Loris s’éloigne et, dans son regard, je sais que j’ai gagné. Il enquêtera sur Aberline, il trouvera de quoi m’offrir sa tête sur un plateau, il le fera parce que j’ai l’ascendant sur lui et que grâce à un coup du destin je le tiens dans la paume de ma main, prête à l’écraser. Satisfaite, je me retourne pour jeter un coup d’oeil distrait à la course, je me dis qu’il serait idiot d’avoir fait le déplacement jusqu’ici et de ne pas jeter un oeil, mais les voitures de collections ne me passionnent pas. Au contraire j’ai déjà en tête de mettre en marche le plan qui se dessine dans ma tête : missionner l’un de mes dealeurs pour récupérer un peu de la marchandise de la Ruche et la remettre au playboy dans son uniforme des stups. Je sors mon téléphone de ma poche pour régler les derniers détail, la course se lance sans que je lui accorde la moindre attention, et finalement, je m’occupe en balayant le public des yeux.

J’allais partir. Désintéressée, j’allais partir jusqu’à ce que mes yeux se posent sur un visage familier sans que je n’arrive à me rappeler pourquoi. Un visage qui ne m’est pas inconnu mais sur lequel je n’arrive à mettre aucun contexte, jusqu’à ce que l’évidence me frappe. C’est Ichabod Bates que j’ai en face de moi. Chef de file des Manthas, un petit gang qui n’a jamais trop fait d’ombre au Club et qui ne jouait pas dans la même cour que nous, ou en tout cas pas assez pour réellement attirer notre attention. Jusqu’à ce que l’un des leurs tente de nous infiltrer de l’intérieur. Jusqu’à ce qu’on le fasse renvoyer dans un piteux état devant la porte des siens. Jusqu’à ce que Mitchell m’envoie me déplacer jusqu’à chez eux, que je sois accueillie par une bande de mâles peu impressionnant, et que je le rencontre Bates, en chair et en os.

Ichabod Bates donc, celui qui a tout perdu, celui qui tombe peu à peu dans l’oubli, accoudé sur l’une des barrières en métal et en train d’observer la course, un verre de bière en plastique dans la main. Je me joins à lui, piquée par la curiosité, poussée par cette envie de savoir ce qu’il fait là, ce qu’il est devenu et ce à quoi il aspire à présent. Je suis poussée par la même curiosité morbide qui pousse les automobilistes à ralentir lorsqu’ils aperçoivent un accident sur le bord de l’autoroute, de celle qui poussent les gens à chercher des images morbide d’un attentat sur internet. Je m’approche et je le salue avant de poser mes coudes sur la barrière, moi aussi. M’a-t-il reconnue ? Sait-il qui je suis ? Se souvient-il de notre unique face à face à couteaux tirés ? « Ça vous passionne les vieilles voitures ? » Je tourne la tête dans sa direction, un sourire sur les lèvres. « C’est quoi, c’est la nostalgie des choses qui ont disparues ? » Comme son gang de bac à sable par exemple. Oops.



@Ichabod Bates

Je n’assimile pas instantanément les informations. Je pense d’abord à une jeune femme passionnée de voitures qui souhaite observer la course de plus près, je pense à quelqu’un qui attend quelqu’un d’autre, je pense à tout et n’importe quoi sauf la réalité. Je vois bien que ses yeux sont posés sur la piste simplement parce que tout se déroule face à elle et ainsi donc il m’est aisé de deviner qu’elle n’en a rien à faire d’être là. Pourtant, tout en elle crie que ce n’est pas notre première rencontre et ce n’est que lorsque je fais la somme des informations pour enfin arriver à un eurêka que je laisse mes yeux se poser dans les siens. Si notre première rencontre a été aussi musclée que mouvementée, je pense avancer sans trop m’inquiéter que celle-ci le sera bien moins.

Partant du principe que si elle voulait me tuer elle n’aurait pas choisi un lieu public pour le faire (et elle n’aurait de toute façon plus aucune raison de le faire), je ne prends pas la peine de me méfier de sa présence. Au contraire, je prends le temps de boire une gorgée de plus, la laissant ainsi m’avouer ce qu’elle veut bien me dire. J’imagine que depuis le temps elle a su prendre en grade et que des personnes dans son genre ne rendent pas des visites de courtoisie à ses anciens collaborateurs. « Ça vous passionne les vieilles voitures ? » Nos sourires se répondent mais ont pourtant des significations diamétralement opposées. Elle commence par les questions pour la forme, donc. Je l’aurais pensée bien plus direct. Elle l’avait été dans mes souvenirs, en tout cas, quand le gars était à moitié mort lorsqu’ils l’ont ramené devant notre QG. « C’est quoi, c’est la nostalgie des choses qui ont disparues ? » Je garde en tête la conclusion qu’elle n’est là que pour une visite de courtoisie et que ces mots soient le maximum qu’elle puisse faire dans le domaine. Personne n’en est étonné. “Je suppose à mon tour que ce ne sont pas les vieilles voitures qui te passionnent.” Je ne répondrai pas à sa question, bien sûr. Elle n’a pour objectif que de me faire réagir et je ne peux pas lui donner une telle satisfaction. “Ni les vieilles choses comme moi.” Tant que je le peux, je tiendrai mon adhésion nouvelle à la Ruche secrète. Je ne peux pas m’offrir le luxe de faire savoir au monde entier que je suis de retour dans le milieu, surtout pas alors que cela n’a rien d’un choix fait de ma propre initiative. “Les affaires marchent bien ?” Ma tête tourne à peine en sa direction alors que je souhaite simplement m’assurer qu’elle fait toujours partie du même gang, comme je le présume.

C’est évident que je ne suis pas ici pour la course de voiture et, si ma façon de regarder le circuit sans avoir l’air réellement passionnée par ce qu’il s’y passer n’avait pas rendue la chose évidente, on le verrait parce que je détonne dans la foule, je suis bien plus jeune que la moyenne d’âge déjà, et je suis trop habillée pour l’occasion. Je reste moi et, même si j’aime la discrétion que la pleine journée offre de façon presque paradoxale, j’aime que l’on me remarque. J’aime que mon jean soit trop moulant pour que l’on fasse l’impasse sur un coup d’oeil, et que ma queue de cheval accrochée haut sur mon crâne dégage ma nuque. Je l’aime même lorsque je ne m’autoriserai même pas un coup d’oeil, puisque mon coeur appartient déjà à quelqu’un, mais celui vers lequel je m’approche ne s’est jamais rincé l’oeil et je n’ai jamais souhaité qu’il le fasse. Notre point commun est tout autre, il est lié à de mauvais souvenirs pour lui, à de bien plus vagues pour moi. C’était un jeu à mes yeux, cet après midi où j’ai joué le rôle de la messagère avec un message bien funeste. Cet après midi où j’ai pénétré en territoire ennemi pour inviter le brun à une rencontre avec le mien de boss, cet après midi où ils avaient tous envie de m’étriper et de me faire regretter un décolleté plongeant ou un jean trop moulant, je ne sais plus, mais où ils aurait risqué leur vie si j’étais ressortie de là avec la moindre écorchure.

Il était calme Ichabod. Bien plus que les buffles, à peine huit ou dix, qui lui servaient de dealeurs. C’était le seul à sortir du lot, le seul qui aurait peut-être eu l'étoffe de plus, qui aurait mérité une association avec une autre équipe que des petites frappes. Pourtant il a ployé. Moi, j’aime penser qu’il s’est pissé dessus le jour où Mitchell l’a forcé à s’agenouiller. « Je suppose à mon tour que ce ne sont pas les vieilles voitures qui te passionnent. » Touché. Je hoche la tête doucement avant de jeter ma cigarette entièrement consumée par terre et de l’écraser du bout de mon escarpin. « Ni les vieilles choses comme moi. » « Les vieilles choses elles ont une histoire, c’est bien plus intéressant. » Est-ce que j’ai envie d’entendre le récit de la débâcle de son gang de bac à sable après que le Club les ait exterminés ? Evidemment, mais je doute de l’obtenir de sa bouche, il a l’air bien trop fier. « Les affaires marchent bien ? » « On ne peut mieux. Y’a toujours quelques parasites par ci par là, mais c’est pas à toi que je l’apprends. » Au cas où ça ne serait pas clair, il en a fait partie, des parasites. Lou Aberline en a pris les traits à présent. « Et toi ? Qu’est ce que t’as fait après tout ça ? Les boys bands de quarantenaire c’est plus vraiment à la mode, le choix a dû être restreint. » Pour un éclopé.



@Ichabod Bates

« Les vieilles choses elles ont une histoire, c’est bien plus intéressant. » N’est pas le genre de réponse que j’aurais pu anticiper venant de sa part et une telle remarque me décoche même des sourcils froncés pendant un court laps de temps. Elle est pourtant bien placée pour savoir que je serai bien le dernier à lâcher aucun des secrets de mon gang, enterré ou non cela ne fait à mes yeux aucune sorte de différence. “Tu peux utiliser ce genre d’argument dans une boutique d’antiquité si c’est ce qui t’intéresse.” Mes yeux ne quittent pas les voitures qui passent devant nous dans un bruit assourdissant, passant sans aucun mal par dessus nos paroles. Tant mieux. Le commun des mortels ne devrait pas y avoir accès.

Par envie de remuer le couteau dans ma propre plaie ou par curiosité, je ne sais pas, mais j’en viens tout de même à l’interroger sur ce qu’il se passe en ce moment au Club. Une part de moi ne perdra jamais l’habitude de se tenir au courant des agissements de la concurrence. « On ne peut mieux. Y’a toujours quelques parasites par ci par là, mais c’est pas à toi que je l’apprends. » J’esquisse un fin sourire amusé, bien conscient que dans le temps les Manthas étaient ceux qu’elle considérait comme des parasites. On se sera fait notre nid, on aura duré notre temps. On a fait ce qu’on a pu, j’imagine. C’est ce que je me répète lorsque les remords refont surface, en tout cas. “[darkgoldenrod]Et il n’y a plus personne pour les écraser du bout du pied ? Seriez vous en train de vous ramollir ?[/color]” Si j’en crois la personnalité de plus en plus déviante d’Alec et du caractère de la blonde qui ne peut se contenter d’un second rôle, alors ce n’est en rien quelque chose qui m’étonne. Je sais que je n’aurai jamais de réponse franche à cela et c’est bien dommage. « Et toi ? Qu’est ce que t’as fait après tout ça ? Les boys bands de quarantenaire c’est plus vraiment à la mode, le choix a dû être restreint. » “Ça pourrait être une bonne idée de lancer le mien, du coup.” Est ce que je compte le moins du monde jouer franc jeu et lui faire part de mon travail chez Mecanor ? Non, absolument pas, bien sûr que non. “Je m’occupe d’observer des vieux trucs, comme tu le vois.” Bien élevé, on m’a appris à répondre aux interrogations des personnes face à moi. J’entre dans un jeu qui s’appelle “sois le plus flou possible à propos de ta vie” mêlé à “donne les mêmes détails aux gens à qui tu en parles”, nécessaire pour que personne ne puisse regrouper les informations. Le dernier est moins drôle, certes, mais pas moins essentiel. “Les gars pensaient que t’étais une racoleuse. Je suppose que certains le pensent toujours.” Je n’ai pas à préciser le quand t’es venu ramener le gars à moitié mort, lui qu’a pas eu le temps de penser quoi que ce soit puisque cela semble évident. “T’as l’air d’avoir eu droit de monter en grade, je me trompe ?” J’ai besoin de savoir à qui j’ai à faire.

« Tu peux utiliser ce genre d’argument dans une boutique d’antiquité si c’est ce qui t’intéresse. » Il fait des manières, l’ancien chef des Manthas et je suis déçue. Je n’avais pas prévu notre rencontre et je vivais bien sans savoir ce qu’il était devenu, mais à présent qu’il est là face à moi j’ai besoin de nourrir ma curiosité. Qu’a-t-il fait après avoir perdu sa bande de caïds des bacs à sable ? S’est-il exilé ? A-t-il tenté de monter autre chose, ailleurs ? S’est-il fait discret et a-t-il trouvé un job derrière un bureau ? « T’es dur en affaires Bates. » Je sors une cigarette de mon paquet et, un sourire au coin des lèvres, je l’allume sans le lâche des yeux. « Et il n’y a plus personne pour les écraser du bout du pied ? Seriez vous en train de vous ramollir ? » « Tant que je respire y’aura toujours quelqu’un pour les écraser du bout du pied. » Ou plutôt, pour les écraser sous une paire d’escarpins hors de prix. Je ne parle pas de Mitchell volontairement : je ne suis pas hypocrite et je suis surtout incapable de faire taire mes doutes, ceux qui hurlent que Mitch n’a plus la poigne nécessaire, qu’il est la dérive, trop loin des réalités du terrain et focalisé sur une vengance qu’il est pourtant trop lâche pour mener à son terme. Si Mitch était un leader digne de ce nom, Aberline ne respirerait plus. Elle n’aurait pas eu l’occasion de venir emmerder mes équipes non plus. « Tu peux me faire confiance sur ce point là. »

On se connait mal pourtant. On n’a même jamais échangé à part ce jour là, celui dont il se souvient certainement mieux que moi, mais nos réputations à l’un et à l’autre nous précèdent certainement. « Ça pourrait être une bonne idée de lancer le mien, du coup. » « T’as raison, ça conserve, ça permet de rester en forme. » Je le détaille de la tête aux pieds, je m’attarde sur ce bras coupé en son milieu et amputé de son extrémité. « Je t’imagine pas derrière un bureau de toute façon. » En fait je l’ai pas imaginé du tout pendant toutes ces années. Les Manthas sont un détail de mon histoire, le genre d'anecdotes qui sert de remplissage à un chapitre un peu vide. « Je m’occupe d’observer des vieux trucs, comme tu le vois. » Je jette un oeil aux voitures : elles, elles ne m’intéressent pas. « Me dit pas que t’es passé de leader de gang à pilote de courses illégales. Je peux pas croire que tu sois si cliché. » Les individus accro à l'adrénaline le restent toute leur vie après tout. Mais lorsque je l’ai rencontré, Ichabod m’a fait une drôle d’impression et je ne suis pas persuadée que ce soit son cas.

« Les gars pensaient que t’étais une racoleuse. Je suppose que certains le pensent toujours. » « Qui suis-je pour empêcher les gens de fantasmer ? » Qu’il pensent ce qu’ils veulent. Aujourd’hui je suis là où je suis et eux sont… Où exactement ? Du reste, c’est un avantage que d’être sous estimée et je l’ai été toute ma vie. « T’as l’air d’avoir eu droit de monter en grade, je me trompe ? » J’ai du mal à la cacher ma fierté. Elle transpire dans le sourire qui j’esquisse, elle sort par tous mes pores et je la contient en portant ma cigarette à mes lèvres, en inspirant doucement et en relâchant mon air tout aussi lentement. « Tu te trompes pas. J’ai fait mon trou. » Mais s’il ne veut pas répondre à mes questions, je resterai évasive pour ce qui est des siennes. « Je suis escort maintenant, ça paye mieux que pousseuse à la consommation. »



@Ichabod Bates

« T’es dur en affaires Bates. » J’ai bien des défauts qui font de moi quelqu’un inapte au rôle de leader mais au moins je sais me la fermer quand il le faut et, surtout, honorer chacune de mes promesses. Même si les Manthas ne sont plus, j’ai promis il y a longtemps de ça de tout faire pour ce gang et aujourd’hui encore, à mon niveau, je tente de tenir parole. « Tant que je respire y’aura toujours quelqu’un pour les écraser du bout du pied. Tu peux me faire confiance sur ce point là. » Je sens son regard brûler une partie de mon visage mais le mien reste tournée vers la course, même si j’ai perdu tout goût à la regarder. “Je n’en ai jamais douté.” Les gars doutaient de bien des choses à son sujet et beaucoup ont cru que Le Club avait fait d’elle sa chair à canon mais cette idée ne m’a jamais convaincue. Aujourd’hui plus que jamais, je sais que j’avais raison.

Mes muscles sont toujours bien plus crispés dès lors que la discussion tourne autour de ma personne et non plus du bon vieux temps, j’essaye pourtant de me prête un maximum au jeu, faisant preuve d’auto dérision. « T’as raison, ça conserve, ça permet de rester en forme. » Paradoxalement, je suis en forme, n’en démente mon moignon qui n’est qu’une preuve de plus que le passé ne peut être effacé, peu importe à quel point on le voudrait. « Je t’imagine pas derrière un bureau de toute façon. Me dit pas que t’es passé de leader de gang à pilote de courses illégales. Je peux pas croire que tu sois si cliché. » L’idée m’arrache un sourire même si je suis conscient qu’elle se moque bien que je sois derrière un bureau, pilote de courses illégales ou clown dans une fête foraine. Tant de questions m'amènent à penser qu’elle n’est pas au fait de ma récente filiation à La Ruche et c’est un secret parmi beaucoup qui a parfaitement sa place là où il est : enterré. A mon tour, j’extrapole sur la manière dont elle occupe son quotidien, ne pouvant cependant pas m’empêcher de faire un parallèle avec notre maigre passé commun. « Qui suis-je pour empêcher les gens de fantasmer ? » Qu’elle se fasse passer pour une grande âme si c’est ce qu’elle désire mais on sait tous les deux qu’il vaut mieux qu’elle soit dévalué plutôt qu’autre chose. A défaut de pouvoir compter sur son corps et ses maigres kilos, elle se doit d’utiliser sa tête là où, mes hommes, n’avaient en général pas grand chose à utiliser. Pour ma part, en tant que tête d’affiche, je n’avais pas le droit d’utiliser de tels stratagèmes. Ils m’auraient parfaitement collé à la peau, pourtant. Une part de moi ne cesse de l’envier. « Tu te trompes pas. J’ai fait mon trou. » Jusque là, en tout cas. Maintenant je n’envie plus rien du tout de sa personne même si, pour elle, cela semble être un nouvel objectif d’atteint. « Je suis escort maintenant, ça paye mieux que pousseuse à la consommation. » J’en connais qui tueraient pour s’offrir tes services. T’es dure en affaires, Blackwell est ce que j’aurais pu répondre pour faire au plus simple. Chanter ses louanges le temps d’un instant ne me coûte rien et de toute façon, en effet, si mes hommes n’étaient pas morts, ils se seraient revendu son numéro à prix d’or. Cela ne reste qu’un empêchement anecdotique, après tout. “A ce rythme là, tu pourras t’afficher au bras d’Alec dans cinq ans. Mitchell dans dix, j’imagine.” Un frère vaut bien moins que l’autre et on connaît tous les deux qui. Aux dernières nouvelles, la hiérarchie du Club n’avait pas changée. “Préserve ce joli visage sinon les possibilités d'évolution deviennent difficiles.” Je ne fais que m’en assurer à ma manière, titillant à peine son ego en faisant d’elle une femme de peu de vertus. J’imagine ne pas être si loin du compte mais mes espoirs reposent surtout sur l’idée selon laquelle elle a besoin d’un homme pour réussir - chose que je pense fausse mais que je ne partage pas comme tel. “Je ne te fais pas le discours mais j'espère pour toi que t'attends aucune info de ma part, sinon tu perds ton temps.”

« Je n’en ai jamais douté. » J’aurais trouvé l’inverse particulièrement insultant et si je me fiche bien de la façon dont le roi déchu d’un empire englouti me perçois, il n’en reste pas moins vrai que j’aurais été déçue qu’il type qui a occupé la place qu’il occupait dans la chaîne alimentaire me déprécie. J’aime autant l’idée de conserver un minimum de discrétion que celle de m’être fait un nom dans le milieu et j’ai la sensation de sans cesse jouer avec l’entre deux pour trouver un juste milieu.

S’il ne fait aucun effort pour maintenant la conversation, comme un être humain normal, poli et avenant, je ne vois pas pourquoi je lui ferais le plaisir de lui détailler mon CV. Au contraire, je me contente de répondre à l’affirmative à sa supposition mais je ne peux m’empêcher de verser dans l’ironie et le sarcasme. « J’en connais qui tueraient pour s’offrir tes services. » Je lève un sourcil et je me demande s’il tente de m’endormir de flatteries. Evidemment, moi qui me suis toujours targuée d’y être insensible, il n’en est rien. Mais elles ne m’atteignent pas au point que je me parjure ou qu’à mon tour, je devienne trop bavarde. « Faut pas me flatter, ça te servira pas à grand chose... » J’ai lu dans le regard de ces hommes ce jour là en 2015 : ils se seraient servi, repu de mon corps et de mon intégrité s’ils avaient eu l’impression d’en avoir le droit sans craindre des représailles, mais je ne suis pas sûre qu’ils auraient laissé le moindre billet après ça. « Mais tes types avaient pas la réputation d’être particulièrement respectueux… Alors j’aurais passé mon tour. »

On sait tous les deux que je suis pas plus escort que je n’ai été pousseuse à la consommation et que lui est devenu pilote de course, et pourtant il continue. « A ce rythme là, tu pourras t’afficher au bras d’Alec dans cinq ans. Mitchell dans dix, j’imagine. Préserve ce joli visage sinon les possibilités d'évolution deviennent difficiles. » J’esquisse un sourire, amusée par sa répartie quand au fond je ris jaune. « On t’as pas tenu au courant ? D’ici là ce sont les femmes qui dirigeront la partie. » Je n’ai pas pour projet de prendre la place de l’un ou l’autre des Strange, mais j’ai toujours voulu la même chose : me faire une place sans avoir besoin du bras d’un homme pour la légitimer. « Je ne te fais pas le discours mais j'espère pour toi que t'attends aucune info de ma part, sinon tu perds ton temps. » Je l’observe observer la course alors qu’elle ne l’intéresse puisque, de toute évidence, il n’a pas ce qu’il faut ou il faut - et surtout au delà de son coude - pour envisager un reconversion en pilote de course. Je me demande dans quoi il trempe aujourd’hui et je me doute que s’il fait autant de mystères, il y a des chances qu’il y ait une part d’illégal. Et qui dit illégal, dit que ça m’intéresse. « C’est dommage. Je t’ai vu et je me suis dit que j’allais venir me renseigner sur les possibilités de réorientation pour anciens membres de gangs qui ont voulu changer de voie. » Je hausse les épaules, innocente. « On sait jamais, ça peut servir et j’ai pas trouvé de salon dédié. » Je l’observe, je fais tourner ma cigarette entre mes doigts. « En tout cas tu t’es fait discret. J’ai pas entendu ton nom depuis des années. »


@Ichabod Bates

Elle est loin d’avoir l’avis le plus objectif qui soit à propos de mon gang et de ses membres mais lorsqu’elle avance sans gêne que « Mais tes types avaient pas la réputation d’être particulièrement respectueux… Alors j’aurais passé mon tour. » alors je ne peux que lui offrir une réponse de la positive pleinement muette. Ils étaient loin d’avoir une ligne de conduite, en effet. Ils manquaient de bien des choses, en réalité, et ce n’était un secret ni pour moi ni pour le reste du monde.

Ma perspective de son futur au sein du Club ne semble pas l’amuser ni faire naître en elle un quelconque sentiment positif, ce que je peux bien comprendre. Ce n’est pas pour autant que je risque de m’en vouloir pour quoi que ce soit, soyons clairs. « On t’as pas tenu au courant ? D’ici là ce sont les femmes qui dirigeront la partie. » Le rire qui s’ensuit est franc et bien qu’il n’a pas vocation à titiller sa patience, je doute qu’elle l’interprète de la même façon que moi. “Personne t’a dit que le Père Noël n’existe pas, finalement ?” Je la savais jeune mais certainement pas à ce point. Je ne la savais pas pleine d’espoirs au point d’imaginer l’impossible, surtout. Même si le Club ne sont plus mes affaires, je les ai assez côtoyés pour savoir comment ils fonctionnent.

Je repousse les demandes d’explications avant même qu’elles m’en ait fait part, habitué à décevoir les gens. « C’est dommage. Je t’ai vu et je me suis dit que j’allais venir me renseigner sur les possibilités de réorientation pour anciens membres de gangs qui ont voulu changer de voie. » “Généralement tu as un choix assez large entre les AA, le centre de désintox ou la prison. Tu peux même faire un choix multiple.” Je réponds avec ironie, sous entendant que peu sont les nombreuses ayant à penser à un “après”, même s’il n’y a pas de mal à deviner qu’elle ne fait que se jouer d’ironie elle aussi. Le Club lui colle à la peau, elle vivra à ses côtés tant qu’il perdurera, c’est évident. Reste à savoir lequel des deux s’essouflera le premier. « En tout cas tu t’es fait discret. J’ai pas entendu ton nom depuis des années. » Le bleu des mes iris se pose sur sa cigarette qui tourne dans le vide, chose qu’elle ne remarque sans doute pas elle même. “On ne cherche pas à tous à être sous les feux de la rampe comme toi, Raelyn.” C’était le cas ni avant, ni aujourd’hui. Avant, j’ai tout raté. Aujourd’hui, je recommence à perdre contrôle de mon propre jeu - pour l’heure, je continue de penser qu’elle ne peut se douter de rien. “Tu peux faire exploser le QG de ton gang, si jamais tu rêves de finir tes jours sur une île déserte à siroter des cocktails. Crois moi sur parole, ça fonctionne plutôt bien.” A la seule différence que je n’avais bien sûr rien prévu de cette retraite anticipée.

« Personne t’a dit que le Père Noël n’existe pas, finalement ? » Je hausse les épaules. Je n’ai pas prévu de prendre la place de Mitchell, mais ce que je sais en revanche c’est que, dans un sens je dirige déjà la partie. Avec ses absences, avec son besoin de prendre le large après la mort de Mavis le boss du Club ne m’a pas laissé d’autre choix que de reprendre au pied levé une bonne partie de ses responsabilités et quand à Alec, il est là sans être là, la plupart du temps, et pense que personne ne s’en rend compte. Parfois je me dis qu’Amos a raison : que je mérite mieux que la façon dont je suis traitée - surtout au regard des commentaires et ordres que s’est permis de donner Mitchell concernant la façon dont je gère ma vie privée - mais la plupart du temps je me dis que jusqu’ici mes sacrifices ont tous payé. « On parie ? Tu seras surpris. » J’ignore de quoi demain sera fait mais j’ai de la ressource, ça c’est une certitude. Et une sacré dose de prétention pour oser lui tendre la main prétendant sceller un quelconque pari.

« Généralement tu as un choix assez large entre les AA, le centre de désintox ou la prison. Tu peux même faire un choix multiple. » Je hausse un sourcil et je l’observe. « Et toi, t’as choisi quoi ? » Inutile de le préciser mais, jusqu’ici, il n’a rien énoncé que ne m’attire vraiment. Je m’imagine mal renoncer à mes petits plaisirs et quant à la prison, cela ne fait pas partie des mes plans de carrière. Lui, il a choisi de disparaître, c’est à peu près tout ce qui se sait dans le milieu et face à une énigme je suis une faible femme : j’ai envie de la résoudre. « On ne cherche pas à tous à être sous les feux de la rampe comme toi, Raelyn. » C’est vrai, mais l’on pourrait croire que pour un type ayant été à la tête d’une organisation criminelle, aussi ridicule ait-elle été, qu’il l’aurait cette envie. Sauf qu’il vraisemblablement toujours été différent Bates et, si je l’avais senti, j’aime toujours autant que l’on me confirme mes pressentiments. « Tu l’as été pourtant. Malgré toi ? Y’a une histoire dramatique là dessous ? » Il affirme que c’est mon cas et je ne nie pas : il suffit d’avoir passé quelques minutes dans la même pièce que moi pour comprendre que j’aime capter les regards et l’attention. « Tu peux faire exploser le QG de ton gang, si jamais tu rêves de finir tes jours sur une île déserte à siroter des cocktails. Crois moi sur parole, ça fonctionne plutôt bien. » « C’est ce qu’il s’est passé ? T’as tout fait exploser ? » Il y a des rumeurs que j’ai entendues, d’autres non, mais quoi qu’il en soit j’ai envie d’entendre ce qu’il s’est passé de sa bouche, ou plutôt ce qu’il voudra bien m’en dire. « Le bruit courait que tu voulais pas de tout ça. C’est vrai ? C’était volontaire, de tout détruire ? » Y’a pas beaucoup de bruit qui courait : simplement mon analyse de la situation et de ce que je crois deviner de l’homme que j’ai en face de moi.



@Ichabod Bates

Ce que j’observe et ce à quoi je n’étais certainement pas préparé, c’est qu’elle soit aussi curieuse qu’une enfant. Une simple réponse de ma part entraîne deux nouvelles interrogations de sa part, toutes aussi déplacées les unes que les autres. Elle a peut être le visage d’un enfant mais elle est loin d’en avoir l’insouciance, pourtant, c’est donc là la raison pour laquelle je ne cesse de peser chacun de mes mots et chacune de mes réactions en sa présence. Même les choses les plus futiles prennent une ampleur démesurée, ce sont là les vieux souvenirs du monde de la drogue que j’aurais préféré ne jamais ranimer.

« Et toi, t’as choisi quoi ? » “Le orange ne me va pas bien au teint.”

« Tu l’as été pourtant. Malgré toi ? Y’a une histoire dramatique là dessous ? » “Je devrais en vendre les droits pour en faire un film.”

« C’est ce qu’il s’est passé ? T’as tout fait exploser ? » “Boum.”

« Le bruit courait que tu voulais pas de tout ça. C’est vrai ? C’était volontaire, de tout détruire ? » “C’est ce que tu voudrais entendre ?”

Le jeu m’amuserait presque, finalement. Nul besoin pourtant de préciser que je n’ai testé ni les AA, ni la cure de désintox et encore moins la prison. Nul besoin d’ajouter qu’elle ne sera pas la confidente de mon histoire personnelle, encore moins s’il s’agit de savoir si elle se termine réellement par un boum. Lui avoir susurré près de l’oreille, un sourire au bout des lèvres, a pourtant eu quelque chose de plaisant. Je ne suis pas dupe et je sais qu’un jour la vérité finira par éclater de tous les côtés, j’espère pourtant que cela se fera lorsque je serai bien loin d’elle et du reste du monde - genre mort.

Ses questions ne se feront que plus incisives avec le temps et je ne peux pas prendre le risque de me faire prendre au piège, surtout alors que je n’ai rien à gagner de cet affrontement qui ne devrait en avoir que le nom. Je la pense assez intelligente pour pouvoir démêler le vrai du faux et, à terme, savoir trier l’un de l’autre pour n’en ressortir que ce qui l’intéresse. J’aurais été bien moins sur la défensive si j’étais sagement resté au garage mais force est de constater que maintenant que Lou m’a approché, je ne peux pas risquer de remettre en cause notre alliance déjà chambranlante. “Je t'épargne le moment où je fais semblant de recevoir un appel mais je te laisse regarder la course de voitures.” Ce qui, je n'en doute pas un seul instant, l'intéresse sûrement tout aussi peu que ma vie personnelle lorsqu'elle ne se rapporte pas au Club. Pourtant, faute d'avoir mieux à lui proposer, c'est ainsi que je la laisse en haussant simplement les épaules. On est bien mieux lorsqu'on est loin l'un de l'autre et je ne pense pas qu'elle souhaite me contredire là dessus.