Elles étaient toutes pareilles, les lectrices. Sophie semblait dire que non, qu'on visait des tas de publics différents, que c'étaient pas des copiées collées et qu'il fallait que j'arrête de les voir ainsi parce que ça allait tuer mon potentiel de sympathie - lol - d'auteure vedette en devenir - re-lol.

À mes yeux, elles sont toutes identiques parce qu'elles ont toutes le même problème que moi. Et quand je les vois s'attrouper dans la salle qu'on nous a réservée à la librairie pour la lecture de chapitre du soir, c'est tout comme. Elles ragent d'un gars qui leur a brisé le coeur, elles ragent d'un type qui s'est barré en les laissant pantoises, derrière, à espérer. Elles se reconnaissaient dans mes écrits quand ma première nouvelle est sortie, celle qui racontait leurs histoires d'amour déchues auxquelles on retravaillait la fin pour leur donner espoir que dans un autre monde, ça finisse bien. Celui-là fait encore plus mal comme bouquin, parce qu'il s'attarde à leurs histoires de lendemain matins à travers mes mots. Quand elles se font pousser du lit parce que la vie de l'autre continue et qu'elles n',en font pas partie, quand elles se font chasser des draps parce que la veille elles étaient le monde en entier, mais qu'aujourd'hui elles ne sont plus rien. Charmant.

C'est pas encore à moi de lire, mais elles s'attroupent par petits groupes à ma hauteur pour que je signe leur première de couverture. Ça changera absolument rien à leur vie et encore moins à leur soirée, sauf peut-être leur donner une preuve qu'à quelque part y'a quelqu'un qui les connaît ou même qui les reconnaît. Ce qui est triste à mon sens, autant triste pour elles que ça l'est pour moi ; passons.

Puis, elle est là, Elise. Une coupe de champagne dans une main, le regard qui dérive là où sa pote ou ce qui semble à première vue l'être lui pointe un truc que je vois pas. Je vois qu'elle. Saül est pas là et c'est pas étonnant, qu'elle soit ici par contre ça l'est amplement. Je peux pas concevoir qu'elle soit venue en connaissance de cause, je peux pas non plus penser qu'elle va rester à la seconde où ses prunelles croiseront les miennes. Ah tiens, voilà qui est fait.



   
@elise williams

Viens qu'elle avait dit. Ça va être fun qu'elle avait tenter de te convaincre. T'as besoin de te changer les idées qu'elle avait lancé comme ultime argument pour te faire sortir de ta grotte. Et merde, oui, tu as finalement dit oui pour aller à ce stupide lancement d'un livre d'un auteur qui ne t'intéressait même pas - bon t'en sais rien, tu n'as même pas chercher à savoir le nom belle erreur - et d'un sujet que tu avais encore plus rien à faire - ça non plus tu ne t'es pas vraiment renseigné. Tu as juste dit oui pour lui faire plaisir. Tu as juste dit oui pour qu'elle arrête de te harceler. C'était une belle erreur de dire oui, parce que ce ne serait pas fun du tout, parce qu'être ici te rapprochait plus du problème qu'autre chose. C'est elle le problème. C'est ce qui pousse dans son ventre qui te fait sentir aussi vide. Oh ce que la vie serait plus belle si tu te serais simplement sauvé à Bayside comme prévue.

Tu as envie de t'en aller. Vraiment. Tu as envie de simuler une migraine que personne ne croira, puisque tout le monde sait déjà que tu venais à reculons. Mais ouais, tu n'as pas envie d'être ici. Pourquoi est-ce que tes jambes n'écoutent pas ta tête ? Pourquoi est-ce qu'elles marchent vers elle au lieu de la sortie ? Tu vas lui dire quoi au juste ?

Juste, va t'en Elise.

Qui est-ce que tu vas écouter si tu ne t'écoutes pas toi-même ? Personne visiblement. Parce que c'est quand même à côté d'elle que tes pas s'arrêtent sans même que ton regard ne se pose une seule seconde sur elle. Le bouquin, son bouquin que tu attrapes d'une main, que tu observes quelques instants silencieuse d'un côté et puis de l'autre. Un recueil de nouvelle sur les morning after. Oh ce qu'elle est douce l'ironie. « C'est laquelle qui parle de notre mari ? » Ton regard qui vient enfin se planter dans le sien. Elle est belle Ariane. Elle rayonne toujours les foutus femmes enceintes. « Que je sois particulièrement attentive sur celle-là. » Parce que aucune autre ne t'intéresse de toute façon. L'échange de regard entre vous deux se trouve soudainement brisé par tu-ne-sais-qui qui vient lui annoncer que c'est bientôt à son tour de faire la lecture de quelques pages.

« C'est laquelle qui parle de notre mari ? » oh, okay, on va là déjà.

Parce qu'elle, elle y est et elle y est bien. Ses pas auraient facilement pu s'éloigner, elle aurait même pu se tirer - et jamais personne ne lui en aurait tenu rigueur. Je me serais pas moqué, j'aurais certainement pas souligné le fait qu'elle était là aussi, surtout. Je suis pas là pour faire de la casse dans sa vie à elle même si tout porte à croire le contraire. J'ai juste jamais pensé à elle dans toute cette histoire. Valait mieux. « Que je sois particulièrement attentive sur celle-là. » elle se fait du mal pour rien. Elle va écumer chacune d'entre elles fort probablement de toute façon, ça serait ce que je ferais à sa place. Trouver des significations et d'autres conneries du genre même dans les interlignes tellement j'en voudrais au monde entier et surtout à lui pour rester objective. Ou je brûlerais ma copie - et la librairie en entier, avec. Ouais, ça, ça me ressemblerait plus si j'étais dans son rôle à elle.

Et si j'étais dans son rôle à elle, aussi, surtout, je tolèrerai absolument pas qu'on me mente. Elle a déjà donné. « La troisième. » celle qui est banale, celle qui résume matin après matin, celle qui ne pointe aucune personnage autre que le principal, celle qui recommence encore et encore comme un véritable jour de la marmotte. « Et la sixième. » elle fait mal elle. Elle fait mal parce qu'elle parle de la première fois, parce qu'elle parle pas de la première fois en tant que tel, mais plutôt de la première fois où je suis restée toute la nuit - et lui aussi. « Tu vas adorer l'avant-dernière. » elle fait mal elle aussi mais bien plus à l'orgueil. Le sien, celui du gars qui a attendu pendant une soirée en entier sans que j'y aille, sans que j'en ai envie. Elle est douce l'ironie sachant que ce soir c'est moi qui l'attend ici sans l'attendre vraiment. Il vient pas, il vient plus jamais.

On me fait signe d'approcher, je traîne du pied. « Elle garde le meilleur champagne sous la table de dédicaces. » du menton, je désigne Sophie l'éditrice et aussi la fourbe aussi égoïste que moi quand il s'agit d'une bonne cuvée de bulles. La traître qui les garde proche, même si je lui ai dis que je buvais pas - et que jamais elle saura pourquoi. Les murs sont minces, ici. Sûrement qu'Elise sait même déjà.

Dis aucune. Dis aucune. Dis aucune. Parce que tout le monde sait que les histoires de coeur ça l'inspire personne. « La troisième. » Ouais, okay. C'est la source d'inspiration numéro un pour les écrits et les mélodies. « Et la sixième. » Elle exagère. Il est quand même pas si inspirant que ça Saül. Elle a le temps de faire le tour deux fois dans une seule nouvelle. Pfffff « Tu vas adorer l'avant-dernière. » « Laisse-moi en douter » Et tu te déteste déjà pour n'avoir aucune autre solution que celle d'acheter ce bouquin et d'en détester chaque page, de lire de quoi il a l'air Saül quand il est amoureux. Tu n'es pas bête. Il ne sera jamais pour toi le regard amoureux qu'il doit avoir avec elle. Tout comme il n'aura jamais droit au tien. Pourtant, tu l'aurais quand même voulu pour toi toute seule, égoïste.

Tu te fais mal à la détailler, à examiner chaque parcelle de sa peau parfaite à la recherche du moindre défaut, à faire la liste mentale de tout ce qu'elle a que tu n'as pas, à t'inventer toutes les raisons du monde pourquoi il l'a choisit elle plutôt que toi. Facile. Elle fait des bébés. Toi non. Il se fend en deux ton coeur, si c'est encore possible. « Elle garde le meilleur champagne sous la table de dédicaces. » Ce n'est qu'à ce moment là que ton regard se détache d'elle pour observer la supposée réserve secrète qui ne t'intéresse pas vraiment. « Dommage que tu puisses pas en profiter » Voilà qui met les choses au claire.

« Il est où ? » Parce que ce soir semble une soirée relativement importante pour elle. Même elle, elle n'est pas plus importante que son boulot ? Voilà une jolie réflexion qui apaise tes malheurs. « Réunion international de dernière minute, c'est un code secret pour le poker au cas où ca t'intéresse. » que tu lui dis avant de retourner là où tu étais quelques minutes avant, le bouquin en plus. Ils l'attendent après tout. Et puis, combien de fois tu l'as entendue qu'ici il est peut-être minuit, mais que là-bas c'est le matin ? Les affaires ne dorment jamais Elise gnagnagna. Foutaise. Tout le monde savait que c'était un mensonge. Mais toi comme lui faisiez comme si tu le croyais. C'était plus simple.

Sophie garde jalousement le bon champagne parce que je lui ai bien appris, parce qu'elle sait parfaitement mettre son cerveau machiavélique en action sans qu'on ait besoin de lui dire de le faire. « Dommage que tu puisses pas en profiter » ouais, dommage à fond. Fût un temps j'en aurais rien eu à chier et je l'aurais bu d'un trait, la flûte de bulles qu'on m'a tendue à quelques reprises déjà. Mais apparemment je veux bien faire les choses cette fois-là. Wait, what? « Qui t'a dit? » je m'en doutais. Bien sûr que je savais qu'elle, elle savait. Le jeu est toujours fun de voir qui est l'irresponsable imbécile qui lui a dit et ce, j'en juge par la rictus qui passe sur son visage, avec le moins de tact possible.

« Il est où ? » god only knows. « Réunion international de dernière minute, c'est un code secret pour le poker au cas où ca t'intéresse. » elle a au moins le mérite d'être marrante, faut lui donner. C'est presque avec un sourire sincère qu'elle précise la ruse en plus, et si le fait qu'elle sache clairement ce qui se trame sans que j'ai le moindrement cafté sur le sujet me fait royalement chier. N'en reste qu'elle est probablement la seule qui comprend un peu ce qui se passe sans mot dire. « Ce soir c'était "Appel avec la Chine pour finaliser un nouveau contrat". J'ajoute quoi au lexique pour celle-là? » vaut mieux en rire. Vaut mieux laisser tout le reste de côté aussi. Je suis une connasse de première, mais je suis pas non plus ingrate au point de lui parler de la situation sans que ce soit une horreur pour elle. Elle a déjà donné et je le répèterai jamais assez ; j'ai jamais voulu qu'elle fasse partie des dommages collatéraux.

« Tu restes ou tu pars? » ça aidera à définir l'extrait que je vais lire. Ça aidera à choisir aussi si je me tire tout de suite après, ou si je reste dans le coin en espérant que rendue là, elle n'ait pas (encore plus) envie de me crever les yeux ou autre synonyme. Parlant de crever des yeux, ça m'étonne que son petit chiot d'Etish soit pas dans les parages non plus. Étonnant.

« Qui t'a dit? » Quoi ? C'était un secret ? Pour toi, assurément. Surtout en vue de comment tu t'en servait contre Saül. Cette grossesse est la cerise sur le sunday pour plaider ta cause dans le divorce. On dirait presqu'il le fait exprès Saül de te laisser gagner aussi facilement. Tu t'attendais à un meilleur combat. Quoi qu'il se reprend plutôt bien du côté psychologique. Tu gagnes que le fric. Il gagne tout le reste. « J'ai reçu le cadeau de félicitation. » Tu te souviens encore de cet horrible cadeau prisonnier des mains d'un Auden sous le choc. Tu te souviens encore de cette journée qui t'a carrément poussé dans le gouffre. Mais ça va, tu en ressort. Doucement, mais sûrement.

« Ce soir c'était "Appel avec la Chine pour finaliser un nouveau contrat". J'ajoute quoi au lexique pour celle-là? » Tu fais mine de réfléchir. Vraiment. « Dure à dire. J'ai toujours eu un peu de mal à comprendre celui pour la maîtresse. » Il est crue le sourire qui se glisse sur tes lèvres. Tu ne l'avais pas vue venir celle-là. Tellement pas. Tu t'es repassé les derniers mois sans arrêt sans arrivé à mettre le doigt sur la défaite - les défaites plutôt - qu'il te donnait pour aller se glisser sous sa couette à elle. Tu te doutes qu'ils étaient dans ses nombreux voyages d'affaires. Mais tu ne sais plus ce qui a été vrai, ce qui a été faux. S'il en a eu d'autres avant elle. Possible. C'est sûrement pour ça que tu ne t'en ai jamais rendue compte. Parce qu'il en avait toujours eu une autre.

« Tu restes ou tu pars? »
« Je reste. »

Sans que tu saches vraiment pourquoi tu ne prends pas tes jambes à ton cou. Sans que tu saches ce qui te donne envie de rester. Ah oui, pour te faire mal à écouter ses mots à elle qui te vole ta vie douloureusement parfaite. Tes pas s'éloignent d'elle qui va prendre sa place devant tout le monde pour la lecture de son bouquin poche.

« Dure à dire. J'ai toujours eu un peu de mal à comprendre celui pour la maîtresse. »
« T'es douée. »

Elle a repris des couleurs Elise, elle a moins l'air d'une épave que la dernière fois et c'est tout à son honneur. De l'entendre piquer ainsi aurait pu me faire grincer des dents, de la voir prendre ses aises et imaginer des scénarios catastrophes où c'est à moi de recevoir le retour de l'ascenseur aurait pu me faire rager. Mais elle a bien le droit d'avoir une riposte, elle a bien le droit à une attaque autant qu'à de la défensive. C'est certainement pas de mon côté qu'on va le lui enlever - elle a déjà assez encaissé.

« Je reste. » alors elle est masochiste.

Sophie me fait signe de m'approcher, agite le livre sous mes yeux et le chapitre qu'elle a choisi rien que pour moi. Ils sont quelques dizaines, rien de bien alarmant, mais assez suffisant pour que je perde Elise des yeux une fois installée derrière le micro. Ouais, non, elle est toujours là, et si pendant une fraction de seconde je me suis dit que j'en avais rien à chier d'elle et de ce qu'elle pourrait bien entendre de ma bouche concernant son ex-cher et tendre, la vérité c'est que j'ai quand même un semblant de coeur. Je crois. Pas sûre. « Pas ce soir. » mais suffisamment pour me tirer du piédestal, passer à la cachette de mon éditrice pour récupérer une bouteille de bon champagne et lui faire signe de me suivre quand ça ne sera pas ce soir donc, que j'ajouterai une couche sur son potentiel mal-être. Elle a l'air de bien aller, autant en profiter.  

« Ça fait partie du personnage, ils vont adorer détester l'auteure. » j'ai anticipé qu'elle suivrait. En plus de prendre un plateau d'hors-d'oeuvres bien trop facile à piquer sur le trajet inverse de la table de lecture à la porte de sortie. À voir si elle reste, ça c'est une autre question. En attendant - « Tu faisais quoi, en attendant? » justement. En l'attendant lui.

Toutes les personnes présentes forment un petit groupe, alors que Ariane se place derrière le micro. Laquelle de ces nouvelles elle va choisir en considérant le fait que tu restes ? L'avant-dernière ? Celle qui, selon elle, tu vas adorer même si c'est écrit dans le ciel que tu vas détester chaque mot de ce foutu livre. « Pas ce soir. » Sérieusement ? Ouais, elle est très sérieuse quand elle quitte la pièce, en te faisant signe de la suivre. Les murmures se font entendre dans la pièce, alors que son éditrice doit sûrement bouillir de l'intérieur.

Et oui, tu es la pire des connes, parce que tu l'a suivis.

« Ça fait partie du personnage, ils vont adorer détester l'auteure. » Vraiment ? C'est ça la vrai raison ? Sûrement pas. Elle l'a pas fait parce que tu es resté. Ce qui est complètement stupide, parce que même si elle ne lit pas ses lignes à voix haute, tu les lira toute seule comme une grande. « Tu faisais quoi, en attendant? » Okay. On est vraiment là ? À parler de ce mari commun ? À donner des conseils sur ce qu'est la vie avec lui ? Elle devrait juste s'en aller Ariane si elle ne supporte déjà plus de l'attendre. Elle n'a pas finit. « Je l'attendais pas. » que tu lui réponds en venant voler l'un des hors-d'oeuvres du plateau qu'elle tien entre ses mains. « Tu devrais pas non plus. Ça évite beaucoup de frustrations et de disputes. » Il y a longtemps que tu n'attendais plus après Saül. Il y a longtemps que tu ne posais même plus à savoir d'où il arrivait à une pareil heure, que tu faisais simplement semblant de dormir quand il rentrait aux petites heures du matin. Mais il avait quand même l'habitude d'être présent quand c'était important. Et clairement, ce soir, ce l'était pour elle. Il va s'en mordre les doigts d'avoir manqué ça. Son gros orgueil surdimensionné l'empêchera sûrement de le dire à voix haute.

« Je me souviens pas de grand chose de la dernière fois. » La plupart de la soirée - journée? - était un véritable trou noir. Tu te souviens à peine, qu'elle, elle était là. Il faut dire que tu étais déjà très avancée niveau alcool avant qu'elle vienne en ajouter une couche. Ce sont les messages textes incompréhensible, suivi de ceux parfaitement claire - et français - qui t'ont aidé à te rafraîchir la mémoire. « J'sais pas trop si je dois te remercier ou m'excuser. » Parce qu'elle t'a sûrement poussé dans un taxi qui t'a ramené jusqu'à chez toi - si seulement c'était juste ça. Mais aussi, parce que vu l'état dans lequel tu te trouvais, tu as dû être très désagréable.

Ça critique derrière, et j'en ai rien à battre. Toute forme de publicité, positive ou non, reste de la pub quand même. Elise se sert déjà dans les canapés et énièmes hors-d'oeuvres, j'ai l'impression qu'ils puent tous tellement mon odorat est décuplé. Quelle connerie d'être enceinte. « Je l'attendais pas. » quelle connerie d'être enceinte. « Tu devrais pas non plus. Ça évite beaucoup de frustrations et de disputes. » « J'préfère crever les abcès sur le moment. » et je préfère casser des dents, arracher des yeux, éclater des os. Chacune ses techniques j'imagine.

« Je me souviens pas de grand chose de la dernière fois. J'sais pas trop si je dois te remercier ou m'excuser. » ah. Ça, c'est fun. Ça l'est bien plus que de se rappeler qu'on a un mari en commun, mari qui donne autant l'impression d'être absent que d'être ambiant. « Les deux, mais pas à moi. T'as un message à envoyer au barman, un à ton gars qui parle français, et un à celui qui se fait attendre.  » à moi de faire genre j'ai faim alors que mon estomac se tord dès le lever et qu'il ne se calme que vers la fin de la journée. Mais personne saura ça, pas même Wyatt, et certainement pas l'enfant prodige, le médecin qu'est Yele. Le moins je montre que ça va pas le mieux - avec Elise, j'ai une carte joker parce que justement, la dernière fois, c'était elle qui allait pas. Chacune notre tour.

« T'as jamais eu envie de partir?  » j'ai la bouche pleine, autant parce que je suis une gamine impolie qui n'a jamais appris les bonnes manières le plus volontairement du monde, surtout parce qu'ainsi le mystère du peu de repas que j'ai avalés depuis je sais même plus quand est toujours intact. Bravo à moi. « Juste de te tirer, rien de bien méchant. » ça peut être juste une nuit, rien de bien méchant. Ou un billet aller simple sans date de retour fixe par exemple. Je tâte les options. « T'aurais été où? » et rendre ça le plus personnel pour elle aussi, ça compte. D'ailleurs, il est où son gars qui parle français?

« Les deux, mais pas à moi. T'as un message à envoyer au barman, un à ton gars qui parle français, et un à celui qui se fait attendre. » Ah. « Et c'est lequel que j'dois remercier ? » Tu paris un trois en trois pour les excuses. Mais les remerciements ? Clairement pas celui qui se fait attendre. Pourquoi ce serait lui ? Ce n'est sûrement pas non plus ton gars qui parle français. Il n'était même pas là. Ne sait même pas que cette soirée a seulement existé, n'a jamais parler des messages qu'il n'a sûrement jamais vu - qui ça étonne ? - ou qu'il fait semblant de ne jamais avoir vu. Il est rendu doué là dedans, faire semblant. Et puis le barman ? Clairement pas celui que tu dois remercier pour t'avoir laisser autant boire et vider ton porte-feuille. C'est lui qui devrait te remercier toi d'avoir rendu sa soirée si payante.

« T'as jamais eu envie de partir? » Tes sourcils se froncent presque automatiquement. Non. Jamais. Même dans les pires disputes, même dans les mots les plus durs, partir ne t'a jamais passé pas l'esprit. Parce que vous vous étiez promis jusqu'à ce que la mort vous sépare et, ouais, tu aurais crevé plutôt que de briser cette promesse. Ton partenaire ne semblait plus aussi doué pour préserver cette promesse. Et voilà où vous en êtes. « Juste de te tirer, rien de bien méchant. » Ah. Juste ça, alors. Elle a envie de se tirer, Ariane ? Déjà ? Tu ne donnes pas long feu à leur mariage. « T'aurais été où? » « Je suis partie souvent. » Quand plus rien n'allait. Quand même faire semblant devenait une corvée. Quand vous n'arrivez plus à respirer le même air. Et c'est curieusement arrivé souvent. Parfois, tu décidais toi même de partir. Mais la plupart du temps, c'était ses voyages familiales organisé par Saül qui se désistait toujours à la dernière minute, ceux que tout le monde faisait semblant d'être si déçu de ce boulot surprise de dernière minute qui ne peut pas être reporté, mais qui était au fond un grand soulagement, qui permettait à tout le monde de souffler un peu. Partir pour mieux revenir. « En Suisse la plupart du temps. » La Suisse, là où Cosimo se trouvait, restait ta destination principale. Qui ça étonne ?

« Pars où tu veux. On a des maisons partout. » Et qu'elle parte rapidement avant que plus aucune de ses résidences secondaires n'appartiennent à Saül, avant que tu n'en devienne l'unique propriétaire qui vendra la plupart d'entre elles. Tu ne t'es toujours pas décidé desquels tu garderais et desquels tu te débarrasserais.

« Et c'est lequel que j'dois remercier ? »
« Tu sais très bien lequel. »

C'est partout, dans sa voix comme dans le rictus qu'elle laisse passer une minuscule fraction de seconde, trop court pour le reste du monde mais trop présent pour mes prunelles acérées. Ça aide, de passer sa vie à observer les gens pour les critiquer ; on en vient à connaître chaque micro-expression comme si elle formait un grand panneau de signal d'alerte, d'alarme. C'est Saül qui l'a ramenée ce jour-là et c'est Saül qui a râlé mais qui est rentré avec elle. Dans certaines communautés, on serait célébrés pour notre mariage à trois. Ici, les seuls gens qui célèbrent sont ceux à l'intérieur à qui on remplit les coupes à ras le bord pour excuser l'absence de l'auteure fougueuse qui s'est laissée guider là où l'inspiration la menait. Foutaises.

« Je suis partie souvent. » elle a bien fait. « En Suisse la plupart du temps. » c'est pas dans ma nature et j'aurais pu parier que c'était pas non plus dans la sienne d'attendre. De jouer les poupées de chiffon, les potiches qui tapent du pied comme seul acte de rébellion. « C'est là où t'es allée avec Jet? » ma question pique mais mes mots sont pas du tout une attaque. Il fait bien ce qu'il veut et elle aussi. « Wyatt a des yeux partout. T'inquiètes pas, ton secret est le mien. » ça aide d'avoir un frère qui se fout le nez partout là où il ne faut pas. Ça fait chier 99,9% du temps, quand il aligne ses gars sur moi. La maigre part restante par contre, elle fait du bien.

Un temps. « Pars où tu veux. On a des maisons partout. » « C'est pas drôle si la réponse se trouve aussi facilement. » parce qu'on y revient vite. Au on et aux maisons, à leur vie sur laquelle j'ai empiété et qui désormais empiète sur la mienne. Juste retour de l'ascenseur i guess. « J't'enverrai une carte postale si j'y trouve du chocolat meilleur que celui en Suisse. » c'est qu'elle me ferait grincer des dents la comparaison. La carte postale que lui m'aurait presqu'envoyée y'a des mois de ça. Ça a l'air d'appartenir à une autre vie si vous me demandez.

Puis, c'est à moi de lui demander un truc. « Achète le pas. Le livre. » si elle est comme moi, elle en achètera deux copies. Une pour brûler, et une autre pour rager à chaque page, à chaque mot. « Tu mérites pas ça. » elle fait bien ce qu'elle veut. L'avertissement est là, elle reste une grande fille malgré tout.

« C'est là où t'es allée avec Jet? » Tes sourcils se froncent rapidement. C'est lui l'idiot qui est allé se vanter de ça ? Il essaie de la rendre jalouse sa Ariane ? C'est stupide. C'est pas comme si vous aviez franchit la ligne. Loin de là. « Wyatt a des yeux partout. T'inquiètes pas, ton secret est le mien. » Wyatt ? Okay, tu préférais la version où ça venait de Jet. Il est trop bizarre son frère. Il espère quoi en te suivant autant à la trace ? « C'est pas un secret. » Pourquoi ça en serait un ? Vous êtes tous les deux librent de faire ce bon vous semble. Et vous ne faites absolument rien de mal. « Mais non. C'est pas là qu'on est allé. » Non. La Suisse, c'est l'intouchable, au même titre que Grenade, autant que celle en Italie. Toutes ces maisons dans lesquels Cosimo a grandit sont inviolables. Encore deux sur trois qui n'ont pas été touchés. Ce serait bien que ça reste ainsi.

« C'est pas drôle si la réponse se trouve aussi facilement. » Ouais bah elle devra si faire à ce que la vie soit facile aux côtés de Saül. C'est quelque chose à quoi on prend rapidement goût. « J't'enverrai une carte postale si j'y trouve du chocolat meilleur que celui en Suisse. » L'incompréhension se lit assez facilement sur ton visage. Il y a même du jugement - juste un peu. C'est probablement juste une manière de parler. Elle parle sans rien réfléchir. Parce que tu n'en a rien à faire de cette carte postale que tu ne veux jamais recevoir. C'est pas parce que tu ne lui a pas encore arraché la tête que vous allez devenir super pote.

« Achète le pas. Le livre. » Techniquement, c'est Saül qui va l'acheter. C'est encore son argent tant que le divorce n'est pas officiellement prononcé. Elle prévient Ariane, mais elle sait déjà que tu vas en lire chaque page, probablement même plus qu'une fois. Tu l'as déjà fourré dans ton sac cette copie que tu tenais dans tes mains quelques minutes auparavant. Belle petite lecture de chevet en devenir. « Tu mérites pas ça. » « J'mérites pas quoi ? La vérité ? » S'il y a bien quelqu'un qui mérite de lire chaque mot c'est bien toi. Vaut mieux une vérité qui fait mal qu'un mensonge qui fait du bien. Parce qu'au finale, ça finit par faire mal quand même.

« Elle parle de qui les autres ? » Parce qu'il en a trois sur Saül. Mais les autres ? Jet ? Quelqu'un d'autre d'important pour elle ? Des types sans importance ?

« Mais non. C'est pas là qu'on est allé. » alors ils sont bel et bien allés quelque part. Pas que ça me regarde, pas que ça me fasse quoi que ce soit non plus, n’en reste que c’est chiant de pas avoir tous les éléments et je suis persuadée que Wyatt a fait exprès de garder des réponses pour lui rien que pour me rendre folle un peu plus. La famille, qu’il dise.

Derrière nous, on entend les gens à l’intérieur de la librairie qui font leur vie en rageant un peu à mon propos à travers. C’est pas comme si je leur accordais la moindre importance, de toute façon.  « J'mérites pas quoi ? La vérité ? » ouais, non, joue pas à ça Elise. La vérité, elle peut très bien l’avoir en posant les bonnes questions et pas en s’imposant une lecture qui la fera comprendre ,capter et encaisser tout ce qui lui a été caché pendant des années. « Le couteau dans la plaie en plus du sel, du citron et de la tequila. » que je râle, bien plus pour Elise que pour moi-même. Je lui ferai pas l’affront de la prendre en pitié non plus, mais si c’est du sadomasochisme qu’elle tente de s’infliger en lisant mes mots à propos de lui, elle serait bien plus heureuse à s’acheter la trilogie de Fifty shades on s’entend. « Elle parle de qui les autres ? » « Tu demandes pour savoir avec qui tu vas planifier tes prochaines vacances? » la pique n’en est pas vraiment une, elle me doit bien un retour d'ascenseur en allant butiner avec qui elle veut à mon palmarès.

Et elle a sûrement déjà chopé Jet d’un sens comme de l’autre, je peux pas la blâmer de vouloir renflouer les coffres et innover un peu. « Ce sont pas tous des types qui ont existé, y'a de la fiction aussi. » parce qu’il y a une connerie de droits qui doit être suivie, pour ce genre de nouvelle-là. Qu’on doit avoir un ratio plus haut de fiction que de réel pour pas appeler ça un récit biographique, ou pire, une autobiographie. « La dernière est à propos de ton boy toy. » si ça l’intéresse, de savoir à quel point Jet m’a brisée au fil des années, c'est au dernier chapitre qu'elle doit se rendre. À savoir un peu à quoi elle doit s’attendre elle-même pour leur suite.

« Le couteau dans la plaie en plus du sel, du citron et de la tequila. » Tu roules les yeux. Rien à faire ce qu'elle peut penser que tu mérites ou non. Rien à faire de ce qu'elle te conseille de ne pas faire. Tu vas n'en faire qu'à ta tête, comme d'habitude. Et tu vas possiblement le regretter. À suivre. « Tu demandes pour savoir avec qui tu vas planifier tes prochaines vacances? » Alors, vous y revenez encore à Jet. Elle est jalouse ? C'est qu'il en jubilerait probablement si tu lui dirais... ce que tu ne feras pas. Bien sûr. « Personne dans ton bouquin j'espère. » Avec qui elles seront tes prochaines vacances ? Aucune idée. Damon, probablement. Alors non, personne dans son bouquin - vaut mieux pour elle. Quoiqu'elle a sûrement un écart d'âge moins élevé avec le fils qu'avec le père.

« Ce sont pas tous des types qui ont existé, y'a de la fiction aussi. » Bon, alors, elle écrit un bouquin sur des types qui n'existes pas ET sur Saül seulement. Gé-ni-a-le. « La dernière est à propos de ton boy toy. » Oh ce que les paroles de l'auteure t'offusque, toi, la sainte-ni-touche. Et chaque mots, chaque intonations, chaque mimiques de ton visage ne fait que confirmer le tout. « C'est pas mon- » que tu commences, les mots suivants qui te roulent dans la bouche. Qu'est-ce qu'elle s'imagine ? Tu n'es pas comme ça toi. Tu n'es pas comme elle - on a le jugement facile ici. Tu en es le parfait contraire même. Vraiment ?

Et puis, qu'est-ce que tu fais encore ici  avec elle de toute manière ? « Tu devrais retourner voir tes fans avant qu'ils s'impatientent. » La copie de son livre pourris que tu viens fourrer dans ton sac - la preuve que tu n'écoutes nullement ses conseils - puis la bouteille du champagne que tu prends - ce serait dommage de la gaspiller. Et ouais, c'est que tu risques d'en avoir besoin en lisant ces mots qui ajouteront une épine de plus dans ton coeur. Qu'elle aille rejoindre ces fans. Qu'elle aille leur faire sa fameuse lecture qu'ils attendent tous. Cette fois-là, tu ne serais plus là pour entendre les cruels mots de sa bouche à elle.

« C'est pas mon- »
« T’as bien le droit de t’amuser toi aussi. »

C’est son boytoy, rien qu’à voir l’air qu’elle arbore c’est pas hyper compliqué à capter. Pauvre Elise qui pense qu’elle doit se justifier avec moi, qu’elle doit garder les apparences et les masques en place avec. On a passé ce stade-là quelque part entre la fois où elle m’a gerbé sur les chaussures et celle où elle s’est tirée avec Jet pour aller voir du pays aka sa villa louée pour qu’il écrive là où il écrit juste pas. C’est à qui va piquer le mec de l’autre et même s’il est un merdeux de la pire espèce je sais très bien que si elle a besoin de se changer les idées et de voir un peu d’ailleurs, Etish est le parfait candidat pour la sortir de sa zone de confort une bonne fois pour toutes.

Elle soupire, elle a pas de fun. Elle voudrait être à mille autres endroits qu’ici et encore une fois, on est pareilles sur ce coup-là. « Tu devrais retourner voir tes fans avant qu'ils s'impatientent. » oh mais quelle conne de prendre le livre en vrai. Quelle idiote qui se fait du mal pour rien et qui au moins a la décence de chopper le champagne avec. De s’assurer qu’ainsi elle pourra cuver à chacune des pages qui glissera sous ses doigts. « Ouais, je devrais. » si j'avais un cœur le moindrement ce serait probablement ici et maintenant qu’il se serrerait de la voir se relever, prête à aller éplucher chacun des chapitres à la recherche des explications sur le pourquoi du comment, des détails qui lui manquent dans l’histoire pour arriver à comprendre à quel moment il a commencé à lui mentir, à quel moment j’ai commencé à gagner et elle à perdre. C’est malsain mais je suis pas sa mère et à sa place, je les voudrais moi aussi, les réponses. Chacune d’entre elles.

« Profite bien de Grenade. » que mes lèvres lâchent, quand elle a déjà tourné le dos et qu’elle est à plusieurs pas de moi. Ça, elle l’a gagné. Dans un autre monde, j’aurais presque même pu dire qu’elle l’a mérité.