Le courrier de Nino trainait sur sa table depuis quelques jours déjà, à vrai dire, il n’avait pas osé l’ouvrir et avait peur de la réponse qu’il allait y trouver. Le logo de l’immigration en haut à gauche de l’enveloppe lui avait donné le tournis. Lui qui misait tout sur cette demande réalisée plusieurs mois auparavant, copie de son livret de famille joint, ses pièces d’identité, son VISA, toutes ses fiches de paies depuis qu’il était arrivées, en passant par son expérience chez Lauren-Rose, à l’épicerie de Livia, jusqu’à l’association mais aussi tous les petits contrats en extras qu’il avait eu, à vendre des sandwichs sur le bord d’une plage, à faire l’homme publicité sur un trottoir, à servir des bières dans un restaurant alors qu’il n’était vraiment pas fait pour ça. Si le club aurait pu lui faire de faux contrats, il serait allé leur demander. – Bon, ils le pouvaient, mais il préférait surtout ne plus rien à avoir avec eux et ne pas jouer avec le feu. Enveloppe ouverte, le courrier était toujours posé sur la table et maintenant, la sentence était tombée. Nationalité refusée, l’italien devait à présent quitter le territoire sans somations, son VISA avait expiré depuis 3 mois maintenant mais il avait une preuve de dépôt de sa demande qui lui permettait de pouvoir rester sur le continent sans avoir de soucis. Maintenant, c’était fini. Il n’en avait parlé qu’à Katherine puisqu’elle était la seule personne qu’il avait croisé depuis, se décidant à voir Lucia, puisque la blonde avait décidé que Nino était puni de sa fille depuis son accident. Il était hors de question qu’elle se décide à le tenir à l’écart encore plus longtemps et maintenant, il lui demandait d’être plus clémente avec lui, puisqu’il avait cette épée au-dessus de la tête et il savait que Kath ne voulait surtout pas que Lucia soit totalement privée de son père. Perdu et sans solution, Nino savait qu’il devait juste demander un recours pour gagner du temps mais sans être capable d’aligner deux mots sur un papier, il avait demandé de l’air à son frère qui pourrait sans doute lui prêter main forte. Et Vitto plus que personne savait que Nino ne pouvait pas repartir en Italie. 34 pine street, c’est là que Nino se rendait, sans savoir où il allait exactement. Il avait pris le courrier, la notification disaient qu’au regard des éléments apportés à son dossier, l’italien ne remplissaient pas tous les critères pour pouvoir bénéficier de la nationalité, en soit, il s’en doutait, il n’était pas sur le territoire depuis suffisamment longtemps, 4 ans c’était pour eux bien trop court mais il avait espéré qu’avoir un bébé de moins de deux ans serait suffisant pour lui garantir une place en Australie. Avant dernier étage, il attendait devant la porte, s’étant introduit dans l’immeuble où la porte était déjà ouverte. Il informa son frère de sa présence par un simple sms, n’osant pas frapper à la porte, ne sachant pas où il était vraiment. Ce serait aussi l'occasion d'enfin donner une réponse à son frère sur la question qu'il lui avait posé il y a de longues semaines et pour laquelle Nino n'avait pas réellement pris le temps de réfléchir, mais cette annonce l'avait forcé à poser et penser à l'éventualité de sa mort, en Italie, en tout cas...
À plusieurs reprises au cours de la journée, Vittorio avait relu le court échange qu’il avait eu par SMS avec son frère le matin même. Sa demande de nationalité avait été rejetée, son Visa avait expiré, et d’en avoir parlé par écrit n’avait pas suffi à masquer la panique dans laquelle Nino se trouvait à l’idée d’être reconduit à la frontière. Bougonnant un peu pour le principe Donnie n’avait néanmoins pas objecté à ce que Vitto parte un peu plus tôt en début d’après-midi, et arrivé à l’association ayant accepté de l’accueillir pour son stage – il avait fini par abandonner l’idée de trouver un quelconque cabinet près à le rémunérer sur cette période – il avait profité de la première occasion pour alpaguer Cynthia, l’avocate spécialisée en droit des étrangers offrant un peu de son temps libre trois fois par semaine dans les locaux. Suspicieuse, celle-ci avait à plusieurs reprises tenté de lui tirer les vers du nez, persuadée qu’il était question de lui-même et de son propre Visa, et ce malgré les multiples négations de l’italien qui s’était dans l’immédiat refusé à donner plus de détails sur cette mystérieuse connaissance pour qui il grappillait des informations. Il serait toujours temps de faire appel à la générosité de Cynthia un peu plus tard, si cela s’avérait vraiment nécessaire.
La journée était passée sans qu’il n’ait d’autres nouvelles de Nino, et en enfourchant son vélo pour regagner Bayside en fin d’après-midi Vitto s’était demandé si son frère ferait la démarche de le rejoindre chez lui en suivant l’adresse, ou si après une journée à cogiter de son côté il ne déciderait pas, finalement, de se débrouiller autrement. Avec Nino rien n’était jamais certain, et si son frère avait bien retenu une chose des deux dernières années écoulées c’était que peu importe le vent qu’il brasserait, son frère n’accorderait à ses conseils et son aide que l’attention qu’il était disposé à y donner et pas plus. L’air de rien, il était aussi allé à la pêche vers Gaïa pour tenter de sonder la probabilité qu’elle débarque à l’appartement ; Si la jeune femme n’ignorait pas que les deux frères étaient à nouveau en contact, Vitto s’était bien gardé de mentionner à son cadet les derniers développements de sa relation avec la journaliste, et comptait bien continuer de s’en passer aussi longtemps qu’il lui serait possible de le faire. Parce qu’il savait très bien quelle serait la réaction de son frère, et s’il le savait avec autant de certitude c’était parce que dans la situation inverse il aurait réagi de la même manière. Vittorio ne pardonnait pas, Vittorio ne tendait pas l’autre joue, ce n’était pas comme ça qu’on l’avait élevé, ce n’était pas comme ça qu’il avait grandi … Faire une place à Gaïa dans son lit, mais surtout dans sa vie, une place bien plus importante que ce à quoi ils se cantonnaient lorsqu’ils vivaient à Rome qui plus est, c’était contraire à tous ses principes et cela ne lui ressemblait pas. Et ça, l’italien ne l’assumait simplement pas.
À peine avait-il posé un pied dans l’appartement que Brusco lui avait sauté dessus en jappant avec enthousiasme. Abandonnant son sac à dos dans l’entrée il avait attrapé la laisse et laissé l’animal passer devant pour s’engouffrer dans la cage d’escalier. Toujours pas de nouvelles de Nino. Il commençait à se résigner, et après avoir tourné dans le quartier une vingtaine de minutes pour laisser au chien le temps de se dégourdir les pattes il avait repris le chemin de son immeuble. Il était presque arrivé au coin de la rue lorsque son téléphone avait vibré dans la poche de son short, et absorbé par ses pensées l’italien avait légèrement sursauté – Nino était là, contre toute attente, et pianotant une réponse pour lui demander de l’attendre il l’avait rejoint dans le hall de l’immeuble quelques minutes plus tard. Empreint de sa curiosité habituelle Brusco s’était empressé d’aller renifler les chaussures de ce nouvel arrivant, et faisant signe à son frère de le suivre Vitto les avait mené jusqu’à l’avant-dernier étage de l’immeuble. « Laisse-moi deux minutes, le temps de lui filer à becter, et je suis à toi. » Du coin de l’œil la paire d’escarpins de Gaïa l’avait légèrement fait tiquer, mais au fond elle aurait bien pu appartenir à n’importe quelle fille de passage, et sans s’en préoccuper davantage il s’était enfoncé jusqu’à la cuisine pour changer la gamelle d’eau et remplir celle de croquettes, leur garantissant à l’un et à l’autre environ quatre minutes et trente-six secondes avant que Brusco ne réclame à nouveau les caresses et l’attention dont il avait manqué toute la journée. « T’attrapes ? » Entendant à sa démarche que Nino était dans son sillage, il avait sorti deux bières du frigo et en avait lancé une dans la direction de son frère, puis en avait fait de même avec le décapsuleur. « Viens. » La table basse était encore jonchée de livres juridiques et de fiches de révisions, et la repoussant du bout du pied l’italien s’était installé dans le canapé et avait laissé à Nino le soin d’en faire de même. « T’en as parlé à quelqu’un d’autre ? » Inutile de continuer à tourner autour du pot.
Lorsque Nino attendait, il ignorait qu’il se trouvait en bas de chez Vitto. Son ainé qui n’avait jamais donné son adresse au jeune italien. Il pensait qu’il se rendait chez son fameux contact qui pourrait lui venir en aide. Mais Vittorio semblait suffisamment à l’aise dans l’immeuble pour être invité ce soir. Et les suspicions du Marchetti fut confirmées lorsqu’il s’introduit dans le logement sans peine et qu’un chien l’attendait derrière la porte. Vittorio avait toujours voulu avoir un chien et leur mère lui avait toujours dit que la seule condition pour avoir un chien à la baraque était que Vitto se prive de manger pour lui donner sa part. Ce qui semblait bien calmer le Giovinazzo, même s’il se serait essayé à la tâche du jeun au moins une journée pour voir s’il en était capable. La réponse était sans appel. Pas de chez à Scampia. « Laisse-moi deux minutes, le temps de lui filer à becter, et je suis à toi. » l’italien restait loin du clébard, animaux qu’il ne portait pas forcément dans son cœur, lui qui s’était déjà fait mordre le mollet par un chien lorsqu’il était adolescent. Il ne dira jamais qu’il l’avait bien cherché à essayer de l’emmerder en allant chercher un os dans sa gamelle. Il avait bien compris que la bouffe et les chiens, c’était aussi important que la bouffe et Vittorio. Mais même s’il était coupable, il avait décidé à partir de ce jour que lui et les chiens seraient pas les meilleurs amis du monde. L’italien s’introduit timidement dans le logement, comme s’il n’osait toucher à rien. Il observait dans quel cadre vivait son frère et passa l’entrée suffisamment rapidement pour ne pas voir que son ainé semblait avoir de la visite régulièrement dans son appartement. Le bruit des croquettes qui craquaient entre les crocs du chien donnait presque des frissons au Marchetti mais il fut rapidement distrait en voyant une canette lui arriver droit dessus. Les réflex étaient toujours bons quand il s’agissait de ne pas laisser tomber une bouteille en verre au sol. Le décapsuleur quand à lui avait fini sa tracteur sur le fauteuil qui se trouvait juste derrière Nino. Pas l’temps de le rattraper au vol, il se pencha alors pour récupérer l’ustensile qui lui servirait à se désaltérer. Ouvrant sa canette il alla s’assoir près de la table que lui avait indiqué Vitto. « T’en as parlé à quelqu’un d’autre ? » « Kath. » qu’il répondit tac au tac, sentant venir la remontrance de son frère, il se sentie obligé de se justifier. « Depuis que j’ai eu mon accident, elle me calculait pas. J’voulais juste voir Lucia. » et peut être que Vitto n’y voyait aucun rapport, effectivement. « J’lui ai dis pour qu’elle flippe et qu’elle m’laisse voir ma fille. » en insistant sur le fait que peut être ce serait bien la dernière fois que Lucia verrait son père, qu’il savait pas ce qui allait advenir de lui. « J’lui ai demandé de pas en parler à ses frères. » et il espérait surtout qu’elle tienne vraiment sa langue. « J’crois qu’elle a compris que j’risquais de perdre mon taf si elle leur disait. » Et que Katherine avait pas envie de voir sa fille séparée de son père. Même si Nino était pas le père idéal, il faisait de son mieux pour s’en sortir. « Tu vas m’dire que j’suis con, mais franchement, si y a pas d’solution, mon dernier recours, c’est d’me trouver une nana et d’me marier avec elle. » et même s’il savait pas trop si il pouvait dire qu’il était avec Adèle ou non, pour de bon ou non, en tout cas, ca en avait presque l’air. Mais c’était pas avec elle qu’il avait eu l’idée de partager des alliances, parce qu’elle était surement trop jeune pour ça et qu’il avait pas envie de la mettre dans ce genre de magouille. Mais il voyait déjà l’air désapprobateur de Vitto se dessiner sur son visage, tant qu’il osait même pas le regarder en face pour vérifier si c’était juste ou non.
Vittorio profitait de son duplex avec dans un coin de la tête la crainte de ne pas pouvoir le garder encore très longtemps. Si inviter son ancienne colocataire à débarrasser le plancher lui avait permis de retrouver sa tranquillité et l’avait définitivement vacciné de l’idée de partager à nouveau son toit avec un.e inconnu.e, partager un loyer et en payer l’intégralité de sa seule poche impliquait une organisation bien plus pointilleuse et lui faisait parfois admettre à demi-mot qu’il aurait tout à gagner à troquer cet appartement sur deux étages de Bayside pour un plus modeste de Toowong ou Redcliffe, mais sa fierté autant que le train de vie auquel il avait fini par s’habituer lors de ses dernières années romaines l’empêchait de sauter le pas. Il y aurait bien eu une autre solution, mais par pudeur autant que par crainte du refus ni lui ni celle qui partageait ses draps plus souvent qu’il n’y paraissait n’osaient la mettre sur le tapis, et certains soirs chacun rentrait encore sagement chez lui pour se donner l’illusion de liberté quand bien même l’inverse n’avait rien d’une prison. Abandonner ses habitudes de loup solitaire ou se résoudre à un revirement professionnel qui lui rapporterait plus que ce boulot de moniteur de boxe qui aurait dû n’être que temporaire, c’était un peu le choix de la peste ou du choléra qui l’animait actuellement, entre autres tracasseries sans importances à la lueur de celles que traversaient actuellement son cadet. Lui offrant une bière comme on se partageait le calumet autour d’un feu de camp indien, il avait rejoint Nino sur le canapé du salon et ne s’était pas attardé plus longtemps sur des banalités : autant en venir aux faits. « Kath. » C’était la seule autre personne à qui Nino avait pour l’instant parlé de la situation, et ne cachant probablement pas assez bien son air dubitatif Vitto l’avait forcé à se justifier « Depuis que j’ai eu mon accident, elle me calculait pas. J’voulais juste voir Lucia. J’lui ai dit pour qu’elle flippe et qu’elle m’laisse voir ma fille. » Contre toute attente, et malgré le mépris qu’il parvenait toujours à ressentir pour la mère de Lucia alors même qu’il ne l’avait jamais rencontrée, l’aîné avait acquiescé avec l’air de se satisfaire de l’explication. « J’lui ai demandé de pas en parler à ses frères. J’crois qu’elle a compris que j’risquais de perdre mon taf si elle leur disait. » Le mépris dont il était pourvu se déplaçant subitement vers le reste du clan Beauregard, il avait appuyé « Tu penses ? » avec tout de même le vague espoir que son frère se monte un peu la tête tout seul. Après tout l’association aurait pu le mettre à la porte bien avant, alors peut-être l’éventualité n’avait-elle jamais été mise sur le tapis. « Tu vas m’dire que j’suis con, mais franchement, si y a pas d’solution, mon dernier recours, c’est d’me trouver une nana et d’me marier avec elle. » Dans l’éventualité où la remarque avait eu pour but de le dérider, Vitto n’avait même pas esquissé un début de sourire et s’était contenté de prendre une gorgée de sa bière d’un air songeur. « J’suppose que la mère de la petite se porterait pas volontaire ? » Appuyant ses coudes sur ses genoux, l’italien avait laissé échapper un soupir et reporté son regard sur Nino. « J’vais pas te mentir, t’as pas trente-six solutions sous la main, et y’en a aucune d’idéale. » Mais il ne s’était probablement pas attendu à ce qu’il en soit autrement, pas vrai ? « L’existence de Lucia n’est pas un argument suffisant pour que tu puisses rester. Tu pourrais toujours faire une demande de visa pour regroupement familial, mais tu devrais rentrer en Italie en attendant, et ça peut prendre des mois voire des années pour obtenir une réponse favorable … » Marquant une pause, ses lèvres s’étaient étirées en un sourire amer « Ils aiment pas trop les étrangers ici, au cas où t’aurais pas remarqué. » Une bonne leçon diraient certains, car bien au chaud dans le confort de son pays natal Vittorio n’avait jamais trop aimé les étrangers lui non plus, avant d’en devenir un. « Ça aiderait déjà beaucoup si t’avais un boulot assuré. C’est quel type de contrat qu’ils t’ont fait signer à l’association, t’as une date de fin, ou bien c’est un permanent ? Ça se passe comment avec ta boss ? » Dire que par-dessus le marché son frère s’était foutu dans un merdier où les personnes susceptibles d’intercéder en sa faveur étaient pratiquement toutes des bonnes femmes … Vous parlez d’un bourbier.
« Tu penses ? » Nino pourrait presque l’assurer à 100 pour cent, d’autant plus que s’il n’avait jamais trop échangé avec celui qu’ils appellent tous Tom, il était tombé plusieurs fois sur Ezra et dès lors que celui-ci avait compris qui il était, leur relation s’était assombrie en une fraction de seconde. L’ainé de la blonde n’avait pas grand-chose à reprocher à Nino, si ce n’est de lui avoir offert une nièce, mais s’il pouvait s’appuyer sur un défaut administratif pour qu’il perde son taf, peut être qu’il en userait volontiers. Mais en même temps, il savait sans doute que faire perdre son travail à l’italien dans ces circonstances, c’était aussi être complice s’il devait retourner en Italie et donc, priver Lucia de son père. Nino se doutait que sur ce coup-là, Kate risquait de ne pas apprécier. « Enfin, j’sais pas. » après une petite réflexion d’une demie seconde. Enfin bref, pour Nino, l’issue était flou et mise à part divaguer sur une idée de mariage blanc, il ne voyait aucune solution. Vivre dans l’illégalité ne lui avait jamais fais froid aux yeux, mais là, il s’agissait aussi d’une question de vie ou de mort. Il ne pouvait pas jouer comme ça. Il devait régulariser sa situation administrative et au plus vite. « J’suppose que la mère de la petite se porterait pas volontaire ? » L’italien n’y avait pas pensé une seule seconde et s’il était entrain de boire sa bière à ce moment, il aurait pu tout renvoyer dans le visage de son frère. « C’est même pas envisageable. » plutôt mourir que de se marier, même un mariage blanc, avec la Beauregard. Nino avait bien pensé à Maze, mais elle était anglaise, donc pas très utile. Quant à Adèle, si Nino devait faire une demande de mariage un jour, ce ne serait pas pour une telle raison et d’ailleurs, pour le moment, il devrait déjà commencer par essayer de sortir avec une bonne fois pour toute avant d’envisager un avenir commun on ne peut plus sérieux. « J’vais pas te mentir, t’as pas trente-six solutions sous la main, et y’en a aucune d’idéale. » Le Marchetti sentait que son frère avait surement rien d’autres à proposer que celle-ci et qu’il était sans doute sérieux dans sa proposition. De quoi faire pâlir le cadet en une fraction de seconde. « L’existence de Lucia n’est pas un argument suffisant pour que tu puisses rester. Tu pourrais toujours faire une demande de visa pour regroupement familial, mais tu devrais rentrer en Italie en attendant, et ça peut prendre des mois voire des années pour obtenir une réponse favorable … » et tous les deux savaient que s’il retournait en Italie, les chances qu’il revienne un jour étaient proches de zéro. Même pas envisageable. « Ils aiment pas trop les étrangers ici, au cas où t’aurais pas remarqué. » Effectivement, aussitôt son VISA expiré, aussitôt on l’avait invité à s’en aller, sans autre solution notable. « Ça aiderait déjà beaucoup si t’avais un boulot assuré. C’est quel type de contrat qu’ils t’ont fait signer à l’association, t’as une date de fin, ou bien c’est un permanent ? Ça se passe comment avec ta boss ? » L’italien travaillait à l’association depuis un an et demi, si ce n’était deux ans maintenant, il avait l’impression d’avoir un boulot assuré, comme disait son frère. « J’suis à mon troisième contrat… » et il avait aucune idée de quand il s’arrêtait et s’il allait en avoir un autre après celui là. « Faut que j’le retrouve… » ouais, parce que niveau paperasse, c’était pas l’roi du tri l’italien. « Mais j’crois que j’suis tranquille pour un moment. Genre, le premier c’était 6 mois, après 10 et là, c’était p’t’être un an. » il avait besoin de compter sur ses doigts pour faire l’addition de tout ça et s’y repris même à deux reprises une fois le chiffre 10 passé… « Ca fait plus de deux ans ça non ? » il haussait les épaules, ca devait être ça, autant dire qu’il avait encore quelques mois de répit. « Ca va, c’est une conne, mais ça va. » la bosse, il parle de la bosse. « C’est une femme, en fait. » ca l’emmerdait toujours, de bosser pour une nana. « En fait, elle m’fait pas chier. J’sais pas si j’aurai un autre contrat après celui là, mais j’ai pas l’impression qu’ils cherchent à m’foutre dehors pour le moment. Si non, ils ont plus personne pour déboucher leurs chiottes qui s’bourrent tous les quatre matin. » Nino regardait dans l’vide, se demandant où il avait bien pu mettre son dernier contrat. Il était pas foutu d’se rappeler là, il chercherait une fois qu’il serait rentré. « Tu crois que j’dois demander à Kath de s’marier avec moi ? » qu’il demande perplexe en revenant sur le sujet.
Reprendre tout à zéro, c’est dur. Et c’est encore plus complexe à gérer lorsqu’on avait une belle renommée et qu’on se retrouve à nouveau au plus bas de l’échelle, comme si les treize dernières années n’avaient jamais existé. À devoir faire ses preuves à nouveau, quand on sait que l’on est excellent dans son boulot. À se retrouver sous le chaperon d’une autre journaliste, qui semble tout aussi frustrée de devoir jouer ce rôle que moi d’être dans cette situation ridicule. Mais comme dirait Marc, le rédacteur en chef, « Ne fais pas la tête, tu es toute nouvelle au journal et tu as déjà ta propre rubrique! ». Une rubrique à gérer en autonomie, certes, mais minuscule, et quelle rubrique… Je soupire. Moi l’ancienne journaliste d’investigation, séduisante globe-trotteuse, manipulatrice avide de scoops qui n’a pas froid aux yeux, je me retrouve à gérer un courrier du coeur. Un courrier du coeur! Une rubrique qui prend si peu de place dans le journal qu’elle en serait presque insignifiante. Un courrier du coeur! Moi qui ai tellement de mal à gérer mes propres sentiments je dois à présent gérer ceux des autres? Mais quelle blague… Affalée devant mon pc depuis plusieurs heures déjà, je tente tant bien que mal de donner une réponse sensée aux lettres qui ont été envoyées au journal. Quelque peu désemparée face à tout ça, je me sens un peu comme une boulangère à qui on demanderait de faire de la neurochirurgie. Une situation grotesque et dangereuse. J’ai de grosses difficultés à me concentrer là dessus aujourd’hui, mais je parviens néanmoins à répondre quelque chose qui me paraît correct à chacune des lettres. Satisfaite, mais plus d’en avoir fini avec ça que parce que j’ai réussi à formuler pour aider ces personnes, j’abandonne mon pc sur la table basse pour alerte faire un café. En ce moment, toute situation un tant soit peu stressante nécessite une dose de caféine. Ce qui quand on y pense est totalement absurde, un café ayant plus tendance à exciter qu’à détendre la personne qui le boit… Mais peut importe, je savoure ma boisson et ma petite pause, tout en observant du coin de l’oeil le squatteur de canapé. Une boule de poils argentée, trouvée pendant un jogging sur la plage. Enfermée pendant une durée indéterminée dans un sac poubelle et en piteux état, le vétérinaire avait été peu optimiste quand à l’avenir du jeune chat. Mais aujourd’hui, quelques semaines plus tard après cette trouvaille, après de multiples soins et malgré un oeil en moins, le petit démon poilu semble sorti d’affaire, et squatte désormais le canapé comme si c’était le sien. Je n’avais jamais songé à prendre un animal de compagnie, et ce n’était clairement pas dans mes projets de partager mon appartement avec un chat. Mais force était de constater que la boule de poils avait quelque chose d’apaisant, de plus apaisant même qu’une tasse de café. Et puisqu’il était hors de question de le remettre dans la rue, ou d’essayer de le refourguer à des inconnus, la seule solution avait été de lui faire une petite place dans le loft. Ce qui au final, n’avait pas été si terrible. C’est un bruit, provenant de mon téléphone, qui me sort de ma contemplation du chat endormi. Je ne l’ai pas consulté depuis un moment, et deux notifications sont affichées sur l’écran. Une pour un message d’Ellie, l’autre pour un message de Vittorio. Sans hésitation, j’ouvre le premier, celui de l’Italien. Il me demande si je vais pouvoir passer aujourd’hui, ou si mon emploi du temps ne le permet pas. Un message simple, assez banal quand on sait que ce genre de message, l’un ou l’autre le reçoit presque tous les jours. Je regarde son heure d’arrivée; il date d’il y a presque deux heures maintenant. Je prends le temps de réfléchir un instant, mes yeux passant de mon pc qui attend sagement sur la table basse à la porte d’entrée. Je pense aussi à la paire d’escarpins que j’ai oublié chez Vittorio… J’ai suffisamment avancé aujourd’hui pour pouvoir me permettre une sortie, ce qu’il me reste à faire peut attendre ce soir… Et même demain d’ailleurs. Le choix est fait. Je me prépare rapidement, récupère mon sac, veille à ce que le squatteur de canapé poilu ne manque pas d’eau ou de nourriture quelle que soit l’heure à laquelle je rentre. Et puis je m’en vais. Verrouillant la porte derrière moi, je pense à répondre au message d’Ellie dans l’ascenseur, avant de prendre le chemin de l’arrêt de bus le plus proche. Un peu plus tard, après plusieurs changement de lignes et plusieurs volées de marches, je me retrouve devant la porte du duplex de Vittorio. La porte n’est pas verrouillée, alors je rentre, sans sonner, ni frapper. Brusco débarque dans l’entrée, pour réclamer une caresse. J’abandonne mes escarpins à côté de la paire que j’avais laissé la fois précédente. Toujours aucun signe de vie de l’Italien, ce qui est étrange. « Vitto? » Je me déplace dans l’appartement, pour rejoindre le salon, le chien sur les talons. Et en voyant les deux personnes, affalées sur le canapé, bière à la main, je m’arrête net. Trop joyeuse à l’idée de quitter mon appartement et d’oublier un moment le courrier du coeur pour rejoindre l’Italien, j’ai complètement oublié de répondre à son message pour lui dire que j’étais sur la route. Il y a deux personnes dans le salon de Vittorio, et je connais les deux. Et face aux deux regards qui me fixent, surpris, je me fige.
Il y avait eu bien des occasions où Vittorio n’aurait échangé sa place avec celle bien moins envieuse de son frère pour rien au monde, et des plus dangereuses que celle-ci, mais ironiquement c’était bien l’éventualité de devoir se faire passer la corde au cou qui lui semblait la plus déplaisante de toutes. Et par une française, qui plus est, ou presque, peu importe … La situation de Nino n’était pas enviable, et peut-être justement parce qu’il n’y avait pas trente-six solutions de la résoudre rapidement et efficacement. « C’est même pas envisageable. » avait de toute façon balayé le concerné sans ménagement, Vitto prenant sur lui de ne pas demander si ce n’était pas envisageable parce que la Beauregard refuserait tout net, ou simplement parce que Nino refusait de s’abaisser à cela. Au lieu de ça il avait brossé un portrait de la situation et surtout du peu d’autres options dont disposait son frère pour empêcher d’être traîné manu-militari dans un avion en partance pour l'Europe. Si le biais du mariage n’était pas envisageable alors il ne lui restait que celui du travail. « J’suis à mon troisième contrat … Faut que j’le retrouve … » Et le plus tôt serait assurément le mieux. « Mais j’crois que j’suis tranquille pour un moment. Genre, le premier c’était 6 mois, après 10 et là, c’était p’t’être un an. Ça fait plus de deux ans ça non ? » L’aîné avait hoché la tête, partagé entre le fait que ce n’était pas folichon et le fait que cela pourrait clairement être pire. « Si t’arrivais à les persuader de s’engager par écrit à te renouveler encore un an de plus, ça serait pas de trop. » Ça ne le mènerait probablement qu’à repousser le problème d’un an, mais au moins ils auraient un peu plus de temps pour se retourner et s’organiser. Mais encore fallait-il qu’il n’ait pas fini par taper sur le système de sa supérieure. « Ça va, c’est une conne, mais ça va. » avait fait valoir Nino à ce sujet. « C’est une femme, en fait. » Bien que la situation ne prêtait pas à rire Vitto en avait tout de même laissé échapper un, secouant la tête avec pourtant l’air d’adhérer à cent pour cent au parallèle que venait d’établir son frère. « En fait, elle m’fait pas chier. J’sais pas si j’aurai un autre contrat après celui-là, mais j’ai pas l’impression qu’ils cherchent à m’foutre dehors pour le moment. Si non, ils ont plus personne pour déboucher leurs chiottes qui s’bourrent tous les quatre matin. » Finalement le ton était redevenu sérieux, et leur air à tous les deux s’était de nouveau fait soucieux. Gardant le silence que seuls les grattements de Brusco derrière son oreille étaient venus troubler, le cadet avait fini par reprendre « Tu crois que j’dois demander à Kath de s’marier avec moi ? » avec dans la voix un brin d’incertitude. Haussant les épaules, Vitto avait pris le temps d’une gorgée de bière avant de répondre « Si y’a une chance qu’elle dise oui, ça se tente. » Et si elle faisait passer leur mouflet avant elle, elle ne voudrait pas qu’elle soit subitement privée de son père … Alors il y avait peut-être une carte à jouer, de ce point de vue-là. « Sinon tu peux essayer de gratter auprès de la petite brune de l’hôpital. » Interceptant l’oreillade de Nino, il avait vaguement roulé des yeux « Fais pas celui qui voit rien, elle était carrément en pâmoison quand t’étais dans les vapes. Et elle t’a pas balancé auprès de votre boulot quand j’ai menti pour justifier ton absence, c’est clair qu’elle en pince pour toi. » Et nunuche comme elle semblait être, un mariage cela devait être l’accomplissement de toute une vie à ses yeux. « Même si bon … la mère de la gosse, ça serait quand même plus facile à faire gober administrativement parlant. » Pragmatisme, toujours. Mais après tout ce n’était pas comme si ce mariage était vraiment supposé avoir une quelconque valeur autre qu’administrative, non ? Et comme un problème n’arrivait jamais seul, c’était cet instant précis qu’avait choisi la porte d’entrée pour claquer et Brusco pour s’élancer sans la moindre hésitation dans le vestibule, ni lui ni son maître n’ayant de doute quant à l’identité de celui – ou plutôt de celle – qui venait de passer la porte. « Cazzo. » - « Vitto ? » Sans doute aurait-il dû être plus cash dans son SMS, et indiquer clairement que Nino était à l’appartement et qu’elle ne devait pas s’y pointer … Mais il n’avait pas voulu la froisser – voire la vexer – et voilà où cela menait de vouloir ménager les susceptibilités de la gente féminine : à plus de problèmes. L’impact étant néanmoins inévitable désormais, il s’était fendu d’un « Je suis là. » machinal pour indiquer sa présence, et lorsque Gaïa avait déboulé au salon Brusco sur les talons, et s’était immobilisée telle une biche dans les phares d’une voiture en découvrant Nino sur l’autre bord de canapé, l’italien y était allé d’un soupir résigné. « J'suppose que j’ai pas besoin de faire les présentations. » Et surtout il espérait ne pas en voir un sauter à la gorge de l’autre – proprement et métaphoriquement … Ils avaient suffisamment d’autres problèmes à gérer.
L’italien avait balayé l’idée de se marier avec Katherine en une seconde, pas la peine de revenir sur le sujet, il fallait trouver une autre piste pour pouvoir rester en toute légalité sur ce territoire. La piste professionnelle semblait être la plus adaptée. « Si t’arrivais à les persuader de s’engager par écrit à te renouveler encore un an de plus, ça serait pas de trop. » un an en sachant qu’il était déjà en faute, à défaut de document administratif l’autorisant à rester là. Il ferrait de son mieux pour embrouiller sa belle directrice qui semblait avoir une âme charitable, sur son cheval blanc tel un bon samaritain. Nino s’en demandait toujours comme une cruche comme elle pouvait avoir un tel poste dans une association comme celle des Beauregard. Mais il devait avouer qu’au moins, elle ne serait surement pas son plus gros problème. Toutefois, le cadet ne pouvait s’empêcher de se demander si finalement, cette proposition de mariage ne pourrait pas avoir de sens… « Si y’a une chance qu’elle dise oui, ça se tente. » il hochait la tête, comme si les paroles de son frère étaient divines et qu’il ne pouvait avoir que raison. C’est lui qui connait la justice, c’est lui qui a les diplômes et l’experience, c’est donc forcément lui qui a les bons conseils. Et si il y a une personne que Nino avait toujours su écouter, c’était bien son frère, qu’il veuille l’admettre ou non. Vittorio, celui qu’il a longtemps considérer comme son modèle, bien qu’il n’avait aucune envie de vraiment suivre la trace. Ou en tout cas, si l’envie était là, les preuves se faisaient rares. « Sinon tu peux essayer de gratter auprès de la petite brune de l’hôpital. » la brune de l’hopital… le Marchetti se demandait de qui il parlait. « Fais pas celui qui voit rien, elle était carrément en pâmoison quand t’étais dans les vapes. Et elle t’a pas balancé auprès de votre boulot quand j’ai menti pour justifier ton absence, c’est clair qu’elle en pince pour toi. » si Vittorio pouvait éviter d’utiliser des mots que son frère ne comprenait pas, il lui en serait reconnaissant. « Adèle. » s’il n’avait rien capté à sa première phrase, le fait qu’il aborde l’association était tout de suite plus clair. « Quoi, Adèle ? » il semblait se braquer dès lors qu’il compris où il voulait en venir. « Oublie. » oublie encore plus fort que la proposition pour Katherine, oublie encore plus que n’importe quelle idée saugrenue qui te viendrait à l’esprit Vitto. Oublie, tout simplement. « Même si bon … la mère de la gosse, ça serait quand même plus facile à faire gober administrativement parlant. » très bien, revenir à Katherine était sans doute la meilleure chose à faire. « Ça s’réfléchi. » même si en réalité, il se doutait qu’à aucun moment, elle n’accepterait une telle idée. Elle était bien trop intelligente pour se laisser embarquer dans une telle affaire. « La seule façon d’y arriver, c’est l’chantage affectif. » il n’allait pas prononcer le prénom de sa fille, mais il savait très bien que cet argument pourrait faire pencher la balance en sa faveur. Mais il n’était pas prêt à se pointer chez elle pour lui faire une telle demande. Qu’est ce que Adèle en penserait aussi ? Il devait vraiment prendre tous ces éléments en compte. « J’vais y r… » l’italien fu interrompu par son frère qui semblait être surpris de quelques chose. « Cazzo. » - « Vitto ? » si Nino n’avait pas reconnu à qui appartenait cette voix, il avait bien capté qu’il s’agissait d’une voix féminine, ce qui le fit sourire. Bien amusé de voir que ça mettait son frère dans l’embarras. Ce n’est que lorsqu’il se tourna vers l’entrée, curieux qu’il était qu’il compris bien rapidement pourquoi cet embarras. « J'suppose que j’ai pas besoin de faire les présentations. » effectivement, pas besoin et pas besoin non plus d’expliquer ce que Gaïa foutait dans le salon de Vitto. Mais dans l’doute, pour s’enlever tout soupçon malveillant, le cadet ne pu s’empêcher d’être une fois de plus, un peu trop curieux. « Qu’est-ce qu’elle fou là ? » pourquoi est-ce qu’elle rentre chez son frère comme dans un moulin ? Qu’est-ce qu’ils trafiquaient tous les deux ? Si l’italien semblait s’être assagit et presque pris de remords concernant Salvatori, pour autant, imaginer une alliance quelconque entre elle et Vitto ne lui était pas envisageable. « C’est lequel de vous qui s’fait prendre pour un bon pigeon ? » Oui, ca ne pouvait pas être naturel, il y en avait bien un qui y tirait l’épingle de son jeu ? Qui avait l’ascendant sur l’autre et surtout, pourquoi ?
Un long silence. Je regarde Nino, qui semble osciller entre la surprise et l’incrédulité. Bouche bée, il n’a toujours pas prononcé un mot, ni fait un seul mouvement, ce que je trouve vraiment étonnant. Mais l’étonnement de mon apparition semble si important que ça lui a coupé le sifflet. Pour le moment en tout cas. J’échange un regard avec Vitto, qui détourne rapidement les yeux, l’air résigné et vaguement mal à l’aise. C’est ce dernier qui finit par rompre le silence qui commençait à devenir pesant. « J'suppose que j’ai pas besoin de faire les présentations. » Non, pas besoin c’est certain. Je commence à me sentir un peu coupable d’avoir débarqué comme ça. Il n’était pas prévu que je passe le voir aujourd’hui, il m’avait demandé si je comptais le faire et je lui avais répondu que ce serait compliqué. Mais finalement, j’avais décidé de le rejoindre chez lui, et cette décision nous avait plongé tous les deux dans une situation délicate par rapport à Nino. Puisque vu son expression, ce dernier n’a pas été informé de l’évolution de nos liens, à Vitto et à moi. Pas le moins du monde. « Qu’est-ce qu’elle fout là ? » Ça confirme ce que je savais déjà. La question s’adresse à son frère, bien évidemment, mais je ne peux m’empêcher de grogner un « elle, a un prénom » qui siffle entre mes dents. Mais utiliser mon prénom aurait été sûrement trop personnel pour lui, alors que sa formulation démontre bien ce qu’il ressent à mon égard; il me méprise. Et ce n’est pas nouveau. Je lui aurais bien expliqué ce que je fais là, puisqu’il l’a si gentiment demandé, mais je ne veux pas couper l’herbe sous le pied à Vitto, qui voudra peut être donner à Nino une explication en particulier, ou au moins en premier. Je me demande s’il va lui servir la vérité, ou s’il va lui baragouiner un mensonge pour le moment, avec pour objectif de lui en reparler plus tard, quand ils seront seuls tous les deux. Entre frères. Je ne sais pas comment Vitto va gérer la situation. Lui qui est en train de retrouver un semblant de lien fraternel avec Nino… Je viens peut être de gâcher tout ça. « C’est lequel de vous qui s’fait prendre pour un bon pigeon ? » Mes relations avec Nino se sont quelque peu apaisées depuis quelques temps, depuis qu’il m’a aidée avec un souci de voiture… Ce jour là il passait par là, par hasard, avec sa fille, et alors qu’il aurait pu m’ignorer et passer son chemin, il était venu me filer un coup de main, en mettant sa rancoeur de côté. Et même si je reste amère par rapport à mon agression passée, je ne risque plus de lui sauter à la gorge comme j’ai déjà pu le faire, pas après ce geste… Presque sympathique. « C’est pas ce que tu crois. » Mais peut importe ce qu’il croit Nino, au fond. Après tout, il peut y avoir du vrai comme du faux dans son esprit. Il croit que l’un de nous deux prend l’autre pour un idiot? N’importe quoi. Il pense que l’un de ceux qui lui font face à une emprise sur l’autre? Ça par contre, ce n’est pas si faux… Que Vitto et moi nous voyions sans arrière-pensée, sans que l’un d’entre nous soit en train de monter un plan pour descendre l’autre doit lui sembler impossible. Et pourtant. Je reporte mon attention sur Vittorio. « Tu veux que je vous laisse tous les deux? Je peux… » Je m’interromps en croisant le regard de Nino, qui me ferait presque hésiter. « … Repasser plus tard. » Ou pas, si Vitto m’en veut suffisamment pour ne pas avoir envie de me rappeler tout de suite. Je suis tiraillée, embarrassée. D’un côté, la situation me met tellement mal à l’aise que le plus simple serait de tourner les talons, pour le moment. Et en même temps je meurs d’envie de savoir ce qu’il va répondre à son frère, nous concernant.
Aux yeux de Vittorio la brune ou la blonde, la sorcière ou la gamine, cela revenait de toute façon à choisir entre la peste et le choléra … C’était se faire passer la corde au cou – et pas pour les plus nobles raisons qui plus est. Mais Nino cherchait des solutions et Vittorio se contentait d’en proposer, pragmatique et réaliste … juste bien content d’être dans ses propres baskets plutôt que dans celles de son frère, mais ça, les mauvaises langues vous diraient que cela n’avait rien de nouveau. « Adèle. » C’en était en effet une autre, d’option. De solution, bien que pas sa favorite s’il fallait quantifier les chances de réussite. « Quoi, Adèle ? Oublie. » avait de toute façon aussitôt asséné le cadet, sur la défensive – peut-être même un peu trop. Assez en tout cas pour que l’ainé arque un sourcil dubitatif … La petite – adèle, donc – avait certes eu l’air un peu collante mais pas bien méchante à première vue. Un moindre mal en comparaison de la mère de Lucia si l’on demandait à Vittorio ce qu’il en pensait, mais puisque e n’était pas le cas et qu’il n’avait pour ainsi dire jamais rencontré la Beauregard, l’italien avait décidé de faire confiance au jugement de Nino ; à quel point fallait-il qu’il soit désespéré pour en arriver là ? « Ça s’réfléchit. » Bien, invoquer une autre possibilité aurait au moins eu le mérite de remettre les choses en perspective et de rendre son frère un peu moins frileux face à ce qui restait, à priori, la solution la plus rapide et la plus simple à son problème de visa. « La seule façon d’y arriver, c’est l’chantage affectif. » Répondant par une grimace faussement concernée, le plus vieux avait avalé une longue gorgée de bière et haussé les épaules en l’avalant. « C’est un peu tard pour avoir des scrupules, de toute façon. » Et en vérité il se souciait bien peu de la façon dont son frère comptait arriver à ses fins, du moment qu’il y parvenait. S’il fallait pour cela prendre la mère de sa gosse par les sentiments, la faire culpabiliser, l’accuser d’être une mauvaise mère ou même la menacer … Soit, Nino prenait ses billes. Cette greluche ne pouvait de toute façon être si difficile à se mettre dans la poche, uh ?
Son cadet promettait en tout cas d’y réfléchir. Ou plutôt il s’apprêtait à le faire lorsque la porte d’entrée avait claqué, alertant Brusco qui s’était précipité dans l’entrée à la seconde où il avait reconnu la voix féminine qui s’était manifestée, là où son maitre affichait lui une mine déconfite et un léger malaise. Mais il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même au fond, s’il avait appelé Gaïa pour lui dire les choses clairement plutôt que d’une fois encore cumuler les mensonges par omission … bref. « Qu’est-ce qu’elle fout là ? » aboyait l’un, « Elle, a un prénom. » rétorquait l’autre, et lorsque le premier avait renchéri en questionnant « C’est lequel de vous qui s’fait prendre pour un bon pigeon ? » d’un ton salé et obtenu un « C’est pas ce que tu crois. » à peine plus aimable en retour, Vittorio avait levé une main agacée et coupé court d’un « Basta ! » sévère. Ce n’était ni le moment ni le lieu, et il n’entendait pas servir d’arbitre dans la joute verbale que ses deux compatriotes semblaient vouloir démarrer. Brusco, oreilles basses et habitué à ce que l’invective lui sois destinée, s’était immobilisé au milieu de la pièce. « Tu veux que je vous laisse tous les deux ? Je peux … Repasser plus tard. » Le regard glissant de Gaïa à Nino, l’italien avait la vague impression que peu importe sa réponse l’un des deux y trouverait à redire … alors foutu pour foutu : « Non, pas besoin. T’as les clefs, tu fais comme chez toi. » Elle était pratiquement chez elle, même, elle entrait sans frapper et il en faisait de même lorsqu’il s’invitait à Spring Hill. « Ça répond à ta question ? » L’attention revenant à son frère, Vitto n’avait pas attendu la réponse à ce qui n’était qu’une pure question rhétorique et s’était remis debout, récupérant sa bière sur la table basse et revenant à nouveau à Gaïa « On monte sur la terrasse. Tu nous commandes un truc à manger pour quand je redescends ? » Nino n’avait probablement pas envie que ses galères de visa soient étalées aux quatre vents … et à ce sujet Vitto préférait ne faire confiance à personne. Même pas à Gaïa, compte tenu de ses antécédents avec son frère, et faisant signe à ce dernier de suivre il avait ouvert la marche pour ressortir de l’appartement et prendre l’autre cage d’escalier jusqu’au toit-terrasse. De retour à l’air libre il avait prévenu « Si tu prévoies de me faire une leçon de morale, réfléchis encore. »
« C’est pas ce que tu crois. » et comment elle peut bien savoir ce qu’il croit ? Rien que sa réponse lui semble louche, pourquoi, que devait-il croire ? L’italien était tout de suite suspicieux quant aux attentions de la brune auprès de son frère. Et Vitto, que faisait-il avec elle ? Avait-il oublié ce qu’elle lui avait fait ? Avait-il oublié qu’elle l’avait trainé publiquement dans la boue ? La réponse du Marchetti à cet article n’était que justifié à ses yeux et il aurait pensé que ce serait bien suffisant pour ne plus jamais approcher son frère. « T’en es où dans ton enquête ? Tu cherches à savoir quoi ? » et puis, ça tombait quand même mal qu’elle débarque pile le jour où ils sont en train d’envisager comment Nino pouvait rester en Australie en contournant allégrement les règles et les lois. Comment le cadet pouvait-il avoir confiance à présent ? « Basta ! » le grand frère remis rapidement l’église au milieu du village en faisant taire tout le monde. Nino ravala sa fierté en comprenant que Vitto ne s’amusait pas de cette situation. Mais il avait aussi intérêt d’avoir une bonne explication à tout ça. L’italienne ne semblait pas être fière non plus. Oui, elle ferait mieux de s’en aller, de partir et ne jamais revenir. Elle proposa de libérer la place mais Vitto ne semblait pas être de cet avis. Le sanguin qu’était le Marchetti commençait à bouillir de ne rien comprendre. « Non, pas besoin. T’as les clefs, tu fais comme chez toi. » Les clés, comme chez elle, c’est un regard noir qu’il lança à Gaïa, alors qu’il avait la sensation d’être apaisé la concernant ces derniers temps. Mais il fallait croire que cette fois, c’était la goutte d’eau et surtout, l’italien ne supportait pas de ne rien comprendre. « Ça répond à ta question ? » pas vraiment. Il avait l’air d’un gamin qui boudait, avec ses sourcils froncés et sa mâchoire crispée. « Ca répond à rien du tout. » il sait toujours pas c’qu’elle fou là, pourquoi elle a les clés, pourquoi elle est comme chez elle. Solidarité entre pairs ? Ca en avait pas l’air. Depuis quand Vitto s’tapait des nanas vendues ? « On monte sur la terrasse. Tu nous commandes un truc à manger pour quand je redescends ? » l’impression d’être dégagé comme un mauvais client d’une discothèque. L’italien n’eut pas eu beaucoup le choix, il passa devant Gaïa en se demandant si c’était l’occasion de lui cracher dessus à nouveau ou s’il devait ravaler sa salive et sa fierté ? Mais vu la façon dont son frère lui collait au cul, il valait mieux ne rien tenter. Direction la terrasse sur le toit, sans broncher. Comme quoi, Vitto avait encore une belle autorité sur son frère. « Si tu prévoies de me faire une leçon de morale, réfléchis encore. » les poings serré, s’il ne s’agissait pas de Vitto, il lui en aurait surement déjà collé une. « Tu fais chier Vitto. » il était à rien de la leçon de morale si… « Qu’est ce qui te dit qu’elle est pas en train de fouiner comme elle l’a déjà fait ? C’est quoi ton putain de problème, Vitto ? » il s’enerve, il pointe même son doigt sur la poitrine de son frère, il sait qu’il va regretter dans trente secondes. « Ca te pas suffit, d’une fois ? Et si elle apprend pour mes papiers ? Pour nos plans ? Et si elle envoie des infos à Scampia ? Si elle leur dit tous nos fait et gestes et qu’ils attendent plus qu’on revienne pour nous ceuillir et nous faire disparaitre ? Qui dit que personne n’est déjà dans un avion pour venir directement ici ? » il s’emballe pas un peu le Marchetti ? Qui dit que quelqu’un en a encore après lui la bas ? Qui dit qu’il est si important qu’on se déplacerait pour le supprimer ici même ? Ce serait déjà fait depuis longtemps si c’était le cas. Mais Marchetti il vaut pas plus que n’importe quel autre merdeux de Scampia. La bas c’est un homme mort, mais tant qu’il est ailleurs, personne se fou de lui. On avait dit pas de leçon de moral, non?
Nino semble osciller entre la colère et la perplexité. Me voir débarquer chez son frère l’a ébranlé, mais s’il ne m’a pas encore sauté dessus, c’est probablement qu’il est encore sous le coup de la surprise. « T’en es où dans ton enquête ? Tu cherches à savoir quoi ? » Évidemment. Moi qui pensait que nos relations s’étaient apaisées dernièrement, c’est raté. La rancoeur est de retour, plus vive qu’elle ne l’avait été depuis des mois. Piquée au vif, je m’apprête à répliquer, mais avant que j’aie pu dire quoi que ce soit, Vitto intervient, nous réduisant au silence l’un comme l’autre. « Basta ! » C’est peut être mieux comme ça. Si Nino avait continué à ruer dans les brancards, ça aurait pu mal finir. Chacun aurait renchéri sur les remarques acides de l’autre, et qui sait comment ça se serait terminé. En attendant, la situation est tellement gênante que j’hésite sur quoi faire ensuite. Le plus simple serait sûrement de revenir plus tard, le temps d’apaiser les tensions qui viennent d’apparaître entre les deux frères, le temps que Nino décolère et fiche le camp du canapé de Vittorio. C’est ce que je propose à ce dernier. De partir, de rentrer chez moi pour le moment, et de revenir plus tard si l’occasion se présente. Il n’hésite qu’un court instant, son regard passant rapidement de moi à son frère. Puis il semble se résigner. « Non, pas besoin. T’as les clefs, tu fais comme chez toi. » À ces mots, le regard de Nino s’obscurcit d’un coup, et devient si glacial que si ça avait été une arme, ça m’aurait tuée sur place. Mais il y a peu de chances que Vitto laisse son frangin me sauter à la gorge, alors je fais quelques pas en avant, et pose le sac que j’avais encore en main sur une chaise. « Ça répond à ta question ? » Vittorio s’adresse à son délinquant de frère, lequel délinquant, sourcils froncés, me dévisage toujours avec le même mépris. Ce dernier vient d’avoir confirmation, par cette phrase, que je viens si souvent par ici que Vitto a fini par me confier un double des clés… Mais ça, le frangin ne semble pas vouloir l’admettre. « Ça répond à rien du tout. » Je laisse échapper un soupir, ce qui me vaut un nouveau regard furibond de Nino. Il ne veut pas comprendre, c’est son problème, pas le mien. Le grand frère se lève du canapé, récupère sa bouteille de bière qui trainasse sur la table basse, à côté de celle de son petit frère. La boisson en main, il s’adresse de nouveau à moi, toujours debout à côté de ma chaise. « On monte sur la terrasse. Tu nous commandes un truc à manger pour quand je redescends ? » Je hoche la tête pour conclure l’accord verbal. Je sais déjà où je vais commander le futur repas, c’est presque affolant de voir que nous y avons nos petites habitudes, d’ailleurs… Les deux frères me passent devant, Vitto précédant son frère avant de revenir sur ses pas, histoire de ne pas lui laisser l’occasion de m’en mettre une au passage. Il ne semble pas décolérer, il est plus que probable que pour lui la pilule soit difficile à avaler. Je verrais bien quand ils redescendront, mais je suis prête à parier que Vittorio va devoir s’expliquer en long en large et en travers sur ce que son frangin vient de voir, et pas sûr qu’il arrive à le convaincre de quoi que ce soit, même après un long baratin. Depuis qu’ils sont sortis tous les deux, la tension a diminué d’un coup, les idées noires de Nino ne polluant plus l’atmosphère. Brusco sur mes talons, je débarque dans la cuisine, récupère un verre de vin et de quoi le remplir. Puis je retourne dans le salon, m’installe confortablement dans le canapé après avoir attrapé mon PC portable dans mon sac. Je prends le temps d’appeler pour notre repas, essaye d’estimer mentalement le temps qu’ils vont passer sur la terrasse de l’immeuble, et raccroche en espérant ne pas m’être trompée sur l’horaire de livraison demandé. Je bois une gorgée de vin, abandonne le verre sur la table, et commence à pianoter frénétiquement sur mon ordinateur. Le chien s’allonge tranquillement le long du sofa, et soupire.
Que Nino, Gaïa et lui se retrouvent tous les trois dans la même pièce était une première, mais surtout c’était une tuile dont l’italien se serait volontiers passé – comme s’il n’avait actuellement pas déjà d’autres chats plus importants à fouetter. Tandis qu’il grimpait les escaliers jusqu’au toit-terrasse de l’immeuble, néanmoins, il tentait de rationnaliser la chose : ce qui était fait n’était plus à faire, et Nino aurait probablement fini par apprendre la vérité un jour … Du moins, si l’on s’en tenait au fait que Vittorio n’avait pas prévu de chasser la journaliste de chez lui dans un futur proche. Reste que pour tout un tas de raisons, celle de ne pas perdre la face en tête de liste, le boxeur n’entendait pas se plier sans broncher à une leçon de morale : c’était lui l’aîné, c’était lui qui faisait la morale, il en avait toujours été et il en serait toujours ainsi. Mais le cadet, lui, n’entendait pas les choses de cette oreille et s’était fendu d’un « Tu fais chier Vitto. » ignorant totalement la mise en garde qui venait de lui être faite. « Qu’est ce qui te dit qu’elle est pas en train de fouiner comme elle l’a déjà fait ? C’est quoi ton putain de problème, Vitto ? » L’air mauvais, Vitto avait suivi des yeux l’index que son frère pointait dans sa direction avec véhémence et l’avait repoussé sans ménagement tandis que Nino continuait « Ça te pas suffit, d’une fois ? Et si elle apprend pour mes papiers ? Pour nos plans ? Et si elle envoie des infos à Scampia ? Si elle leur dit tous nos faits et gestes et qu’ils attendent plus qu’on revienne pour nous cueillir et nous faire disparaitre ? Qui dit que personne n’est déjà dans un avion pour venir directement ici ? » Et si, et si, et si … Son frère geignait comme une gonzesse, et c’était probablement parce qu’il se comportait comme tel que Vitto se retenait à cet instant de lui en coller une. Au lieu de cela il avait adopté la même attitude et enfoncé son doigt contre le plexus de Nino d’un air accusateur « Et la faute à qui, si elle a fait le trajet depuis Rome, hein ? La tienne Nino ! Alors garde tes remarques à la con ! » Ils n’en seraient pas là, si Nino n’avait pas décidé de « donner une leçon » à Gaïa – c’était de sa faute, au fond. Le reste ne découlait que de cela, et cela arrangeait bien les affaires de Vitto d’avoir quelqu’un d’autre sur qui rejeter la faute. Quant à ce qui était de leur problème le plus urgent, le seul d’ailleurs pour lequel son frère avait voix au chapitre, il avait ajouté : « Elle apprendra pas pour tes papiers parce que je lui dirai rien, et toi non plus, pigé ? » Il faisait – il essayait – confiance à Gaïa, mais pas là-dessus. Pas pour ce qui concernait la sécurité de son frère, et pour le simple fait d’en douter Nino aurait mérité une autre paire de claques … D’autant plus qu’il n’avait jusqu’à présent pas eu besoin de lui pour donner des billes à la journaliste. « Et elle a pas non plus eu besoin de moi pour apprendre l’existence de ta gosse, tu vois, mais ça aussi tu t’étais bien gardé de me le dire ! » Si l’italienne n’avait pas craché le morceau à ce sujet le soir même Vitto n’aurait jamais été au courant de ce « détail », et que Nino se permette d’enchaîner les reproches quand il n’avait pas été foutu de lui toucher un seul mot à ce sujet était à ses yeux d’une hypocrisie crasse … Qui ne faisait pas confiance à qui, au juste ? « Occupe-toi de gérer la mère de Lucia, et moi je m’occupe de gérer Gaïa. Pour le reste, j’ai pas de comptes à te rendre, je suis un grand garçon. » Un grand garçon qui, par-dessus tout, refusait d’admettre que si la situation avait été inverse il aurait craché toute sa bile sur la conquête de son frangin sans le moindre scrupule. Mais l’hôpital, la charité – tout ça.
La brune était resté en bas tant dis que les frères jouaient aux coqs sur le toit. Le jeune Marchetti n’en revenait toujours pas de la nouvelle du jour. Vitto et Gaïa, en dehors de l’incohérence totale de ce couple, c’est surtout pour son petit cul que l’italien avait peur. S’il avait une confiance aveugle envers son ainé depuis toujours – avec toujours quelques rancunes au fond de lui – ce n’était absolument pas le cas pour la journaliste qui avait salie l’image de son grand frère. Et peut-être que ça arrangeait bien le cadet de se dire que toute cette merde était la faute d’une femme. Si Gaïa n’avait pas écrit ce torchon, Nino se disait que quelques part, Vitto ne serait jamais parti, ne serait peut-être pas tant en colère contre lui, qu’il aurait fini par le sortir de cette salle d’audience, comme il avait toujours fait. Le prétexte de Vince, il n’y croyait pas. Tiens, d’ailleurs, Vince, ça en est où cette histoire de le débrancher ? D’écrire le nom de Nino sur sa tombe ? Il ne s’était plus tant intéressé que ça, le Marchetti, tout ce qui comptait pour lui à présent, c’était sauver sa peau, tout faire pour ne pas retourner en Italie. Peu importe les moyens. Le mariage dont il avait été question, il y a encore peu de temps, un nouveau contrat à la clé… tout était bon à prendre. Lorsque le jeune homme eut terminé sa tirade contre son frère, c’était à Vitto de pointer son doigt sur son thorax et il y mettait bien plus de puissance que son frangin. « Et la faute à qui, si elle a fait le trajet depuis Rome, hein ? La tienne Nino ! Alors garde tes remarques à la con ! » donc elle était allée pleurer auprès de Vitto pour se plaindre des actions de Nino ? La bonne nouvelle, c’est que si Vitto n’avait pas fait la morale à ce sujet à Nino, c’est que dans un sens, il est plutôt fier de cette action, non ? C’est ce que retiendra l’italien et de toute façon, s’il avait eu une once de regret, il assumait quand même son acte. « Elle apprendra pas pour tes papiers parce que je lui dirai rien, et toi non plus, pigé ? » La confiance Nino, si Vitto le dit, c’est que c’est vrai et après tout. Par contre, ça notait bien que Vitto de son côté n’avait absolument pas confiance en elle. Quel couple. Le problème, c’est que Vitto savait très bien que si l’un des deux était capable de faire une gaffe auprès de Gaïa, les chances que ce soit Nino qui la fasse sont bien plus grandes. D’où sa nouvelle mise en garde. « Et elle a pas non plus eu besoin de moi pour apprendre l’existence de ta gosse, tu vois, mais ça aussi tu t’étais bien gardé de me le dire ! » « On s’est croisé. J’étais pas censé savoir qu’elle allait être la nouvelle tata de Lucie. » même pas en rêve d’ailleurs. « Occupe-toi de gérer la mère de Lucia, et moi je m’occupe de gérer Gaïa. Pour le reste, j’ai pas de comptes à te rendre, je suis un grand garçon. » l’italien avait ravaler sa salive et sa fierté, bien remis en place par son grand frère comme ça avait toujours été le cas. Cette autorité naturelle que Nino n’arrivait finalement jamais à défier bien longtemps. Le chef de meute ne porte qu’un seul nom et ce n’est pas celui de Marchetti. « J’te laisse gérer Gaïa, moi, j’me casse. » pas très longtemps, jusqu’à la prochaine aventure, jusqu’à ce qu’il ai de nouveau besoin de lui. Jusqu’à ce qu’il se soit à nouveau fourré dans une belle merde.
Les remarques de Nino ne l’auraient probablement pas piqué autant au vif si Vittorio n’y avait pas trouvé, malgré lui, un fond de vérité. Lui-même ne s’expliquait pas d’être parvenu à pardonner à Gaïa des agissements qu’il n’aurait jamais pardonné à qui que ce soit d’autre (hormis Nino, peut-être), et qu’il soit à peine capable de se l’admettre à lui-même signifiait forcément qu’il soit encore moins capable de le faire face à quelqu’un d’autre – il n’était pas un canard, Vitto, et ne permettrait pas à son frère ou à qui que ce soit de sous-entendre le contraire. Et parce qu’en bon boxeur il ne connaissait pas de meilleure défense que l’attaque, il ne s’était pas fait prier pour rebondir sur les torts de Nino comme s’ils étaient à eux seuls une excuse : Gaïa ne serait jamais venu le chercher si Nino n’avait pas mis son nez dans ses affaires, et elle ne serait pas non plus au courant de la paternité si même ce secret-là son frère n’avait pas été capable de le garder correctement. « On s’est croisés. » s’en était alors aussitôt défendu le concerné « J’étais pas censé savoir qu’elle allait être la nouvelle tata de Lucia. » Roulant des yeux de manière ostentatoire, l’aîné s’était entendu marmonner entre ses dents « Raconte pas de conneries. » Parce que Gaïa et lui n’en étaient pas là, pas vrai ? Gaïa et lui ce n’était pas aussi sérieux, vero ? Était-ce seulement les affaires de Nino, de toute façon ? Non, bien sûr que non, parce que Nino avait déjà assez de chats à fouetter et de greluches australiennes à courtiser dans l’espoir de se dégoter un visa – il n’avait pas de leçons à donner à qui que ce soit alors qu’il était capable de se mettre dans ce genre de situations. Mais visiblement vexé qu’on le lui fasse remarquer, le cadet avait pris la mouche : « J’te laisse gérer Gaïa, moi, j’me casse. » et tourné les talons sans même se donner la peine d’attendre une réponse, claquant la porte menant au toit derrière lui et arrachant à son frère un bref sursaut.
La mâchoire crispée par l’agacement, Vittorio s’était attardé sur le toit quelques minutes, traçant de long en large un itinéraire imaginaire sur le toit terrasse, allant et revenant sur ses pas en tentant de contenir le flot de sentiments contradictoires qui lui parvenait. Il n’y avait que Nino pour parvenir à l’arracher au sang-froid qu’il avait pourtant passé tant d’années à peaufiner lors de sa période romaine, mais il n’y avait aussi que lui pour le pousser à se faire un sang d’encre à son sujet même s’il ne le méritait (peut-être) pas. Et à cet instant son frère lui donnait tout autant envie de lui en coller une que de tout faire empêcher que l’immigration le mette manu militari dans un avion à destination d’une mort quasi-assurée. Il ne donnait pas cher de la peau de Nino s’il remettait ne serait-ce qu’un orteil en Campanie … Et Vitto vivant, personne – personne – ne toucherait à un cheveu de son frère.
Au pied de l'immeuble, d'où il avait fini par se pencher, l'ancien juriste avait regardé son cadet s'éloigner sans se retourner une seule fois, puis l’ayant vu disparaître au coin de la rue suivante il s’était résolu à redescendre à l’appartement. Dans l’escalier il avait fait aller sa mâchoire et ses zygomatiques pour tenter de se débarrasser de toute trace d’agacement, tout détail de nature à donner à Gaïa l’envie de poser des questions auxquelles il ne voulait pas répondre. La machine était lancée pourtant, maintenant qu’il savait son frère sur la sellette Vitto ne parviendrait plus à se le sortir de la tête tant qu’une solution n’aurait pas été trouvée – le mariage, ou quoi que ce soit d’autre – et lorsqu’il avait ouvert la porte et trouvé Brusco qui venait à se rencontre, l’italien n’avait pas pu s’empêcher en s’abaissant à niveau pour lui offrir une caresse et déposer un baiser sur son crâne poilu de laisser échapper un soupir soucieux. « Qu’est-ce qu’on mange ? » avait-il finalement demandé en se redressant, forçant un sourire un peu fatigué lorsque son regard avait croisé celui de Gaïa. J’ai pas envie de parler de mon frère, j’ai pas l’intention de parler de mon frère disait le sous-texte, et comme pour clore le débat avant même qu’il ne commence il s’était finalement fendu d’un « Je vais prendre une douche … tu me rejoins ? » sans que le sous-entendu n’en soit réellement un. La parenthèse Nino était momentanément refermée, jusqu’à la prochaine fois, et pour le reste de la soirée au moins Vittorio préférait se contenter d’ouvrir la parenthèse Gaïa et de s’y cacher tout entier, pour se donner l’illusion que plus rien n’existait au-dehors.