Elle égare ses doigts sur le bois de la porte une pathétique petite minute de plus. Ce serait bien plus facile de rester là, à attendre simplement qu’il ouvre à la volée prêt à faire autre chose sans penser une seule fois à elle dans l’élan. Qu’elle n’ait pas l’air d’être celle qui est venue le voir, mais plutôt de celle sur laquelle il est tombé au hasard du couloir de l’immeuble qu’ils partagent depuis bon nombre de semaines déjà. Chloe est pleine de ressources lorsqu’il s’agit de se dédouaner, de se retirer toute place et toute importance dans n’importe quelle histoire. Elle est passée maître dans l’art de tirer sa révérence dès qu’elle en a l’envie, à force de pratique elle est devenue bien plus agile dans ses stratégies de sortie que dans quoi que ce soit d’autre.

Mais voilà qu’elle finit par toquer, la brune. Il faut croire qu’elle prend en courage ou qu’elle perd en lâcheté, l’un ou l’autre semblant être tout aussi vrai. La théorie sera mise à l’épreuve lorsque Jet finit par apparaître dans l’embrasure de la porte. Chloe colore l’effet de surprise en laissant glisser un sourire en coin sur ses lèvres, jaugeant qu’avec les jours qui ont bien pu défiler sans nouvelles, il a fini par gérer ses propres crises autant qu’il a bien pu laisser la poussière retomber. Ses prunelles détaillent son visage, à la recherche du moindre signe de tension, de frustration qu’il pourrait bien faire l’erreur de laisser transparaître. Si elle voit qu’il est encore aussi furieux qu’il l’était l’autre matin, elle a autant de chance d’avoir envie de l’embrasser que de se précipiter à partir. Elle est dure la vie, quand on est elle.

« Je t’avais dit, de pas rester. » elle insiste mot à mot, la tête appuyée sur le cadre de la porte. Il n’y a pas un seul pied qui est mis dans son appartement à lui comme le voulait l’une de leur infinité de règles. Il n’est pas sorti, elle n’est pas entrée. L’australienne ne fait que statuer les faits un inspiration à la fois. Ce n’était pas de la jalousie et ce n’était pas de la possessivité, elle l’a décortiqué ainsi en se disant qu’il était seulement en train de lui démontrer une énième fois qu’il n’était clairement pas quelqu’un de matinal.

J’ai passé quelques jours avec Elise. Hors de cette ville, et hors du temps. Mais je suis rentrée chez moi, dans mon appartement que je ne vois que très rarement finalement. Quand je ne suis pas dehors à vendre de la drogue je suis chez Chloe, ou alors à voyager avec Elise. Ma vie est trop occupée pour que j’ai le temps de me poser sur mon canapé devant une série comme je le fais aujourd’hui. Je ne compte pas bouger d’ici, même pas sortir pour vendre quoi que ce soit. Je vais me commander à manger et passer ma soirée seul à essayer de composer encore et encore. C’est que je commence à me faire vieux. C’est rare les moments où je ne suis pas en train de m’amuser à l’extérieur. Mais il faut croire que la musique est trop importante dans ma vie pour que je me résigne à tout abandonner du jour au lendemain.

On toque à la porte et je me demande qui ça peut être. Je n’ai pas encore commandé à manger et je n’attends personne. Personne ne sait vraiment où j’habite en réalité, personne sauf Chloe. Mais ça ne peut pas être elle. Elle ne fait pas ça Cohen, elle ne fait pas le premier pas, et, surtout, elle ne vient pas chez moi. Personne ne vient, Elise a eu le droit de rentrer une seule fois et c’était seulement pendant quelques minutes. C’est mon endroit, mon antre et je ne veux pas qu’elle soit polluée par la présence de Cohen ce soir. Elle est occupée, et ça m’énerve d’avoir réagi de la sorte avec elle lorsque ce type est sorti de la chambre d’ami.

J’ouvre la porte et tombe nez à nez avec elle. Je ne dis rien, il n’y a rien à dire. C’est elle qui est là et qui donc doit avoir quelque chose à dire. Je m’appuie sur la porte en croisant mes bras sur ma poitrine. Je hoche la tête, elle l’avait dit, et elle savait aussi que j’allais finir par ne plus l’écouter. Je la regarde de haut en bas avant de fixer mes yeux dans les siens. “C’est tout ?” Si elle n’est venue là que pour un reproche, pour dire que c’est de ma faute ce qu’il s’est passé, elle peut toujours faire demi tour et rejoindre son appartement à côté. “Pourquoi t’es là ?” Ca ne sert à rien de passer par quatre chemin, et, au fond, je n’ai pas le droit de lui en vouloir d’avoir quelqu’un chez elle. On a pas de compte à se rendre, et tout ça est très bizarre. Je n’arrive pas à savoir ce qu’elle est pour moi ni ce que je suis pour elle. C’était l’affaire d’une nuit, ou peut-être deux. Elle ne devait pas habiter ici et je devais être seulement de passage et en tournée. Comment on en est arrivé là ? Les règles tacites ne suffisent plus, il va falloir de vraie règles pour gérer ça, pour que ça nous convienne à tous les deux et qu’on ne fasse plus ce genre d’erreur. Mais je ne la laisse pas entrer pour le moment, je reste stoïque face à elle, attendant de vraiment savoir qu’est ce qu’elle vient faire devant ma porte.

“C’est tout ?” il la brusque, et soit il a oublié que c'est la pire façon de faire avec elle, soit il fait exprès sachant qu'il est pareil. L'un ou l'autre des scénarios prennent le temps de passer à travers les pensées de la brune, avant qu'elle laisse son sourire creuser un peu plus ses fossettes, qu'elle dégage une mèche de son visage à elle pour mieux voir son visage à lui. « C'est assez. » ils n'ont jamais été très forts dans les confessions en tous genres, ils n'ont jamais pris le temps de l'être de toute manière. Ça doit bien vouloir dire quelque chose, que la retenue soit restée aussi présente, aussi probante entre eux. Ou alors ils n'ont rien compris.

Les secondes s'égrainent et deviennent des minutes, et elle, elle n'est absolument pas pressée. Derrière lui, son appartement pour l'heure encore totalement inconnu pour elle se dessine sans qu'elle n'y accorde une plus grande importance que celle qu'elle dédie à ses prunelles pensives. “Pourquoi t’es là ?” parce qu'elle n'aime pas laisser les choses en suspens, parce qu'elle déteste le conflit, le gère très mal. Parce qu'elle n'a pas envie de s'imposer un malaise à chaque fois où elle le croisera dans les couloirs de l'immeuble, parce qu'on l'a élevée en lui répétant qu'elle devait absolument être une jeune femme gentille et polie, quand elle serait grande et accomplie. Officiellement pour toutes ces réponses, et officieusement pour absolument aucune d'entre elles. « Pourquoi t'as réagi comme ça? » c'est donnant donnant, ça l'est toujours lorsqu'il est question de Jet et de Chloe. S'il parle elle parlera. Sinon, elle restera postée dans l'embrasure de sa porte jusqu'à ce qu'il la chasse et qu'elle retourne dans ses quartiers. Une bouteille de blanc l'y attend - une californienne aujourd'hui. Un véritable petit terrain neutre dirons-nous.

« C'était bien, ton voyage? » son appartement qu'elle ignore une seconde pour découvrir avidement des iris la suivante. Mais surtout la valise qui trône en bon indice, ouverte et laissée lasse en bordure du salon. Alors, il est parti, après? Alors, elle saute tout de suite aux conclusions, maintenant? Rien ne lui suggère qu'il est parti autant qu'il ne s'apprête pas à le faire. Elle préfère le voir dans les parages que de l'imaginer ailleurs, soyons honnêtes.

Tu les as entendues les coups à la porte d'entrée. Tu les entends les voix qui s'élève de l'autre côté sans que tu ne comprennes vraiment le dialogue. C'est pas nécessaire, le simple ton de la voix de Jet te suffise pour que tu comprennes ce qui se passe de l'autre côté et tu te sens clairement de trop dans l'équation. Cloîtré dans la salle de bain, tu penses sérieusement à juste attendre que les voix cessent que la porte se referme pour laisser place au silence. Mais ça, c'était avant ton coup d'oeil par la fenêtre, avant d'apercevoir ton taxi qui vient tout juste d'arriver en bas de l'immeuble. Et merde. C'est sûr que tu pourrais quand même rester là et en appeler un autre quand elle sera reparti. Mais le fait est que tu es un peu pressée. C'était pas prévu que tu sois ici après c'est trois jours là-bas. Tu devrais pas être ici. La raison officielle reste la route bloqué vers Spring Hills, alors que l'officieuse reste toujours aussi compliqué. Disons simplement que tu ne t'es pas obstiné sur le manque de patience de Jet quand il a décidé de rebrousser chemin vers chez lui, qu'il a statué que tu retournerais chez toi plus tard quand la route serait à nouveau ouverte. Parce que chez toi, c'est toujours aussi angoissant. Parce que ta fuite habituel vers Bayside n'est plus possible.

Alors, ouais, t'es encore avec lui, prisonnière de la salle de bain et la taxi qui risque de s'impatienter si tu ne descends pas maintenant. Tu sors discrètement, comme si tu pouvais vraiment faire une sortie sans que personne ne se rende compte de rien. Tu ramasses rapidement deux-trois affaires qui traînaient encore dans ton sac que tu balances sur ton épaule. Jet est toujours planté là devant la porte entre-ouverte - à croire qu'il n'a pas envie qu'elle entre, sûrement que ce sera différent sans toi dans les parage. « Désolé, mon taxi est en bas. » que tu te justifie en passant à côté de Jet. Il se sent à dix milles à la ronde ton malaise. Ton regard vient trouver celui de Jet pendant quelques secondes sans trop savoir quoi lui dire. Il va tellement se foutre de ta gueule la prochaine fois. Puis, il se tourne vers elle, en face de lui. Un mince sourire vient se glisser sur tes lèvres à défaut de ne pas savoir quoi faire d'autre. Tu fais un léger signe de la main vers Jet en guise d'au revoir avant de descendre les marches vers la sortie.

Finalement, la fuite reste la meilleure option.

:

Je ne cherche pas à la prendre avec des pincettes ni à me faire pardonner quoi que ce soit. Si elle n’est pas contente de ce que je peux faire ou dire elle peut toujours faire demi tour et rejoindre son appartement. Je reste devant la porte, ne sais pas encore si je vais finir par lui proposer d’entrer ou non. C’est elle qui fait le premier pas et ça m’étonne, moi je ne l’aurais pas fait. Pas tout de suite en tout cas. Je reste stoïque et elle minaude sous mon nez en bougeant ses cheveux ou en papillonnant des yeux. Elle m’arracherait presque un sourire si tout aller pour le mieux. C’est suffisant, pour elle apparemment. Je pourrais presque fermer la porte d’un coup mais je ne peux pas m’empêcher de me demander pourquoi elle est venue jusqu’ici.

Elle ne répond pas mais pose une question à son tour. Je soupire et serre un peu les dents. Je n’ai pas envie de réfléchir à pourquoi j’ai réagi comme ça, je n’ai pas envie de me pencher sur ce que je ressens et pourtant c’est exactement ce qu’elle me demande de faire la jeune femme. Je pince les lèvres, si je parle et qu’elle ne parle pas je lui fermerai réellement la porte au nez. “Parce que j’avais pas eu le droit d’utiliser la cafetière depuis trop longtemps.” Je hausse les épaules avant de froncer le nez. “Je sais pas… J’aime jouer mais pas être utilisé de cette manière là. Et j’avais l’impression de passer au second plan.” Et elle sait à quel point je déteste ça. Elle aussi elle n’aime pas ça, on est encore une fois dans le même cas. Et c’est Elise qui débarque dans mon dos et je ne peux m’empêcher de sourire. Mon regard se pose sur la valise que Chloe a pointé et j’ouvre un peu plus la porte pour laisser à la Williams la possibilité de passer pour rejoindre son taxi. Je hoche la tête et lui souris alors qu’elle descend les escaliers. On parlera plus tard. En attendant, mes prunelles plongent à nouveau dans celles de Chloe. “J’en reviens. Mais j’aime bien la laisser pleine pour pouvoir repartir quand je veux.” Sans prévenir personne en général. Je laisse la porte ouverte et me dirige vers la cuisine pour attraper un paquet de cigarettes et un briquet, celui que je lui ai de nouveau volé avant de m’installer sur le canapé.

“Parce que j’avais pas eu le droit d’utiliser la cafetière depuis trop longtemps.” mauvaise réponse, et tout dans l'expression au sourire en coin qu'elle lui rend ne le confirme absolument pas. Elle attend Chloe, la patience étant une vertus qu'elle maîtrise parfaitement. Probablement que ça lui fait peur, aussi - beaucoup - qu'il le lui dise autant qu'il ne lui dise absolument rien. Elle est toute en dualité la brune, encore plus lorsqu'elle réalise que depuis qu'il a fait ses marques dans sa vie et dans ses draps, elle ne ramène plus personne d'autre chez elle. Les baisers volés se cumulent avec des inconnus, mais personne ne passe la porte de son appartement. Personne sauf Victor, mais Victor n'est pas personne. Et voilà qu'on y retourne, à nouveau. Pourquoi? “Je sais pas… J’aime jouer mais pas être utilisé de cette manière là. Et j’avais l’impression de passer au second plan.” alors il est aussi perdu, aussi confus qu'elle. Alors il ne sait pas plus qu'elle où et quand et pourquoi et comment.

Cohen allait répondre. Ou du moins, elle s'en est parfaitement convaincue. « Désolé, mon taxi est en bas. » mais c'était sans calculer l'invitée de Jet qui se faufile entre eux deux. Etish lui lâche son plus grand sourire, Chloe elle, reste parfaitement impassible. Depuis qu'elle sait qu'il a l'oeil voyeur et qu'il a remarqué alors qu'elle a trop facilement lâché l'info sur la bague qui n'en est plus une, elle s'est juré de ne plus jamais recommencer l'expérience. « Ta soeur ou ta mère? » rien ne l'empêche pourtant de poser la question de la façon la plus innocente possible. Presque.

Ce n'est ni sa soeur, ni sa mère. “J’en reviens. Mais j’aime bien la laisser pleine pour pouvoir repartir quand je veux.” et il revient de voyage avec elle. La situation devient de plus en plus intéressante, avouez. « C'est elle que tu utilisais pour me rendre jalouse, ou c'est l'inverse? » autant demander tout de suite, rien que pour clarifier ce qui ne l'est pas. D'ailleurs - « Les règles sont pas claires. Je sais pas pour toi, mais je déteste quand c'est compliqué. »

Et il entre, alors elle souffle. Chloe qui pourrait rester ancrée à l'embrasure de la porte et hausser le ton simplement pour être comprise. Chloe qui finit par passer un pied puis un autre à son tour. Elle laisse la porte ouverte par contre, l'issue de secours jamais bien loin. Quand elle file à la cuisine et leur trouve des bières au frigo, c'est là où elle oublie les limites de chez lui au profit de celles qu'elle mettra (tentera de mettre, plutôt) chez elle. « C'est pour ça que je suis venue. » pourquoi donc, Chloe? Certainement pas juste pour lui tendre une des bières, ni pour s'installer à une distance appropriée de lui sur le canapé. « Qu'est-ce que tu veux, Jet? »

Je ne pensais pas qu’elle viendrait. Je ne pensais pas la revoir avant un long moment. Et ça aurait sûrement été par erreur dans les escaliers alors que je rentrais chez moi et qu’elle faisait pareil. Mais elle est là Chloe, devant ma porte, quelques jours après que j’ai appris qu’elle hébergeait un de ses ex dans son appartement. Je ne suis pas jaloux, je n’aime pas qu’on m’utilise. Elle a cru que tout lui était acquis Cohen, elle a pensé qu’elle pouvait faire ce qu’elle veut avec qui elle le veut. Mais ça ne fonctionne pas comme ça avec moi, si elle veut utiliser les gens elle trouvera des dizaines de mecs dans les bars. Il y a des règles dans cette relation qui n’en est pas vraiment une, dans ce lien qui n’a pas de définition, des règles tacites, certes, mais des règles qu’on se doit de respecter si on veut continuer sur cette voie.

On parle et Elise se retrouve finalement entre nous avant de partir je ne sais où. Je ne lui demande pas, elle va bien où elle veut. “Aucun des deux.” Je fronce les sourcils et secoue la tête. Elle n’a pas non plus à savoir qui est Elise. Elle ne donne pas de détails sur sa vie et ses fréquentations, alors je fais exactement pareil de mon côté. Je ne donnerai pas plus que ce qu’elle ne donne, je me méfie bien trop de cette jeune femme pour faire cette erreur. “C’était lui que tu voulais rendre jaloux ou c’était moi ?” On peut jouer au jeu des questions de merde un long moment. Mais on se reproche apparemment les même choses. Elise s’enfuit et je vais me prendre une bière avant de m’asseoir sur le canapé. “C’était pas compliqué.” Jusque là. On se voyait souvent, on vivait au jour le jour sans se poser de questions. Je pouvais passer plusieurs jours dans son lit puis des jours sans qu’on ne se donne aucune nouvelles. Elle m’énerve à faire comme si j’étais la personne qui rendait ça compliqué alors que c’est elle qui bafoue les règles sans même m’en parler.

Pourquoi elle est venue ? Même moi je ne le sais pas. “Je pensais pas te voir avant un moment.” Donc la vraie question c’est qu’est ce que elle elle veut ? Pourquoi elle est venue me voir dans mon appartement alors qu’elle ne le fait jamais en temps normal ? Je tourne la tête vers elle pour croiser son regard. “La question va dans les deux sens Chloe.” Je ne m’avancerai pas sur ça si elle ne fait pas la même chose. “Tu veux vraiment avoir cette conversation ?” Elle est terrifiante, mais elle me semble nécessaire à cet instant.

“C’était lui que tu voulais rendre jaloux ou c’était moi ?”
« Vous deux. »
“C’était pas compliqué.”
« C'était. »

La voilà qui joue sur les mots, elle qui passe sa vie à apprendre ceux que d'autres veulent mettre dans sa bouche et voir franchir ses lèvres. Chloe met une distance incroyable entre le reste du monde et le moindre détail sur sa vie privée à elle. Elle refuse qu'on gratte sous la surface, qu'on en découvre un peu plus que ce qu'elle montre volontairement.

Mais Jet a le don d'être capable de creuser au point où sa carapace a la vie dure. Aujourd'hui comme ce matin-là.  “Je pensais pas te voir avant un moment.” elle souffle, entre tout de même, le laisse vivre en espérant qu'il fasse de même avec elle. Pourtant, c'est raté quand enfin il pointe le fait qu'elle est non seulement chez lui ce qui va à l'encontre d'un de ses principes de merde à elle, mais surtout qu'elle est celle qui a fait le premier pas. Ce qui n'avait encore jamais été le cas entre eux. « Ouais, j'étais dans les parages en fait. » à d'autres. Les bières entre ses paumes ne suffiront pas à titre de drapeau blanc. “La question va dans les deux sens Chloe.” bien sûr que c'est le cas. Bien sûr que lorsqu'elle s'installe à son tour sur le canapé, c'est sans surprise aucune qu'elle capte que se présenter sur le pas de sa porte pour le gronder ne sert absolument à rien d'autre qu'à donner envie à Jet d'aller plus loin encore dans ses retranchements à elle. À sa place, elle aurait sûrement fait pareil.

“Tu veux vraiment avoir cette conversation ?”
« Non, pas du tout. »

Elle a le mérite d'être claire, Cohen. Une seconde plus tard elle gobe une longue gorgée de bière, le liquide froid pétille sur sa langue et ses prunelles arrêtent de mémoriser chaque détail de son appartement à lui pour finir par retrouver les iris océan d'Etish. Il n'a pas l'air prêt à démordre de la conversation qu'elle est imbécile au point d'avoir amenée dans son sillage toute seule comme une grande. « Mais je ne veux pas plus que ça se reproduise. » qu'il se retrouve enragé à cause d'elle, qu'elle se retrouve à le détester elle aussi. Elle a mis tant d'efforts à le garder loin de sa vie privée qu'elle n'a jamais pensé à comment elle réagirait s'il s'y faisait une place sans qu'elle ne le réalise.

Elle expire Chloe, se cale dans les coussins. Cherche la moindre distraction, se rabat sur l'honnêteté finalement. Ça faisait longtemps, ça. « J'ai déjà été en couple Jet. Longtemps, et c'était sérieux. Très. » il n'a jamais dit qu'il voulait se mettre avec elle et elle n'a jamais insinué une seule fois qu'elle voulait être avec lui. Pourtant ils se comportent comme tel, quand rendre des comptes vient se loger au centre brûlant d'une discussion qui l'est toute autant. « J'ai essayé, et c'est pas pour moi. J'ai pas envie de répéter l'expérience. » elle explique, elle laisse des zones grises, il est pas con et il captera vite. Cohen elle, reste catégorique : si ça n'a pas fonctionné de cette façon-là avec Victor, ça ne fonctionnera probablement jamais ainsi avec qui que ce soit d'autre. « J'ai pas la vie pour ça. » et ça, c'est la meilleure des excuses. Sa vie, celle que ses parents avaient moulée pour qu'elle soit la petite fille parfaite au métier stable et au mariage logique, la voilà qui se retrouve balayée du revers quand jamais Chloe ne la visera de nouveau.

« Vous deux. »  Et je ne réponds pas, je ne fais que soupirer un peu plus fort et lever les yeux au ciel. « C'était. » C’était. Quand je la voyais pas tous les soirs. Quand on prenait pas nos petits-déjeuners ensemble au centre ville. Quand on ne devait passer qu’une nuit ensemble. Que moi j’étais en tournée et qu’elle gardait l’appartement de sa soeur. On aurait peut-être dû en rester là, ou peut-être pas. En attendant, j’ai gueulé sur elle et sur un inconnu il y a quelques jours, et Chloe est devant mon appartement à faire le premier pas. Et je suis surpris, je ne m’attendais pas à ce genre de chose venant d’elle. Comme quoi, je ne suis pas le seul à me poser des questions, pas le seul à être perdu au milieu de tout ce qu’on peut faire et ressentir. Finalement, on a peut-être besoin d’énoncer les règles à voix haute.

« Ouais, j'étais dans les parages en fait. » Je souris en secouant la tête, bien évidemment qu’elle trouve des excuses, j’aurais fait la même chose. “Heureusement que j’étais derrière la porte.” Si elle était venue quelques heures plus tôt, elle aurait eu à faire à un appartement vide. Et, peut-être que cet appartement sera vide de plus en plus souvent.

« Non, pas du tout. » On a pas envie d’avoir cette conversation. Parce que ce sera différent après, en positif ou en négatif, mais quelque chose changera forcément. Je serre les dents, m’enfonce un peu plus dans mon canapé et elle se rapproche pour prendre une place au milieu des coussins. Je la regarde en coin, elle est belle dans mon appartement. Je souris et bois une gorgée de ma bière. Et, comme un con, je me relance dans des histoires compliqués, parce que je ne fais que rarement dans le simple apparemment. Elle finira par se barrer, ou c’est moi qui le ferai. C’est voué à l’échec, parce qu’on se ressemble trop et qu’on est destiné à se faire trop de mal. On le sait, mais elle est là et je la laisse rester. Et on va l’avoir cette putain de conversation que je redoute depuis ce jour où j’ai trouvé son ex dans son appartement au petit déjeuner. On aurait dû sortir, on aurait dû le prendre au centre ville et s’asseoir dans ce parc comme on l’a souvent fait ces derniers mois. « Mais je ne veux pas plus que ça se reproduise. » “C’était pas vraiment agréable pour moi non plus.” On a tous les deux mal vécu ce réveil. Je ressors le briquet que j’ai glissé dans ma poche ce même matin pour allumer la cigarette que je tiens entre mes doigts.

« J'ai déjà été en couple Jet. Longtemps, et c'était sérieux. Très. » Je ne veux pas qu’elle parle de couple, je ne suis pas prêt pour ça. “Je veux pas être en couple sérieux, j’ai voulu essayer et ça n’a pas été concluant.” Je ne rentrerai pas dans les détails. J’en donne autant qu’elle même si moi je sais de qui elle est en train de me parler en réalité. « J'ai essayé, et c'est pas pour moi. J'ai pas envie de répéter l'expérience. » Je penche la tête vers elle, on est vraiment fait dans le même bois, et ça me ferait presque peur. « J'ai pas la vie pour ça. » “Et moi non plus.” Parce que je n’ai pas envie de réfléchir ni de me prendre la tête constamment. “J’ai envie de profiter.” Et elle est dans le même cas, je le sais. “Mais j’ai pas envie que ça veuille dire qu’on se voit plus.” On a dit qu’on était honnête et ça m’arrache la langue de dire quelque chose comme ça. Mais elle fait des efforts et j’en fais aussi. “Qu’est ce qu’on fait ?”

À quel moment ils étaient passés d'inconnus à voisins, de conquêtes d'une nuit à adultes discutant sérieusement? Chloe n'arrivait pas à mettre le doigt dessus et lâchement, ça lui convenait à merveille. “Heureusement que j’étais derrière la porte.” « T'aurais pu ne pas l'ouvrir. » et s'il n'avait pas ouvert d'ailleurs, qu'est-ce qu'elle aurait fait? Est-ce qu'elle serait rentrée chez elle, ou est-ce qu'elle aurait étiré son séjour sur son pallier une minute de plus? Rien dans l'histoire ne le dit et même elle, tant elle s'empêche d'y réfléchir, s'en portera pour le  mieux. “C’était pas vraiment agréable pour moi non plus.” il glisse une clope entre ses lèvres, l'allume d'un briquet qui craque et qu'elle reconnaît comme étant celui de l'autre matin. « Ça a jamais été ce que j'ai voulu. » la phrase qui s'étale pour bien des scénarios, et ses doigts à elle, qui saisissent la cigarette pour lui en voler une inspiration et une seule. Le bâtonnet retrouve sa place entre les lèvres du brun bien avant que Jet ne râle sur quoi que ce soit.  

“Je veux pas être en couple sérieux, j’ai voulu essayer et ça n’a pas été concluant.” juste d'entendre le mot couple sortir de sa bouche à lui après l'avoir dit elle-même la fait frissonner. Elle flippe et elle étoufferait presque, la blonde qui plutôt que de succomber à son envie de se tirer qui va jusqu'à même lui donner une impression de fourmis dans les jambes se cale de force un peu plus entre les coussins et les couvertures. “Et moi non plus. J’ai envie de profiter.” voilà qu'elle respire un peu mieux. C'était moins une. “Mais j’ai pas envie que ça veuille dire qu’on se voit plus.” « J'ai jamais dit que je voulais qu'on arrête de se voir, t'es si dramatique. » il lui brandit un ultimatum au-dessus de la tête et elle ne lui répond que par une pique, un sourire. Ils se sont juste brûlé les ailes, ils se sont juste cassé la gueule en chemin. “Qu’est ce qu’on fait ?” la destination est toujours nébuleuse et c'est probablement ce qui reste aussi intéressant.

Par plusieurs fois il lui a laissé le choix, le relais de l'initiative. Dans un autre monde, elle l'aurait sûrement remercié, lui aurait expliqué de fond en comble pourquoi elle était comme ça. D'où viennent ses blocages, depuis quels moments exactement elle associe ses cauchemars à ses inconforts, ses instants de malaise et son besoin, viscéral, de couper toutes chaînes dès qu'elle n'entend qu'hypothétiquement le bruit du métal qui froisse encore bien loin d'elle. Mais dans ce monde-ci, elle fait volteface de façon à décaler sa silhouette vers lui, à attraper un peu mieux son regard du sien. Sa main, elle la lui tend aussi. Adorablement pathétique, mais elle s'en amuse au moins. C'est déjà ça. « Je te rends pas de comptes sur qui je vois, sur qui vient chez moi, et sur qui y habite. Toi pareil. »  sur sa mère, sur sa soeur. Sur qui que ce soit l'accompagne en voyage, ou sur qui que ce soit sort par magie de sa chambre dès que Chloe apparaît devant sa porte. « J'partage mes croissants qu'avec toi. Et mon briquet. » elle l'a bien vu qu'il rageait l'autre matin, de passer en second. Il le lui a dit de tous les mots et de tous les regards rageurs dont il a pu, le lui redirait encore. Qu'il prenne la négociation comme un drapeau blanc comme un autre.  

Parlant de drapeau blanc. « Tu fais quoi, vendredi soir? » ça, c'est au-delà. Ça, c'est une place dans sa vie à elle, minime mais tout de même, qu'elle lui propose.

Je ne m’attendais pas à avoir cette conversation aussi tôt. En réalité,je ne pensais pas avoir ce genre de conversation avec Chloe. Je ferme les yeux, et pour une fois j’ai l’impression qu’on est honnête. On s’est laissé prendre au jeu, on a joué avec les limites et on s’est tous les deux brûlés les ailes en voulant jouer avec le feu. On avait dit, qu’il y en aurait un des deux qui finirait par perdre. On a pas eu le temps de se rendre compte qu’on était tous les deux d’aussi bons joueur, et des joueurs qui détestent perdre. « Ça a jamais été ce que j'ai voulu. » Je ne sais pas quoi penser de cette phrase. Je me souviens de sa manière de regarder son ex, de m’utiliser pour le rendre jaloux et lui envoyer des piques. “J’avais l’impression que c’était vraiment voulu.” Et ça n’aurait pas dû m’importer tant que ça finalement. Parce que ce n’est rien Chloe et moi, c’est juste une histoire d’une nuit qui commence à se faire longue.

C’est inattendu de parler de couple et de relation sérieuse, ça me met bien plus mal à l’aise que je ne voudrais l’avouer. Ces mots, ces idées me font froid dans le dos, mais, d’un autre côté, je n’ai pas envie d’arrêter de voir Chloe. Quel bordel. « J'ai jamais dit que je voulais qu'on arrête de se voir, t'es si dramatique. » “Oh c’était pour me dire que je te manquais trop que t’es venue me chercher chez moi en vrai ?” Je me tourne un peu plus vers elle en souriant. On ne peut pas être sérieux tout le temps. Je pose la question qui me brûle les lèvres avant qu’elle ne le fasse. Comme ça, c’est elle qui a les choses en main, elle qui prend la décision et rien ne sera de ma faute si tout se passe mal. Je ne sais pas dans quoi je m’embarque, mais, si ça a l’air amusant, je foncerai tête baissée, comme je le fais toujours.

« Je te rends pas de comptes sur qui je vois, sur qui vient chez moi, et sur qui y habite. Toi pareil. » Je fronce les sourcils, elle apprendra peut-être un jour que je suis du genre jaloux et possessif, peut-être. Je hoche la tête, elle ne m’enlève pas ces libertés là et je ne lui enlève pas les siennes. On verra combien de temps ça peut bien durer si on continue vraiment de se voir aussi souvent. « J'partage mes croissants qu'avec toi. Et mon briquet. » Ca c’est intéressant, ça ça me fait me tourner encore un peu plus vers elle pour capter son regard et ne plus le lâcher. “Donc je passe en premier, et tu passes en première ?” Je pose la question pour être sûr, pour que cette fois, on ait parlé des règles à voix haute et qu’on soit d’accord. “On est quoi ? Un genre de mot-qu’on-ne-doit-pas-dire mais libre ?” Je m’amuse à la taquiner alors que j’essaie de comprendre ce qu’elle veut vraiment me dire. J’utilise une phrase bien trop longue pour un mot qui dans la vie de Chloe et dans la mienne s’apparente apparemment à Voldemort. Je pouffe de rire, elle répondra sûrement par une nouvelle connerie et ça me va. Parce que, maintenant, je sais à quoi m’en tenir.

« Tu fais quoi, vendredi soir? » Je bois une nouvelle gorgée de ma bière avant de reprendre ma cigarette. “Je sais pas, je crois que j’ai un truc de prévu avec ma voisine si elle m’invite.” Ca sera chez elle, chez moi, ou peut-être bien dans le parc où elle mange mon croissant et où je bois son café, mais je crois bien que depuis deux minutes on a le droit de s’organiser des sorties à deux et de se dire qu’on va se revoir.

J’avais l’impression que c’était vraiment voulu, qu'il dit, et qu'elle ne dénote pas. Elle n'est pas du genre brute de décoffrage Chloe, elle fait dans la subtilité, sournois personnage. Disons que leur matin à trois ne fera pas partie des moments les plus glorieux de la blonde cette année. Passons.

“Oh c’était pour me dire que je te manquais trop que t’es venue me chercher chez moi en vrai ?”  « Ouais, et maintenant que c'est fait je peux partir l'esprit en paix. Bonne vie, Jet. » tout ce qu'elle avance sonne comme un au revoir en bonne et due forme, pourtant la voilà qui s'installe encore plus confortablement sur le canapé. Elle se passe même une couverture sur les jambes, l'effrontée à la bière aux lèvres. Une véritable gamine qui se complait dans les non-dits et dans l'incertitude quand Jet lui, en a assez au point où il la confronte sans que personne ne s'en étonne. Elle l'a cherché.

Alors elle explique, elle utilise des mots sérieux pour décrire une situation qui l'est toute autant. Chloe déteste parler de ce genre de choses, comparant inévitablement sa relation précédente à toutes les suivantes peu importe leur ampleur. Jet ne posera pas de questions et Jet se contentera de ce qu'elle voudra lui dire, donner et partager. L'inverse est toute aussi vraie et c'est ça qui compte, finalement.  “Donc je passe en premier, et tu passes en première ?” elle souffle, tout ça est bien trop procédural, pourtant il y a une touche qui rend la conversation inévitablement nécessaire. « Mais si tu veux que je sois la dernière à endurer ton humeur merdique du matin, j'me plaindrai jamais. » toujours à une blague près, toujours prête à désamorcer puisse-t-elle être, elle a quand même hoché la tête de la positive Chloe. “On est quoi ? Un genre de mot-qu’on-ne-doit-pas-dire mais libre ?” la voilà qui se posait la même question, le mot qui choque censuré bien évidemment. « Si j'avais su que tu voulais une étiquette claire j'aurais apporté de quoi te faire un badge. Quel dommage. » alors, ils sont ce qu'ils sont. Peu importe le mot qu'il tente d'y associer. Mieux.

Et vendredi? “Je sais pas, je crois que j’ai un truc de prévu avec ma voisine si elle m’invite.” il inspire sa clope, elle choisit exactement ce moment pour la lui retirer des lèvres à nouveau. Ironiquement, tous les deux semblent véritablement mieux respirer. La crise est avortée, pour le moment. « J'ai un quelque chose à faire, pour le boulot. » plus vague que ça, elle ne peut pas mieux faire. « T'en fais pas, je t'invite pas à venir au quelque chose en question. » mais quand elle dérobe un stylo sur la table basse pour finir par y inscrire l'adresse sur la chair de l'avant-bras d'Etish, c'est l'adresse d'un hôtel friqué en ville qu'il y reconnaîtra. « Ça se termine à minuit. T'es libre jusque là.» elle n'en dit pas plus, une fois la bouffée de nicotine expirée docilement. Pour une de leurs premières fois, elle ne doutera pas qu'il sera là. À minuit une, pile.