On ne s’arrête pas de parler alors qu’on devrait garder notre énergie pour autre chose. Pour survivre. Mais je sais que je vivrais mal l’expérience si j’étais seule. Je déteste être seule de manière générale, et, je pense que, même si je ne l’avouerai jamais à voix haute, elle m’aide à penser à autre chose et donc à tenir le coup. Sans elle, je ne me serais peut-être pas enfoncée dans la forêt. “C’est pas une mauvaise idée non plus.” Je ris un peu avant de me concentrer de nouveau sur la pluie qui ne cesse de tomber. Je lève les yeux au ciel, parce qu’elle n’a justement aucun moyen de me crever les yeux. “Vas y j’attends.” Je hausse les épaules, au point où on en est, je pourrais bien me vider de mon sang par les yeux ça rendrait ce supplice un peu moins long. Je secoue la tête, j’ai envie de dormir, je suis affamée mais je ne bouge pas. Je ne peux rien faire à part attendre.

“C’est le genre de truc qui arrange le karma non ?” Je n’y connais rien en tout ça, je me fiche bien de savoir si mon karma est mauvais ou non. Je m’en fichais jusqu’à aujourd’hui. Elle veut m’appeler Barbie, grand bien lui fasse “C’est un nom qui t’irait aussi merveilleusement bien.” Mon sourire est faux, mon soupire est excédée. Je me demande bien laquelle de nous deux est la plus insupportable. Si elle ne dort pas, je pense que moi je vais finir par m’assoupir la tête posée contre la paroi de la caverne. Je n’ai pas le temps de répondre quoi que ce soit que j’entends un bruit de grognement à l’extérieur. “C’était quoi ça ?” Mon regard se pose sur la blonde, peut-être qu’elle a vu quelque chose.

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Raelyn Blackwell & @Ivy Waterhouse - Univers alternatif, 2021

« C’est pas une mauvaise idée non plus. »
« Tu te ferais chier sans moi. Tu survivrais pas deux heures surtout. »
« Vas y j’attends. »
« File moi un objet pointu et watch me »

Je fais mine de regarder autour de moi. J’attrape même un bout de boit fin dans un coin que je fais passer d’une de mes mains à l’autre en la provoquant du regard. Je la taillerais si j’avais un couteau sur moi, mais le souci avec les voyages en avion c’est que tout ce qui pourrait être pratique ne passe pas en cabine, le fait que j’ai ce briquet tient du miracle et s’il ne sèche pas on est dans la merde. Dehors, c’est la tempête, mais je décide que dès qu’elle se calme, il faut que nous soyons les premiers à aller fouiller les valises que le courant ramènera jusqu’à la plage. La carcasse de l’avion s’est échouée à quelques mètres des côtes, peut être cent, mais avec un peu de chance, l’océan viendra déposer des bagages sur le sable. « C’est le genre de truc qui arrange le karma non ? » « Peut être mais  c’est pas le genre de truc qui arrange mon humeur. » Bien au contraire, j’ai pas envie d’entendre qu’il faut accueillir dieu dans notre coeur pour nous en sortir de ce merdier : on est seuls ici. « C’est un nom qui t’irait aussi merveilleusement bien. » « Trouve autre chose, c’est déjà pris. » N’a-t-elle donc aucune imagination ? Allez, fait un effort casse noisette. « C’était quoi ça ? »

Je l’ai entendu, moi aussi je l’ai entendu le bruit dehors. J’ai cru qu’il s’agissait d’un bruit de pas, mais il résonne encore sur les pierre et c’est différent. Alors je me risque vers l’entrée de la caverne et je passe la tête. Je me retourne doucement vers Ivy en chuchotant et en reculant à pas de loup. « Chut bouge pas. C’est un sanglier, je crois. Si on fais pas de geste brusque il attaquera pas. » Peut-être. J’espère.

”La réciproque est vraie.” Je hausse un sourcil, elle ne m’a pas sauvé pour rien. Elle ne me supporte pas depuis quelques heures pour rien non plus. Si elle avait voulu s’échapper elle aurait pu. Je ne l’ai pas forcé à marcher à mes côtés pendant tout ce temps. Elle ne survivrait pas si je n’étais pas là. “Débrouille toi pour trouver.” Comme si j’allais l’aider à faire quoi que ce soit. Je secoue la tête et la regarde jouer avec son bâton. Vraiment ? Elle pense qu’elle fait peur à qui comme ça ? Il fait de plus en plus froid et je ne sais vraiment pas comment on va pouvoir tenir toute une nuit comme ça. “Tu n’es pas adepte de l’amour et du pardon pour tous ?” J’utilise la voix la plus niaise que j’ai en stock et le sourire qui va avec. Je ne suis pas croyante même si j’ai été éduqué dans l’optique de l’être, encore un truc que mes parents ne m’ont pas transmis.

Je fais mine de réfléchir, est ce qu’on est vraiment des gamines de collèges pour essayer de se trouver des surnoms qui sont bien plus long et bien moins pratique que les prénoms qu’on a déjà. Je soupire, bien trop fatiguée pour trouver quelque chose d’intéressant. Peut-être que ça viendra plus tard, ou peut-être qu’on sera morte avant même le prochain lever de soleil.

On a pas le temps de discuter bonnes soeurs ou surnoms, les bruits à l’extérieur attirent bien trop notre attention. Elle s’avance et je ne bouge pas, je pose une main sur ma bouche pour ne pas faire de bruit à cause de la panique. Un sanglier, je ne crois pas en avoir déjà en vrai, et j’aimerais ne jamais en voir. Je cherche du regard un coin où on pourrait se cacher alors que l’animal se rapproche de l’entrée de la caverne. Il cherche sûrement à se protéger de la pluie. “Viens là.” Je la tire vers moi et appuie mon dos contre la parois. On a plus qu’à attendre et croiser les doigts.

Dééééés:

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Raelyn Blackwell & @Ivy Waterhouse - Univers alternatif, 2021

« La réciproque est vraie. » Non la réciproque est pas vraie. Je maintiendrai le contraire jusqu’à mon dernier souffle, je continuerai à dire que j’ai simplement trébuché sur elle parce qu’elle était en train de crever la tête dans le sable sur mon passage et qu’ensuite elle m’a suivie comme un chien errant jusqu’à la caverne que j’ai trouvée. Elle, elle continuera à dire que je l’ai fait exprès, que je l’ai sauvée - seigneur dieu non - parce que j’avais besoin d’elle, parce que pour une raison obscure je n’avais pas envie d’être seule. « La prochaine fois accroche un sorte de warning à ton cou, une pancarte ou je sais pas quoi, parce que si j’avais su je t’aurais laissée là où t’étais. » Non, je paniquais, je ne comprenais pas ce qu’il se passait et j’avais besoin de quelqu’un, n’importe qui, même quelqu’un d’aussi insupportable qu’elle.

« Débrouille toi pour trouver. » Je hausse les épaules avant d’attraper un bâton de bois pour occuper mes mains. Qu’est ce qu’on va bien pouvoir faire pour s’en sortir ? Trouver de l’aide, d’autres survivants ? Ni elle ni moi n’avons l’air d’être taillées pour la survie et je me dis que ce serait notre meilleure chance de nous en tirer mais nous devons être une poignée à peine, et la tempête nous a dispersés. Plus tard donc. « Tu n’es pas adepte de l’amour et du pardon pour tous ? » « Ah ça se voit tant que ça ? » Je lève les yeux au ciel. Faire la conversation serait pourtant le meilleur moyen d’arriver à passer cette nuit qui s’annonce difficile non ? Je me demande si j’arriverai à fermer les yeux, mais de toute façon il faudra qu’on organise des tours de garde. « T’as qu’à dormir en premier et je... » Je m’interromps parce qu’elle entend un bruit, que je l’entends aussi, et je me lève pour aller observer. Je pense à d’autres survivants qui auraient emprunté le même chemin que nous, mais je tombe nez à nez avec un animal sauvage. « Viens là. » Je recule, je colle mon dos contre la paroi et l’animal entre à son tour. Je retiens ma respiration, avant de chuchoter. « Je pense qu’il cherche juste un abri pendant la tempête. Il a pas l’air agressif, si on bouge pas il attaquera peut-être pas. » Effectivement, l’animal prend ses aises mais semble nous ignorer. « Bon bein va falloir partager je crois. »

On ne va pas s’étaler sur le sujet, je n’avouerai pas avoir besoin d’elle et elle ne le fera pas non plus. On est bien trop coriace pour craquer, même épuisées et affamées. Elle parle beaucoup trop, et je sais que moi aussi. On devait sûrement être les deux pires personnes dans cet avion. C’est certainement pour ça que le destin nous a réuni. “Non c’est bien plus drôle de voir les gens me détester.” Elle me déteste peut-être et ça m’importe peu. “Comme le nez au milieu de la figure.” Elle n’a pas la tête ce celle qui se lève le dimanche matin pour aller à la messe. Plutôt de celle capable de rentrer dans l’Eglise uniquement pour voler la quête et s’acheter un petit déjeuner.

Elle me proposait de dormir en première, mais un bruit nous a interrompu. Des bêtes, un truc énorme qui fait des bruits étranges se balade non loin de nous. Je suis terrifiée. Le mauvais karma de Raelyn refait surface non ? Je la regarde bouger et prendre son courage à demain pour savoir ce que c’est. Est ce qu’on est en danger ? Je n’espère pas. Je croise les doigts et me mets à chercher une nouvelle cachette. Je ne veux pas mourir dévorée par une bête. “Il va falloir rester calme et silencieuse.” Exactement ce qu’elles ne sont pas depuis qu’elles ont décidé de faire route ensemble. Il a toute la place dans la caverne quand nous on est recroquevillées dans le même coin. J’espère qu’il finira pas partir pour trouver un nouvel abris, mais je ne veux pas lui faire face. On doit partager, et je hoche la tête. Je glisse contre la paroi et m’assoit au sol. “J’espère que ça ne durera pas trop longtemps.” Elle le sent le courant d’air dans sa nuque et l’humidité dans son dos. Le premier endroit où elles s’étaient assise était bien mieux.

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Raelyn Blackwell & @Ivy Waterhouse - Univers alternatif, 2021

« Non c’est bien plus drôle de voir les gens me détester. » Elle me vole un sourire l’idiote. Elle me vole un sourire parce que je ne même pas faire semblant d’avoir envie de la contredire : je suis d’accord avec elle sur ce point là. J’aime provoquer une réaction : qu’elle soit positive ou négative n’a pas la moindre importance à mes yeux tant qu’elle existe. J’aime que l’on se retourne sur mon passage, j’aime autant qu’on me porte aux nues que que l’on fomente des plans pour me tuer. C’est presque plus jouissif que d’être crainte, ou même haïe, ou les deux. « Comme le nez au milieu de la figure. » Ah, mince. Mon visage exprime toute ma - fausse - déception à l’idée d’être si transparente et de ne pas pouvoir passer pour une femme pieuse ou pour une sainte. « T’as pas une gueule à avoir fait les scout non plus. » Mais dans ma bouche c’est presque un compliment. En fait non : c’est un compliment.

C’est presque beau cette nouvelle cohésion. Ca l’est jusqu’à qu’on soit interrompues par un nouvel invité, un contre lequel on a aucune chance de gagner le concours de celui qui pisse le plus loin. On a beau être toutes les deux des grandes gueules, on se tait et on se calme à l’instant où l’animal pénètre dans la caverne qui nous sert d’abri. « Il va falloir rester calme et silencieuse. » Je hoche la tête silencieusement. L’animal s’est couché et nous ne semblons pas l’intéresser ou en tout cas il ne nous voit pas comme une menace. Combien de temps restera-t-il ? « J’espère que ça ne durera pas trop longtemps. » Malheureusement il va nous falloir prendre notre mal en patiente. Tant que la tempête ne sera pas passée, j’ai peur que l’animal nous tienne compagnie. « Si tu penses pouvoir t’endormir fais le, je monte la garde. Je te réveillerais si je suis trop épuisée pour tenir. » Je me laisse glisser à côté d’elle contre la paroi de la caverne.

Je souris légèrement, elle m’arrache de vrais sourires de temps en temps. Sa fausse mine déçue ne trompe personne, on ne vient sûrement pas du même genre de familles. Je penche la tête, si seulement elle savait. “Tu serais étonnée du nombre de fois où je suis allée à l’Eglise.” Jusqu’à 16 ans j’étais la fille parfaite, celle qui mettait ses habits du dimanche et qui suivait son père dès qu’il était là pour la messe. Etonnement, je n’ai pas fait les scout. Certainement parce qu’on était bien trop occupés à voyager pendant des mois et des mois sans jamais se préoccuper de l’école ou de quoi que ce soit d’autre que les envies et le travail de mes parents.

La discussion partait bien, et on aurait pu discuter et réussir à oublier le froid et la fatigue le temps de cette nuit. En quelques minutes on se retrouve à devoir partager notre caverne avec un animal sauvage. Je ne suis pas proche des animaux, je les préfère dans une cage que devant mon nez à pouvoir me blesser. Si cette chose décide de nous sauter dessus c’est terminé pour moi, pour nous. Ni elle ni moi ne serait capable de contrer l’attaque de ce sanglier. Je glisse contre la paroi, on va devoir attendre et je déteste ça. Le temps va être long, et je me concentre sur le bruit de la pluie que je trouve apaisant. “Il commence à faire nuit.” Et je suis étonnée qu’il ne fasse pas encore plus froid. Peut-être suis-je en train de m’habituer à la température extérieur ? “Comment on fait s’il décide que d’un coup il n’a plus envie de partager ?” Je ne connais pas les animaux, et elle n’a pas l’air d’être de ceux qui parlent aux oreilles des animaux sauvages. “Il faudrait au moins qu’on dorme quelques heures chacune.”

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Raelyn Blackwell & @Ivy Waterhouse - Univers alternatif, 2021

« Tu serais étonnée du nombre de fois où je suis allée à l’Eglise. » Ouais mais non, en fait, c’est surtout que je m’en fous. Elle peut continuer à y aller tous les dimanches que ça ne change rien à l’image qu’elle renvoie au reste du monde, elle peut même me dire qu’elle se confesse tous les soirs où à chaque fois qu’elle a pêché que je me dirait que c’est juste pour se donner bonne conscience : je suis douée pour lire les gens et Ivy n’a rien d’une bonne samaritaine, j’en suis persuadée.

Le dos collé contre la roche je prends de grandes inspirations et je me dis que, finalement, si le destin a décidé de me faire survivre à un crash aérien pour mourir sous les coups de sabots d’un sanglier sauvage, je ne pourrais rien y faire. Mais je n’ai pas faim, pas soif, pas sommeil tant je suis focalisée sur le froid, sur les frissons qui me parcourent le corps. Je lui propose de dormir, parce que je sais de toute façon que je n’y parviendrai pas ou pas tout de suite. « Il commence à faire nuit. » C’est vrai que c’est pas facile à voir avec le ciel noir et l’orage, il fait gris depuis que nous nous sommes réveillées sur l’île mais elle a raison, la nuit tombe. « Comment on fait s’il décide que d’un coup il n’a plus envie de partager ? » « Je vais monter la garde. T’as qu’à prier pour que je sois de bonne humeur et que je te réveille s’il attaque. » Parce que l’autre solution c’est de l’utiliser comme appât pour bête sauvage pendant que je prends la poudre d’escampette, et elle me parait bien plus tentante. « Il faudrait au moins qu’on dorme quelques heures chacune. » « Je dormirai après toi. T’as une sale gueule, faut que tu te reposes. » Je dois certainement avec la même, mais moi au moins j’ai dormi dans l’avion.

Je meurs de froid, j’ai faim mais je me tais. J’ai l’impression que ne faire que parler mange le peu d’énergie que j’ai. Le courant d’air passe dans mon cou, je sens des gouttes d’eau glisser le long de ma colonne vertébrale. Comment je vais pouvoir tenir tout une nuit. Je tente de changer d’endroit, de position, mais maintenant qu’on se retrouve collées l’une à l’autre dans un coin de la caverne je ne peux pas vraiment prendre mes aises. Je rêve de retrouver mon lit, et même mes colocataires. Ils sont bien moins insupportable que celle qui m’accompagne.

Nous sommes trois dans la grotte désormais, un animal sauvage, un sanglier qui se retrouve à essayer de trouver sa place à seulement quelques mètres de nous. Par chance il n’est pas agressif, il a juste l’air de vouloir se trouver un abris pour la nuit. Comme nous deux. Je suis épuisée, et, malgré le froid, je sais que je vais pouvoir fermer l’oeil. Au moins quelques heures. Au fond de moi j’espère que Raelyn n’aura pas besoin de sommeil et qu’elle me laissera le luxe de dormir pendant de longues heures. Je tremble encore un peu, mais mes yeux se ferment lentement. “Tu m’as réveillé une fois tu le feras une deuxième.” J’en suis persuadée. Elle n’aurait même pas regardé si j’étais vivante si elle n’avait pas une peur bleue de rester seule. J’espère qu’elle ne s’endormira pas, elle ne doit pas mourir de froid non plus. Je lève les yeux au ciel, ma tête est sûrement moins affreuse que la sienne. Je pose la tête contre le mur et laisse mes yeux se fermer. Je resserre un peu plus mes genoux sur ma poitrine pour tenter de me réchauffer mais ce n’est pas très efficace. Malgré le froid je sens que je m’endors, et, même si ce n’est pas un sommeil très reposant, ça a au moins le don de faire passer le temps.

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Raelyn Blackwell & @Ivy Waterhouse - Univers alternatif, 2021

Je lui propose de dormir puisque, pour l’instant, je sais que je n’y parviendrais pas même si j’essayais, même si je tombais de fatigue. Les images de l’après crash sont en replay dans mon esprit, le réveil sur la plage, la lumière grise qui me brûle la rétine, l’odeur de fuel, de sang, de sel et le sable, la pluie si froide qu’elle m’a glace les os : mes pensées me tiennent éveillées. Bien sûr, j’aimerais être capable de fermer les yeux et de profiter d’un peu de repos, mais je sais que c’est impossible, en plus des souvenirs, j’ai le froid contre moi : je n’arriverais pas à cesser de grelotter et sans ça, impossible de m’endormir. « Tu m’as réveillé une fois tu le feras une deuxième. » « Tu verras bien. » De toute façon elle, elle a l’air épuisée et je doute qu’elle tienne bien plus longtemps : elle a besoin de dormir et besoin de me faire confiance. Je pourrais me barrer, mais pour aller où ?

Elle s’assoupit rapidement et, finalement, une fois qu la nuit noire tombe, je regrette presque de le lui avoir proposé. Si j’avais froid tout à l’heure j’ai à présent l’impression que je vais mourir gelée, et je suis obligée de frotter mes mains l’une contre l’autre pour qu’elle ne s’engourdissent pas. La pluie s’est arrêtée, l’orage aussi, mais mes vêtements n’ont pas encore séché et je me demande même s’ils ne me desservent pas plus qu’autre chose. Sauf qu’imaginer le vent froid sur ma peau nue me donne envie de pleurer. Au bout de quelques heures, le sanglier se lève, jette un regard dans ma direction et fini par quitter la caverne, me laissant seule dans le noir mais soulagée qu’il n’ait pas été plus vindicatif. Je pourrais me réjouir de savoir qu’il y a du gibier sur l’île mais je ne sais pas chasser et nous ne sommes pas armées. Je repasse la journée de la veille en boucle, je pense à Amos, je me demande si la nouvelle du crash lui est déjà parvenu et dans quel état il se trouve. Me cherchera-t-il sans relâche ou les autorités informeront-elles à tort les proches que tous les passagers sont morts ? Je me perds dans mes pensées et, au bout de quelques heures, je sens ma tête vaciller en arrière, mes yeux se fermer et je suis prise d’un sentiment de chute dans le vide. Je rouvre brusquement les yeux, avant de secouer la blonde par l’épaule. « Barbie, réveille toi c’est mon tour. » Elle a l’air de mauvaise humeur mais elle a dû dormir quatre ou cinq heures. Comment fait-elle avec ce froid ? « Il fera jour dans deux, trois heures tout au plus. Il faut que je dorme aussi.  »

Aucune de nous deux n’a envie d’être seule. On va sûrement se supporter jusqu’à ce que quelqu’un finisse par nous retrouver. Je n’ai pas envie de penser au fait qu’il doit y avoir environ 99% de chances pour qu’on meurt ici dans seulement quelques jours. J’ai envie de rentrer chez moi, de vivre ma vie comme je l’ai toujours fait et ne plus jamais revoir le visage de cette blonde que je connais depuis seulement quelques heures. Je m’endors rapidement, je ne sais pas combien de temps mais j’ai l’impression que ça me repose vraiment. Je n’aurais pas pensé être capable de m’endormir aussi facilement, sans avoir peur de ne pas me réveiller. Elle me réveille et je grogne, j’aurais bien dormi encore quelques heures. Mon sommeil m’avait aidé à me plonger dans une bulle chaude et confortable. Il suffit que j’ouvre un oeil pour qu’un vent glacial ne brûle ma peau nue et mes vêtements encore humides. Je grince des dents, j’ai envie de l’envoyer se faire voir pour retrouver le cocon que j’aimais tant.

Je tente de garder les yeux ouverts sans lui répondre. Je suis de mauvaise humeur quand je ne dors pas assez, et aussi quand j’ai froid. J’ai donc préféré me taire plutôt que de lui hurler dessus pendant les 3 heures qu’il reste avant le lever du soleil. Finalement, on va peut-être survivre jusqu’à la fin de cette longue nuit froide. Les heures auraient dû passer lentement, je les aurais vu passer si j’avais été réveillé. Mais ce n’était pas le cas. Je me suis rendormie sans même m’en rendre compte. J’ouvre les yeux et regarde si Raelyn dort, elle ne dort plus. Je sens que je risque de me faire engueuler alors je lève les yeux au ciel en prévision de la leçon de morale. “J’ai pas fait exprès.” Je soupire avant de regarder vers la sortie de la caverne. “C’est bon on a rien, même l’animal est parti.”

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Raelyn Blackwell & @Ivy Waterhouse - Univers alternatif, 2021

Elle s’endort tout de suite comme la princesse qu’elle est et, pendant quelques heures, je profite du silence. Il est presque rassurant : comme à Brisbane la lune a la même couleur, elle filtre à travers l’entrée de la grotte et nous éclaire faiblement. Le sanglier ronfle - je dirais à Barbie que c’était elle - mais au delà de ça il ne me semble pas percevoir de hurlement, hululement ou loup qui crie à la lune dehors. Cela m’arrangerait qu’en dehors de quelques sanglier l’île soit parfaitement déserte.


Le froid me fait délirer. J’ai la sensation d’imaginer des ombres, des odeurs, des bruits et même du mouvement. A un moment, j’ai si froid que j’ai l’impression qu’une armée entière arrière et d’entendre le martèlement de leurs bottes sur le gravier, puis je réalise qu’il s’agit de mes dents qui frappent l’une contre l’autre. Je grelotte, je suis à peine couverte et trempée et je me demande si ce n’est pas le gel qui finira par m’emmerder, pas la faim, pas le crash, même pas la soif - nous allons devoir trouver de l’eau, nous ne pourrons boire celle qui est salée - mais le froid. Je la réveille quand je n’en peux plus et, si ma tête vacille en arrière, je ne sais pas si j’ai sommeil ou simplement envie d’abandonner. Si je ne me réveille pas au moins je n’entendrais plus ses gémissement. Parce qu’elle a gémis dans son sommeil, certainement en proie à des cauchemars terrifiants, qui lui en tiendrait rigueur après ce que nous venons de vivre ? « J’ai pas fait exprès. » « J’ai pas dit que t’avais fait exprès, détends toi Casse Noisette. » Je m’allonge par terre et je me recroqueville pour tenter - en vain de me réchauffer. « C’est bon on a rien, même l’animal est parti. » « Ouais, il en avait marre de t’entendre ronfler. » J’ai froid, j’ai envie de chialer et, avant de m’endormir, je me souviens de m’être entendue lui demander. « Comment t’as fait pour trouver le sommeil, je suis frigorifiée. »

On devait faire la moitié d’une nuit chacune. Elle devait rester réveillée pendant la première moitié et moi pendant la deuxième. Mais, il se trouve que j’ai fait une nuit complète. Je ne sens plus mes orteils, mes mains tremblent, mais j’ai l’impression que je supporte mieux le froid que la deuxième blonde. On se réveille en même temps et je pensais vraiment qu’elle allait me hurler dessus parce que je me suis endormie. Elle ne doit plus avoir assez d’énergie pour s’énerver et je dois dire que ça m’arrange autant que ça m’ennuie. Elle répond à peine, et les joutes verbales étaient nos seules occupations depuis qu’on s’est crashées sur cette île de malheur.

Le soleil est levé, mais je n’arrive pas à savoir s’il fait beau ou si la pluie continue de tomber. Je peine à bouger, je vais lentement. J’ai l’impression que toutes mes articulations sont congelées et que si je bouge je vais me briser en 1000 morceaux. Je respire, bouge les épaules et le cou, chaque mouvement est douloureux. Je déteste cet endroit. Elle s’allonge par terre et je hausse les sourcils. Qu’est ce qu’elle est en train de faire ? Elle n’a plutôt pas intérêt à abandonner, je refuse de faire le tour de cette forêt toute seule. “Je ronfle pas.” La réaction est trop rapide, trop intense, trop prévisible et je souffle. Excédée alors que la journée ne fait que commencer, ça promet. “Je supporte mieux le froid.” Je ne suis pas une scientifique, je n’ai pas fait de recherches sur elle ni sur moi. On fait plus ou moins le même gabarit donc ça doit être psychologique. “Si tu fais que penser au froid tu vas devenir folle.” Si elle ne l’est pas déjà. Elle a l’air d’être complètement folle recroquevillée sur le sol de cette manière. “J’avais besoin de dormir.” Et c’était presque pire que le froid ou la fin.

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Raelyn Blackwell & @Ivy Waterhouse - Univers alternatif, 2021

Quand elle se réveille, ou plutôt que je la réveille, j’ai cessé de compter les heures depuis un moment. J’ai tenté de garder la notion du temps qui passait pendant les premières, pour combattre le froid et le traumatisme de l’accident, mais je n’y suis parvenue qu’un temps avant d’abandonner. J’ai grelotté, j’ai tenté de réchauffer mes mains l’une contre l’autre ou contre mon abdomen, mais il est gelé lui aussi, la faute à mes vêtements trempés. « Je ronfle pas. » « Dis ça au sanglier. C’est lui qui s’est plaint, pas moi. » Je hausse les épaules et je m’installer. Si elle croit que, maintenant qu’elle a fait sa nuit, on va partir à l’aventure sans que je n’ai le temps de dormir quelques heures, et bien elle est folle, j’ai besoin d’un peu de repos, même si ce n’est pas grand chose. Rester attentive m’a épuisée. « Je supporte mieux le froid. » « Les températures étaient négatives, c’est quoi ton secret, une peau de yack ? » Je me recroqueville sur moi même pour essayer de conserver le plus de chaleur possible. Tout est relatif : pour essayer de ne pas geler sur place, plutôt. « Si tu fais que penser au froid tu vas devenir folle. » «C’était un peu dur de penser à autre chose en pleine nuit alors que tu étais au pays des rêves et que je veillais. » Je ne lui en veux pas d’avoir dormi plus longtemps : je l’aurais réveillée si j’avais pensé être capable de m’endormir moi aussi. Maintenant le soleil se lève et j’espère qu’il me réchauffera un peu : la pluie a cessé et si le soleil est timide, je me demande si je ne ferais pas mieux de me mettre à l’entrée de la grotte en espérant qu’il me réchauffe et sèche mes vêtements. « J’avais besoin de dormir. »

Je me redresse pour m’approche de l’entrée, et je m’écroule à nouveau contre une paroi, déjà soulagée par le changement, même minime, de température. « J’ai besoin de dormir quelques heures Ivy. » Pas barbie, c’est dire à quel point je lutte. « Laisse moi quelques heures et on ira à l’épave. »