne lui semblait pas s'être imaginé la scène au préalable. Il n’était pas question d’avoir espéré que l’ancien rédacteur en chef puisse avoir conservé son visage dans un coin de sa tête, ni même d’avoir songé un instant que son retour à Brisbane ait pu faire basculer les choses à ce point. Hayden n’avait rien prémédité de cette après-midi-là, de la visite de Jamie à la chaleur diffuse du thé dans sa main, pas plus que de l’entièreté de ces confidences tardives qui accéléraient dangereusement sa fréquence cardiaque. Tout au plus, la jeune femme avait vaguement ambitionné qu’un jour peut-être, ils seraient en mesure de redevenir amis, capables de partager de nouveau les points communs qui les avaient rapprochés, pour parfois mieux s’opposer sur les différences qui les avaient séparés. Ce qu’elle venait d’entendre s’était chargé de bousculer ses certitudes et, pour la première fois depuis longtemps, Hayden comprenait que laisser la vie la surprendre plutôt que de s’échiner à vouloir la courber dans la position qu’elle jugeait nécessaire pour avancer n’était pas si désagréable, finalement. « Je crois que tu n’es pas le seul à avoir repoussé les limites de ce que l’on peut considérer comme présomptueux, ces derniers temps. » Elle évoquait ses propres fautes avec une ironie qui continuait de lui coller à la peau, mais elle savait qu’elle ne parviendrait pas à faire illusion bien longtemps, si elle l’avait souhaité. La proposition de Jamie l’avait bouleversé, et elle n’était pas sûre de vouloir le lui cacher. « Si la nouvelle chance dont tu parles s’accompagne de quelques scones fait-maison, alors c’est certainement envisageable. » Le sourire n’avait pas faibli, et Hayden ne parvenait pas à détourner le regard. La main qu’elle posa maladroitement sur celle de Jamie demeura en place plus longtemps que nécessaire, comme une promesse pour un avenir plus lumineux. Il leur faudrait du temps, avant que les choses ne redeviennent comme avant. Avant qu’ils ne passent de nouveau des moments ensemble, avant que la comédienne ne retrouve la fierté dissimulée dans le regard de Jamie lorsqu’il la voyait, avant qu’elle n’ait de nouveau le courage de franchir la distance physique pleine de pudeur qui les séparait toujours. Mais ce même temps avait redémarré sa course, et la comédienne était prête à ne plus tenter de l’arrêter. Et s’il n’était pas trop tard ? |
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