haven't you had enough of loneliness ?

@HEATHER HARRIS & RORY

C'était la deuxième année consécutive qu'il se rendait à Anaheim pour ce que tout le monde appelait communément la Convention D23, et Rory sentait bien que cette année l'accueil qu'on lui ferait serait légèrement différent de l'an dernier. Une poignée de mois plus tôt, bien avant que toute cette histoire avec Byers n'éclate, il était encore ce jeune acteur qu'on était fier de présenter comme la relève des studios Fox, alors tout juste rachetés par la Walt Disney Company pour la bagatelle de quelques dizaines de milliards de dollars. The Trail's End était encore en pré-production qu'on en parlait déjà comme d'un film ambitieux au casting réussi, dirigé par l'un des plus brillants réalisateurs de son époque. Et lui et Amber, impressionnés par l'élan de curiosité que provoquait dès lors chacune de leurs apparitions, découvraient les bons comme les moins bons cotés d'une exposition aussi fulgurante que la leur. Rory se rappelait encore de la pression qu'il avait ressenti quand on l'avait introduit auprès de cette foule de connaisseurs et de professionnels du métier, et qu'il s'était instantanément senti intégré à cette sorte de grande famille où tout le monde avait toujours eu un mot gentil, un bon conseil pour des nouvelles têtes comme les leurs. Des moments qui aujourd'hui lui laissaient forcément un arrière-goût d'autant plus amer qu'aucune de ces personnes ne s'était manifestées au cours des six derniers mois, lorsque l'affaire avait éclatée et que les soutiens s'étaient réduits comme peau de chagrin. Ces gens qui si souvent lui avaient répété qu'ils seraient là s'il avait besoin, qui tant de fois avaient posé sur lui ce regard bienveillant auquel il n'avait jamais eu droit que de la part de sa mère ou de Donna, s'étaient pourtant désolidarisés en même temps que tous les autres. Il avait suffi de quelques articles dans des journaux et de rumeurs extrapolées pour que tout ce petit monde se détourne progressivement de lui. Et pourtant, on l'avait invité, cette année encore. A croire que les producteurs ne savaient pas encore exactement sur quel pied danser, ou qu'il substituait peut être pour lui une lueur d'espoir : s'il était là, aujourd'hui, peut être était-ce parce que certains dans ce milieu étaient décidés à lui accorder le bénéfice du doute. Une chose est sûre, il avait rasé les murs dès la seconde où il avait posé un pied sur le territoire californien, appliquant la même stratégie depuis le départ.

Ce soir, c'était l'une de ces soirées organisées pour ceux voulant prolonger l'expérience et nouer d'autres contacts dans une ambiance un peu plus animée, et si Rory avait d'abord songé à rentrer directement à Brisbane pour ne pas s'exposer plus que nécessaire, il changea rapidement d'avis. Après tout, cette soirée, c'était aussi une manière pour lui de se réapproprier son image et de montrer qu'il n'avait pas l'intention de rester planqué indéfiniment pour un geste que bien des artistes avaient probablement eu avant lui – et que peu avaient vraiment cherché à comprendre. Si tous ces gens le trouvaient si fascinant lorsqu'il n'était encore que cet acteur bien sous tous rapports qu'on exhibait dans des costumes de marque, ils devraient pouvoir vivre avec l'idée qu'il ne soit peut être pas aussi docile qu'ils l'avaient tous cru. Qu'il ait son caractère, ses convictions et strictement aucune envie de faire des concessions sur ce qui lui était acceptable ou non, même pour toutes les carrières du monde. Sa présence ce soir pourrait en déranger certains et Rory en avait conscience, mais il était las de se faire tout petit et comptait pour une fois profiter d'être ici pour prendre la température, au gré de ses rencontres, puis aviser. Après une ou deux conversations au cours desquelles tout le monde avait soigneusement évité les sujets qui fâchent, il s'éloigna pour prendre un peu l'air et surprit parmi la foule une silhouette qui ne lui était pas inconnue. Heather Harris, rencontrée un peu plus tôt pendant le week-end et dans un contexte un peu plus professionnel que ce soir, avait visiblement décidé de jouer les prolongations elle aussi. Il faut dire que la jeune femme pouvait contrairement à lui se montrer sereine, sa série était l'un des projets phares des studios et elle l'une des personnalités les plus sollicitées de cet événement. « A ta place j'éviterais les toasts au poisson, j'ai vu un type se ruer aux toilettes après en avoir goûté un. » Il glissa dans un sourire en coin. Heather pourrait choisir de ne pas le croire, bien sûr, mais il aurait sans doute été bien plus avantageux pour lui de garder cette histoire pour lui dans l'hypothèse où elle serait vraie. Après tout, pas mal d'acteurs n'hésitaient pas à se tirer dans les pattes, à ceci près que Rory n'avait jamais tellement fait partie de cette catégorie et toujours préféré compter sur sa persévérance pour réussir. « J'espère que ça t'embête pas d'être vue à mes cotés. Ils m'ont laissé entrer mais je sais bien que certains auraient préféré que j'ai pas le cran de venir. » Il n'aurait pas forcément mis le sujet sur la table avec n'importe qui, mais pour avoir observé Heather il avait le pressentiment que cette entrée en matière ne la gênerait pas. En partie parce qu'elle était l'une des rares ici qui puissent probablement comprendre ce par quoi il passait depuis plus de six mois. Elle aussi avait connu une période trouble durant laquelle son nom défrayait la chronique. « Toi par contre, ça a l'air d'aller mieux. T'as le vent en poupe avec cette série. » Et Rory n'était pas certain de savoir quel sentiment ça lui inspirait exactement. Un peu d'envie, sans doute, mais aussi de l'espoir. Ou du moins, il voulait y voir la preuve que tout n'était peut être pas perdu.

 

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S'il ne savait pas exactement comment se sentir à l'idée d'avoir vu son invitation à la D23 être maintenue malgré le fait qu'il n'ait plus techniquement de projet à y défendre, Rory n'avait pas mis longtemps à voir le bon coté des choses. Il était toujours mieux ici que dans son loft à ruminer tout ce qui n'allait pas comme il le voudrait dans sa vie ou dans un bar à se laisser draguer par quelqu'un ayant tout juste assez de conversation pour lui changer les idées. Chaque rencontre l'aidait à se faire une idée un peu plus précise de ce qu'il inspirait aux gens du milieu, et contre toute attente ça n'était pas ses pairs qui se voulaient les plus intransigeants avec lui. Certains l'avaient habilement évité depuis qu'il avait mis les pieds à Anaheim et Rory n'avait pas manqué de le remarquer, mais pour les autres c'était presque comme s'ils avaient tellement l'habitude de voir des scandales à répétition entacher les industries du cinéma et de la télévision que même cette histoire paraissait presque anodine en comparaison. Assister aux différents panels s'était pourtant voulu frustrant pour lui qui quelques mois plus tôt espérait encore monter sur cette scène et porter haut les couleurs d'un film pour lequel il s'était énormément investi et avait même sacrifié plus que ce qu'il aurait voulu au départ. Mais cette soirée, elle, était l'occasion de décompresser et d'apprécier ce cadre pour ce qu'il était : ici, loin de chez lui et de ce qui était venu marquer cette année compliquée tant dans sa vie personnelle que professionnelle, il se sentait un peu plus léger. Son cœur, en tout cas, lui semblait peser un peu moins lourd. Ça n'aidait pas à effacer tout ce qu'il éprouvait encore lorsqu'il regardait en arrière pour ne voir qu'une existence jalonnée d'occasions manquées, mais pour la première fois depuis sept mois Rory s'autorisait à laisser tout ça derrière lui le temps d'un week-end. Et parce qu'il n'avait pas croisé tant de têtes familières ayant aussi fait le voyage depuis Brisbane, tomber sur Heather Harris au détour d'un buffet fut une occasion que le brun ne laissa pas passer. La blonde et lui n'avaient échangé que brièvement jusque là mais ça avait quelque chose d'un peu rassurant d'approcher quelqu'un qui pouvait comprendre ce par quoi il passait depuis quelques mois et était en plus de ça le parfait exemple qu'on finissait toujours par se relever, même quand on peinait encore à entrevoir le bout du tunnel. « Ce serait dommage de devoir passer le reste de ton séjour à Anaheim dans ta chambre d’hôtel pour un bout de poisson pas frais. » Sans compter que certains avaient les yeux partout lors de ce genres d’événements et qu'Heather était une des figures les plus populaires de cette convention. La voir se terrer dans son hôtel ou rentrer précipitamment alimenterait des rumeurs dont n'importe qui se passerait bien. D'autant plus que si quelqu'un avait eu son compte, c'était bien elle, qui il y a encore quelques mois était associée à cette histoire délirante avec un paparazzi qui lui avait vraisemblablement valu de passer par des choses similaires à celles que vivait Rory depuis le mois de février.

Une situation qui n'était donc pas étrangère dans la facilité qu'il avait à engager la conversation ce soir et qui faisait naître en lui de nombreuses questions qu'il n'oserait pas forcément lui poser de but en blanc, alors que la jeune femme et lui n'avaient encore qu'à peine pris le temps de vraiment discuter depuis le début du week-end. Sa remarque lui tira un rire qu'il étouffa contre son verre. « Le pire, c'est que je suis prêt à parier que ça aurait le mérite de mettre un peu d'ambiance. Je crois bien que tout le budget de ce week-end est passé dans les panels, le buffet végétarien est très pauvre et la musique ne fait pas vraiment envie. » Cette soirée était divertissante mais Rory s'attendait à ce que les américains investissent au moins dans un DJ digne de ce nom, pas tant pour lui que pour simplement nourrir l'illusion que cette parenthèse-là était un peu plus joyeuse que ce qu'il avait laissé derrière lui à Brisbane. Il n'avait pas spécialement envie de faire la fête, pas même le cœur à faire semblant à vrai dire, mais qui sait quand il reviendrait ici et si l'année prochaine son nom ferait partie de la liste des conviés. « Mais loin de moi l'intention de m'en prendre à l'une des rares personnes à s'adresser à moi normalement depuis que je suis là. » Il confia, dans un léger sourire. Outre le fait qu'il n'ait jamais éprouvé l'envie de s'en prendre à qui que ce soit avant cette soirée où ce en quoi il croyait s'était fermement heurté à un comportement qu'il avait jugé inadmissible et inconcevable, Heather ne lui inspirait rien d'autre qu'une certaine reconnaissance d'agir avec lui comme elle l'aurait probablement fait en temps normal. Sa manière de reprendre la parole, pourtant, le laissa légèrement interdit. « Me remercier ? » Rory posa un regard interrogatif sur la jeune femme, avant de comprendre quel rôle il avait inévitablement du jouer dans la façon dont elle avait vu sa situation s'arranger ces derniers mois et pu notamment retrouver le rôle qui l'avait rendu célèbre. « Ah, bien sûr. » Évidemment, maintenant qu'elle le disait, difficile de s'étonner du fait que quand quelqu'un obtenait un peu de mauvaise publicité quelqu'un d'autre finissait toujours inévitablement par en profiter. Et dans le cas de la blonde, ça avait forcément détourné l'attention de ce qui la concernait, aidant sans doute à redorer son image en cette période stratégique où le marketing autour de sa série télévisée tournait à plein régime. Parfait timing, Rory n'aurait sûrement pas pu mieux même s'il avait voulu. « On dit que le malheur des uns fait toujours le bonheur des autres, hm ? C'est que ça doit être vrai, alors y'a pas de quoi j'imagine. » Rory but distraitement à sa coupe, toujours aussi peu à l'aise d'évoquer le sujet et encore plus de la sorte. Il savait bien qu'Heather ne pensait sans doute pas à mal en faisant ce parallèle entre leurs deux situations, mais le fait est que pour elle tout semblait s'être arrangé tandis que lui ne rêvait que de décrocher un nouveau rôle dans lequel s'investir à cent-pour-cent pour tenter de mettre ça derrière lui. « J'allais te demander si t'avais pas un conseil à me donner pour être toi aussi passée par là, mais si c'est pour me dire qu'un type finira par faire pire que moi et par faire oublier mes fautes... » Il tenta un sourire, un peu tendu. La vérité c'est qu'il lui suffisait de regarder autour de lui pour se sentir de trop, quand il était justement monté dans l'avion en espérant que cette impression-là le quitterait rien que le temps d'un week-end. Encore un peu trop optimiste, sans doute.

 

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Rory aurait du mal à l'admettre devant qui que ce soit dans cette salle, mais ça lui demandait beaucoup d'efforts de se tenir ici alors qu'il sentait tant de yeux tournés vers lui, tant d'interrogations dans les regards de certains, quand ce soir plus qu'à n'importe quel autre moment une partie de lui rêvait de disparaître. Cette partie qui serait bien restée sagement dans sa chambre d’hôtel à attendre le vol qui le ramènerait à Brisbane, et qui trop souvent depuis qu'il avait mis les pieds en Californie l'avait dissuadé de profiter de cette escapade américaine autant qu'il l'aurait du. Heureusement, c'est une autre partie de lui à laquelle il s'était fié lorsqu'il avait rejoint cette soirée. Le seul problème, c'est qu'il peinait à se sentir à sa place partout où il tentait de prendre le recul dont il avait besoin pour mettre ces six derniers mois derrière lui, ce qui plus que jamais lui donnait la motivation nécessaire pour prendre sur lui et imposer sa présence même à ceux qui pourraient la rejeter. Ce ne serait pas toujours comme ça, qu'il se répétait depuis qu'il avait passé ces portes. Parce qu'il savait qu'au moment où lui réussirait à dépasser toute cette situation et à laisser dire sans plus faire cas de la curiosité des uns et des autres, alors son quotidien serait un peu plus léger. Sa sœur l'incitait souvent à sortir plus, à faire des rencontres et poursuivre cette normalité dont il avait besoin pour retrouver l'équilibre qui lui manquait, et si ce soir n'était pas exactement ce qu'on faisait de mieux en terme de soirée normale, c'était un début. L'avantage, ici, c'est que les trois quarts des personnes présentes dans cette pièce avaient probablement déjà fait pire que ce que les journaux avaient pu titrer à son sujet, ce qui les poussait tous à s'observer les uns les autres avec l'envie de se comparer à leur voisin. Rory, lui, se battait comme souvent contre l'idée que le seul responsable de cette situation soit probablement terré chez lui à prendre du bon temps, se raccrochant malgré lui à la présence d'Heather comme à la bouée de sauvetage qu'il avait attendu tout le week-end. La jeune femme était d'un abord agréable et naturel, et il lui en était reconnaissant. « Et je suppose que tu vas pas tarder non plus à reprendre le tournage de ta série. Je sais qu'à la télévision la cadence est parfois infernale. » Il le savait parce que ses premiers rôles, c'est à la télé qu'il les avait décrochés et pendant des années qu'il les y avait défendus, avec la passion et l'enthousiasme d'un jeune acteur qui voulait désespérément faire ses preuves. Détromper ceux qui le pensaient fichu après son accident, c'avait été son combat pendant des années et parce que convaincre les autres d'adhérer à son rêve, c'était se convaincre lui-même qu'il était capable de l'atteindre. Des années qui lui paraissaient lointaines, ce soir, alors que la naïveté de ses débuts s'était en partie retournée contre lui. « C'est ce que les gens pensent souvent quand je leur dis que je suis végétarien, parce que ça peut sembler branché. Je le suis en réalité depuis la fin de mon adolescence, c'était moins répandu qu'aujourd'hui. » Et lui qui avait toujours été très sportif appréciait le défi que ça représentait d'adapter un nouveau type d'alimentation à son activité physique. Lorsqu'il avait encore le football, ça rendait ses sacrifices d'autant plus précieux d'un point de vue personnel. « Mais je mange jamais grand chose à ce genre de soirées, de toute façon. Surtout que les américains sont les rois des expérimentations culinaires, je suis à peu près sûr d'avoir vu un type manger de la salade en gelée. » Est-ce que c'était seulement légal de préparer ce genre de choses ? Rory voulait bien reconnaître qu'en Australie aussi ils avaient leur lot de spécialités pouvant rebuter quiconque n'y serait pas habitué, mais la cuisine américaine n'avait pas grand chose de ragoûtante à ses yeux. Il suffisait d'observer ce buffet pour comprendre que les moyens avaient plutôt été placés ailleurs, de toute façon. « Et du coup, t'as déjà été approchée par certains producteurs ? Il paraît qu'ils ont pas mal d'autres gros projets en discussion, si tout va bien l'édition de l'année prochaine devrait être remplie. » On entendait parler de pas mal de séries en phase de pré-production, de quelques gros films sur lesquels les studios avaient encore à peine communiqué mais qui suscitaient pas mal de curiosité à mesure que les rumeurs se répandaient. Rory se souvenait de l'état d'exaltation qu'il avait connu lorsqu'il avait passé les castings de The Trail's End et finalement été retenu pour l'un des deux rôles principaux. Il se souvenait d'à quel point il avait été impressionné de faire partie d'un projet aussi ambitieux, et de combien Penny et lui s'étaient sentis petits, au milieu de tout ça. Et aujourd'hui, il vivait avec l'idée qu'il ignorait quand il pourrait de nouveau faire ce qu'il aimait, un constat chaque fois un peu plus amer.

L'idée qu'on puisse potentiellement craindre de le voir en venir aux mains avec Heather était, elle, amusante. La jeune femme et lui avaient en commun d'avoir fait malgré eux les choux gras de la presse pour quelque chose qu'ils n'avaient ni maîtrisé ni voulu au départ. Et de ce qu'il croyait savoir des détails de l'agression d'Heather sur un journaliste, elle aussi avait des circonstances atténuantes. « Et j'en ai pas l'intention. J'ai un peu l'impression que t'es la seule ici à vraiment pouvoir te mettre à ma place, et c'est pas un sentiment que j'expérimente souvent depuis quelques mois. » Il confia dans un fin sourire, faisant preuve d'une honnêteté et d'une absence de pudeur qui prouvaient à elles seules qu'il était plus facilement à l'aise à son contact pour cette raison. Tout comme il supposait que si Heather se comportait avec autant de naturel, c'est parce qu'elle était passée par là. Deux personnes comme eux avaient tous les intérêts du monde à se soutenir quand elles le pouvaient, surtout face à l'esprit de jugement et l'étroitesse d'esprit de certains. Pourtant, Rory put difficilement cacher son mal être lorsque la blonde se fendit de remerciements dont une partie de lui se serait bien passée. Entendre qu'il avait indirectement contribué à faire oublier son petit incident, ça ne faisait que lui rappeler ce qu'il avait perdu et sacrifié après des années d'efforts pour laisser derrière lui ses désillusions passées. « Je comprends. C'est juste... brutal, la façon dont on peut subitement te réduire à un écart de conduite. Comme si justement l'idée était chaque fois de se trouver un nouveau bouc émissaire. » Il ne pouvait pas en vouloir à Heather d'avoir été soulagée lorsque cette histoire avec Byers avait commencé à être relayée et que la situation s'était apaisée pour elle. C'était ce fonctionnement qu'il trouvait injuste, cette logique qui voulait que quelqu'un devait forcément se faire épingler à son tour pour prétendre à un peu de répit. Il avait toujours eu un coté très idéaliste, était pour ainsi dire un rêveur assumé et quelqu'un qu'on avait souvent jugé un peu trop sensible pour un milieu régi par les déceptions et les coups bas. Donna l'avait senti très tôt chez lui. Qu'il avait ce besoin de marquer les autres, de leur plaire pour ce qu'il était et pour ce qu'il donnait de lui-même, et qu'il vivait mal toute forme de rejet. « Je sais que c'est toi qui as raison, et dans quelques mois je suppose que je serai soulagé si quelqu'un contribue à faire oublier toute cette histoire. » Après tout, il avait aussi besoin que ça se tasse et d'avancer. « Mais je suis bien placé pour savoir que derrière un coup de poing qu'on sort complètement de son contexte, il peut parfois y avoir beaucoup de souffrance. Je suis juste pas sûr de souhaiter que quelqu'un d'autre passe par cette souffrance-là, même si y'a rien que j'espère plus que d'enterrer cette histoire. » Enterrer n'était peut être pas le bon mot compte tenu du sort qu'il espérait en réalité voir être réservé à Matthew Byers si tôt ou tard la vérité était connue. Mais il y avait certaines choses sur lesquelles il ne pouvait pas s'exprimer librement, certaines confessions qu'il ne pouvait pas forcément lui faire quand bien même Heather était sûrement la personne qui lui inspirait le plus confiance dans cette salle. Il pensait à Penny et au fait que c'était à elle, et personne d'autre, de décider du moment où elle voudrait en parler. «  Merci pour les conseils. J'aurais sûrement du prendre des notes au cas où c'est moi qu'on sollicite un jour dans ce genre de situations. » Ses lèvres étirèrent un sourire amusé, preuve qu'il parvenait à faire preuve d'un minimum d'auto-dérision. Ce ne serait pas de mauvais conseils à donner à quelqu'un qui pourrait tôt ou tard se retrouver à sa place, en tout cas. La question formulée par Heather, elle, le laissa silencieux une demi seconde. S'il l'avait souvent entendue de la bouche de nombreux curieux, tout comme de celles de ses proches et des personnes qu'il aimait le plus, la réponse qui s'en suivait n'était pour autant jamais évidente à formuler. Parce qu'il se débattait encore et toujours entre l'envie de restaurer la vérité et une promesse qu'il ne pouvait trahir. « J'aimerais te répondre, mais c'est compliqué pour moi de le faire. » Il confia en passant une main contre sa nuque, lançant à la jeune femme un regard hésitant et navré. « Je peux juste t'assurer que j'ai pas agi sans raison. Les journaux, ils ont presque tous fait passer ce Byers pour la victime... mais il a jamais été que le seul coupable sur qui ils auraient du se défouler. Parce qu'il est loin d'être le chic type que les gens s'imaginent. » Celui qu'on dépeignait souvent comme le petit fiancé de l'Australie, une figure de réussite et d'intégrité qui forçait le respect autour de lui. Rory s'était laissé berner par cette poudre aux yeux lui aussi, mais aujourd'hui il savait. Hésitant une seconde à poser la question qui lui brûlait les lèvres, il reprit doucement. « Ce journaliste que t'as frappé, j'ai cru comprendre qu'il avait révélé ton homosexualité avant que tu t'y sentes prête. » Alors qu'elle ait vu rouge, lui il pouvait comprendre. Il protégeait sa vie privée plus que n'importe quoi d'autre, mais il avait aussi l'avantage d'avoir fait son coming out de nombreuses années en arrière. Si ça n'était pas le cas et que quelqu'un s'en chargeait pour lui, il le vivrait tout aussi mal.

 

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C'était étonnamment apaisant, surtout dans ce contexte, de discuter des projets des autres quand bien même il aurait certainement préféré pouvoir évoquer les siens. A défaut d'avoir un agenda particulièrement rempli pour les prochaines semaines, Rory vivait ce genre de choses par procuration. Il avait besoin de reprendre le chemin des plateaux de tournage, simplement il n'était pas encore certain de pouvoir faire abstraction du regard qu'on posait sur lui et qui se teintait soit de curiosité, soit de jugement. Il aimerait reprendre le travail parce que ça lui ressemblait, mais ça lui demanderait encore un peu de temps avant de se faire à l'idée que sa vie avait changé du tout au tout ces derniers mois. On ne lui proposerait peut être plus autant de rôles, en tout cas au début, et il fallait aussi qu'il s'attende à ce que les dessous de l'affaire Byers lui reviennent régulièrement aux oreilles – les gens, à défaut d'avoir encore toutes les pièces du puzzle, s'amusaient à répandre toutes sortes de rumeurs dont il se passerait bien. Heather, elle, ne semblait pas vraiment jouer le jeu des commérages ou, en tout cas, n'agissait pas avec lui différemment à cause de cette histoire. L'australien hocha la tête, rassuré que pour l'un d'entre eux au moins les choses semblent s'être apaisées. « Pouvoir tourner directement à Brisbane, c'est toujours une aubaine quand on n'a pas forcément envie de passer sa vie entre deux avions pendant des mois. » Il ignorait si c'était le cas d'Heather, mais personne ne faisait réellement ce métier avec l'envie de sacrifier sa vie personnelle au profit de sa passion, Rory lui avait toujours vu ça comme une question d'équilibre. Il avait sacrifié beaucoup trop de choses par le passé pour être enfin pris au sérieux mais la vérité, c'est qu'il n'avait jamais autant besoin de redescendre sur terre et de passer du temps avec ses proches que lorsqu'il revenait de tournage. « Mais toi, t'as envie qu'elle se fasse cette nouvelle saison ? » Il rebondit sur sa remarque précédente, reposant son regard sur elle car décelant dans la voix de la jeune femme un mélange d'indécision et de dépit. Il en avait connu, des rôles auxquels il devait beaucoup aujourd'hui mais qui ne l'épanouissaient pas toujours à l'époque, souvent parce qu'ils le cantonnaient au même registre. Il lui avait fallu attendre plusieurs années avant de camper des personnages qui lui offraient vraiment l'opportunité d'incarner, et Rory ne nourrissait des regrets qu'encore plus grands à l'idée que le rôle qu'il avait été le plus fier d'interpréter demeure peut être un fantasme qui jamais ne prendrait vie. Il haussa doucement les épaules, puis sentit ses lèvres s'étirer d'amusement lorsque la discussion dériva sur ces coutumes culinaires étranges qu'on pouvait découvrir au détour d'une rue ou d'un petit resto, ici, aux États-Unis. L'occasion pour Rory de se rappeler qu'en effet, Heather était anglaise. « Presque pire que la salade en gelée, t'es bien sûre ? J'ai toujours pensé qu'en Angleterre, tout était plus raffiné qu'ailleurs. » Mais ça, c'était sûrement en grande partie parce qu'il n'y avait jamais mis les pieds. Il aurait aimé, pourtant. L'ironie était d'autant plus grande qu'il était resté en couple avec un anglais pendant quatre ans mais Rory le savait, pour Swann ça n'était pas si simple de retourner fouler le sol qui l'avait vu naître parce qu'il avait trouvé beaucoup de choses à Brisbane qui lui avaient manqué durant toute une partie de sa vie. A commencer par une vraie famille. Alors il n'avait jamais fait qu'effleurer l'idée, de temps en temps, songeant qu'un jour peut être ils feraient ce voyage tous les deux. Maintenant, il savait qu'ils n'en auraient jamais l'occasion. « Je sais que dans ce milieu plus que n'importe où ailleurs, on dit qu'il vaut mieux une mauvaise réputation que de demeurer dans l'anonymat. Mais je crois qu'il faut être passé par ce qu'on a traversé pour savoir que rien n'est jamais aussi simple. » Parfois, on apprenait à se satisfaire du fait que les choses ne soient ni toutes noires, ni toutes blanches. Alors il était sans doute mieux placé que quiconque pour comprendre qu'Heather regrette qu'on l'associe encore aujourd’hui au dérapage qui lui avait valu de faire la une des journaux. Un dérapage qui n'aurait jamais du être étroitement lié à sa carrière, mais dans leur métier on ne faisait pas de cas de ce qui se passait sur ou en dehors des plateaux.

Tout ça, c'était son quotidien depuis des mois et Rory peinait certains jours à entrevoir le bout du tunnel. C'était si facile, avant, d'être heureux et de se sentir comblé. Comment les choses pouvaient-elles autant changer en quelques mois ? Le bonheur s'en était-il allé pour de bon, ou la vie le mettait-elle simplement à l'épreuve avant de lui résister un traitement plus doux ? Il aimerait le croire, vraiment. « En réalité, j'ai pas juste frappé un autre homme. J'ai frappé le réalisateur qui fait depuis toujours figure de prodige et de gendre idéal. » Byers leur en avait raconté, des anecdotes sur ses dîners chez Geoffrey Rush et Nicole Kidman, et il suffisait de voir le regard des gens s'illuminer quand il leur disait qu'il tournait un film avec le cinéaste pour comprendre que ce type avait une aura particulière. « Certains diraient que je me suis tiré une balle dans le pied, et mon agente est assez d'accord avec cette idée. » Rory tenta un sourire, un peu éteint, se raccrochant à la certitude que malgré tout ce que cette histoire lui coûtait, il n'aurait pas voulu faire les choses différemment. Parce qu'il avait pris une décision impulsive, ce soir-là lorsqu'il avait surpris Byers entrain d'agresser Penny, mais qu'à aucun moment il n'aurait pu s'en vouloir d'avoir réagi. Il devait le faire, pour Penny, et parce qu'aussi imparfaits soient ses parents pour beaucoup de choses, ils l'avaient tous les deux élevé dans le respect de l'autre et dans le respect des femmes. Il avait deux sœurs, dont une plus jeune que lui, et c'est à toutes ces choses qu'il avait pensé lorsque son poing avait heurté le visage du cinéaste. Il ne se serait jamais montré violent dans d'autres circonstances, mais à ce moment-là il n'avait écouté que son instinct. « Et ça rend les choses plus faciles, d'avoir grandi avec ce milieu ? Ou est-ce qu'après tout ce temps, on en vient encore à s'étonner qu'il soit aussi impitoyable ? » Il questionna, curieux de se nourrir d'une expérience différente de la sienne : Heather avait commencé à tourner quand elle était encore très jeune, lui ne s'était dirigé vers la comédie qu'à la fin de son adolescence, après la blessure qui lui avait coûté de renoncer au football. Deux vocations qui s'étaient révélées à eux différemment, mais une seule passion qui les rapprochait. Rory sentit bientôt la main d'Heather se déposer sur son épaule dans un geste rassurant, tandis que le discours de la jeune femme visait aussi à lui ôter un poids des épaules. Il le savait, qu'il devait accepter l'idée que tout le monde dans cette salle attende sans doute le moment où quelqu'un commettrait un impair suffisamment important pour faire oublier sa faute, à lui, qui aussitôt perdrait de son intérêt à leurs yeux. Ça lui paraissait encore loin, mais il savait que le jour où il aurait droit à du répit, tout lui paraîtrait enfin un peu moins oppressant. Ainsi il lui sourit, doucement. « C'est clair qu'à choisir, j'aimerais mieux que celui qui fera oublier mon coup d'éclat mérite ce qu'il se prendra dans la figure. » Comme Byers mériterait qu'on lui rende la monnaie de sa pièce, quand bien même dans son histoire à lui ça n'était pas à celui qui avait eu un comportement abjecte qu'on s'en prenait depuis des mois. « Un peu de justice, c'est tout ce que je demande. » Parce qu'à l'image de ce qu'il vivait depuis le début de cette affaire, les yeux n'étaient pas toujours tournés vers les vrais coupables et ils le savaient sans doute autant l'un que l'autre qu'ils se passaient parfois des choses graves en coulisses mais que personne n'osait porter à la connaissance du public. Il le pourrait, lui, si seulement il n'avait pas promis à Penny de garder son secret tant qu'elle ne se sentirait pas prête à en parler. Une promesse sur laquelle il n'était jamais revenu, et qu'il ne se voyait pas non plus briser ce soir – même si Heather, dans toute la bienveillance dont elle faisait preuve avec lui, mériterait au moins de connaître le fin mot de cette histoire. « Je sais que ça me fait du tort de garder le silence, mais il est pas juste question de moi mais aussi de quelqu'un dont la vie sera bien plus impactée que la mienne lorsque la vérité sera connue. » Parce qu'il le savait, dès lors que tout serait révélé à l'opinion publique, l'intimité de Penny serait envahie et ce serait très différent de ce que la jeune femme vivait depuis déjà plusieurs mois. Les questions, les rumeurs, la façon dont on pourrait mettre sa parole en doute malgré tout. C'était à tout ça qu'elle se préparait à faire face et Rory ne voulait pas lui rajouter la moindre pression. C'était à elle de décider du bon moment.« Je suis désolé de rien pouvoir dire. Mais il l'a mérité, sur ce point-là je t'ai dit la vérité. » Et ça ne l'aidait peut être pas à y voir plus clair ou à satisfaire la curiosité que lui inspirait cette histoire, mais Rory songeait que ça n'était de toute façon pas l'endroit pour partager une conversation comme celle qu'il aurait lancé s'il avait juste mis de coté Penny et le reste, pour rendre à Heather ce qu'elle faisait pour lui. Il la suivit lorsqu'elle partit s'asseoir et lui posa cette question que lui-même réprimait depuis le début de leur échange. Parce qu'il pouvait comprendre, là encore, que si la question de son orientation sexuelle s'était retrouvée au cœur du scandale qui la concernait, elle en ait fait une affaire d'autant plus personnelle. Ainsi il l'écouta, secoua la tête pour lui montrer qu'il était à même de comprendre les raisons qui l'avaient d'abord poussé à garder le secret sur son homosexualité. Bien plus qu'elle ne l'imaginait sans doute, en réalité. « Je comprends. Tu aimerais pouvoir être qui tu es sans que ta carrière doive en pâtir. Dans ce milieu, c'est pas rare qu'on te fasse sentir que t'as tout intérêt à garder pour toi que t'es un homme qui aime les hommes, une femme qui aime les femmes, ou quelqu'un qui aime les deux. » Parce que ce milieu, il se voulait progressiste pour beaucoup de choses mais que d'un autre coté, vous pouviez encore y rencontrer des personnes rebutées par l'idée que leur tête d'affiche affiche une sexualité différente de ce qu'ils jugeaient être la norme. « Je suis bisexuel. Et le premier conseil qu'on m'a donné lorsque j'en ai parlé, c'est d'éluder les questions qui toucheraient à mon orientation sexuelle. » C'était un conseil bienveillant de son agente, au départ, mais un conseil qui lui avait ouvert les yeux sur une réalité qu'il ne voulait pas voir avant ça. Le Cinéma, ça vous mettait des étoiles plein les yeux, mais celui que vous étiez au fond de vous ne devrait jamais être un frein à la réussite que vous poursuiviez. « Donc je sais ce que t'as pu ressentir, face à ce type. Et pour ce que ça vaut, je pense qu'il l'avait pas volée. » Il termina en étirant un sourire en coin. D'accord, la violence ne résolvait rien et c'était la dernière chose susceptible de leur rendre service. Mais face à ceux qui se croyaient tout permis et qui piétinaient des vies sans même s'en soucier, elle s'avérait parfois cruellement nécessaire.

 

haven't you had enough of loneliness ?

@HEATHER HARRIS & RORY

Il lui suffisait d'avoir passé un peu de temps en Californie pour des tournages ou comme ici lors d’événements officiels pour avoir noté que la vie y était différente d'à Brisbane. Ça n'était pas un hasard si beaucoup d'acteurs finissaient par s'y installer pour prétendre à des rôles plus importants dans des productions internationales, une opportunité qui ne s'était pas encore réellement présentée à Rory et dont il ne saurait pas vraiment quoi faire, à vrai dire. Tout quitter pour vivre le rêve américain, ça faisait envie sur le papier, mais toute sa vie était en Australie et continuer de faire ce qu'il aimait loin des gens qui comptaient le plus pour lui, ça aurait peu de sens à ses yeux. Cela dit, il avait soif de voyages et appréciait comme ce week-end ce genre d'escapades pour tout ce qu'elles avaient de dépaysantes. « Je suis d'Adélaïde en réalité mais je vis à Brisbane depuis mes treize ans. J'ai beaucoup tourné en Australie et je serais content qu'on me propose un jour de gros projets ici aux États-Unis, mais y vivre ça j'en sais rien. » Rory n'était pas exactement le cliché de l'acteur qui aspirait à long terme à se payer une villa de rêve en plein cœur d'Hollywood, ne serait-ce qu'entre son passé de sportif et ses habitudes alimentaires plus proches d'une coach en bien-être que d'une starlette aux mille et unes frasques. Il ne faisait pas ce métier pour le plaisir de lire un tas d'âneries sur son compte quand il ouvrait un journal ou pour celui d'être reconnu dans la rue, être médiatisé à tout prix n'était pas ce qu'il recherchait et la vie en Australie lui paraissait bien assez exposée pour ne pas risquer de s'expatrier là où tout vibrait bien plus fort encore. « Certains passent une grande partie de leur carrière chez Disney et s'y voient proposer des rôles plus intéressants qu'ailleurs. Avec tout ce qu'ils détiennent aujourd'hui, les opportunités y seront de plus en plus nombreuses et je suis convaincu qu'ils peuvent faire un excellent tremplin. » Il rejoignait Heather sur l'idée que travailler pour les studios Disney ou une de leurs filiales ne se refusait pas à une époque où la Walt Disney Company détenait une grande partie du paysage cinématographique et télévisuel. « Aujourd'hui on t'associe à cette série, demain ce sera à autre chose. Si une opportunité se présente, ils sauront déjà ce que tu vaux. » Il se fendit d'un sourire, convaincu que la jeune actrice pourrait jouir d'une position confortable en étant déjà connue des collaborateurs des studios Disney le jour où un nouveau gros projet serait mis sur le tapis. Rien qu'à ce genre de soirées, bon nombre de producteurs nouaient des contacts avec des visages plus ou moins connus de la franchise et des castings de grande envergure avaient même parfois lieu en interne. Au sujet des spécialités anglaises, Rory n'était pas vraiment un spécialiste et ne partageait avec eux qu'un certain patriotisme lorsqu'il était question de leur Reine. Ainsi la remarque de Heather lui tira un rire franc. Tout le chic anglais tel qu'il se l'était toujours représentait en prenait un coup. « Mince, là c'est tout un mythe qui s'effondre. Maintenant, je remets toutes mes certitudes en question et j'en viens à penser que vous buvez peut être même pas autant de thé qu'on le dit. » Il avait beau plaisanter, il parierait que c'était une autre de ces idées reçues qu'on avait souvent à propos de l'Angleterre et sûrement une tradition plus tenace chez certaines classes et certaines générations. En ce qui concernait l'importance d'une réputation dans un milieu comme celui-ci, peu de personnes pouvaient sans doute mieux en témoigner que Heather et lui. Ils avaient chacun subi les conséquences d'une exposition désavantageuse et perdu un rôle important pour une erreur qui n'aurait jamais du entacher leur carrière. Ça pouvait paraître injuste, mais c'était aussi le prix à payer pour faire ce qu'on aimait. « C'est sûr, si tu m'offrais la possibilité d'effacer toute cette année et de repartir de zéro lorsque j'étais pas encore la cible d'articles assassins, j'hésiterais pas une seconde à accepter. » Ce ne serait pas sans conséquences là non plus, il était malgré tout fier de son parcours et d'en être arrivé à un point de sa carrière où il était passé tout près d'être l'un des deux rôles titres d'un film de grande envergure, mais les mois tout juste écoulés lui avaient apporté plus de peine et de regrets que les dix dernières années. C'était particulièrement dur, de s'être battu pour imposer ses choix et pour être enfin réellement prix au sérieux, et d'en arriver au stade où on ne parlait plus de lui pour ses performances mais simplement pour ce que la presse appelait un « coup de sang », l'impulsivité d'un jeune acteur trop ambitieux. Sûrement que Heather elle aussi s'était languie de retrouver une certaine sérénité lorsqu'elle faisait régulièrement la une de la presse, et ça avait mine de rien quelque chose de rassurant d'en parler à quelqu'un qui pouvait vraiment comprendre et se mettre à sa place.

Son rire se joignit à celui de la jeune femme et Rory secoua la tête. Certes, il avait joué de malchance en s'en prenant à un type comme Byers, mais une partie de lui ne pouvait pas s'empêcher de penser que si un jour la vérité éclatait et qu'il chutait brusquement de son piédestal, alors son déclin serait bien plus savoureux encore et tous ceux qui lui témoignaient son soutien aujourd'hui ouvriraient les yeux sur la personne qu'il était. Aujourd'hui, c'était Penny et lui qu'on traînait dans la boue et qui ne pouvaient même pas se défendre, mais un jour les rôles pourraient s'inverser. S'il ne le croyait pas sincèrement, il n'aurait pas promis des dizaines de fois à Penny de tout entreprendre pour qu'on la croit le jour où elle se sentirait prête à parler. « Au final, je crois qu'on est les preuves vivantes que le degré de notoriété de celui à qui on s'en prend ne fait que peu de différence aux yeux des détracteurs. » Il souligna, l'air malgré tout amusé. Heather avait frappé un homme qui contrairement à Byers ne faisait pas partie du paysage public australien, pourtant son affaire avait été aussi médiatisée et les répercussions sur sa vie tout aussi nombreuses. La vérité, c'est qu'ils avaient forcément tort aux yeux de l'opinion et de la presse quand ils avaient le malheur de céder à ce genre de pulsions – peu importe que la personne en face l'ait mérité ou non – et à partir de là, que vous vous en preniez à un journaliste ou à un réalisateur de renom changeait peu de choses. Heather, elle, évoluait en plus devant les caméras depuis son plus jeune âge et connaissait par cœur les tenants et les aboutissants de ce milieu. Elle n'avait pourtant pas l'air blasée, juste résignée à accepter qu'il puisse parfois sembler injuste et impitoyable, ce qui valait à certains de se faire rapidement broyer par les rouages de cette industrie. Rory en était convaincu, il aurait beaucoup à apprendre d'une jeune femme comme Heather. Si leurs routes étaient amenées à se recroiser à l'avenir – ce qu'il espérait d'autant plus maintenant qu'il savait que sa compagnie était agréable – l'australien espérait que ce serait dans des circonstances un peu différentes. Elle partageait son point de vue sur un certain nombre de choses et peu de gens pourraient sûrement comprendre en quoi ça lui tenait autant à cœur, que ceux qui demain feraient la une des journaux soient cette fois ceux qui avaient vraiment des choses à se reprocher. « Je pense que trop de gens ont encore tendance à se taire et à laisser certains comportements impunis. Il suffit de voir comment on nous traite lorsqu'on réagit à ce qu'on juge répréhensible pour se douter que beaucoup se taisent de peur de ruiner leur carrière. » Et il était peut être bien mal placé aujourd'hui pour accuser certains de garder le silence, seulement lui ne se taisait pas pour protéger sa carrière. S'il n'avait eu que cette préoccupation à l'esprit, alors il serait resté sans réagir face à Byers lorsqu'il s'en était pris à Penny et aurait évité bien des complications à plus d'un niveau. Seulement ça lui paraissait dérisoire de s'en inquiéter dans un moment où le plus important était ailleurs, et la seule raison pour laquelle il ne pouvait encore rien dire aujourd'hui, c'est parce qu'il avait promis à Penny d'attendre qu'elle soit prête. Ce n'était pas à lui de prendre cette décision pour elle, tout comme ça n'était pas lui que ces révélations impacteraient en premier lieu. Pour toutes ces raisons, il ne se sentait pas le droit de parler et était au moins soulagé que Heather semble comprendre qu'il ne se taisait pas par plaisir. « Elle en vaut la peine, oui. C'est quelqu'un qui compte pour moi et qui méritait pas ce qui lui est arrivé. » Personne ne le méritait parce qu'il n'y avait pas plus injuste que de voir une femme être agressée par quelqu'un en qui elle avait jusqu'ici toute confiance et qui profitait d'une posture idéale pour agir. Mais Penny était aussi quelqu'un de bien, de doux, qui donnait beaucoup aux autres et qu'il avait appris à connaître au fil des mois. Elle se fiait à Byers au même titre que lui et il n'avait pas hésité à s'en servir contre elle, et ça le rendait malade. Tout autant que l'idée que d'autres puissent avoir subi ou subir à l'avenir la même chose. « J'y pense tout le temps, à vrai dire. Au fait qu'en disant rien tout pourrait finir par se répéter et qu'on regrettera d'avoir attendu pour parler. Mais je veux pas la culpabiliser en plus du reste, je sais qu'elle le fait suffisamment elle-même. » Se reprocher d'avoir besoin de temps pour en parler pendant que Byers pouvait à tout moment s'en prendre à quelqu'un d'autre. Il savait que Penny voudrait trouver la force de braver les rumeurs et les aprioris pour le dénoncer, mais aussi que ça n'était pas si simple. Elle était meurtrie, savait que ce serait sa parole contre celle de cet homme, et il pouvait comprendre que l'idée l'angoisse autant que de mettre des mots sur ce qui s'était passé ce soir-là. Ainsi il hocha la tête, étirant un sourire à l'idée qu'au moins ils soient d'accord sur une chose : ça n'était pas toujours la meilleure des idées de réagir par la violence mais c'était en revanche une satisfaction de voir payer quelqu'un qui l'avait mérité. Tout comme le journaliste à qui Heather s'en était pris et qui, il le comprit par la suite, ne l'avait pas volé lui non plus. Cet homme aussi avait touché à ce qu'elle avait de plus personnel, le droit de dévoiler ou non qu'elle aimait les femmes et de choisir la manière dont elle voudrait ou non le faire savoir. Être homosexuel ou bisexuel dans ce milieu, même encore aujourd'hui, n'était pas toujours aussi simple qu'on le croyait et nombreux étaient ceux qui tentaient de les dissuader d'en parler. « Je perds pas espoir qu'un jour les mentalités aient assez évolué pour qu'on puisse passer ce genre de soirées à discuter de nos rôles plutôt que du fait qu'une partie d'entre eux sera toujours destinée à ceux à qui on demandera jamais de justifier leur hétérosexualité. On nous traite souvent comme si on devait rentrer dans des cases, mais nos choix devraient concerner que nous. » Et on leur conseillait encore trop souvent d'être discrets sur leurs préférences, de renvoyer une image aussi traditionnelle que possible pour ne se fermer aucune porte. En 2020, ça lui paraissait insensé. « C'est pas moi qui risque de te dire que t'aurais tort. » Il souffla, l'air amusé, regardant un instant autour d'eux. « J'espère qu'il faudra pas attendre un an pour qu'on se recroise et qu'on débatte à nouveau sur combien certains méritent parfois une bonne leçon. Parce que j'ai passé une bien meilleure soirée que je le pensais en venant. » En partie grâce à elle, donc. Rory ponctua ses déclarations d'un sourire sincère et se promit de lui laisser ses coordonnées pour qu'ils puissent reprendre contact s'ils le souhaitaient. Le milieu était grand et cette soirée leur aurait prouvé que ça faisait parfois du bien d'y trouver quelqu'un capable de nous comprendre.