| since you've been gone (ichabod) |
| | (#)Dim 18 Oct 2020 - 11:58 | |
| Assise sur ton lit, tu regardes le mur droit devant toi. Qu’est-ce que tu es censée faire au juste ? Depuis que ta mère avait lâché la bombe, tu ne savais plus vraiment quoi penser. Ton père était de retour à Brisbane et la seule chose que tu savais sur lui c’était où il travaillait. Mecanor … Garage automobile, ce n’était pas l’endroit où tu aurais imaginé ton père. En vérité, tu ne savais pas très bien ce que tu imaginais pour lui car tu ne te souvenais pas de ce qu’ils faisaient comme boulot avant de vous quitter et tu n’avais jamais demandé. Une chose était claire, ton père semblait décidé à ne pas donner trop d’informations sur lui, encore aujourd’hui. Un rire amer sortit de tes lèvres alors que tu secouais la tête. Tu avais décidé depuis longtemps ce que tu allais faire. Il avait suffit que ta mère te dise que ton père ne souhaitait pas te revoir, du moins pour l’instant pour que tu décides qu’il fallait absolument que tu le revois. Comment pouvait-il pointer le bout de son nez et dire à ta mère qu’il ne voulait pas te voir ? La blessure qu’avait laissé le départ de ton père semblait ne pas vouloir se refermer … Tu étais blessée, terriblement blessée de ce retour. Tu ne t’attendais à rien, tu ne pensais pas qu’il reviendrait un jour pour être honnête et tu commençais à te faire à l’idée que c’était mieux ainsi. Mais bien sûr, il fallait qu’il revienne à ce moment là. Ce n’était qu’une question d’heure et de jour plus que la décision d’aller le voir ou non. Te levant, tu allais prendre une douche avant de te préparer. Tu fis particulièrement attention à ton reflet dans le miroir, tu voulais contrôler chaque aspect de ces retrouvailles en commençant par ton apparence. Tu n’en fis pas beaucoup plus que d’habitude, tu ne te maquillais pas à outrance mais juste assez pour que ce soit élégant. Le printemps revenait doucement à Brisbane et tu en profitais pour ressortir ta collection de robes. Tu en enfilais une rouge, légèrement décolletée et t’arrivant au-dessus des genoux que tu accompagnais de baskets. Tes cheveux bouclaient légèrement sur tes épaules, c’était parfait. Pooka te regardait, allongé sur le tapis de bain. Une fois prête, tu t’approchais de lui pour le caresser en lui demandant : « Tu me trouves comment Pooka ? Pas trop mal non ? » L’aboiement que tu reçus en guise de réponse te fait légèrement rire et tu lui dis : « Je vais prendre ça pour un oui. » Tu sortis dans ta chambre où tu attrapais ton sac à main et tes clés de voiture. Edge n’était pas à la maison, il devait certainement être avec Yasmine ce qui te fit secouer la tête. Les deux amoureux te rappelaient souvent ta mère et Nériah, en particulier au début de leur relation. Mais il y avait toujours eu plus de retenue du côté de ta mère, pour une raison qui t’échappait. Sortant de la maison accompagnée de Pooka, tu montais dans ta voiture et installais ton chien à l’arrière. Tu mis ensuite la radio pour te distraire le temps du trajet. Le garage n’était pas très loin de chez Edge, il se trouvait dans le même quartier et il ne te fallut qu’une quinzaine de minutes pour arriver devant. Cela faisait plusieurs semaines que tu préparais cette visite, tu savais exactement ce que tu allais dire. Prétexter un problème avec ta voiture, c’était simple. Il suffirait d’un simple coup d’oeil pour que l’on te catégorise dans la catégorie des petites jeunes écervelées qui ne comprennent rien à la mécanique. Attrapant la laisse de Pooka, tu descendis avant de le faire descendre aussi. Il aboya un peu en retrouvant l’air libre et tu le caressais en souriant. Tu étais rassurée de l’avoir à tes côtés. Pooka n’était entré dans ta vie qu’au mois d’avril mais tu n’imaginais pas vivre sans lui désormais. Quittant le parking du garage, tu t’approchais de l’entrée du bâtiment. Sans surprise, il y avait des voitures de tous les côtés. Tu sentis ton rythme cardiaque s’accélérer. Tu t’étais imaginé des centaines de fois retrouver ton père, tu t’étais imaginé ce que tu lui dirais mais il y avait toujours un écart important entre la réalité et ce que l’on imagine. Mais malgré cette appréhension, tu refusais de te laisser intimider. Tu entendis du bruit sur ta droite, un homme travaillait sur une voiture. Prenant une inspiration, tu lui demandais : « Excusez-moi, pouvez-vous me dire … » L’homme se retourna et tu te coupais immédiatement. Tu ne t’étais pas attendue à tomber de suite sur ton père mais il n’y avait aucun doute, c’était bel et bien lui. Son visage était exactement le même que dans tes souvenirs et tu avais quelques photos, trop peu à ton goût, pour garder ce souvenir vivant et intact. Il y avait certainement du bruit autour de vous, des bruits de garages car ses collègues devaient travailler sur des voitures mais c’était comme si le temps s’était arrêté. Tu le dévisageais, ne te cachant pas, les yeux remplis de défiance. Cela faisait dix ans, dix années s’étaient écoulées depuis que tu l’avais vu pour la dernière fois. « Tu es bien de retour alors … » Dis-tu presque dans un murmure. Tu te rendais compte à cet instant précis qu’il fallait que tu le vois pour te convaincre que c’était bien lui et qu’il était bien là. « Enfin … De retour c’est peut-être un bien grand mot. » Parce que s’il était de retour pour s’enfuir de nouveau dans quelques mois, ce n’était pas à tes yeux être de retour. C’est une pique que tu lui lances, tu en es consciente mais l’appréhension a disparu pour laisser place à la colère. La colère d’une petite fille de neuf ans qui voit sa mère s’effondrer, qui ne comprend pas ce qui se passe mais qui comprend une chose. Que son père est parti dans laisser de trace et qu’il ne les aime pas assez pour rester.
@Ichabod Bates |
| | | | (#)Lun 19 Oct 2020 - 16:43 | |
| Depuis que j’ai repris contact avec Rhea, l’épée de Damoclès que personnifie Ilaria ne cesse de planer au dessus de ma tête. J’avais décidé d’y aller pas à pas, incertain de la stabilité de ma situation et j’avais bien eu raison. Lou n’a eu besoin que de quelques semaines supplémentaires pour revenir dans ma vie comme si là avait toujours été sa place, me demandant à ses côtés sans que je ne sois nullement en capacité de refuser une telle offre - exigence. Le mécanisme était déjà en action, pourtant, et les sms de mon ancienne compagne affluaient pour me demander de voir ma fille. Ce n’est pas l’envie qui me manque et bien loin de là, mais c’est justement parce que celle que j’ai vue grandir et qui est aujourd’hui une magnifique jeune femme est tout ce que j’ai de plus précieux en ce monde que je ne peux prendre aucun risque. Si Lou a réussi à savoir pour ma génitrice, je ne lui donne que peu de temps avant de s’offrir le luxe d’être aussi au courant pour ma fille ainsi que Rhea. Si pour la dernière je peux nier sans sourciller encore avoir des sentiments pour elle - un mensonge de plus ou de moins, vous savez - il me serait impossible d’être crédible tout en niant en avoir quelque chose à faire de la chair de ma chair. Aussi crédible puis-je tenter d’être, elle me sait déjà bien trop attaché aux liens du sang pour croire un tel mensonge.
A cet instant précis, n’importe quel père aurait dû être capable de reconnaître la voix de sa fille, même sans la voir. Ce ne fut pas mon cas. « Excusez-moi, pouvez-vous me dire … » Je me retourne donc naturellement sans être moindrement préparé à voir la chevelure blonde postée devant moi. La dernière fois qu’une telle scène s’est déroulée, elle tendait les bras pour que je lui donne sa peluche préférée, celle là même qu’elle oubliait sans cesse dans tous les lieux de vacances et chez tous ses amis chez lesquels elle dormait. Au moins, elle était toujours l’enfant la plus heureuse du monde dès lors qu’elle retrouvait cet objet si cher à son coeur. Aujourd’hui je n’ai rien à lui donner et il y a fort à parier que ce ne soit pas son cas non plus. Cachant ma surprise et toutes autres émotions qui ne me ressemblent de toute façon pas, j’affiche un visage fermé depuis que mes yeux ont cessé de s’agrandir. Je profite de la simple seconde de silence pour essuyer le cambouis sur ma main, le dos appuyé contre le pare choc de la voiture sur laquelle je travaillais. « Tu es bien de retour alors … » Une part de moi se veut fière de la voir aussi forte et méfiante face à un homme dont elle ne se souvient sans doute que très (trop) peu. L’autre part est brisée à l’idée de savoir qu’une décennie de mes plus beaux souvenirs n’existent pas dans son esprit et qu’elle s’est sans doute appliquée à les oublier et les détruire un à un, instant après instant. Elle est ma fille, ma seule fille. Pour elle, je ne ressemble qu’à un inconnu de plus qu’elle a reconnu par simple miracle, ou chance. « Enfin … De retour c’est peut-être un bien grand mot. » Je ne devrais pas, mais j’esquisse un sourire. Bien sûr que la remarque fait mal, mais je ne peux pas non plus dire qu’elle est infondée. J’ai des circonstances atténuantes par centaines de milliers mais jamais elles seront suffisantes, surtout pas aux yeux d’un enfant qui a grandi sans son père. “Tu lui ressembles. Tu as son caractère.” Ce qui pour moi est une des plus grandes qualités qui soient en ce monde, même si c’est justement le caractère de Rhea mêlé au mien qui nous ont valu des heures et des nuits entières à se prendre la tête pour tout et pour rien. “C’est bien.”
Je l’ai vu grandir de loin pendant presque dix ans, alors je profite enfin de l’instant pour me rendre compte à quel point elle tient de sa mère. Elle a ses yeux, ses cheveux. Elle a la même stature, aussi, celle qui dit ’je suis peut être une fille mais n’essaye même pas de me sous estimer’. Elle a le même visage que moi, pourtant, celui qui me rend encore plus difficile la tâche d’essayer de la tenir éloignée de ma vie comme si elle n’était qu’un objet que je peux tenir proche ou éloigné comme bon me semble. “Ta mère sait que tu es là ?” Je ne peux pas lui accorder des retrouvailles comme elle le voudrait et encore moins des explications. Pas maintenant, pas ici. Mon devoir de père est et restera de veiller à sa sécurité avant tout - ça, et que sa mère ne veuille pas (encore) me tuer.
Je n’y connais pas grand chose en matière d’éducation, mais je me doute que “Je suis content de te revoir Ilaria mais … C’est pas le moment.” ne sont pas les mots qu’elle s’attendait à recevoir de ma part. Je déglutis suite à cette annonce, tentant de trouver rapidement un juste milieu entre toutes mes vies différentes pour lui faire une place puisqu’elle le mérite sans doute plus que qui que ce soit d’autre. “Viens, entre.” Tout ce que j’ai à lui expliquer, je ne peux pas me permettre le faire au milieu d’yeux curieux et d’oreilles à l’affût. Le bureau d’Ezra sera notre pour un temps, puisqu’il doit bien servir à autre chose que se morfondre sur les finances des lieux, parfois. Je lui montre de mon bras vivant la marche à suivre, prêt à l’enjoindre si elle daigne m’écouter. |
| | | | (#)Jeu 22 Oct 2020 - 21:46 | |
| Ces retrouvailles, tu les avais imaginées des centaines de fois. Tu n’étais plus capable de les compter. Elles étaient la première chose à laquelle tu rêvais en fermant les yeux. Tu les avais vécues tellement de fois que tu te retins de te pincer pour te prouver que tu ne rêvais pas. Mais dans aucun de ces rêves, la colère n’avait eu une aussi grande place. Cela faisait dix ans que ton père avait disparu sans laisser de traces. Dix années où tu avais dû te grandir et te construire sans celui qui avait été ton héros, celui qui mettait toujours un sourire sur tes lèvres quand cela n’allait pas. Et il n’y a rien de pire à neuf ans quand votre héros vous trahi et vous déçoit plus que personne d’autre ne le fera jamais. En plus de t’effondrer, tu avais vu ta mère sombrer. Tu l’avais vue s’accrocher et tenir parce que tu étais là mais elle ne bernait personne et surtout pas toi. Voilà pourquoi, alors que d’autres auraient tout fait pour le rejeter, tu avais accueilli Nériah à bras ouverts dans votre petite famille. Nériah avait fait le choix de rester quand ton père vous avait lâchement abandonné. Pas une lettre, pas un mot, rien. Une disparition immédiate et une impossibilité totale de le retrouver. Oh tu avais essayé il y a quelques années mais les moyens dont tu disposais à l’époque ne te permettaient pas de retrouver un homme qui avait voulu disparaître. Le fait que tu n’aies rien trouvé avait confirmé une chose, il avait certainement abandonné tout le monde. Mais au lieu de te faire du bien, cette information ne faisait que rajouter de l’huile sur le feu. Dans ces retrouvailles que tu avais imaginées, il y avait une chose qui n’avait jamais changé. Quand ton père revenait, c’était toujours lui qui revenait vers toi, lui qui cherchait à renouer le contact. Or en passant la porte de ce garage, c’était toi qui forçais la rencontre. C’était toi qui faisais le premier pas, encore une fois. C’était un peu comme un deuxième abandon … Ta mère avait eu droit à sa visite elle mais toi, tout ce à quoi tu avais eu droit c’est une annonce par ta mère que ton père était de retour mais qu’il ne voulait pas te voir. Quoi de mieux pour vous poignarder en plein coeur n’est-ce pas ? Retrouver ta mère, passer la voir c’était normal mais voir sa fille ce n’était apparemment pas une priorité …
Il est là, devant toi et tu le reconnaitrais entre mille. Vous vous ressemblez trop pour que tu ne puisses pas le reconnaître. Ce n’est peut-être pas évident au premier coup d’oeil pour des inconnus mais pour toi ça l’était. Tu pensais que tu aurais un peu plus de temps, qu’il ne serait pas la première personne sur laquelle tu tomberais mais tu en perdis momentanément tes mots et ton coeur se serra. Pourquoi avait-il fallu qu’il parte ? Vous aviez tout pour être heureux merde ! Tu l’observais, d’abord son visage sur lequel tu essayais de lire ce qu’il pensait. C’est la surprise que tu lus dans ses traits avant qu’il ne se reprenne et que son visage se ferme. Ton regard fut attiré par le chiffon dans lequel il s’essuya les mains. Enfin non, la main … Tu essayais de ne pas montrer ta surprise en découvrant que ton père, au cours de ces dix dernières années, avait perdu sa main et son avant bras apparemment. Les questions se bousculent. Pourquoi ? Comment ? Les explications peuvent être multiples et tu stoppes les différents films qui se décident pour te reconcentrer sur son visage, seule partie de son corps qui peut le trahir. Tu ne cherches pas à l’épargner, tu as envie de lui faire mal. Tu ne pourras jamais lui faire aussi mal qu’il t’a fait en partant mais tu veux quand même essayer. « Tu lui ressembles. Tu as son caractère. C’est bien. » Tu n’as pas besoin de demander de qui il parle, cette remarque on te la fait bien souvent. Ta mère a toujours été ton modèle, savoir que tu lui ressembles te fait plaisir. Que ton père puisse le voir en un coup d’oeil et deux phrases, c’est plus surprenant quand il ne t’a pas vue depuis dix ans. Tu remarques qu’il ne fait aucun rapprochement avec lui, comme si lui ressembler n’était pas vraiment autorisé. La vérité est que tu ne sais pas ce que cela voudrait dire de ressembler à ton père, tu n’as pas assez de souvenirs de lui pour le savoir. « Ta mère sait que tu es là ? » Tu lèves un sourcil car … vraiment ? Avais-tu besoin de l’accord de ta mère désormais pour te déplacer ? Ta mère te connaissait assez pour savoir exactement ce qu’elle faisait quand elle t’avait annoncé le retour de ton père à Brisbane. Non, elle ne savait pas que tu étais là à cet instant précis mais elle devait se douter que ce n’était qu’une question de temps. « Je sais que cela fait dix ans mais j’ai passé l’âge de demander la permission à ma mère de faire quoi que ce soit. » Ton indépendance avait été une belle découverte. Tu restais attachée à ta mère, tu avais besoin d’elle tous les jours mais tu n’attendais pas sa permission pour quoi que ce soit. « Elle m’a dit que tu étais revenue, elle savait à quoi s’attendre. » Si elle était surprise, c’était qu’elle ne te connaissait pas bien et ça, tu doutais que cela soit le cas.
Le regard de ton père scrute le garage, comme si vous étiez épiés. Tu n’en as que faire à vrai dire, peut-être qu’il méritait que ses collègues sachent qu’il avait lâchement abandonné sa fille il y a dix ans de cela … « Je suis content de te revoir Ilaria mais … C’est pas le moment. » Ils sont là, ces mots que tu savais que tu allais entendre mais que tu ne refusais d’envisager tant qu’il ne les avait pas prononcés. Ça veut dire quoi c’est pas le moment exactement ? Ce sera quand le moment ? Dans dix ans ? L’émotion te noue la gorge et tu es incapable de parler. Il bouge, se dirige vers une porte en te disant : « Viens, entre. » Tu ne bouges pas d’un cil. Tu refuses de bouger alors que Pooka à tes côtés n’attend que ça. Il trépigne contre tes jambes mais tu ne bouges pas. Pourquoi bouger ? Pour t’entendre dire qu’il ne voulait pas te voir ? Ça tu l’avais déjà compris. « Je le savais déjà que tu ne voulais pas me voir. » Les mots sont peut-être durs, tu refuses de ciller. Ton regard est planté dans le sien et il doit pouvoir y lire une partie de ta souffrance. « Est-ce que tu estimes que j’ai le droit à des explications ou même ça ce n’est réservé qu’aux grandes personnes ? » C’était l’excuse que toutes les adultes donnaient à leurs enfants quand ils ne voulaient pas leur donner d’explication. « Pourquoi est-ce que je devrais te suivre au juste ? » Toi, tu n’avais rien à cacher. Ni ta souffrance, ni ta déception, ni ta colère et tu t’en fichais que tout le garage ou le monde entier assiste à ce spectacle. Car qui ne perdrait pas pied à ta place ?
@Ichabod Bates |
| | | | (#)Sam 24 Oct 2020 - 19:44 | |
| Je n’avais jamais osé me demander comment se passeraient les retrouvailles avec ma fille mais une chose est certaine : je n’aurais jamais imaginé un scénario semblable à ce qui est en train de se dérouler. Qu’elle ait hérité du caractère de sa mère est autant une bonne chose qu’une mauvaise, cela signifie qu’il va de paire avec son entêtement et surtout sa capacité à se défaire de l’autorité. Rhea a rendu fou bien de nos instructeurs à l’armée et finalement, Ilaria est en train d’en faire de même avec moi désormais. « Je sais que cela fait dix ans mais j’ai passé l’âge de demander la permission à ma mère de faire quoi que ce soit. » Moi aussi, je sais bien que cela fait dix années et bien qu’elle ne me croira sûrement jamais à ce propos : l’éloignement avec elle a été aussi difficile à tenir de son côté que du mien. Plus du mien encore, sans doute, parce que j’étais le seul à avoir le pouvoir de nous laisser nous retrouver. “Ce n’était pas ma question. Je ne veux pas qu’elle s’inquiète.” Ceci dit, sa mère s’inquiéterait sans doute bien plus de la savoir avec moi que perdue dans la nature. Mon but n’est pas de donner une leçon de morale à Ilaria mais bien de lui rappeler que du haut de sa petite vingtaine elle ne sait rien du monde qui l’entoure - elle en connaît d’autant moins en étant auprès de moi. Elle prend la défense de sa mère ou bien l’inverse, je ne sais pas, j’ai du mal à suivre. « Elle m’a dit que tu étais revenue, elle savait à quoi s’attendre. » Mes lèvres se plissent dans un bien sûr entendu puisqu’elle m’avait déjà dit avoir tenu Ilaria au courant tout comme elle m’avait déjà fait part du désir de cette dernière de me revoir. J’observe simplement qu’aucune de mes demandes n’a été écoutée puisque la jeune femme se tient face à moi en ce moment même.
Elle n’obéit pas le moindrement à ma requête de rentrer dans les bureaux du garage et bien que je sois loin de perdre patience pour si peu, mon regard trahi mon manque de compréhension à ce sujet. « Je le savais déjà que tu ne voulais pas me voir. » Les mots sont plus dures qu’ils ne le devraient et ils sont surtout erronés quand jamais ô grand jamais je n’ai pas voulu la voir. Cependant il y avait toujours une ou plusieurs raisons contre le fait qu’une telle chose arrive et je n’ai jamais eu d’autres choix que de m’y plier. Si mon regard ne se dérobe jamais du sien, elle reste la seule personne sur cette Terre qui a le don de faire voler en éclats mon absence d’émotions. “Ce n’est pas ce dont il s’agit Ilaria, ne confonds pas tout.” Je reprends et corrige avec patience, le ton pourtant un peu plus rude qu’auparavant. Ce n’est pas une enfant (encore moins la mienne) qui risque de pouvoir me tenir tête mais la culpabilité me ronge bien trop de l’intérieur pour que je puisse agir avec tout le discernement dont je suis capable. « Est-ce que tu estimes que j’ai le droit à des explications ou même ça ce n’est réservé qu’aux grandes personnes ? » Je souffle doucement, peu préparé à ce que la conversation prenne une aussi mauvaise tournure aussi rapidement. “Tu as le droit à des explications. A l’intérieur.” Je fais assez confiance aux employés du garage pour leur confier ma propre vie, pas assez pour leur confier celle de ma fille. Si la rumeur de son existence s’étend, c’est bien plus qu’une remontrance de l’un ou l’autre de ses parents qu’elle risque. Je le sais. Elle l’ignore. Et ça, justement, ça n’est réservé qu’à un cercle très fermé de grandes personnes auquel elle n’appartiendra jamais, je l’espère. « Pourquoi est-ce que je devrais te suivre au juste ? » “Parce que je suis ton père et que je te le demande.” Je lui réponds, inquisiteur, dans la même seconde. Je n’avais pas prévu d’utiliser l’argument d’autorité contre elle mais force est de constater qu’elle est bien plus encore qu’elle ne l’était il y a dix ans et qu’il était temps de quitter le parc de jeux dans lequel elle venait de passer d’interminables heures. Je me rends pourtant bien compte que c’est sûrement la dernière attitude que je devrais utiliser avec elle alors je me reprends, tant bien que mal. “Ilaria, rentre à l’intérieur s’il te plaît. Ce n’est pas un jeu.” Je lui adresse ces quelques mots dans un souffle désolé, appréhendant déjà sa réaction lorsque je lui annoncerai que je ne peux pas lui donner la raison exacte de mon départ précipité ni même de ma longue absence. “Tu me poseras toutes les questions que tu veux pendant autant de temps que tu le désires.” Pendant que moi, je prendrai grand soin d’informer sa mère de sa présence ici. Sans doute que ceci n’est pas un détail qui vaut la peine d’être précisé, ceci dit. Je garde ma main gardée sur la porte entrouverte et la presse doucement d’un mouvement de sourcils. Rentrer et se protéger du regard du reste du monde, c’est tout ce qu’elle doit faire. Ce n’est qu’après que tout se compliquera réellement. |
| | | | (#)Lun 26 Oct 2020 - 8:38 | |
| L’homme qui se tenait devant toi t’était à la fois familier et totalement inconnu. Familier car même s’il avait vieilli, les traits de son visage étaient toujours les mêmes que ceux de ces photos qui t’étaient beaucoup trop chères. Certaines étaient chez ta mère, d’autres avaient manqué de partir en fumée dans ton bâtiment universitaire. S’il y avait eu qu’une chose à sauver ce jour-là, pour toi, cela aurait été ces photos. Et inconnu parce que cela faisait dix ans que ton père était parti et tu commençais à te demander si tu l’avais un jour réellement connu. Les souvenirs que tu gardais de lui étaient si peu nombreux, tu avais imaginé beaucoup de choses et tu savais que cela ne présageait rien de bon car tu serais sans doute déçue. Aujourd’hui, à part les traits physiques que vous partagiez, il n’y avait rien qui pouvait relier Ichabod Bates à le jeune femme que tu étais. Et cela te faisait mal, très mal. Pourquoi est-ce que ton père n’avait pas voulu te donner son nom ? Pourquoi est-ce qu’il s’était évanoui dans la nature et que retrouver sa trace avait été impossible ? Oh tu avais essayé … Tu t’étais mise au codage informatique pour passer le temps durant des vacances d’été et tout ce que tu avais appris à faire ne t’avait pas aidé à retrouver sa trace. Comme s’il cherchait à se cacher. « Ce n’était pas ma question. Je ne veux pas qu’elle s’inquiète. » Il ne voulait pas qu’elle s’inquiète ? Mais pourquoi est-ce qu’elle s’inquièterait au juste ? Cela faisait trois ans maintenant que tu avais quitté la maison, trois années que tu ne rendais pas de comptes à ta mère sur tes déplacements et ce que tu faisais quand tu n’étais pas à Bayside. Alors pourquoi le ferais-tu avec ton père ? Surtout qu’elle devait se douter que tu finirais par aller le voir, c’était inévitable à tes yeux. « Elle n’a aucune raison de s’inquiéter. » Dis-tu tout simplement. Après tout, tu pouvais avoir un problème avec ta voiture et passer au garage pour la faire réparer. Ce n’était pas un crime et tu ne voyais pas comment parler avec ton père pouvait être plus dangereux pour toi que de te promener dans la rue. Mais la paranoïa que tu décelais chez ton père ne fit que s’accentuer au fil de votre conversation car bientôt il essaya de te convaincre de le suivre dans un bureau. Pour quoi faire au juste ? Tu n’avais pas peur que ton père te fasse du mal mais tu n’avais rien à cacher et tu ne comprenais pas pourquoi lui semblait à tout prix vouloir vous cacher, comme si vous courriez un danger à converser au milieu de voitures cassées. Tu lui fais remarquer que tu savais déjà qu’il ne voulait pas te voir et tu vis son air légèrement agacé ce qui eut pour conséquence de t’énerver encore un peu plus. « Ce n’est pas ce dont il s’agit Ilaria, ne confonds pas tout. » Tu lèves un sourcil à ces paroles. Ne confond pas tout ? Comment étais-tu censée interpréter les mots de ta mère qui t’avait dit que ton père ne voulait pas te voir. Elle avait ajouté un ‘pour l’instant’ mais tu savais très bien ce que cela signifiait. Tu ne pris même pas la peine de répondre, au fond, il n’y avait rien à répondre. Tu ne savais pas pourquoi tu t’acharnais alors que son comportement à lui était clair. Il avait dit à ta mère qu’il ne voulait pas te voir et il s’était tenu à ces paroles vu qu’il n’était pas venu te voir, ni ces dernières semaines, ni ces dix dernières années. Tu avais envie qu’il comprenne que tu n’étais pas cette petite fille docile qu’il avait pu connaître à l’époque et tu n’avais pas envie d’obéir juste pour lui faire plaisir. « Tu as le droit à des explications. A l’intérieur. » Oh alors c’est ça le deal. Si tu vas te cacher dans ce bureau tu auras peut-être droit à des explications. Oui, peut-être parce que tu es habituée à ce que les explications que l’on te donne soient des mensonges éhontés que l’on est persuadé que tu vas gober sans broncher. Tu ne scilles pas cependant, tu insistes pour comprendre ce qui devrait te pousser à suivre ton père. « Parce que je suis ton père et que je te le demande. » Son ton est grave, tu vois bien qu’il perd patience mais tu ne peux t’empêcher de laisser échapper un petit rire amer à ces paroles. Il n’a quand même pas osé n’est-ce pas ? Comment peut-il oser utiliser un argument pareil alors que tu as dû grandir sans lui justement ? Tu ne peux pas dire que tu as grandi sans père parce que Nériah avait été là pour jouer ce rôle mais lui n’avait pas le droit de te dire ça. « Tu n’as pas le droit d’utiliser cet argument, tu as perdu ce droit quand tu as disparu sans un mot il y a dix ans. » Finis-tu par dire la voix tout aussi glaciale que la sienne. « Une personne dont on partage les traits et l’ADN ça s’appelle un géniteur. Cette personne devient père quand elle s’occupe de son enfant. » Tu étais injuste parce qu’Ichabod avait été là pendant les neuf premières années de ta vie mais tu t’en fichais d’être juste. Tu avais envie qu’il comprenne à quel point la blessure était profonde et que même si tu étais là devant lui, cela ne réglait rien. « Ilaria, rentre à l’intérieur s’il te plaît. Ce n’est pas un jeu. Tu me poseras toutes les questions que tu veux pendant autant de temps que tu le désires. » La paranoïa de ton père au début de vos échanges semble revenir. Etrangement, tu lis une crainte sur son visage et ses yeux qui n’arrêtent pas de fixer l’horizon te font te demander de quoi il peut avoir peur au juste. Toi, au fond, tu sais déjà que ces explications ne seront pas ce que tu veux entendre et seront certainement des mensonges ou des vérités déguisées. Parce que ton père ne peut pas être parti sans rien dire et aujourd’hui te raconter tout cela aussi facilement dans le bureau d’un garage de voiture. Mais en même temps, tu es curieuse de savoir ce qu’il a à te dire. « Je n’ai pas dit que c’était un jeu. Par contre, je comprends que tu tiens absolument à me cacher … » Dis-tu en tirant la laisse de Pooka. Même aujourd’hui, il n’a pas envie d’être ton père. Du moins pas aux yeux de tous. Tu ne peux t’empêcher de te demander si tu aurais mieux fait de ne pas exister, cela lui aurait facilité la vie très certainement. Tu t’installes dans un fauteuil, Pooka à tes pieds. Il est alerte, tu le sens, sur ses gardes face à tes sueurs changeantes. « Maintenant que nous sommes cachés je t’écoute. Pourquoi es-tu parti ? » Tu n’y vas pas par quatre chemin, tu en étais incapable. Cela ne sert à rien de tourner autour du pot …
@Ichabod Bates |
| | | | (#)Mar 27 Oct 2020 - 18:49 | |
| Nos retrouvailles se parent de douleur. Ce ne sont pas les sentiments heureux qui se pressent au fond de mon âme, ni de la sienne j’imagine. Ce n’est pas la nostalgie qui nous anime ni même, en premier lieu en tout vas, pas le regret de toutes ces années perdues. Le ton est plus froid qu’il ne l’a jamais été, sans que je n’ai jamais cherché à ce qu’on en arrive là. Je suis ce père que je déteste et qui lui dicte comment agir et comment ne pas agir mais elle, ma propre fille, réfute purement et simplement le terme de père. Ce simple mot est la seule chose à laquelle je me raccroche depuis tout ce temps et qu’elle le veuille ou non, je ne l’abandonnerai pas. Ilaria peut bien penser que je l’ai déjà fait une fois, il me reste une vie pour lui prouver que ça n’a jamais été le cas ; pour lui prouver aussi que cela ne se reproduira jamais. Aujourd’hui, c’est à moi de prendre en main mon Destin pour m’assurer qu’il n’entache pas le sien. « Tu n’as pas le droit d’utiliser cet argument, tu as perdu ce droit quand tu as disparu sans un mot il y a dix ans. Une personne dont on partage les traits et l’ADN ça s’appelle un géniteur. Cette personne devient père quand elle s’occupe de son enfant. » Je souffle alors qu’à mes yeux elle ne fait que jouer sur les mots pour qu’ils l’arrangent et marquent son point. Elle peut bien en penser ce qu’elle veut, pourtant, mais je lui ai donné bien assez de biberons, fait bien assez de tresses et séché bien trop de ses larmes pour savoir que je suis son père. Ses traits tirés sur son visage tiennent bien trop du mien pour réfuter une telle chose, que cela lui plaise ou non. “C’est justement ce que j’ai fait, Ilaria.” En prenant mes distances avec elle (elles), j’ai fait au mieux pour leur bien. En prenant des distances, j’ai amputé ma propre vie et rajouté de l’espérance à la leur. Je sais que c’est incompréhensible pour elles et peux le comprendre, mais les faits resteront toujours les mêmes.
« Je n’ai pas dit que c’était un jeu. Par contre, je comprends que tu tiens absolument à me cacher … » Pour peu, ses remarques me laisseraient heureux de n’avoir pas eu à la gérer durant sa crise d’adolescence. Elle avait déjà un petit caractère avant mais elle n’était qu’une enfant ; aujourd’hui elle est une femme assurée qui a gardé toujours autant de confiance en elle, ce dont je ne peux être que fier. Même si ses mots ne sont que tournés vers moi en ce moment, je garde espoir que cela puisse changer un jour. Au moins, si elle n’hésite pas à les utiliser contre moi alors cela signifie qu’elle n’hésite pas non plus face à qui que ce soit d’autre. C’est une chose avec laquelle j’arrive maigrement à me rassurer, autant que je le peux. Elle pense que je veux la cacher par honte et j’espère qu’un jour elle comprendra que ce n’est que pour son propre bien, bien avant le mien. J’observe le chien être traîné à l’intérieur et s’y engouffrer avec aussi peu d’enthousiasme que sa maîtresse. « Maintenant que nous sommes cachés je t’écoute. Pourquoi es-tu parti ? » Même cachés pourtant cela n’a pas le super pouvoir de régler tous nos problèmes et bien au contraire, sans doute. Je sais qu’ici personne ne pourra nous voir et mettre sa vie en péril pour m’atteindre moi, mais cela ne règle rien. Je ne sais que temporiser, encore et toujours, sans ne jamais être capable de trouver des solutions à quoi que ce soit. Je souffle et vient me poser contre le bureau d’Ezra, prenant possession des lieux sans qu’il ne puisse s’en douter. Cela ne lui nuira pas, de toute façon, et il ne s’en rendra même pas compte. “Tu te doutes bien que si je ne suis pas réapparu pendant dix ans, ce n’est pas aussi simple.” Elle n’est pas stupide et ne l’a jamais été alors je ne lui ferai pas l’offense de l’infantiliser. Mon regard s’est adouci alors que je n’ai aucun idée de comment réagir en ce moment même quand, au fond, j’aurais simplement préféré la prendre entre mes bras et lui offrir un bisou magique comme solution à tous les maux. “Tu connais l’histoire de Snowden ? Le lanceur d’alerte ? Ou n’importe quel autre lanceur d’alerte, en réalité.” Je déteste la comparaison que je m’apprête à faire parce que ces gens là ont bien des traits semblables à ceux de héros quand, pour ma part, c’est tout sauf le cas. Je me rapproche plus d’un vilain que d’autre chose et je n’ai jamais rendu service à qui que ce soit si ce n’est moi même. Je n’aurais jamais dû me rapprocher de Rhéa en premier lieu, j’aurais dû la laisser vivre la vie qu’elle mérite. Elle date de vingt ans, mon erreur. “C’est un peu la même chose. Je n’ai jamais voulu vous quitter, ni toi ni ta mère. Je ne pouvais pas vous imposer de vous cacher vous aussi alors j’ai préféré le faire seul.” Pour ces explications là au moins, il n’y a aucun mensonge. J’aurais pu les mener avec moi dans les bas fonds de la drogue si vraiment j’avais préféré rester avec elles mais il valait mieux qu’elles vivent leur propre vie, quitte à ce que la séparation soit aussi douloureuse que brutale et nécessaire - vitale. “Je sais que de ton point de vue ce n’était pas le choix le plus optimal. Du mien, c’était le moins pire.” L’observer grandir de loin était toujours mieux que de ne pas la laisser grandir du tout. |
| | | | (#)Lun 2 Nov 2020 - 7:54 | |
| Blessée, tu l’es bien trop pour que ces retrouvailles soient autre chose que cet échange froid et inconfortable. Alors que tu aurais pu rêvé des retrouvailles plus chaleureuses, le fait que tu aies à les imposer à ton père était déjà le premier signe qu’elles ne pouvaient pas l’être. Comment est-ce que ce dernier pouvait-il revenir à Brisbane, passer voir ta mère mais refuser de te voir ? Qu’avais-tu donc fait pour mériter un pareil traitement ? Tu n’en savais rien car du haut de tes neuf ans à l’époque, tu doutais avoir mérité ce silence et ce désintérêt, peu importe les bêtises que tu avais pu faire à ce moment là. La blessure était toujours ouverte, grande ouverte même et tu avais l’impression que vous étiez en train de mettre du sel à l’intérieur. Cette sensation était désagréable mais tu tenais à rappeler à ton père que tu n’avais plus neuf ans. Peut-être qu’à ses yeux tu étais encore une enfant mais tu ne l’étais pas. Et tu ne comptais pas le laisser se défiler comme il l’avait fait ces dernières années. Alors quand il t’ordonna de le suivre parce qu’il était ton père, osant utiliser cet argument, tu vis rouge. Oui, il avait peut-être été là quand tu étais enfant mais cela faisait dix ans qu’il avait perdu le droit d’utiliser cet argument. Et tu n’hésitais pas à le lui faire remarquer, tu fichant éperdument que tu puisses le blesser. Comment avait-il pu vous abandonner sans un mot ? Tu abordais peu le sujet avec ta mère, le peu de fois où tu l’avais fait, tu avais vu la douleur s’inscrire sur ses traits et tu n’aimais pas la blesser. Mais tu savais qu’elle non plus n’avait pas compris. Nériah avait été une bénédiction que la vie avait mis sur votre route et sans remplacer ton père, il avait su être cette figure paternelle dont tu avais terriblement besoin. « C’est justement ce que j’ai fait, Ilaria. » Tu lèves un sourcil alors que ta tête se penche légèrement sur le côté droit. Pardon ? Il s’était occupé de toi en disparaissant ? Vous n’aviez clairement pas les mêmes manières de définir ce que c’était que de s’occuper de quelqu’un. Tu restes perplexe en entendant ces paroles mais tu ne dis rien. Seules, elles ne veulent rien dire. Il te faut des explications pour essayer de comprendre et peut-être un jour pardonner. Pas oublier, tu ne pourras jamais oublier mais pardonner peut-être. Toutefois, ton père ne fait rien pour rentrer dans tes bonnes grâces alors qu’il cherche absolument à te faire entrer dans le bureau au fond du garage. Tu t’y refuses d’abord mais tu finis par céder, trop intriguée d’entendre ce qu’il allait te dire. Ce n’est pas parce que tu cèdes que tu ne lis pas les messages qu’il t’envoie. Ce bureau, ce n’est pas pour être tranquille, c’est pour se cacher. Les regards de ton père toutes les trente secondes autour de vous te permettait de dire qu’apparemment, personne dans la vie de ton père ne savait qu’il avait un enfant et ce dernier ne semblait pas avoir envi que cela change. C’est toujours ce qu’une fille a envie d’entendre de la part de son père …
Une fois installé dans le bureau, Pooka à tes pieds, tu n’y vas pas par quatre chemins. Ichabod t’a fait rentrer dans ce bureau en te disant qu’il te donnerait des explications, il était donc temps de te les donner. « Tu te doutes bien que si je ne suis pas réapparu pendant dix ans, ce n’est pas aussi simple. » Non, justement tu ne te doutais de rien. Tu aimerais croire que ton père vous a quitté pour une raison qui le dépassait, une raison qui faisait qu’il n’avait pas le choix de partir. Mais rien pour l’instant ne prouvait que cela était le cas et même si tu aimerais que ton père continue à être ton héros, il fallait te faire à l’idée qu’il ne l’était certainement pas. « Tu connais l’histoire de Snowden ? Le lanceur d’alerte ? Ou n’importe quel autre lanceur d’alerte, en réalité. » Tu hoches la tête car tout le monde connaît l’histoire de Snowden de vos jours. Son histoire avait fait le tour du monde et tu avais vu le film qui lui avait été dédié. Tu fronces légèrement les sourcils cependant car tu ne comprends pas où veut en venir ton père. « C’est un peu la même chose. Je n’ai jamais voulu vous quitter, ni toi ni ta mère. Je ne pouvais pas vous imposer de vous cacher vous aussi alors j’ai préféré le faire seul. Je sais que de ton point de vue ce n’était pas le choix le plus optimal. Du mien, c’était le moins pire. » Un peu la même chose ? Qu’est-ce que cela veut dire exactement un peu la même chose ? Tu avais fini par croire que ton père vous avait quitté de son plein gré, parce qu’il avait trouvé mieux ailleurs. Cela n’était apparement pas le cas. Son départ présenté ainsi ressemblait plus à une fuite qu’autre chose mais ses paroles étaient toujours aussi vagues et ne t’apprenaient pas grand chose. Tu ne découvrais pas que ton père était un homme secret, tu avais pu le deviner toutes ces années à passer à le chercher. « Ce devait être une sacrée alerte si elle t’a fait perdre ton avant bras. » Te surpris-tu à dire en guise de réponse. Dans ta voix, il y avait encore des doutes car tu trouvais cette explication bien trop facile et superficielle. Comment dire tout et rien à la fois. Vous quitter pour vous protéger, c’était la thèse qu’était en train de défendre ton père. Tu ajoutais ensuite : « Pourquoi t’es parti sans explication ? J’aurais rien compris à l’époque mais maman les méritait ces explications. » Dis-tu fermement. Au moins pour comprendre qu’elle n’aurait rien pu faire pour changer les choses. Car tu savais que comme toi, c’était une question qui a dû la hanter. « Si la solution la moins pire était de nous abandonner, qu’est-ce que tu fais là aujourd’hui ? » Lui demandas-tu intriguée. Snowden était toujours enfermé dans un consulat, à devenir fou très certainement alors qu’est-ce que ton père faisait à Brisbane exactement ? A quoi s’attendait-il ? « Revenir à Brisbane c’est autorisé mais voir sa fille c’est aller trop loin ? » Ne pus-tu t’empêcher de lui demander en laissant échapper un rictus. « Ce n’est vraiment pas très réconfortant. » Tu ne savais pas vraiment si c’était du réconfort que tu attendais de sa part mais tu ne pouvais t’empêcher de te demander si on père t’aimait vraiment quand tous ses gestes et plusieurs de ses paroles semblaient vouloir te démontrer le contraire.
@Ichabod Bates |
| | | | (#)Ven 6 Nov 2020 - 23:43 | |
| Une infime et égoïste part de moi même est heureux de ne pas avoir eu à assister à sa crise d’adolescence puisqu’aujourd’hui je me rends compte à quel point cette dernière a dû être violente et elle, impossible à vivre. Elle rejette le moindre de mes arguments, même ceux que je ne trouvais finalement pas si mauvais, pour avoir été trouvés au dernier moment. Ils étaient de toute façon tous bien moins horribles et difficiles à avaler que la vérité pure et simple. Je ne peux pas avouer à ma propre fille avoir été à la tête d’une organisation criminelle qui ne faisait que rendre la ville moins sécuritaire encore à chaque instant. « Ce devait être une sacrée alerte si elle t’a fait perdre ton avant bras. » Je ne bronche pas, désormais habitué à ce que l’absence de mon membre soit un sujet récurrent. Après tout, c’est à deux bras que je la prenais pour jouer à l’avion avec elle et la faire s’envoler pendant d’éternelles secondes, il y a une vie de ça. “Il y a eu une fusillade, là où je travaillais. Une balle m’a touchée.” J’ai été tenté de lui dire que je me suis prise une balle perdue mais puisqu’elle m’était bien destinée (plus dans le coeur, ceci dit), je préfère ne pas ajouter d’autres mensonges encore à l’équation. Je ne précise toujours pas ce qu’elle voudrait entendre mais pour la perte de mon bras au moins, elle connaît désormais la vérité partielle. Les armes sont rares en Australie, même dans le monde criminel, et je sais qu’elle le sait. Ce n’est qu’un avant goût du reste, sûrement.
Si aujourd’hui elle a tout l’air d’une jeune femme, je continue de ne la voir que comme ma petite fille, la chair de ma chair. Et tout le monde sait que les enfants posent beaucoup de questions, à mon grand regret. Aujourd’hui je ne peux plus simplement détourner le sujet en lui proposant d’aller se balader sur la plage, ce qui était synonyme de passer acheter une glace chez son marchand préféré au passage. « Pourquoi t’es parti sans explication ? J’aurais rien compris à l’époque mais maman les méritait ces explications. » Mon sourire n’a rien de joyeux mais tout de fier quand je l’observe faire passer les intérêts de sa mère avant les siens propres. “Vous mettre dans la confidence c’était vous mettre en danger.” Je parle au pluriel puisqu’elle méritait autant d’explications que Rhéa mais aujourd’hui encore, la vérité n’est que synonyme de danger. C’est un concept parfaitement impossible à comprendre, j’en conviens, mais je n’ai d’autres choix que de tenter de raisonner Ilaria encore et encore, par tous les moyens possibles. « Si la solution la moins pire était de nous abandonner, qu’est-ce que tu fais là aujourd’hui ? » Je souffle alors que cette question ravive des sentiments douloureux alors que j’aime ma famille sûrement autant qu’ils ont appris à me détester. “J’ai pensé que tout était derrière moi et que si je revenais vers vous, vous ne craigneriez rien.” Le temps est important puisque, bien sûr, j’avais tort. Après avoir passé cinq années loin des histoires de gangs, il n’y a eu besoin que d’un hiver pour que tout se rappelle à moi avec la même intensité qu’auparavant, si ce n’est pire encore. Aujourd’hui, leur vie serait entre les mains de Lou bien plus que de Mitchell et ce n’est pas un changement qui me rassure le moins du monde. J’ouvre la bouche pour tenter d’aller au bout de mon argument mais elle ne fait que poser la question que j’appréhendais le plus, celle qui sous entend qu’elle est moins importante pour moi que sa mère. « Revenir à Brisbane c’est autorisé mais voir sa fille c’est aller trop loin ? » Je relève mes yeux dans les siens, semblables, bien décidé à lui prouver que cela n’a jamais été une histoire d’aller trop loin ou non. Tout n’était qu’une succession de risques pris et plus ou moins calculés, j’en conviens, mais mes sentiments n’avaient finalement que peu de place dans cette histoire. J’imagine que le moment est mal choisi pour lui dire que je n’ai jamais quitté la ville et parmi tous les mensonges que je souhaite défaire, celui-ci n’en fait pas parti. Il vaut mieux qu’elle me pense parti loin, et si jamais son esprit pense à la Russie en rapport à Snowden alors c’est parfait. Sinon, je m’accommoderai sans aucun mal de n’importe quel pays ou territoire. “Revenir à Brisbane c’est autorisé mais voir sa fille c’est la mettre en danger sans même qu’elle soit au courant. J’ai pris ce risque avec ta mère, je ne voulais pas tenter le Diable et risquer de vous perdre toutes les deux. J’avais besoin d’être certain qu’il n’y aurait aucune conséquence.” Elle enchaîne les questions sans ne jamais me laisser le temps de m’expliquer ni même de tisser de meilleurs mensonges alors cette fois-ci j’enchaîne les mots avec dureté, quand bien même ils ne sont là que pour lui prouver que je l’aime et que c’est bien ça le problème. Je l’aime bien trop pour rester à ses côtés et, par conséquent, lui faire du mal.
« Ce n’est vraiment pas très réconfortant. » “Aucune explication que je peux te donner ne le sera, Ilaria. T’as pas idée du nombre de risques que tu as pris en venant ici.” Le ton passe maintenant aux reproches puisque c’en sont bien, malgré moi. Mon rôle de père m’oblige aussi à endosser la casquette de policier et gendarme à la fois, sans que cela ne m’ait jamais plu. “Je pensais être sorti de toute cette histoire mais ce n’est pas le cas. C’est pour ça que je refusais encore de te voir. Je préfère que tu me détestes plutôt que tu sois morte, tu comprends ça ?” Parce qu’ultimement, s’ils l’utilisent contre moi alors ils finiront par la tuer. D’une façon ou d’une autre, plus ou moins lentement, plus ou moins douloureusement, c’est tout ce qui finit toujours par arriver. “Il n’y a rien de réconfortant dans ce que je pourrais te raconter. C’est fini les contes de fée.” Mon visage est plus dur que je le voudrais et il en est de même pour le ton de ma voix, pourtant ce n’est que la pure vérité que je lui expose là. |
| | | | (#)Lun 9 Nov 2020 - 8:19 | |
| La vérité c’est que tu ne sais pas si tu reverras ton père après aujourd’hui. Vu sa surprise à te voir arriver au garage, vu le peu de chaleur dans son accueil, tu commences à douter de la possibilité de le revoir. Au fond de toi, si tu es honnête avec toi-même, tu sais que tu en meurs d’envie. Parce que même si tu lui en veux, même si tu n’arriveras pas facilement à lui pardonner cet abandon, tu n’as toujours voulu qu’une chose, l’avoir dans ta vie, l’avoir près de toi. Voilà pourquoi ces retrouvailles froides et à l’abri des regards étaient bien loin de tes attentes. Peut-être pensait-il que tu étais devenue une petite merdeuse mais tu t’en fichais. Si c’était la dernière fois que tu le voyais, tu comptais bien faire en sortes de lui en laisser un souvenir impérissable et de tirer de cette entrevue le plus d’explications possibles. La présence de Pooka à tes pieds était rassurante et te permettait de retrouver le courage qui pouvait parfois te manquer. « Il y a eu une fusillade, là où je travaillais. Une balle m’a touchée. » Tes yeux s’écarquillent de surprise malgré toi. Une balle ? Tu sais bien entendu qu’il y a des fusillades tous les jours dans le monde mais en Australie elles sont plutôt rares. Enfin, peut-être que to père n’était même pas en Australie à ce moment-là. Comment s’était-il retrouvé au milieu d’une fusillade ? La question était plutôt de savoir où il travaillait pour s’y être retrouvé mêlé. Mais bien sûr, tu n’allais pas poser cette question parce que tu voyais déjà dans le regard de ton père que la réponse ne serait pas celle que tu attendais. « Et les médecins n’ont rien pu faire ? » Ne pus-tu t’empêcher de demander. Parce que c’était évident pour toi qu’il avait fini à l’hôpital s’il avait été blessé par balle. Et tout le monde ne perd pas une partie de son corps suite à ce genre de blessure. Tu n’ajoutais rien à ce sujet, c’était sans doute mieux ainsi. Ce n’était pas les questions qui manquaient mais tu avais peur de te trahir toi-même, tu avais peur qu’il ne comprenne que cette histoire t’inquiétais pour lui, plus que pour toi.
Toutefois, ne pas poser de question sur son avant-bras ne voulait pas dire que tu n’avais pas d’autres questions à poser. Au contraire même, tu en avais pleins de questions. Et la première, c’était de comprendre pourquoi il n’avait pas donné d’explications à ta mère. Tu l’avais vue s’effondrer, tu l’avais vue souffrir de ce départ plus que personne d’autre et tu ne comprenais tout simplement pas pourquoi il s’était octroyé le droit de la faire souffrir ainsi. « Vous mettre dans la confidence c’était vous mettre en danger. » Tu ne comprends pas pourquoi il sourit, pas quand apparemment une simple explication, même partielle aurait suffit. Tu te surpris à soupirer, lassée de cette discussion qui à tes yeux tournait en rond. L’explication à toutes les actions de ton père était qu’il vous mettait en danger. Mais en danger de quoi exactement ? « Vivre avec nous pendant neuf ans, ça c’était pas nous mettre en danger par contre. Qu’est-ce qui a changé entre ces neuf années et cette soirée où t’es parti ? » Tu avais l’impression plus ton père s’expliquait que le danger avait en réalité toujours été là et qu’il n’était pas lié à quelque chose en particulier vu qu’apparemment encore aujourd’hui vous risquiez quelque chose. L’idée que l’on puisse te vouloir du mal te dépassait complètement il fallait l’avouer, toi qui avais une vie on ne peut plus banale. « J’ai pensé que tout était derrière moi et que si je revenais vers vous, vous ne craigneriez rien. » Tu laisses échapper un petit rire à ces paroles parce que franchement ? Comment pouvait-il décider quand c’était le bon moment pour vous voir ou non ? Est-ce qu’il allait disparaître de nouveau et vous laisser comme de vieilles chaussettes une nouvelle fois ? N’aviez-vous pas le droit de faire vos choix vous aussi plutôt qu’ils ne vous soient imposés ? « Vu que ce n’est pas le cas, doit-on s’attendre à te voir disparaître de nouveau ? » Lui demandas-tu un sourcil levé. La question était on ne peut plus d’actualité vu que pour vous protéger il devait apparemment fuir. « Est-ce que cette fois on pourrait avoir le droit de décider par nous-mêmes ? » Tu espérais qu’il ne pensait pas que tu allais lâcher l’affaire, pas s’il était à Brisbane. Maintenant que tu le savais ici, tu n’avais pas envie d’être privée de ton père, privée d’apprendre à le connaître car aujourd’hui, tu n’en avais que de vagues souvenirs. Et parce que tu aimais appuyer là où cela faisait mal, tu voulais que ton père te dise pourquoi il ne voulait pas te voir à toi, spécifiquement. « Revenir à Brisbane c’est autorisé mais voir sa fille c’est la mettre en danger sans même qu’elle soit au courant. J’ai pris ce risque avec ta mère, je ne voulais pas tenter le Diable et risquer de vous perdre toutes les deux. J’avais besoin d’être certain qu’il n’y aurait aucune conséquence. » Mais quelles conséquences ? Apparemment, un danger important te guettait sans que tu le saches et ton père en était un protagoniste important. Mais tu t’en fichais de tout ça toi, tu voulais simplement revoir ton père et qu’il joue un rôle dans ta vie au lieu d’être aux abonnés absents. Encore une fois, c’était un rêve de petite fille car tu vis le visage de ton père se durcir face à ta dernière remarque et son ton ne laissa aucune place aux doutes : « Aucune explication que je peux te donner ne le sera, Ilaria. T’as pas idée du nombre de risques que tu as pris en venant ici. » Les reproches sont bel et bien là et tu sens ton visage se fermer. Il est sérieusement en train de te reprocher d’être venu le voir. Tu sens ta gorge se serrer mais tu ne dis rien. Tu le laisses te traiter comme une gamine qui ne comprend rien si cela peut lui faire plaisir. « Je pensais être sorti de toute cette histoire mais ce n’est pas le cas. C’est pour ça que je refusais encore de te voir. Je préfère que tu me détestes plutôt que tu sois morte, tu comprends ça ? Il n’y a rien de réconfortant dans ce que je pourrais te raconter. C’est fini les contes de fée. » Les contes de fées ? Il suffit qu’il prononce ces mots pour que tu comprennes qu’il ne voyait qu’une petite fille assise en face de lui. Il pensait vraiment que tu croyais toujours aux contes de fées ? Cela te ferait presque rire si tu n’avais pas envie de pleurer. « Ne t’en fait pas, j’avais neuf ans quand j’ai arrêté de croire à la magie des contes de fées. » Le sous-entendu n’en est pas un. Le départ de ton père avait changé énormément de choses pour toi. Tu n’avais plus été simplement une enfant à partir de ce jour-là, il avait fallu grandir et comprendre certaines vérités sur la vie. Tu te lèves de la chaise sur laquelle tu es installée avant de dire : « Je ne m’excuserai pas d’être venue tout comme je ne m’excuserai pas d’avoir envie de te connaître. Tu nous as fui pendant dix ans et maintenant que t’es là, sous notre nez, je suis censée faire comme si de rien n’était ? » Tu savais déjà quelle serait sa réponse, il allait te dire que c’était exactement ce que tu devrais faire. Tu ne savais pas à quoi ressemblait la vie de ton père mais s’il prenait soin de repousser tout le monde comme il le faisait avec toi, il ne devait pas être très entouré. « Je n’ai pas besoin que tu cris sur tous les toits que je suis ta fille, je n’ai pas besoin de prendre ton nom, je n’ai pas besoin qu’on se promène bras-dessous, bras-dessous dans tout Brisbane. Moi tout ce que je veux c’est comprendre et te connaître. Ça n’a pas l’air d’être une possibilité cependant. » Tu hausses les épaules, résignée. Tu n’as pas eu toutes les réponses que tu voulais sur son départ mais tu n’en sauras certainement pas plus, pas pour l’instant. Mais tu as eu d’autres réponses, des réponses que tu n’attendais pas. Ton envie de le connaître était une irresponsabilité de ta part et rien d’autre. Et une impossibilité pour lui apparemment.
@Ichabod Bates |
| | | | (#)Mer 11 Nov 2020 - 23:53 | |
| Les parents se préparent généralement pour avoir des discussions importantes avec leurs enfants. Ils répètent, ils en parlent entre eux, ils se partagent les rôles. Ce sont eux qui décident quand est ce que la discussion commencent pour de vrai. Cette fois-ci, rien ne s’est passé de la bonne manière et si le début a été désastreux, la suite n’est qu’une longue agonie pour elle comme pour moi. Je sais qu’elle n’est qu’une enfant qui rêverait d’avoir une vie normale, au fond, et personne ne peut mieux le comprendre que moi même. Je suis pourtant voué à répéter les mêmes erreurs que mon paternel et les lui appliquer, comme si j’étais incapable d’apprendre quoi que ce soit. « Et les médecins n’ont rien pu faire ? » Je souffle, sachant déjà qu’elle détestera ma personne une fois de plus. Cette fois-ci au moins, ce n’est pas en direction relation avec elle. “Les blessures par balle font l’objet de déclaration.” Elle comprendra la suite. Elle comprendra que je n’ai pas le droit de laisser mon nom traîner dans des dossiers dans lesquels j’aurais de toute façon menti sur les raisons de cette blessure. Un jour, elle comprendra tout le reste. Dans longtemps, j’espère.
« Vivre avec nous pendant neuf ans, ça c’était pas nous mettre en danger par contre. Qu’est-ce qui a changé entre ces neuf années et cette soirée où t’es parti ? » Impossible de répondre. « Vu que ce n’est pas le cas, doit-on s’attendre à te voir disparaître de nouveau ? » Impossible de répondre. « Est-ce que cette fois on pourrait avoir le droit de décider par nous-mêmes ? » Impossible de répondre. « Ne t’en fait pas, j’avais neuf ans quand j’ai arrêté de croire à la magie des contes de fées. » Aucune envie de répondre.
Je ne cherche pas à paraître impassible ou inaccessible face à elle. Je ne cherchais pas non plus à ce que ce soit le cas lorsqu’elle était enfant, parce que ce n’est pas le genre de chose qu’on fait dans une famille. Je ne lui ai jamais caché à quel point je l’aimais, ni à elle ni à Rhéa, et j’aurais voulu la prendre dans mes bras aujourd’hui pour lui faire comprendre que même si le reste du monde a changé, ce n’est pas le cas pour ma relation avec elle. Pourtant, face à elle, je ne sais que passer d’une grimace à une autre face à la pile de ses questions qui restent encore et toujours sans réponse. L’envie de tout lui dire me tiraille de l’intérieur mais je préfère la voir me détester plutôt que morte. Je savais la vie d’adulte faite de choix impossibles mais celui-ci est un des pires auxquels j’ai dû faire face. Tous ceux qui arrivent à son niveau sont reliés à elle ou sa mère.
Ilaria finit par se lever et me prouver une fois de plus qu’elle n’a plus neuf ans mais bien le double, aujourd’hui. Je l’écoute en silence, priant pour qu’aucun entre employé du garage ne l’entende parler plus fort que la moyenne alors qu’elle monte dans les tours. Pour moi, le plus difficile reste de la regarder souffrir sans être capable de soigner ses maux autant que je le voudrais. Alors, quand de son côté fusent les reproches, du mien je continue de m’inventer une infinité de scénarios dans lesquels elle aurait un minimum sa place ; et plus elle a sa place, plus je les aime. Plus elle a sa place, plus ils sont dangereux, et plus je les refoule au fond de mon cerveau. Ce ne sont que des mirages. De parfaits petits mirages qui resteront toujours ce qu’ils sont : impossibles. “Je ne te demanderai pas de t’excuser.” Ni maintenant, ni jamais. En tout cas, pas pour avoir voulu tenter de me connaître. Je ne peux pas lui en vouloir d’être humaine, ce serait insensé. Je peux encore moins lui en vouloir d’avoir le même rêve que moi, quelques informations en moins en sa possession. “Je veux simplement que tu comprennes qu’on n’est pas une famille normale, mais moi aussi j’ai envie de te connaître.” On ne peut pas crier sur tous les toits qu’elle est ma fille, elle ne peut pas prendre mon nom, on ne peut pas se promener bras-dessus bras-dessous dans tout Brisbane. Mais on peut essayer de (re)construire quelque chose, ensemble, à notre manière. Debout, je la sens me filer entre les doigts, prête à partir et faire quelue chose de stupide ou pire encore : partir et ne jamais revenir. “Je vais te donner mon numéro, déjà.” Je peux faire des efforts, je le veux vraiment. Je la nommerai par un faux nom et cela ne sera jamais un risque. Elle pourra me raconter ses journées, et moi je ne lui raconterai certainement pas les miennes. L’équilibre ne sera jamais parfait ni même idéal mais on peut au moins tenter de le trouver. “Je pourrais demander à des amis de venir te chercher, pour qu’on se voit dans des endroits différents. Je sais que ce n’est pas ce dont tu rêves mais je ne peux pas te proposer mieux.” Elle ne sera jamais vue en ma présence et seulement une poignée de personnes seront au courant. Cela accroît le danger de manière exponentielle, mais au moins je verrai ma fille. Après toutes ces années, je me rends compte que j’en ai réellement besoin - et je n’imagine pas comment elle peut donc se sentir, elle. “Je suis désolé.” Pour une infinité de choses, assurément, mais surtout pour ne pas pouvoir lui donner les réponses qu’elle désire et mérite. |
| | | | (#)Dim 15 Nov 2020 - 18:15 | |
| La curiosité est un vilain défaut. Cette phrase tu l’as souvent entendue sortir de la bouche d’adultes. Mais en grandissant, tu t’étais surtout rendue compte qu’elle arrangeait bien ces derniers quand vous posiez des questions auxquelles ils n’avaient pas envie de répondre. Tu ne pouvais qu’être curieuse au sujet de l’avant-bras de ton père. Ce n’est pas courant de perdre un membre et la réponse qu’il t’avait faite n’était pas là pour te rassurer. Pas plus que celle qu’il te fit quand il te répondit en soupirant : « Les blessures par balle font l’objet de déclaration. » C’était le genre d’information que tu aurais préféré ne pas avoir à apprendre mais effectivement, ton père, l’homme invisible qui ne laisse de trace nulle part, ne pouvait pas s’être rendu à l’hôpital où son nom aurait été rentré dans une base de données et puis sa blessure déclarée. La question que tu te posais désormais était de savoir si l’alerte qu’il prétendait avoir lancée était une bonne alerte ou une mauvaise. Car plus il parlait de cette blessure et des dangers qu’apparemment tu courais, plus tu commençais à trouver que cela ressemblait à ces histoires que l’on voit dans les séries où certains personnages ont une double identité. Une face respectable et une autre bien moins respectable et qui baigne dans l’illégalité. Cette hypothèse te paraissait peu crédible mais tu ne pouvais pas la chasser de ton esprit totalement non plus. Tes questions s’enchainent ensuite et toutes se trouvent sans réponse. Seul le mutisme de ton père les accueille, comme si tu lui assénais des coups et qu’il les accueillait comme une fatalité. Cela ne fait que t’agacer un peu plus parce que tu veut comprendre. Qu’est-ce qui a changé ? Qu’est-ce qui a fait qu’il est parti ? Il faut te résigner au fait que tu n’auras pas de réponses. Tu le lis sur le visage de ton père, l’acceptation des coups veut dire qu’il ne fera pas un pas vers toi. Il préfère que tu frappes plutôt que de se justifier. Tu l’as bien compris, il pense que la menace qui pèse sur ta tête et celle de ta mère est la réponse à tout le reste mais ce n’est pas le cas, pas pour toi.
Epuisée de cette entreprise et résignée à ne pas avoir gain de cause, tu te lèves. A quoi est-ce que cela sert de continuer cette entrevue ? Ton père ne veut pas te voir, il veut absolument te cacher et il daigne répondre à une question sur deux avec des réponses vagues qui en général t’infantilisent et te font passer pour une irresponsable. Donc non, tu préfères partir, c’est plus sage ainsi. Mais avant de partir, tu n’hésites pas à dire à ton père que toi, tout ce que tu veux depuis que t’as neuf ans, c’est apprendre à le connaître. Oui, tu aurais aimé qu’il soit là pour le présenter à tes amies à l’époque, pour montrer que toi aussi tu avais un papa mais tu n’avais plus neuf ans. Tout ça ce n’était plus important. Aujourd’hui, apprendre à le connaître était suffisant et tu voulais qu’il le comprenne. « Je ne te demanderai pas de t’excuser. » Cela tombait très bien car tu ne comptais pas le faire, peu importe ton niveau d’irresponsabilité à ses yeux. « Je veux simplement que tu comprennes qu’on n’est pas une famille normale, mais moi aussi j’ai envie de te connaître. » Tes yeux s’écarquillent parce que cette confession tu ne l’attendais pas. Tu n’avais pas besoin qu’il te dire que vous n’étiez pas une famille normale. Tu savais ce qu’était une famille normale, tu l’avais vu quand Luka était arrivé dans votre vie. Tu lui en avais voulu au début mais ta jalousie d’adolescente te paraissait puérile aujourd’hui. Par contre, il venait d’admettre avoir envie d’apprendre à te connaître et ça, c’était inattendu. Parce que tu étais persuadée qu’il n’en avait aucune envie vu les échanges lors de cette entrevue. « Je vais te donner mon numéro, déjà. » Tu le regardes noter son numéro sur un bout de papier et tu l’attrapes sans hésiter quand il te le tend. Tu regardes ce bout de papier comme si c’était un totem, comme si c’était le Graal. Et ça l’était pour toi. Bon, ce n’était pas la fin de la quête, c’était plutôt le début mais c’était déjà ça. « Merci. » Te surpris-tu à dire. Première phrase qui n’avait pas pour but de l’attaquer ou de lui demander des comptes. « Je pourrais demander à des amis de venir te chercher, pour qu’on se voit dans des endroits différents. Je sais que ce n’est pas ce dont tu rêves mais je ne peux pas te proposer mieux. Je suis désolé. » Un jour peut-être tu auras les réponses à tes questions. Tu ne sais pas. Mais pour l’instant, cela ne sert à rien d’insister. Pour l’instant, tu prends ce que l’on te donne et qui est beaucoup plus que ce à quoi tu t’attendais. Tu ne sais pas à quoi rime tout le cirque que ton père veut mettre en place pour te voir mais tu feras avec si c’est le seul moyen d’apprendre à le connaître. « Tu ne sais pas ce à quoi je rêve. Ce dont je rêvais n’est aujourd’hui plus qu’une illusion. La vie m’a appris une chose, à ne pas rêver et à m’adapter. » C’était peut-être rude et terre à terre mais avec une mère comme le tienne et la vie que tu avais eue, tu ne pouvais pas devenir une grande rêveuse. « Je vais y aller. A bientôt j’espère. » Dis-tu simplement avant de tourner les talons et d’ouvrir la porte. Alors que tu quittais le bureau, les employés du garage ne semblèrent pas te prêter grande attention. Tu avais scrupuleusement rangé le numéro de ton père dans ton sac, une fois le numéro dans ton portable, ce bout de papier sans nom finira dans la poubelle où personne n’ira le chercher.
@Ichabod Bates |
| | | | | | | | since you've been gone (ichabod) |
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