| such a beautiful soul, you deserve your own island (willer #22) |
| | (#)Ven 4 Sep 2020 - 19:10 | |
| Ça a commencé doucement, ça commence toujours doucement ce genre de foutoir.
Des textos qui mettent plus de temps à s'envoyer, jusqu'à ne jamais recevoir de réponses. Des rendez-vous qui sautent, des horaires qui se corsent, des minutes qui s'additionnent pour au final devenir des heures de retard. Ce serait mentir de dire qu'au début j'ai pas commencé à souffler. Erroné de croire que j'ai pas profité de voir qu'il lâchait du leste depuis qu'on est revenus à Brisbane. Il me faisait moins chier à être toujours sur mon cas, à être le souffle chaud de creep me brûlant envers et contre tout la nuque tant il surveillait l'entière totalité de mes faits et de mes gestes. Avant. La seule chose qu'il surveille désormais, ce sont les craquements du parquet de la Serre quand il rentre en pleine nuit.
Ça, c'est quand il rentre. Parce qu'évidemment que les heures s'allongent au bureau. Évidemment que les meetings pleuvent et se multiplient et tombent - et il va tomber lui ouais, en bas du balcon je le jure que ce sera une chute et non bien sûr que non monsieur l'agent je ne l'ai pas poussé il est si grand et il fait du judo ouais ouais il est tombé. C'est directement ce vers quoi on se dirige, depuis des jours et des semaines. Parce qu'il est en retard et parce que leur vin sans alcool goûte la merde et parce qu'il a dit qu'il serait là ET SURTOUT parce que c'était son idée, pas la mienne.
On va célébrer le fait que ton livre est publié Ariane. C'est important de le souligner Ariane. Je t'amène au restaurant Ariane. Sois pas en retard Ariane.
Et lui, il a manqué le coche.
« Bon matin. » en espérant qu'il ait manqué un battement cardiaque aussi, quand son matin en pleine nuit sera agrémenté de deux croissants tirés à la tête et achetés à la distributrice de paysans postée au hall de sa tour de verre. Tour de verre où il s'est planqué pour son meeting imprévu du soir consistant à s'endormir la joue au creux de la paume, la bouteille d'un scotch hors de prix en aparté. Le décompte est commencé, avant que son matin soit également arrosé d'un café à l'eau de vaisselle lancé à sa gueule, bien bouillant et servi fièrement au seul kiosque encore ouvert sur l'étage. |
| | | | (#)Ven 4 Sep 2020 - 23:47 | |
| Le dos de Saül n'a pas connu un lit correct depuis maintenant trois nuits, qu'il passe ici, à dormir sur le canapé de son bureau. Il semble que les mauvaises habitudes ont la vie dure, de nouveau. Les semaines passées ont été rudes, moralement comme financièrement parlant. Le divorce éreinte l'italien, qui passe le restant de ses journées à travailler d'arrache pied comme si tout abattre - dont sa propre santé - équivalait à une vraie tentative de tout arranger. Personne hormis ses collègues ne le croisent plus vraiment. Personne, sinon ses partenaires de jeu qui, de nuit, lui prennent tout l'argent qu'il a encore. Bientôt, Saül n'aura plus rien. En attendant, il refuse de voir que les comptes s'assèchent, fondent comme neige au soleil. Le monde de la nuit le détruit. Quand il ne joue pas, c'est ici qu'il dort. Ariane n'a pas besoin de le voir dans cet état minable, lui qui ne passe que lorsqu'elle n'est pas là, pour prendre une douche et faire une courte sieste. Tout ira mieux bientôt, il se l'est promis.
Mais ce soir, c'est particulier. Ce soir, Ariane a quelque chose a fêter. Ce soir, Saül en a marqué la date dans son agenda. Ce soir, c'est lui qui l'invite au restaurant qu'ils ont un jour fui ensemble. C'était avant leur premier voyage, avant Paris, avant tout ce qui a fait qu'ils sont ce qu'ils sont aujourd'hui.
Mais Saül s'est endormi. Saül roupille misérablement derrière son bureau, un verre vide dans la main gauche. Sa main droite lui écrase la joue. Elle était finie, sa soirée, quand il a oublié de prévenir Ariane pour tout ça, quand elle l'attend probablement au restaurant, seule. Saül n'est jamais en retard, surtout pas pour ce genre de rendez-vous plus important que tout le reste. Le fleuriste doit l'attendre éternellement, aussi, lui qui a commandé un grand assemblage qu'il aurait offert à l'auteure en rentrant à la Serre. Ça et le reste, ça et la petite carte qu'il a barbouillé de son écriture serrée, promettant un week-end tranquille pour profiter à deux d'un peu de repos au milieu de la tempête et qui gît désormais dans un tiroir de son bureau. Saül n'a pas compris qu'ils sont, à deux, la tempête. Et voici qu'est passé l’œil du cyclone, mais le quarantenaire n'a pas pu en profiter : il dormait, quand il était temps d'apprécier le calme avant le déchaînement des éléments.
« Bon matin. » Et il grogne, Saül, il ouvre un œil et frotte l'autre, tente de comprendre ce qui le dérange en plein sommeil. Quand enfin ses prunelles endormies se posent sur la silhouette d'Ariane, il est trop tard pour broder une salutation. Saül n'est pas d'humeur, de toute façon. « Qu'est-ce que tu fiches ici ? » Son ton est un peu endormi, par l'alcool comme par le reste. Elle ne vient pas, jamais, ne devrait pas de toute façon. Ce n'est pas sa place. Où est-elle, sa place, justement, quand récemment elle n'a consisté qu'en d'éternelles promesses et autres attentes interminables ? Saül, qui devait déplacer son bureau à la Serre, a fait le contraire. Et la pièce dédiée à ses travaux prend la poussière. Il n'y a pas mis les pieds depuis Grenade. Qu'il semble loin, ce petit bout de paradis. « Rentre, j'ai du travail. » Le voilà qui remet une mèche de cheveux en place, quittant Ariane des yeux pour se concentrer de nouveau à la tâche, un dossier entre les mains. Plus personne ne travaille à cette heure-ci, sauf les hommes d'affaires accrochés à leurs habitudes qui datent pourtant d'un autre âge - ça aussi, il s'était promis d'y mettre un terme. |
| | | | (#)Dim 6 Sep 2020 - 21:54 | |
| « Qu'est-ce que tu fiches ici ? » « Et toi? »
Une part de moi espère qu'il est pas aussi con que ça. Une part de moi espère vraiment qu'il est pas un incroyable merdeux ayant eu ce qu'il voulait et qui maintenant abandonne le navire comme si c'était la chose la plus logique à faire. Je l'espère pas pour moi, parce qu'autant je rage maintenant autant je sais qu'à la seconde où je le déciderai il sera dossier classé, conclus et terminé. Je l'espère pour lui plutôt. Parce que ce serait véritablement dommage de crever ses si beaux yeux, de casser ses si belles dents. Pourtant pour le moment il ne s'aide pas, et certainement qu'il récoltera le plus long des soupirs d'exaspération quand je le vois tenter de ramasser ses papiers et de faire de l'ordre dans ses dossiers.
Les croissants gisent au sol, mes pieds n'ont pas bougé. Le bureau est complètement désert et entre vous et moi, vous savez très bien qu'avec ou sans public la scène aurait été exactement la même. J'en ai encaissé des coups depuis qu'on est revenus de Grenade, je sais faire que ça et j'en râlais même pas. Parce que le gars passe par toutes les gammes d'émotions et parce qu'il a vingt ans de vie à ranger dans des classeurs qui sont autant un mess que celui qui gît, éparse, sur son bureau. J'aurais pu en ravaler des remarques et du venin, j'aurais pu supporter la suite envers et contre tout encore bien longtemps. S'il n'avait pas été l'ombre de lui-même, s'il ne m'avait pas laissé la seule et unique impression qu'il en avait rien à battre de si je suis là ou de si j'y suis plus. Faut dire qu'il voit rien anyways - comment pourrait-il savoir la différence. « Rentre, j'ai du travail. » « Oh, t'inquiète pas je faisais que passer, je te dérangerai pas longtemps. » prévisible, prévisible, prévisible. Qu'il me dégage de là, que j'ai tout sauf envie de rester, que je lui tire le café au visage, que je reste plantée là une seconde de plus à admirer le spectacle. L'effet est pas aussi cool que si je le lui avais lancé en arrivant. Le breuvage bien moins bouillant que précédemment qui ne fait que noyer ses papiers autant que sa gueule que j'ai envie de défigurer une heure sur deux.
Puis, j'en ai assez de le fixer, de constater à quel point le voir dans cet état-là me dérange bien plus que me fait jubiler. Le bordel d'être amoureuse du gars qui mériterait en ce moment d'être le type le plus torturé. « Et le pire, tu sais c'est quoi? » ma silhouette avait fait volteface, j'étais prête à partir quand je m'arrête dans l'embrasure de sa porte. « J'ai été assez conne pour croire pendant une seconde que tu bossais pour vrai. » un soupir, un regard par-dessus mon épaule et mon menton qui pointe son travail qui se résume à une pile de dépliants et de formulaires lambdas que je veux pas comprendre et que j'ai pas de temps à perdre à capter de toute façon. Pile sur laquelle il se concentre là, pile qui en l'instant est tenue à l'envers même si ça semble pas lui faire le moindre pli d'y avoir braqué ses yeux comme s'il lisait, comme si c'était normal, comme s'il bossait.
« Rentre pas ce soir. » au moins quand c'est moi qui le lui dis, il y a une part de contrôle égoïste que je me garde dans l'histoire. Connerie. |
| | | | (#)Lun 7 Sep 2020 - 0:26 | |
| « Oh, t'inquiète pas je faisais que passer, je te dérangerai pas longtemps. » « Ferme la porte derrière t- »
Le café vole et bientôt le bureau de Saül en est recouvert. L'italien a les mains tournées au ciel, le regard de nouveau posé sur Ariane. Beaucoup d'insultes lui viennent sur le bout de la langue dont un bon millier gardées bien loin dans ses idées mais qui menacent de sortir en trombe. Ses prunelles bleutées retrouvent les papiers imbibés de liquide poisseux. « Tu es obligée d'être une garce dès que quelque chose ne va pas dans ton sens ? » C'est encore le calme qui prédomine dans la voix de Saül, le calme qui prédomine pour un temps encore lorsqu'il tire les papiers hors de la marre de café qui s'étend devant lui. Une chemise de détruite, une de plus. Ses yeux piquent, aussi et ses cheveux doivent être dans un état déplorable. Elle a son attention, maintenant, l'ingrate qu'il dévisage en retenant un peu sa respiration. La voilà qui file, quand Saül hésite encore à se lever pour constater les dégâts.
« Et le pire, tu sais c'est quoi? » Le pire c'est qu'il ne sait pas la détester pour autant. Saül sait juste se détester lui, quand il se souvient de la raison pour laquelle elle est probablement venue le chercher. Son visage reste de marbre pourtant, lorsque le restaurant lui revient à l'esprit. Les excuses restent plus loin encore que les insultes, si bien qu'elles ne traversent ses idées qu'une fraction de seconde. Ariane est proche de la porte. Heureusement, il n'y a personne dans les bureaux à cette heure-ci sinon des gamins torturés au travail, ceux qui veulent bien faire et qui espèrent gravir les échelons plus vite en se brisant la santé au travail. Ceux là descendront l'échelon de la réussite la tête la première, tout juste comme le fera un jour leur patron. « J'ai été assez conne pour croire pendant une seconde que tu bossais pour vrai. » « Je bossais, Ariane, jusqu'à ce que tu débarques pour tout foutre en l'air. » Saül aime penser que sa petite interlude sieste n'a duré que quelques minutes quand il y a des heures qu'il roupille, des jours qu'il ne vit qu'entre les siestes et les cafés.
« Ariane. » Mais elle part déjà. « Rentre pas ce soir. » « Ariane ! Bon sang. » Saül repousse sa chaise et son pas pressé le mène dans le couloir, où elle a déjà filé. C'est d'une poigne peut-être trop forte qu'il attrape le bras de l'auteure, une poigne trop serrée quand il la tire en arrière, la retient dans le couloir mal éclairé. « Tu sais que je bosse comme un acharné. Je ne fais que ça, quand je ne suis pas en train de signer des foutus papiers de divorce. » Son ton est bas, sifflant, pourtant ce n'est pas comme si quelqu'un pouvait les entendre. Même la ville est silencieuse. « Pourquoi est-ce que tu choisis toujours les pires moments pour jouer les ingrates ? Je me saigne pour qu'on reste à flot, tu peux comprendre ça ? » Il y a un petit moment que le bateau prend l'eau, de toute façon. Doucement, imperceptiblement. « Je n'ai pas signé pour tout ce foutoir, alors ne commence pas à me rendre la vie plus compliquée qu'elle ne l'est déjà. C'est pire que d'avoir des boulets aux pieds. » Avant qu'ils n'aient le temps de s'en rendre compte, ils seront noyés. |
| | | | (#)Lun 7 Sep 2020 - 2:07 | |
| « Tu es obligée d'être une garce dès que quelque chose ne va pas dans ton sens ? » « T'es obligé d'être un connard dès que quelqu'un ne va pas dans ton sens? »
Si c'est à ce jeu-là qu'on joue désormais, il a de la chance que le cerveau créatif entre nous deux ait absolument pas perdu la main. Mes mains donc, elles sont occupées ailleurs qu'à le gifler et qu'il prenne ça comme une preuve de plus qu'il passera pas trop au bûcher ce soir. Pour l'instant. L'une se resserre sur le poignée de porte de son bureau de merde, l'autre prévoit la claquer bien fort bien violemment la seconde suivante. « Je bossais, Ariane, jusqu'à ce que tu débarques pour tout foutre en l'air. » bien sûr qu'il bossait, voyons Ariane, pour qui tu te prends, d'oser troubler la quiétude de l'homme d'affaires aux milliers d'actions composées de lettres et de chiffres incompréhensibles. Lui qui a un travail. Lui qui pour une foutue de fois depuis Grenade soulignait à nouveau que j'en avais un moi aussi. « Dis-le à ton haleine de milieu de nuit et à tes cheveux qui sont pires que jamais. » et à sa tête de connard que j'éclaterais bien sur son bureau mais que je laisse étonnamment derrière d'un pas d'un seul.
Parce qu'il vaut mieux préserver les quelques morceaux, quoi qu'éclatés, qu'il nous reste. « Ariane. » rien sera épargné donc. « Ariane ! Bon sang. » et ses doigts, l'imbécile, qu'il referme autour de mon poignet. Il fait exprès.
« Tu sais que je bosse comme un acharné. Je ne fais que ça, quand je ne suis pas en train de signer des foutus papiers de divorce. » « Et boire toutes mes réserves de scotch apparemment. » « Pourquoi est-ce que tu choisis toujours les pires moments pour jouer les ingrates ? Je me saigne pour qu'on reste à flot, tu peux comprendre ça ? » « Il est quand le bon moment alors? Que je le mette à mon agenda, et que je suive mes engagements, moi. » « Je n'ai pas signé pour tout ce foutoir, alors ne commence pas à me rendre la vie plus compliquée qu'elle ne l'est déjà. C'est pire que d'avoir des boulets aux pieds. » « C'est toi le boulet au poignet là. »
D'un geste d'un seul ma main repousse la sienne, et j'arrive même pas à me satisfaire de le voir tituber en arrière dans l'élan. J'arrive même pas à le gifler à nouveau, j'arrive même pas à plaquer mes mains sur son torse pour m'assurer qu'il me suive pas, qu'il me retienne plus jamais non plus. Il est sorti de son bureau et il dit de la merde Saül, mais au moins il est là. Mine de rien, c'est le plus de sa présence que j'ai bien pu avoir depuis des semaines. « J'ai pas signé pour être avec l'épave de toi-même dude. Tu divorces et tu bosses comme un acharné. T'es pas dans les tranchées à défendre ton pays non plus. » on était deux à savoir exactement dans quel bordel on mettait les pieds. On l'a capté tard et on a joué au déni un long moment, n'en reste qu'on savait très bien que la suite serait pas facile, jamais simple. On l'était pas nous-mêmes.
Nous, d'ailleurs. « Dégage. » mes menaces n'en ont que le nom quand j'en ai rien à faire qu'il dégage ou pas. Ma silhouette se faufile à sa gauche, refait le trajet inverse pour retourner à son bureau. Il déteste que je touche à ses affaires encore plus lorsqu'il s'agit de ses dossiers et autres trucs de CEO que je ridiculise dès le premier café au lever. Ça comptera pour une vengeance de plus, lorsque j'essuie les restes de café, ses papiers que je rescape d'autres feuilles disponibles avant de faire des putains de photocopies comme si j'étais sa secrétaire. Il bossait, ben qu'il bosse. Et qu'il dise pas que je le dérange si une seconde j'aide à réparer le chaos, si la suivante je retranscris tout ce qui s'est noyé dans le carnage sur les nouvelles feuilles sèches et parfaitement imprimées.
Nous, d'ailleurs. C'est mon portable que je tire à sa gueule à défaut de ne plus avoir aucune munition. J'ai pris sa chaise de boss pour lui laisser l'embrasure de la porte ou pire, le siège face à son immense bureau là où il installe le pauvre petit peuple. « Commande un truc qui fait festif. Si y'a du caviar je teste sur toi le verre de tes fenêtres. » |
| | | | (#)Ven 18 Sep 2020 - 0:26 | |
| « T'es obligé d'être un connard dès que quelqu'un ne va pas dans ton sens? » Un point pour elle et Saül se tait. Rien ne va dans son sens en ce moment, mais il gère, l'italien. Ce sont les mots qui sortent le plus souvent de sa bouche ces derniers temps, si bien qu'on pourrait faire un bingo, si bien que quiconque lui demandera son prénom sera désormais gratifié d'un je gère tant le tout est devenu automatique. C'est dans sa tête, tout le temps, je gère je gère je gère, une litanie plus coriace que les extraits de prières qui traînent parfois dans son esprit comme un vieil étudiant accroché à la maison de ses parents. Je gère, quand le monde s'écroule doucement sous ses pieds et qu'il bondit pourtant à pieds joints partout dans l'édifice en ruines. Je gère, quand le prochain rendez-vous avec les avocats signera un peu plus son arrêt de mort sans qu'il n'en soit vraiment conscient. Je gère et moins encore qu'il ne l'admettra jamais, surtout lorsque Ariane lui balance le café à la figure.
Saül travaille, bien sûr. Comme un acharné, de jour et de nuit, si bien que Mac vient désormais le chercher comme un chien qu'on prend en pitié. Tout le monde semble trouver de parfaits moments pour le traîner hors de ce bureau depuis lequel il gère toute sa vie - et surtout, surtout celles des autres. C'est plus facile que de se concentrer sur le chaos environnant. « Dis-le à ton haleine de milieu de nuit et à tes cheveux qui sont pires que jamais. » Ariane file, Ariane a déjà tourné à l'angle du couloir, Saül la rattrape comme il sait si bien le faire. On croirait que la mécanique est bien huilée, que l'italien en a l'habitude. C'est peut-être un peu vrai.
« Et boire toutes mes réserves de scotch apparemment. » « Je ne suis pas un alcoolique. » Ou peut-être en devenir, simplement. Son CV brille, en tout cas. Saül est un élève appliqué. « Il est quand le bon moment alors? Que je le mette à mon agenda, et que je suive mes engagements, moi. » « Oh c'est ça alors, tu as des engagements maintenant, plus un brin de patience ? » « C'est toi le boulet au poignet là. »
Le voilà qui desserre la prise juste quand Ariane se détache du même coup. Sa joue brûle déjà de la gifle qu'elle va probablement lui infliger. Il attend, Saül, les yeux glacés. « J'ai pas signé pour être avec l'épave de toi-même dude. Tu divorces et tu bosses comme un acharné. T'es pas dans les tranchées à défendre ton pays non plus. » Un rire, un seul, amer, avant de faire monter le ton de quelques décibels. « Oh désolé, j'avais oublié que mettre vingt ans de mariage derrière soi ne prenait que quelques secondes. » « Dégage. » Qu'il se pousse ou pas, Ariane le contourne. Le temps que Saül tourne la tête, l'auteure est déjà passée dans le bureau.
Elle s'affaire. Saül l'observe, la mine difficilement de marbre. Elle s'affaire et lui ne met que quelques secondes avant de faire de même, dans le plus grand silence, quand il attrape pour elle toutes les chemises cartonnées dans lesquelles ranger les nouvelles photocopies. « Commande un truc qui fait festif. Si y'a du caviar je teste sur toi le verre de tes fenêtres. » « Tu n'es pas obligée, Ariane. Je finirai de ranger le foutoir. » Il l'attrape pourtant, le téléphone qu'elle lui tend. Un truc qui fait festif. « Tu as quelque chose d'autre à fêter que le livre ? » C'est là qu'il s'éloigne pour l'embrasure de la porte, au cas où elle choisirait de lui lancer un autre verre à la figure.
Ils mangent en silence, quand le livreur est passé leur poser les toasts, ceux qu'ils auraient dû prendre au restaurant ensemble. Le reste, de la cuisine française et deux tartelettes aux fraises que Saül n'a commandé que pour se faire pardonner sans y mettre les mots. Ariane est toujours assise dans ce grand siège, Saül de l'autre côté. Il règne un grand silence depuis que l'imprimante a cessé de fonctionner à plein régime, depuis que tous les papiers ont retrouvé leur chemise cartonnée. « On pourrait rentrer. » De nouveau, Saül pose ses yeux sur les épaules d'Ariane, regard qu'il n'a plus osé poser depuis le couloir et la poigne trop forte. « Je ferai du tiramisu. » Du futur, pas du conditionnel. Tout le tiramisu du monde pour les ramener au temps où tout était tranquille, où l'adrénaline les maintenait encore en vie. Ils pourraient rentrer, quitter ce terrain hostile. Et peut-être qu'un jour, le terrain hostile se trouvera sous leur propre toit.
Ou peut-être est-ce déjà le cas. |
| | | | (#)Mar 22 Sep 2020 - 22:23 | |
| « Je ne suis pas un alcoolique. » « T'en as l'allure. » « Oh c'est ça alors, tu as des engagements maintenant, plus un brin de patience ? » « Je t'ai assez attendu pour une vie, qu'on soit clairs. »
Il est un boulet et tant mieux pour lui, le voilà qui comprend une fois ma langue ayant suffisamment claqué sur mon palais. Et lui, il lâche enfin mon poignet. « Oh désolé, j'avais oublié que mettre vingt ans de mariage derrière soi ne prenait que quelques secondes. » qu'il dégage. Qu'il se la ferme et qu'il dégage, je le lui dirai pas d'un regard noir de plus que celui-là. Celui qui se plante dans ses prunelles glacées et glaciales, celui qui accompagne ma silhouette le poussant sur le côté pour finir en sens inverse de là où j'allais de base. Rien n'est jamais comme c'était prévu entre lui et moi ; qui ça étonne.
Ceux qui seront étonnés, ce sont les parieurs qui croyaient que j'allais me tirer. Ceux-là même qui me connaissaient par coeur ou pas du tout, ceux qui savaient que du moment où je décide que c'est terminé, ça l'est pour vrai. Pourtant, faut croire qu'il reste encore des éclats suffisants pour que je photocopie ses feuilles de merde, pour que j'attrape les pochettes qu'il me tend même si lui-même insiste pour que je parte. « Tu n'es pas obligée, Ariane. Je finirai de ranger le foutoir. » et il l'utilisera pour devenir une autre excuse en or, gravée et parfaitement moulée pour un alibi de merde de plus. Non? J'avise. « Tu as quelque chose d'autre à fêter que le livre ? » « Je commence par tes dents ou j'abime encore plus ton nez? » sur le même ton que lui, les battements de paupières et le sourire noyé de condescendance en prime. Qu'il abuse pas. Des chances comme ça, il en aura pas des tonnes au compteur.
« On pourrait rentrer. » le silence, c'était bien. Le silence c'était relatif aussi, compte tenu du fait qu'on entendait les voitures passer en écho malgré le fait qu'on est bien tout en haut de sa tour d'ivoire là où rien ni personne peut nous atteindre. Sauf nous-même que je devrais dire, ou une connerie du genre. « Je ferai du tiramisu. » je soupire, avalant une dernière bouchée au goût de carton et d'amertume, de déception mais surtout d'envie d'être une conne naïve encore un peu plus. D'être aveugle à un nouveau niveau atteint, de l'aimer assez fort pour retenir la (les) claque(s) que j'aurais eue(s) envie de multiplier derrière sa tête depuis la dernière heure et j'en passe. « T'as été un connard ce soir. J'espère que tu sais. » il sait, je sais, tout le monde le sait. Et pourtant on continue à s'enfoncer parce que c'est que temporaire. Ça a bien besoin de l'être.
« On rentre. » le compte à rebours est lancé. |
| | | | | | | | such a beautiful soul, you deserve your own island (willer #22) |
|
| |