Il y a des colères qui sont amplifiées par l’alcool, comme un coup de vent sur des braises. Il ne faut pas beaucoup pour qu’un monde s’enflamme, pour que le feu se propage et se mette à tout dévorer. Il aura suffi que Dorian m’annonce que lui et Molly avaient été ensembles. Il aura suffi qu’il m’annonce que durant le mois où j’étais parti ils s’étaient rapprochés de nouveau pour que ma rupture avec la jeune femme prenne tout son sens. Pour que soudain cela ne soit plus moi la cause de cette rupture mais elle et lui. Il m’avait dit qu’elle méritait mieux que moi, qu’elle méritait d’être heureuse. Et il avait raison.

Pourtant je n’avais vu que sa trahison à lui, un de mes meilleurs amis. Dorian avait toujours su l’importance de cette relation pour qu’elle ait duré dans le temps. Bien sûr il n’avait sans doute vu que toutes mes conneries, et la façon dont je l’avais traitée.  Il n’avait dû voir que le mal que je lui avais causé, que les tromperies et les mensonges, que les paroles odieuses sous le coup de l’alcool, que les départs et l’absence de nouvelle comme si elle importait peu. Pourtant elle importait malgré tout. Elle importait plus que beaucoup d’autres.  Et aujourd’hui j’avais l’impression qu’il venait de me donner la vraie raison de cette rupture et que plus rien n’était de ma faute.


J’ai trop bu. J’ai bu jusqu’à laisser la colère prendre le dessus, jusqu’à ne plus sentir la douleur dans ma poitrine. J’ai bu et comme toujours je n’ai pas réfléchi, je me suis pointé chez elle peu importe que son pseudo mari soit là ou pas, peu importe je n’en rien à faire. Je ne sais pas à vrai dire pourquoi je suis là, je devrais la laisser tranquille, je devrais l’oublier mais j’en suis incapable. Alors je tambourine à la porte. « MOLLY. » Je gueule.  « MOLLY. » Mon poing s’abat de nouveau sur la porte.  Et lorsqu’elle s’ouvre et que c’est elle qui m’ouvre je n’attends pas son autorisation pour pousser violement la porte pour la forcer à reculer à entrer dans l’appartement. Au moins le mari à la con a pas l’air d’être là. Tant mieux. « J’aurais dû le savoir. » Mes mots sont emplis de dégoût. « J’aurais dû le savoir qu’il y avait une raison. » Une raison autre que ma connerie et mon égoïsme.

« Tu comptais me le dire quand pour toi et Dorian ?  Lorsque tu m’aurais invité à ton putain de mariage ? Ah non pardon c’est vrai que t’es déjà mariée j’avais oublié. » Le sarcasme est palpable, l’agressivité aussi alors que je suis incapable de tenir en place.

Je passe encore une soirée toute seule, et j’en ai terriblement besoin ces derniers temps. J’ai besoin de me recentrer sur moi-même pour me remettre de tout ce que je vis. La blessure la plus récente étant la rupture avec Pete. Je suis sur le canapé et je regarde des séries en mangeant une pizza. C’est une soirée incroyablement normale pour une jeune femme qui tente de se remettre d’une peine de coeur. J’étais sur le point de m’endormir avant que je n’entende frapper fortement à la porte. Je fronce les sourcils et j’entends une voix. Sa voix. « MOLLY. » Je me demande si c’est une bonne idée de lui ouvrir la porte. Je tente de faire la morte pendant quelques minutes mais je sais que si je n’ouvre pas il va finir par réveiller tous les voisins.

« MOLLY. » J’ouvre la porte et il ne me laisse même pas le saluer avant de passer les portes de l’appartement. Il est bourré, je le sais, je le connais quand il est dans cet état, et je sais qu’il va être odieux. Je suis prête à encaisser, plus les jours passent et plus je deviens forte. C’est comme si cette rupture avait changé quelque chose en moi, comme si j’étais en train d’évoluer, et je suis sûre que c’est bon pour moi. « J’aurais dû le savoir. » “Quoi ?” Je suis à moitié endormie et je ne comprends pas ce qu’il veut dire. Je ne comprends pas ce qu’il fait et pourquoi il est venu me voir alors qu’il avait l’air de ne plus jamais vouloir être à mes côtés il y a de ça quelques jours. « J’aurais dû le savoir qu’il y avait une raison. » Il n’oublie pas la rupture, et c’est son ego qui parle pour lui. Mais je me tais, attendant de savoir de quoi il peut bien parler.

« Tu comptais me le dire quand pour toi et Dorian ? Lorsque tu m’aurais invité à ton putain de mariage ? Ah non pardon c’est vrai que t’es déjà mariée j’avais oublié. » Et merde, je ne m’attendais pas à ça. Dorian n’aurait pas dû lui dire ça. Pas déjà. Et je ne comprends pas pourquoi il a voulu parler à Pete du nous qui n’est pas encore créé. On ne sait pas où on en est, et je suis certainement la plus perdue entre toutes ces histoires. “Je…” je n’ai aucune excuse. “Ca s’est fait comme ça. Il était là quand toi tu l’étais pas et on pensait que tu reviendrai plus. Il m’a quitté à la seconde où il a su que tu revenais à Brisbane.” J’essaie de montrer à Pete que Dorian n’y est pour rien, que je suis la seule fautive dans cette histoire. Il parle de marié, et mon doigt glisse sur mon annuaire gauche qui est vide cette fois. Ce mariage n’a pas le sens que je voudrais qu’il ait, et je ne suis pas avec la personne que je voudrais. Même si pour le moment, la seule chose que je veux, c’est être seule.

« Quoi ? » Elle n’a pas l’air réveillée mais je n’en ai rien à faire. Je n’ai pas regardé l’heure. Cela fait des heures que je bois, sans réfléchir. Et chaque verre de plus ne fait que rendre la douleur sourde dans mon cœur un peu plus insupportable.

J’ai l’impression qu’elle sait très bien de quoi je veux parler, de ce qu’elle aurait dû me dire il y a déjà longtemps.  Mais elle comprend vite Molly, elle comprend quand je vois la surprise apparaître quand je mentionne Dorian. Elle voulait me le cacher. Il voulait me le cacher. J’ai l’impression d’avoir été trahi par un de mes plus proches amis et par elle aussi.  A mes yeux, cette rupture n’est plus la conséquence de mon comportement,  je m’absolu de toute responsabilité car à présent la vraie raison est ce lien entre le rouquin et la jeune femme. La raison qui explique pourquoi cette fois ci Molly ne me pardonnera pas est qu’elle a trouvé mieux ailleurs, avec un de mes meilleurs amis.

Je ne suis pas quelqu’un de jaloux, trop habitué des tromperies, moi-même trop libre pour pouvoir imposer quoi que ce soit à quiconque. Mais pour elle je ferais une exception. Parce que c’est Dorian, parce que lui n’aurait jamais dû s’approcher d’elle et parce qu’elle n’aurait jamais dû accepter ses avances. Parce que le Molly et moi existe depuis trop longtemps, que malgré toutes mes conneries, ce lien a toujours existé. Parce ce que ça nous fait mal et ça la détruit sûrement un peu plus à chaque fois et pourtant ce nous existe.  Ou du moins existait, jusqu’à ce qu’elle décide d’y mettre fin. Son ton si résolu et triste me hante encore mais aujourd’hui je n’y pense plus. Je ne pense qu’à ma colère et à ma jalousie. Je laisse mon égo blessé être un ras de marée, emportant toute raison.   Elle tente de s’expliquer Molly, mais je sais déjà d’avance qu’aucune explication ne sera suffisante.  « Je…Ca s’est fait comme ça. Il était là quand toi tu l’étais pas et on pensait que tu reviendrai plus. Il m’a quitté à la seconde où il a su que tu revenais à Brisbane.” `

Les paroles de Dorian me reviennent en tête. Évidement qu’elle méritait mieux que moi. Évidemment qu’elle méritait mieux que ce que je lui avais donné. Pourtant aujourd’hui je ne pensais qu’à la douleur qu’elle me causait moi, j’en oubliais le reste, noyé dans cet alcool qui me permettait de supporter cette conversation. « T’es sérieuse ? T’es sérieuse Molly putain ? » Je fais les cent pas dans son appartement. Je donne un coup de pied dans une chaise.  « Je suis toujours revenu Molly. Tu le sais putain, tu le sais, ça fait plus de dix ans bordel, je reviens toujours ! » Je reviens toujours comme un con et je la blesse un peu plus à chaque fois, parce que je l’ai toujours mal aimée et je ne l’ai jamais aimé assez. « DORIAN ? » Ma voix a monté de trois octaves, je crie dans l’espoir que cela me libérera de cette peine.  « Ca fait combien de temps ? C’est arrivé quand ? » Des questions que j’ai déjà posé à Dorian, que je repose encore ici, j’ai envie qu’elle le dise j’ai besoin de l’entendre.

Je ne pensais pas le revoir aussi facilement. Je l’ai blessé dans son ego, et c’est moi qui ai mis fin à notre histoire cette fois. Je ne pensais pas qu’il reviendrait vers moi aussi vite, je ne pensais pas qu’il reviendrait vers moi tout court en réalité. Je ne veux pas le perdre, mais je ne pense pas que lui puisse me pardonner un jour. Il est là, il est ivre et il est affreux. Je ne sais pas quoi faire. J’aurais peut-être dû le laisser dehors, ne pas lui ouvrir. Mais il savait très bien que je ne l’aurais pas laissé seul, dehors, dans cet état. Je le regarde passer devant moi, me demandant pourquoi il est dans cet état de colère. Je n’aurais pas pu m’imaginer qu’il était au courant pour Dorian et moi. Ma seule trahison, et celle que je voulais garder pour moi encore quelques temps.

« T’es sérieuse ? T’es sérieuse Molly putain ? » Je fronce les sourcils, je déteste qu’il me parle comme ça mais je peux comprendre sa peine. Alors je me tais, je garde pour moi tous les hurlements. J’ai dit que je ne m’énerverais pas contre lui, et je ne compte pas le faire aujourd’hui alors que je suis épuisée. « Je suis toujours revenu Molly. Tu le sais putain, tu le sais, ça fait plus de dix ans bordel, je reviens toujours ! » “Et j’aurais dû t’attendre jusqu’à la fin de ma vie ?” Ma voix est un peu plus aigu, toujours aussi triste. Je croise les bras sur ma poitrine, je lui aurais donné toute ma vie, et tout mon coeur. Jusqu’à ce dernier départ, et cette dernière engueulade. “Tu penses à moi ? A la vie que j’ai mené à chaque fois que t’es parti ? Tu m’as brisé à chaque fois et j’ai dû me reconstruire.” Je me justifie parce que c’est la réalité. J’ai dû passer de très longues journées, des mois parfois, à me remettre de ces départs. Et Dorian était là à chaque fois. Il n’est jamais parti, il ne m’a jamais abandonné, et c’est bien là la plus grande différence entre Pete et lui.

« DORIAN ? » C’est donc ça qui ne va pas. Le fait que ça ait été Dorian. “Arrête Pete. T’as rien à dire…” Je me trouve une force, un courage que je ne me connaissais pas jusqu’alors. Je ne me laisserais pas avoir cette fois, et je ne m’excuserai pas pour Dorian et notre relation. « Ca fait combien de temps ? C’est arrivé quand ? » Je m’assois sur mon canapé et éteins la télévision. Je déglutis, je réfléchis. Quand est ce que ça a réellement commencé ? “Ca date de fin 2018, début 2019. On est resté ensemble pendant plusieurs mois, jusqu’à ce que tu reviennes en mars… On a tout arrêté, et on s’est embrassé il y a quelques semaines après que tu sois reparti.” Je ne mets pas les forme, je suis honnête et je le regarde faire les cents pas dans mon salon. J’ai envie d’aller me coucher et de le mettre dehors, mais le monde sait que j’en serai incapable. "T'as pas le droit de m'en vouloir. Pas après tout ce que t'as fait..."

« Et j’aurais dû t’attendre jusqu’à la fin de ma vie ? » « OUI ! » C’est un cri du cœur, d’égoïsme, d’une peur terrible de se retrouver seul et de ne plus avoir personne. De ne jamais être aimé et de ne jamais être capable d’aimer.  Je me suis accroché à elle pendant des années par facilité comme par nécessité, parce qu’elle me laissait partir quand je le voulais et me laissait revenir quand je le voulais, parce que toute connerie était pardonnée. J’étais peut-être stupide de penser qu’elle l’aurait fait tout une vie. Pourtant après dix ans, à se quitter et à se retrouver, cela me paraissait évident, normal. A vrai dire je n’avais jamais envisagé que la relation puisse un jour prendre réellement fin à part de ma volonté. Parce qu’elle avait toujours été accrocs Molly, et ce bien plus que je l’avais été.  “Tu penses à moi ? A la vie que j’ai mené à chaque fois que t’es parti ? Tu m’as brisé à chaque fois et j’ai dû me reconstruire.”  Peut-être que si j’avais été sobre j’aurais pu être raisonnable.  Peut-être que j’aurais compris à quel point je l’avais blessée par le passé. Mais en réalité je le comprenais, j’étais juste trop égoïste pour arrêter.  « Tu t’es laissée traitée comme ça à ce que je sache ! »

C’est Dorian le problème, c’est ça qui me met le plus en rage. Pas qu’elle ait trouvé quelqu’un. Mais qu’elle ait trouvé Dorian. Peut-être parce que je sais au fond qu’il la mérite bien plus que moi. “Arrête Pete. T’as rien à dire…” Évidemment que je n’ai rien à dire, je ne devrais même pas être là devant sa porte je devrais la laisser tranquille, lui laisser la vie qu’elle mérite d’avoir et passer à autre chose. Mais cela fait longtemps que je ne suis plus raisonnable quand il s’agit de Molly.  Je la regarde s’assoir sur le canapé avec l’envie terrible de la secouer, de la mettre en colère. “Ca date de fin 2018, début 2019. On est resté ensemble pendant plusieurs mois, jusqu’à ce que tu reviennes en mars… On a tout arrêté, et on s’est embrassé il y a quelques semaines après que tu sois reparti.”

Elle est là la véritable raison de notre rupture et de sa résolution. Elle a trouvé quelqu’un d’autre, quelqu’un de mieux que moi, qui l’aimera plus que moi.  C’est cette raison qui domine et non pas le fait que mes promesses cette fois ci ont été trop belles, trop grandes et trop facilement enterrées dès mon départ.   "T'as pas le droit de m'en vouloir. Pas après tout ce que t'as fait..."

Je ris alors, d’un rire de quelqu’un qui est trop désespéré et trop en colère. Je manque de trébucher, je suis pathétique. « C’est à cause de lui que c’est fini hein ? Tu m’as raconté que des conneries, c’est juste parce que t’étais amoureuse de quelqu’un d’autre en fait. De Dorian. » Je crache le prénom d’un de mes plus proches amis. Double trahison, double poignard planté dans mon dos. Je m’approche d’elle et je pue l’alcool, la clope et la colère, j’approche mon visage du sien me penchant vers elle et je crache mon venin comme quelqu’un qui a déjà perdu la bataille « T’as attendu combien de temps avant de te jeter dans ses bras Molly hein ? »  Je n’arrive pas à penser à autre chose que la douleur qui me serre le cœur, je ne la comprends pas. « J’en ai rien à foutre que j’ai pas le droit de t’en vouloir Molly. Rien  à foutre. » Parce que c’est trop tard.

Il hurle que j’aurais dû l’attendre toute ma vie. Et j’aurais pu le faire, s’il n’y avait pas eu Dorian, et tout un tas d’autres choses qui m’ont fait réalisé que je méritais mieux que cette vie là. J’ai aussi le droit d’avoir mes propres rêves et mes envies. Et Pete ne peut pas combler mes envies comme je ne peux pas combler les siennes. On est bien trop différents, et notre relation n’a rien de sain. “NON !” Je réponds sur le même ton que lui pour la première fois. Je n’aurais pas pu attendre jusqu’à la fin de mes jours, et il ne devrait même pas penser que ce soit possible. Et c’est à ce moment là que je me dis que je l’ai poussé à avoir ce comportement, je l’ai laissé faire absolument tout ce qu’il voulait, et ce n’était bon ni pour lui ni pour moi. “Parce que je t’aimais…” Et ma voix n’est presque qu’un murmure.

Je m’assois sur le canapé, ne sachant plus quoi faire pour le calmer. Il n’est pas possible de calmer le jeune homme alors j’encaisse, jusqu’à ce qu’il finisse par décider de partir. Il n’a rien à dire, je joue avec mes doigts comme je le fais toujours lorsque je suis nerveuse, et j’ai une soudaine envie de m’enfuir de cet appartement. Je n’en fais rien, et continue de le regarder courir partout pour essayer d’évacuer sa colère. Je parle, je ne lui cache rien parce que je pense que Dorian ne l’a pas fait non plus. On aurait dû avoir cette conversation à trois, tous ensemble en essayant de rester le plus calme possible. Il ne devrait pas m’en vouloir, il ne devrait même pas être là pour me reprocher d’être tombée amoureuse de quelqu’un d’autre que lui. J’ai le droit d’être heureuse moi aussi, et j’aurais dû me rendre compte de ça il y a des années déjà. “Non c’est pas à cause de lui.” Je pince les lèvres, ce n’est pas seulement à cause de Dorian. “C’est surtout à cause de toi et de moi qu’on en est là. Je n’aurais jamais dû te laisser revenir autant de fois, et tu n’aurais pas dû te comporter de cette manière. Tu ne l’aurais jamais fait si tu m’avais vraiment aimé. Alors oui, je suis allée vers lui parce qu’il m’aime vraiment, et qu’avant lui je ne savais pas ce que ça voulait vraiment dire d’être aimée.” J’ai à nouveau les larmes aux yeux en parlant de Dorian et en devant encore une fois me justifier et lui prouver que j’ai raison. Il ne me laissera donc jamais en paix ?

Il penche son visage vers le mien et j’ai cru une seconde qu’il allait m’embrasser alors que je reculais au plus profond du canapé pour l’éviter. J’évite son regard jusqu’à ce qu’il crache son venin. C’est à ce moment là que je croise son regard, le coeur brisé à nouveau. Comment peut-il utiliser de tels mots ? J’ai l’impression d’arrêter de respirer. “Certainement au moment où toi tu te jetais dans les bras de toutes les filles que tu croisais sur ta route.” C’est la seule personne avec qui je réagis de la sorte, il fait sortir ce qu’il y a de pire en moi et je déteste ça plus que tout au monde. “J’ai fait ma vie quand t’étais pas là. Tu as fait te vie quand tu partais et tu continueras à la faire sans moi. Je n’ai jamais été indispensable.” Alors que lui, il l’était pour moi. “Il faut que tu me laisses…” C’est presque une remarque suppliante, j’ai besoin qu’il s’éloigne et qu’il me laisse du temps.

Si je hurle qu’elle aurait du m’attendre toute sa vie, ce n’est que le fruit d’un homme enfant piégé dans sa solitude, dans un peur de l’abandon qui ne le quittera sûrement jamais. J’aimerais pouvoir lui dire qu’évidemment je veux son bonheur, qu’au fond je n’ai jamais voulu la faire souffrir, pas comme ça, jamais à ce point. Mais une part de moi a toujours été plus préoccupée par mon bonheur et mon besoin d’aventure et j’ai longtemps fait l’aveugle à la douleur que je lui causais. Aujourd’hui cet aveuglement est dû à des verres de trop et une colère qui finalement est une meilleure échappatoire que la douleur violente qui reste ancrée dans mon cœur depuis la rupture.

Aimer au passé. La phrase me bloque, me fige un instant dans mes cent pas. Mon regard s’ancre dans le sien, j’y cherche une once de doute qui remettrait en cause ce qu’elle vient de dire. Parce qu’elle n’a jamais utilisé le passé Molly. Parce que le mot aimer au passé sonne comme une condamnation, une dernière porte claquée.  Elle n’a pas le droit de dire ça. Et tout ça, c’est de la faute de Dorian.

Aurais-je pu accepter la relation entre Dorian et elle si je n’avais pas été blessé par la rupture ? Je n’en suis pas sûr. Peu importe le moment, il aurait été malvenu, j’aurais vu cette relation comme une trahison, ramenant tout à moi encore une fois, au lieu de voir le bon, au lieu d’être heureux pour eux.

Ce n’est pas à cause de lui et pourtant tout me crie que ça l’est, que c’est ce qui l’a poussée à enfin dire stop à cette pale copie de l’amour que je lui inflige depuis trop d’année.  Je sais qu’elle a raison et pourtant, pourtant cela fait tout aussi mal. Car je n’ai pas envie d’accepter que je ne peux m’en prendre qu’à moi-même, qu’elle aurait dû me quitter il y a bien longtemps.  Je me demande parfois si j’aurais traité Jill comme je l’ai traitée ? Et la réponse me vient sans aucune hésitation. Évidemment que non. Parce que Jill ne m’aurait jamais laissé la traiter ainsi et que je l’aimais d’une manière différente de Molly. J’ai profité de la gentillesse de Molly, profiter de sa douceur et de sa capacité à pardonner, profiter de son amour inconditionnel pour être la pire version de moi-même sans même m’en rendre compte et je me déteste. Je me déteste de l’avoir blessée ainsi et pourtant je suis incapable de lui montrer. Je suis lâche, préférant choisir la colère, mettre la faute sur Dorian, sur eux, sur cette trahison. Je choisis d’entretenir le feu au lieu de réparer la maison qui s’effondre.  Elle a reculé dans le canapé et me crache que cela a commencé au moment où j’ai moi-même été voir ailleurs, dans les bras de femmes et d’hommes, regardant peu les conséquences de mes actes.

Elle n’a jamais été indispensable. Et pourtant son absence aujourd’hui me crie que non c’est faux. Elle est indispensable. Elle est indispensable sinon l’idée qu’elle me quitte ne serait pas autant insupportable.
Ma colère commence à s’étioler à mesure que l’alcool ne prend plus toute la place, à mesure que je suis à court d’accusations. « J’AI PAS ENVIE DE TE LAISSER MOLLY BORDEL. » Je crie dans l’espoir de lui faire entendre raison, mon cœur bat trop vite, je ne me sens pas bien, j’ai trop bu. Trop bu, trop bu. « C’est pas juste. » Je titube, tentant de reprendre une respiration que je ne contrôle plus. « Putain je te déteste Molly. Toi et Dorian. J’vous déteste. »  Je mens et je me dis que les mots me feront du bien et pourtant ils me font un peu plus mal. Tout est de leur faute.

@Molly Ivywreath  

Il hurle et je n’ai aucune envie de crier ni de m’engueuler avec lui. Je ne veux pas être en mauvais termes avec Pete, j’ai besoin de lui dans ma vie même si je sais que ce n’est pas pareil pour lui. Il me fait de la peine, et j’ai envie de le prendre dans mes bras, de lui dire que tout est terminé et que j’accepte de lui pardonner. Mais je ne peux pas me faire ça, je ne peux pas nous faire ça. Il a autant besoin de passer à autre chose que moi, c’est un besoin vital. Il faut qu’on s’éloigne l’un de l’autre, et je suis la seule à me rendre compte de l’importance de la chose.

Je lui demande de me laisser. Il est furieux et je sais que c’est à cause de moi qu’il est dans cet état. Il a bu, et je déteste qu’il ait besoin de ça. Je déteste être la cause de ce désastre. Je ne pensais pas qu’il serait dans cet état après mon annonce, et je me dis qu’il tient à moi. Ca pourrait suffire, ça aurait suffit il y a quelques semaines seulement. Mais plus maintenant, parce qu’aujourd’hui je ne sais plus où j’en suis, et je ne sais même plus ce que je ressens pour lui ou pour qui que ce soit d’autre.

Je me recule, je m’éloigne parce que je ne veux pas de son visage près du mien. Je ne vais pas pouvoir le laisser partir comme ça, et pourtant je ne peux pas non plus le garder à dormir dans mon appartement qui n’est pas seulement le mien. “T’as pas le choix cette fois.” J’ai besoin de prendre mon temps, et surtout, de prendre du recul sur cette situation. De réfléchir à mes sentiments et à tout ce qui m’entoure. Je me suis laissée aller pendant trop longtemps, et je dois faire en sorte de m’aimer et de me respecter plus que je ne l’ai jamais fait. Et, si ça veut dire perdre Pete pour toujours, je sais que je pourrai m’y résoudre cette fois. “C’est tout ce qu’on a vécu qui a pas été ni normal ni juste.” Et c’est terrible, parce que je sens que notre histoire aurait pu être belle si je ne l’avais pas laissé me traiter de la sorte, s’il ne m’avait pas aimé de la mauvaise manière.

Mon coeur se brise encore un peu plus. “Je veux pas que tu me déteste.” Mon dos se pose contre le mur derrière le canapé alors que je continue de l’observer tituber au milieu de mon salon. J’aurais tellement aimé que tout se passe différemment. “Je ne suis pas avec Dorian, je ne suis pas avec Léo non plus.” Je ne suis pas avec Pete et je me rends compte qu’un peu de solitude devrait me faire du bien. “J’ai besoin de temps pour moi.” Et je veux qu’il comprenne que ce n’est pas la faute de Dorian si j’ai fini par prendre cette décision.

Ce n’est pas juste et à m’entendre on dirait un pauvre gamin pleurnichard qui se plaint qu’on lui ait enlevé son jouet préféré. Et je suis sûr que beaucoup penseraient ça face à mon comportement envers Molly depuis des années. Pourtant il y a une part de moi qui l’aime cette femme en face de moi et qui dépend d’elle, qui lui accorde beaucoup trop d’importance malgré tout ce que je prétends.

Pas le choix qu’elle me dit.

Elle ne m’en laisse aucun, aucune possibilité d’absolution, comme manière de changer la donne, moi qui avait pourtant réussi à me sortir de n’importe quelle situation. Je donnerais tout pour qu’elle hurle et pourtant elle reste d’un calme olympien qui me donne envie de fracasser les murs. Chaque engueulade repasse en boucle dans mon esprit, chaque moment où je suis allé trop loin. Et aujourd’hui je les regrette toutes parce que c’est leur accumulation qui a marqué la fin de la patience de Molly, sa décision enfin de me laisser derrière elle pour son bonheur à elle. Comment lui en vouloir quand je suis conscient qu’elle mérite mieux que ça ? Pourtant je m’accroche à une colère dirigée en réalité contre sa relation avec Dorian, une colère qui n’est qu’une façon de ne pas penser à la tristesse de devoir la laisser partir, de devoir accepter sa décision.

Mais elle n’est ni avec Dorian, ni avec Léo et si j’ai du mal à la croire, cela ne me laisse plus rien à quoi m’accrocher, plus rien à lui reprocher. Et je la déteste de me faire ressentir ce sentiment-là, je la déteste de ne plus être capable de me pardonner. Je la déteste de m’avoir fait l’aimer malgré tous mes efforts pour ne pas tomber amoureux d’elle, malgré ma fuite constante dans cette relation bien trop à sens unique. Je la déteste parce que je me déteste de l’avoir mal aimé.

J’arrête enfin mes pas et je m’allume une cigarette dans son appartement, tentant de me calmer d’une manière ou d’une autre et puis soudain je ricane. Je ricane car je n’ai plus que ça alors je crache mon venin une dernière fois dans l’espoir de lui faire mal, aussi mal qu’elle est en train de me faire. « J’tai jamais aimé de toute façon Molly. J’sais pas pourquoi je m’obstine. On a rien à faire ensemble. » Je t’aime je t’aime Je t’aime mon cœur crie dans la tristesse de cet abandon. Et pourtant j’ignore les cris de ce cœur, j’ignore la raison, j’ignore mon empathie et ma volonté de ne pas la blesser. Je ne pense qu’à moi encore une fois, qu’à moi et mon égo blessé, qu’à moi et ma colère et comme toujours je choisis de la blesser. « Amuse toi bien avec ton putain de mari à la con, amuse toi bien avec mon meilleur pote. J’en ai plus rien à foute. J’veux plus te voir. »

Je suis dans un coin de la pièce, Pete est dans un autre, toujours aussi furieux. Il l’est peut-être même encore plus que lorsqu’il a tapé à ma porte et je suis incapable de savoir pourquoi. Il ne m’a plus donné de nouvelles, et je ne voulais pas qu’il soit déjà au courant de l’histoire qu’on a vécu et qu’on continue de vivre quand on se voit de temps en temps. Mais il ne s’est rien passé depuis ce baiser dans notre endroit. On était bien là-bas, et on aurait peut-être dû y rester. Tout aurait été bien moins compliqué. Je baisse les yeux, et je fais tout pour ne pas pleurer cette fois. Il y a eu bien assez de larmes, et je n’ai plus envie d’être malheureuse. Pourtant, je sais que je vais mettre du temps à me remettre de cette rupture officielle. Jamais on avait réellement marqué de fin avec Pete, jamais. Et ça fait terriblement mal d’avoir été celle qui aura mis fin à notre histoire.

Ils font mal ces derniers mots, et je l’observe, comme si rien de tout ça n’était réel. Il ne peut pas dire qu’il ne m’aimait pas, et pourtant ça ne m’étonne pas qu’il cherche à me blesser. Moi je l’aime, mais je me tais. C’est terminé, tout doit être terminé et je tiens ma décision. Après tout, il m’aide à ne pas revenir sur ma décision. “Je m’amuserai avec personne.” Parce que moi je ne joue pas avec les gens. Je les aime de tout mon coeur et je pourrais tout donner aux personnes qui font partie de ma vie. Il en fait partie, et au fond, j’espère qu’il en fera toujours partie. Mais ce n’est pas moi qui prendrai cette décision. “Tu devrais partir.” Parce que j’en aurai eu assez pour ce soir. parce que je suis épuisée et que je suis sûre qu’il trouvera un autre moment pour me détester et être odieux avec moi. Je ne lui propose pas de rester avec moi ici, parce que je ne sais pas ce qu’il pourrait se passer, et j’ai besoin de le laisser s’éloigner de moi pendant un long moment.