I came in with good intentions Then I let it go And now I really wanna know
Dire que Clyde avait été ravi lorsqu’on lui avait annoncé qu’il serait chargé de superviser une collègue durant quelques jours aurait été un doux euphémisme, compte tenu du fait qu’il était en réalité tout sauf ravi que la direction lui colle un sous-fifre aux basques. Le brun n’était habituellement pas du genre à dénigrer ceux qui pouvaient se trouver plus bas que lui sur l’échelle hiérarchique, car il avait parfaitement conscience que tout le monde devait commencer quelque part - comme cela avait été son cas, avant qu’il ne réussisse à grimper les échelons à force de travail et de persévérance. Néanmoins, lorsqu’il devenait responsable de quelqu’un alors que la base de son travail - et surtout de ses activités extraprofessionnelles - faisait de lui un être solitaire et qui aimait le rester, là, l’idée lui plaisait soudainement beaucoup moins. Le nom de cette Lexie Walker lui était parvenu avant même qu’il ne la rencontre, et par conséquent, il n’avait pas manqué de faire quelques recherches rapides sur elle pour savoir à quoi s’attendre. Il ne lui avait pas fallu bien longtemps pour réaliser qu’elle était son opposé le plus total, car s’il partageaient le même employeur, c’était bien la seule chose qui les liait. La jeune femme était née avec une cuillrtère en argent dans la bouche visiblement, et était plus ou moins connue des magasines pour des frasques passées assez régulières. Être sous les projecteurs, perdre le contrôle de soi-même, tout ce que Clyde détestait - de par sa personnalité, mais également car il ne pouvait se permettre que sa tête fasse la une des magazines étant donné le côté particulièrement secret de beaucoup de ses affaires.
C’était donc avec une impatience non dissimulée qu’il attendait la fameuse Lexie devant les locaux d’ABC, alors qu’il avait prévu de passer la journée à se rendre dans plusieurs entreprises pour réaliser, dans la mesure du possible, des interviews avec des personnes qu’ils pensaient capables de le renseigner sur une affaire de harcèlement sexuel. Toujours la même chose, au fond, car ce n’était pas la première fois qu’il devait travailler sur ce genre de dossier, malheureusement. Il s’agissait d’un travail qui requiérait une précision ne souffrant d’aucune maladresse, et il ne pouvait donc craindre que sa collègue ne se retrouve dans ses pattes et mette en péril ses objectifs. Pour autant, il n’avait pas vraiment pu refuser qu’elle l’accompagne, car la direction lui avait bien fait comprendre qu’il était de son devoir de participer à la formation d’une collègue, comme le répétaient si bien les valeurs d’entraide que l’entreprise mettait en avant. L’entraide, bien évidemment, qu’il avait répondu avec un sourire qui sonnait aussi faux que la moitié des noms indiqués sur les comptes en banque qu’il possédait, et c’était en dire quelque chose. Alors qu’il regardait sa montre par la seconde fois, il aperçut enfin la brune se rapprocher de lui, tandis qu’il lui offrait un signe de la tête pour la saluer. “Lexie, c’est ça?” Bien sûr que c’était ça, il n’en avait aucun doute - mais il devait bien se montrer poli, du moins tant qu’elle n’avait rien fait de mal qui méritait vraiment qu’il soit agacé. “On t’a parlé du dossier ou pas?” Car il était hors de question qu’ils continuent plus loin si elle n’avait pas la moindre idée des objectifs de la journée. Clyde ne se sentait pas vraiment une âme de professeur, mais il devrait bien lui expliquer les détails si personne ne l’avait mise au courant avant.
Lexie avait été embauchée début 2020 en tant que présentatrice météo par ABC. Birdie et elle se partageaient ainsi les différents créneaux de la journée. Mais si la jeune femme trouvait ce job plutôt pas mal, aimant être sous le feu des projecteurs, même le temps de quelques minutes, elle aspirait à autre chose. Son souhait était de devenir une vraie journaliste, et de présenter une émission en lien avec la politique ou les relations internationales. Elle avait fait des études dans ce domaine, poussée par sa mère, et avait, à son plus grand étonnement, adoré cela ! Alors, depuis son arrivée à ABC, Lexie faisait tout pour se rendre indispensable et tentait de gravir les échelons. Au bout de quelques mois, elle avait réussi à devenir journaliste TV, participant à l’élaboration des sujets qui étaient ensuite diffusés à l’antenne. Son rôle consistait cependant majoritairement à mettre en forme ce que des journalistes d’investigation avaient récolté, ou bien à faire des recherches sur internet ou d’autres bases de données. Et la jeune femme aspirait à plus. La brunette avait ainsi été ravie lorsqu’on lui avait proposé une formation avec un des journalistes d’investigation de la chaîne, un certain Clyde Wakefield. Elle le connaissait de nom, mais n’avait jamais eu la chance de travailler avec lui.
Lexie sortit des locaux d’ABC avec un petit plateau en carton portant deux gobelets de café noir, ainsi que des dosettes de lait et de sucre. Elle sourit à Clyde et s’approcha, ayant fait un effort sur sa tenue : sobre, classe, jean noir et chemisier bleu roi à manches courtes.
« Lexie, c’est ça ? »
La jeune femme haussa un sourcil, amusée. Elle avait du mal à croire qu’il puisse en douter. Qu’il puisse ne pas lire la presse people, elle le pensait bien. Mais qu’il ne connaisse pas le Walker Group lui paraissait étrange. En outre, elle imaginait bien que, en tant que journaliste d’investigation, il avait dû faire ses petites recherches sur elle. Elle ne releva cependant pas et ne se départit pas non plus de son sourire.
« C’est exact. Café ? »
Ok, ça faisait peut-être un peu lèche-botte, mais Lexie souhaitait mettre toutes les chances de son côté pour que cette collaboration fonctionne.
« On t’a parlé du dossier ou pas ? »
La jeune femme attrapa un des gobelets posé sur le plateau et en but une gorgée. Elle avait bien interrogé la direction, quand on l’avait envoyé vers l’investigation, mais on lui en avait dit le minimum, lui affirmant qu’elle verrait avec son formateur. Elle hocha cependant la tête.
« Rapidement. Harcèlement sexuel en entreprise. Je suppose qu’on va interroger des employés. C’est une grosse boîte ? »
Lexie se demandait pourquoi ABC ferait un tel sujet. Est-ce que c’était parce que c’est un sujet de société, de plus en plus courant ? Est-ce que c’était pour signaler que ça arrive dans plein d’entreprises ? Ou bien est-ce qu’une entreprise mondialement connue est dans le viseur de la chaîne ? La brunette regarde autour d’elle, à la recherche de la voiture du journaliste.
Clyde regarda la brune s’approcher, ne manquant pas d’observer minutieusement sa tenue ainsi que sa gestuelle. Contre toutes attentes et malgré tout ce qu’il avait pu lire sur elle, Lexie semblait prendre au sérieux son poste - raison pour laquelle elle avait apparemment évolué ces derniers mois au sein de la chaîne. Elle était habillée sobrement sans toutefois en avoir fait des caisses, ce qui était également le cas du brun qui avait enfilé une chemise blanche sur un jean foncé. Après tout, il valait mieux ne pas arriver en entreprise en étant tiré à quatre épingles, car ils se feraient davantage remarquer d’autre chose, et leurs interviews se devaient de rester discrètes. “C’est exact. Café?” Il jeta un oeil au plateau que la jeune femme tenait dans ses mains - si elle pensait l’amadouer si facilement, elle ne le connaissait pas. Néanmoins, il ne pouvait que noter l’intention qui restait agréable, et hocha donc la tête en souriant très légèrement avant d’attraper un gobelet à son tour. “Oui, merci.”
Avant de quitter les locaux de la production, il voulait vérifier quelques détails avec elle, car il ne savait pas à quel point la jeune femme avait eu vent de qui était prévu pour la journée. “Rapidement. Harcèlement sexuel en entreprise. Je suppose qu’on va interroger des employés. C’est une grosse boîte?” Clyde hocha à nouveau la tête, tout de même satisfait qu’il n’ait pas besoin de reprendre la base, car il n’en avait en réalité ni le temps ni l’envie. “Plusieurs boîtes, en fait. ABC veut qu’on se saisisse du créneau pour monter un dossier sur des entreprises locales, pour la radio et peut-être la chaîne.” Clyde travaillait indistinctement pour les deux, et il avait donc été tout désigné pour se lancer sur ce sujet, ce qui ne lui déplaisait en réalité pas totalement. Il ne se considérait pas comme faisant partie des hommes ayant tendance à abuser de leur position ou leur argent contre des faveurs - au contraire, il se targuait de ne se montrer charmeur que lorsque l’effet était partagé. Mieux, creuser sur des personnalités influentes - ou non - qui avaient réellement des choses à se reprocher lui donnerait l’occasion de s’en servir pour les faire chanter, si l’occasion se présentait et que les coupables désignés l’étaient réellement. Pour l’instant, il n’avait eu vent que de rumeurs et d’informations qui étaient à vérifier, tandis qu’il avait déjà échangé avec plusieurs employés pour s’adonner à des interviews que ces derniers avaient camouflées sous le nom de rendez-vous professionnels. “On prend ta voiture, ou bien…?” Le brun préférait toujours se déplacer par ses propres moyens que prendre des taxis, et ce depuis de nombreuses années - pour toujours s’assurer une issue de secours, au cas-où. “Oui, elle est juste là.” Il désigna du doigt une Mazda blanche qu’il fit biper avant de s’y diriger. “J’espère que personne ne te reconnaîtra, on est pas censés être journalistes.” A travers ces mots-là, il sous-entendait donc qu'il connaissait les déboires de la brune, alors que les employés qu’ils allaient rencontrer l’avaient bien informé que les interviews ne devaient pas s’ébruiter. “T’as des lunettes au cas-où?” Il s’empêcha de faire une remarque désobligeante sur le fait que l’image de la jeune femme était davantage un problème qu’autre chose, dans ce cas-là, mais se retint pour lui laisser le bénéfice du doute. Après tout, il n’allait pas la renvoyer dans les locaux, et attendait de voir si elle prenait le boulot vraiment à cœur avant de s’en plaindre.
Lexie réprima un sourire lorsque Clyde prit le café qu’elle lui avait apporté. Au premier abord, il semblait très différent d’elle, et un brin méfiant. Alors si accepter ce gobelet était une minuscule victoire, c’était en tout cas un pas en avant. Le jeune homme interrogea Lexie sur l’affaire qu’ils avaient à couvrir. La brunette lui expliqua en deux mots ce qu’elle en savait, et ce n’était pas grand-chose. Elle emmagasina cependant les informations transmises par Clyde.
« Plusieurs boîtes, en fait. ABC veut qu’on se saisisse du créneau pour monter un dossier sur des entreprises locales, pour la radio et peut-être la chaîne. »
La jeune femme hocha la tête.
« Quelles entreprises ? »
Elle priait pour que le Walker Group ne fasse pas partie de la liste. Mais non, forcément, qu’il n’y était pas, sinon on ne l’aurait pas envoyé bosser sur ce sujet. Lexie espérait plus que tout que de tels agissements n’avaient pas lieu au sein de l’entreprise familiale, mais la société était tellement grande, et les employés tellement nombreux, qu’on pouvait tout imaginer. La jeune femme s’approcha ensuite du véhicule indiqué par Clyde, alors que celui-ci lançait sa première pique. Tiens, il avait tout de même tenu quelques minutes, avant d’attaquer. Vu son comportement depuis le début de leur entretien, Lexie était surprise qu’il ait résisté jusqu’à maintenant.
« J’espère que personne ne te reconnaîtra, on est pas censés être journalistes. T’as des lunettes au cas-où ? »
La jeune femme leva les yeux au ciel.
« Si c’est de la discrétion qu’il fallait, c’est certain qu’il ne valait mieux pas envoyer sur le terrain la coprésentatrice de la météo … »
Lexie adressa un sourire amusé à Clyde alors qu’elle s’installait dans la voiture, posant son café dans le porte-gobelet entre eux deux. Elle savait que ce n’était pas ce qu’il voulait dire. En réalité, ces mots ressemblaient presque à un avertissement, une sorte de « je sais qui tu es, ce que tu as fait, et je pense que tu vas te planter ». Mais Lexie n’était pas du genre à se laisser impressionnée, et elle adorait les défis.
« C’est quoi le plan ? On va dans les boîtes et on se fait passer pour des employés ? »
Le visage de la jeune femme s’illuminait alors qu’un plan semblait germer dans son esprit.
« Si ce sont des grosses entreprises, ça pourrait totalement marcher ! Les employés ne se connaissent pas tous. Je suis certaine que je ferai une parfaite assistante de direction ! »
La brunette se souvint soudain qu’elle était là pour apprendre, et que Clyde avait sans doute tout prévu. Elle se renfonça dans son siège, réprimant ses ardeurs. Elle plongea ensuite un regard amusé et déterminé dans celui du journaliste.
« En tout cas, sache que mon statut m’a appris une chose très importante : comment prétendre. J’ai appris très tôt à faire semblant de m’intéresser à ce qu’on me disait, à m’enthousiasmer pour des choses futiles et à parler d’un sujet que je ne maîtrisais pas du tout. »
La jeune femme reporta son attention sur la route alors que Clyde prenait la direction de la première entreprise.
« Je suis une très bonne actrice, ne t’inquiète pas pour ça. »
Au moment où Clyde se saisit de son gobelet, elle avança sa main et frôla délibérément la sienne. Elle attrapa finalement son café et en but quelques gorgées avant de le reposer, lançant un regard amusé au journaliste. C’était un jeu dangereux, mais la méfiance du brun et son comportement lui donnaient envie de jouer et de tenter de le dérider.
“Quelles entreprises?” Clyde releva les sourcils devant l’interrogation, ne saisissant pas tout de suite toute l’ampleur de la question. Il était évident qu’elle devrait au moins connaître les noms des boîtes avant de passer le pas de leur porte, car sinon toute leur couverture ne tiendrait pas une seule seconde. “Les géants du conseil, Ew, KPMG et PwC.” Le genre d’entreprises idéalement organisées pour que les managers usent et abusent de leur pouvoir envers les employés qui, en plus de ne pas compter leurs heures, ne comptaient plus les remarques dures, désobligeantes et visiblement même parfois déplacées de leurs supérieurs.
Alors que Clyde s’approchait de la voiture avec la jeune femme sur ses talons, il ne put s’empêcher de lui préciser que sa présence n’était pas non plus l’idéal compte tenu du boulot qui les attendait. “Si c’est de la discrétion qu’il fallait, c’est certain qu’il ne valait mieux pas envoyer sur le terrain la coprésentatrice de la météo…” La brune semblait amusée à cette idée, alors que lui gardait un visage impassible, se fendant juste d’un hochement de tête pour lui donner raison. “C’est ce que j’ai dit.” Au moins, le message était clair - Clyde n’était pas celui qui avait demandé à ce que la brune l’accompagne, et il subissait les décisions de la hiérarchie. “Mais si tu veux te former, il va bien falloir aller sur le terrain à un moment donné.” Le but n’était pas non plus de s’aliéner la jeune femme et de s’en faire une ennemie, raison pour laquelle il avait poursuivi avant de démarrer et de prendre la direction de leur premier rendez-vous. “C’est quoi le plan? On va dans les boîtes et on se fait passer pour des employés? Si ce sont des grosses entreprises, ça pourrait totalement marcher! Les employés ne se connaissent pas tous. Je suis certaine que je ferai une parfaite assistante de direction!” Le brun se dérida quelque peu, alors qu’il était au moins satisfait de voir que la jeune femme prenait ce déplacement à cœur - même si elle devrait réfréner ses ardeurs pour ne pas en faire trop. “J’ai fixé des rendez-vous avec plusieurs personnes qui savent qui on est. Mais aux yeux des autres, c’est l’idée, on est des employés lambdas tout juste embauchés.” Et c’était ce dernier détail qui leur sauverait peut-être la mise, si quiconque les arrêtait pour leur poser des questions, auxquelles ils pourraient prétendre ne pas avoir les réponses. “En tout cas, sache que mon statut m’a appris une chose très importante : comment prétendre. J’ai appris très tôt à faire semblant de m’intéresser à ce qu’on me disait, à m’enthousiasmer pour des choses futiles et à parler d’un sujet que je ne maîtrisais pas du tout.” Au moins, ils étaient deux, et cela ne participait qu’à conforter Clyde dans l’idée que la présence de Lexie n’était peut-être pas si catastrophique. “C’est clairement utile dans le métier.” Les mensonges du brun ne s’en tenaient pas qu’à cette sphère là, mais la brune n’avait pas à le savoir. “Je suis une très bonne actrice, ne t’inquiète pas pour ça.” Clyde se saisit rapidement de son café avant de lui répondre, frôlant alors la main de la jeune femme vers qui il jeta un coup d’œil, pour se rendre compte qu’elle affichait un sourire amusé. Qu’elle soit motivée et prête à bien faire, c’était une chose - mais si elle pensait se faire un ami en la personne de Clyde, elle ne le connaissait vraiment pas. “Si tu veux te faire passer pour la nouvelle assistante de direction, pas de problème.” Mais. “Le moindre dérapage peut nous coûter cher, donc j’ai besoin d’être sûr que t’es en état.” Pas qu’elle ait l’air stone actuellement, au contraire, mais son image dans les médias était suffisamment tendancieuse pour qu’il ne lui fasse pas nécessairement confiance pour se contrôler coûte que coûte.
La brunette tâcha de ne pas trop montrer son soulagement lorsque Clyde énuméra les trois entreprises visées par son enquête, mais ses épaules s’affaissèrent visiblement. Le Walker Group n’était pas dedans, et c’était le principal. L’entreprise était tellement grande, et comptait tellement d’employés, qu’il se pouvait très bien que plusieurs salariés en soient victimes sans qu’elle, sa mère ou Channing, qui s’apprêtait à reprendre les rennes du groupe, ne soit au courant.
Le journaliste ne perdit pas de temps à attaquer Lexie. Il était évident qu’il n’était pas ravi de sa présence ici. Il avait sans doute l’habitude de travailler seul, ou bien pas avec des gens comme la brunette. A ses paroles, on comprenait rapidement qu’il savait ce que la presse à scandales disait d’elle, et qu’il n’appréciait pas vraiment. Elle regrettait qu’il se fie ainsi à ce qu’il avait pu lire, sans se faire sa propre opinion. Pour un journaliste, avoir des préjugés ne devait pas être une qualité. La jeune femme ne se laissa pourtant pas démonter. Elle choisit de prendre sa remarque sur le ton de la rigolade, alors que Clyde demeurait impassible.
« C’est ce que j’ai dit. Mais si tu veux te former, il va bien falloir aller sur le terrain à un moment donné. »
Lexie afficha un sourire amusé. Le côté grognon et froid de son interlocuteur lui donnait envie de rire, alors qu’elle tentait désespérément de garder son sérieux.
« Et c’est pour ça que je te remercie de t’être porté volontaire pour cette formation ! »
Quoiqu’il en soit, elle avait bien compris qu’elle allait devoir faire ses preuves. Mais cela ne la dérangeait pas. Elle était habituée à devoir combattre les préjugés et prouver sa valeur. Elle le faisait à la fois dans sa vie professionnelle, mais aussi dans le domaine privé. Non seulement les gens lui attribuaient l’image d’une fêtarde écervelée et d’une junkie, mais aussi d’une fille de riches, qui devait avoir eu une vie merveilleuse et avait tout ce qu’elle voulait d’un claquement de doigt. Autant dire que selon Lexie, on était loin de la réalité.
La conversation s’enchaîna sur la manière d’opérer. Clyde avait semble-t-il déjà fixer des rendez-vous à des employés disposés à parler de ce qu’ils subissaient. Lexie aurait plutôt eu tendance à fonctionner au feeling, mais elle écouterait attentivement les instructions du journaliste.
« C’est toi le patron, je te suis, et je saurai me tenir. Est-ce qu’on a une sorte de … double identité ? Je veux dire, je peux t’appeler Clyde, ou on n’utilise pas nos vrais prénoms ? »
Ok, Lexie s’emballait un peu, mais elle était surexcitée à l’idée d’aller sur le terrain, et ne laisserait pas le jeune homme lui gâcher son plaisir.
« Si tu veux te faire passer pour la nouvelle assistante de direction, pas de problème. Le moindre dérapage peut nous coûter cher, donc j’ai besoin d’être sûr que t’es en état. »
La brunette sentit le rouge lui monter aux joues en même temps qu’elle sentait la colère pointer le bout de son nez. Elle serra les dents, et attendit qu’il s’arrête devant la première entreprise pour attraper la mâchoire de Clyde entre ses doigts afin qu’il la regarde droit dans les yeux. Le regard bleuté de Lexie s’était assombri et lançait des éclairs, alors qu’elle scrutait le journaliste. Elle le relâcha rapidement, sifflant entre ses dents.
« Figure toi que j’avais mis un peu de cocaïne dans mon café, mais tu as pris mon gobelet. Pas de chance. Je vais bientôt ressortir le manque, alors que l’euphorie devrait te gagner d’ici … »
Elle consulta sa montre, puis releva la tête.
« Je dirais moins de cinq minutes. Mais j’espère que tu vas y arriver. Tu comprends, j’ai besoin d’être sûr que tu seras en état. »
Evidemment, elle bluffait. C’était faux, et il était évident que Clyde allait le comprendre, mais il l’avait énervé. S’il pouvait lui arriver de dépasser les bornes en soirée, elle savait être professionnelle. Elle sortit de la voiture en claquant la portière, attendant que le journaliste la rejoigne avant de pénétrer dans la première entreprise.
“Et c’est pour ça que je te remercie de t’être porté volontaire pour cette formation!” Il n’était pas vraiment volontaire, au contraire. Pourtant, Clyde se retint de préciser cette information, car cela n’était en revanche pas la faute de la jeune femme qu’un supérieur ait décidé de les coller ensemble, alors autant ne pas envenimer davantage le climat particulier qui s’était installé entre eux. A la place, il préféra répondre à ses questions concernant les interviews qu’ils allaient mener, la jeune femme ayant sensiblement les mêmes idées que lui, ce qui était bon signe car le but était qu’elle mette la main à la pâte et ne se contente pas simplement de le suivre. “C’est toi le patron, je te suis, et je saurai me tenir. Est-ce qu’on a une sorte de … double identité? Je veux dire, je peux t’appeler Clyde, ou on n’utilise pas nos vrais prénoms?” Elle était loin d’être idiote, la brune, contrairement à ce que les tabloids semblaient révéler, et Clyde releva donc un sourcil intéressé vers elle. “Dans ce genre de cas je me fais appeler Logan.” Ce qui était particulièrement ironique, étant donné qu’il s’agissait réellement de son prénom avant qu’il n’effectue une demande de changement auprès de l’administration de nombreuses années auparavant, inversant ainsi son premier et second prénom. Il en était donc rendu à utiliser son propre prénom - du moins désormais son second, comme couverture - chose dont il s’amusait beaucoup. “Tu veux utiliser quel prénom?” Celui qu’elle choisirait lui importait peu, tant qu’il n’attirait pas trop l’attention.
Il finit par se garer devant la boite où leur premier rendez-vous les attendait, en plein centre-ville de Brisbane. Avant d’entrer, il devait s’assurer que la brune était digne de confiance, chose sur laquelle il avait certains doutes étant donné l’image que les médias avaient forgé d’elle avant qu’elle ne semble se reprendre depuis qu’elle travaillait pour ABC. Cependant, les mauvaises habitudes avaient la vie dure, et il n’accepterait pas de subir ses défaillances alors qu’il n’en était en rien responsable. Avant même de prononcer un seul mot, elle lui attrapa la mâchoire pour planter ses yeux dans les siens, si soudainement qu’il ne put l’en empêcher. “Figure toi que j’avais mis un peu de cocaïne dans mon café, mais tu as pris mon gobelet. Pas de chance. Je vais bientôt ressortir le manque, alors que l’euphorie devrait te gagner d’ici… Je dirais moins de cinq minutes. Mais j’espère que tu vas y arriver. Tu comprends, j’ai besoin d’être sûr que tu seras en état.” Clyde était sur le point de retirer violemment sa main de son visage lorsqu’elle s’écarta d’elle-même avant de claquer la portière derrière elle. Une seconde et une seule, le brun resta quelque peu sous le choc de cet éclat de colère auquel il n’était pas habitué, et qu'il n'attendait pas de la part de celle qui souriait un instant plus tôt. Il l’avait peut-être blessé - et même sûrement, à en juger par sa réaction qu’il ne croyait pas une seconde car elle risquait son poste si elle avait vraiment voulu le droguer - mais il n’avait pas levé sa main sur elle, et ne l’avait pas insultée. Alors il ne pouvait pas laisser passer le comportement qu’elle se pensait en droit d’avoir avec lui, alors qu’elle n’était qu’un obstacle dans sa journée - qu’il se ferait un plaisir de renvoyer au bureau si elle pensait pouvoir lui imposer sa loi comme cela.
Il traversa donc la rue et l’attrapa par le bras avant même qu’elle n’ait atteint les portes vitrées de l’entreprise, l'entraînant à quelques mètres sur le trottoir avant de la lâcher. “Tu t’es prise pour qui là?” Certainement pas pour celle avec qui il accepterait de travailler. “Ne refais plus jamais une chose pareille.” Sa voix s’était faite menaçante et ses yeux lançaient des éclairs, de la même manière qu’elle. Si seulement elle le connaissait un peu plus, elle saurait qu’il fallait se méfier et ne pas s’en faire un ennemi. “Ma question t’as pas plu, très bien. Mais je suis pas ton pote, alors comporte toi en professionnelle.” Et surtout, ne me touche plus jamais, qu’il aurait pu ajouter. “Peut-être que les médias racontent de la merde sur toi, peut-être pas. En vérité j’en ai pas grand chose à foutre. Mais j’ai encore le droit de m’assurer que mes investigations se déroulent sans accroc.” Il finit par relever le menton - si elle comptait être un accroc, autant qu’elle le lui fasse comprendre tout de suite.
Lexie était emballée par cette mission qu’on lui avait confié sur le terrain. Si on lui avait déjà demandé à de nombreuses reprises de participer à la rédaction de sujets journalistiques, son job avait consisté à faire des recherches ou à mettre en ordre les recherches des autres. Pour la première fois, elle allait sur le terrain, et elle était surexcitée. Cela se voyait facilement dans les questions qu’elle posait, même si elle eut l’impression de s’emballer quelque peu. A son plus grand soulagement, elle avait pourtant tapé dans le mille, alors que Clyde la dévisageait, l’air quelque peu surpris et soulagé. Eh oui, il devait s’attendre à passer la journée avec une écervelée, qui n’aimait que les fêtes et la drogue.
« Dans ce genre de cas je me fais appeler Logan. Tu veux utiliser quel prénom ? »
Lexie réfléchit un instant et haussa les épaules.
« Lucie ? Peu importe au final, mais au moins ça ressemble à Lexie. Si tu te plantes, ce sera moins grave. On pourra prétendre que tu as oublié le prénom de ta nouvelle collègue. »
Elle lui fit un clin d’œil et lui adressa un sourire. Elle ne pensait pas réellement qu’il allait se tromper. Il avait l’air très professionnel, et très concentré. Mais elle n’avait vraiment aucune idée du prénom pour lequel opter.
Alors que Clyde se garait devant la première entreprise, il interrogea la brunette afin de savoir si elle avait consommé de la cocaïne ce matin. Il ne fut pas aussi direct, mais ses interrogations étaient claires, et particulièrement vexantes. Si Lexie pouvait en abuser en soirée, elle faisait des efforts surhumains pour se tenir au travail. Ce n’était pas facile, elle était souvent tentée, mais elle faisait de son mieux pour y arriver. Fâchée, elle joua un petit tour au journaliste, qu’il n’eut pas l’air d’apprécier. Il rattrapa la jeune femme alors qu’elle allait pénétrer dans l’entreprise et l’entraîna à l’écart, la tirant par le bras. Lexie allait se dégager qu’il l’avait déjà lâché.
« Tu t’es prise pour qui là ? Ne refais plus jamais une chose pareille. »
Ses yeux étaient le reflet de ceux de la brunette, une tempête de colère. Lexie serra la mâchoire, alors qu’elle rêvait de le gifler pour le remettre en place. Mais si elle faisait ça, elle pouvait être sûre que sa journée s’arrêterait là.
« Ma question t’as pas plu, très bien. Mais je suis pas ton pote, alors comporte toi en professionnelle. »
Lexie le fusilla du regard.
« Je te retourne le compliment ! Je suis professionnelle ! Je fais de mon mieux pour résister au boulot, alors me tente pas. Je suis une Walker. Si je voulais rester à la maison à faire du yoga et boire du thé, je pourrais. Je ne fais pas ce job pour l’argent, mais pour ce qu’il représente … Alors tu peux bien imaginer que j’ai pas envie de le perdre ! »
Le journaliste poursuivit, toujours très énervé.
« Peut-être que les médias racontent de la merde sur toi, peut-être pas. En vérité j’en ai pas grand-chose à foutre. Mais j’ai encore le droit de m’assurer que mes investigations se déroulent sans accroc. »
La brunette était elle aussi en colère.
« Visiblement si, tu en as quelque chose à foutre, vu tes questions de merde. J’espère que tes questions en tant que journaliste vaudront mieux que ça, et que tu as moins d’a priori sur tes sujets que sur moi … »
Non, elle n’allait pas le laisser s’en tirer ainsi. Il ne retournerait pas la situation contre elle, alors que c’était lui qui avait lancé les hostilités. D’ailleurs, c’était ce qu’il faisait depuis le début de la matinée : être hostile et méfiant, et lui faire comprendre qu’il ne voulait pas d’elle. Lexie tenta de prendre de profondes inspirations pour se calmer. Elle leva les mains en signe d’apaisement, baissant un peu le ton.
« Je suis clean, et je vais suivre tes règles. Je ne ferai pas tout capoter, parce que j’ai aussi envie que ça marche. Mais maintenant, tes questions de merde et tes doutes, tu les gardes pour toi ! »
La brunette se retourna vers la vitrine derrière elle et se recoiffa rapidement, avant de faire à nouveau face à Clyde.
« On y va ? Je t’accuserai sans vergogne si on est en retard. »
Elle réprima un petit sourire alors que sa colère commençait à disparaître, et pénétra dans l’entreprise. Elle était excitée à l’idée de commencer, mais également un peu stressée, ne sachant pas à quoi s’attendre.
“Lucie? Peu importe au final, mais au moins ça ressemble à Lexie. Si tu te plantes, ce sera moins grave. On pourra prétendre que tu as oublié le prénom de ta nouvelle collègue.” La brune pensait sûrement bien faire, et sa motivation ne faisait aucun doute, mais la manière dont elle tentait de plaisanter avec Clyde avait tout sauf l’effet escompté. Il ne la connaissait pas, il s’agissait de la première fois qu’il lui adressait la parole, et les préjugés qu’il avait sur elle lui donnaient tout sauf l’envie de plaisanter. Il se contenta donc de hocher la tête comme pour valider son choix, plutôt que de lui rappeler d’un ton sec qu’il ne se planterait pas, lui.
Néanmoins, il lui était impensable de la laisser franchir les portes de l’entreprise où des employés les attendaient sans s’être assuré qu’elle était clean et en état de bosser. Alors qu’il lui posait la question de manière détournée, la salve de colère qu’il se prit au visage ne fit que l’échauffer lui-même, alors qu’il rattrapait la jeune femme dans la rue pour la confronter. Tant qu’elle était sous sa responsabilité, puisqu’il s’agissait bien de cela aujourd’hui, il était hors de question qu’elle se permette ce genre de comportement avec lui. Ou alors, elle allait s’aliéner Clyde bien rapidement, et il n’aurait aucun problème à la foutre dans un taxi direction ABC. “Je te retourne le compliment! Je suis professionnelle! Je fais de mon mieux pour résister au boulot, alors me tente pas. Je suis une Walker. Si je voulais rester à la maison à faire du yoga et boire du thé, je pourrais. Je ne fais pas ce job pour l’argent, mais pour ce qu’il représente … Alors tu peux bien imaginer que j’ai pas envie de le perdre!” Avait-il besoin de lui préciser qu’il se foutait bien de savoir la somme qui trônait sur son compte en banque, ou le fait que sa famille avait bien plus de fric que la sienne n’en avait jamais eu? Il se serait fait un plaisir de la renvoyer chez elle sans attendre, mais il détestait par-dessus rendre des comptes, et nul doute qu’il le devrait si cette journée se terminait mal. “Visiblement si, tu en as quelque chose à foutre, vu tes questions de merde. J’espère que tes questions en tant que journaliste vaudront mieux que ça, et que tu as moins d’à priori sur tes sujets que sur moi… Je suis clean, et je vais suivre tes règles. Je ne ferai pas tout capoter, parce que j’ai aussi envie que ça marche. Mais maintenant, tes questions de merde et tes doutes, tu les gardes pour toi!” Tandis qu’il serrait et desserrait les poings pour tenter de se calmer alors que la brune faisait enfin d’un ton, il ne put s’empêcher de siffler devant tant d'agressivité qui n’était certainement pas professionnelle, comme le disait. “Mes questions de merde? Je te demande pardon?” Ce n’était pas une manière de parler à un collègue - et en réalité, ce n’était pas une manière de parler tout court. “Tu me parles d’à priori alors que tu viens de me dire que tu faisais de ton mieux pour ‘résister au boulot’. Et après ça tu veux que je te fasse confiance alors que je ne te connais pas et qu’on parle là de mes sujets, qui vont me retomber sur la gueule si quelque chose se passe mal?”
“On y va? Je t’accuserai sans vergogne si on est en retard.” Ce n’était clairement pas le moment de plaisanter, et ce n’était avec de grands efforts que le brun se contenait de ne pas hurler alors qu’ils n’étaient qu’à quelques pas du sas d’entrée. “On y va, mais les remarques du genre tu les gardes pour toi. On est là pour bosser.” Bien évidemment qu’elle était au courant, mais la brune l’avait bien trop agacé pour qu’il ne lui répète par une dernière fois qu’il n’avait aucune intention de plaisanter en sa compagnie, surtout pas maintenant.
***
Une demi-heure plus tard, ils étaient de retour à l’extérieur alors que leur interview venait de se conclure. Contrairement à ce que leurs premiers échanges avaient laissé à penser, Lexie et Clyde s’étaient tous deux montrés très pros, si bien que le brun avait fini par laisser la jeune femme poser quelques questions à son tour, lorsqu’il avait compris qu’elle prenait réellement cela au sérieux. Alors, lorsqu’ils s’approchaient à nouveau de sa voiture, il finit par se retourner vers elle, la colère effacée de ses traits. “Ça s'est bien passé, j’aurai de quoi en faire quelque chose.” Ce n’était pas un compliment ni même une ébauche de félicitations, mais au moins, ce n’était pas un reproche.
Lexie était furieuse. Elle était en colère, vexée des sous-entendus que Clyde faisait. Il pensait clairement qu’elle allait tout faire foirer, et ça l’énervait. Parce qu’elle ferait tout pour que ça fonctionne, parce qu’elle voulait devenir une véritable journaliste.
« Mes questions de merde ? Je te demande pardon ? Tu me parles d’a priori alors que tu viens de me dire que tu faisais de ton mieux pour « résister au boulot ». Et après tu veux que je te fasse confiance alors que je ne te connais pas et qu’on parle là de mes sujets, qui vont me retomber sur la gueule si quelque chose se passe mal ? »
Lexie serra la mâchoire.
« Je n’ai rien pris, je ne prendrai rien. Et si ce n’est pas assez clair, je te le répète : je veux devenir journaliste. Je suis une miss météo à l’essai, qu’on forme petit à petit. Si ça foire aujourd’hui, ce n’est pas non plus bon pour moi. »
La jeune femme essaya ensuite de se calmer et de faire un peu d’humour, histoire de faire redescendre la pression entre Clyde et elle, mais le journaliste semblait trop à cran. C’est fâchés qu’ils entrèrent dans la première entreprise et réalisèrent leur première interview.
Ce n’est qu’une fois à l’extérieur de la société que Clyde lui adressa à nouveau la parole. Jusqu’ici, il s’était contenté de la présenter à sa source, puis avait fini par la laisser poser quelques questions. Pour cela, elle lui en était reconnaissante.
« Ça s’est bien passé, j’aurai de quoi en faire quelque chose. »
Lexie sourit et s’installa dans la voiture. Elle prenait ces quelques mots pour une petite victoire. Il avait beau ne visiblement pas l’apprécier, et se méfier d’elle, il reconnaissait au moins qu’elle n’avait pas fait du mauvais boulot. La jeune femme préféra cependant ne pas répondre, pour ne pas dire de bêtises et s’attirer encore les foudres du journaliste.
Arrivés dans la deuxième entreprise, l’interview se déroula de manière similaire à la précédente. Ces femmes victimes de harcèlement sexuel semblaient avoir vécu des situations semblables. Les questions de Clyde et Lexie, étonnamment, se complétaient plutôt bien. Mais avant la fin de l’entrevue, Lexie commença à s’agiter sur sa chaise. Elle se mordilla la lèvre, mais finit par poser la question qui lui brûlait les lèvres.
« Vous voudriez bien m’indiquer où sont les toilettes ? »
Elle écouta attentivement les explications de la dame et quitta le bureau en s’excusant, évitant de croiser le regard de Clyde. Quelques minutes plus tard, elle se recoiffait devant le miroir des toilettes pendant qu’une jolie rousse se remaquillait. La jeune Walker n’hésita pas longtemps et entama la conversation.
« Ça fait seulement quelques jours que je suis là et j’ai déjà l’impression d’avoir atteint mon quota en remarques désobligeantes. Le taux de testostérone est légèrement élevé par chez vous, non ? »
La rouquine laissa échapper un petit rire.
« Bienvenue chez nous ! T’as eu le droit à quoi ? »
Heureusement, Lexie savait bien improviser.
« Pour l’instant, des simples « poupée » et « ma jolie », mais ça m’exaspère déjà. J’ai l’impression d’être un objet au service de ces hommes. »
La salariée laissa son tube de mascara en suspens pour la dévisager.
« Tu viens d’arriver, c’est ça ? Tu dois être dans le tableau de notation de Josh. Plusieurs gars de la boîte font un classement de leurs collègues féminines. »
Lexie n’eut pas à feindre la surprise qu’on pouvait lire sur son visage.
« Sérieusement ? Josh, c’est lequel déjà ? »
La jeune femme écouta la description de la rouquine, et enchaîna.
« Je vois pas très bien … C’est quel bureau ? »
En quelques minutes, elle avait obtenu des informations intéressantes, grâce à une conversation informelle, menée sur le ton de la confidence. Elle était assez fière d’elle, mais c’était sans doute insuffisant. Qui pourrait croire à cela, sans preuve ? Alors qu’elle quittait les toilettes pour le bureau de ce fameux Josh, elle faillit percuter Clyde. Elle parla à voix basse, mais rapidement, submergée par l’excitation.
« J’ai une info ! Un tuyau ! Bref, je sais pas trop. Je viens de parler avec une jeune femme qui m’a dit qu’un certain Josh, bureau 127, avait une sorte de tableau, avec un classement des nanas de la boîte. Envie de jeter un petit coup d’œil à son ordinateur ? »
Lexie espérait que le journaliste accepte, elle aurait l’impression d’avoir été un peu utile aujourd’hui. Elle ne savait cependant pas où se situait la limite à ne pas dépasser pour Clyde, au niveau professionnel. Accepterait-il qu’ils fouillent ainsi dans le bureau de quelqu’un ? Il n’avait pas l’air très conventionnel, mais il était évident qu’il tenait sincèrement à son job.
“Je n’ai rien pris, je ne prendrai rien. Et si ce n’est pas assez clair, je te le répète : je veux devenir journaliste. Je suis une miss météo à l’essai, qu’on forme petit à petit. Si ça foire aujourd’hui, ce n’est pas non plus bon pour moi.” Cela faisait moins d’une heure qu’ils s’étaient rencontrés, et déjà, leurs regards et leurs mots avaient dépassé l’entendement et la relation cordiale qu’étaient censés partager deux collègues. Clyde était d’un naturel méfiant, et le fait qu’il se retrouve forcé à coopérer avec une inconnue envers qui il n’avait aucune raison d’avoir confiance, mais qui en plus avait prouvé par ses frasques qu’elle ne brillait pas par fiabilité, n’avait pu que le pousser à exposer sa méfiance. La plupart du temps, il restait silencieux même lorsqu’une personne ne lui semblait pas digne de confiance, mais dans ce cas-là, il ne pouvait tout simplement pas faire son travail sans avoir au préalable précisé à Lexie qu’il ne laisserait rien passer.
Finalement, leur échange s’était calmé et ils étaient arrivés à l’heure à la première interview, qui s’était suffisamment bien déroulée pour que Clyde ne réitère pas ses remarques et reprenne la voiture en compagnie de Lexie, en direction de la seconde entreprise qui se trouvait non loin. Durant le trajet, la brune était restée silencieuse mais semblait avoir accepté sa remarque - positive, cette fois - signe que s’ils étaient loin de s’apprécier mutuellement, ils étaient au moins visiblement capable de travailler ensemble pour une journée. Malheureusement, au moment même où la méfiance de Clyde commençait à redescendre alors qu’ils étaient dans le bureau d’une autre victime présumée et que l’interview se déroulait sans accroc, la brune commença à s’agiter sur sa chaise. “Vous voudriez bien m’indiquer où sont les toilettes?” La brun se retourna légèrement vers elle pour ne pas que l’employée face à eux saisisse son regard noir, mais Lexie l’évita soigneusement avant de sortir de la pièce. Tout son être lui criait qu’il était temps de s’alarmer, et qu’une sortie aux toilettes cachait peut-être autre chose, mais il ne pouvait pas décemment conclure une interview avant sa fin. Il tacha donc de faire bonne figure et posa sa dernière question avant de saluer l’employée à son tour, quittant le bureau en direction des toilettes des femmes, puisque Lexie n’en était pas revenue. Mâchoire crispée et lèvres pincées, il s’attendait à ne pas apprécier la vue qui risquait de se dévoiler devant lui, au point qu’il fut trop distrait pour ne pas voir que la porte s’ouvrait devant lui alors que Lexie manqua de le percuter. Elle semblait agitée - mauvais signe. “J’ai une info! Un tuyau!” “Un tuyan?” Qu’elle avait trouvé dans les toilettes? A d’autres. Pourtant, il lui laissa le bénéfice du doute, croisant les bras en attendant davantage d’informations. “Bref, je sais pas trop. Je viens de parler avec une jeune femme qui m’a dit qu’un certain Josh, bureau 127, avait une sorte de tableau, avec un classement des nanas de la boîte. Envie de jeter un petit coup d’œil à son ordinateur?” Cette fois-ci, Clyde haussa des sourcils étonnés, réalisant que la jeune femme avait peut-être réellement été occupée à autre chose que ce qu’il avait craint. “Comment tu sais ça?” Est-ce que cela valait réellement le coup de prendre des risques?
Pourtant, l’adrénaline qui lui manquait ce jour-ci finit par faire son chemin chez lui aussi, si bien qu’il hocha la tête avant de se diriger vers le bureau 127, n’ayant encore pas la moindre idée de comment ils pourraient bien se débrouiller. Il passa discrètement une tête dans la pièce qui était vide, ne perdant aucun temps avant de s’installer au bureau pour trouver l’ordinateur déverrouillé - une erreur de débutant qui ne lui servirait que trop bien. Il espérait que Lexie le prévienne si le fameux Josh revenait, quand bien même il savait que ce serait sûrement trop tard - ce qui finit par arriver, alors qu’il avait tout juste eu le temps de trouver le fameux tableau et de le copier sur sa clé usb. “Qu’est-ce que vous faites dans mon bureau?” Un homme brun d’une trentaine d’années venait de passer la porte et les dévisageait d’un air méfiant. Un instant et un seul, Clyde hésita avant de se reprendre, adoptant le ton le plus calme possible. “Maintenance annuelle des ordinateurs. Vous n’avez pas eu l’info? On passe dans tous les bureaux ce matin.” Josh sembla essayer de se rappeler de cette information, ce qui laissa le temps à Clyde de se relever pour se diriger vers la porte. “On a fini pour le vôtre. Ça ne change rien pour vous, c’était juste une mise à jour du système.” Sans attendre, Clyde salua l’employé avant de filer en compagnie de Lexie, espérant qu’ils seraient déjà loin lorsque le fameux Josh irait demander à ses collègues si eux aussi avaient le droit à la fameuse mise à jour. “Je l’ai, bien joué” qu’il finit par souffler alors qu’ils étaient de retour à la voiture, sortant de sa poche la clé usb avec un sourire satisfait. En fin de compte, l’aide de la brune avait été plus qu’utile, même s’il ne savait pas encore ce qu’il pourrait faire de ce classement.