Aucun détail n'avait été laissé au hasard. De l'élaboration du menu au parfum des diffuseurs, jusqu'à sa chemise consciencieusement déboutonnée, Chad avait tout orchestré. Leurs emplois du temps mal synchronisés n'avaient pas suffit à le décourager, ni même à les obliger à bâcler un moment qu'ils avaient sans doute fantasmé tous les deux. Au contraire, le bientôt quarantenaire avait pu profiter de ces occasions manquées pour peaufiner sa stratégie de reconquête, toujours sous la direction avisée d'Evelyn. Le soir était enfin arrivé. Presque résigné à l'idée de repousser l'échéance, Chad ne réalisait pas encore tout à fait que le scénario qu'il avait idéalisé depuis des semaines dans sa tête allait enfin se concrétiser. Toute la journée il avait jeté un coup d’œil agité à son portable, inquiet à la perspective de lire une excuse de plus, avant d'être rassuré par la réponse affirmative de Casey, dont la concision voilait à peine l'impatience. S'il avait souri à cet instant, Chad avait aussi commencé à appréhender, comme un artiste sur le point de monter sur scène après plusieurs mois de conception intensive. Et depuis qu'il était rentré chez lui, il n'avait pas arrêté une seule seconde de s'activer, jamais tout à fait satisfait, toujours tourmenté dans sa quête de perfection. Sortir une autre vaisselle. Changer de chemise. Avec ou sans veste ? Cette couleur n'était pas de saison. Sans même s'en rendre compte, le romantique s'était inventé de faux problèmes pour se préserver de compter les minutes qui le séparaient de ce moment tant attendu. Du moins s'accorder un peu de sursis. Planté de toute sa hauteur, Chad errait en quête de distraction. Après avoir passé une main sur l'îlot immaculé de la cuisine, il leva les yeux vers l'horloge qui décorait le mur du salon, et répéta la même séquence plusieurs fois avant de reprendre possession de ses intentions. A travers la baie vitrée on apercevait une table minutieusement dressée, et les flammes de bougies qui vacillaient au gré du vent. La soirée débutait à peine que le soleil se couchait déjà à l'horizon, dardant le jardin de ses derniers éclats. Ils pourraient tout de même profiter des douces chaleurs de fin de printemps, et des quelques éclairages rustiques qui agrémentaient la terrasse. Assourdi par le silence, Chad se surprit à penser qu'à défaut d'une colocataire, un chien aurait tout le loisir de remplir un peu l'espace. Depuis qu'il avait accordé la garde de Tobey, il n'avait pas pu se résoudre à le remplacer. En attendant, il alluma un fond de musique, au moment même où la sonnerie retentit. Inévitablement, Chad se détailla une dernière fois dans le petit miroir ovale qui surplombait  le porte manteaux de l'entrée, et en profita pour replacer une mèche rebelle qui lui tombait sur le front. Une grosse inspiration plus tard, il s'autorisa à ouvrir. C'était bien Casey qui se tenait sur le perron, la mine aussi résolue qu'irrésistible. La vision de son sourire impérissable avait suffi à dissiper une appréhension que Chad savait tout à fait illégitime. « Bienvenue ! » s'écria-t-il avec plus d'entrain qu'il ne l'avait imaginé, s'écartant de la porte pour laisser entrer son invité. La pièce de vie s'étalait devant leurs yeux, et Chad hésita un moment avant de dénier lui faire un tour rapide du propriétaire.  « Tu vas bien ? Je te fais visiter un peu si tu veux. On ira voir en haut plus tard, tout est déjà prêt. » avait-il annoncé un peu fébrile en pointant la terrasse, sans même réaliser que c'était peut-être une proposition graveleuse. « Je suis content que tu sois là, c'est que tu es un homme très occupé. » Ils l'étaient tous les deux, mais après cette soirée ou cette nuit, Chad espérait qu'ils le seraient bien plus l'un par l'autre que par leurs impératifs d'adultes.

Sa présence on ne peut plus ponctuelle et opportune sur le pas de la porte tenait du romanesque. Evelyn lui avait déjà fait remarquer avec justesse comme leur relation avait des allures de drame littéraire, et Chad n'avait pas eu besoin de le voir se présenter si élégant devant lui pour s'en rendre compte. A cette heure, il le considérait encore comme le fantasme d'une occasion manquée, à la différence qu'il ne reniait plus la possibilité de leur destin lié. A ses yeux, Casey était désormais bien moins le fantôme d'un passé avorté que la personnification d'un avenir radieux. Leurs rencontres inopinées avaient déjà eu leur lot de conséquences dans sa vie. A commencer par sa détermination à s'accepter tel qu'il avait foncièrement toujours été. Se dévoiler à Kelly, et envisager autant auprès de sa famille, n'étaient que les enchaînements logiques de leur relation. Avec suffisamment de recul, cet homme avait toujours eu une emprise sur sa vie. Chad avait simplement été trop bête et aveuglé par ses désirs de normalité pour se résigner plus tôt. Ou peut-être que ces années éloignés l'un de l'autre n'étaient qu'une épreuve qu'ils étaient sur le point de surmonter ? Leur candeur respective, et cette pointe d'excitation craintive, les ramenait forcément des années en arrière. Chad était au moins rassuré de le deviner aussi fébrile que lui. C'était la preuve dont il n'avait pas forcément besoin qu'il tenait autant que lui à ce moment prémédité. Discrètement, ils s'étaient dévisagé. Détaillé des pieds à la tête sans flancher, avec la conviction d'être seul à poser sur l'autre un regard impudique. Bien évidemment que depuis qu'il avait croisé sa silhouette aguicheuse affairée à l'entretien du jardin, Chad avait pensé à l'éventualité de leur intimité. Cette soirée calfeutrée était aussi un moyen de renouer avec des instants de séduction qu'ils avaient dû mettre de côté par bienséance. Casey ne resta pas longtemps un étranger condamné à la lisière de la maison. Il entra sans même avoir eu l'occasion de deviner l'intérieur, dissimulé derrière la carrure monumentale de Chad, qui se confondait dans un discours de bienvenue aussi maladroit que volubile. Son interlocuteur ne se gêna pas pour entrer dans ce jeu de flirt auquel il s'était risqué sans vraiment le vouloir. Chad hésita une seconde entre l'embarras et l'envie de tirer un peu sur le fil de leur complicité, mais les propos de Casey discréditant ses propres compétences en la matière le conforta dans le fait qu'il n'était pas le seul à avoir perdu la main. La métaphore grivoise aurait pu être filée, pourtant il se contenta de le rassurer, amusé et flatté à la fois. « Je suis un peu rouillé moi-même. » admit-il sans la moindre honte. Sa vie sentimentale avait été inexistante depuis le divorce. Ne rien cacher à Casey était sans doute le moyen le plus efficace de lui signifier à quel point tout ceci comptait à ses yeux. « Mais bon qui sait, moins fois moins ça fait plus. Merci en tout cas. » avait-il ajouté en attrapant et examinant la bouteille de vin que Casey lui avait tendue de bon cœur. Il garderait pour une prochaine fois celle qu'Evie l'avait aidé à choisir lors de leur entrevue de la saison passée. Après tout, il n'espérait pas si secrètement que ce rendez-vous n'était que le premier d'une longue et prospère succession. « T'en fais pas pour ça, on sait aussi bien l'un que l'autre que tout vient à point à qui sait attendre. » avait-il balayé d'un revers de main à peine affecté. La patience était une vertu qu'ils partageaient, et il devait avouer que ce sentiment de frustration presque artificiel avait quelque chose de très électrisant. « Tu fais quoi de tes journées de ministre ? J'ai cru comprendre que tu avais monté une association. » demanda-t-il en l'enjoignant implicitement de le suivre vers l'îlot central pour y débusquer deux verres à pied dans les placards nichés au mur. Il avait peut-être abusé des informations que les réseaux sociaux voulaient bien divulguer, avec un peu d'obstination. « Non mets toi à l'aise, je vais juste nous ouvrir ça pour commencer. » A l'aise, il faisait mine de l'être en ce qui le concernait. La perspective de se retrouver seul à nouveau avec Casey avait d'abord été une utopie. C'était désormais une réalité avec laquelle il avait peur de composer. Il n'était pas prêt à faire face à l'éventualité que les chemins opposés qu'ils avaient décidés d'emprunter dans la vie puisse ne jamais les réconcilier. Que leurs caractères opposés ne puissent plus jamais être leur force. « Tout le monde va bien dans ton joyeux foyer d'ailleurs ? » demanda-t-il en le guidant, verres et bouteille en main, vers la terrasse. La table était à l'image de leur rapprochement des derniers mois : modeste. Seulement deux pièces de vaisselle, des serviettes soigneusement enroulées pour garnir leurs assiettes encore vides, et des bougies clairsemées pour éclairer leurs expressions badines une fois que le soleil aurait entièrement décliné à l'horizon. Enfin, quelques légumes apéritifs centrés avec une précision géométrique. Chad n'aurait pas su dire s'il avait été excessif ou au contraire trop subtil dans ses choix. Une chose était certaine, la frénésie avec laquelle son cœur s'emballait dans sa poitrine était bien moins mesurée que son plan de table.

Il n'avait fallu que deux temps trois mouvements à Chad pour extraire les verres des placards et mettre fin à la gêne évidente de son convive. Bien-sûr qu'il y avait pensé, que Casey imaginerait secrètement le fantôme de Kelly se déplacer dans la pièce, croiser ses gestes avec les siens dans un ballet minutieusement orchestré, comme de toute évidence le dictaient dix ans de vie commune. Il n'avait pas envie de le laisser trop longtemps empêtré dans son imagination, d'autant plus que comme il l'avait si poliment décliné, Chad avait bien moins besoin de son aide que de sa compagnie. Il le guida donc sur un sujet qui lui tenait à cœur, tandis que sous sa paume les verres tintaient déjà de la joie de leurs retrouvailles privées. L'attente avait été aussi ardue et incompressible qu'entre deux phénomènes astronomiques : la conjonction de deux astres si longtemps éloignés, qui se retrouvaient après des décennies d'orbite. Chad espérait de tout son être que les prochaines occasions seraient moins rares, à supposer que la soirée se passerait aussi romantiquement que prévu. Casey explicita son projet, et si le blond s'était déjà renseigné dans les grandes lignes, il l'écoutait avec une attention admirative. L'altruisme de cet homme n'avait aucune limite, si ce n'étaient les souvenirs de la cruauté de son propre sort, laissé entre les mains d'une famille qui n'avait jamais su lire correctement en lui. Bien évidemment que s'il se démenait autant c'était pour s'assurer, à son modeste niveau, que le moins de personnes possible ne connaissent les mêmes malheurs que ceux dont il avait été victime. Chad trouvait sa dévotion aussi touchante qu'admirable. S'il s'empêchait de l'étreindre chaque fois, c'était par respect bien plus que par pudeur. Casey n'avait jamais eu besoin de personne, et il n'avait certainement pas envie d'une tape dans le dos chaque fois qu'il effectuait une bonne action. Son témoignage n'était pas tout à fait insouciant, et Chad se contenta d'un rictus un peu contrit pour lui signifier sa compassion. Il savait mieux que quiconque à quel point le monde avait encore des progrès à faire dans sa quête de tolérance et d'égalitarisme. Malheureusement, l'amour d'un parent savait encore être sélectif. « Je le répète sans doute chaque fois, mais c'est admirable ce que tu fais pour tous ces gens. Si jamais tu as besoin de bénévoles, j'aimerais pouvoir t'aider un jour, quand j'aurai un peu de temps. Puis au moins ça nous permettrait de nous croiser plus souvent. » avait-il proposé un peu naïvement. Cette perspective avait des allures de rédemption. Chad n'avait sans doute pas vécu le quart des galères que les gens qui fréquentaient ce genre de lieux subissaient, et pourtant il était convaincu d'avoir quelque chose à apporter. Lui aussi avait souffert à sa manière. « Tu as déjà pu rencontrer quelques personnes ? » questionna-t-il un peu curieux, par-dessus le bruit d'un tiroir qui coulissait. Ils n'iraient pas bien loin sans tire-bouchon. Dehors l'air était doux. Les conditions étaient réunies, car à cette période de l'année la moiteur avait tendance à commander la sueur et les vêtements collés à la peau. Pour leur premier vrai rendez-vous ils n'auraient même pas à composer avec l'humidité d'un été australien. Chad esquissa un sourire mielleux à son tour. « Ils sont adorables, tu leur diras bonjour aussi. » dit-il en débouchant la bouteille avant de prendre place. Il servit un premier verre qu'il poussa vers Casey avant de tendre le sien pour trinquer pour de vrai cette fois. « A ce tête-à-tête enfin arrivé. » annonça-t-il tout guilleret. « Et du coup ils t'ont donné quoi comme conseil ? Que je puisse me situer sur l'échelle de la ringardise. » plaisanta-t-il qu'à moitié. En ce qui le concernait, il avait eu la chance d'avoir les conseils d'Evelyn, qui était peut-être un peu mieux placée en termes de crédibilité. « Oui c'était trois fois rien. » réitéra-t-il par rapport à son accident. Il avait voulu rassurer Casey plusieurs fois, mais à sa place il aurait certainement eu autant de mal à se contenter de lointaines nouvelles qui se voulaient réconfortantes. « Mes frères et Kelly sont venus plusieurs fois, je voulais surtout t'éviter des situations gênantes... » Il n'avait pas du tout envie de s'épancher sur le sujet de son ex-femme, qui quoique toujours un peu quelque part dans son esprit, n'était pas la bienvenue ce soir. « Du coup j'ai pu reprendre le travail assez rapidement et même retourner à la caserne. Bon on m'a tout de même un peu ménagé au début, mais quand on fait un métier comme ça il vaut mieux se remettre en selle tout de suite, sinon c'est le traumatisme assuré. J'y pense pas beaucoup à vrai dire. » Et ce n'était pas un euphémisme. Sa vie avait été suffisamment radieuse ces derniers mois pour amortir le choc, et le passage de son propre frère à l'hôpital lui avait permis de relativiser la chance qu'on leur avait offerte à tous les deux.

Son cœur avait-il toujours battu aussi fort en sa présence ? Il l'entendait pulser jusque dans ses tempes, constant rappel de l'effet que suscitait chez lui la simple vision de Casey. Un vacarme interne qu'il aurait aimé pouvoir entendre en retour sans avoir à poser l'oreille sur la poitrine de celui qui lui faisait face. Aussi, sans doute, le signe évident qu'il avait trop longtemps privilégié la raison plutôt que d'écouter des sentiments indéniables. S'il demeurait foncièrement peu sûr de lui, Chad n'était plus l'étudiant naïf qui avait frappé à sa porte un soir, sans se douter des malices du destin. Il voulait le réécrire, le destin. Plus le subir ou se le voir dicté par les autres par cette peur aussi viscérale qu'injustifiée de décevoir. Chaque œillade le confortait. S'il trouvait un jour l'amour véritable, ne valait-il pas infiniment plus que la somme de toutes les autres ? Un sourire sincère ne valait-il pas plus que toutes les façades ? Les acquiescements de Casey étaient autant de pas qu'il lui accordait en sa direction. Chad expirait imperceptiblement après la moindre parole assertive. Malgré son incommensurable générosité, Casey savait dire non. Il l'avait déjà fait par le passé. Alors pourquoi ne pas partager son enthousiasme de les voir un jour réunis dans l'enceinte de son association ? D'autant plus qu'ils seraient les deux seuls à détenir le secret de cette ironie. « Le rendez-vous est pris dans ce cas. » dit-il avec un sourire en coin. Deux rendez-vous en l'espace de quelques jours. Il espérait bien que cela deviendrait une habitude. Comme souvent Casey était passionné quand il parlait de son œuvre. Cette lueur d'animation qui étincelait dans ses yeux était juste assez vive pour ne pas détourner l'attention de son discours. Évidemment Chad n'y échappait jamais. Il l'écoutait avec un voluptueux intérêt. Le carillon des verres sembla marquer le début de quelque chose. C'était un moment souvent solennel malgré ses allures insouciantes. Pour Chad, il marquait l'ouverture d'une soirée qu'il espérait propice au rapprochement. Si les verres s'étaient intercalés entre leurs mains, ils n'étaient que le dernier rempart. Par chance Chad s'était réfugié derrière le sien, car il s'était senti rougir un instant. « Pour ça je n'ai pas changé, je suis toujours préparé. Enfin de manière générale... tu vois ce que je veux dire. » se dépêtra-t-il avant de boire une nouvelle gorgée de vin pour camoufler sa honte. Casey maîtrisa bien vite le feu du désir qui avait commencé à brûler. Chad aurait pu être déçu s'il n'avait pas décelé dans sa phrase un lapsus digne d'une promesse. Ils ne se voyaient pas que pour ça, avait-il affirmé un peu inconsciemment. Leurs sourires se répondirent. « Ils ont raison en tout cas. Il faut savoir prendre du temps pour soi. Et je l'ai déjà dit mais ça me fait plaisir que tu prennes ce temps avec moi. » ajouta-t-il pour tempérer un peu, même si ses regards se voulaient de moins en moins équivoques. A son grand désarroi la discussion glissa, mais il se contenta d'opiner avec gratitude. Les adolescents sous le toit de Casey avaient raison sur un point : ce rendez-vous n'avait pas pour vocation d'être aussi grave que leurs récentes expériences. Ils l'avaient compris tous les deux, alors que reprenaient les gazouillis de la séduction. « J'ai peut-être survendu la chose... Il se peut que ça ressemble au premier dîner qu'on a partagé, mais un peu revisité. Sache que je me suis appliqué en tout cas, dévoila-t-il un peu vaguement. Puis de toute façon la soirée ne fait que commencer, et pour une fois je suis pas contre quelques rebondissements. » Comprendrait-il qu'il avait terriblement envie de l'embrasser ? Que le goût oublié de ses lèvres surpasserait n'importe quel menu. Sucrées ou salées. Sèches ou humides. Il en rêvait. Et il ne serait jamais tout à fait complet tant que leur attirance ne serait pas scellée de ce baiser de délivrance. Celui qui, pourtant inéluctable, se faisait attendre.

Se dégourdir à deux avait un côté rassurant. L'eau était bonne, mais au lieu de se précipiter Chad et Casey avançaient ensemble, main dans la main, avec une parfaite coordination. En tandem ils semblaient bien plus efficaces, et effaçaient à grand coup de pédale la distance que le temps avait dressé entre deux. Face à leur sensibilité respective, ils s'amusaient à se tester. Chad ne se souvenait plus de la dernière fois où il s'était autorisé à faire preuve d'un peu d'impudence. De la dernière fois où il avait fait confiance au point de ne plus être cette version édulcorée de lui-même, mais une version authentique, jusque dans ses moindres imperfections. Il ne reculait jamais, car à chaque instant où il se sentait dériver, à chaque parole un peu déplacée, Casey le rattrapait aussitôt. Chad n'avait pas l'impression de radoter. On ne radotait jamais avec l'amour. S'ils se répétaient sans cesse leur joie d'être ici, ensemble, à ce moment, c'était simplement pour se convaincre que la suite inéluctable de leur rendez-vous était consentie. Une invitation à demi-mot, l'expression la plus candide de leur désir. Casey l'avait compris. Le silence qui s'était introduit n'avait rien de pesant. Un jeu de regard auquel Chad n'avait pas envie de se dérober, malgré le tambour qui cognait dans sa poitrine. Tous les deux connaissaient la suite de l'histoire. Le temps se figea pour leur permettre de se détailler un peu plus. De se perdre un peu plus dans la contemplation d'un avenir suspendu à ces quelques secondes. Chad n'écoutait plus vraiment. Plus rien n'existait autour de lui. Rien d'autre que ces yeux noisettes, ce nez aquilin et ces lèvres fines dont il n'avait cessé de rêver. Casey s'était approché pour ne plus laisser entre eux que le vide de l'anticipation. Leur regard vissé dans l'autre, il ne manquait plus que le scellement d'un baiser, qui arriva enfin. Chad y succomba bien vite, se laissant guider avant que sa mémoire sensorielle ne lui dicte la marche à suivre. Ce baiser était à la fois nouveau et pourtant si familier. Le présent se mêla au passé. Chad n'attendait pas moins d'audace de la part de Casey. Dans ses souvenirs aussi vigoureux que vaporeux, il était celui qui avait fait le premier pas lorsqu'ils s'étaient retrouvés seuls dans ce lit des années plus tôt. Difficile d'en être certain tant des sentiments contradictoires avaient jalonné la suite de leur relation. Au fond cela n'avait pas d'importance. Lorsque ce premier contact se termina sans un mot, Chad ne leur laissa que le temps d'une inspiration avant de se jeter à nouveau sur cette bouche dont il se remémorait les prouesses. Plus nerveux cette fois-ci, plus sauvage aussi. Une main se logea sur sa joue, tandis que l'autre, dans un mouvement brusque, avait failli renverser un verre. Le blond se leva, attirant Casey avec lui comme s'ils ne faisaient plus qu'un. Comme si leurs gestes n'étaient que la réponse d'un seul et même esprit. Leur valse continua plusieurs minutes, jusqu'à ce qu'ils se déplacent fébrilement, sans jamais trop se détacher de l'autre, jusqu'au canapé du salon. Chad se coucha le premier, entraînant avec lui le corps de Casey qui s'entrelaça avec le sien. Dehors le soleil avait fini de décliner à l'horizon, les confiant à l'intimité tamisée de ses dernières lueurs. De toute façon il n'y avait plus que Casey à ses yeux. Plus que Casey et les souvenirs mécaniques de leurs moments charnels. Alors qu'ils redécouvraient leurs corps, Chad se jura de ne plus jamais oublier à quel point il était heureux à cet instant.

rp terminé