J’ai déjà pris la route en étant ivre, mais pas aujourd’hui. Qu’ai-je récolté ? Un accident de voiture et une panoplie d’emmerdes. Dans ma souffrance, je considère aujourd’hui que l’incursion de Sarah dans ma relation avec Raelyn a grillé nos chances de réconciliation. Pourquoi me pardonnerait-elle à nouveau quand j’ai eu l’occasion de laver ma conscience de tous mes secrets ? Pourquoi le ferait-elle quand j’ai, à ses yeux, posé un choix entre nous et ma vengeance et qu’a priori, la première option n’était pas capitale à mes yeux ? Pourquoi m’appelerait-elle pour amorcer une nouvelle discussion susceptible de me désencombrer de ma douleur ? Et, dans ces conditions, pourquoi rester à Brisbane ? Pour mon bateau ? Pour mon projet de destruction ? J’ai déposé les premières pierres la semaine précédente et le constat est déplorable : je ne me sens pas mieux. Et pour cause, j’abandonne derrière moi la plus belle “chose” qui me soit arrivé depuis des années. Autant dire que je n’ai pas envie de danser une gigue en l’honneur de la joie. Je n’ai pas non plus envie de m'encroûter dans mon salon à attendre que l’impossible se produire. Alors, je suis monté dans ma voiture, j’ai pris la route vers Kilcoy et, aujourd’hui, je fais machine arrière. Je me suis enfoui trop vite : j’ai oublié des documents, des vêtements qui me ressemblent bien plus que ceux que j’ai abandonné dans les armoires de la ferme et que mon PC également. Or, sans lui, je suis paralysé. Toutes les informations importantes concernant Sofia et le Club sont centralisés sur son disque dur et c’est par ce biais qu’Olivia et moi avons appris à communiquer récemment (sauf en cas d’urgence, bien entendu.) Suis-je néanmoins pressé d’affronter les souvenirs que j’ai laissé derrière moi sur le catamaran ? Assurément, non ! Plus j’approche, plus j’angoisse. Dès lors, une fois sur place, je me hâte à rassembler mes derniers effets. Je fais l’impasse sur mon envie de boire un verre - voire plus - qui m’anesthésierait un peu. Aussi suis-je sobre d’avoir si vaillamment lutté lorsqu’une voix puissante a hurlé mon prénom, une voix que je reconnaîtrais entre mille tant je l'abhorre : Alec Strange.
Loin d’être naïf, je sais pourquoi il est là. Je devine aisément ce que cache cette intrusion et l’agressivité avec laquelle il me cueillie quand j’ai montré le bout de mon nez. Je n’ai pas à me cacher de lui : je ne suis ni lâche ni honteux d’avoir fait éclater la vérité. Les seuls remords que je nourris, c’est vis-à-vis de celle que nous pleurons tous les deux pour, j’en suis certain, les même raisons. Il est amoureux d’elle. J’en suis convaincu et cette démonstration me confirme qu’il est bien plus pleutre que je ne le serai jamais, que je ne l’avais envisagé : plutôt que d’être honnête, d’avouer ses sentiments et les manigances de Mitch, il a regardé sa dulciné se vautrer dans la luxure, puis dans l’amour passion, sans broncher, sans lever le petit doigt, sans se battre. Qu’ai-je donc à craindre de lui ? Ai-je même du temps à lui consacrer pour d’autres raisons que la jubilation ? Je ressemble à Lou Aberline avec mon sourire en coin. Il est narquois et défiant. « Ma faute ? » lui ai-je lancé sans plus de cérémonie, la porte de la cabine refermée derrière moi. Jambes et bras croisés, je m’y adosse et je le détaille avec une satisfaction insolente. Nul doute que je remercie ma volonté d’avoir bataillé contre l’appel de la boisson. Ce soir, je suis le plus digne de nous deux. Ce soir, je ne suis pas pitoyable malgré ma douleur. Ce soir, c’est lui qui est écrasé par la culpabilité et non plus moi, faute à tout ce qu’il a indirectement fait enduré à Sofia. « Tu me reproches quoi exactement ? De lui avoir ouvert les yeux sur celui que tu étais ? » ai-je sifflé tel un oiseau moqueur. « Le responsable, c’est toi. Tu as fait des choix, j’ai fait les miens. C’est à toi d’assumer d’être un tricheur.» Moi, j’ai ma part ! Elle est grande déjà. Je n’ai pas d’énergie à gaspiller pour ces états d’âme.
Je le dévisage avec une défiance insultante, mais je n’en mène pas large. ô, pas à cause de lui. Alec ne me fait pas peur. Qu’il me prenne au collet ne m’agite pas outre mesure. Je ne cherche même pas à évaluer mes chances de le mettre KO s’il perdait son calme et que nous nous bagarrions ici-même, sur le pont, avec pour témoin la mer agitée et les quelques badauds alertés par l’échaffaurée. Aurait-il le dessus sur moi grâce à sa masse musculaire et malgré mes années d’entraînement militaire ou ma ruse que je m’en moquerais éperdument : j’ai déjà gagné. En se pointant jusqu’ici, il m’a hissé sur la plus haute marche du podium. Son ivresse, c’est la médaille de bronze parce qu’il a mal lui aussi. Il souffre et il en témoigne sans pudeur. Or, je suis victorieux et je me sens perdant. Ma joie sera éphémère : je le sais. J’ai perdu plus de plumes que lui au grand concours des faux-semblants et des secrets. Raelyn ne se pendra plus à mon cou. Elle ne m’enjôlera plus non plus de ses moues badines ou boudeuses. Elle ne galvanisera plus de sa créativité et ne ravira plus mes tympans de ses éclats de rires qui ensoleillait mon quotidien. Elle est partie et les chances pour qu’elle me revienne sont aussi rare que de l’or ou du diamant brut. Elle m’a chassé et ma culpabilité à l’égard du mal que je lui ai causé est seul en cause si ma suffisance n’est qu’une façade. Heureusement, elle est fort belle. Rien ne laisserait présumer qu’elle est fissurée de toute part puisque je joue ma partition sans fausse note. « Cest pour ça que tu es là ? Pour discuter avec tes poings ? Où commence-t-elle ta lâcheté ? Et ou finit-elle, Alec ? » ai-je persiflé de ce timbre naturellement bas, de cette voix au débit lent, quoique bien plus qu’à l’accoutumée. Il est saoul et je ménage son cerveau. J’articule chaque mot parce que je veux qu’il les intègre, qu’il s’en souvienne, qu’il le hante à chaque fois que la lune se réveillera, qu’il s’en rappelle et qu’il me maudisse chaque jour que Dieu fait. « Où tu es venu parlé de ton frère et de sa méfiance peut-être. Qu’a-t-il fait pour me dégager ? Qu’est-ce qu’il a fait pour vous débarrasser de moi lui qui me déteste tant ?» Rien parce qu’il n’est qu’un pleutre, un imbécile, un homme sans couilles, un roquet qui aboie beaucoup mais qui ne mord jamais. Comprend-il son erreur de lui avoir été aussi loyal ? « Vous n’êtes que deux lâche, Alec. Et toi, tu es ridicule. Tu veux faire de moi ton coupable ? Mais depuis quand tu la connais la vérité ? Tu étais déjà au courant quand tu l’as relevée alors qu’elle pleurait VOTRE ami ?» J’ai insisté sur le déterminant avec une sadisme éloquent. Si j’ai trahi la femme que j’aime au profit de l’honneur de ma fille, j’estime que mon geste sera toujours plus noble que le leur. Comment a-t-il fait pour la regarder dans les yeux ? Comment s’y est-il pris pour se contempler ensuite dans un miroir ? Soudain, pour une phrase, pour un verbe, toutes mes hypothèses se sont matérialisées sous mon nez. Elles sont juste là, à mes pieds. Il me souffle les raisons qui les mue en certitude de son haleine chargée d’alcool et, bien que ma jalousie s’éveille, quoiqu’elle menace de rompre mes propres serments - frapper le premier - j’opte sans scrupule pour ce nouvel angle d’attaque. « Je ne l’ai pas éloignée de toi. Mais, dis-moi, depuis quand tu es amoureux d’elle ? Depuis quand tu as compris que tu étais trop fade pour elle au point de le cacher ? Et depuis quand tu as envie de me casser la gueule parce c’est avec moi qu’elle couche quand tu en rêves toutes les nuits ? » Un sourire mauvais s’est étiré sur mes lèvres. Il a un air carnassier parce qu’une part de moi est heureux de ne pas m’être fié aux postulats que Rae a jugé évidents pendant que l’autre crève qu’elle soit l’objet de ses fantasmes. La voit-il nue dans ses chimères ? J’en crève rien que d’y penser. J’en crève et, cependant, je fais fi de la menaces d’une rouste pour ajouter : « Tu devrais baisser les armes et accepter que si tu veux qu’elle te revienne… en tout amitié… tu devrais me traiter avec le respect que tu me dois parce que je suis le seul à pouvoir t’aider. » A contre coeur néanmoins. Mais, je pourrais l’envisager pour ce qu’il pourrait lui être utile à défaut d’être à nouveau nécessaire amicalement parlant.
Qu’est-ce qui le tend, Alec ? Qu’est-ce qui le pousse à refermer sa prise autour de mon col ? L’insulte qui l’adjuge lâche ou l’évocation à son frère ? Quel honneur défend-il sur l’heure tandis que je le nargue de mon sourire jubilatoire ? Celui de l’âiné, ça me paraît évident. Il ne respire que pour cette ordure qui dispose de lui sans lui. La rumeur raconte qu’Alec se damnerait pour son frangin. Il ne se contenterait pas de lui donner un rein pour sauver sa peau, il lui offrirait son coeur sur un plateau et je ne sais qu’en penser. Serais-je prêt à de tels extrémités pour ma fratrie ? Nul doute que je leur sacrifierais une partie de mon bonheur, mais jusqu’où serais-je prêt à aller ? Ai-je le droit de juger ce type ivre en manquant d’objectivité sous prétexte que je le déteste ? Qu’il a contribué à m’arracher ma fille ? Pour elle, j’aurais gravi le mont Everest sans filet, à mains et pieds nus. J’aurais négocié avec le Diable pour échanger sa vie contre la mienne. Elle était ma raison de vivre, ma fierté, ma seule réussite quand j’ai accumulé les échecs et ils me l’ont prise. Dès lors, je bride toute impartialité. Je musèle mon empathie bienveillante parce qu’il ne la mérite pas, cet enfoiré qui me menace de son poing. Piqué à vif, il l’écrase contre la porte juste derrière moi, à quelques centimètres de mon visage, mais si je bronche, je ne sursaute pas sous le joug de la peur ou de la surprise. Mes yeux ne s’écarquillent pas non plus. Il ne m’intimide pas, le cuisinier. J’ai affronté plus d’horreur que cette masse qui fait mine de m’épargner un uppercut qui m’aurait certainement cassé le nez. Si je tourne la tête, c’est pour vérifier qu’il n’a pas endommagé mon catamaran pour, finalement, ne pas obtenir le résultat escompté. « Un peu de respect, tu veux. Il lui appartient.» l’ai-je affronté en replongeant mon regard satisfait dans le sien, bien plus vide. Sur papier, le bateau est bien la propriété de Raelyn quoique ça soit provisoire, et ce qu’importe l’état de notre relation. Sur ce sujet, je suis serein. En rapport à la relation qu’elle entretien - entretenait ? - avec Strange, je ne l’ai jamais vraiment été. Ce sera certainement mon prochain angle d’attaque. En attendant, je hausse un sourcil, surpris par l’argument de mon assaillant. Qu’est-ce que ça peut me faire qu’il ait été là pour la ramasser après la mort d’Aaron ? En quoi suis-je supposé être intéressé par la confirmation de ce que je devine aisément depuis un moment ? Qu’essaie-t-il de faire ? D’éveiller ma jalousie ? De me rabaisser au rang de pansement ? De sous-entendre que j’ai été l’empêcheur de tourner en rond choisi par Rae lorsque son mode de vie l’a lassé ? « Et ? » ai-je donc lancé, le voile du mépris couvrant la suite. « Par culpabilité ? Pour laver ta conscience vis-à-vis d’Aaron ? Tu l’as fait pour toi, pas pour elle, ça ne mérite pas sa clémence, pas même un merci. » Tout acte égoïste est condamnable et, sur ce point, je l’ai été autant que lui. C’était égoïste de conduire Rae jusqu’à Lou Aberline : je l’ai simplement compris trop tard. Alec, en revanche, il croit saisir mes motivations et il se calme presque instantanément. Que s’imagine-t-il ? Que je suis assez étriqué d’esprit pour détruire une amitié à cause de la jalousie ? Que l’idée qu’il puisse la désirer m’a empêché de dormir ? « Me ronger ?» me suis-je enquis, riant moi aussi, me moquant ouvertement de son analyse, au même titre qu’il pense pouvoir me railler d’être hilare. « Mais j’en suis fier au contraire. Fier que tu puisses la désirer et avoir le coeur qui s’est déchiré à chaque fois que nous aura vu ensemble.»
Une fois encore, je le trouve pathétique et je réalise qu’il lui manque ce soupçon de malice utile à s’élever ou à soulever le moindre intérêt de tout être intelligent. A se demander ce que Raelyn aura pu lui trouver pour qu’il retienne son attention. La force de l’habitude peut-être. Un moyen de duper sa solitude, je le souhaite. Au contraire, je serais déçu, car il est tout ce que je déteste. Il se justifie trop facilement. Il se perd en explication quand je me serais considéré, à sa place, comme étant la dernière personne qui méritait de les entendre. Quant à l’hypothèse où il essaierait de faire vibrer ma corde sensible, il aggrave son cas. « Quinze ans que tu crois la connaître et que tu aggraves ton cas. Elle n’aime que la vérité. C’est moi qui dois te l’apprendre ? » Quand j’en fais moi aussi les frais ? Quand j’ai peut-être trop tardé à lui confier mes projets ? Quand je me suis certainement mal pris pour qu’elle se rallie à ma cause ? Il y avait un espoir. Mon coeur me le chante en me traitant d’idiot chaque jour. « Tu l’aimes, oui. Mais, tu l’aimais mal, comme un lâche.» ai-je aussitôt ponctué, l’oeil aussi défiant que le sien. « Tu gaspilles ton énergie. Tu ne peux pas blesser avec mes propres certitudes. Regarde-toi, Alec.» Regarde-toi tituber et te comporter comme si j’étais le juge et toi le coupable. Regarde le plaisir que j’en tire par ailleurs. Regarde-toi rire comme un diable sortant de sa boîte, rire jaune, rire pour ne pas pleurer. « Tu m’as donné une occasion, je l’ai saisie. Tu as fait une erreur et il faudra l’assumer.» S’imagine-t-il que, finalement, nous sommes dans le même bateau ? « Et plus je t’écoute, plus je me dis que Mitchel ou non, tu l’as commise parce que tu ne la connais pas : elle n’a jamais eu besoin de toi, Alec. Raelyn n’a jamais eu besoin de personne.... Quinze ans, tu dis ? Quinze ans que tu l’insultes… pour ne pas assumer que c’est toi qui as besoin d’elle.» Puisqu’il est en fou, j’en suis convaincu et toujours adossé contre le chambranle de ma porte, bras croisés sur mon torse, je conclus d’un « Qu’est-ce que tu es venu chercher ici, Alec ? » Car je n’ai rien à t’offrir, si ce n’est des vérités qui font mal, qui lui font mal.
Dieu qu’elle grisante cette sensation que je le tiens par les “couilles” grâce à ma seule répartie. Face à elle, il est aussi désarmé qu’un enfant qui vient de naître. Ses tentatives pour se défendre ou me mettre à terre sont à peine plus agaçantes que le hochet qu’il balance devant lui. Il est pathétique et je le toise. Je ne cherche même plus à savoir si j’ai tort ou raison, s’il est bel et bien amoureux de Raelyn. Ce qui m’importe, c’est qu’à chaque fois que j’y fais allusion et il se justifie, Strange. Il courbe l’échine. Il pose genou à terre, à mes pieds, si bien que je me nourris de la satisfaction jubilatoire qu’il me suffirait d’un coup d’épée pour lui trancher la tête. Mon imaginaire s’éxécute d’ailleurs. Plus concrètement, mon plaisir se manifeste d’un sourire narquois, d’une oeillade contemplative qui respire la condescendance et d’un silence presque solennel. Plus il se débat, plus je suis fier. Je vais même jusqu’à hausser des épaules au lieu de l’agresser d’un “cause toujours” bien plus insultant. « C’est moi qui attaque, Alec ? Tu es sûr de ça ? » Car, de mon point de vue, ce n’est pas moi qui ai traîné ma carcasse jusqu’à chez lui. Ce n’est pas moi non plus qui lui offre le spectacle de mon ivresse. Ce n’est pas moi qui ai empoigné l’autre, menaçant, avant de renoncer puisque je suis tout sauf intimidable. Dès lors, je ris. Je m’esclaffe jusqu’à ce qu’il m’en coupe l’envie. Il vise juste cette fois. Il reprend du poil de la bête et je me souviens m’être fait la réflexion que je le préférais plus saoul et, par conséquent, dépossédé de ses moyens. Là, il me pique au vif. Mes pupilles s’écarquillent. Elles virent au cramoisi et c’est pis encore dès lors que je constate que je ne sais pas comment me défendre de cette réalité sans tomber dans la bassesse. Bien sûr, je pourrais lui dire que je ne suis pas auprès d’elle sous prétexte qu’il n’y a que lorsqu’il était question de lui qu’elle préférait être avec moi. Je pourrais ajouter qu’elle est le seul à avoir éloigné d’elle lorsque nous nous sommes acoquinés. Sauf que ça ne m’apporterait rien. De la colère non plus je ne tirerais rien de bon, pourtant, elle est là. Elle s’infiltre dans mes veines. Elle se propage jusqu’à mon coeur, jusqu’au bout de mes doigts. Je serre le poing d’instinct pour ne pas flancher, pour m’aider à conserver mon sourire sur les lèvres. Au fond de moi, cependant, je brûle du désir de lui décocher un crochet dont il se souviendra longtemps. Au lieu de ça, je m’accroche à la seule chose intéressante dans son discours : la cocaïne. « Je suis fier de vous avoir destitué, Alec. Pas d’être le corbeau qui a répandu vos secrets.» Qui plus est, je n’en suis pas le responsable. Si je tire la couverture vers moi, c’est juste pour le plaisir de me sentir moins con et de paraître moins désappointé - je le dissimule parfaitement d’ailleurs - par cette vérité : moi non plus je n’ai plus le droit d’être à ses côtés et c’est affligeant, plus encore quand il évoque ses vieux travers. « Du reste, elle ne se drogue pas. Tu t’es trompée d’années. » Où peut-être suis-je trop naïf ou trop bien installé dans le pays du déni. « D’époque, et de mec aussi. Je suis toujours autant effaré de la vitesse avec laquelle vous l’avez oublié tous oublié… » Tous à part elle. « Je suppose que tout est dit désormais. Que tu as terminé...» ai-je finalement conclu tout prêt à tourner les talons.
Il me nargue, Alec. Il a distingué la faille dans le mur de ma forteresse et il s’y infiltre à l’instar de l’eau profitant de toutes les lézardes pour envahir un espace vide. Or, il en a, de la place le Strange. Il en dispose de bien assez pour me noyer puisque je le suis, vide. Je suis vidé de tout espoir de réconciliation, éreinté d’être en lutte perpétuelle contre mes remords et mes regrets, bridé d’attendre une femme qui ne veut plus de moi, pas plus qu’elle ne veut de lui. N’était-ce pas son rôle que de se substituer à moi puisque je suis à l’origine de cette débâcle ? Sa question, je pourrais la lui retourner encore, lui demander pourquoi lui n’a plus le droit d’être avec elle, asseoir qu’il est l’unique coupable d’être le rejeté. Moi, je suis le dommage collatéral de ses mensonges. Je les ai mis en lumière et j’en paie le prix fort. Les Strange sont coupables de toutes mes peines, de tous mes tourments. Comment, dans ces conditions, ne pas avoir envie de le cogner dès lors qu’il se repaît de ma perplexité, de ma colère, de mes doutes ? Comment ne pas lui décocher un coup de poing afin que nous nous lancions dans un combat de titan dont l’issue tiendrait du hasard ou de la mesquinerie ? Où l’ai-je trouvée la force d’être en partie impavide quand il m’a incommodé de son haleine de whisky, de l’odeur aigre de sa sueur, de tout ce que mes sens exagèrent - il n’empeste pas, Alec - tant je le hais ? Sans doute l’ai-je puisée dans ce qu’il en serait trop heureux et que je ne serai jamais à l’origine de sa joie. Certainement l’ai-je ramassée dans ce que je nourris en pressentiment qu’il a encore un rôle à jouer dans cette histoire de vengeance…. Au contraire, j’aurais bondis sur lui tel un lion défendant son territoire. Sur l’heure, je demeure adossé à ma porte, employé à chasser ma rage et à le dévisager. Dit-il vrai ? S’est-elle pointée à sa porte droguée jusqu’à la moelle ? Etait-elle hystérique ? Transpirait-elle à grosses gouttes ? Avait-elle l’air cohérente ? Le cas échéant, d’où lui vient-il son sourire ? Ne devrait-il pas être inquiet ? N’est-ce pas devant le loft qu’il devrait traîner ses pénates pour la prendre en filature ? La houspiller jusqu’à ce qu’elle ouvre ? Défoncer la porte pour l’empêcher de se foutre en l’air à l’aide de l’arme qu’est la cocaïne ? Alec prétend l’aimer… pourquoi me donne-t-il l’impression de jubiler davantage pour mon comportement que de se tracasser pour cette amie ? Parce qu’il n’a jamais été son pilier et parce qu’il n’est rien d’autre qu’un menteur, le cadet de Mitchell. Il ne vaut pas mieux que ce dernier : des ratés, tous les deux. « J’aurais pu te croire Alec. Si tu ne me donnais pas l’impression de prendre un pied d’enfer, j’aurais même pu te donner ce que tu cherches puisque c’est la bagarre que tu cherches. » ai-je avancé sans baisser les yeux, en le toisant au contraire. « Mais, elle était sevrée quand Aaron te l’a présentée. J’ai bien appris mes leçons, tu sais. Je sais aussi que si tu disais vrai, c’est pas ici que tu serais, mais a genou devant sa porte jusqu’à qu’elle t’ouvre puisque tu aurais pas le cran de la défoncer. » Moi, je n’hésiterais pas. Dussé-je me luxer l’épaule qu’il n’existerait pas de remparts assez solide pour la garder loin de moi. « Si tu es assez con que pour pisser devant ma porte en espérant que je joue le jeu pour savoir lequel de nous deux pisse le plus loin, tu t’es trompé d’endroits. Va proposer la partie à ton frère. Il aime bien les jeux à la con qui lui demande pas de mouiller sa chemise.» ai-je conclu, me jurant que ce serait mes derniers mots maintenant que j’ai renoué avec la grimace de la satisfaction. Qu’il tourne les talons, Alec : je suis pas là pour éduquer les cons. Je n’ai plus rien à lui dire, plus rien à servir hormis du silence à présent.