| kellssan #6 + the key to life on earth |
| | (#)Sam 24 Oct 2020 - 18:09 | |
| | | ► THE KEY TO LIFE ON EARTH
Call in to wake you up in the morning Iron your suit and tie forever till you die Join forces like carousels and their horses forever spinning round And never coming down
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Elle avait été sur un nuage, le temps d’un printemps. La diffusion de Race of Australia avait pris fin, et tout ceux à qui Kelly n’avait pu révéler le secret avaient découvert sa victoire à la télévision. Elle ne comptait plus les messages de félicitations, les abonnés supplémentaires sur Instagram, les demandes de commentaire pour les magazines de programme TV -et les milliers de dollars sur son compte en banque. Tout ce qui l’avait fait sentir appréciée et importante pendant quelques temps. Prise dans cette spirale, avait-elle le temps pour quoi que ce soit d’autre que de profiter de cette sensation de porter une couronne sur sa tête, partout où elle allait ? Non, Lee avait pris de grandes inspirations, gonflé ses poumons à bloc de tout cet air bourré de bienveillance à la bonne odeur d’accomplissement et n’avait pensé qu’à tout le bien que cela lui procurait. Elle s’était revigorée par le biais de ces regards tournés vers elle, se répétant tout bas, inlassablement, qu’elle méritait tout ceci, qu’elle y avait droit. Qu’il était amplement temps que les choses aillent dans son sens. Puis l'euphorie était passée, le nuage s’était posé, on oublia presque son nom. Essoufflée, électrisée, la brune renouait avec la vie normale pour la seconde fois de l’année. Doucement, elle retrouvait avec tendresse la simplicité de ce quotidien millimétré, les rituels de son quartier, les allées et venues de ses voisins devant ses fenêtres. L’adrénaline disparue, son esprit renouait avec les pensées en nuances de gris ; elle songeait à Chad, à Clarence, à ses projets, à l’avenir. Tout cela ponctuait les longues balades avec Tobey sous le métronome de ses pas réguliers. Que voulait-elle pour sa vie ? C’était avec cette quête que Kelly était partie, et elle était rentrée avec des éléments de réponse. Un confiance nouvelle, un regard éclairé, des perspectives insoupçonnées ; dans l’aventure, elle avait bel et bien trouvé une partie de ce qu’elle cherchait, et peut-être plus encore que ce qu’elle s’était imaginé. Un peu plus certaine de ce qu’elle valait, elle comptait se donner les moyens d’accomplir ses objectifs plutôt que de continuer à se laisser porter par le courant. Elle comptait se forger elle-même et poursuivre sur cette voie que ses péripéties au sein de l’émission avaient ouvertes. Elle irait à tâtons s’il le fallait, petit pas par petit pas. Mais il n’était plus question pour l’australienne de se poser en victime amère d’un destin tragique. Elle était aventureuse, maintenant elle le savait. Elle était solide, elle avait du courage. Elle voyait tout cela désormais, lorsqu’elle se regardait dans le miroir. Elle était tellement plus que ce qu’elle avait donné à voir depuis tout ce temps ; non, Kelly n’était pas une erreur de casting.
La brune ajusta le col bardeau de sa robe fleurie et, après réflexion, défit le chignon dans lequel elle avait piégé ses cheveux encore imprégnés du soleil, du grand air. En bas des escaliers, elle caressa Tobey entre ses longues oreilles pendantes puis fila d’un pas léger vers la cuisine où elle récupéra quelques affaires avant de quitter la maison comme un courant d’air. En quelques enjambées guillerettes, Lee était devant la porte d’Hassan, le sourire aux lèvres. Son index appuya sur la sonnette et la réponse des chiens fut immédiate. A chaque visite, elle se demandait si elle allait découvrir que son voisin avait finalement ajouté un canidé à la meute qui aboyait joyeusement sous son toit. Il apparut, comme prévu, charmant comme à chaque fois. “Je crois qu’on a des choses à fêter, Monsieur le Doyen.” fit-elle en appuyant tout particulièrement la mention du (futur) nouveau poste d’Hassan à l’université. Depuis qu’il lui avait confié qu’il acceptait la proposition de l’établissement de remplacer son collègue à la rentrée prochaine, Kelly avait souhaité marquer le coup. La voici donc avec deux flûtes de champagne dans une main, et une bouteille dans l’autre qu’elle présenta à son voisin avec tout le soin qu’elle mettrait à proposer un grand cru à un client de l’Emporium. “J’ai sorti ma meilleure bouteille de jus de pomme pétillant juste pour toi. C’est un grand cru Woolworth 2020, à première vue.” Un outrage au dessein premier de ses verres, donc, mais Lee les trouvait appropriés malgré tout. C’était le faux champagne qui pouvait s’estimer heureux de son sort en revanche. Une boisson d’enfants dans des verres de grands. “Rien que le meilleur pour mon voisin préféré, tu vois.” plaisantait-elle avec un petit rire. Bien sûr, si Hassan était un consommateur d’alcool, le choix de la sommelière se serait porté sur quelque chose de bien plus prestigieux. Elle avait cette bouteille de Nuits Saint-Georges 1er cru qui coûtait aisément l’équivalent d’un salaire et qu’elle gardait dans sa cave personnelle qu’elle aurait volontiers ouverte pour célébrer la promotion du professeur. Ou plutôt, Monsieur le Doyen.
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| | | | (#)Mer 18 Nov 2020 - 5:31 | |
| Ce qui n’était à l’origine qu’une boutade destinée à détendre Kelly et lui arracher un sourire pour canaliser son stress s’était, contre toute attente, révélé plus vrai qu’Hassan ne l’avait envisagé. La maison voisine vide et inhabitée, le quartier lui était soudainement apparu un peu terne sans que sa propre morosité n’en fasse une explication suffisante, et ce qui n’était pourtant que des détails d’ordinaire sans importance formaient par leur absence un tout dont le brun ne s’était encore jamais inquiété. Alors sans doute la jeune femme faisait-elle partie de son paysage, au fond, celui qu’il avait apprivoisé et auquel il s’était habitué au point de lui trouver quelque chose de rassurant, et lorsqu’enfin elle avait été de retour revoir un rayon de lumière s’échapper de l’une des fenêtres de l’étage lorsqu’il était rentré d’une balade tardive avec ses deux chiens l’avait convaincu que oui, le coin perdait bien un peu de son charme lorsque la candeur de Kelly n’y flottait pas. Si ces six semaines à veiller sur le Beagle de la jeune femme l’avaient par ailleurs persuadé de se contenter – pour l’instant – de ses deux animaux, les instincts de chien de chasse de Tobey ayant un peu fatigué les ardeurs d’un Bandit déjà vieillissant, elles avaient surtout attisé la curiosité d’Hassan quant à l’issue de la course dans laquelle la sommelière s’était engagée. Et s’il lui avait fallu attendre la diffusion de tous les épisodes de l’émission pour enfin obtenir le fin mot de l’histoire, sur lequel elle n’avait bien évidemment pas pipé mot, il n’avait pas eu besoin d’attendre de la savoir gagnante pour lui trouver une aura différente depuis le jour où elle était rentrée : au placard la jeune femme nerveuse et craignant de se ridiculiser qui avait quitté sa maison mi-juin, celle qui était revenue récupérer son animal au début du mois d’août arborait un bronzage témoignant de longues journées passées au soleil, et surtout une confiance en elle qui faisait plaisir à voir et n’était définitivement pas aussi présente à son départ. Si Hassan avait bien entendu félicité la brune après la diffusion du dernier volet de la course, lequel s’était terminée sur leur victoire conjointe à elle et à un Loan qu’il n’aurait pas imaginé revoir un jour dans un autre rôle que celui de l’ancienne flamme de Sohan, il s’était promis de l’inviter à dîner un soir lorsque la période des examens de fin d’année serait derrière lui, afin de célébrer cela un peu plus dignement. Comme chaque année une fois le printemps engagé, la fin des partiels devenait sa deadline pour absolument tout, des gens à qui il prévoyait de demander des nouvelles à son cycle de sommeil qu’il se promettait de remettre en ordre, en passant par la tapisserie de la chambre d’amis qu’il désirait changer, et dont sous le jaune coquille d’œuf choisi par les anciens propriétaires il s’attendait déjà à retrouver le vert datant de l’époque où la pièce avait été la chambre de Qasim. C’était d’ailleurs son frère qui s’agitait sur l’écran de son téléphone ce soir-là, posé contre le pot à farine du plan de travail tandis qu’Hassan terminait de découper la mangue et le melon destinés à garnir sa salade de fruits. Bonne enfant, la conversation en était aux bougonnements du père questionnant « Sérieux, quel enfant décide sciemment qu’il veut être un haricot vert pour Halloween ? » tandis que son frère rétorquait « Le tien, visiblement. » d’un ton railleur lorsque la sonnette de l’entrée les avait interrompus. Le brun n’attendait personne, aussi après avoir rapidement coupé court à la conversation et rappelé à son aîné de le tenir au courant pour les cadeaux de Noël des enfants, il avait passé ses mains sous l’eau et attrapé un torchon tandis que Spike s’égosillait – comme toujours – devant l’entrée prêt à festoyer n’importe quel visiteur pourvu qu’il ne s’agisse pas du facteur. Et point de facteur une fois la porte ouverte, mais le sourire enthousiaste d’une Kelly à la robe fleurie le gratifiant d’un « Je crois qu’on a des choses à fêter, Monsieur le Doyen. » tout en montrant les deux verres et la bouteille qu’elle avait amené avec elle. « Vous m’en direz tant, Madame la vedette de télévision. » S’armant du même ton et d’un sourire équivalent, il s’était décalé pour la laisser rentrer, houspillant gentiment après l’enthousiasme de ses chiens tandis qu’elle reprenait « J’ai sorti ma meilleure bouteille de jus de pomme pétillant juste pour toi. C’est un grand cru Woolworth 2020, à première vue. Rien que le meilleur pour mon voisin préféré, tu vois. » La remarque lui avait arraché un brin de rire qui avait fait écho à celui de la jeune femme, et refermant derrière eux il l’avait laissée rejoindre le salon et désigné le canapé. « Je vois que j’ai affaire à une connaisseuse. » Récupérant la bouteille pour l’ouvrir et faisant mine d’en étudier l’étiquette tandis qu’elle s’installait et déposait les verres sur la table basse, il avait rajouté « Et je parle de tes goûts en matière de voisins, évidemment. » avec candeur et fait sauter le bouchon, remplissant les flûtes juste à temps pour empêcher la mousse de déborder. « Oh attends, je sais ce qu’il manque. » Reposant la bouteille, il avait disparu dans la cuisine pour en revenir quelques instants plus tard avec une coupelle qu’il avait remplis de cacahuètes. « Voilà, là on est bons. » Et enfin il avait pu s’installer sur le canapé à son tour et se saisir du second verre, le regard et l’attention revenant à Kelly « À ta victoire et à ma nouvelle casquette ? » Laquelle lui amènerait probablement quelques cheveux blancs, mais ça il préférait l’ignorer.
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| | | | (#)Sam 5 Déc 2020 - 22:10 | |
| | | ► THE KEY TO LIFE ON EARTH
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Une victoire, une promotion ; les deux voisins semblaient voir la vie leur sourire, et si Kelly était la première à inventer des occasions de fêter les petites choses bien volontiers, le destin lui avait servi sur un plateau d’argent cette opportunité de partager un moment privilégié avec Hassan. Peu de personnes pouvaient se vanter de l’intimider autant que lui. Lee avait le contact facile, une sociabilité naturelle et si fluide qu’elle paraissait dans son élément en toute situation, dans n’importe quel entourage. C’était ironiquement face à cette personne simple, gentille, drôle et charmante qu’était son voisin que la jeune femme avait rencontré les plus grandes difficultés à trouver le courage d’approcher, de parler, de s’ouvrir, et surtout, d’être elle-même. Le masque tombait en un claquement de doigts, elle en était désarmée bien malgré elle, et une crainte l’envahissait alors à chaque fois ; et s’il ne l’appréçiait pas telle qu’elle était ? Et s’il n’attendait d’elle qu’elle se cantonne à son drôle de bonne voisine ? Un bonjour ici, un signe de la main par là, quelques mots à propos des chiens, des banalités, de la vie. Elle s’était laissée dévorer par la sensation d’être transparente tout ce temps. Mais après avoir passé un peu de temps dans la lumière grâce à l’émission, après s’être prouvée à elle-même et promis de se donner une nouvelle chance d’arracher son bonheur au destin, maintenant qu’elle pouvait lui donner matière à voir, Hassan la verrait-il ? Cela lui avait demandé moins de courage qu’elle ne l’aurait pensé, de se présenter à sa porte ce soir-là, à l’improviste. Lee ne se souciait même pas de le déranger. Et une fois la porte ouverte, ce fond de nervosité qui lui avait toujours plombé l’estomac demeura endormi. Son grand sourire demeura vrai, et elle se sentit légère, flottante sur ses longues jambes, tandis que Hassan le lui renvoyait avec la même candeur. « Vous m’en direz tant, Madame la vedette de télévision. - Ah non, elle le reprit immédiatement, l’index en l’air. C’est Mademoiselle la vedette de télévision, je te prie.» Si divorcer avait un seul avantage, ce fut celui de virtuellement perdre dix ans de son âge en passant du formel Madame au pimpant Mademoiselle. Kelly avait aimé chaque instant où on la nommait Madame Taylor, estimant que cela la rendait respectable et plus élevée dans les rangs de la société. Elle avait désormais appris à aimer le retour d’un statut moins solennel. Et elle se permettait d’apprécier son statut de gagnante de télé-réalité autant de temps que cela voulait bien durer sans fausse modestie aucune.
Bouteille en main, la brune pénétra dans la maison sur l’invitation tacite d’Hassan qui lui faisait le plaisir d’accepter sa compagnie. La touche d’humour fit mouche, et l’intention aussi. « Je vois que j’ai affaire à une connaisseuse. Et je parle de tes goûts en matière de voisins, évidemment. » Tandis qu’il s’affairait à inspecter la bouteille, l’ouvrir et les servir, Kelly l’observait avec un sourire infaillible et s’installa sur le canapé. "Ça se jouait entre toi et M. Monaghan au 38, mais ses rhododendrons ont vraiment une sale mine cette année.” fit-elle, jouant de second degré vis-à-vis de l’image qu’elle pouvait rendre -celle pour qui pareil critère serait bel et bien décisif dans son choix du vainqueur du titre de voisin de l’année (qu’elle s'attribuerait volontiers à elle-même, mais puisqu’il fallait absolument partager la couronne, soit). Furtivement, Hassan disparut du salon un instant pour mieux réapparaître avec des grignotages. « Voilà, là on est bons. » Parfaits, ajoutait-elle intérieurement. C’était parfait. « À ta victoire et à ma nouvelle casquette ? » Lee acquiesça et fit tinter son verre contre la flûte d’Hassan. Elle porta le jus pétillant à ses lèvres, et alors qu’elle clignait des yeux, le noir complet s’installa de manière permanente et impromptue. "Oh mince." Délicatement, Kelly déposa sa flûte sur la table basse. Son regard glissait sur l’espace autour d’eux, désormais plongé dans les tons de gris et de bleu du soir naissant. Spike et Bandit ne se formalisaient pas du changement soudain de luminosité. Lee, elle, avait laissé sa peur du noir au placard depuis bien longtemps, et même les tragédies du blackout quelques années auparavant n’avaient pas éveillé d’angoisses. Sans plus attendre, elle se rendit à la fenêtre la plus proche et observa les autres maisons du quartier ainsi que les lampadaires le long du trottoir. Aucune lueur ne se détachait du paysage et quelques visages hagards, comme le sien, se dessinaient aux fenêtres. “J’ai l’impression que toute la rue est touchée par la panne.” Impossible de savoir ce qui avait causé cela en revanche, et donc, le temps que cet incident durerait. Dans un soupir, Kelly croisa les bras, et prête à faire de mauvaise fortune bon coeur, elle se tourna vers Hassan ; “Tu as des bougies ?”
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| | | | (#)Jeu 7 Jan 2021 - 7:10 | |
| Certains grinçaient un peu des dents lorsque l’on décidait de s’inviter à l’improviste dans leur espace vital, chez eux ou ailleurs. Pour Hassan c’était tout le contraire, la solitude ne lui allait tout simplement pas au teint et sa maison ne lui semblait jamais aussi agréable que lorsqu’y résonnaient d’autres voix que la sienne. Si la présence sur le seuil de sa porte de sa charmante voisine le prenait donc un peu au dépourvu, elle était loin de lui déplaire et son enthousiasme n’avait rien de feint lorsqu’il s’était décalé pour les laisser entrer elle et sa bouteille de pétillant. Elle avait dans la voix quelque chose de léger, cette légèreté qui semblait s’être étiolée avant qu’elle ne s’embarque dans son épopée télévisuelle et qui ne s’était pas essoufflée depuis son retour. La gratifiant d’une plaisanterie tout en faisant sauter le bouchon de la bouteille, il avait rempli leurs verres à mesure qu’elle rétorquait « Ça se jouait entre toi et M. Monaghan au 38, mais ses rhododendrons ont vraiment une sale mine cette année. » sur le même ton et s’était fendu d’un léger rire avant de répondre « Ouch, là tu es dure. » Pour lui, pour les rhododendrons ou encore pour l’occupant du numéro trente-huit de leur rue, ça il lui laissait le loisir de décider. Disparaissant un court instant à la cuisine pour ramener de quoi grignoter et accompagner leur boisson, il était revenu en souriant et avait levé son verre pour trinquer avec Kelly d’un ton léger. Mais au fil du temps les imprévus et les déconvenues semblaient être devenus la marque de fabrique de leur relation, et sans crier gare la lumière du salon s’était éteinte quelques secondes après le tintement de leurs verres. « Oh mince. » – « Décidément. » Reposant sa flûte sur la table basse en faisant la moue, il s’était levé en même temps que Kelly et avait enclenché le flash de son téléphone pour leur éclairer un peu. Dehors les lampadaires de la rue semblaient avoir rendu les armes eux aussi, et constatant qu’ils n’étaient pas plus éclairés dans les maisons alentours Kelly avait commenté « J’ai l’impression que toute la rue est touchée par la panne. » Dans ce cas, il n’y avait pas beaucoup d’autres options que cette d’attendre. « Tu as des bougies ? » Bonne question. « J’en ai une dans mon bureau. Et peut-être d’autres au garage, je reviens. » Veillant à ne pas écraser la patte ou la queue de l’un de ses colocataires à quatre pattes, il avait fait un bref passage par son bureau pour y récupérer la bougie à l’ambre dont il avait l’impression de ne pas voir le bout malgré qu’elle ait brûlé pendant une grande partie de ses corrections de partiels, puis regagné l’entrée pour passer la porte qui communiquait avec le garage. « Tu remarqueras quand même, – laissant sa phrase en suspend tandis qu’il cherchait sur les étagères, il avait repris – que chaque fois qu’on passe du temps ensemble, c’est comme si l’univers s’arrangeait pour nous balancer une tuile. » La pluie, les rencards inintéressants, et même les excréments d’animaux … et maintenant cela. « J’espère que tu n’es pas supersti- … » cieuse. Sans qu’il ne l’ait remarquée, Kelly l’avait rejoint au garage et il avait manqué lui marcher dessus en faisant volte-face après avoir mis la main sur la bougie qu’il utilisait habituellement pour faire fuir les moustiques lorsqu’il dînait dehors. La bousculant un peu au passage, il l’avait machinalement attrapée à la taille pour l’empêcher de perdre l’équilibre. « Pardon, je t’avais pas entendue arriver. » Dans la pénombre, le moment de flottement qui s’en était suivi avait semblé durer une éternité, puis s’éclaircissant la gorge Hassan avait agité l’une des deux bougies « C’est bon, j’ai trouvé de quoi nous éclairer. Je parie que tu ne t’attendais pas à trinquer aux chandelles. » Excepté qu’ils avaient déjà trinqué et qu’il ne s’agissait pas de chandelles … Mais elle voyait probablement où il voulait en venir. Parce qu’elle n’avait toujours pas bougé lui non plus, et de longues secondes supplémentaires lui avaient été nécessaires pour réaliser qu’il la tenait toujours par la taille, donnant lieu à un « Oh, désolé. » un brin embarrassé et un vague éclaircissement de gorge avant qu’il ne libère enfin.
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| | | | (#)Sam 16 Jan 2021 - 18:42 | |
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Ce n’était pas forcément ce que l’on avait spontanément en tête lorsque l’on songeait au coup de la panne, mais cette version était à la fois plus originale et moins embarrassante, songeait Kelly intérieurement. Lorsque Hassan s’empressa d’aller chercher de quoi les éclairer, la perspective de poursuivre la soirée à la lueur des bougies enchantait la sommelière. Elle voyait cela comme un signe, une aubaine ; dans ces conditions, dans une ambiance pareille, peut-être qu’un peu de magie opérera. Du moins l’espérait-elle, presque si fort qu’elle craignait qu’on puisse entendre ses pensées à travers ses yeux. Sagement, elle effectua quelques pas dans le salon, observant les bibelots ici et là. Les chiens, impassibles, ne laissaient pas la panne gêner le cours de leur trente-deuxième sieste de la journée. Au loin, Lee devinait la voix de son voisin qui fouillait les étagères en quête de bougies. « Tu remarqueras quand même que chaque fois qu’on passe du temps ensemble, c’est comme si l’univers s’arrangeait pour nous balancer une tuile. » Etait-ce pour les éloigner, leur signaler de fuir, que rien de bon ne pouvait se produire au contact l’un de l’autre ? Après tout, Kelly avait le don de se faire des idées. Peut-être que les signes qu’elle devinait en sa faveur ne cherchaient qu’à la tenir éloignée d’Hassan. Suivant le son de la voix de celui-ci, elle laissa ses pas graciles la mener jusqu’à la porte entrouverte du garage. « J’espère que tu n’es pas supersti- … » Elle lâcha un cri étranglé par la surprise tandis que le brun lui faisait soudainement face, manquant de la bousculer pendant qu’elle sursautait à dix centimètres du sol. L’une de ses mains se plaqua immédiatement sur son coeur qui venait de rater un battement. Son pied manqua l'atterrissage, et plutôt que de glisser et s’étaler sur le sol, l’australienne sentit une poigne la retenir par la taille. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, Kelly se trouva nez à nez avec le brun. Plus aucune trace de souffle ne traversait ses lèvres. Seul le tambourinement dans sa poitrine confirmait que le temps ne s’était pas interrompu soudainement. Au bout de longues secondes, elle déglutit. « Pardon, je t’avais pas entendue arriver. » Crispée au fond de la moindre fibre de ses muscles, Lee n’osait plus bouger. Ses lèvres se mouvaient vaguement dans ce qui ressemblait à des excuses, mais ses bredouillements ne faisaient guère de sens. Ses yeux ronds comme des billes détaillaient le visage d’Hassan sous toutes les coutures et n’accordaient aucune attention aux bougies qu’il lui montrait fièrement. Ce qu’il disait ? Pas la moindre idée. Tout ce qu’elle parvenait à penser était qu’il lui paraissait surnaturel que quelqu’un puisse demeurer aussi charmant sous aussi peu de lumière tout en gardant des réflexes aussi prévenants. Elle devinait la chaleur de sa main se diffuser à travers le tissu de sa robe, puis, à contrecœur, s’en retirer. « Oh, désolé. » Lee s’éclaircit la gorge une nouvelle fois et passa ses doigts dans ses cheveux. Un rire nerveux lui échappa. “Ne le sois pas.” soupira-t-elle. Surtout pas. L’unique regret de la jeune femme fut de s’être figée dans une moue de merlan frit option double-menton plutôt que de sauter sur l’occasion de se lancer dans quelque chose de bien plus romantique comme les héroïnes de ses séries télévisées l’auraient fait. Et comme si elle ne s’était pas assez ridiculisée sur le moment, Lee trouva nécessaire de justifier ; “Tu imagines, j’aurais pu tomber sur la tête, m’ouvrir le crâne, nous aurions fini aux urgences et ça... ça c’est ce que j’appellerais une tuile, hein ?” Pourquoi diable manquait-elle chaque opportunité de se taire ?
D’un geste vif, Kelly soulagea Hassan des bougies -ou plutôt, les lui arracha des mains avec la nervosité d’un pivert. “Chandelles senteur citronnelle alors, fit-elle afin de changer de sujet aussi rapidement que possible et reprendre le cours de la soirée comme si de rien n’était. Voilà qui bat définitivement Monaghan pour le titre de voisin préféré. Si on oublie la tentative de meurtre.” Aka la petite bousculade de rien du tout dont Hassan l’avait lui-même sauvée. Elle souligna la plaisanterie d’un clin d’oeil complice puis ouvrit la marche jusqu’au salon. Son voisin se chargea d’allumer les bougies une fois installées sur la table basse et une fois encore, Lee sentit son palpitant fondre face à l’effet de la lumière chaude sur les traits du brun. Machinalement, en reprenant sa coupe, elle tendit celle-ci comme pour recommencer leur apéritif à zéro en trinquant de nouveau. Mais à mi-chemin, elle se ravisa avec un rictus amusé. “Mauvaise idée. Après la panne, on pourrait provoquer un tremblement de terre.” La sommelière se contenta donc de reprendre une gorgée de jus pétillant, ce qui eut le don de lui rappeler quelques fêtes de baptême au cours de sa pieuse enfance -l’une des uniques célébrations autorisées par sa congrégation. “Alors, sur une échelle de 1 à 10, à quel point être “doyen” te donne l’impression d’avoir dix ans de plus ? elle interrogea avec malice. Sachant que 11 est une réponse valable.”
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| | | | (#)Mer 17 Fév 2021 - 20:44 | |
| Hassan avait cette terrible impression de n’être jamais aussi maladroit qu’en présence de sa jolie voisine. Un fait monter en épingle qui n’avait probablement de réel que son imagination et sa superstition, mais dont la récurrence lui aurait parfois donné envie de se frapper la main contre le front – de lassitude. Quelles étaient donc les chances, maintenant que le simple fait d'avoir trinqué avait provoqué un court-circuit et qu’il venait ni plus ni moins de manquer lui écraser le pied et la faire tomber à la renverse, que Kelly le laisse encore l’approcher à plus de cinq mètres ? Elle pourrait tout aussi bien prétendre avoir trop peur que la foudre ne leur tombe dessus à leur prochaine entrevue qu’il n’aurait pas le cœur à tenter de lui donner tort … Après tout, lui l’était un peu, superstitieux. Sa tentative d'humour tombée à plat, il s’était empressé de bafouiller une excuse devant la main restée trop longtemps agrippée à la taille de la jeune femme, et l’avait aussitôt retirée malgré le « Ne le sois pas. » jeté en même temps qu’un rire léger. « Tu imagines, j’aurais pu tomber sur la tête, m’ouvrir le crâne, nous aurions fini aux urgences et ça ... ça c’est ce que j’appellerais une tuile, hein ? » Y'avait-il un réel intérêt à ce que l’esprit d'Hassan le gratifie, l’espace d’un instant, de l’image mentale du crâne à moitié ouvert de Kelly pour illustrer le propos de cette dernière ? Sans doute pas, mais le laissant néanmoins bouché bée le temps d’une seconde de flottement aux allures d’éternité, l’affaire avait obligé Kelly à reprendre les rennes et à se saisir – vigoureusement – des bougies les ayant amenés dans ce coin du garage bien moins accueillant que le canapé sur lequel ils discutaient quelques minutes plus tôt. « Chandelles senteur citronnelle alors. Voilà qui bat définitivement Monaghan pour le titre de voisin préféré. Si on oublie la tentative de meurtre. » Ses moyens réapparus en même temps que son sens de l’humour, l’enseignant s’était fendu d’un léger rire puis avait secoué la tête. « Jusqu’à quel point tu es prête à faire semblant de me croire si je prétends que c’était mon plan depuis le début ? » Alors qu’il aurait suffi qu’il l’invite à comparer les rhododendrons de son rival avec ses magnifiques glycines pour remporter le duel haut la main, duh. Laissant la jeune femme ouvrir la marche jusqu’au salon, il avait récupéré son briquet abandonné dans le vide-poches de l’entrée et allumé la mèche des deux bougies sur la table … Restait plus qu’à espérer que l'ambre et la citronnelle ne créeraient pas un mélange olfactif trop désagréable. Pas dérangés pour deux ronds, Spike et Bandit avaient à peine bougé une oreille tandis que les bipèdes de l’assemblée se rasseyaient, mais alors qu’elle s’apprêtait à tendre son verre pour trinquer de nouveau Kelly s’était interrompue : « Mauvaise idée. Après la panne, on pourrait provoquer un tremblement de terre. » Fair enough. S’en tenant donc au fait de – enfin – tremper ses lèvres dans son verre, Hassan avait presque été surpris de retrouver le goût d’une boisson qu’il n’avait pas bu depuis … « Je ne saurais même plus dire à quand remonte la dernière fois que j’ai bu de ça. Je devais même pas encore avoir la permission de dix heures du soir. » Et que dire de celle de minuit. Sourire amusé à l’appui, il avait attrapé une cacahuète et machinalement jeté un regard par la fenêtre – mais toujours aucune lumière à l’horizon. « Alors, le regard et l‘intérêt revenant entièrement à Kelly, il détaillait du regard les ombres chinoises que faisaient danser les flammes des bougies sur sa joue tandis qu’elle poursuivait sur une échelle de 1 à 10, à quel point être “doyen” te donne l’impression d’avoir dix ans de plus ? Sachant que 11 est une réponse valable. » La question à elle seule méritait bien une nouvelle gorgée de jus de pomme amélioré, après quoi le concerné avait argué « Hmm, si on tient compte du fait que si je me rasais je ferais dix ans de moins, je dois pouvoir m’en sortir sans trop de casse et équilibrer la balance … C’est notre superpouvoir à nous les barbus. » Il plaisantait, et en même temps pas tant que ça. Comme lorsqu’il avait ajouté « Et puis il fallait au moins cette corde supplémentaire à mon arc pour pouvoir continuer de rivaliser avec la horde de nouveaux admirateurs de ma voisine. Brune, assez grande, jolie, tu l’as certainement vue à la télévision. » en somme, avec en prime un sourire amusé tandis qu’il s’autorisait une gorgée supplémentaire. « Alors il parait que tu prévoies d’ouvrir ta propre boutique ? Tu y pensais déjà avant ou bien c’est ton périple au grand air qui t’a donné l’inspiration pour te lancer ? » Cette information-là il la tenait justement de ses propos tenus à la télévision, à voir s’ils étaient véridiques ou non … Mais il n’y avait pas vraiment de raison pour qu’elle ait affirmé cela sans le penser après tout.
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| | | | (#)Sam 20 Fév 2021 - 17:28 | |
| | | ► THE KEY TO LIFE ON EARTH
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Tout sursaut d’adrénaline désormais calmé, le salon plongé dans l’obscurité unique percé des lueurs dansantes des bougies conférait une atmosphère toute particulière à la demeure d’Hassan. Une ambiance que Kelly appréciait fortement, au point d’espérer que le courant ne soit pas rétabli avant plusieurs heures. Le romantisme maladif dont elle était capable ne lui voulait pas la face cependant ; cela n’avait rien d’un rendez-vous aux chandelles. Et faute de savoir si son voisin lui en accorderait un un jour, elle se réjouissait d’avoir droit à pareil moment intimiste à ses côtés. En revanche, impossible d’empêcher son regard d’observer le brun à outrance, même par-dessus son verre à chaque fois qu’elle prenait une fine gorgée de jus pétillant. « Je ne saurais même plus dire à quand remonte la dernière fois que j’ai bu de ça. Je devais même pas encore avoir la permission de dix heures du soir. » confiait-il, la faisant doucement rire. “Tu fêtes toutes tes grandes occasions à la tisane alors ?” elle rétorqua, se moquant gentiment. Elle ne voyait pas le même intérêt à célébrer quoi que ce soit en trinquant au jus ou au soda. Un pétillant ou un bon vin avait cela de festif qu’il était exceptionnel, occasionnel, comme un anniversaire ou une promotion. Cependant, Lee avait connu des restrictions bien plus incohérentes qu’une simple abstention à l’alcool pendant une grande majorité de sa vie, son point de vue était donc, comme toujours, dénué de tout jugement.
La brune revint sans plus de détour au sujet de leur célébration. Elle ne doutait pas un instant que Hassan méritait le poste de doyen qui lui avait été attribué et qu’il ferait un excellent travail ; elle ne pouvait l’imaginer être autre chose dans sa vie professionnelle que ce qu’elle connaissait de lui en privé. Attentif, prévoyant, bienveillant, il réunissait à coup sûr toutes les qualités d’un bon professeur. Et puis, s’il passait si bien à la télévision, il devait forcément avoir le même charisme devant un amphithéâtre. « Hmm, si on tient compte du fait que si je me rasais je ferais dix ans de moins, je dois pouvoir m’en sortir sans trop de casse et équilibrer la balance … C’est notre superpouvoir à nous les barbus. » Les rageux diraient triche. Les yeux de Kelly se plissèrent ; fouillant dans sa mémoire, elle tentait de se figurer à quoi ressemblerait Hassan aujourd’hui sans cette barbe qui était l’une des signatures de sa silhouette. Elle ne parvenait pas à se l’imaginer. “Je crois que je ne t’ai pas vu rasé depuis… Probablement l’université.” Auquel cas, il était probable qu'un changement aussi radical aurait été imprimé dans sa mémoire à jamais. Sa curiosité était piquée désormais. Elle s’imaginait coller un chewing-gum dans la barbe du brun afin de le forcer à se raser, juste pour en faire l’expérience. Bien sûr, elle n’oserait jamais. « Et puis il fallait au moins cette corde supplémentaire à mon arc pour pouvoir continuer de rivaliser avec la horde de nouveaux admirateurs de ma voisine. Brune, assez grande, jolie, tu l’as certainement vue à la télévision. - Qui d’autre est passé à la télévision ? » L’ampleur de l’élan de naïveté dont Lee fit preuve n’avait d’égal que la spontanéité avec laquelle la question avait traversé ses lèvres, les yeux ronds comme des billes. Une belle grande brune. Colleen ? Elle vivait dans le quartier, avait-elle découvert. Avait-elle tapé dans l'œil d’Hassan ? Rien d’étonnant à cela, la qualifier de belle était un euphémisme. L’australienne se pinça les lèvres. Oh, voilà toutes ses chances qui se noyaient au fond de son verre.
« Alors il paraît que tu prévoies d’ouvrir ta propre boutique ? reprit Hassan, ce qui la força à lever les yeux à nouveau. Tu y pensais déjà avant ou bien c’est ton périple au grand air qui t’a donné l’inspiration pour te lancer ? » Lee esquissa un sourire ; le brun avait regardé l’émission avec assez d’attention pour retenir ce détail. Elle l’avait mentionné assez tôt dans l’aventure sans songer une seule seconde qu’elle irait jusqu’au bout. Avec les gains dormant confortablement sur son compte en banque, cette idée était bien plus concrète, et pourtant elle n’avait pas avancé d’un iota. “J’y songeais depuis quelque temps. C’était une sorte de plan à très long terme… Le genre qu’on finit par laisser de côté et prendre la poussière.” Ancrée dans ses habitudes, apeurée par le moindre changement dans son quotidien, Kelly se contentait souvent de rêvasser sans oser se lancer. Elle aimait ce qui était simple et confortable. Monter une entreprise n’était ni l’un, ni l’autre. “Mais l’émission m’a fait réaliser que je peux faire pas mal de choses si je m’en donne les moyens, reprit-elle avec un petit rire, quelque peu ironique. Et quand on me suit partout avec une caméra pour étaler mes potentiels échecs aux yeux de tout le pays, ça aussi.” Le regard des autres, sa némésis. Plus d’une fois s’était-elle poussée à se surpasser afin de ne pas être la risée de ses voisins ou de ses collègues. C’était aussi ce qui était capable de la statufier en un instant. Ca, et les démarches administratives. “La perspective d’être mon propre patron… me terrorise. Je n’arrive pas à me lancer dans toute cette paperasse. Mais avoir ma propre cave me permettrait de passer plus de temps avec les clients, de vraiment parler avec eux, ce que le rythme de l’Emporium ne me permet pas.” L’hôtel avec ses quatre restaurants qui brassaient des centaines de clients par jour. Kelly était reconnaissante à Clarence de lui avoir permis de décrocher ce travail et elle s’y plaisait, quoi qu’elle en dise. Pourtant, si elle s’interrogeait sur son avenir professionnel, elle ne se voyait pas poursuivre dans l’établissement jusqu’à peut-être succéder à son ami. Cette perspective ne lui laissait qu’une vaste sensation d’ennui. Cela n’était toujours pas suffisant pour qu’elle se lance dans cette nouvelle aventure qu’était l’entreprenariat. A s’étaler de la sorte, Lee eut l’impression d’avoir aspiré tout l’air de la pièce. Elle prit une pause en portant son verre à ses lèvres. Non, cela ne valait pas un champagne, mais les bulles faisaient illusion de leur mieux.
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| | | | (#)Dim 21 Fév 2021 - 22:08 | |
| S’il y avait bien un sujet sur lequel Hassan lui-même ne pouvait pas nier sa propre superficialité c’était cette chevelure qu’il soignait et entretenait avec autant d’attention que celle qu’il accordait à ses plantes. Et parce qu’elle était faite du même bois – ou plutôt du même poil – sa barbe bénéficiait elle aussi de la même attention. Elle était devenue, au fil des années, tellement indissociable de ce qu’il était que s’en débarrasser n’était simplement plus une option et que les quelques mois de maladie durant lesquels il en avait été dépourvu – de ça comme d’un tas d’autres choses – lui avait donné l’impression d’être privé d’une partie de lui-même. Alors si Kelly semblait avoir besoin de fouiller sa mémoire à la recherche d’un souvenir de lui la joue lisse comme une fesse de bébé, rien d’étonnant à ce qu’elle ne trouve rien, ou as grand-chose … Pour une fois cela n’avait même rien à voir avec le fait qu’ils ne s’étaient pas côtoyés durant presque une décennie et demie. « Je crois que je ne t’ai pas vu rasé depuis … Probablement l’université. » – « Probablement parce que ce n’est jamais arrivé de mon plein gré depuis. » Et tout aussi probablement parce qu’à l’époque non plus cela n’avait pas dû être de son plein gré … Pari perdu, défi stupide, lubie regrettée aussitôt assouvie, éventuellement. Les bulles de sa boisson lui chatouillant les narines, il observait par-dessus son verre le profil de Kelly et s’était fendu d’une plaisanterie qu’il pensait flagrante avant de réaliser que le « Qui d’autre est passé à la télévision ? » de la jeune femme était on ne peut plus sérieux. Un peu déstabilisé par cette dose de premier degré, qui n’était d’ailleurs pas sans lui rappeler Joanne, il avait laissé échapper un éclat de rire un peu par réflexe et admis « Je parlais de toi. » ses lèvres se pinçant l’une contre l’autre avec hésitation. Secouant finalement la tête, il avait fait mine de chasser la conversation d’un geste de la main et conclu d’un « Mais c’était peut-être un peu trop cavalier de ma part, excuse-moi. » plus sérieux, piochant une cacahuète ou deux pour se donner une contenance et s’autorisant une gorgée supplémentaire de boisson, juste le temps de ranger la perche tendue sans être saisie. Pour autant pas du genre à se laisser abattre pour si peu, le brun avait simplement fait glissé la conversation vers un autre sujet et profité qu’ils en soient à mentionner leurs évolutions professionnelles pour mettre sur le tapis celle – hypothétique – dont Kelly avait fait état devant la caméra de Race of Australia. « J’y songeais depuis quelque temps. C’était une sorte de plan à très long terme … Le genre qu’on finit par laisser de côté et prendre la poussière. » Le fameux. « Mais l’émission m’a fait réaliser que je peux faire pas mal de choses si je m’en donne les moyens. Et quand on me suit partout avec une caméra pour étaler mes potentiels échecs aux yeux de tout le pays, ça aussi. » Vainqueur alors même qu’elle se voyait de retour chez elle une semaine après son départ, et la jeune femme était toujours la moins convaincue par ses propres capacités. « La confiance en toi c’est pas ton point fort, uh ? » s’en était amusé Hassan avec légèreté, la laissant malgré tout reprendre le fil de ses pensées et en dire un peu plus sur les pours et les contres d’une telle entreprise personnelle. « La perspective d’être mon propre patron … me terrorise. Je n’arrive pas à me lancer dans toute cette paperasse. Mais avoir ma propre cave me permettrait de passer plus de temps avec les clients, de vraiment parler avec eux, ce que le rythme de l’Emporium ne me permet pas. » Pour quelqu’un d’aussi dépendant des relations humaines et que la solitude rendait littéralement malade, il semblait au professeur que la balance entre les hésitations et les aspirations de Kelly parlait d’elle-même : plus de place à l’humain était forcément une bonne chose. Mais il ne s’agissait là que de son avis et non pas d’une réflexion pertinente, aussi avait-il préféré s’en tenir à un « Tu as encore le temps d’y réfléchir, je suppose que le temps finira par te pointer l’une ou l’autre des directions … Je t’aurais bien aidé, mais je pense que tu ne seras pas surprise si je t’avoue que je n’ai absolument aucune idée de ce en quoi consiste ton boulot ? » aucun reproche là-dedans bien sûr, comme en témoignait la légèreté avec laquelle la remarque avait été faite. Il était expert en mutations de frontières politiques, elle était experte en grands crus, simple as that. « Mais pour ce que j’en dis … si ce n’était pas terrifiant le challenge n’en serait pas vraiment un. » Et le résultat n’en serait pas aussi gratifiant au bout du compte, mais sans doute était-ce son esprit de compétition qui s’exprimait. Haussant les épaules, il avait terminé son verre sans quitter Kelly des yeux.
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| | | | (#)Lun 22 Mar 2021 - 14:18 | |
| | | ► THE KEY TO LIFE ON EARTH
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Oh comme elle se sentit bête, lorsqu’elle ne comprit pas la référence à cette voisine que mentionnait Hassan. Les yeux écarquillés, le regard fuyant, Lee devina à la chaleur le rouge lui teinter les pommettes, et ses épaules s'affaissèrent tandis qu’elle lâchait un soupir nerveux. Les doigts se fermèrent autour de sa coupe de jus pétillant. Comme elle devait paraître idiote aux yeux du brun, naïve et sans jugeote. Et lui, toujours aussi prévenant et délicat, n’avait même pas le réflexe de se moquer d’elle. « ...c’était peut-être un peu trop cavalier de ma part, excuse-moi. » Elle secoua la tête vivement ; elle ne le laisserait pas se blâmer pour des compliments détournés qu’elle n’avait pas su intercepter. “Oh. Non, non. C’est juste que... je ne suis pas si grande que ça, hm ?” Un sourire en coin, l’australienne espérait que la pointe d’humour efface sa maladresse. Intérieurement, les battements d’ailes de papillons virevoltaient sur les échos des paroles d’Hassan. Il la trouvait jolie. Sa volonté de se démarquer de potentiels autres prétendants était-elle sincère ou une simple flatterie ? Forcément, Kelly optait pour la seconde option. Mais de sa part, elle chérissait le moindre compliment. L’avis de son voisin avait probablement bien trop d’importance à ses yeux -et certainement plus encore que ce terrible regard des autres sur lequel elle avait basé toute sa vie. Ravie qu’il s’intéresse à ses projets suite à son passage à la télévision, elle appréhendait tout autant son point de vue à propos de cette stagnation dans laquelle elle s’était embourbée elle-même depuis son retour du tournage. Ouvrir sa propre boutique était un rêve mais aussi une immense source d’angoisse. Saurait-elle gérer son business seule ? Et si elle essuyait un échec ? « La confiance en toi c’est pas ton point fort, uh ? » relevait-il. Pourtant Race of Australia avait eu bien des effets bénéfiques sur la trentenaire et parmi eux, un regain de cette confiance en elle qui s’était enterrée au sous-sol de son fort intérieur. Son divorce avec Chad puis les révélations à propos de sa véritable sexualité avaient éteint Lee pendant des mois, remis en question sa valeur et ses aspirations à un moment où elle essuyait déjà l’immense déception de ne jamais avoir d’enfants à elle. Bien qu’elle ne mentionnait jamais ses parents, elle souffrait encore de se heurter à une porte fermement close depuis qu’il leur avait été interdit de lui adresser le moindre mot, eux qui avaient toujours été si proches. Traverser le pays l’avait remise sur rails, mais cela n’avait pas balayé toutes ses interrogations ou restauré ses certitudes. Mais qui pouvait bien se douter de quoi que ce soit, de tout ceci, si elle refusait d’en partager le moindre aperçu ? « Tu as encore le temps d’y réfléchir, je suppose que le temps finira par te pointer l’une ou l’autre des directions … Je t’aurais bien aidé, mais je pense que tu ne seras pas surprise si je t’avoue que je n’ai absolument aucune idée de ce en quoi consiste ton boulot ? » Kelly se serait volontiers lancée dans un laïus à propos de son métier et aurait monopolisé la parole bien trop longtemps -le courant aurait eu le temps de revenir sans nul doute. Mais elle supposa que tout ceci ne devait pas vraiment intéresser quelqu’un ayant banni l’alcool de sa vie -et en dehors de l’étude du vin, le reste des tâches de Lee étaient avant tout commerciales, donc ennuyeuses. « Mais pour ce que j’en dis … si ce n’était pas terrifiant le challenge n’en serait pas vraiment un. » Elle acquiesça silencieusement et plongea son nez dans son verre. Elle n’était pas une femme de challenges, cependant elle avait découvert son tempérament aventureux malgré elle. L’australienne était sans aucun doute parfaitement capable de mener ce projet à bien. Encore fallait-il qu’elle se décide à sauter le pas.
Ce n’était pas ce soir-là que Kelly prendrait cette décision. Elle se laissa une note mentale d’appeler Loan le lendemain et d’enfin récupérer le numéro de téléphone de cet agent immobilier dont il lui avait parlé quelque temps auparavant, une personne qui saurait lui dénicher le local adéquat. Ce serait un premier pas dans la bonne direction. Non, l’une des principales intentions de la brune en débarquant chez Hassan à l’improviste était de forcer un peu le destin et lui proposer un date formel, chose à laquelle elle songeait depuis longtemps et ne se l’avouait qu’à moitié. Après tout, jusqu’à ce jour, rien ne lui avait permis de présager un quelconque intérêt pour elle de la part de son voisin, et elle ne s’était imaginé qu’un refus poli de sa part qu’elle n’avait pas le courage d’essuyer. Depuis qu’il avait furtivement admis qu’il ne la trouvait pas repoussante, elle avait senti une boule se former dans son estomac. A la fois galvanisée et nerveuse, elle apercevait, pour la première fois, l’ouverture tant attendue. “En parlant de choses terrifiantes, je voulais te dire…” Et comme un soufflé, le courage retomba instantanément à la seconde où elle croisa les iris sombres d’Hassan. “Chad et moi nous sommes réconciliés.” Derrière son large sourire blanc, Lee était mortifiée. Quelle opportunité manquée, quel sabotage. “Il est passé me voir après la diffusion de la finale et on a pu mettre les choses à plat. J’étais désolée, il était désolé et juste comme ça, le reste était de l’histoire ancienne.” narrait-elle le plus naturellement du monde, cette bonne nouvelle qui avait véritablement allégé sa conscience et redoré son moral. N’ayant jamais dévoilé les raisons de la querelle avec son ex-mari, ni à Hassan, ni à personne, elle ne révélait pas non plus la profondeur de la blessure qu’elle avait réellement subie. Cependant l’affaire l’avait bien assez touchée, jusqu’à apparaître à la surface, pour deviner que le sujet de la dispute et de ce long éloignement n’était pas une simple bricole. "Ça fait une case cochée de ma liste de bonnes résolutions post-ROA, au moins.” Le reste, elle le temporisait encore et encore.
Après avoir terminé son verre, Kelly estima qu’elle avait bien trop parlé d’elle pour un seul soir et qu’il était temps d’équilibrer la balance. Pour faire d’une pierre deux coups, elle décida d’interroger Hassan sur un sujet qui l’avait bien plus frustrée qu’elle ne pourrait un jour l’admettre ; “Et toi ? Qu’est-il arrivé à miss mini short ? On ne la voit plus exhiber ses longues jambes dans le quartier.” Etaient-ils fâchés ? En pause ? N’avaient-ils simplement pas trouvé le temps de se voir ? Il était exclus que Lee soit passée à côté de l’une des visites de la jeune femme tant il lui semblait avoir développé un sixième sens pour apercevoir sa silhouette à chacune de ses venues. Avant de proposer quoi que ce soit au brun, il était préférable de s’assurer que la demoiselle en question ne faisait plus partie du paysage. Oui, il était bien plus aisé de digérer sa propre couardise en la faisant passer pour de la prudence.
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| | | | (#)Lun 19 Avr 2021 - 20:13 | |
| Kelly lui faisait penser à ces petits oiseaux qui chaque matin venaient investir l’arbre dans son jardin en choisissant, consciemment ou non, les branches les plus fines et donc les moins stables, puis battaient des ailes avec ferveur pour à tout prix s’empêcher de tomber. Elle semblait constamment en équilibre entre deux phrases, entre deux pensées, et nombre de fois déjà Hassan avait eu la sensation, peut-être erronée, qu’elle s’apprêtait à dire quelque chose pour brusquement changer à la fois son avis et son fusil d’épaule … Mais sans doute réfléchissait-il trop. Comme lorsqu’il s’était surpris durant son absence à jeter machinalement un coup d’œil du côté de sa coccinelle chaque matin avant de partir travailler, tout en sachant bien que le véhicule ne bougerait pas d’un pouce et que sa propriétaire ne lui ferai pas non plus un signe de la main si d’aventure ils se croisaient lorsqu’il rentrerait le soir. Et sans vraiment y réfléchir c’était lui qui s’était mis à le faire, armé d’un sourire, chaque fois depuis son retour que leurs allers et venues respectifs les faisaient de croiser chacun d’un côté de la clôture. « En parlant de choses terrifiantes, je voulais te dire … » Il s’était perdu un court instant, dans ses pensées, mais ramené sur terre aussi sec par la voix de la jeune femme Hassan l’avait encouragée à poursuivre d’un « Hm ? » piqué de curiosité. « Chad et moi nous sommes réconciliés. » Était-ce une pointe de déception, ou avait-il seulement avalé une cacahuète de travers ? « Oh. » Était-ce la déception de ne pas avoir entendu autre chose, ou celle d’avoir précisément entendu ce qu’elle venait d’annoncer ? « Il est passé me voir après la diffusion de la finale et on a pu mettre les choses à plat. J’étais désolée, il était désolé et juste comme ça, le reste était de l’histoire ancienne. » Évidemment. Que sa victoire télévisuelle n’était rien de plus que l’arbre qui cachait la forêt, et que la solution était ailleurs, plus profonde … Il la revoyait encore installée dans son jardin, malheureuse comme les pierres un verre de vin à la main, narrant d’un ton distant le fait que Chad et elle se soient fâchés et qu’elle doutait que les choses s’arrangent un jour. Elles s’étaient arrangées finalement, et ravalant son mauvais esprit aussi vite que la gorgée de pétillant qu’il avait dans la bouche, Hassan n’avait eu à se forcer qu’une seconde à peine avant que le sourire étirant ses lèvres n’en devienne malgré tout sincère. « C’est bien. Je veux dire, tant mieux … je suis content pour vous. Et je connais un Beagle qui doit être plus que ravi lui aussi. » Il comprenait mieux le regard plus enjoué, l’allure plus enthousiaste … Et en définitive il se sentait sans doute aussi un peu bête de n’y avoir pas pensé tout seul et d’avoir eu besoin qu’elle lui mette les points sur les « i ». C’est juste que je ne suis pas si grande que ça, more like c’est juste que ce n’est pas la peine de te faire des idées … mais après tout la chance des uns faisait forcément la malchance des autres. « Ça fait une case cochée de ma liste de bonnes résolutions post-ROA, au moins. » S’il s’était bien demandé si la case était entièrement cochée compte tenu du fait que c’était visiblement Chad qui était revenu vers elle et non l’inverse, il avait gardé cette réflexion sans grand intérêt pour lui-même et questionné « Et c’est quoi les prochaines cases de ta liste ? Sauf si tu préfères les garder pour toi bien sûr. » en naviguant désormais à vue quant à la dose de curiosité dont il était ou non en droit de faire preuve. Totalement l’inverse de ce qu’avait de son côté entrepris de faire la jeune femme si l’on se fiait à la question dont elle l’avait gratifié ensuite : « Et toi ? Qu’est-il arrivé à miss mini short ? On ne la voit plus exhiber ses longues jambes dans le quartier. » Oh, le retour de bâton. Mais plusieurs semaines en effet s’étaient écoulées depuis la dernière fois que Gwen avait passé la porte de la maison et laissé son parfum flotter dans la montée d’escalier, et s’il était parfaitement honnête avec lui-même Hassan était plus affecté par sa propre solitude que par l’absence de la jeune femme. « Je crois que Mrs. Pettinger a fini par lui faire peur, à force de la scruter chaque fois qu’elle passait à proximité de sa clôture. » S’en était-il en tout cas justifié en plaisantant, la grimace légèrement désabusée que lui inspirait cette rupture atténuée par la pénombre. Mais lui revenant aussitôt à l’esprit l’échec de sa précédente tentative de second degré, il avait préféré ajouter avec un peu plus de sérieux « Non plus sérieusement, on a juste décidé d’arrêter de se voir. Enfin on se voit toujours sur le campus, on n’est pas en mauvais termes, mais … Voilà. » Ils se voyaient toujours mais ils ne se voyaient plus, si tant est que cela ait le moindre sens. Ni drames ni larmes, juste la décision mutuelle de cesser d’être un pansement pour l’autre et la certitude (toute aussi mutuelle) de mériter mieux pour eux-mêmes … Tout un programme qu’Hassan effleurait encore à peine, pas taillé pour deux sous pour le concept de solitude et cherchant encore trop souvent à y échapper par tous les moyens.
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| | | | (#)Ven 23 Avr 2021 - 18:25 | |
| | | ► THE KEY TO LIFE ON EARTH
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Ce n’était pas ce soir-là que Kelly trouverait le courage de mettre son coeur sur la table. Derrière son sourire et sa pirouette afin de changer de sujet dans un virage serré, la sommelière sentait un poids alourdir son estomac. Un brin de vague à l’âme peut-être, sur fond de déception vis-à-vis de la fragilité de son courage et de désolation pour cette fameuse résolution qu’elle se sentait incapable de mener à bien. La prochaine fois, se disait-elle. La prochaine fois, se disait-elle à chaque fois. Sa réconciliation avec Chad demeurait une nouvelle que la brune souhaitait partager avec Hassan. Lui le premier avait assisté aux états d’âmes dans lesquels leur conflit l’avait mise. Il fallait dire que depuis l’université, il était difficile de dissocier Kelly de Chad et inversement, et en son fort intérieur, elle savait que cela était valable malgré le divorce, que rien ne changerait cette vérité. Il avait été le Tic de son Tac bien trop longtemps pour qu’elle s’imagine sa vie dans qu’il ne fasse partie du décor. Il avait toujours été son ami, bien plus que son mari. En sachant qu’elle pouvait décrocher le téléphone à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit pour lui parler de nouveau était un véritable soulagement pour Lee. Ils ne se voyaient pas tous les jours, ils étaient deux adultes occupés construisant leurs vies indépendamment de l’autre, chacun de leur côté ; pourtant la différence était palpable entre la période de leur éloignement et celle de leur réconciliation. « C’est bien, félicitait Hassan. Je veux dire, tant mieux … je suis content pour vous. Et je connais un Beagle qui doit être plus que ravi lui aussi. » Le sourire de Kelly s’élargit. Oui, Tobey avait fait la fête au Taylor comme jamais lorsque celui-ci était apparu sur le palier de sa porte. “Il l’est. Tu l’aurais vu après des mois sans voir Chad…” Même s’il aurait été ridicule d’instaurer une garde alternée pour le chien, Lee se sentait triste pour lui d’avoir été séparé de son autre maître pendant des mois de cette manière. Dieu seul savait ce qu’il avait pensé de la situation, s’il s’était cru abandonné par Chad ou s’il n’avait pas vraiment vu le temps passer. Cela n’avait plus d’importance désormais. Les choses revenaient à la normale. « Et c’est quoi les prochaines cases de ta liste ? Sauf si tu préfères les garder pour toi bien sûr. » Déglutissant après avoir vidé sa coupe, l’australienne songea un instant à la meilleure manière de garder ces objectifs pour elle. La cave en faisait partie et Hassan savait tout ce qu’il y avait à ce sujet. Elle n’était pas certaine qu’il se souvienne de Casey ou comprenne la teneur de leur lien pour qu’elle lui confie l’importance de s’excuser auprès de lui. Quant au reste, l’opportunité était déjà manquée. “C’est plein d’autres choses terrifiantes.” résuma-t-elle avec un pincement au coeur. Attrapant la bouteille de pétillant, elle remplit leurs verres à nouveau.
Kelly savait allier curiosité et bienveillance avec subtilité. Prendre des nouvelles de la plus récente histoire de coeur de son voisin était notamment dans son propre intérêt, mais l’on ne pouvait pas douter de la sincérité avec laquelle elle se montrait soucieuse de son bien être. A la lumière des bougies, elle scruta l’expression du visage d’Hassan furtivement et déchiffra plus de lassitude que de peine dans ses traits. « Je crois que Mrs. Pettinger a fini par lui faire peur, à force de la scruter chaque fois qu’elle passait à proximité de sa clôture. » plaisantait-il dans un effort pour minimiser cette rupture. Elle n’était pas la seule, songea Kelly. “Un vrai oeil de rapace, cette Mrs. Pettinger.” L’hôpital, la charité, ce genre de choses. Elle mentirait si elle disait que la récurrence des apparitions de la silhouette athlétique de la fameuse Gwen lui manquait. Elle préférait encore croiser Joanne dans le quartier. La petite blonde ne détonnait pas dans le paysage du voisinage, elle. « Non plus sérieusement, on a juste décidé d’arrêter de se voir. Enfin on se voit toujours sur le campus, on n’est pas en mauvais termes, mais … Voilà. » Kelly acquiesça. Elle saisissait la subtilité. “J’espère que ce n’est pas une situation trop difficile.” fit-elle avec empathie. Croiser une ex-petite amie tous les jours au travail n’était pas nécessairement une lourdeur au quotidien s’ils étaient en bons termes comme le brun le prétendait. Cela était susceptible de l’être s’il restait des sentiments de la part d’un parti ou de l’autre de l’équation -s’il y en avait eu. Passer huit heures de ses journées dans une atmosphère anxiogène ne pourrait qu’affecter son moral à terme. Compatissante quelle que fût la situation aux yeux d’Hassan, Kelly posa une main sur son épaule. Immédiatement électrisée par ce contact, elle devina le rythme de son coeur se calquer sur l’Ouverture de Guillaume Tell, trompettes et violons à dos de chevaux palpitants dans sa poitrine. “Tu trouveras quelqu’un qui sera à la hauteur de toutes tes qualités, et qui saura apprécier tout ce que tu as à offrir.” lui assurait-elle tout bas. S’il ouvrait les yeux, peut-être verrait-il enfin que cette personne se tenait à côté de lui. Cependant les espoirs de Kelly demeuraient bas et son secret bien gardé pour encore des jours.
Le courant revint plus tard dans la soirée. La bouteille, elle, fut vidée, de même que le bol de cacahuètes, sonnant l’heure pour la sommelière de quitter la maison de son voisin. Elle s’était bien assez imposée, bien qu’elle n’avait pas vu le temps s’échapper. Elle avait aidé Hassan à souffler les bougies ; le salon était entièrement saturé de leur odeur de citronnelle. Dans l’entrée, sur le pas de la porte, Lee lui souhaita bonsoir et s’apprêta à le laisser avec un sourire poli. “Hassan ?” Lorsque ses deux pieds furent sur le paillasson, elle fit volte-face. Il était là, prêt à la voir traverser la rue de ses grandes enjambées naturelles. Sans calculer le geste, elle passa ses bras autour de son cou et l’étreignit un instant. Yeux fermés, elle inspirait son parfum et profitait d’un trop rare vrai contact humain et affectueux. “Félicitations encore.” souffla-t-elle près de son oreille avant de se détacher de lui d’un pas en arrière. Elle rabattit nerveusement ses cheveux derrière son oreille avec un sourire gêné, mais satisfaite. Cette fois, elle pouvait s’en aller.
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