Hell bent to take my hand
Raelyn Blackwell & @Zachary Taylor

A la première sonnerie je tapote inutilement mon téléphone en pendant qu’il s’agit d’un quelconque réveil. C’est idiot, je n’en ai jamais mis, pourquoi commencerais-je aujourd’hui que je n’ai plus nul part où aller ? Mais hier je suis allée trop loin, j’ai trop bu, trop fumé et trop plié ma nuque pour promener mon nez le long de rail d’une cocaïne dont j’ignore la provenance. Alors il me faut quelques secondes, quelques minutes même pour remettre mon esprit en marche - un semblant de marche - et pour réaliser que la sonnerie n’est pas celle de mon réveil mais celle de l’interphone. Je l’ignore, je n’ai envie de voir personne depuis que j’ai fait descendre Amos de ce taxi, depuis que Lou m’a craché ses révélations au visage et depuis que j’ai craché ma colère au visage de Strange.

Et cela tombe bien, puisque le sentiment a l’air mutuel.

Les visiteurs ne s’agglutinent pas au portillon, et je n’ai pas reçu de visite depuis des semaines. La sonnerie retentit dans mon appartement encore quelques fois, puis l’intrus semble abandonner puisqu’elle cesse. Enfin. Quelle heure est-il ? J’attrape mon téléphone entre mes doigts pour y jeter un oeil et réaliser que l’après midi est bien entamée, avant, de traîner ma silhouette devenue longiligne - la faute à la drogue - hors de mes draps. Depuis combien de temps n’ai-je pas fait un repas correct et équilibré ? J’ai faim et j’ai soif, comme après toutes ces soirées qui se ressemblent, comme à chaque fois que l’effet du poison se dissipe. Un rail, vite. J’essuie les restes de poudre de mon nez et, déjà, j’ai le sentiment d’aller mieux. Je songe à me glisser sous la douche, mais alors que je me dirige vers la cafetière - je fonctionne un peu mieux maintenant que la drogue commence à faire effet - on tambourine à ma porte. Je maudis l’intrus qui, j’ignore comment, à trouvé le moyen de se faire ouvrir en bas de l’immeuble et a gravi les douze étages jusqu’au loft. Je le maudis parce que je n’ai envie de voir personne, mais je réalise aussi que le chasser est le meilleur moyen pour qu’il disparaisse le plus vite possible et qu’il cesse d’alimenter mon mal de tête en coups contre la porte. Alors je passe un coup de brosse dans mes cheveux, j’enfile un kimono par dessus ma nuisette en soie, et je retourne au salon pour entrouvrir la porte, et observer le visiteur avec tout le mépris que je possède : le message est clair, il dérange. « Qu’est ce que vous voulez ? » Non, en fait, je m’en fiche. « Quoi que vous vendiez ça m’intéresse pas. » Il n’a rien dans les mains pourtant, il m’observe juste comme si j’avais un orteil au milieu du visage ou un oeil en trop. « Comment vous êtes monté ? Qui vous a ouvert ? » Que je lui explique ma façon de penser à l’occasion, si nous nous croisons dans l’ascenseur.

L’intrus, je l’ai déjà catalogué comme tel, qui frappe à ma porte est même pas encore apparu dans mon champ de vision qu’il part déjà avec pas mal d’argument en sa défaveur. Le premier, c’est que je n’ai envie de voir personne. Si je ne réponds pas quand mon téléphone sonne, si je ne réponds pas à l’interphone et que je m’enferme dans ma tour de verre - ou plutôt dans mon loft au douzième étage d’un immeuble d’un quartier huppé - c’est pour avoir une paix royale, pas pour être dérangée. La seconde, c’est que je me méfie de toute personne frappant à ma porte, comme ça, par principe et parce que je déteste être envahie sur mon propre terrain, la faute à la tragédie qui s’est déroulée ici même, sur le parquet de mon appartement il y douze ans.

La troisième, c’est que j’aurais aimé profiter tranquillement de mon fix. Je sens déjà la montée, je sens mes problèmes qui se retirent comme à marée basse et mon coeur qui se tranquillise et qui devient plus léger, même si c’est artificiel, même si ce n’est qu’un instant. Je fixe le plafond, débarrassée de mes pensées parasites, et je méprise d’autant plus le quidam qui vient pour m’interrompre.

J’hésite un instant, puis je tranche : le moyen le plus efficace de le faire déguerpir reste d’être désagréable et hautaine : ma spécialité. Alors j’enfile un kimono pour être présentable, j’arrange mes cheveux d’un geste nonchalant et distrait, et je prends soin de n'accroche aucun sourire sur mon visage lorsque j’ouvre la porte. Je ne connais pas l’homme qui me fait face, un sourire sur le sien, les deux mains en l’air en signe de paix ou je ne sais quoi, et pourtant il m’est étrangement familier. Est-ce là l’effet de mon poison ? Me fait-il voir des choses qui n’existent pas ? Je fronce les sourcils, je chasse cette idée et je tente de le chasser lui. « Bonjour, je ne vends rien ! » Nouveau haussement de sourcil, nouvel pointe d'agacement. Je croise mes bras sous ma poitrine et je l’observe, attendant qu’il accouche d’une explication à sa présence sur le pas de ma porte. « Je suis Zach, le frère d’Amos. Je peux entrer ? Je pense qu’on a pas mal de choses à se dire… » En entendant le prénom de mon amant, mon coeur rate un battement. Le frère d’Amos. Je ne connais que Liam, et je me demande combien continueront à apparaître par surprise. Le frère d’Amos. Je m’accroche aux effets des stupéfiant mais déjà je sens que j’entame la descente. Déjà mes poumons deviennent plus lourds, semblables à du velours gorgé d’eau, déjà je sens mon abdomen se contracter et ma gorge se rétrécir. Le frère d’Amos. « C’est lui qui t’envoie ? » Dieu que je détesterais cette idée. Nous avons toujours évolué coupé du monde, dans notre bulle, si bien que je trouverais insultant qu’il m’envoie un émissaire. Le dialogue est rompu entre nous, mais je ne suis pas la fautive. « J’ai rien à te dire. » Et je n’ai plus rien à lui dire. C’est faux mais je tente de m’en convaincre.

Un instant, je me demande si c’est Amos qui m’envoie son frère. Je serais surprise et, j’en suis persuadée, terriblement déçue. Pense-t-il que je suis simplement un peu en colère et que quelqu’un de neutre pourra me raisonner ? Ne me connaît-il pas mieux que ça ? Ne devine-t-il pas qu’envoyer un émissaire qui m’est inconnu est la dernière fois à faire ? Que ma colère et mon sentiment de trahison ne seront pas apaisé par un proche qu’il aura envoyé pour plaider sa cause ? Comment a-t-il expliqué notre rupture ? M’a-t-il fait passer une femme capricieuse qui refuse de lui pardonner une broutille ? J’ai du mal à y croire, parce que je pensais le connaître, parce que lui me connaît mieux que ça également. Alors je dévisage l’intrus et j’attends qu’il s’explique : s’il confirme ces craintes que je n’ose formuler, je n’hésiterais pas une seule seconde à lui claquer la porte au nez. « Tu sais bien que non. Quand il saura, j’aurais droit à une engueulade digne de ce nom. » Il tente de me dérider il tente de faire un trait d’esprit, il grimace et moi je reste de marbre. Que fait-il ici dans ce cas si ce n’est pas le brun qui l’envoie ? Pense-t-il qu’il s’agit d’une bonne idée de venir jusqu’à chez moi pour plaider la cause de son frère alors qu’il ignore certainement ce dont il est coupable ? La raison de notre débâcle ? Pense-t-il qu’il a oublié mon anniversaire ou simplement fauté et qu’avec un sourire idiot et quelques bonnes paroles il me ramènera à la raison ? Il n’a pas la moindre chance d’y parvenir. « Qu’est ce que tu fous là alors ? Comment t’as trouvé mon adresse ? » Je fronce les sourcils, je m’interroge sur les détails puisque je ne suis pas du genre à accepter une demie explication.

Je n’ai rien à lui dire de toute façon, je n’aurais rien à dire à sa mère et à tous ses aïeux s’ils décidaient de venir frapper à ma porte. Je supportais déjà mal qu’une tierce personne se permette une intrusion dans notre histoire lorsque nous étions encore ensemble et, sans surprise, cela me plait encore moins aujourd’hui. « Alors peut-être que moi, je peux te parler ? Tu m’offres un café ? Si je peux me permettre, tu ferais bien d’en avaler une tasse ou deux également, si tu veux garder les idées claires … » Je secoue la tête et fait mine de refermer la porte, mais il la coince de son pied et je suis surprise par son culot. Si tu veux garder les idées claires ? Mais pour qui se prend-il ? Je pousse un soupire sec, bref, avant de lever un sourcil. « Je veux pas justement. Mais merci du conseil. » Je le toise, je me demande si j’ai la moindre chance de m’en débarrasser sans écouter ce qu’il a à dire et je me dis que finalement c’est peut-être la façon la plus efficace et rapide pour qu’il se tire. « T’as trois minutes. Pas une de plus. Et la cafetière est là bas. » Je n’ai pas de temps à perdre à jouer la parfaite hôte de maison, tant pis s’il est déçu : je n’ai pas à coeur de faire bonne impression.

« J’ai trouvé ton adresse dans les affaires d’Amos, c’était assez facile en fouillant un peu. » Il a trouvé mon adresse dans les affaires d’Amos ? Et il l’annonce ainsi, en grimaçant comme s’il avait cassé l’un des jouets de son frère, alors qu’il s’est immiscé dans quelque chose qui ne le regarde pas et dont il ne sait probablement rien ? Interdite, je l’observe sans commenter : je n’ai pas l’intention de le méprendre et de le laisser penser qu’il est le bienvenu chez moi : plus vite il sera parti, plus vite je pourrais panser mes plaies, celles qu’il va rouvrir en me parlant de mon ancien amant, j’en suis sûre. « Et je veux juste discuter un peu. Je ne t’embêterai pas longtemps. » Tu vas m’embêter environ dix secondes… J’envisage de lui claquer la porte au nez et il n’y a que son pied, placé de sorte à ce que je ne puisse la refermer complètement qui m’en empêche. Mais pour qui se prend-il pour débarquer comme ça chez les gens et refuser d’entendre un non ? Et moi, quelle genre de femme imagine-t-il que je suis ? Il va vite être déçu s’il s’attend à une demoiselle douce et docile et ce geste, celui de m’envahir, il va le regretter. « Tu vois que tu souffres et tu as envie de réponse à tes questions. » Je fronce les sourcils et, si je pensais l’entreprise possible, j’écraserais son pied avec la porte jusqu’à ce que ses fractures rendent trop douloureux de la maintenir. Il n’aurait qu’à clopiner jusqu’à l’hôpital le plus proche et surtout, me laisser tranquille. Tout m’énerve chez lui, de son sourire de benêt à son attitude, en passant par ses ridicules traits d’esprits qui me donne l’impression qu’il est sorti d’un dessin animé pour pré adolescent.

Je l’invite parce qu’il s’agit certainement de la meilleure façon de m’en débarrasser et avec la ferme intention de n’écouter que d’une oreille. Son café il se le fait seul, et lorsqu’il le fait remarquer je ne réponds que d’un haussement d’épaule et d’un « En effet il fallait pas. Il te reste deux minutes trente, je me dépêcherais si j’étais toi. » les bras croisés sous ma poitrine. « Je ne connais pas votre histoire, à Amos et à toi. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé entre vous, ni ce qu’il se passe. La seule chose qu’il m’a dit quand je l’ai vu, c’est qu’il avait merdé grave. » Juste là il parle pour rien dire, si je ne m’abuse et il récite des évidence : il ne sait rien. Ce n’est pas son rôle de venir jusqu’à chez moi et il n’est pas dans son bon droit. « Je connais mon frère. Et je l’ai rarement vu autant souffrir. C’est ce qui me permet de dire qu’il tient énormément à toi. Il t’aime, c’est évident, sinon je n’aurais pas revu une loque humaine en passant sur Kilcoy … Même notre père s’est inquiété de le voir ainsi, c’est pour ça qu’il m’a appelé. » Ma mâchoire se contracte face à cette psychanalyse de comptoir. Il a vu Amos mal, il s’est dit que la façon la plus logique de procéder pour tout arranger c’était de me contacter ? Je ne le connais pas, mais il me semble plutôt simplet comme garçon. « Et merde … Ma fiancée m’a quitté il y a quelques mois. Sans aucune explication. Et ça, c’est dur. J’aurais au moins voulu comprendre, qu’on en discute. Je te demande pas de pardonner à mon frère, parce que je sais pas c-e qu’il a fait, mais au moins accepte de l’écouter. Tout le monde mérite de pouvoir s’expliquer. » Cette fois ci j’éclate de rire. Un rire froid, sans joie et qui lui prouve tout mon agacement à l’idée que l’on vienne me faire la morale. « Va voir un psy ou fréquente le groupe de parole de ta pastorale plutôt que de m’emmerder moi avec tes soucis. On se connait pas, je m’en fous. » Il m’a agacée et, à présent, je n’ai plus l’intention de prendre des pincettes. « Et si tu veux assouvir ta curiosité, renseigne toi auprès de ton frère, pas de moi. Jusqu’à preuve du contraire il est pas venu jusqu’à chez moi pour s’expliquer. » Il ne s’est pas excusé non plus, je n’ai entendu que des justifications. Il a fait le chemin jusqu’ici sans rien : je n’ai pas fermé ma porte à Amos sans lui laisser la chance de s’expliquer : nous nous sommes déchirés et que lui vienne ici remuer le couteau dans la plaie fera certainement plus de mal que de bien. « Tu connais pas notre histoire tu l’as dit. Tu sais rien. Reviens quand tu seras renseigné ou plutôt, reviens pas. » Je jette un coup d’oeil à ma montre. « C’est bon, t’as fini ? »