Everything's silent and your head just sweating
Raelyn Blackwell & @"Alec Strange"

Il m’a fallu plusieurs jours avant de passer à nouveau le pas de ma porte après m’être enfermée à l’intérieur de mon appartement à la suite de ma rencontre avec Lou, à la suite de cette ultime dispute entre Amos et moi. J’ai gardé les horreurs qu’il m’a jetées au visage en travers de la gorge sans arriver à m’en défaire, jusqu’à ce que je cède à la facilité : que je renoue avec mes vieux démons et réponde enfin à l’appel de la cocaïne. Tapie dans l’ombre depuis des années, elle a, comme une charogne, profité que mon univers s’effondre et que tout ce que j’ai bâti s’écroule pour me sauter à la gorge. Je me suis dégoutée à l’instant même où je me suis penchée sur un rail de poudre pour l’inhaler, à l’instant même où elle a pénétré dans mon organisme, et si les effets du stupéfiant ont d’abord balayé ces sensations la honte ne me quitte plus, à présent.

La honte, mais la colère également et Amos n’en est pas le seul récipiendaire. J’ai su que je confronterai mes soi-disants amis à l’instant même où Lou m’a fait cadeau de la vérité, et j’ai su que je commencerai par Alec quand j’ai commencé à rêver d’étrangler son ainé de mes propres mains. Si je l’imagine déjà en train de se justifier et de me dire que tout ce qu’il a fait c’est garder le secret de son frère, il n’y a pour moi pas de différents degré de trahison et je le hais de s’être appelé ami pendant des années. Je le hais de m’avoir regardé dans les yeux sans jamais envisager de me dire la vérité, je le hais d’avoir gardé le secret de son lâche de frère en prétendant vouloir mon bien et vouloir m’aider.

Il m’a fallu plusieurs jours mais aujourd’hui je suis là, à la porte de sa maison dans le quartier résidentiel qu’il habite, à quelques mètres seulement du Club mais sans avoir l’intention d’y mettre les pieds pour autant. Ces derniers jours, depuis que j’ai appris la vérité sur la mort de mon ancien compagnon, j’ai éteint mon téléphone sans me soucier que mon absence au Club risque de ne pas passer inaperçue. Je ne voulais entendre personne, et puisque aucun d’eux n’est venu me chercher jusqu’à chez moi, je me suis satisfaite de mon errance, contentée de passer mes journée dans un semi coma médicamenteux. Je me fiche de mon apparence, je me fiche que mon visage soit tiré et creusé, je me fiche de n’avoir pris le temps de me hisser sur une paire d’escarpins de marque, j’ai répondu à une pulsion, en venant frapper à la porte du brun. Je me suis réveillée un matin, la bouche pâteuse et la tête qui tourne mais surtout la certitude que c’était le jour. Que le moment était arrivé de confronter celui dont j’ai pourtant été si proche, et celui qui de part son silence et son inaction m’a planté un couteau dans le dos de la même façon que son frère. J’ai aligné un rail de poudre blanche sur la table basse de mon salon comme on se sert un café et un bol de céréales au petit déjeuner, et j’ai passé attrapé mon sac à main avant de grimper dans un taxi. A présent, je tambourine contre la porte en lui hurlant de venir m’ouvrir. Je me fiche d’alerte le voisinage, je me fiche qu’il puisse être en compagnie : je ne me suis pas annoncée pour ne pas lui laisser l’occasion de trouver une excuse. Je doute qu’il puisse deviner de quoi il s’agit, mais je veux m’assurer de croiser son regard à l’instant où il comprendra qu’après tout ces années, je sais. Il ne répond pas au premier coup contre la porte et, agitée, je tape à nouveau avant de hausser le ton. « Alec ouvre moi ! » Je sens ma fureur monter d’un cran et m’envelopper toute entière.

Everything's silent and your head just sweating
Raelyn Blackwell & @Alec Strange

Face à sa porte, je tape sans me soucier de réveiller les voisins et son entourage, sans me soucier de l’heure qu’il est, de savoir s’il est éveillé ou s’il est en bonne compagnie. Je me suis abandonnée à ma rage, je la laisse me contrôler moi qui ait pourtant toujours su contrôler mes émotions et mes réactions. Je ne cherche même plus à le faire, ma consommation de stupéfiant me donner l’énergie nécessaire à sortir de mon appartement, à traverser le centre ville, et à taper de toutes mes forces contre sa porte.

Je ne ressens plus que du dégoût. Pour lui, moi son frère et pour moi. Je ne ressens que l’envie de le lui cracher au visage, de le confronter à la vérité et de voir s’il aura encore assez de culot et de mépris pour me mentir alors que je suis face à lui, pour me cracher au visage comme il le fait depuis douze ans. Il ouvre la porte, son visage transpire l’angoisse, le soulagement de me voir, la colère et la surprise. Il fronce les sourcils et je n’attends pas d’être invitée je m’engouffre dans l’appartement en le bousculant, je n’ai pas la carrure nécessaire pour jouer des épaules mais je profite de sa surprise pour m’imposer. Je fais claquer mes talons jusqu’à son salon, j’ignore qu’il crie dans mon dos. « Putain Rae t’étais où, ça fait trois jours que j’essaye de te joindre, t’as balancé ton téléphone ? T’étais avec Amos ? » Trois jours donc. Trois jours que je fais la morte, trois jours que j’ai parlé avec Lou et qu’elle m’a offert la vérité comme un uppercut dans le menton. Elle était au courant, qui d’autre l’était ? Combien de personnes du Club m’ont regardée en face en connaissant la vérité ?

« T’as pris quoi ? » Je recule de quelques pas, je l’observe, les yeux écarquillés par la colère. « T'as pris quoi ? » Je répète, sourcils froncés, avant d’éclater d’un rire sarcastique. Je m’agite, je ne tiens pas en place et je martèle le sol de son appartement. « J’ai pris quoi ? C’est ça ta question ? Parce que tu crois que t’es en droit de me demander ça ? » Parce que tu crois que t’es en droit de me faire la morale, parce que tu crois que je dois te rendre des comptes concernant ma consommation ? Au nom de quoi ? Va-t-il encore me faire l’affront de me dire qu’Aaron ne voudrait pas que je me mette dans cet état, comme il l’a fait après sa mort pour m’empêcher de replonger, alors que pendant tout ce temps il savait ce qui lui était arrivé ? « J’étais pas avec Amos. J’ai eu une conversation fascinante avec Aberline. » Ma gorge se noue, et je continue de faire les cents pas. Je ne m’arrête que pour lui jeter un regard noir et qui déborde de colère. « Tu veux savoir ce qu’elle m’a dit ? » Où tu t’en doutes déjà Alec ?

Everything's silent and your head just sweating
Raelyn Blackwell & @Alec Strange

Bien sûr qu’il allait poser la question Alec. Il a été mon roc à la mort de mon petit ami il y a des années, sans lui j’aurais certainement renoué avec mes vieux démons à l’époque déjà. Sans lui j’aurais replongé efficacement et beaucoup plus efficacement que ce que je me suis contenté de faire pendant des années, consommant uniquement les poisons pour lesquels je me savais capable de contrôler ma consommation, sortant du soir au matin pendant des semaines entières. J’ai vécu à deux cent à l’heure pendant des années mais il est la seule chose qui a empêché une sortie de route douloureuse et, à terme, probablement mortelle. Je ne suis pas de ceux qui peuvent consommer de la cocaïne en continuant à jongler avec le reste de leur vie. La poudre blanche, elle me happe et fait disparaître tout le reste. « Whoah on se calme, j’ai plus le droit de te poser de questions maintenant ? » Seulement non, il n’a plus le droit. Il n’a plus le droit de me poser des questions pas plus qu’il n’a le droit de me demander des comptes. Il n’a plus le droit de prétendre que nous avons jamais été amis maintenant que je sais. « Non, t’as plus le droit. » Ma réponse fuse immédiatement après la sienne et mon ton glacial. Je le méprise encore plus que je méprise Mitchell ou, en tout cas, sa traîtrise me semble plus impardonnable encore. « T’as plus le droit de rien du tout. »

Comment peut-il ne pas deviner ce qui va lui tomber dessus ? Est-ce parce que je suis agitée et, par conséquent, probablement un peu incohérente ? Je lui fait l’effet d’une folle, c’est ça ? Je vocifère, je fais les quatre cents pas et je crois que oui, je ne suis plus tout à fait saine d’esprit en cet instant. « Des conneries je suppose ? » Mes yeux s’écarquillent d’horreur et je m’arrête de marcher pour le dévisager, tout le dégoût que je ressens inscrit sur mon visage. « Des conneries... » Son culot n’a donc aucune limite ? Hébétée, certainement un peu à cause de la drogue, je recommence à arpenter la pièce et prenant ma tête entre mes doigts, et en répétant à nouveau sa phrase. Des conneries. « Mais je suppose que si t’es là c’est pour me le dire alors qu’est ce qu’il y a Rae ? » Je m’arrête et m’approche de lui. Arrivée à son niveau je relève le visage et je plante mes yeux dans les siens. « Comment t’oses me demander ce qu’il y a ? » Je les observe ces yeux, ce regard auquel j’accordais mon entière confiance. « Ou tu t’en souviens plus peut-être ? Tu te souviens plus de ce que vous avez fait ton frère et toi ? C’était y’a trop longtemps, c’était un détail à tes yeux ? » Parce qu’aux miens ce n’en est pas un. Je l’observe, je ne veux rien manquer des émotions qui traversent son visage quand il comprendra que je sais.

Everything's silent and your head just sweating
Raelyn Blackwell & @Alec Strange

Pas une seule seconde je n’ai remis en doute les paroles d’Aberline, et pas uniquement parce qu’elle était accompagnée, pour me mettre à terre, de mon amant. Je ne l’ai pas fait puisque j’ai su à l’instant où nos regards se sont croisés qu’elle disait la vérité, l’indicible vérité des Strange. Elle me hais et je le lui rends bien, ou bien peut être est-ce l’inverse, mais son histoire réponds à trop de questions que je ne m’étais jamais posées pour être autre chose que la vérité. Elle connaît trop de détails aussi pour avoir inventé un mensonge de toute pièce. Alors en voyant le brun hésiter, je ne lui donne pas le bénéfice du doute et, la paranoïa qui accompagne souvent la prise de stupéfiant à haute dose aidant, j’imagine qu’il me ment à nouveau. Il le fait donc jusqu’au bout, il me prends pour une conne alors que je me tiens là, face à lui, et que je connais la vérité. Que fera-t-il si je l’accuse sans détour de son crime ? Niera-t-il tout en bloc ? Prétendra-t-il que je me trompe, qu’il n’en savait rien, et rejettera-t-il la faute sur son frère ?

Je m’approche de quelques pas et je lève mon regard jusqu’au sien. Je plonge dans ses yeux bleus et je le méprise de s’être foutu de ma gueule pendant tant d’année. Je le méprise de m’avoir passé la pommade après la mort de mon ancien compagnon, je le méprise de s’être occupé de de moi et d’avoir prétendu être totalement désintéressé. Oh il n’attendait rien de moi en retour certes : c’est sa conscience qu’il voulait laver. « Rae… C’est Aaron ? » Enfin il a compris. « Pourquoi, t’as d’autres choses à avouer tant qu’on y est ? » Que je crache, d’un ton méprisant. Que je me moque sans douceur et sans chercher à lui soutirer un sourire. « Prononce pas son prénom. Et m’appelle plus comme ça non plus. » Mon diminutif, je ne veux plus l’entendre passer la barrière de ses lèvres. « Quand je suis venue te chercher ce jour là Rae, je le savais pas. Ni les jours qui ont suivi. Je l’ai su que plus tard. Des semaines plus tard. » Des semaines ? Qu’est-ce que des semaines face à toutes ces années où il savait et ou il a menti ? « Des semaines ? » Je l’observe, incrédule et les yeux écarquillés. « DES SEMAINES ? » Je sens ma fureur s'accroître, me dévorer de l'intérieur. J’ai mal et je me sens trahie, alors je m’emploi à lui renvoyer l’ascenseur. Je le frappe de toutes mes forces. J’abats mon poing sur son torse, consciente pourtant qu’il en faudrait plus pour ce serait-ce que lui arracher une grimace. « TU M’AS MENTI PENDANT DES ANNEES ! » Je tente de ne pas perdre pieds, je le frappe à nouveau, et je frappe une troisième fois. Lorsqu’il tente de m’en empêcher, lorsqu’il place ses mains face à lui je recule de quelques pas. J’enfonce mes mains dans mes cheveux, avant de relever mes yeux, mes pupilles dilatés, dans les siennes. « Je devrais pas être surprise que t’aies tout fait pour protéger ton lâche de frère. Je savais juste pas que t’en étais un de lâche, toi aussi. » Un lâche, et une ordure.

Everything's silent and your head just sweating
Raelyn Blackwell & @Alec Strange

Il est au pied du mur Alec, et au moins je me dit que je vais avoir le droit à un peu plus d’honnêteté de sa part, qu’il arrêtera peut être de se retrancher derrière les mensonges dont il m’endort depuis douze ans. A-t-il entretenu notre amitié dans le but que je lui pardonne le jour où j’apprendrais la vérité ? Que je me dise que ce détail ne vaut pas la peine de foutre en l’air notre complicité ? Que je hausserais un peu le ton puis que je finirais par passer à autre chose ? S’il me connaît réellement il sait que c’est impossible, que j’ai beau avoir un flopée de défaut je suis droite et que lorsque j’ai affaire à quelqu’un qui ne l’est pas, je suis intransigeante et terriblement rancunière. S’il me connaît, il sait qu’il a tout gâché, il sait qu’il a collé sur notre amitié une date de péremption le jour où il a décidé de garder le vilain petit secret de Mitchell, que c’est à cet instant là qu’il m’a perdue, et pas maintenant. J’applique à moi même une règle d’honnêteté absolue, parfois brutale, parfois dérangeante, mais je ne mens pas ni ne joue et c’est ce que j’attends de mes collaborateurs, ce que j’attends de mes interlocuteurs et surtout, ce que j’attends de mes rares amis. « Je voulais te le dire…Je voulais que ça te le dire… » « Tu voulais me le dire ? » Et c’est censé tout effacer, tout pardonner parce que lui voulait m’en parler ? « Et qu’est ce qui t’en a empêché ? Ton frère ? Depuis quand t’es devenu son toutou ? » Si j’en crois ce que j’apprends il l’a toujours été et je ne devrais pas être surprise. J’ai toujours pris sa façon de se comporter avec Mitch - il l’a suivi aveuglément jusqu’en Australie - sur une loyauté indéfectible mais elle est à écarter cette théorie : loyal, il vient de me prouver qu’il ne l’est pas. Alors ça doit être ça, il doit être le fidèle serviteur sans conscience propre de son grand frère depuis le premier jours.

« Mais à quoi ça aurait servi ? A quoi ça aurait servi à part à enfoncer le couteau dans la plaie. Mitchell a fait une connerie en envoyant les flics chez Aaron. Il est pas responsable que ça ait dérapé. » J’ai à nouveau envie de le cogner. A nouveau envie d’abattre mon poing sur son torse de toutes mes forces pas dans le but de le faire réagir mais bien de lui faire mal. Mais je me contente de planter mes yeux dans les siens, le regard empli d’incompréhension, de mépris et d’un profond dégoût. « Comment tu peux encore prendre sa défense ? » Je suis choquée, profondément choquée que, même à moi, il tente de lui trouver des excuses. Bien sûr qu’il est responsable. « Ça aurait changé quoi que je te le dise il y a des années Rae ? Tu m’aurais pardonné ? Tu m’aurais laissé être là ? » « Comment tu peux me demander ce que ça aurait changé ? » les yeux écarquillés je l’observe comme si je le découvrais. Parce que je lâche que j’ai en face de moi, je ne le connais pas. « T’accordes aucune importance à l’honnêteté, c’est ça ? » Je sens la rage monter et prendre le contrôle de la moindre parcelle de mon être. « COMMENT TU PEUX DEMANDER CE QUE ÇA AURAIT CHANGÉ ? » Je n’aurais pas perdu douze ans de ma vie à me plier en quatre pour deux type qui n’ont fait que me prendre pour une conne. « Je suis désolé… » « T’es désolé ? » Je laisse échapper un rire sarcastique, un rire dénué de toute joie avant de poser mes yeux sur lui. « Je m’en fous. » C’est trop tard pour être désolé.

Everything's silent and your head just sweating
Raelyn Blackwell & @Alec Strange

Il se voile la face Alec : il n’a jamais été doté du moindre libre arbitre à partir du moment où ses envie et ses aspirations n’étaient pas en adéquation avec les projets de son aîné. Mitchel a d’abord été sa boussole puis, à travers les années, il est devenu son geôlier, son maître à penser puisque j’en suis à présent persuadée : Alec ne vit que pour son frère. « J’ai jamais été son toutou. » « Tu l’as suivi à l’autre bout du monde. T’aimes pas ta vie et t’en changes pas pour lui. Tu mens pour lui. » Toute la bienveillance dont je faisais preuve à son égard s’est envolée : à présent, j’utilise ses points faibles contre lui et je frappe là où je sais pertinemment que cela fera mal. « Comment t’appelles ça si c’est pas être sa chienne ? » Une chienne aveugle, en plus de tout ça.

Comment peut-il se tenir face à moi et trouver encore et toujours des excuses à Mitchell ? Comment peut-il me regarder dans les yeux et me dire que le brun n’a jamais voulu ça, qu’il n’est pas responsable ? Comment peut-il qualifier l’acte de son frère d’erreur quand, sans son intervention, rien de tout ça ne serait arrivé ? « Parce que je le connais Rae. » S’il le connaît alors il connaît sa paranoïa, son excessivité et sa cruauté : un cocktail explosif lorsqu’il est doublée d’une lâcheté à toute épreuve et, pour seule réponse : je lui adresse un rire sardonique. « Parce que c’est mon frère. » « Ça excuse pas tout ça Alec. » Ça devrait pas.

« Une erreur Rae. Une putain d’erreur. » Je prends une grande inspiration quand mes yeux lui crient mon mépris. « Non. » Ma respiration est saccadée, ma poitrine se soulève et s’abaisse à un rythme effréné. « Oublier de fermer la porte à clé en partant de chez soi c’est une erreur. Oublier l’anniversaire de quelqu’un c’est une erreur. Perde un gramme de coke c’est une erreur. » La colère m’envahit face à sa mauvaise foi et je comprends qu’il défendra toujours son frère, quoi qu’il arrive. « Envoyer les flics chez son meilleur pote, c’est pas une erreur. Me le cacher, c’était pas une erreur non plus. » C’est de la traîtrise. C’est un mensonge. C’est ce qu’il veut, mais pas une bêtise. Pas une erreur. Il s’énerve Alec. Il est agité mais je m’en cogne, parce que je n’ai pas peur qu’il me cogne moi. Qu’il le fasse, qu’il enterre notre amitié proprement puisque de toute façon nous avons atteint le point de non retour il y a des années, je l’ignorais simplement. « J’ai été là tous les jours, tous les jours depuis sa mort. Ce qui s’est passé efface pas ça. » Il lève la main pour m’empêcher de parler. Il devine mes réactions, la façon dont je vais percevoir les choses et qu’il s’en défende ne fait que me prouver que j’ai raison. « Et me sort pas que je l’ai fait par culpabilité putain. Parce que c’est faux, tu le sais que c’est faux. » Je l’observe en silence quelques minutes, je tente de calmer le rythme de ma respiration, celui des battements de mon coeur mais je n’ai qu’une envie : le frapper et lui faire mal, autant qu’il m’en a fait. « C’était exactement ça. Va te faire foutre et me mens pas une fois de plus Alec. »

Everything's silent and your head just sweating
Raelyn Blackwell & @Alec Strange

Bien sûr que j’ai toujours su. J’ai lu entre les lignes il y a des années quand il m’a confié qu’il avait quitté les Etats-Unis, qu’il avait quitté la femme qu’il aimait et un boulot qui lui plaisait pour suivre son frère à l’autre bout de la planète, sans demander d’explication, sans protester, parce qu’il ne pouvait simplement pas envisager l’idée d’abandonner son ainé. J’ai toujours su qu’année après année il avait développé de la rancune, sans se l’avouer et qu’il avait continuer à mener une existence dont il ne voulait pas, une vie qui ne lui convenait pas simplement pour beaux yeux de son frère. Je ne parle pas ou peu, mais j’observe, j’écoute et j’ai généralement un bon jugement sur les gens qui m’entourent. Alec n’est pas taillé pour notre univers et il n’a jamais souhaité l’être. « La ferme. » Mes lèvres s’étirent en un sourire mauvais et je croise mes bras sous ma poitrine, satisfaite d’avoir touché un point sensible. « La vérité ça fait mal hein ? » La vérité fait tellement mal qu’il attaque mais, de son côté, il vise au hasard. Il se justifie mal puisqu’il est pris en faute, puisque j’ai pointé du doigt quelque chose qu’il aurait voulu taire. « Qu’est ce que t’en sais que j’aime pas ma vie Rae ? Qu’est ce que t’en sais quand ça fait des mois que tu passes tout ton temps avec Amos ? » Un rire jaune s’échappe de ma gorge. Amos, qu’est ce qu’il en sait d’Amos ? Qu’est ce qu’il sait de notre relation ? Qu’est ce qu’il sait de ce qu’elle est devenue en l’espace de quelques jours. « Je savais pas qu’il fallait que je demande ta permission en plus de celle de ton frère. » A qui j’ai refusé le droit de faire la moindre remarque en ce qui concerne ma relation. Je dois admettre que, pour la première fois peut-être, elle était justifiée la paranoïa du boss. « Quelques mois…  Ça fait plus de quinze ans que t’aime pas ta vie Alec. » Il peut se voiler la face s’il veut, mais je m’en fous de son voile. Je le soulève pour le mettre face à sa réalité, je l’utilise comme une arme alors que je le respectais autrefois beaucoup trop pour le forcer à en parler. « T’as disparu pendant des mois l’an dernier, tu crois vraiment que quelqu’un a cru à ton besoin de voir le monde ? » J’explose de rire, un rire rendu hystérique par mon état : je suis allumée mais, ça non plus, il n’a plus le droit de me le faire remarquer.

« Non ça n’excuse pas tout. »
« Je vais te dire ce que ça excuse : rien du tout. »

Qu’il ait eu raison ou tort. Et il avait tort. Aaron adulait Mitchell, il l’adorait à un point qui parfois m’agaçait et, s’il nourrissait l’envie d’autre chose, d’un autre style de vie, c’était pour nous, uniquement pour nous. « Il finira sa vie tout seul. Et il le mérite. » Parce qu’il utilise les gens et se retourne contre eux quand il doute. Ses soutiens au Club sont de moins en moins nombreux, la faute à ses absence, et mon départ le privera d’un bon nombre d’entre eux : là dessus au moins, Aberline a réussi son coup. « Et tu sais quoi, toi aussi tu le mérite. Vous finirez votre vie tous les deux et t’auras toujours pas son respect ou sa fierté. » Parce qu’il court après Alec, il a passé sa vie à courir après. « Putain mais Rae, tu crois que si c’était que de la culpabilité,  j’aurais fait tout ça ? Ca fait douze ans que je suis là, tous les jours, que tu peux compter sur moi et tu le sais. Douze ans qu’on se fait confiance, tu crois qu’il y a beaucoup de gens à qui j’ai raconté mon passé comme ça ? » « C’est facile d’avoir eu confiance en moi. » Parce que moi je n’ai jamais menti. « C’est l’inverse qui était une connerie. »

Everything's silent and your head just sweating
Raelyn Blackwell & @Alec Strange

« J’ai jamais dit ça. » Non il ne l’a pas dit, mais ne vient-il pas de le sous-entendre ? Il a parlé d’Amos quand celui ci n’a pourtant rien à faire dans la conversation, il l’a utilisé comme une arme ayant vocation à me prouver que, moi aussi, j’ai des choses à me reprocher concernant notre amitié, parce que je l’ai délaissé au profit de mon amant. Mais comment ose-t-il ? Comment est-il capable de garder autant d’aplomb lorsqu’il profère des accusations de la sorte au regard du crime que lui il a commis ? Puisque c’en est un, au nom de notre amitié c’en est un. « Mais comment tu arrives à te regarder dans le miroir Alec ? Comment en disant des conneries pareilles ? » Je ne lui ai jamais menti. Je ne l’ai jamais abandonné, et je ne lui ai jamais caché une vérité qu’il avait le droit d’entendre. J’étais en droit de savoir.

Si j’ai toujours reconnu beaucoup de qualités à Alec, avant tout ça, il n’a jamais été un exemple de courage. Je l’ai toujours su au fond, mais je n’aurais jamais imaginée que, même face à moi et son frère en tort, c’est Mitchell qu’il choisirait. Que ce serait ses vilains petits secret à lui qu’il garderait, plutôt que de m’offrir à moi une vérité que j’aurais mérité. Sans parler d’Aaron, qui était son ami. « Et alors qu’est ce que ça peut te faire Rae ? Je suis toujours là non ? Je suis revenu. » « Grand bien t’en fasse. » Il aurait mieux fait de disparaître. Peut-être que la vérité aurait eu un goût moins amer aujourd’hui, s’il avait disparu. « Et personne n’est dupe Alec. Pas moi, personne au Club, et pas même Mitchell. Sauf qu’il est tellement habitué à avoir un toutou à son pied qu’il dira rien. Il te dira jamais qu’il sait pertinemment ce qu’on sait tous : que t’as juste envie de te barrer. » Si j’ai autrefois gardé le silence à ce sujet c’est par respect pour lui : j’ai toujours pensé que s’il avait envie de m’en parler il le ferait et que lui forcer la main ne m’apporterait rien de bon. Sauf qu’aujourd’hui, j’utilise ses faiblesses et mes mots comme des armes parce que j’ai envie de le blesser, j’ai envie de lui faire mal et j’ai envie qu’il se rendre compte ce que ça fait. « Donc quoi ? C’est terminé ? Tu vas faire quoi ? » J’écarquille les yeux et j’éclate de rire, toujours aussi agitée. « Qu’est ce que je veux faire ? » Un immense sourire dévoile mes dents, mais il n’est que le signe de mon état d’ébriété, de mon état de défonce. « Qu’est ce que tu crois que je vais faire ? Qu’on va aller en thérapie pour arriver à se pardonner et retrouver notre chemin l’un vers l’autre ? » J’éclate d’un rire mauvais avant de m’éloigner de lui. « Bien sûr que c’est fini. Je vais me barrer, et je veux plus jamais entendre parler de toi. Ne m’appelle pas, ne tente pas de venir frapper à ma porte et ne cherche pas à me voir d’une quelconque manière. » Je m’approche à nouveau et je pointe un doigt dans sa direction, submergée par la colère, submergée par la douleur aussi. « Je ne veux plus jamais entendre parler de toi, t’as compris ? » Je scande ma phrase doucement, j’en détache toutes les syllabes pour être certaine qu’il m’a entendue.