Caelan adorait son frère mais il avait hâte de retrouver son indépendance. Le jeune homme s’était donc mis à la recherche d’un boulot et d’un appartement et il avait réussi à trouver quelque chose de pas trop cher pour la mi-octobre. Aujourd’hui était donc le grand jour et il était vraiment content d’enfin avoir sa place à lui. Caelan avait eu plusieurs colocataires, durant son séjour à Banff, et il était pas mal toujours en compagnie de Marcus ou de son neveu et de sa nièce depuis son retour à Brisbane. Avoir un endroit à lui où il allait pouvoir être seul allait lui faire du bien, surtout s’il décidait de s’inscrire à un cours pour se spécialiser. En effet, Caelan s’était trouvé un boulot dans le domaine de la construction mais il n’avait pas de formation pour l’instant donc il ne pouvait pas faire de boulot trop spécialisé. Il n’avait pas encore décidé dans quelle branche il voulait aller spécialement donc il allait toucher un peu à tout pour le moment pour voir ce qui l’intéressait. Il était convaincu que ça allait lui faire du bien de reprendre un rythme de vie un peu plus normal et que ça lui changerait les idées un peu. Après avoir débarré la porte de l’appartement, Caelan poussa donc celle-ci du bout des orteils alors que ses bras étaient remplis de boîtes. Comme l’appartement était préalablement meublé, il n’avait qu’à apporter ses effets personnels et deux ou trois trucs. Ça avait l’avantage à rendre la période de déménagement beaucoup moins pénible, tellement qu’il n’avait pas demandé d’aide à personne pour bouger ses choses. Il passa donc son jeudi soir à ranger ses vêtements, ses effets personnels et la nourriture qu’il avait achetée. La salle de bain avait l’air relativement propre mais le jeune homme décida de la laver rapidement avant de s’en servir pour la première fois. Lorsqu’il décida qu’il en avait suffisamment fait pour la soirée, il prit sa douche. En sortant de celle-ci, il se sécha, se brossa les dents, puis il enfila un boxer noir. Caelan prit ensuite le chemin de la chambre à coucher pour aller dormir.  

Le lendemain matin, Caelan se fit réveiller lorsqu’il entendit le bruit d’une clef dans la serrure. Sur le coup, il ne s’inquiéta pas trop en se disant que ça devait être quelqu’un qui se trompait tout simplement de serrure. Sauf qu’à sa grande surprise, il entendit plutôt la porte de son appartement s’ouvrir. Alerte, il se dépêcha de sortir du lit sans faire un bruit. Il regarda autour de lui pour déterminer ce qui pourrait bien lui servir d’arme dans le cas où il devrait se défendre, et il décida que la lampe posée sur la table de chevet était le meilleur choix. Il débrancha donc silencieusement celle-ci, la prit dans une main, puis il alla se placer juste à côté du cadre de porte de sa chambre. Lorsqu’il entendit des pas se rapprocher, le jeune homme bondit vers les bruits de pas tout en brandissant la lampe. Lorsqu’il reconnut Helena, Caelan poussa un cri de surprise et arrêta son mouvement de bras de justesse. « Qu’est-ce que tu fais chez moi bordel?! » dit-il d’un air énervé, à bout de souffle sous l’émotion. Caelan poussa un gros soupire tout en passant sa main libre dans ses cheveux. « Ne fais plus jamais ça, tu vas me faire faire une crise de cœur. » En réalisant qu’il n’était pas très habillé, Caelan recula jusqu’à sa chambre, déposa la lampe sur la table de chevet et enfila sa paire de pantalon qui trainait encore parterre de la veille. Disons que ce n’était pas la personne qu’il avait le plus envie de voir présentement. Caelan avait vraiment eu l’impression que le courant était passé entre eux lorsqu’ils s’étaient vus au parc mais Helena ne lui avait pas donné suite après lui avoir demandé son numéro de téléphone pour l’inviter à aller prendre un verre. C’était peut-être insignifiant pour elle sauf que ça lui avait pris tout son petit change, à lui, pour lui dire oui. Après sa rupture avec Jessica, s’afficher comme étant disponible à une autre femme était une grosse étape pour lui et le fait qu’elle ne lui ait pas donné suite lui faisait regretter un peu sa décision. Après tout, ce n’était pas comme si c’était lui qui l’avait invitée et qu’elle lui avait dit oui pour ne pas lui faire de la peine, c’était elle qui avait amené le sujet sur la table, auquel il avait répondu dans l’affirmative. Caelan s’approcha d’Helena de nouveau mais s’arrêta dans le cadre de porte de sa chambre. Il posa ses mains sur le cadre, de chaque côté de lui, et il haussa les épaules. « Comment ça se fait que tu as la clef? C’est ton ancien appartement? »

Cela faisait quelques mois qu’Helena avait envie de changer d’appartement, sans vraiment se lancer. Les retrouvailles avec Auden lui avaient fait l’effet d’un électrochoc : 4 ans après leur rupture, elle en était toujours au même point : seule, sans enfant, à enchaîner les différents jobs, vivant dans le même appartement qu’elle avait loué lorsqu’elle avait quitté la petite maison familiale. Elle devait se rendre à l’évidence : sa vie était pourrie. Et cet appartement, empli de souvenirs heureux comme douloureux, devait disparaître de sa vie. Une page devait se tourner pour permettre à la brunette d’avancer, et ça passait par un nouveau cocon à trouver.
Pourtant, même si sa décision était prise, Helena avait du mal à se lancer dans les recherches et, après plusieurs mois, le projet de déménagement n’en était toujours qu’à l’idée de projet. La décision de la jeune femme avait cependant été précipitée par un événement traumatisant : il y a un mois, Helena avait été cambriolée. En rentrant de soirée, tard dans la nuit, elle avait trouvé son appartement sans dessus dessous. Elle n’avait pas grand-chose de valeur, et se fichait de ce qui avait pu être dérobé. Elle était cependant choquée qu’une telle intrusion ait eu lieu chez elle, là où elle était censée se sentir en sécurité. Depuis, elle n’avait plus réussi à passer une seule nuit dans cet appartement. Depuis un mois, elle squattait chez des amis, son frère, et était même retournée quelques jours chez ses parents. Mais cette situation devait cesser !
Heureusement, elle avait fini par tomber sur la perle rare ! Un petit trois pièces à Fortitude Valley, son quartier, mais quand même assez loin de son ancien chez elle pour qu’elle ne sente pas menacé par un cambrioleur. Le loyer était peu élevé. Malgré sa naïveté prononcée, Helena avait tout vérifié scrupuleusement pendant la visite : pas de fuite, de moisissure, le chauffage fonctionnait, l’isolation était correcte … Rien ne semblait entacher le bonheur de la jeune femme lorsqu’elle avait signé le contrat de bail.
Vendredi matin : Helena avait posé un jour de congés pour finir d’emballer ses affaires et emménager dans son nouvel appartement. Quelques heures lui suffiraient largement pour tout déplacer d’un endroit à une autre dans de grosses valises, en prenant le bus. Elle pouvait largement se débrouiller seule, puisqu’il n’y avait pas de mobilier. Mais la brunette voulait avoir le temps d’aménager l’endroit, de s’y habituer, et de s’y sentir bien avant de retourner au boulot lundi.
Traînant derrière elle deux grosses valiser, avec un sac énorme sur le dos, la jeune femme pénétra dans le logement avec sa clé. Alors qu’elle posait les affaires dans le salon, un homme fit irruption d’une des chambres, armé d’une lampe de chevet. Helena hurla en se protégeant la tête, terrorisée. Heureusement, elle reconnut Caelan. Son cœur battant la chamade, elle se laissa tomber sur le canapé, ses jambes étant incapable de la porter plus longtemps.

« Qu’est-ce que tu fais chez moi bordel ?! »

Helena fronça les sourcils, incapable de répondre. Le choc lui avait pour l’instant coupé toute capacité à réfléchir ou à formuler une phrase cohérente.

« Ne fais plus jamais ça, tu vas me faire faire une crise de cœur. »

Le jeune homme s’éclipsa dans la chambre et revint quelques instants plus tard, un peu plus habillé. Malgré l’incompréhensible situation, Helena ne put s’empêcher de noter qu’il était torse nu, près d’elle, et carrément bien foutu. Elle rougit mais reprit peu à peu ses esprits quand Caelan reprit la parole.

« Comment ça se fait que tu as la clef ? C’est ton ancien appartement ? »

Une nouvelle fois, Helena fronça les sourcils.

« Heu … non ! J’emménage ! Aujourd’hui ! »

Elle montra ses valises d’un geste de la main.

« Et toi, tu peux m’expliquer ce que tu fais chez moi ? Pourquoi tu … »

La jeune femme s’interrompit dans son élan, une idée venant de lui traverser l’esprit.

« Ho non ! »

Elle se leva, ouvrit sa valise et en sortit sans ménagement une partie de son contenu sur le sol du salon. Elle trouva finalement ce qu’elle cherchait : un classeur empli de papiers. Elle en tourna frénétiquement les pages avant de brandir le contrat de bail.

« Et merde … Putain ! C’était écrit pourtant ! Contrat de colocation. Pas de location ! Colocation ! Comment j’ai pu être aussi conne ?! C’était pour ça, le loyer si abordable … »

La jeune femme se prit la tête entre les mains un instant, avant de plonger son regard bleuté dans celui de Caelan.

« Je vois que tu as déjà choisi ta chambre, coloc ! Mais je pense que tu devrais chercher un autre appart’ ! Tu peux trouver mieux, j’en suis sûre. »

Helena était sous le choc. Voulait-elle d’un colocataire ? Non. Peut-être. Elle voulait trouver un endroit où elle se sentirait chez elle à nouveau, et s’imaginer seule, pas envahie d’une présence. Mais il fallait être honnête, elle était seule depuis tellement longtemps que cette présence pourrait être bénéfique. Voulait-elle de Caelan en tant que colocataire ? Certainement pas. Elle voulait d’une femme, une nouvelle amie, pas un homme qui lui avait plu et qu’elle n’avait pourtant pas rappelé.

« Heu … non ! J’emménage ! Aujourd’hui ! » Caelan se redressa, croisa ses deux bras contre son torses et fronça les sourcils. Helena emménageait où aujourd’hui exactement? Il n’eut pas à se poser la question bien longtemps qu’elle lui montra ses valises qu’elle venait de poser dans le salon. Le regard de Caelan se promena entre les valises et Helena à quelques reprises, les sourcils toujours froncés. Il croyait bien comprendre ce qu’elle disait mais ça ne faisait aucun sens et, de toute façon, il espérait vraiment se tromper. Avoir une colocataire féminine n’était vraiment pas dans ses intentions, et surtout pas quelqu’un qui avait démontré un intérêt envers lui pour ne pas y donner suite. Disons que le jeune homme n’était pas tout à fait à l’aise avec l’idée de partager son logement avec elle. « Tu t’es certainement trompée d’endroit. » Même si ça non plus ça ne faisait aucun sens étant donné que sa clef avait réussi à déverrouiller la porte de son appartement. À moins qu’il l’avait mal verrouillée la veille? « Et toi, tu peux m’expliquer ce que tu fais chez moi ? Pourquoi tu … » Ce n’était pas vraiment son genre de rentrer par effraction chez quelqu’un et d’y passer la nuit, comme ça. « Ho non ! » Ho non quoi? Ça n’inspirait rien de bon. Lorsque la jeune femme sortit un bout de papier de sa valise, Caelan s’approcha et s’arrêta tout juste derrière elle pour pouvoir regarder de quoi il s’agissait. « Et merde … Putain ! C’était écrit pourtant ! Contrat de colocation. Pas de location ! Colocation ! Comment j’ai pu être aussi conne ?! C’était pour ça, le loyer si abordable … » Lorsqu’il comprit dans quoi il venait de s’embarquer, il laissa tomber sa tête vers l’arrière en lâchant un gros soupire. « C’est pas vrai. » Et un contrat signé était un contrat. Il y avait peu de chance pour que l’un d’eux réussisse à faire annuler le bail pour se trouver un autre endroit où habiter. De toute façon, qui avait envie de se retourner comme sur un dix cennes et de se trouver un endroit temporaire pour quelques temps, d’ici à se trouver un endroit où habiter? Certainement pas lui. Oui Marcus dirait probablement lui mais Caelan avait envie de retrouver son indépendance et de ne se sentir jugé s’il faisait quelque chose qui énervait son frère. C’était presque impossible qu’il retrouve cette liberté maintenant qu’il se ramassait avec une colocataire.

« Je vois que tu as déjà choisi ta chambre, coloc ! Mais je pense que tu devrais chercher un autre appart’ ! Tu peux trouver mieux, j’en suis sûre. » Caelan soutena le regard de la jeune femme. « Wow, t’es pas mal effrontée. » dit-il en haussant les sourcils et en riant. Caelan se déplaça vers la cuisine et se servit un bol de céréales avant de poursuivre. « Premièrement, je suis déjà installé comme tu peux le voir, contrairement à toi. Ce serait donc vraiment plus simple que ce soit toi qui partes. » Ses valises étaient encore faites alors qu’il avait déjà vidé les quelques boîtes qu’il avait apportées. Caelan retourna dans le salon et il prit place sur le canapé. Il prit une bouchée de ses céréales tout en la fixant. « Deuxièmement, donne-moi une bonne raison pour te faire une faveur. » Il laissa le silence planer quelques secondes alors qu’il prenait une autre bouchée de ses céréales. « Tu m’as créé des attentes en me demandant mon numéro pour m’inviter à prendre un verre et ensuite, rien. Quelqu’un t’avait lancé un défi de ramasser le numéro de téléphone du plus de gars que possible? » Son orgueil était peut-être un peu blessé de la situation et il n’était pas gêné de le dire. Peut-être que pour elle, flirter et inviter quelqu’un était banale mais ce n’était pas du tout son cas. Après une relation de près de 15 ans et une rupture douloureuse, Caelan trouvait difficile de recommencer à fréquenter des femmes alors il n’appréciait pas du tout qu’on se moque de lui. « Tu ne devrais pas jouer avec les sentiments des autres, tu ne sais jamais quel bagage ils peuvent trainer. » Caelan termina son bol de céréales et il posa le bol sur la petite table à côté du canapé. Il accota son dos contre ce dernier et croisa ses bras derrière sa tête, rempli d’assurance. « Tout ça pour dire que je ne bouge pas d’ici. Tu pars ou tu m’endures. » Et il espérait vraiment qu’elle choisirait la première option mais il ne se faisait pas trop d’attente.

« J’ai nulle part où aller. J’ai été cambriolée il y a quelques semaines. Depuis, j’ai été incapable de dormir chez moi. Je peux pas … Des amis m’ont hébergé quelques jours par ci par là, et je suis même retournée un peu chez mes parents. Mais là, je peux plus. » Caelan n’était pas ravi de la situation lui non plus mais il n’aurait jamais eu le culot de lui demander de partir comme elle l’avait fait lorsqu’elle avait compris qu’il s’agissait d’un contrat de colocation et non pas de location. Lui aussi il avait été hébergé temporairement par Marcus, il ne pouvait pas abuser de sa gentillesse. Caelan appréciait beaucoup son frère mais il avait besoin de sa propre place pour retrouver son indépendance. Il avait 36 ans, pas 16 ans, alors il n’avait pas le goût de se faire dire quoi faire alors qu’il n’était pas vraiment chez lui. « Il y a deux chambres, t’as qu’à prendre la deuxième. Je me suis aussi fait héberger temporairement, en passant, je ne peux pas rester chez mon frère éternellement. » Ce n’est pas comme si Marcus avait une maison gigantesque, il habitait dans un appartement. Fancy certes, mais un appartement. Et puis bien que ce ne fût jamais arrivé encore, Caelan n’avait pas tellement envie de ramener une fille chez son frère. Disons que l’optique d’en ramener une, alors qu’il avait une colocataire, ne l’enchantait pas tellement non plus mais il n’allait certainement pas se plaindre de ça devant Helena alors que son égo avait du mal à accepter qu’elle ne l’ait pas appelé. « Excuse-moi de ne pas prendre le temps de me créer une vie sentimentale quand je squatte à droite à gauche, passant presque toutes mes soirées avec les gens qui avaient la bonté de m’héberger. Mais la prochaine fois, promis, je demanderai au cambrioleur de choisir un autre timing. Et s’il vient ici, je lui indiquerai ta chambre en priorité ! » Caelan soupira bruyamment en secouant la tête de droite à gauche. « C’était si difficile que ça de m’envoyer un message? Trop long? » Caelan était quand même capable de comprendre que les gens avaient une vie. Après tout, dans les dernières semaines, il s’était consacré à sa recherche d’emploi et de logement, en plus de visiter Norah à l’hôpital et de s’occuper de Julie et Aidan. « Il est mieux de ne pas être tout seul parce que je vais lui casser les deux jambes. » Caelan n’était pas de nature violente mais il n’hésitait jamais à sortir les poings, lorsque nécessaire, pour se protéger ou protéger les gens à qui il tenait. Helena se pencha alors sur lui tout en martelant son torse du bout de son doigt. Caelan fronça les sourcils puis il repoussa le doigt d’Helena du revers de la main. « Don’t fucking touch me. » sa colère se lisait dans ses yeux. « Je ne joue pas avec les gens ! Je ne te permets pas de me juger ainsi ! Ca ne va pas se passer comme ça ! Je connais quelqu’un qui bosse dans une agence immobilière. Je vais l’appeler pour qu’il règle cette … situation ! » Caelan haussa une épaule en soupirant. Il ne s’attendait pas à un miracle mais si elle tenait à contacter la personne qu’elle connaissait, il n’allait pas l’en empêcher. « Je vais chercher le reste de mes affaires dans mon ancien chez moi. »

Helena sortit de l’appartement en claquant la porte. Caelan, de son côté, resta assis sur le canapé pendant quelques minutes, à profiter du silence. Pendant l’absence d’Helena, il en profita pour faire la vaisselle et pour partir une brassée de vêtements sales qu’il n’avait pas eu le temps de nettoyer chez Marcus avant de partir. Il passa rapidement par sa chambre pour enfiler un chandail puis il retourna s’asseoir sur le canapé pour écouter la télévision. Quelques heures plus tard, il entendit la porte de l’appartement s’ouvrir à nouveau. Helena pénétra dans leur appartement, les bras pleins. Caelan se leva et se dirigea vers elle d’un pas décidé. Il plongea son regard ténébreux dans le siens puis, sans lui demander parce qu’elle dirait forcément non, il prit les boîtes qu’elle avait dans ses mains. « Si tu préfères l’autre chambre, je peux te la laisser. » dit-il pour essayer de détendre l’atmosphère. Il se contentait de peu alors si elle voulait la plus grande chambre, il était prêt à faire un sacrifice. « Faudra juste laver les draps parce que j’ai dormi dedans. » Seulement une nuit mais elle serait sans doute plus à l’aise de dormir dans un lit qui n’avait pas son odeur à lui. « Alors? » demanda-t-il d’un air sérieux pour savoir dans quelle chambre aller porter les boîtes. Contrairement à leur rencontre au parc, Caelan ne souriait pas du tout. Il n’était pas non plus d’humeur à faire des blagues et il espérait qu’elle avait eu le temps de se calmer un peu dans les dernières heures. Disons que leur colocation ne commençait pas sur le bon pied.

Lorsque Caelan s’était approché d’Helena pour prendre ses boîtes, il n’avait pas immédiatement remarqué qu’elle était émotive et que ses joues étaient humides. Lorsqu’il le remarqua, cependant, il se sentit soudainement mal d’être aussi dur avec elle et les traits de son visage s’attendrirent légèrement. Il était toujours frustré de l’altercation qu’ils avaient eue quelques heures plus tôt, mais lui rendre la vie dure ne valait pas vraiment la peine. Il fallait bien qu’il se rende à l'évidence qu’ils allaient habiter ensemble et que de continuer de l’énerver n’allait en rien améliorer la situation entre eux. Caelan voulait reprendre sa vie en main, se mettre sa nouvelle colocataire à dos n’allait pas du tout rendre l’expérience plaisante. Caelan avait le goût de la consoler pour lui remonter le moral, mais, d’un autre côté, il sentait que ce n’était pas nécessairement son rôle. Comme ils ne se connaissaient à peine, elle n’avait probablement pas envie de se montrer vulnérable devant lui et qu’il lui démontre de l’affection. Surtout pas après la réaction qu’elle avait eue en réalisant qu’il était son nouveau colocataire. « Non, c’est bon. C’est … gentil. Disons que ça compensera le fait que je prendrai sans doute plus d’étagères dans la salle-de-bains ? » Caelan écarquilla un peu les yeux tout en laissant sa tête tomber vers l’arrière alors qu’elle lui fit repenser à tous les produits que les femmes avaient dans la salle de bain. « J’avais presque oublié ce détail. Ça et les cheveux. » Les cheveux dans le drain de la douche, sur le bord du lavabo, dans les vêtements, etc. C’était même à se demander comme ils se retrouvaient dans sa nourriture parfois. Caelan avait déjà essayé de comprendre le mystère de la chevelure féminine mais il avait abandonné et il s’était fait à l’idée que ce n’était pas le dernier qu’il trouverait dans un endroit inusité. Ils étaient partout. « Y’a pas de soucis pour la salle de bain, je n’ai pas grand-chose de toute façon. » Dans la salle de bain et dans sa chambre. Ça avait ses avantages, le déménagement se faisait plus rapidement dans ce temps-là. Avant de quitter pour le Canada, Caelan s’était presque débarrassé de tout, il n’avait gardé que l’essentiel et quelques autres objets qui avaient une valeur sentimentale tels que son album photo de mariage, par exemple. Ce dernier était rangé dans la seule boîte qu’il n’avait pas ouverte, qu’il avait rangée sur la tablette de son garde-robe pour ne pas l’avoir dans son champ de vision.

« Je vais … continuer à déballer mes affaires. J’ai posé un jour de congés, aujourd’hui, pour m’installer tranquillement avant de retourner au boulot lundi. Tu … toi aussi ? » Caelan prit le chemin de la chambre à coucher d’Helena et posa les boîtes sur le lit. « Je viens de me trouver un boulot en fait, dans la construction. Je commence lundi. » Il avait donc la fin de semaine de libre pour acheter des choses de dernière minute et se mettre à l’aise dans son appartement. « T’as besoin d’aide avec quelque chose? » demanda-t-il en croisant ses bras contre son torse, les mains sous les aisselles. Caelan le demandait plus par politesse car il se doutait bien qu’elle préfèrerait qu’un presque inconnu ne fouille pas dans ses boîtes. L’ambiance n’était pas super agréable et il essayait maladroitement de la détendre. La conversation coulait tellement plus facilement lorsqu’ils étaient au parc mais Caelan ne se sentait pas vraiment d’attaque pour faire des blagues. Ça lui venait généralement naturellement mais pas maintenant. « J’ai un petit peu de déco, quelques plantes … Je peux les mettre dans le salon ? » Caelan haussa une épaule, nonchalant. « Fais ce que tu veux, la déco ce n’est pas tellement mon truc. » C’était plutôt Jessica qui s’en chargeait lorsqu’ils habitaient ensemble puis on ne peut pas dire que son appartement à Banff avait été très décoré puisqu’ils étaient entre gars. Caelan recula un peu, pour lui laisser plus de place, et il s’accota une épaule sur le cadre de porte de sa chambre. « Y’a pas grand-chose mais j’ai acheté un peu de bouffe hier. Si jamais t’as faim, tu peux fouiller. » Puis Caelan se gratta un peu la nuque tout en se raclant la gorge. « Je ne voulais pas te faire de la peine, tantôt. J’étais fâché et j’ai parlé trop vite. »

@Helena Horowitz

Même si Helena se disait maniaque de ménage, Caelan ne se faisait pas trop d’idées par rapport à ses cheveux. Il voyait les cheveux des femmes un peu comme des souris, ils trouvent toujours un moyen de s’incruster partout. Ils s’étaient probablement rendus là pendant le cycle de lavage, mais Caelan avait souvent trouvé les cheveux de Jessica dans ses boxers. Comme il allait laver ses vêtements à part de ceux d’Helena, peut-être qu’il ne rencontrerait pas ce problème cette fois-ci. « Je suis assez maniaque, ne t’inquiète pas. Je te garantis que je ferai attention à ça ! Disons que je peux faire le ménage si tu fais à manger. » Caelan grimaça instantanément. « Ouf. Je pense que je préfère faire le ménage. » Quoi que si Helena était vraiment une maniaque de la propreté, il y a bien des chances pour que le ménage qu’il ferait ne serait pas selon ses standards à elle. Après avoir habité pendant quelques mois avec des garçons, en plus, il faut dire qu’il avait peut-être eu un peu de laisser-aller et il allait devoir faire des efforts pour la bonne entente du foyer. « Je pense que Norah ne m’a laissé aucun gène de bon cuisinier pendant que nous étions dans le ventre de notre mère. » Pour être plus exact, Caelan arrivait à se débrouiller en cuisine, lorsqu’il y mettait du siens, mais il n’aimait pas particulièrement cuisiner. Caelan suivit Helena dans sa chambre pour déposer les boîtes sur le lit. Ensuite, il tenta de s’enlever de son chemin sans vraiment savoir où se mettre parmi toutes ces choses qui ne lui appartenaient pas. « Félicitations. Changement de job alors ? » Caelan hocha doucement de la tête en mettant ses mains dans ses poches. « Oui, c’est ça, j’avais besoin de changer de domaine. De toute façon, même si j’avais voulu, mon ancien patron ne m’aurait jamais repris. Je l’ai un peu envoyé promener quand j’ai démissionné au début de l’année. » dit-il en haussant les sourcils, pas tellement fier d’avoir mis un terme à cette relation professionnelle vieille de dix ans alors qu’il était intoxiqué par l’alcool. Caelan avait beau ne pas être d’accord avec ses patrons qui faisaient de la fraude, il restait normalement très professionnel lorsqu’il quittait un emploi afin de garder de bonnes références. Cette fois-ci, disons qu’il n’avait pas pu compter sur eux pour le recommander, ou du moins, il n’avait pas eu le goût de prendre une chance et de voir ce qu’ils auraient bien pu dire à son sujet pour le discréditer. « De toute façon, ce n’est pas comme si j’avais l’intention de retourner travailler en finance. » dit-il en haussant une épaule, comme pour se convaincre que ce n’était pas si grave.

« Non merci. Je vais essayer … de trouver mes marques ici. Tu as déjà déballé toutes tes affaires ? Tu es arrivé quand ? » Caelan hocha la tête. « Je suis arrivé hier soir mais je n’avais pas grand-chose. Je m’étais débarrassé de presque tout avant de partir du pays. » C’était plus simple ainsi et tous ces meubles et objets qu’il avait acquis alors qu’il était toujours en couple avec Jessica lui rappelaient beaucoup trop de souvenirs alors qu’il essayait d’aller de l’avant avec sa vie. Helena lui indiqua qu’elle n’avait pas faim avant de lui poser plein de questions sur le fonctionnement de leur colocation. « D’ailleurs, comment ça se passe ? Je veux dire, je n’ai jamais vécu en coloc. Toi si ? Comment on s’organise pour les achats ? Pour les courses alimentaires, les produits ménagers, la lessive, … ? Est-ce qu’on fait une sorte de pot commun ? Est-ce que chacun achète pour lui ? Est-ce que … Est-ce qu’on s’attend après le boulot pour manger ensemble ? » Caelan avait déjà habité avec des colocs mais c’était au Canada et ils faisaient pas mal chacun pour soi à quelques exceptions près. En Australie, il avait habité avec Jessica la plus grande partie du temps alors il n’avait pas vraiment de référence. « Oui mais c’est toujours différent d’une fois à l’autre. Ça dépend de ce que tu veux en fait. On peut probablement se partager quelques trucs. » Il n’était pas nécessaire d’acheter deux pots de moutarde, de mayonnaise, etc. mais ils avaient certainement des goûts qu’ils ne partageaient pas tous les deux. « On peut toujours manger ensemble quand ça adonne, quand nos horaires concordent. C’est peut-être ça qu’il nous faut pour se motiver à faire manger. » Mais peut-être que ce n’était qu’une raison donnée comme ça pour justifier de passer du temps avec elle.

Caelan observa Helena qui s’approchait de lui, sans broncher. Lorsqu’elle toucha sa main, il n’eut pas le temps de réagir qu’elle mit fin à ce contact éphémère. Caelan fit mine de rien même s’il regrettait qu’elle se soit éloignée de lui aussi rapidement. Il n’avait pas le courage de la relancer même s’il était de nature assez affectueuse en général. Depuis sa rupture, il n’osait tout simplement plus et les seuls contacts physiques dont il devait se contenter provenaient de Norah. « Ça m’a blessé que tu penses que je jouais avec les sentiments des gens. C’est de ma naïveté que les hommes abusent habituellement, et pas le contraire. Mais c’est pas à cause de ça que je suis bouleversée. C’est … c’est difficile de quitter le logement dans lequel j’ai habité pendant 10 ans. J’ai l’impression de fermer un chapitre de ma vie, d’y laisser une partie de mes souvenirs. » Caelan baissa les yeux tristement en se mettant à la place d’Helena qui devait tourner la page sur dix ans de souvenirs. Il savait très bien par quoi elle passait, il était passé par là l’an dernier alors qu’il avait dû se résoudre à vendre la maison qu’il avait partagée avec Jessica pendant tant d’années. « Je comprends très bien ce que tu vis, ce n’est pas facile. » Puis il l’avait jugée facilement mais ce n’était que son orgueil blessé qui avait parlé, Caelan ne pensait pas vraiment ce qu’il avait dit. « Je suis désolée si je t’ai mal parlé. Et … je suis désolée de ne pas t’avoir appelé. Je voulais le faire. Parce que tu me plais, c’est évident, mais … » Caelan releva les yeux vers Helena lorsqu’elle mentionna qu’il lui plaisait. Le jeune homme porta une main à son visage et fit mine de se frotter les joues alors qu’il essayait plutôt de camoufler le petit sourire qui venait de naître au coin de ses lèvres. Caelan était flatté par le commentaire de sa colocataire, comme pouvaient en témoigner les étincelles dans son regard. Il s’apprêtait à lui dire qu’elle lui plaisait aussi lorsqu’elle reprit la parole. « Il y a eu le cambriolage, les jours ont passé, puis les semaines, et ça semblait … bizarre de t’appeler si longtemps après. J’ai pas vraiment d’excuses … Mais ptet que c’est mieux ainsi, vu qu’on va devoir vivre ensemble … » Et qu’est-ce que ça voulait dire exactement? Caelan se sentit déstabilisé par son commentaire et il en conclut qu’il était sans doute plus sage de ne pas lui dire qu’elle lui plaisait aussi, même si forcément elle s’en doutait s’il avait accepté de prendre un verre avec elle, quelques semaines plus tôt. « Tu as probablement raison. » dit-il en reprenant son air sérieux en reculant de deux pas, hors de la chambre, distrait par la laveuse qui venait de sonner pour indiquer que le cycle de lavage était terminé. « Je ne te dérange pas plus longtemps, je vais m’occuper de ça. » dit-il en pointant derrière lui avant d’aller mettre ses vêtements dans la sécheuse.

Pour Caelan, la famille était probablement la chose la plus importante et la fratrie Leckie était très proche. « Tu as une sœur jumelle ? Ca doit être génial ! Tu as d’autres frères et sœurs ? Tu en es proche ? » Caelan sourit en pensant à Norah, puis il hocha la tête. « Oui, c’était son fils l’autre fois au parc. Elle a aussi une fille de dix ans, ma filleule. » Caelan était fier que Norah l’ait choisi pour jouer ce rôle si important dans la vie de Julie. « J’ai deux frères plus vieux aussi, Marcus et Percy. Eux n’ont pas d’enfants. » dit-il en ayant une petite pensée pour Percy qui avait appris la douloureuse nouvelle qu’il était stérile, ce qui lui avait coûté son mariage Pour Marcus, Caelan serait plutôt surpris que ce dernier ait des enfants un jour puisqu’il n’avait jamais vraiment personne de sérieux dans sa vie. Il espérait qu’un jour son frère serait capable de s’abandonner avec un homme qui le rendrait heureux. « Et toi? T’en as plusieurs aussi? » Il savait qu’ils étaient au moins deux avec le chandail qu’elle avait sur le dos lors de leur sortie au parc. « On aura qu’à faire la cuisine et le ménage à tour de rôle. Disons qu’on verra bien. Si on pouvait ptet … juste se dire quand ça ne va pas, avant que ça dégénère. Je ne veux plus que ça se passe comme ce matin. » Caelan hocha vivement la tête en haussant les sourcils. Lui non plus il n’avait pas envie qu’ils se reprennent la tête comme ce matin. « C’est sûrement plus toi qui vas devoir m’en parler que l’inverse, je ne suis pas trop difficile. » Et après avoir habité avec une femme pendant tant d’années, il savait bien qu’il faisait parfois des choses qui irritaient l’autre. Tant qu’elle respectait son intimité en ne fouillant pas dans ses choses, tout devrait bien se passer de son côté. Ou presque. « Tu as habité où, quand tu n’étais plus en Australie ? Passer de la finance à la construction, c’est assez … radical comme changement. » Effectivement mais c’était bien parce qu’il avait besoin de changement et que son ancien boulot ne lui convenait plus. « Banff, au Canada. Je suis partie au début de l’année, je suis revenu mi-septembre. » Les montagnes, le ski. Ce paysage enchanteur lui manquait mais il ne regrettait pas d’être revenu dans son pays natal. « Oui, effectivement. J’ai réalisé que d’être devant un bureau toute la journée ce n’était pas pour moi. Et toi, tu travailles dans quoi? » Faut dire que c’était le seul avantage à n’avoir pas d’enfant encore, il pouvait se permettre à se réorienter sur le plan professionnel sans que ça n’ait trop d’impact.

« D’accord. J’irai faire quelques courses demain du coup. Tu pourras peut-être … m’accompagner ? Ou me faire une liste, si tu préfères. » Caelan acquiesça lorsqu’elle mentionna la possibilité qu’il l’accompagne faire les courses. « On a qu’à faire comme ça, oui. Et on se fera un roulement de préparation des dîners ou de livraison de plats tout prêt ! Comme ça on évitera de manger des pizzas tous les soirs ! » Ça c’était une sacrée de bonne idée. Heureusement que Caelan était un grand sportif parce qu’il aurait sans doute quelques kilos en trop si ce n’était pas le cas. Caelan se pinça la peau du ventre, comme s’il avait de la graisse. « C’est une bonne idée, je n’ai pas le goût d’envoyer tous mes efforts aux poubelles. » Il aimait beaucoup aller s’entrainer mais c’était toujours plus motivant lorsqu’il y avait des résultats. « Je devrais peut-être investir dans des étagères en plus, pour ranger tout ça. Tu te souviens si le proprio autorise les trous dans le mur ? » Caelan fronça les sourcils, pensif, et il se passa une main dans les cheveux. « Je ne sais pas. Au pire je replâtrai le mur et on peinturera. » Caelan avait déjà eu sa propre maison alors du plâtre, il en avait souvent fait. En plus, il allait probablement à en faire dans son nouveau boulot alors c’était quelque chose qui se corrigeait assez facilement avant leur départ de l’appartement.

Caelan laissa de l’espace à sa nouvelle colocataire pour qu’elle puisse ranger ses choses comme elle le désirait. Il décida d’aller faire un tour au gym pour se dépenser après cette drôle de journée. Lorsqu’il revint à l’appartement, il alla prendra sa douche s’habilla puis il s’assoupit, allongé sur le canapé. C’est en entendant la voix de sa colocataire qu’il se réveilla. « Je n’ai plus la force de cuisiner. Ca te dit qu’on commande un truc ? Je dois encore avoir des flyers dans ma chambre, je les mettrai dans un tiroir de la cuisine. » Caelan se frotta les yeux tout en prenant une grande respiration. Il se redressa pour ne pas prendre toute la place sur le canapé, s’assoyant plutôt. « Oui. » dit-il d’une voix toujours endormie. « Je vivais pas loin, alors j’ai testé pas mal de choses. Je dirais que tu as les meilleurs ici. Qu’est-ce qui te tente ? » Assit à côté d’elle, Caelan se pencha légèrement dans sa direction, accotant son épaule contre celle d’Helena. Il jeta un coup d’œil aux dépliants qu’elle avait entre les mains puis il en prit un qui attirait un peu plus son attention. « Ça? » Il était persuadé que toutes les options étaient bonnes. « T’as fini d’installer tes trucs? » demanda-t-il en la regardant, le regard toujours un peu dans les vapes.

Dans ses souvenirs, Helena avait dit que la fillette qui était avec elle au parc l’autre jour était la fille de sa sœur. « Oui, il y a Irina, qui a 36 ans. Elle est mariée et mère de deux filles. Et Dimitri, 39 ans, qui tient le stand d’auto-tamponneuses de notre père à la fête foraine. Je suis très proche de mon frère. Il essaie de veiller sur moi comme il le peut. » En écoutant Helena décrire son frère et sa sœur, il n’avait aucun mal à imaginer la relation qu’ils entretenaient. Dimitri semblait avoir le même côté protecteur que lui-même avait avec les membres de sa famille. « Il m’a toujours aidé et protégé. Trop, selon Irina. Pas assez, si on admire le résultat, je suppose. » Caelan pencha légèrement sa tête sur le côté alors qu’il n’était pas tellement d’accord avec ce qu’elle venait de dire. « Je ne te connais peut-être pas beaucoup encore mais, de ce que j’ai vu jusqu’à date, je pense que tu devrais être un peu plus indulgente avec toi-même. » Au niveau de sa personnalité, Helena semblait être une bonne personne. Peut-être qu’elle avait dit ça en pensant à une portion de sa vie qu’il ne connaissait pas encore, cependant. « Il va penser quoi de tout ça tu penses? » dit-il en faisant référence à leur colocation alors qu’ils se connaissaient à peine. « Je devrais me surveiller tu penses? » dit-il avec amusement, comme si le frère d’Helena l’attendrait dans un coin avec une batte de baseball pour le mettre en garde. En même temps, si sa sœur lui annonçait qu’elle déménageait avec un homme qu’elle ne connaissait presque pas, il serait le premier à s’y opposer parce qu’il serait inquiet pour elle. Déjà que Norah lui avait confié que Julie essayait de la caser avec Tommy, le père d’une de ses amies. Caelan avait hâte que sa sœur rencontre quelqu’un, elle était quand même veuve depuis maintenant quatre ans, mais il ne connaissait pas Tommy. « Ouaw, c’est génial ! Le Canada, ça doit être magnifique. Tu y es resté longtemps ? » Caelan réfléchit un instant, calculant dans sa tête la durée de son exile. « Sept mois environ? Et oui, c’était vraiment beau. Le paysage de Banff est spectaculaire. Faut aimer les montagnes par contre. » Caelan avait adoré son séjour là-bas et il s’ennuyait un peu des randonnées en solitaire qu’il avait l’habitude d’y faire pour s’aérer l’esprit. Son voyage avait été une vraie thérapie pour lui-même si tout n’était pas encore réglé dans sa tête. Caelan porta son attention sur sa colocataire lorsqu’elle lui expliqua son travail. « Je te comprends. Depuis un peu plus d’un an, je suis coordinatrice au sein d’un service civique. J’aide les jeunes en décrochage scolaire à retrouver un rythme, à respecter des règles, et à trouver une formation ou un cursus qui leur plairaient. J’ai tendance à croire aux secondes chances. J’aime ce que je fais, mais c’est très prenant. Et j’ai tendance à avoir la bougeotte. Je reste rarement plus d’un an à un même poste. Je devrais peut-être penser à changer, d’ailleurs. » Il parut un peu surpris lorsqu’elle lui confia qu’elle n’était pas très stable sur le plan professionnel. « Ça a l’air intéressant tout ça, c’est une belle cause. Pourquoi tu changes toujours? » Une question lui brûlait les lèvres mais il hésitait à lui poser. Après tout, ils ne se devaient rien et il ne savait même plus si l’invitation de l’autre fois était toujours sur la table avec le commentaire qu’elle avait fait plus tôt. Il osa tout de même : « Et ce n’est que sur le plan professionnel que tu as la bougeotte? » Façon subtile de lui demander si elle avait aussi la bougeotte sur le plan sentimental. Il ne la jugeait pas du tout, il voulait juste savoir à quoi s’attendre si jamais elle démontrait de l’intérêt de nouveau envers lui.

La bonne humeur de Caelan était revenue et il se permettait de recommencer à faire quelques blagues légères. « Tu n’as aucun souci à te faire. J’en suis persuadée. » Effectivement, parce qu’il y mettait beaucoup de temps. Sauf qu’en 2019, lorsqu’il n’allait pas bien, on ne peut pas dire qu’il prenait autant soin de sa santé. Caelan regarda Helena qui s’approchait de lui, hésitante. Il fronça les sourcils, le regard inquisiteur, se demandant sincèrement ce qu’elle s’apprêtait à faire. Ses yeux baissèrent à mesure qu’elle s’approcha de lui, pour soutenir son regard. Lorsqu’il sentit la main d’Helena se poser sur son ventre, Caelan eut comme réflexe de rentrer légèrement son ventre sous le chatouillement de ses doigts. Lorsque le teint d’Helena vira au rouge, Caelan éprouva lui aussi une certaine gêne mais il la laissa faire sans broncher, les deux bras pendant de chaque côté de son corps. Il était un peu confus entre les différents signaux qu’elle lui envoyait. Tantôt elle lui disait qu’elle lui plaisait, ensuite elle lui disait que c’était mieux qu’il ne se passe rien entre eux et la voilà maintenant qu’elle le touchait et qu’elle en était gênée. Caelan préféra s’extirper de cette situation avant de faire une connerie. « Mince ! Je t’ai réveillé ? Je suis désolée ! » Le sourire taquin d’Helena disait tout le contraire. Caelan lui sourit tout en se plaçant confortablement sur sa moitié du canapé. «Dis ça à ta face. » Parce que ses paroles ne concordaient pas du tout avec son langage verbal en ce moment. « Ben alors, on a une petite sieste comme les papys ?! » Caelan se permit de lui donner une petite tape sur le bras, du revers de la main. Elle se moquait de lui et il le savait que trop bien. « Papy a été lever des haltères pendant que tu rangeais tes trucs. » Le trentenaire choisit alors un traiteur chinois parmi les différents dépliants qu’elle lui avait amenés. « Non. Mon appartement n’était pas très grand, mais plus qu’une simple chambre. Et ce déménagement m’aura au moins fait me rendre compte que j’ai beaucoup trop de bouquins ! Est-ce que je pourrais en mettre une partie ici ? Il y a plein de place, sur les étagères du salon. » Caelan hocha la tête en faisant un signe du bras qu’il lui laissait les étagères du salon. Les bouquins n’étaient vraiment pas son truc alors il n’avait pas besoin de ces tablettes, contrairement à elle. Il préférait largement une paire d’écouteurs et une paire de souliers pour aller courir.

Le livreur finit par arriver une trentaine de minutes plus tard et les deux colocataires mangèrent tout en discutant. Ils décidèrent ensuite de mettre un film pour finir la soirée et Caelan prépara un bol de popcorn à partager pour l’occasion. Ses doigts effleurèrent ceux d’Helena à plusieurs reprises, alors qu’il se servait dans le bol. Il fit comme de rien était et gardait la tête tournée vers la télévision même s’il était particulièrement amusé par la situation qui n’avait rien de très surprenant au fond. Vers la moitié du film, Caelan sentit la tête d’Helena s’appuyer sur son épaule. Il tourna alors légèrement la tête vers elle pour se rendre compte qu’elle dormait. Un sourire narquois apparut sur ses lèvres alors qu’il se rappelait de ce qu’elle lui avait dit plus tôt alors qu’il s’était assoupit. Maintenant, elle se faisait elle-même prendre à dormir. Caelan resta immobile pour ne pas la réveiller pendant que ses yeux s’attardaient sur les traits de son visage. Il ferma finalement les yeux à son tour alors qu’il se laissait envahir par l’odeur de ses cheveux qui lui chatouillaient le visage. C’est à ce moment qu’il sentit la tête d’Helena se relever alors qu’il avait pratiquement le visage enfouit dans ses cheveux. Lorsque leurs regards se croisèrent, il se racla la gorge en se demandant s’il s’était fait prendre sur le fait. « Excuses-moi, je ne voulais pas te déranger. Tu as bien dormi? » dit-il avec un sourire embarrassé alors qu’il essayait lamentablement de rapporter l’attention sur elle. Il prit la télécommande et appuya sur le bouton pour mettre le film sur pause. « J’imagine qu’il n’y a plus matière à continuer le film, tu as dû en manquer une partie. » Comme pouvait en témoigner la trace de bave qu’il avait sur l’épaule.

Caelan avait bien hâte de voir si ce qu’elle disait était vrai. Pour l’instant, il avait un bon ressenti lorsqu’il était en sa présence, malgré l’épisode un peu plus explosif de ce matin. « Ça, c’est parce que tu ne me connais pas bien ! Tu verras, je fais souvent les mauvais choix. Et je suis très naïve … Et sans doute trop spontanée. » Caelan lui sourit et croisa ses bras contre son torse, le regard pétillant. « Comme de ne pas me rappeler? » dit-il en tournant le couteau un peu dans la plaie mais il n’était plus fâché maintenant qu’il comprenait les raisons de son silence. « Intéressant, les gens spontané sont… surprenants. » Ça avait le don de mettre un peu de piquant dans une journée. « Noooon ! Dimitri n’est pas comme ça, sinon il aurait cassé la tête d’Auden ou d’autres il y a bien longtemps ! » Caelan ne connaissait pas Auden mais il en déduit qu’il devait s’agir de l’ex dont elle avait fait mention lors de leur rencontre au parc de l’autre jour. À voir l’expression d’Helena, il comprit qu’il était mieux de faire fi de ce commentaire et de continuer la discussion sur son frère ainé. « À part des mouches, je ne tue pas grand-chose. » Et c’était bien comme ça. Helena lui expliqua plus en profondeur son bagage professionnel. « Et pourquoi pas ? J’aime bien me lancer des défis professionnels. Et pour être honnête, je ne suis pas certaine d’avoir trouvé le métier que j’aimerais exercer jusqu’à la fin de mes jours. J’ai longtemps été serveuse dans différents établissements, comme tu le sais, mais surtout en bars en fait. Et je pense que travailler dans le social, aider les gens, me convient mieux. Mais le social, c’est vaste, et je n’ai pas encore tout essayé. Alors pourquoi ne pas changer ? » Il hocha la tête alors qu’elle marquait un point. « Effectivement. L’important c’est que tu sois épanoui dans ce tu fais. » Le jeune homme hésita un instant puis il pris son courage à deux mains pour lui demander si son instabilité ne se résumait qu’à sa vie professionnelle. « Si ta question est « est-ce que tu déménages souvent », la réponse est non. Si la question est « est-ce que tu changes de mec comme de chemise », la réponse est tout autant négative. J’ai embrassé plusieurs crapauds, c’est vrai, et il me semble évident que je n’ai pas encore rencontré le prince charmant avec qui construire une famille, sinon je ne serai pas ici … » Un sourire narquois apparut au coin de ses lèvres. « Histoire qu’on soit sur la même longueur d’onde, est-ce que tu es du genre à souvent porter des chemises? » Sauf qu’en voyant sa colocataire croiser les bras, il comprit qu’il allait peut-être un peu trop loin avec ses questions. Il lui fit signe que c’était une blague et qu’elle n’était pas obligée de répondre à sa dernière question. « Est-ce que tu es toujours persuadé que je suis une croqueuse d’hommes qui prend des numéros juste par défi ? » Calean fit semblant de réfléchir à la question avant de secouer la tête avec conviction. « Nah. » Puis Caelan n’eut pas à attendre bien longtemps pour comprendre ce que sa colocataire voulait dire lorsqu’elle disait qu’elle était spontanée. Cette proximité avec elle ne lui était pas désagréable mais son commentaire de plus tôt lui avait fait croire qu’elle n’était pas intéressée alors il préféra s’éloigner pour pouvoir avoir les idées claires.

Ils se retrouvèrent quelques heures plus tard dans le salon. « C’est pour entretenir ce corps d’Apollon ? » Caelan acquiesça puis s’attarda sur leur nourriture qui venait d’arriver et ensuite sur le film qu’ils avaient décidé de regarder. Helena rata une bonne partie du film, cependant, puisqu’elle s’était assoupit en prenant l’épaule de Caelan en guise d’oreiller. Caelan mit le film sur pause et attendit de voir si sa colocataire voulait le poursuivre ou non. « Pour être honnête, j’ai décroché bien avant de m’endormir. » Caelan posa un bras sur le dossier du canapé, derrière elle. « Pourquoi tu ne m’as pas dit que tu le trouvais si mauvais? » Ils auraient pu mettre fin à cette torture alors qu’elle luttait pour ne pas s’endormir, si elle avait essayé de lutter. Les yeux d’Helena s’attardèrent sur son épaule où on pouvait apercevoir une trace de bave, puis elle frotta son chandail. « Ho mince, je suis désolée ! Enlève-le, je te le laverai ! » Caelan haussa une épaule pour lui indiquer que ce n’était pas grave, ça n’allait même plus paraître une fois que ce serait sèche. Il s’apprêtait à le lui dire lorsqu’elle commença à lever son chandail pour lui enlever. Il scruta son visage d’un air surpris, la respiration irrégulière et le regard enflammé. Il n’eut pas le temps de lever le petit doigt qu’elle s’était levée brusquement. « Tu sais quoi, tu l’enlèveras plus tard, quand tu iras te coucher. Je ferai une lessive demain. » Helena lui dit bonne nuit avant de partir vers sa chambre telle une fusée. « Att… » Attends. Trop tard, la porte s’était fermée derrière elle. Caelan resta assis sur le canapé un instant, ébahi. Il se leva et il s’approcha lentement de la porte de la chambre d’Helena. Il enleva son chandail et le laissa tomber au pas de sa porte. « Bonne nuit toi aussi? Fais de beaux rêves. » Caelan se dirigea vers sa chambre mais il lança un dernier regard furtif vers celle d’Helena avant de continuer son chemin. Il referma la porte derrière lui, puis il enleva tous ses vêtements à l’exception de son boxer. Il s’allongea dans son lit sur le dos, les deux bras croisés derrière sa tête, et il se perdit dans ses pensées alors qu’il fixait le plafond dans le noir. La spontanéité d’Helena avait une certaine maladresse qui le déstabilisait, sans parler des signaux contradictoires qu’elle lui envoyait et qui le rendait encore plus confus. Ça n’aidait en rien les insécurités du jeune homme qui n’osait pas prendre d’initiative avec elle, de peur de mal comprendre ses signaux et de faire quelque chose qui la rendrait mal à l’aise. En même temps, il n’était pas fait en bois et toute cette proximité l’avait émoustillé. En attendant, il ne pouvait que fermer les yeux et se contenter de sa solitude et du souvenir de la sensation de ses cheveux contre son visage et de leur odeur agréable.