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@matt mcgrath

Ce fut le conducteur de la voiture après lui, klaxonnant comme si sa vie en dépendait, qui vint sortir Ezra de ses songes - littéralement presque. Il était quelque-chose comme presque deux heures du matin et cela faisait bien plusieurs heures qu’il dormait lorsqu’on l’avait sorti de son sommeil. Difficilement, sorti de son sommeil, s’il fallait préciser. Il faisait partie des personnes qui avait le sommeil lourd, difficiles à réveiller et qui ne portait pas forcément la bonne humeur comme fardeau lorsque ces situations là arrivaient. Faisant un geste d’excuse à travers son rétroviseur, il vint redémarrer alors que le feu tricolore était, en effet, déjà vert. Un soupire vint s’échapper à la suite, alors qu’il tentait de se remémorer le trajet à parcourir, lui qui l’avait fait des dizaine et des centaines de fois par le passé.

Le passé, cette chose tant étrange et rassurante à la fois. Cette chose qui vous permettait de continuer à mettre des noms sur des visages, des émotions sur des paroles, des souvenirs sur des sourires. Cette chose qui permettait, également, de mettre au placard des souvenirs et de les laisser dormir pendant des années avant que vous ne vous trouviez réveillés en plein milieu de la nuit par un de vos souvenirs de ce fameux passé. Bien sur, qu’il avait répondu au désormais vieil homme lorsque ce dernier lui avait demandé s’il comptait le rejoindre à son bar, après avoir passé bien cinq minutes à rappeler au Beauregard qui il était exactement. Bien sur qu’Ezra avait également répondu lorsqu’il lui avait demandé s’il se souvenait de la localisation de l’endroit. L’une de ces deux affirmations était fausse, et il s’en voulait doublement que ce soit plutôt la seconde que la première.

« Jusqu’au bout il va me les briser celui là… » Il marmonnait dans sa barbe, presque à demi-ton, alors qu’il venait de tourner pour la troisième fois dans la même rue. L’instant d’après, il se résigna à sortir son GPS, avant de comprendre qu’il était également passé trois fois devant le bar en question sans s’en rappeler, sans le reconnaître. Comme quoi, le passé pouvait continuer de vous jouer des tours à tous les instants, à n’importe quel moment. S’il n’avait pas oublié en réalité l’emplacement du bar - contrairement à ce que son cerveau tentait de lui faire croire -, il avait en revanche pas pu reconnaître la devanture qui avait été refaite au cours des dix dernières années écoulées. Râlant une fois de plus, et surtout profitant d’être encore seul pour le faire, Ezra finit par couper le contact et par sortir de la voiture.

C’était une mauvaise idée fut la première chose qui lui passa à l’esprit lorsqu’il pénétra dans le bar. Il n’avait rien à faire ici, il n’avait été que prié de venir pour débarrasser quelqu’un d’autre d’un problème qui deviendra sien dès l’instant où il serait reconnu en ces lieux - il omettrait de préciser que le problème en question faisait déjà parti de son tableau depuis des années désormais, toute la population de Brisbane n’avait pas besoin de savoir les tenants et aboutissent de sa misérable petite vie. Vie qui risquait d’être réduite à bien peu à l’instant où il serait reconnu dans ce bar. « Ezra ! » Pas par lui - lui, c’était le patron du bar qui l’avait réveillé un brin plus tôt, cherchant à le joindre car il avait besoin de son aide. « Bon Dieu t’aurais presque pas changé d’un poil si t’avais pas les rides aux coins des yeux ! » Même si la moquerie était présente, elle était bienveillante alors Ezra vint tirer un petit rire avant de venir serrer la main du vieil homme. « Je te retourne le compliment. » Il laissa une seconde de plus passer - inspirant et expirant tranquillement une dernière fois. « Montre moi. » Les explications n’étaient pas nécessaires présentement. Les deux hommes savaient de qui ils parlaient sans même le nommer - parce-que c’était par lui que la vie d’Ezra risquait d’être réduite à néant assez rapidement. « C’est pas beau à voir, et c’est surtout la quatrième fois cette semaine. » Après être passé derrière le bar pour rejoindre l’arrière cuisine, le patron du bar vint indiquer du bout du menton à Ezra que la suite des événements se passait dans le petit bureau au fond de la pièce. « Bonne chance, il est pas de bonne humeur. » Ezra vint lui tirer un petit soupire poli, avant que l’autre homme ne ressorte dans le bruit ambiant du bar. Alors, avec une inspiration du dernier espoir, le Beauregard alla à la rencontre de Matthew McGrath.

La première fois, c'était un tournoi de beer pong qui m'avait fait remettre les pieds par ici. Rien de bien méchant, un truc que les universitaires de la fac avaient continué de garder au programme bien après que j'ai lâché les études d'architecture ici pour aller me faire croire que je les poursuivrais/finirais/abandonnerais pas à l'autre bout du monde aka Londres. Ils étaient des gamins des deux côtés de la table, des foutus bébés d'à peine 21 ans qui savaient rien de la vie et qui avaient accepté mes conseils les yeux brillants la bouche en coeur au point où j'avais passé le reste de la soirée comme un roi à lancer les matchs et à hurler à en perdre la voix à chaque coup d'une équipe et de l'autre. Je leur ai enseigné le lancer twist and shout, je leur ai appris la technique du "vise toujours au fond à droite ils y verront que du feu". J'ai partagé mes connaissances et mes acquis et n'avais jamais considéré une carrière dans l'enseignement avant ce soir-là précis.

La deuxième fois, c'était Deklan qui avait insisté pour qu'on vienne y rencontrer des cocottes qu'il avait lui-même croisées pendant son footing autour du DBD. Le roi de la drague et son grand sourire de charmeur, il avait tout planifié quand j'en avais rien à chier (respectueusement parlant, on s'entend) de Abby ou Anny ou Libbie ou Penny ou je sais pas je sais plus, présent strictement aux côtés de mon pote de toujours pour pas me faire chier à l'appart à endurer le caractère merdique de Jill parce qu'on l'avait pas invitée à nous suivre ce soir-là. On leur avait payé des verres, elles nous avaient ajoutés sur Instagram. Dek avait fini par planter sa langue dans la bouche consentante d'une des deux blondes pendant que la seconde et moi on avait partagé une clope en venant à la conclusion que ça se ferait pas, nous deux. Ni ce soir devant les effluves de nos amis en commun ni jamais. No hard feelings.

La troisième fois par contre, les choses s'étaient un brin envenimées. Y'a eu une affaire de partie de billard et de triche, je dis pas que j'ai sauté trop vite aux conclusions mais je dis pas non plus que j'ai été le gars le plus conciliant dans le bar. C'est la faute au mur des souvenirs avec des tas de photos des clients depuis les toutes premières années d'ouverture de l'endroit, photos où y'avait un peu trop souvent sa grande gueule de jeune premier à gauche de la mienne pour que je ne le vois pas. Une bière était devenue un shot de tequila puis cinq autres, Jill avait moins râlé cette fois-là parce qu'elle avait finit par arriver ici sur l'entrefaite entre deux coups de poings et deux autres, me sortir de ça rien que pour me ramener boire au comptoir, puis dans les rues et la ville ensuite.

Et ça nous ramène à la quatrième fois, à ce soir donc.

Ben a fini son service, il me rôde autour comme si j'étais un cas à part, une pauvre épave de merde oubliée au vent, une larve parmi les autres et il a pas tort le gars. Ça m'apprendra à lui faire confiance au point de lui dire que les années de fac me manquent, que la vie d'avant me manque. Quand j'étais insouciant et quand rien ne m'aurait fait plus rire à la gueule du pauvre type mandaté de me l'annoncer, s'il m'avait dit qu'un jour je finirais marié. Mais quelle connerie en vrai, quelle histoire impossible et improbable. J'étais pas le gars qui se casait et j'étais encore moins celui qui le faisait pour la vie, pour le meilleur et pour le pire. Bel idiot d'imbécile d'être entré dans le jeu, n'est-ce pas McGrath?

« C'est moi qui lui a dit de t'appeler. » que je pouffe dans ma bière, Ben qui fait signe à Ezra de venir me ramasser à la petite cuillère alors que le scénario s'était joué des dizaines de fois, avant. Lol, avant qui est si relatif maintenant. « J'pensais pas qu'il attendrait aussi longtemps pour le faire. » j'pensais pas qu'il le ferait tout court plutôt, ouais. Ben qui a été collé à mes baskets toute la soirée, Ben qui dégage à la seconde où Ezra arrive à mes côtés. Fun, fun.

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Ses pas avaient été hésitants et il s’était demandé s’il n’allait pas faire demi-tour dès maintenant pour éviter la suite de la soirée, de la nuit. Il n’était pas à sa place présentement, Ezra, et pourtant mille et un souvenirs autour de lui semblaient indiquer tout le contraire. Il avait eu sa place ici, dans ce couloir et au fond de cette salle, devant et derrière le même bar - parce-que boire des coups n’avait pas été suffisant, il fallait aussi les servir de temps à autres. Il avait même travaillé ici pendant quelques temps, pour réellement jouer au barman, sans pour autant laisser de côté la médaille de meilleur client de l’année.

Il y avait une liste longue comme le bras de choses qui indiquaient à Ezra que finalement, plus il avançait plus il pouvait être à sa place - mais c’était jusqu’à temps qu’il arrive dans l’embrasure de la porte et qu’il y voit Matt assis là. Son instinct lui criait de partir en courant, de sauver sa vie. Et c’était surement ce qu’il aurait fait, dans une autre vie. Il ne serait même pas venu dans un premier temps pour ne pas subir les représailles de ses propres gestes. Mais il avait muri et il avait grandi, depuis ce temps là, et il savait désormais que fuir n’était une solution viable pour rien du tout. Alors, il vint s’appuyer de façon nonchalante contre l’encadrement de la porte, croisant les bras sur son torse, soufflant quelque peu mais pas assez fort pour que ça puisse être entendu par les autres. Ben partit rejoindre l’autre côté du bar comme s’il n’était déjà plus là et ne pouvant témoigner du spectacle prochain - Ezra le soupçonnait d’être au courant de leurs histoires à Matt et  lui.

« C'est moi qui lui a dit de t’appeler. » De toutes les premières phrases que le McGrath aurait pu dire en le voyant arriver à ses côtés, il avait choisi une à laquelle Ezra ne s’attendait pour rien au monde. C’était étrange, de trouver cette scène à la fois embarrassante et pourtant un brin attendrissante. De toutes les personnes de cette ville, de tous les bro que devait avoir Matt non loin d’ici, il avait décidé de lui demander à lui de venir ici ce soir. Même si cela pouvait faire remonter de bons souvenirs à la surface, il ne fallait pas perdre de vue l’idée qu’il allait forcément défigurer le Beauregard à un moment ou à un autre, c’était à sa discrétion. « J'pensais pas qu'il attendrait aussi longtemps pour le faire. » « Je pensais que Ben ne m’appellerait plus jamais pour venir te chercher alors que t’es complètement défait. » Passif-agressif alors qu’il n’était pas en position de jouer cette carte là, à croire qu’il cherchait vraiment à se prendre un coup sur le coin de la tronche. Il l’aurait mérité, certes, mais c’était pas pour autant qu’il en était particulièrement fanatique.

« Je te ramène ou tu veux boire un dernier verre ? » Comme si c’était la chose la plus normale et naturelle à faire présentement, alors que Matt devait déjà avoir douze grammes d’alcool dans chaque bras. Mais ça permettait à Ezra de reculer pour mieux sauter, de se laisser un peu plus de temps et d’en octroyer à Matt également. Il n’avait aucune idée de comment la suite de leur discussion allait se dérouler, et il ne savait pas trop comment il devait se positionner dans tout ça.

« Je pensais que Ben ne m’appellerait plus jamais pour venir te chercher alors que t’es complètement défait. »  « Faut jamais dire jamais. »  ça va, c’est bon, Matt et sa sagesse de boîte en carton. Les relents d’alcool ont pas encore fait l’effet escompté, soit me laisser m’endormir ou pire ronfler bien plus fort que les restes de musique ambiante la tête ancrée sur le comptoir de bois mal vernis du pub d’une autre vie. Y’a des endroits où c’est à cause de nous, en plus. De moi et de mes crayons, mes rapporteurs d’angles et autres babioles d’étudiant qui se croit studieux et qui traîne son sac au bar mais qui finit par renverser de la bière sur ses devoirs plus que de sortir les devoirs en eux-mêmes. Y’en a que c’est à cause d’Ezra aussi, je pourrais exactement dire lesquelles et où et pourquoi elles ont été faites les marques, comme un père fier de son gamin qui pointe les lignes marquant sa grandeur sur le mur de l’entrée. Cet endroit c’est un piège à nostalgie et c’est une voûte à souvenirs. Cet endroit, c’est pas pour rien que je suis venu m’y noyer au littéral comme au figuré depuis des jours déjà. On dirait qu’inconsciemment, j’avais espoir que Ez passe dans le coin, qu’on recommence du début. Les choses ne seront jamais pareilles et si j’avais l’impression qu’il y avait eu de l’avancement depuis qu’il était venu m’annoncer de lui-même le mariage de Gin, les voilà les remords et les regrets qui remontent et qu’on se partage, quand ma vue brouillée s’accroche à la sienne.

Ben râle plus loin, mais je pense que concrètement il est content qu’Ezra soit venu. Entre le faire et le dire y’a un monde par contre, et je sais clairement pas si pour l’heure j’ai envie de statuer où moi, j’en suis.  « Je te ramène ou tu veux boire un dernier verre ? »  ahah, elle est bonne sa blague. S’il veut tenter il a tous les droits, s’il veut voir si y’a de quoi faire pour qu’on remplisse ma pinte dramatiquement vide à mes yeux et dangereusement sur le bord d’être remplie de nouveau aux yeux des autres, be my guest. L’équipe en entier nettoie les tables et remonte les chaises sur celles-ci, c’est tout juste si la lumière ne mentionnant pas que le bar est de nouveau ouvert pour le jour ne me brûle pas les rétines. Dehors, c’est la nuit noire et dehors je déteste ce qui m’attends. En plus je serais prêt à parier que tout le monde qui nous connaît, de parts et d’autres de la ville, ils s’attendent à ce que je lui saute au cou. À ce que je lui crève les yeux d’un tesson de bouteille qu'on me refuse, à ce que je lui éclate des dents. Il est loin, le Matthew qui lui défonçait la tête sur les coins des baquettes du death before decaf à la secode où j’avais appris qu’il était revenu rôder dans les parages autour de ma cadette. Non, il est loin et surtout ce soir, il est pas de sortie. « J’ai pas le droit de rien commander. »  pauvre gamin grondé. Alors on va se fier à maintenant et à ici. On va se fier à la base de la chose, c’est-à-dire le fait que j’en ai abusé. « Toi par contre, tu peux boire pour deux. »  mais surtout que le Beauregard a quand même une foutue bonne carte dans son jeu, s’il a appris à partager.

Ça sera là le moment où je pourrais mettre des jeux de mots de merde et des allusions aussi pires dans la conversation à lui dire que ouais, il a appris à partager genre les femmes de ceux qui jadis étaient ses meilleurs amis, ses frères. Je pense pas que j’ai envie de le dire ni même que lui a envie de l’entendre. Si ma gueule qui fait pitié peut facilement passer sur la faute de l’alcool ingéré en grandes quantités quand au final c’est vraiment pas à cause de ça, la sienne qu’il tire, elle est 100% dramatique sans la moindre goutte nécessaire. « J’ai jamais douté que tu viendrais. Merci de pas m’avoir fait mentir. » dans un autre monde on s’était juré de jamais laisser de filles se mettre entre nous deux, et par deux fois on a échoué. C’est qu’on apprend pas de nos erreurs, grands idiots tentant d’être des adultes pour un temps.

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« Faut jamais dire jamais. » Sur beaucoup de situations, cet adage n’était pas faux. Mais pour les événements qui se déroulaient sous leurs yeux, Ezra confirmait et signait qu’il n’aurait jamais pensé venir chercher Matt dans un bar après tout. Il avait fallu que Ben n’ait d’autres contacts sous la main pour se permettre de faire ça, lui qui n’était au courant d’aucune de leurs histoires à travers les années.

Et la question qu’il vint poser ensuite était osée, presque insolente si justement autant de choses entre eux ne s’étaient pas passées. Il n’était plus à ça près, Ezra, et pouvait se permettre de venir proposer à Matthew de boire un verre ensemble comme si de rien n’était. Au pire, s’il trouvait l’idée insultante, il viendrait lui éclater l’arcade contre la table en bois - un partout, la balle au centre. « J’ai pas le droit de rien commander. » Un petit rire vint siffler à travers les dents d’Ezra. « Ca m’étonnait que ton verre soit vide aussi. » Autant moqueur que railleur, autant avec de bonnes intention que de semblant de mauvaises. Il avait compris dans quel état il était, Matt. Il ne fallait pas être Sherlock Holmes pour  comprendre dans que état il se trouvait. Les cheveux mal coiffés et les cernes allant de paire avec sous ses yeux démontraient un manque de sommeil évident, et le fait qu’il n’ait toujours pas privé Ezra se son oxygène en resserrant ses mains autour de son cou indiquait qu’il n’agissait pas de la façon des plus naturelles. « Toi par contre, tu peux boire pour deux. » Le regard d’Ezra vint croiser celui de Matt un instant, avant de venir lever les yeux au ciel. « Bouge pas je reviens. » Il n’irait nulle part de toutes façons, il n’en était pas capable.

Ezra dut négocier un instant auprès de Ben pour qu’il lui délivre deux pintes et tout autant de temps libre pour qu’ils puissent les boire tranquillement, alors que l’homme tentait de fermer pour la soirée. Alors, conforme à une époque d’un autre temps, le Beauregard lui promit de fermer la prote de derrière en partant et de mettre la clef dans la planque habituelle. Un passé commun entre plusieurs personnes permettait parfois d’avoir les bonnes cartes à jouer au bon moment. Finalement, il vint se rassoir en face de Matt avec les deux pintes et la clef du bar en poche. Il vint faire glisser le verre vers celui qu’il avait failli appeler de nouveau son ami avant de venir tout faire foirer. « J’ai jamais douté que tu viendrais. Merci de pas m’avoir fait mentir. » Et les mâchoires d’Ezra vinrent se serrer davantage en attendant les mots de Matt. Son coeur en faisait de même mais il ne lui accordait pas d’importance présentement - il n’était pas celui qui avait le droit de faire ça. Venant faire tinter son verre contre celui du McGrath, il n’attendit pas que ce dernier vienne en boire une gorgée pour faire de la sorte de son côté. « T’as pas le droit de me remercier, Matt. Ni de dire que tu doutais pas de moi. » Il évitait son regard comme on évitait la peste, préférant ne pas voir venir le coup qu’il lui porterait quand sa patience serait arrivée à sec. Et simplement aussi que, s’il assumait ses actes et leurs conséquences allant de paire, face à Matt tout cela venait à être un brin plus fragile. « Je pouvais pas te laisser là quand Ben m’a appelé, de toutes façons. » Parce-qu’il n’avait plus le droit, sur le dos d’il ne savait même plus quelle revanche à force, faire payer à Matt ses actes quand il avait agi de façon toute aussi horrible bien plus récemment.

Alors, ce fut après avoir bu une nouvelle gorgée de bière et soupiré bien plus que de raison qu’il vint enfin, finalement, presque courageusement, hisser ses azures dans les noisettes de Matt, déglutissant avec peine. « Je suis désolé, Matt. »

Faut jamais dire jamais. - et d’ordinaire, j’aurais éclaté de rire. Je serais parti en croisade contre moi-même à me moquer de ma connerie comme à taper sur le comptoir. Qu’on me renvoie à la gueule un jet de bière pour réveiller mes sens avec ironiquement le liquide qui les a endormis.

« Ca m’étonnait que ton verre soit vide aussi. » pas faute d’avoir répété l’expérience jour après jour. Ils sont jamais bien loin, les traits de merde qui me caractérisaient avant. Ceux qui ont guidé mon adolescence, ceux qui se sont amplifiés à Londres. Ceux qui aujourd’hui se décuplent, quand fût un temps ils avaient été annihilés. Depuis février. Le truc avec le naturel, c’est qu’on peut bien l’enfouir sous une télé-réalité ridicule et un mariage prévu par des dizaines de personnes inconnues et surtout pas les principaux intéressés, il revient toujours au galop. J’ai jamais été fait pour être en couple au point où je l’ai jamais été, j’ai jamais été fait pour me marier au point où j’ai détesté ceux qui ont marié mes sœurs à la place. N’en reste que j’ai été con, vraiment le plus idiot du lot, de penser que de sauter là-dedans serait suffisant pour que ce soit okay, que ce soit plausible, que j’y reste. Force est d’admettre que je suis autant à chier en tant que meilleur ami d’une autre vie que comme mari. Deux en deux Matt. « Bouge pas je reviens. » Ezra file chercher des verres, il pourrait bien se tirer du bar que je lui en tiendrais pas rigueur maintenant qu’il a vu l’étendue de la chose.

Et ouais, je l’aimais Lily. L’aime. À quoi ça sert de le ressasser maintenant? Rien du tout. « T’as pas le droit de me remercier, Matt. Ni de dire que tu doutais pas de moi. » alors nous y voilà. À l’un qui se comble de regrets, et à l’autre qui se comble de remords. Avant, on se moquait de ces gars-là, ceux qui s’échouaient sur le comptoir de ce même bar à donner l’impression que la vie était un beau gros foutoir que seul la bière pouvait étancher. On s’était promis maintes et maintes fois de jamais faire capoter nos vies pour des filles, autant que de ne jamais se mettre dans des situations qui nous feraient regretter notre passé au détriment de notre présent. On a merdé apparemment. « Je pouvais pas te laisser là quand Ben m’a appelé, de toutes façons. » le rire est sec, partagé avec un coup d’œil du reste des employés présents qui constatent sans que je n’y change rien le pathétisme de la chose. Et à une gorgée de bière s'en ajoute trois autres. La mienne est meilleure au DBD, celle qui attend dans les barils depuis un peu trop longtemps que je repasse au café prendre mes responsabilités. Pourtant la bière de Ben a un goût familier, un goût d’avant bien mieux que ce que suggère maintenant. « Je suis désolé, Matt. »

J’aurais payé de l’entendre dire ça pour une situation totalement différente mettant en vedette une brunette qui l’est toute autant, y’a une vie de ça. Ce soir pourtant – cette nuit – ses excuses ont un drôle de goût, et c’est pas seulement à cause du houblon de piètre qualité qui roule contre mes lèvres et sur ma langue. « Je t’en veux pas. Je vous en veux pas. » il mérite bie d’avoir le même discours qu’a eu la Keegan. Je m’en veux bien plus à moi qu’à eux au final, quand il apparaît aussi clair que possible que ce qu’elle n’arrivait pas à trouver avec moi elle est allée le chercher avec lui. J’ai jamais eu l’étoffe d’être le bon petit ami avec elle, je l’ai jamais été tout court. On a essayé avec Lily, et ça a pas marché. « Ça prend deux personnes pour faire ça, c’est pas plus ta faute que la sienne. » Ezra a été là pour elle avant, il l’est encore maintenant. L’équation est claire et si c’est lui qu’elle a choisi ce soir-là, c’est qu’il était la personne logique avec qui elle voulait être. Aussi simple que ça.  « J’étais pas censé me marier. C’était le plan. Toi oui, moi jamais. Je sais pas ce qui m’a pris. » elle s’est excusée, lui aussi. On peut passer à autre chose et je peux leur souhaiter une bonne vie.

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@matt mcgrath

Peu nombreuses étaient les personnes pouvant se vanter d’avoir pu apercevoir un jour Ezra dans cet état là. Il ne se mettait pas autant à nu devant les gens, ne supportant pas montrer son côté vulnérable lorsque cela n’était pas nécessaire. Avec les McGrath, aujourd’hui encore et depuis bien des années déjà, tout était différent. Aucun des rejetons du couple n’échappait à la règle, d’ailleurs; que ce fusse Ginny, Matt ou Jill, les trois avaient eu le droit de voir le Beauregard dans bien des états. Certains avaient joué de cette vulnérabilité exposée, d’autres s’étaient posés des questions quand la troisième catégorie avait su être présence pour le jeune homme. Ce qui impliquait, en tous cas, que Matt n’échappa pas à la règle comme quoi Ezra n’hésiterait pas à se mettre à nu, émotionnellement parlant, devant lui. Parce-qu’entre eux deux, ils n’étaient plus à ça près. Et que, pour aujourd’hui, cela était nécessaire.

Ezra avait besoin que Matt voit au fond de ses yeux qu’il était on ne peut plus sincère avec lui présentement. Il avait besoin de savoir que ses paroles seraient entendues à leur juste valeur, qu’importe quelle était cette dernière aux yeux du McGrath. Il se devait d’être droit, pour une fois, auprès de Matt lorsqu’il avait oublié de l’être pendant trop d’années désormais. Et tant pis si les conséquences de cette sincérité se résultait en quelques os défaits de leurs emplacements physiologiques, et tant pis si cela ne venait pas améliorer la situation - de toutes façons, il était le responsable de toute cette misère.

« Je t’en veux pas. Je vous en veux pas. » Un instant, il lui semblait rêver. Il  s’était trompé de bar, il s’était d’année - toutes les solutions étaient envisageables. Aucune, cependant, ne contenait un Matt aussi compréhensif et aussi calme face à lui et à la situation en générale. S’il refusait de lui refaire le portrait, Ezra n’allait pas s’en plaindre - mais il ne percevait même pas une once de haine dans ses paroles et sa voix. Le Beauregard vint déglutir difficilement, fronçant quelque peu les sourcils. « Ça prend deux personnes pour faire ça, c’est pas plus ta faute que la sienne. » Il s’apprêtait à ouvrir la bouche pour dire quelque-chose, puis décida finalement de se raviser. Dans cette situation, Ezra avait toujours été au clair avec lui-même et avec Lily également: s’il fallait qu’il soit le seul responsable de cette affaire, il endosserait le rôle sans rechigner. Son amitié avec Matt, bien qu’elle fusse si importante à ses yeux pendant un temps qui lui semblait révolu depuis des siècles, n’était rien à réparer comparée au lieu qui unissait le McGrath à Lily. Et s’il fallait qu’il soit le pion sacrifié dans cette partie, Ezra le serait. Le discours qu’il avait tenu auprès de la jeune femme était valable à énoncer face à Matt - cependant, ce dernier semblait déjà avoir établi son avis sur la question.

« J’étais pas censé me marier. C’était le plan. Toi oui, moi jamais. Je sais pas ce qui m’a pris. » La scène semblait presque irréelle - et elle l’était, paradoxalement. Matt venant ouvrir ses ressentis, bière ou non impliquée dans l’affaire, à coeur ouvert à Ezra alors que ce dernier était justement la cause de tous ses soucis dernièrement. Les lèvres du Beauregard se trouvaient pincées en une ligne fine alors qu’il détournait son regard de Matt pour venir le porter sur ses mains jointes autour de son verre.

Il avait été le pire des abrutis sur toute la ligne.

« C’est pas parce-que c’était pas la plan à la base que t’as pas le droit de te marier, Matt. » Parce-qu’il venait référer au plan qu’ils avaient établi des lunes de ça, au cours d’une soirée bien plus arrosée que celle que passait le brun, le plan était à jeter à la poubelle depuis longtemps. Tout avait été dévié et modifié dans ce dernier, plus rien n’y faisait sens. « Si on avait tous les deux suivis le plan comme tu dis, on en serait jamais arrivé jusque là aujourd’hui. » Cela devait faire des années qu’ils ne s’étaient pas parlé de la sorte, Matt et lui. Comme des adultes, ne négligeant pas leur ressentis mais plutôt tentant de les expliciter en s’aidant l’un l’autre. Aussi impressionnant que cela pouvait l’être, c’était exactement ce qu’il était en train de se passer dans cette arrière cuisine du bar qui les avait vu grandir. Le bruit des pas des employés avait cessé dormais, tous surement rentrés chez eux pour profiter des quelques heures de noirceur que pouvait encore offrir la nuit. Soupirant, Ezra vint boire une nouvelle gorgée de sa bière. « Elle est parfaite pour toi. » Il se devait de l’avouer. « Lily. Elle est parfaite pour toi. » Il n’avait pas sa place au milieu de leur couple, mais il connaissait les deux côtés du mariage pour savoir qu’ils allaient ensemble mieux que quiconque. Les unions sacrées n’avaient rien de faciles à entretenir, mais une fois que votre paire était trouvée, il ne fallait pas la laisser partir. « Je vous connais tous les deux et je sais que ça vaut le coup de vous battre pour votre couple. » Il vint coincer une petite moue désolée au coin de ses lèvres. « Pour ce que ça vaut, étant donné que c’est moi qui te dit ça… » Et qu’il avait perdu toute légitimité depuis bien longtemps, auprès de Matt, celui qu’il surnommait bro dans une autre vie désormais.

« C’est pas parce-que c’était pas la plan à la base que t’as pas le droit de te marier, Matt. » le plan de base, c'était que je resterai le meilleur ami lourd d'Ezra à la vie à la mort. Celui qui aiderait le Beauregard à garder un semblant de folie et d'adolescence dans une vie calquée sur une femme hypothétique à coups d'alibis et d'excuses parfaites pour l'entraîner dans mes conneries. À aller voir des matchs de foot à l'autre bout du pays ou à profiter des fêtes de l'enfer auxquelles on aurait encore assisté même la quarantaine passée. D'être un parrain pour son armée d'enfants aux cheveux blonds et aux joues rosies, de jurer ne jamais flirter ni même chopper les soeurs de la future possible mariée d'Ezra. On avait un cabinet d'architectes ensemble, dans cette réalité-là, associé sur ce volet aussi comme sur tous les autres. « Si on avait tous les deux suivis le plan comme tu dis, on en serait jamais arrivé jusque là aujourd’hui. » on serait sur un autre chemin complètement ouais et d'ordinaire je le regrette encore, aujourd'hui bien plus. Il y voit du mal, j'y vois une évidence.

Il a l'étoffe du mari et du copain, il a l'étoffe de la bonne oreille et de l'épaule avec, il est solide Ezra. Il se soûle pas dans un bar de sa jeunesse pathétique quatre fois de suite la même semaine, en pensant qu'à force de cumuler les bières de l'ancien temps ça l'y ramène.  « Elle est parfaite pour toi. » mon visage ne laisse rien paraître, mais ça se serre dans ma poitrine, ça éclate aussi au passage. Si elle était si parfaite que ça pour moi, elle aurait compris à quel point j'étais une déception sur deux pattes du moment où tu grattes. On aurait appris à rire de mes tares bien avant que ce soit elles qui la poussent dans les bras du type qui boit à même une pinte similaire à la mienne, foutu miroir d'une autre vie en parallèle. « Je vous connais tous les deux et je sais que ça vaut le coup de vous battre pour votre couple. » je voudrais me battre, je voudrais le faire pour deux, pour la Terre en entier, rien que pour penser peut-être espérer pouvoir la mériter. Je voudrais mais je sais même pas si elle, elle veut. Je sais même pas si le temps qui passe va juste lui faire réaliser que voilà quoi, elle a fait le tour du propriétaire, elle a vu la totalité de la chose, elle a eu toutes les cartes en mains et y'a pas plus de surprise, y'a pas mieux au compteur. « Pour ce que ça vaut, étant donné que c’est moi qui te dit ça… » que ça vienne de lui fait du sens, bien sûr. Même s'il le diminue en tant que tel.

« Gin était parfaite pour toi et regarde ce que ça a donné. » ma voix est enrouée d'avoir été trop lâche pour en rien dire, mais trop con pour finir par parler. Ils étaient parfaits ensemble et ça a pas empêché le monde au complet et moi aux premières loges de tout gâcher. On a fait le tour de la situation, on la connaît par coeur elle et ses dizaines de milliers de dommages collatéraux. Une gorgée de plus pour la chance, Ben est même plus là pour m'envoyer le mauvais oeil quand j'approche plus vite du fond de mon verre qu'Ezra. « Elle est parfaite tout court, c'est ça le problème. » Lily. Elle est parfaite en tous points et un imbécile d'idiot fini comme moi, ça réussira jamais à garder une fille comme elle, une fille comme ça. Ez le sait aussi bien que je peux en être persuadé : je suis le gars marrant, le gars qui est temporaire, le mec qu'on aime bien mais qu'on finit par jeter à un moment ou à un autre parce qu'il a pas le petit plus qu'il faut, parce qu'il est pas aussi solide que les autres. Parce qu'autant il peut essayer, autant il finit juste par échouer.

karma's got a kiss for you.

@matt mcgrath

Le pire dans toute cette histoire, c’était qu’Ezra pensait tous les mots qu’il était en train de dire à Matt. Il pensait sérieusement que Lily était parfaite pour lui, et qu’ils s’étaient bien trouvés. Il connaissait assez bien l’un - malgré les crasses et les années écoulées - et l’autre - là, il n’avait aucun doute pour la demoiselle - pour affirmer ce genre de chose à haute voix. Même si Matt ne désirait pas le croire, au moins il avait le mérite de penser ce qu’il disait. « Gin était parfaite pour toi et regarde ce que ça a donné. » Le regard d’Ezra vint se relever sur son acolyte d’un soir, un seul, avec un sourcil qui menaçait de venir se hausser contre son gré. Il ne voulait pas montrer au jeune homme sa surprise, à entendre cette phase sortir de sa bouche à lui, et pourtant elle était là. Il n’avait jamais su, dans le fond, si l’union entre Ginny et lui aurait pu être approuvée par Matt si tout ne s’était pas déroulé comme ça avait été le cas - il fallait croire qu’il pouvait considérer que oui. Il ne vint cependant pas ajouter le moindre commentaire, car la soirée n’était pas à repartir en arrière vers ces souvenirs là. Ils faisaient partis des affaires classées, celles en cours n’étant bien plus joyeuses - mais plus d’actualité, et surtout elles expliquaient mieux le pourquoi Matt était dans cet état.

« Elle est parfaite tout court, c'est ça le problème. » Ils étaient de retour sur Lily et cela lui semblait plus que normal, à Ezra. Un petit sourire vint s’esquisser au coin des lèvres d’Ezra, alors qu’il se contenta pour commencer de venir lever une nouvelle fois son verre pour en boire une gorgée - là où Matt avait déjà fini le sien deux gorgées plus tôt. Le Beauregard vint d’ailleurs presque discrètement glisser son verre vers Matt, comme si de rien n’était, parce-que des deux il était celui qui avait le plus besoin de ce remontant liquide. « Tu dis ça parce-que t’es amoureux. » Lily était parfaite sur beaucoup de points, mais elle restait humaine et le fait qu’elle se soit perdue le temps d’une nuit dans les bras d’Ezra même prouvant qu’elle n’était pas totalement parfaite. Ce n’était pas une tare, personne ne pouvait être parfait. Et faire remarquer qu’il était amoureux, le McGrath, ce n’était même pas une moquerie de la part d’Ezra. Il était on ne peut plus sincère dans ses paroles - il avait joué au mensonge, et ça l’avait amené jusque de beaux draps; autant dans le sens figuré que le sens propre du terme. Matt était amoureux de Lily et ils méritaient tous les deux de se retrouver pour que leur mariage puisse tranquillement continuer.

Il vint finalement relever le menton, pour faire un signe vers son verre à lui qui était devenu celui de Matt sans que ce dernier n’ait son mot à dire. « Finis le que je puisse te ramener. » Pas qu’il ne désirait pas continuer cette discussion avec lui, c’en était presque un plaisir pour une fois, mais il était persuadé que les vibrations de son téléphone venait de Ben qui lui demandait s’il était déjà parti et s’il avait bien remis les clefs dans le pot de fleurs habituel. « T’as clairement des heures de sommeil à rattraper, vu ta gueule. » C’était surement une blague de trop, celle qui allait rappeler à Matt qu’Ezra n’était qu’un petit con qui ruinait sa vie depuis le jour un et rien d’autre - mais il avait toujours été naturel avec le McGrath, il n’arrêterait pas aujourd’hui.

« Tu dis ça parce-que t’es amoureux. »
« C’est pas faute de pas vouloir l’être. »

Ça se dit dans un soupir, sans le moindre sourire. Ça se dit avec toute la déception du monde, pas envers elle mais bien envers moi. Ça serait bien plus facile si y’avait une switch qu’on pouvait allumer ou éteindre, un bouton déterminant dès qu’on a envie (ou plus du tout) d'être dans l’état dans lequel on se trouve face à celle qu’on croyait à tort être la femme de sa vie. C’est tout ce dont j’ai besoin, c’est ce qui sera au top de ma liste de demandes au Père Noël cette année. Rien de plus rien de moins, et juste de quoi pouvoir souffler, pouvoir me dire que ça va c’est bon, elle est arrivée dans ma vie aussi vite qu’elle s’en est allée.

Ezra essaie, faut lui donner. Je sais pas si à sa place j’aurais été autant investi vu la situation. On le saura jamais, n’en reste que je sens pas ses yeux juger, que je sens aucune pitié. Il en a sûrement des litres, faut pas forcer pour le comprendre, mais il a au moins la décence de garder ça pour lui, de pas l’étaler autant que je le fais moi-même depuis qu’il est rentré dans le bar mais surtout depuis le début de la soirée et bien avant même, si on se demande. « Finis le que je puisse te ramener. » et son verre qui est devenu le mien, et les gorgées qui se sont cumulées quand j’ai bien évidemment arrêté de les compter depuis longtemps. J’ai l’air surpris du gars qui s’attendait pas à avoir un accompagnateur qui se forge, air que Beauregard ne verra pas parce que rendu à cet état l’alcool a annihilé toutes les expressions que mon visage peut bien renvoyer sauf l’éternel sourire ambiant qui y reste, masque en puissance. « T’as clairement des heures de sommeil à rattraper, vu ta gueule. » le rire qui suit est presque convaincu, c’est pour dire. On fait du progrès, et si le dit verre est fini docilement, n’en reste que lorsque je le cogne sur le comptoir la ligne est mince entre y’a dix ans et aujourd’hui. Pendant une fraction de secondes, j’ai envie de lui renvoyer un défi de merde, de partir à la course rien que pour qu’il me rattrape. De supplier pour qu’on aille à l’autre bout de la ville chercher des tacos, de le leurrer dans un piège que des filles au bar nous auraient tendu en nous invitant à passer prendre un dernier verre chez elle. Y'a dix ans, donc.

Pour l’heure, je diminue l’acte quand le geste reste tout de même vachement apprécié. « On – j’habite juste à côté. » le on sous-entend qu’au moins je suis pas seul comme l’idiot que j’ai personnifié toute la soirée ici. J’habite avec Jill et avec Pete, on s’est pris un appart vraiment cool avec vue sur la ville mais Ezra en a sûrement rien à chier quand je saute de mon siège et pouffe de rire en m’y rattrapant la seconde d’après. « Tu peux me raccompagner à ma porte. » c’est pas tout à fait ça mais ça lui donne le temps de prendre l’air en marchant un peu, de s’aérer les poumons surtout de l’odeur de clope et de bière et des conneries que j’ai cumulées avec l’esprit aussi embrumé que dédié depuis les derniers jours.

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@matt mcgrath

« C’est pas faute de pas vouloir l’être. » C’était idiot, ce qu’il disait, Matt. Bien sur qu’il voulait être amoureux de Lily - qui ne voudrait pas l’être ? Elle était belle, et elle était intelligente. Elle était douce et compréhensive. Certes, elle avait certain défaut - peut-être que c’était ces derniers qui l’avaient poussé à se retrouver dans les bras d’Ezra un soir de trop, un temps trop tard -, mais il y avait beaucoup de choses qui permettaient de faire en sorte de tomber facilement tomber amoureux de Lily. Matt faisait forcément partie des personnes qui avaient envie de tomber amoureux de la jeune femme, qu’importe ce qu’il pouvait en dire. La colère, et la déception, devaient être le moteur de ces mots prononcés, des mots qu’il ne devait pas penser au fond de lui. Ezra le connaissait assez, malgré tout et après tout ce temps, pour savoir que ce qu’il ressentait là s’effacerait à partir du moment où il commencerait à lui pardonner.

Finalement, Ezra vint glisser son verre en direction de Matt, lui indiquant qu’il pouvait le terminer pour lui. Pas qu’il ne désirait pas boire la bière s’y trouvant, mais à la vue de l’état du McGrath, Ezra savait qu’il en avait davantage besoin. Il était celui trompé, celui qui avait besoin d’être soutenu. Ezra n’était peut-être pas le mieux placé pour endosser ce rôle, mais à défaut de trouver mieux il se proposait pour épauler Matt au moins dans la fin de cette soirée. Il avait été appelé pour ça, et il ne se voyait pas repartir sans exécuter cette tâche qui lui avait été confiée. « On – j’habite juste à côté. » On ? Le Beauregard n’avait pas eu mention du fait que Lily et Matt habitaient de nouveau ensemble. Le on désignait-il la demoiselle avec qui l’interdit avait été partagé ? Il ne voyait pas qui d’autre ce on pouvait désigner, même si le comportement du McGrath laissait penser qu’il n’était pas prêt à revoir la brune de suite. Et pourtant, Matt avait pris le temps de venir insister sur ce point - donc ce n’était pas pour rien. Mais, ce n’étaient pas les affaires d’Ezra et en rien il n’avait le droit de poser la moindre question. « Pas besoin de prendre la voiture alors. » Il ne savait pas si c’était une donnée rassurante ou au contraire, si cela présageait un trajet des plus compliqués - surtout vu la façon dont Matt manqua de venir embrasser le sol alors qu’il tentait de se relever de sa chaise. Il était hilare, l’ivrogne, il rit de sa propre situation là où Ezra n’osait même pas envisager le faire. Si tout avait été différent, il poufferait autant de rire que son acolyte. Si tout avait été différent, il aurait pris la première occasion de se foutre de lui. Si tout avait été différent - le tableau était peint depuis des années déjà.

« Tu peux me raccompagner à ma porte. » « Ce serait plus sage en effet, oui. » Parce-que tout seul, Matt n’arriverait pas à rentrer chez lui c’était certain. Retenant un soupire, Ezra vint se relever à son tour pour passer un des bras de Matt par dessus ses épaules - promis, ce n’était pas pour pouvoir le jeter par dessus d’un pont plus facilement. Au moins, il pourrait le retenir s’il s’apprêtait à venir dire bonjour de trop prêt au trottoir. Sans plus tarder, il vint se mettre en marche, n’oubliant pas de refermer la porte derrière lui comme le patron lui avait demandé. L’air frais lui faisait du bien à lui, mais il devait faire également du bien à Matt. La nuit était déjà bien avancée, les passants semblaient se faire de plus en plus rare. « C’est toi qui mène la danse, je sais pas où je vais moi. » C’était un élément qui venait changer des autres souvenirs, ça. Auparavant, Ezra savait toujours où est-ce que Matthew devait être ramené - chez ses parents, chez Ezra lui-même, chez une de ses conquêtes ou copines du moment. Aujourd’hui, il était dans le flou et ne comptait pas poser plus de questions que ça. Le simple fait que Matt n’ait pas eu de geste violent vers lui jusque maintenant était la seule victoire dont il avait besoin ce soir - il demanderait les détails du reste à l’autre parti impliqué dans cette histoire.

Le bar s’étire et s’étale et nous apparemment on est dans le genre responsable. Quand Ezra lâche un « Pas besoin de prendre la voiture alors. » j’en suis presque à pouffer de rire tant la scène n’a aucun lien ni aucun foutu rapport. Il s’en réjouit qu’on soit sages, il se réjouit qu’on marche aussi. Il se réjouit fort probablement juste de pas avoir à porter ma carcasse pleine de future gerbe jusqu’à sa bagnole, ou pire sur les rues avoisinnantes. Faut lui dire qu’il a gagné le jackpot quand c’est lui qui a docilement dû venir à ma pitoyable rescousse. Pourquoi?

« Ce serait plus sage en effet, oui. » je sais même pas qu’est-ce qui serait plus sage? De retourner dormir ou de pas me tirer à l’autre bout du globe demain matin dès que le mal de crâne et la gueule de bois seront partis? De boire un grand verre d’eau et de prendre une aspirine ou de ne pas rayer à vie la possibilité de tomber amoureux tout court à nouveau. Conneries, j’ai dit.

Hen oh quoi, on est dehors? « C’est toi qui mène la danse, je sais pas où je vais moi. »  on y est apparemment, et ce serait mentir de dire que la brise fait pas du bien. Elle est fraîche la nuit, probablement la première depuis des semaines qui ne me donne pas l’impression d’être une suffocante canicule à elle seule. Sous mes pas, le bitume sert d’acouphène et emmagasine la marche comme s’il s’agissait de la chose la plus logique, la plus inévitable possible. Tout est surréaliste et ce n’est pas non plus pour ça que ça s’arrête. Une voiture passe, une autre. Un feu rouge vire au vert, on est à peine à deux rues de chez nous.

« Pourquoi t’es venu? » ta gueule Matt. C’est pas le moment d’être sentimental, surtout pas quand mes doigts ont du mal à retrouver la bonne clé parce qu’elles se dédoublent toutes sous la pulpe de mon index et de mon pouce. Soit elles ont toutes l’air pareilles, soit je suis bien trop aveugle pour voir quoi que ce soit de décent sur ce foutu pallier plongé dans la pénombre. Un peu des deux, j'imagine.

« Laisse. T’as pas besoin de raison. » et le compte à rebours que je m’étais imposé à moi-même - trouver la bonne clé avant qu’il ne réponde - rattrape son salut dans le bruit de la bonne clé, dans la bonne serrure. Il est sauvé - et moi avec, surtout. « Bonne nuit Ez. »  qu’au moins un de nous deux dorment correctement, pour une fois.

karma's got a kiss for you.

@matt mcgrath

Un silence vint s’installer entre Matt et Ezra pendant quelques instants, les deux jeunes hommes se contentant de venir mettre un pied devant l’autre - de façon organisée pour Ezra, hasardeuse du côté du McGrath. Et c’était assez, en réalité. Le Beauregard n’avait pas besoin de combler les silences, car la simple d’idée d’être autorisé à raccompagner celui qui avait jadis était son meilleur ami lui suffisait amplement. Le fait de le faire en étant lui-même toujours en seul morceau ajoutait une petite touche, tout de même. Il aurait parié revenir du bar la lèvre fendue et l’arcade couverte de sang. Il n’en était rien de tout ça - comment pouvait-il être aussi chanceux ? Etait-ce grâce au taux d’alcoolémie de Matt considérablement élevé, tant bien qu’il peinait à trouver la bonne clef pour ouvrir son appartement ?

« Pourquoi t’es venu? » Il ne la prit même pas mal, la question, Ezra. Elle n’était rien d’autre que légitime et il était même étonné que le brun n’ait pas été tenté plus tôt de la poser. Si dans un autre temps, il aurait levé les yeux au ciel avec un soupire, cette fois-ci il se contenta de venir pincer ses lèvres en une ligne fine. Pourquoi était-il venu, réellement ? Pour recevoir la rouste de sa vie, qui lui aurait permis d’être puni pour avoir agi comme le pire des imbéciles ? Surement. Aussi, parce-que c’était Matt - mais il ne savait trop en quoi cette raison pouvait-elle être une justification suffisante à quoi que ce soit. « Laisse. T’as pas besoin de raison. » « Tu sais très bien que si en vrai. » Qui vint s’échapper d’entre ses dents, un peu plus rapidement qu’il ne l’aurait anticipé. Bien sur qu’il avait besoin d’une raison pour venir, il s’agissait simplement de paroles ici d’un Matt brisé ayant trop forcé sur l’alcool - il la reconnaitrait entre mille, cette version là du McGrath. « Bonne nuit Ez. »

Et pour la première fois de la soirée, Ezra vint abuser de sa présence auprès de Matthew. Jusqu’alors, il s’était contenté d’acquiescer et de se faire petit - il n’avait le droit de faire autrement, à la vue de la situation. Mais là, alors que Matt s’apprêtait à le congédier de façon rapide et à lui refermer la porte dessus - lorsqu’il aurait réussi à entrer dans l’appartement sans heurter le sol avec son visage, bien entendu -, il ne pouvait se laisser faire. Alors d’une main, il vint tenir fermement la porte sur sa tranche, ne lâchant pas  par la même occasion, de l’autre, Matt qui semblait tenir qu’approximativement debout tout seul. « Parce-que je suis désolé. Vraiment, Matt. » Il ne cherchait plus à dissimuler son ressenti, ou quoi que ce soit dont il pouvait d’ordinaire avoir honte, face à Matt. Autant parce-qu’il risquait de ne pas s’en souvenir lorsque le soleil serait de nouveau présent dans le ciel, que parce-qu’il lui devait au moins ça. « Lâche les clefs je fermerai en partant, t’inquiètes pas… » L’instant d’après, le Beauregard avait réussi à le trainer aussi discrètement que possible jusque sa chambre - Matt était un poids mort, alors qu’il était à deux doigts de s’offrir aux bras de Morphée. Il l’aida à se laisser tomber presque en douceur sur son lit. « Tu méritais pas ça. Vraiment, désolé. » Il ne savait même pas si le McGrath l’écoutait toujours ou s'il avait sombré dans un sommeil profond et réparateur. La deuxième option semblait tout autant alléchante que la première, cependant, alors qu’Ezra vint s’éclipser de la chambre dans un soupire.