I've been here before but always hit the floor, I've spent a lifetime running and I always get away, but with you I'm feeling something that makes me want to stay. I'm prepared for this, I never shoot to miss, but I feel like a storm is coming, if I'm gonna make it through the day then there's no more use in running, this is something I gotta face. ☆☆☆
SORRENTO, CAMPANIA. Même les rayons du soleil lui semblaient caresser sa joue avec plus de douceur, ici. À Brisbane le soleil était dur, agressif, il alourdissait vos épaules et rendait moite l’air chargé d’humidité du climat subtropical dans lequel ils baignaient … Ici l’air était doux, respirable. Agréable. Ou bien tout cela n’était-il que dans sa tête ? Depuis qu’ils avaient posé le pied hors de l’avion Vittorio se sentait aux prises avec des sentiments si contradictoires qu’ils l’empêchaient de reposer son esprit, de mettre de l’ordre dans ses pensées. Et si d’ordinaire la nuit portait conseil le sommeil, cette fois-ci, avait préféré lui faire faux bond et l’avait tiré du lit avant même que le soleil n’ait commencé à se lever sur l’est de la baie. Là-bas, de l’autre côté de la brume et du balai lumineux des signalisations maritimes, sa Naples natale dormait encore elle aussi … Elle ne lui manquait pas vraiment, pas comme Rome en tout cas, mais d’en être si proche après en avoir été si loin le remplissait de mélancolie, et seuls les bras que Gaïa était venue glisser autour de sa taille étaient parvenus à le tirer de sa contemplation tandis que le jour se levait – enfin – sur la baie. « C’est tellement beau. » Sa voix n’était qu’un murmure à peine perceptible, comme s’il craignait de déranger Dieu savait quelle force supérieure lui accordant jusque-là ces quelques instants de quiétude. La vue depuis leur chambre d’hôtel ressemblait à une carte postale et il aurait bien pu la contempler encore durant des heures s’ils n’avaient pas eu ailleurs où aller, mais son costume et la robe de Gaïa attendaient sagement d’être enfilés et dans l’une des chapelles de la ville un autre Salvatori s’apprêtait à dire « lo voglio » devant le Seigneur et une assemblé de témoins.
Les habitudes lui étaient revenues à mesure qu’il serrait des mains et son aisance naturelle vit repris le relai au jeu des mondanités, délaissé sur le caillou australien mais autrefois tellement ordinaire dans son épopée romaine. En dire le moins et renvoyer la balle, pousser l’autre à parler de lui-même et laisser l’humain faire le reste – l’humain qui aimait se sentir flatté, qui appréciait que l’on s’intéresse à lui. Vittorio n’avait assisté qu’à peu de mariages dans sa vie, trop peu en tout cas pour avoir un véritable point de comparaison entre celui-ci et d’autres, et bien qu’extrêmement bavarde la famille de Gaïa n’était pas aussi terrible que son inconscient n’avait pu s’empêcher de l’imaginer. L’exception venait du père, cependant, austère dans sa posture et dans ses mots, bien que son expression semble se relâcher chaque fois que sa fille aînée n’était plus le centre de son attention. Pourquoi cette rancœur à peine voilée, était-ce seulement l’absence ou y’avait-il autre chose ? Même de retour à l’abri de leur chambre d’hôtel Vittorio n’était pas certain qu’il oserait poser la question, et pour l’heure il se contentait de jouer sans fausse note sa partition de second au bras de Gaïa. Bien que s’efforçant de ne pas être le boulet à son pied, la laissant vaquer ici et là lorsque l’on demandait après elle sans forcément la suivre, il se sentait comme le mouton au milieu des loups dès qu’elle s’éloignait, et une flûte de champagne à la main il rasait les murs sans que se mêler à une quelconque conversation qu’autrui n’ait pas provoqué ne lui vienne seulement à l’idée.
Dans la bonne tradition méditerranéenne le repas avait commencé aussi tard qu’il s’étirait, et alors que l’on débarrassait les tables en prévision du dessert et qu’un serveur dont le tatouage dépassait du col de sa chemise et avait attiré l’attention de Vitto leur retirait leurs assiettes, Gaïa s’était éclipsée presque sur la pointe des pieds. Cinq minutes étaient passées, puis dix, quinze, et au bout de vingt minutes finalement l’italien avait quitté la table à son tour, s’étonnant de ne pas la voir revenir. Passé par les toilettes en pensant l’y trouver, blâmant le poisson ou le vin de lui être peut-être restés sur l’estomac, il n’avait pas trouvé trace de la jeune femme et poussé ses recherches jusqu’à l’extérieur, ou après quelques dizaines de mètres entre les haies et les parterres de fleurs il l’avait trouvée accoudée à une balustrade en pierre et lui tournant le dos. « J’accompagne la plus belle femme de l’assemblée et je ne peux même pas en profiter, tu admettras que c’est fâcheux. » Le ton était léger, et le reproche de l’avoir momentanément abandonné n’en était pas vraiment un, aussi le sursaut qu’il avait provoqué n’avait inquiété l’italien que lorsque la jeune femme s’était retournée pour lui offrir un regard décomposé – bouleversé. « Qu’est-ce qui se passe ? On dirait que tu as vu un fantôme. » Le front se plissant d’un air soucieux, il avait fait le dernier pas le séparant encore de Gaïa et saisi sa main par réflexe, par habitude. De ces habitudes qui en disaient plus long que ce qu’il n’avait jamais osé dire.
I'VE BEEN HERE BEFORE BUT ALWAYS HIT THE FLOOR, I'VE SPENT A LIFETIME RUNNING AND I ALWAYS GET AWAY, BUT WITH YOU I'M FEELING SOMETHING THAT MAKES ME WANT TO STAY. I'M PREPARED FOR THIS, I NEVER SHOOT TO MISS, BUT I FEEL LIKE A STORM IS COMING, IF I'M GONNA MAKE IT THROUGH THE DAY THEN THERE'S NO MORE USE IN RUNNING, THIS IS SOMETHING I GOTTA FACE...
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Malgré tous mes efforts et après les longues heures de vol nécessaires pour atterrir sur le sol Italien, le sentiment le plus présent reste l’appréhension. Perdue au milieu d’une multitude d’autres émotions, toutes bien différentes les unes des autres pour couronner le tout, l’appréhension reste la plus importante, celle qui me fait serrer les dents et m’empêche de me détendre. La simple pensée de devoir affronter mon père et sa rancoeur me rend presque malade. Il ne m’a pas parlé depuis que j’ai quitté Sorrento, il y a maintenant 13 ans. Et j’ai beau me répéter que ce n'est pas grave, qu’il finira par comprendre et par accepter, c’est faux. Personne n’est aussi borné que mon père quand il est persuadé d’avoir raison. Il préférerait certainement mourir plutôt que d’accepter le fait que j’ai préféré partir et embrasser une carrière palpitante de journaliste, au lieu de rester à l’endroit qui m’a vue grandir pour aider mon frère à gérer le domaine viticole familial. Pour Paolo Salvatori, rien n’est plus important que cet héritage, à part la famille. Et de son point de vue, j’ai bafoué les deux. Impardonnable. Jusqu’à ce que nous arrivions dans notre chambre d’hôtel, tout le long du chemin de l’aéroport jusqu’à l’avenue où se trouve notre destination, c’est Vitto qui me guide. En proie à une nervosité grandissante, crispée, je lui suis reconnaissante d’être là, et d’essayer de m’apaiser. Il faut bien l’admettre, sa présence m’aide et me rassure, et l’idée d’affronter la partie de ma famille qui n’approuve pas mes choix de vie me paraît moins effrayante depuis qu’il a décidé de m’accompagner. Le soir venu, je ne fais pas long feu, épuisée par le voyage. Et le lendemain matin, lorsque je me réveille après un sommeil sans rêves, Vitto n’est pas à mes côtés. Il est déjà debout, posté à la baie vitrée, perdue dans une contemplation silencieuse du paysage qu’offre notre chambre d’hôtel. Je m’approche, furtivement, pour venir enlacer sa taille. Il sursaute vaguement à mon contact, puis chuchote. « C’est tellement beau. » Je les vois, les émotions qui se succèdent lentement dans ses yeux. Des émotions fortes. La nostalgie est là, tout comme le bonheur d’avoir enfin eu l’occasion de revoir sa patrie. Je lui souris. C’est étrange, tout semble pareil et différent à la fois. La ville est restée presque identique à mon souvenir, ce sont souvent les mêmes murs, les mêmes rues et les mêmes parcs boisés. Et pourtant, j’ai presque l’impression d’être étrangère à tout ça. La matinée s’étire, chacun se prépare de son côté, échangeant sourires en coin et effleurements lorsque nos chemins se croisent dans la chambre. Quand vient l’heure de partir, je prends une grande inspiration. Puis expire, lentement.
Finalement, ça avait été beaucoup plus simple que ce que j’avais imaginé. En arrivant à la chapelle, j’avais juste eu le temps de saluer chaleureusement la plupart des gens, sans faire de différence entre ceux qui semblaient m’en vouloir et ceux qui étaient sincèrement touchés de me voir. Parmi ces derniers, mes trois frères, ma soeur, et ma mère. J’en avais profité pour faire les présentations aussi, faisant connaître Vittorio autour de moi, et foudroyant quelques unes de mes cousines au passage, discrètement, en voyant leurs regards insistants -affamés- posés sur lui. Mais famille nombreuse oblige, j’avais dû faire l’impasse sur quelques personnes avant de m’engouffrer dans la chapelle, Vittorio sur mes talons, alors que la cérémonie était sur le point de commencer. J’aurais tout le temps de voir tout le monde plus tard, la journée ne faisant que commencer. À la fin de la cérémonie, j’avais essuyé une petite larme -traîtresse- avant de rejoindre mon petit frère Pablo, et sa toute nouvelle épouse Nina pour les féliciter. Puis, la famille au grand complet avait pris le chemin du domaine Salvatori, où devait se dérouler le reste de la journée. Un départ de la chapelle en grande pompe, annonçant une fin de journée grandiose, entre nourriture, musique et bonne humeur.
L’aménagement est superbe, Nina a fait des merveilles avec la décoration. Au bras de son mari, elle rayonne. Une attitude qui contraste avec celle de mon père, maussade à chaque fois qu’il se retrouve dans mes parages. Je ne cherche pas à créer de contact avec lui, je sais pertinemment que ça ne servirait à rien. Les heures défilent, je vais à droite à gauche, discuter avec le plus de monde possible, un monde que je n’ai pas vu depuis des lustres. Des oncles, des tantes, des cousins et cousines à gogo. Mon grand-frère Milo, le protecteur, l’air préoccupé, regardant à peine sa femme Valeria qui essaye d’occuper ma nièce Luisa, accrochée à sa robe. Mon petit frère Enzo, le charmant, l’indécis, qui se trémousse sur la piste de danse avec celles et ceux qui arrivent à suivre son rythme. La petite dernière, Ana, la sensible, la rusée, qui piaille à haut volume avec d’autres filles de son âge. Massimo qui brille par son absence, encore une fois. Et ma mère avec sa douceur et son sourire constant, qui court de gauche à droite pour satisfaire tout le monde, un peu comme moi en somme. Malgré tous mes efforts, je vois assez peu Vitto, qui semble admirablement bien s’en sortir parmi toutes ses personnes qu’il ne connait pas. Il flatte poliment, écoute, débat. Il ne semble pas voir les quelques regards féminins qui le parcourent quand l’occasion se présente, ces regards insistants. Ces regards qui se détournent à la seconde où je pose les yeux sur leurs propriétaires, comme si de rien n’était. Lorsque le repas est annoncé, et que je peux enfin revenir à notre table, retrouver Vitto et m’assoir, je ne retiens pas un soupir de soulagement. J’ai beau avoir l’habitude des escarpins, à la longue les douleurs se rappellent au souvenir. Le dîner est long, forcément, et tout le monde se régale dans un joyeux brouhaha. On discute avec entrain, maintenant que la nervosité s’est envolée. Tout se passe parfaitement bien, et je suis plus détendue maintenant que mon appréhension s’est calmée. Mais quand un serveur arrive pour débarrasser nos assiettes, pour la quatrième fois au moins, une tâche sombre qui s’étire dans son cou, et qui jusque là était cachée par sa chemise attire mon attention. Et je blêmis quand je reconnais ce tatouage, et ce qu’il implique. Sans un regard pour qui que ce soit, pas même pour mon charmant accompagnateur, je me lève sans un bruit, sans une explication, et m’éclipse. La gorge nouée, je m’éloigne de la fête pour retrouver un peu de calme, pour reprendre mon souffle. Je m’enfonce un peu dans le domaine, retrouvant une partie du jardin qui n’est pas décorée, pas éclairée avec des lumières de fête. Je m’accoude à la balustrade qui se trouve au bout du chemin, et quand ma peau entre en contact avec la pierre, je m’autorise enfin à expirer tout l’air qui s’était bloqué dans mes poumons. Je prends de grandes inspirations, essayant de calmer l’angoisse sourde qui est montée, alors que les souvenirs qui m’ont fait cauchemarder pendant des mois il y a quelques années maintenant refont surface. Perdue un trop long moment dans mes pensées, je n’entends pas arriver Vitto, dans mon dos et me faisant sursauter. « J’accompagne la plus belle femme de l’assemblée et je ne peux même pas en profiter, tu admettras que c’est fâcheux. » Malgré le reproche formulé, son air est doux, posé. Trop bouleversée, je ne relève même pas le compliment, et ne trouvant rien à lui répondre, incapable de formuler un son, je me retourne vers lui. « Qu’est-ce qui se passe ? On dirait que tu as vu un fantôme. » Ses yeux se voilent d’inquiétude, et il se rapproche pour attraper ma main. Geste qui provoque un frisson, bien différent de ceux qui parcourent ma peau depuis quelques longues minutes. Je déglutis et ose enfin relever les yeux vers lui. « Un fantôme peut être pas. Un monstre par contre… » Mon monstre. Un de ceux qui ont hanté mes nuits, longtemps, annonciateurs d’insomnies à répétition. Un de ceux qui m’ont laissée gisant sur les pavés d’une rue en pleine nuit, en sang, pour ne citer que ça. Une agression méritée selon certains, et orchestrée par le frère de Vittorio. « Le serveur, celui avec le tatouage. Mon agression à Rome. Il y a 4 ans. C’était lui, avec deux de ses potes. Il a été envoyé par Nino, c’est lui qui m’a passé à tabac. En sang… » J’essaye tant bien que mal de formuler une phrase cohérente, mais c’est difficile. Malgré tout, il y a assez d’informations dans ce que j’ai réussi à baragouiner pour que Vitto comprenne ce qui m’arrive. Des questions tournent en rond dans ma tête. Bon sang, mais qu’est-ce qu’il fout là? Comment est-ce qu’il s’est retrouvé au mariage de mon frère? Est-ce qu’il m’a reconnue? À bout de forces, je me laisse aller contre Vitto, cherchant à retrouver quelque chose de familier et de rassurant dans toute cette situation.
CODAGE PAR AMATIS
Dernière édition par Gaïa Salvatori le Dim 12 Juin 2022 - 18:31, édité 1 fois
Il se détestait d’être encore capable de se laisser impressionner par ce genre de considérations, même après toutes ces années à peaufiner la finesse avec laquelle il parvenait à donner le change. Sorrente n’était que de l’autre côté de la baie de Naples et pourtant c’était bien des années lumières qui séparaient la misère de Scampia et l’opulence dans laquelle Gaïa semblait avoir été élevée. Bien sûr Vittorio savait que la journaliste avait grandi dans un milieu privilégié : elle ne s’en était jamais cachée, elle en avait les manières, et dès l’époque où ils avaient commencé à se fréquenter en dilettante il s’était renseigné un minimum à son sujet … Mais inconsciemment il avait continué à se voiler la face à ce sujet, à refuser d’y penser, et finalement lorsqu’était venu le moment des présentations officielles entre lui et les membres d’une famille dont Gaïa parlait peu, Vittorio s’était à nouveau senti petit. Insignifiant. Et le désir de faire bonne impression, subitement, n’avait plus simplement été motivé par la volonté de ne pas faire honte à sa cavalière mais aussi par le refus que son égo ne soit plus égratigné encore. Mais jouer la comédie et se faire passer pour moins voyou qu’il n’était, au fond, l’italien le faisait depuis tellement longtemps que personne – pas même Gaïa, espérait-il – ne serait à même de douter un instant du naturel de l’aisance avec laquelle il serrait des mains et décrochait des sourires, complimentant juste ce qu’il fallait et faisant mine de s’intéresser juste assez pour que cela ne semble pas exagéré. Si la brune s’éclipsait pourtant, sa flute de champagne devenait sa seule bouée de sauvetage et entre certains regards (curieux) et d’autres (suspicieux) il préférait encore tâcher au mieux de se faire oublier. Sous la table du repas sa jambe allait parfois frôler celle de l’italienne pour se rassurer, leurs yeux se croisaient à allure régulière, mais c’était bien lorsqu’elle regardait ailleurs que Vittorio dévorait le plus Gaïa des yeux.
Quelque part entre le plat et le dessert pourtant – et Dieu sait comme la gastronomie italienne elle aussi lui avait manqué – sa cavalière s’était éclipsée sans prévenir, et surtout sans reparaître. S’efforçant d’abord de prendre son mal en patience, ne souhaitant pas lui donner l’impression de perdre en assurance lorsqu’elle n’était plus à proximité quand bien même c’était totalement le cas, il avait néanmoins fini par s’inquiéter de ne pas la voir revenir et quitté la table à son tour pour partir à sa recherche. La propriété débordait de fleurs et de végétation, en plus de déborder de tout un tas d’autres choses, et s’il s’était rapidement repris la vision de Gaïa au milieu de ce décor avait un court instant laissé Vitto sans voix. Imperméable au compliment avec lequel il s’était annoncée, la journaliste lui avait cependant paru soucieuse et attrapé sa main avec l’énergie du désespoir plutôt que celle de l’enthousiasme. « Un fantôme peut être pas. Un monstre par contre … » Pris au dépourvu, tant par la réponse que par le ton de sa voix, l’italien avait offert à la jeune femme un regard interrogateur et resserré ses doigts autour des siens. Allez savoir pourquoi, sa première intuition avait été de croire que Gaïa faisait référence à son père, lequel leur avait à peine décroché deux mots à leur arrivée … Le patriarche Salvatori, pourtant, n’était pas à blâmer dans le soudain malaise de sa fille, qui finalement avait ajouté d’un ton désordonné « Le serveur, celui avec le tatouage. Mon agression à Rome. Il y a quatre ans. C’était lui, avec deux de ses potes. Il a été envoyé par Nino, c’est lui qui m’a passé à tabac. En sang … » Celui de Vittorio, aussitôt, s’était glacé en écoutant la jeune femme et son bras était venu par réflexe enserrer ses épaules lorsqu’elle s’était appuyée contre lui.
Trop de temps était passé désormais pour que l’italien ait une opinion linéaire à propos de cet épisode peu glorieux où Gaïa, Nino et lui avaient chacun joué leur partition. Vittorio n’avait jamais adhéré aux méthodes de voyou employées par son frère, mais mentirait pourtant en prétendant qu’une partie de lui n’avait pas ressenti une pointe de satisfaction à l’idée que son honneur ait été vengé directement auprès de celle qui l’avait entaché en premier lieu. Puis le temps passant et la situation évoluant la culpabilité s’était installée, vis-à-vis d’une Gaïa dont il avait peu à peu mesuré l’ampleur du traumatisme que cette agression lui avait laissé, vis-à-vis de Nino qui de la pire des manières avait tenté de se racheter auprès de lui en punissant celle qu’il estimait responsable de leur brouille, et vis-à-vis de lui-même pour ne pas être capable de condamner aussi justement ceux qui avaient usé de leurs poings et celui qui en avait tiré les ficelles, donnant ainsi raison à celle l’ayant accusé de ne pas faire honneur à l’impartialité qu’il prétendait incarner. Rien n’était blanc ou noir dans cette histoire, et là se trouvait sans doute la raison pour laquelle son bras entourait Gaïa avec sincérité mais sans que son poing ne parvienne à se serrer totalement de vouloir rendre au voyou en costume de serveur la monnaie de la pièce lancée quatre ans plus tôt. Pragmatique, mais lui faisant suffisamment confiance pour ne pas remettre en doute ce qui semblait être une certitude, il avait accordé à la journaliste ses quelques minutes de répit et fait glisser ses mains contre la peau dénudée de ses bras avant de risquer enfin « Il ne s’en reprendra pas à toi. Je ne pense même pas qu’il t’ait reconnue. » Cela pouvait paraître un peu abrupt, et loin de lui l’envie de se montrer insensible aussi avait-il ajouté pour s’expliquer « Les gars comme lui sont des opportunistes, ils font rien gratuitement, surtout s’il faut se salir les mains … Je le sais, j’ai été comme eux. » Comprendrait ce qu’elle voudrait comprendre, il ne comptait pas s’appesantir sur le sujet, ce n’était pas là où il essayait d’en venir : « Ce que je veux dire c’est que lui ou les autres ils n’en ont jamais eu personnellement après toi. Si mon frère a allongé les billets ils ont seulement fait ce pourquoi il les a payé. » Et puisque ce soir-là c’était pour débarrasser des assiettes et remplir des verres de vin qu’il était payé, alors l’homme s’en tiendrait en toute vraisemblance à cela, au risque de ne pas recevoir son cachet le cas échéant. Et quand on en venait à tabasser des inconnu.es pour renflouer ses caisses, ce n’était pas le genre de chose que l’on pouvait se permettre. « Tu veux qu’on rentre à l'hôtel ? » avait-il néanmoins fini par questionner d’un ton à nouveau doux, son nez allant frôler le front de la jeune femme avec tendresse. Le repas n’était pas terminé et ses frères et sœurs questionneraient peut-être, mais enfin … Il serait toujours temps de trouver un mensonge à servir le lendemain pour justifier de s’être éclipsés.
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J’ai perdu pied. Complètement. Et maintenant que le fameux serveur n’est plus dans mon champ de vision, je me sens idiote d’avoir paniqué comme ça. Le visage niché au creux du cou de Vittorio, qui m’a enlacé d’un bras immédiatement après ma déclaration balbutiante. Son contact m’apaise, et je me détends petite à petit, malgré un coeur qui continue de n’en faire qu’à sa tête. Va savoir pour quelle raison… Le temps s’étire en de longues minutes, et ni l’un ni l’autre n’ose prononcer un mot. Humant son parfum masculin à plein poumons, je me demande quel genre de pensées l’anime à cet instant précis. Sûrement un tas de souvenirs, plus ou moins agréables. Rome, son frère, ses ennuis personnels et ceux que son frère lui a causé… Entre autres. Il m’est difficile de déterminer précisément le fil de ses pensées, qui sont peut être bien plus complexes que ce que j’imagine avec mon esprit embrumé. Ses doigts bougent, jusqu’à venir effleurer mes bras. « Il ne s’en reprendra pas à toi. Je ne pense même pas qu’il t’ait reconnue. » J’ai un rire mauvais. Il a raison, certainement. C’est perturbant, de penser que lorsque moi j’ai cauchemardé pendant des mois, les traits de son visage gravés au feu dans ma mémoire, le voyou avait probablement oublié mon identité à la seconde où il avait tourné les talons, ce jour là. « Les gars comme lui sont des opportunistes, ils font rien gratuitement, surtout s’il faut se salir les mains … Je le sais, j’ai été comme eux. » Je le fixe un instant, fébrile. Étrangement, face à ce qu’il vient de dire, je ne suis pas surprise. Mais il semble pressé de changer de sujet et ne me laisse pas le temps d’objecter quelque chose à sa phrase. Je garde donc la déclaration dans un coin de ma tête pour plus tard, si l’occasion se présente un jour. « Ce que je veux dire c’est que lui ou les autres ils n’en ont jamais eu personnellement après toi. Si mon frère a allongé les billets ils ont seulement fait ce pourquoi il les a payé. » Cela renforce l’idée que l’agresseur et ses deux acolytes ont dû dormir comme des bébés cette nuit là. Tranquillement, sereinement, et bien loin de l’état de stress et d’angoisse qui m’avait collé à la peau pendant si longtemps. Je me rappelle l’évènement de tout à l’heure, au moment du service du dessert. Je me souviens l’avoir dévisagé longuement, presque pétrifiée, quand lui ne m’avait adressé qu’un rapide regard morne, vide. Soit il a un talent hors norme pour jouer la comédie et feindre l’indifférence, soit Vittorio a bel et bien raison, et il ne se souvient pas le moins du monde de moi. Que ce soit l’un ou l’autre, ça n’a finalement plus beaucoup d’importance, l’Italien ayant sûrement -encore- raison, quand au fait que le serveur n’en a probablement jamais eu après moi personnellement. Avant cette nuit là, je ne l’avais jamais rencontré, jamais vu même. Jamais. Je secoue la tête. « Tu veux qu’on rentre à l'hôtel ? » L’offre est tentante, assurément. À tel point que je prends un moment pour y réfléchir. L’idée de rentrer avec Vittorio à l’hôtel, au calme, est plus qu’agréable. Rentrer, partir loin de la nervosité provoquée par la présence du serveur-agresseur, de l’attitude de mon père, des quelques murmures désapprobateurs de la part de mes cousines plus jeunes, mais déjà mariées quand je ne le suis pas. Juste pour le reste de la soirée. Mais dans ma situation actuelle, rentrer, ce serait fuir. Ce serait s’échapper pour ne pas avoir à affronter le regard des autres, et les souvenirs obscurs reliés à la fameuse nuit. Ce serait préférer abdiquer plutôt que de profiter de l’ambiance festive du jour, et des gens qui tiennent toujours à moi, peu importe les choix que j’ai pu faire dans ma vie. Je relève les yeux vers Vitto, cherche son regard. « Non. » Je me recule un petit peu, et me défais à contre coeur de l’étreinte de l’Italien, juste le temps d’essuyer rapidement mes mains moites sur le tissu de ma robe. « Pas tout de suite. Je peux pas le laisser me gâcher une journée aussi particulière. Ce serait le laisser avoir le dessus sur moi encore aujourd’hui. » Et c’est hors de question. Je ne veux plus être faible, je ne veux plus avoir peur. Je n’ai plus de raisons d’avoir peur, maintenant. Et j’ai d’autant plus honte de ma réaction de tout à l’heure, de ma fuite. Le discours de Vittorio, si sensé que je m’en veux de ne pas l’avoir compris plus tôt, m’a remis les idées en place. Je ne dis pas que je ne ressentirais plus rien à la vue du fameux serveur, rester impassible serait impossible. Mais j’ai la quasi certitude que je ne prendrais plus mes jambes à mon cou désormais. Je tends la main vers mon cavalier, incitation à la saisir. Et quand il s’exécute, je le traine le long des jardins et des haies, jusqu’à retrouver le coeur de la fête. Le repas est terminé, mais ça n’a pas grande importance. Les gens se sont regroupés à droite à gauche, les discussions vont bon train, et sur le parquet aménagé pour l’occasion, des couples se sont formés pour inaugurer la piste de danse. Je souris à quelques personnes, sans m’arrêter pour autant. J’aurais tout le temps de discuter plus tard. Je cherche une seule et unique personne. Ou plutôt deux, en fait. Et quand je finis par trouver Pablo et Nina, je leur plaque à chacun un baiser sur la joue. « Congratulazioni. » Sincèrement. Je suis tellement contente pour eux deux, qui se sont trouvés. Soulagée aussi, de ne pas avoir recroisé le serveur sur le chemin qui nous menait à eux. Il est certainement encore dans les parages, l’équipe du traiteur restera tard, mais si je peux éviter de poser à nouveau les yeux sur lui, ce serait parfait. Je me retourne vers Vitto, bien décidé à profiter de sa présence à mes côtés autant que possible, quand je n’ai pas pu le faire plus tôt dans la journée. Mon regard passe de lui au parquet de danse, puis glisse à nouveau vers lui. Je prends une inspiration. « Es-tu toujours déterminé à profiter de la plus belle femme de l’assemblée? » Je prends un malin plaisir à lui faire comprendre que même si je n’ai pas réagi sur le moment, le compliment, pas un seul instant voilé, n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde. Un léger sourire aux lèvres, je compte bien mettre à profit le temps qu’il nous reste ce soir, que ce laps soit court, ou qu’il se décide à s’étirer.
Les univers étaient à des années lumières l’un de l’autre mis au fond Naples n’était pas si éloignée, et que certaines des petites mains du mariage se soient frayées un chemin depuis Scampia n’avait au fond rien d’étonnant … Il n’y avait pas que des causes perdues, là-bas, elles n’étaient même pas une majorité et ne revenaient plus facilement à l’esprit de Vitto que parce qu’il avait gravité autour d’elles durant des années. Quant à celui qui avait poussé Gaïa à quitter la table – pour ne pas mentionner le reste – l’italien ne l’avait jamais vu, sans s’en étonner puisqu’au fil des années Nino avait mis un point d’honneur à se faire son propre cercle, aussi éloigné que possible de ce qui aurait pu risquer de remonter aux oreilles de son aîné. Le lieu cependant n’était pas au règlement de compte, et soucieux de ne provoquer un scandale qui embarrasserait Gaïa devant sa famille autant que de ne pas se faire lui-même remarquer, il avait opté pour la fuite plutôt que pour la confrontation – elle n’aurait de toute façon eu aucun intérêt, tant le coupable semblait à des années lumières de ce qui n’avait probablement été qu’une tâche ingrate parmi d’autres. À la proposition de regagner leur hôtel néanmoins la jeune femme avait opposé un « Non. » résolu, bien que s’étant d’abord laissé le temps de la réflexion. « Pas tout de suite. Je peux pas le laisser me gâcher une journée aussi particulière. Ce serait le laisser avoir le dessus sur moi encore aujourd’hui. » Presque malgré lui, un brin de sourire avait échappé à Vittorio, qui l’avait chassé en allant déposer un baiser sur la tempe de Gaïa avant de répondre « Comme tu préfères. » sans intention de négocier. Elle et lui étaient tellement faits du même bois, lorsqu’il s’agissait de leur fierté bafouée.
La main de la brune saisissant la sienne, il s’était laissé entraîner docilement à travers les allées fleuries traversées en sens inverse quelques instants plus tôt tandis qu’il cherchait après elle. Mise en sourdine le temps du repas, la musique avait repris ses droits et bon nombre de tables avaient été délaissées au profit de la piste de danse. Gaïa de son côté semblait chercher quelque chose, ou plutôt quelqu’un, mais avant que Vittorio n’ait eu le temps de demander après qui elle était arrivée à ses fins et les avaient tous les deux entraînés jusqu’au couple star de la soirée, jeunes mariés sollicités de toute part depuis sans doute le moment où ils s’étaient levés ce matin-là. D’un « Congratulazioni. » chaleureux, la sœur du marié les avait félicités lui et sa toute nouvelle épouse, Vittorio répétant la même chose comme un écho plus timide, serrant poliment leur main à tous les deux en espérant malgré tout au fond de lui ne pas avoir à leur faire la conversation trop longtemps. Ce n’était pas contre eux, ce n’était pas contre Gaïa … il ne se sentait simplement pas à sa place ici. Et la présence de l’une des anciennes connaissances de Nino dans les parages n’aidait pas non plus. « Es-tu toujours déterminé à profiter de la plus belle femme de l’assemblée ? » Sorti de ses pensées par la voix légère de s cavalière, il avait posé sur elle un regard tendre et l’avait saisie par la taille, les mariés étant partis voguer vers d’autres invités. « J’ai toujours aimé les belles choses … Et encore plus quand je sais qu’elles font des jaloux. » Et les regards qu’il avait vu glisser à la dérobée sur sa cavalière au cours de la journée ne trompaient pas … tout comme le verbe qu’il avait utilisé sans même s’en apercevoir pour la désigner.
La piste de danse était tout sauf son domaine de prédilection, et sans Gaïa jamais Vitto ne s’y serait aventuré, mais poussé par l’aisance de la jeune femme il avait fini par se laisser porter, occultant peu à peu les gens autour de lui et finissant par ne plus voir qu’elle, cessant progressivement de jeter un œil à la ronde en quête du serveur indésirable. Entre ce qu’il supposait être des classiques de ce genre de mariages – il n’avait pas assisté à beaucoup de mariages, de toute façon – et les dernières musiques à la mode ravissant surtout la moitié la plus jeune des invités, il avait profité d’un moment d’accalmie et passé ses bras autour de la taille de la jeune femme tandis qu’un morceau plus doux prenait le relai. « Ça ne te manque pas ? » La question manquant de précision, il avait aussitôt ajouté « Ici, ta famille … T’as jamais songé à rentrer ? » Rien ne l’en empêchait, pourtant. Elle n’était pas comme lui, enchaîné à cette Australie de malheur par solidarité fraternelle, elle pouvait aller où bon lui semblait et s’était prouvée en se faisant embaucher dans ce canard australien qu’elle pouvait trouver du boulot partout … Et pourtant elle restait, sans qu’il n’ose avancer la possibilité qu’il puisse ne pas y être étranger. Depuis un autre point de la pièce, une flûte de champagne à la main, le père de Gaïa et accessoirement maître des lieux les observait sans pour autant montrer le moindre signe qu’il envisageait de venir les aborder. « Ça fait un moment qu’il nous regarde. » Estimant ne pas être en position de le faire, Vitto n’avait pas questionné quant aux raisons précises du froid entre le père et sa fille, ce qui ne voulait pas dire pour autant qu’il n’était pas curieux à ce sujet. « Ça fait combien de temps que vous ne vous êtes pas parlé ? » Son départ pour Brisbane ? Avant cela ?
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Il semble mal à l’aise au milieu de tout ça. Je vois bien qu’il fait des efforts, il félicite poliment mon frère et ma belle soeur, il discute quand l’occasion se présente sans jamais oser engager la conversation… Il lutte pour ne pas s’enfuir d’ici, surtout. Mais le fait qu’il reste malgré cette envie de se faire la malle discrètement me fait chaud au coeur. Avec un sourire espiègle, je rebondis sur ce qu’il m’a dit précédemment, et son regard perdu dans la foule se fixe à nouveau sur moi. « Es-tu toujours déterminé à profiter de la plus belle femme de l’assemblée ? » « J’ai toujours aimé les belles choses … Et encore plus quand je sais qu’elles font des jaloux. » Je souris face à ce que je considère comme étant un compliment, même si au fond le seul regard qui m’importe, c’est le sien. Au diable tous les autres. Il m’enlace, et après un échange de regards tendres, je l’entraine vers la piste de danse, bien décidée à en profiter avant qu’il ne change d’avis. Sans aller jusqu’à dire que je suis une habituée des pistes de danse, je suis à l’aise au bras de mon cavalier, qui lui l’est beaucoup moins. Je le vois jeter de temps à autre des coups d’oeil dans la foule, comme s’il cherchait quelqu’un. Comme s’il cherchait à l’avoir, lui, dans le viseur. Chose que je m’empêche de faire depuis tout à l’heure, sachant très bien que l’avoir de nouveau sous les yeux ne servirait qu’à m’angoisser à nouveau. Alors je reste focalisée sur Vitto, me concentrant sur ce que je ressens en étant contre lui. Sans vraiment entendre la musique et ses changements qui résonnent dans l’atmosphère, jusqu’à ce qu’elle ralentisse une énième fois pour se transformer en slow. « Ça ne te manque pas ? » Je relève les yeux vers lui. « Ici, ta famille … T’as jamais songé à rentrer ? » Je soupire, jette un long regard sur l’assemblée joyeuse qui gravite autour de nous, prenant le temps de m’arrêter sur quelques visages familiers plus longuement que sur d’autres. Bien sûr qu’ils me manquent, je pense à eux souvent. Plus souvent même que quand j’étais à Rome, peut être parce qu’à l’époque, il était plus facilement de rentrer de temps en temps pour les voir tous. Je finis par briser le silence presque inconfortable qui s’était installé. « Si. Plusieurs fois ces dernières années, en réalité. Ça aurait été tellement plus simple de reprendre l’avion en sens inverse, de rentrer pour apaiser les tensions avec mon ancien employeur, avec ma famille. Mais ces dernières temps… Ça fait un moment que ça ne m’avait plus traversé l’esprit. » Et ce même si certains des membres de cette famille me manque affreusement. Sans oser en dire plus pour le moment, je me contente d’effleurer la joue de Vitto du bout des doigts, en espérant qu’il y verra quelque chose. Ne me sentant pas capable de croiser son regard immédiatement après une déclaration à moitié voilée, je regarde autour de nous, et finis par en croiser un autre, de regard. Froid et inquisiteur. L’Italien doit l’avoir aperçue aussi, cette silhouette immobile à l’autre bout de la piste de danse. Mon père. « Ça fait un moment qu’il nous regarde. » Inconsciemment, je le savais déjà. Je l’avais senti, ce regard qui me brûlait le dos depuis quelques temps déjà. Et aucun doute sur la personne à qui il appartient. Il n’y a qu’une seule et unique personne qui soit aussi hostile envers moi dans l’assemblée, à ce moment précis. « Ça fait combien de temps que vous ne vous êtes pas parlé ? » Je n’ai pas besoin de réfléchir pour répondre à mon cavalier. Ce n’est pas comme si je comptais les jours, mais certaines dates sont comme gravées au fer rouge dans ma mémoire. « Ça a commencé quand je suis partie pour Rome. Mon père n’a jamais trop compris mes choix professionnels, lui qui a toujours rêvé que je reprenne le domaine avec mon grand frère. Tout ça ça a jeté un premier froid… Et ça a empiré quand j’ai annoncé que j’allais rester en Australie pour un certain temps. » Il est possible que ça ait définitivement brisé la fragile relation père-fille que nous avions autrefois. Mon départ pour Brisbane n’avait rien changé à l’époque, puisqu’ils étaient tous persuadés que c’était un voyage pour le boulot. Rien d’étonnant étant donné qu’à part ma cousine Luisa, aucun d’entre eux ne sait pour mon agression. Je reporte mon attention sur Vitto. « Il ne viendra pas nous voir, et il va continuer à nous fixer en espérant que je disparaisse. Donc peut être que c’est le bon moment pour s’éclipser… Ou au moins pour aller prendre l’air ailleurs. » J’ai fait assez d’efforts le concernant ces dernières années, sans voir aucun changement de son côté… Alors tant pis.
Une partie de lui hésitait à poser la question, simplement parce qu’il n’avait pas la certitude d’en apprécier la réponse. Et Vittorio n’était pas homme à digérer correctement les réponses qui ne lui plaisaient pas, quand bien même il faisait tous les efforts du monde pour tenter de gommer ce trait un peu disgracieux de sa personnalité. Ce n’était pas le seul, il y en avait d’autres, à commencer par celui qui l’avait poussé à minimiser la présence de l’intrus face à Gaïa quant en réalité son poing ne faisait plus que le démanger depuis … et pourquoi ? Pour avoir simplement manqué de scrupules, pour avoir filé une correction à quelqu’un qu’il devait penser le mériter, puisque c’était ainsi qu’on lui avait vendue la chose. Pour avoir fait ce que Vitto lui-même aurait peut-être fait s’il était resté moisir trop longtemps à Scampia, cédant aux sirènes de l’argent facile que sa stature et sa brève carrière de boxeur lui auraient permis d’amasser. Il faisait le beau, là, avec sa cravate et sa barbe soigneusement taillée, mais tout au fond de lui il savait bien qu’il resterait toujours un peu voyou, un peu rat d’égout. Gaïa était à son aise dans ce milieu où elle avait grandi, lui se contentait de jouer la comédie pour ne pas trop jurer dans le paysage, et d’avoir vécu si longtemps loin de leur Italie natale il en avait presque oublié quel double-jeu permanent il jouait lorsqu’il y vivait encore. Et malgré tout ? Malgré tout cela lui manquait, assez pour imaginer qu’à Gaïa aussi, à la seule différence qu’elle rien ne la retenait, rien ne l’empêchait. « Si. Plusieurs fois ces dernières années, en réalité. Ça aurait été tellement plus simple de reprendre l’avion en sens inverse, de rentrer pour apaiser les tensions avec mon ancien employeur, avec ma famille. » avait-elle d’ailleurs fini par répondre sans détour, après quelques secondes de silence, et jetant au passage sur le regard de Vittorio un voile sombre. Il ne l’avouerait jamais, mais outre les affaires personnelles l’ayant poussé à faire le voyage pour joindre l’utile à l’agréable, une partie de lui était persuadée que si Gaïa était partie seule elle ne serait pas rentrée. Pourtant c’était bien elle qui, la seconde suivante et sans qu’il n’ait fait le moindre commentaire, avait ajouté « Mais ces derniers temps … Ça fait un moment que ça ne m’avait plus traversé l’esprit. » en le laissant interdit. Ou était-ce la façon dont elle était venue effleurer sa joue du bout des doigts, lui arrachant au passage un frisson et le persuadant de ne pas briser le sous-texte de sa confession par des mots vains, préférant la sceller d’un baiser.
D’autres yeux que les siens avaient à cet instant leur attention rivée sur Gaïa, lui donnait la désagréable sensation d’être épié par ricochet et le forçant à détourner le regard pour aller s’intéresser à celui qui, dans l’ombre, les scrutait d’un air sévère. Là où la majorité de la famille de l’italienne était venue leur faire la conversation ou, au minimum, les saluer poliment, le père de cette dernière ne leur avait pas décroché un seul mot et n’avait même pas cherché à les approcher. Vittorio sentait émaner de chez cet homme un ressentiment appuyé, mais pour autant pas teinté de cette haine des gens qui vous voulaient véritablement du mal. « Ça a commencé quand je suis partie pour Rome. » avait alors expliqué la journaliste. « Mon père n’a jamais trop compris mes choix professionnels, lui qui a toujours rêvé que je reprenne le domaine avec mon grand frère. Tout ça, ça a jeté un premier froid … Et ça a empiré quand j’ai annoncé que j’allais rester en Australie pour un certain temps. » Etait-ce une question d’ego, alors, ou l’homme était-il sincèrement blessé dans son rôle de père ? A ce sujet Vittorio n’avait aucun point de comparaison, et face à la mine soucieuse de sa belle il avait penché la tête et souligné d’un ton volontairement facétieux « En clair, je suis un peu l’homme à abattre qui lui a volé la plus belle de ses filles. C’est très shakespearien. » Heureusement pour eux le patriarche n’aurait probablement pas le cœur à gâcher le mariage d’un autre de ses enfants simplement pour donner le fond de sa pensée, et confirmant la chose Gaïa avait repris « Il ne viendra pas nous voir, et il va continuer à nous fixer en espérant que je disparaisse. Donc peut être que c’est le bon moment pour s’éclipser … Ou au moins pour aller prendre l’air ailleurs. » Vitto ne comptait quant à lui pas se le faire dire deux fois s’il était question de quitter la piste de danse, et à vrai dire la perspective de retrouver un semblant de tranquillité et de silence loin du tumulte de la fête le séduisait presque autant que la compagnie de l’italienne. « J’ai quelques idées pour occuper la suite de cette soirée … » avait-il alors glissé à son oreille avec malice, resserrant un instant sa prise autour de la taille de la jeune femme avant de finalement la relâcher. « Si tu veux refaire un tour de ta famille pour ne pas partir comme une voleuse, je t’attends dehors. » Elle les reverrait peut-être le lendemain – lui avait d’autres projets, bien qu’étant resté vague à ce sujet – mais il préférait malgré tout lui laisser ces dernières minutes sans être dans ses pattes. Il n’était que la pièce rapportée, et s’en contentait parfaitement.
De retour à l’extérieur il avait fait quelques pas dans la cour, le gravier crissant sous la semelle de ses chaussures avant qu’une vague odeur de tabac ne lui fasse tourner la tête vers la gauche. Et il était là. Celui que Gaïa avait reconnu, appuyé contre le mur non loin d’une porte dérobée, s’autorisant une rapide pause cigarette maintenant que le repas était terminé. Se sentant soudainement observé, l’homme avait levé les yeux vers lui et leurs regards s’étaient croisés d’une drôle de façon … ou alors tout cela n’était-il que dans sa tête ? « Bella serata. » Faussement sincère, le sourire qui avait découvert une partie de ses dents avait fait à Vittorio l’effet d’une piqure de moustique, désagréable sans être inquiétante, et l’espace d’un instant il s’était demandé si l’homme n’avait pas reconnu Gaia, finalement. Ou lui. D’autres bruits de pas derrière avaient provisoirement détourné l’attention de Vitto, et rejoint par la journaliste il l’avait instinctivement saisie par la main ; Lorsqu’ils avaient à nouveau regardé du côté de la porte de service celle-ci venait de claquer et le serveur avait disparu, son mégot de cigarette encore fumant abandonné au pied du mur. « Viens. » Mentalement, et tout en sachant qu’il se faisait probablement des idées pour rien, l’italien s’était noté de vérifier plutôt deux fois qu’une que la porte et la fenêtre de leur chambre d’hôtel étaient bien verrouillées avant d’aller se coucher. « C’est ce sentier-là qui mène à la plage ? » Ils n’étaient pas vêtus pour affronter le sable, les talons de Gaïa s’y enfonceraient et le vernis des chaussures de Vitto s’y abîmerait, mais poussé par l’envie d’un autre décor et celle de ne finalement pas rentrer directement, il avait entraîné la jeune femme à sa suite, terminant l’un et l’autre le trajet chaussures à la main et ne s’arrêtant qu’une fois arrivés au pied d’une crique déserte, et éclairée par la lune. « Ils n’ont pas ça, chez les kangourous. » Du sable gris teinté par le Vésuve, du romarin et des oliviers sur les hauteurs, le calme des vaguelettes de la Méditerranée. Et tout cela rien que pour eux, le napolitain abandonnant ses chaussures et sa veste sur le sable en desserrant sa cravate avant d’attraper la journaliste par la taille pour l’embrasser, plus franchement qu’il n’aurait osé le faire devant sa famille et dans l’espoir de lui ôter pour de bon de la tête l’image de l’homme qu’elle avait reconnu.
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Son regard me brûle le dos. C’est triste quand même, quand on y pense, de se retrouver à accepter l’idée que son propre père ne nous parlera probablement plus. C’est triste, d’avoir réussi à se convaincre que finalement, ce n’est pas si grave. Et que même si on a toujours un petit pincement au coeur en repensant à ce qu’on partageait au passé, à ce lien père-fille qui s’est effacé au fil du temps, on ne peut pas regretter les choix de vie qu’on a fait, ces choix qu’on a fait pour nous et rien que pour nous. Quand j’explique rapidement à Vittorio pourquoi mon géniteur ne m’a pas adressé la parole depuis des années, notamment à cause de ces fameuses décisions, il penche la tête sur le côté, l’air espiègle. « En clair, je suis un peu l’homme à abattre qui lui a volé la plus belle de ses filles. C’est très shakespearien. » J’ai un sourire, que je n’ai pas réussi à réprimer. Je ne lui dis pas à voix haute, mais je lui suis reconnaissante d’essayer de faire de l’humour, pour tenter d’alléger mes idées noires. « Je suis la plus jolie? Si ma soeur t’entendait dire ça, tu aurais deux membres de ma famille à dos et plus un seul. Surtout qu’elle n’a d’yeux que pour toi depuis que tu es apparu. » En parlant du loup, je vois Ana, à quelques mètres, qui parle distraitement au garçon qu’elle a embobiné pour l’accompagner, tout en nous suivant des yeux. Bien consciente qu’elle serait bien capable d’essayer de le séduire, même en sachant qu’il a déjà une cavalière. Surtout, en sachant qu’il a déjà une cavalière, sa soeur… Résistant à l’idée de lui tirer puérilement la langue, je me contente de laisser glisser mes mains jusqu’au cou de Vitto pour les nouer derrière sa nuque. Puis, ravie par avance par ce que je vais voir, je prends une seconde pour regarder Ana fulminer, avant de reporter toute mon attention sur mon charmant cavalier. Je lui annonce que mon père, malgré le regard insistant qu’il nous lance ne viendra pas nous voir, et qu’on ferait peut être mieux de s’éclipser discrètement. Je pourrais faire une énième tentative pour approcher mon paternel, mais j’ai admis il y a longtemps que le fait même d’y songer est une perte de temps. Et je n’ai pas envie d’imposer ça à Vittorio, qui ne paraît pas très à l’aise dans ce genre d’évènement. « J’ai quelques idées pour occuper la suite de cette soirée … » Il chuchote à mon oreille, son souffle venant caresser ma peau et induire un long frisson. Ses bras resserrent leur prise sur ma taille, avant de se détendre. « Si tu veux refaire un tour de ta famille pour ne pas partir comme une voleuse, je t’attends dehors. » Je quitte ses bras à regret, sans pour autant détacher mon regard du sien. « Effectivement, certains m’en voudraient si je m’éclipsais sans rien dire, alors qu’ils ne m’ont pas vu depuis des années. » Et ce même si je les reverrais bien assez tôt, notre retour en Australie n’étant prévu que pour dans quelques jours. Nous nous séparons, et quand Vittorio se dirige vers la sortie, je me rapproche de mon grand frère, assis à une table, seul. Le regard dans le vide, et il sirote un verre, l’air pensif, superbe dans son costume sur-mesure. Je m’assieds sur une chaise libre, juste à côté, mais il ne relève les yeux que lorsque je prends la parole. « Tu es pensif. Qu’est ce qu’il se passe avec Val? » Valeria, sa femme, une superbe blonde actuellement en train de se trémousser au milieu de la piste de danse, sa fille dans les bras. À chaque fois que je les vois, et ce depuis que je suis arrivée, ils se comportent presque comme s’ils ne se connaissaient pas. Il ne se regardent pas, ne semblent se parler que pour de rares occasions. Rien à voir avec le couple heureux en ménage que j’ai quitté en même temps que les terres Italiennes. Il me lance un regard surpris, avant de se renfrogner. « Tout va bien, ne t’inquiète pas. » « Mentire. » Il ne faut pas être un génie pour voir que quelque chose ne tourne pas rond entre les deux. Mais il ne me dira rien, tant qu’il ne l’aura pas décidé de lui même. Alors je tente autre chose. « Lu! » Ma nièce se tortille en entendant son prénom, et sa mère se retrouve obligée de la poser au sol. Elle s’élance et saute dans mes bras, menaçant de nous faire tomber toutes les deux. L’enfant dans les bras, je m’éloigne de mon frère pour me rapprocher de sa femme. Je sais qu’elle est souvent plus raisonnable que Milo. « Va lui parler, s’il te plait. Il en a besoin. » Son regard passant de moi à lui, elle soupire. Elle le connaît, elle sait qu’il est trop fier pour venir de lui-même. Et même si je ne sais pas pourquoi, il est clair qu’entre les deux adultes une discussion s’impose. Voyant que la petite est entre de bonnes mains, elle s’éloigne de nous pour aller affronter l’humeur maussade de mon frère aîné. Puis, ma nièce toujours dans les bras, je me rapproche d’un petit groupe qui s’est formé, et qui comprend ma mère, Ana, mon frère Luca, et les jeunes mariés. Quand j’arrive à leur hauteur, je confie la petite à ma mère, qui semble approuver ce que je viens d’orchestrer. « On va vous laisser. Le décalage horaire commence à se faire sentir. On se voit demain matin. » Ce n’est qu’un demi mensonge, car en vérité, la fatigue commence réellement à se faire sentir, sournoise. J’étreins chaleureusement chaque membre de ce groupuscule, même ma soeur qui dépeint une mine boudeuse. Peu importe, je sais très bien qu’elle sera passé à autre chose dans peu de temps, alors je ne m’en formalise pas. C’est toujours comme ça avec elle. Puis je tourne les talons et me dépêche de sortir pour rejoindre Vitto dehors.
Quand j’arrive à ses côtés, il m’attrape immédiatement la main, et je crois apercevoir dans ses yeux une lueur de mécontentement, si fugace que je ne peux qu’en douter. Son regard s’attarde derrière moi, comme s’il cherchait quelque chose. « Viens. C’est ce sentier-là qui mène à la plage ? » Je hoche la tête. Ça nous mènera à un endroit qui devrait être désert à cette heure. Parfait pour passer un peu de temps en tête à tête. Nous arrivons rapidement sur la plage en question, et après quelques mètres à trébucher dans le sable couleur cendre, je me débarrasse de mes chaussures pour les prendre en main, vite imitée par l’Italien. Me tenant toujours par la main, il m’entraine à sa suite, et nous marchons le long des vagues jusqu’à arriver à un endroit plus lointain, une petite baie enclavée dans des falaises. « Ils n’ont pas ça, chez les kangourous. » Ses chaussures terminent au sol, et il desserre avec soulagement la cravate qui lui étreignait le cou. Je lâche les miennes quand il m’attire à lui et qu’il m’embrasse sans aucune retenue. Je lui rends son baiser, profitant du glissement de ses lèvres contre les miennes, et de toutes les sensations que cela m’apporte. Pas un bruit autour de nous en excluant le clapotis des vagues. Quand il recule et met fin à cet intermède délicieux, je laisse remonter mes mains le long de ses bras jusqu’à sa nuque. « Pas trop traumatisé par l’évènement que tu viens de vivre? » J’ai bien vu qu’il n’était pas à l’aise parmi tout ça, mais je ne sais pas si c’est le contexte qui en est la cause, ou si il a à un moment donné croisé un membre de ma famille qui aurait eu une remarque déplacée ou autre. Les connaissant, que quelqu’un aie été maladroit ne serait guère étonnant. La lune, haute dans le ciel, nous éclaire si bien que je peux distinguer sans mal le moindre détail du visage de Vittorio. « Je pense avoir un moyen pour nous changer les idées. » D’un geste précis, je défais la fermeture de ma robe, et la laisse glisser le long de mes épaules, pour aller s’échouer au sol. Sous les yeux de l’Italien, mes sous-vêtements suivent rapidement pour rejoindre la robe déjà dans le sable. Puis je romps le contact visuel avec Vittorio pour aller rejoindre les vagues, appréciant le contact de l’eau, fraîche, sur ma peau. Je rentre dans l’eau jusqu’à la taille, avant de m’adresser de nouveau à Vittorio. « Tu comptes me rejoindre ou tu préfères regarder? » Je disparais un instant dans les flots, avant de refaire surface, la fraîcheur de l’eau ayant définitivement effacé la fatigue qui pointait son nez.
CODAGE PAR AMATIS
Dernière édition par Gaïa Salvatori le Dim 12 Juin 2022 - 18:29, édité 1 fois
Ironique, comme il avait quitté ce pays pour ne plus sentir sur sa nuque le poids d’une menace invisible où qu’il aille, et comme pourtant il se sentait plus apaisé sur cette plage qu’il ne l’avait été nulle part durant ces deux ou trois dernières années. Une partie de lui, la plus naïve sans doute, aimait à penser qu’il s’était suffisamment fait oublier désormais pour qu’il soit en mesure, s’il le décidait, de reprendre ici ou ailleurs le long de la botte une vie tranquille dont il pourrait apprendre à se satisfaire. Il y avait eu d’autres scandales, d’autres têtes à abattre, et au fond qui se souciait encore d’un petit procureur adjoint dont l’ambition dévorante n’avait pas suffi à empêcher sa carrière de mourir avant d’avoir eu le temps de laisser son empreinte où que ce soit ? Cinq ans plus tard Vittorio n’était probablement plus personne ici, une balafre pour l’ego mais un mal pour un bien, peut-être … Suffisamment pour que le parfum de Gaïa ne suffise plus à réveiller l’amertume qui le rongeait encore, parfois, en repensant au rôle que la journaliste avait joué dans tout ce chapitre de sa vie. À cette seconde précise l’odeur brassée de la méditerranée, des oliviers et de la peau de la jeune femme avait le même goût de paradis que le baiser qu’ils étaient en train d’échanger, et durant quelques secondes l’italien s’était autorisé à ne penser à rien d’autre. Les mains de la jeune femme remontant finalement jusqu’à sa nuque, il avait laissé échapper un bref rire lorsqu’elle avait questionné « Pas trop traumatisé par l’évènement que tu viens de vivre ? », et secouant la tête en faisant mine de réfléchir sérieusement à la chose il avait prétendu « Si, terriblement. Je ne sais pas comment je vais m’en remettre. » en se fendant d’un soupir exagéré, lui volant à nouveau un bref baiser comme pour se faire pardonner sa bêtise. La soirée en réalité avait été en réalité moins terrible que ce à quoi il s’attendait, quand bien même le napolitain avait tout du long eu l’impression de devoir jouer la comédie – mais il avait l’habitude, au fond Vitto était rarement lui-même en société, et cette soirée n’avait rien d’une première. « Je pense avoir un moyen pour nous changer les idées. » avait en tout cas repris Gaïa, le ton mutin et une lueur d’espièglerie dans le regard tandis qu’elle se détachait de lui et faisait glisser sa robe jusqu’à ses pieds. Le regard n’en perdant pas une miette et un sourire envieux sur les lèvres, Vitto suivait des yeux chaque mouvement de la journaliste dans sa quête vers le plus simple appareil mais s’était laissé distraire une seconde de trop pour la rattraper lorsqu’enfin elle s’était dérobée à lui pour rejoindre les vagues. « Tu comptes me rejoindre ou tu préfères regarder ? » Croisant les bras d’un air narquois, il avait rétorqué « Ne me tente pas. » quand bien même il n’avait, évidemment, aucune intention de rester bras ballants (et habillé) sur le sable pendant qu’elle papillonnait dans les vagues. Libéré d’abord de sa cravate et du sentiment de comédie qu’il y attachait, l’italien s’était à son tour délesté un à un de tous ses vêtements pour retrouver la tenue d’Adam qu’il affectionnait tant, et s’élançant dans l’eau sans y réfléchir à deux fois il avait disparu sous la surface noire comme de l’encre pour ne réapparaître qu’une fois arrivé à hauteur de la journaliste. « Vous m’aviez caché ce goût pour les bains de minuit, signorina … Je vais me demander ce que vous dissimulez d’autre. » Louvoyant entre les vagues, il lui avait attrapé la main et l’avait attirée à lui pour lui voler un baiser, se délectant un instant de la sensation de leurs corps l’un contre l’autre avant de s’éloigner à nouveau en quelques brasses. L’eau était fraiche, mais bien moins que ne pouvait l’être le Pacifique, dans lequel Vitto ne se baignait d’ailleurs que rarement … Les seules véritables plages étaient loin de Brisbane, et il aurait fallu le payer très cher pour le voir mettre un orteil dans la pataugeoire aménagée sur la Brisbane River. « Je pourrais rester là éternellement … » La remarque lui avait échappé presque malgré lui, tandis qu’il passait une main sur sa tignasse dégoulinante et levait le nez vers le ciel. Mais à quoi bon se faire du mal ? Secouant la tête comme pour remettre de l’ordre dans ses pensées, il s’était enfoncé dans l’eau pour faire remonter l’eau jusqu’au-dessus de ses épaules et avait reporté son attention sur Gaïa. « J’espère qu’on ne te tiendra pas trop rigueur de mon absence, demain. » Il ne comptait pas s’en excuser pour autant, il n’avait jamais caché avoir ses propres affaires à régler en acceptant d’accompagner l’italienne à sa réunion familiale. « Mais si je ne rentre pas trop tard, je me disais qu’on pourrait … Je ne sais pas, aller se balader en ville. Jouer aux touristes. J’ai envie de voir où Gaïa-Salvatori-journaliste-d’investigation a grandi avant de décider que l’herbe était plus verte à Rome. » L’enfance de la jeune femme était sans nul doute à des années lumières de la sienne, il le savait déjà … Mais il était curieux. Le genre de curiosité qu’il n’avait pas encore lorsque leur relation se résumait à du bon temps et du bon vin entre deux portes d’un appartement romain.
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Perdue au milieu des eaux noires, lorsque je refais surface je rencontre immédiatement le regard de Vittorio qui n’a pas bougé, comme hypnotisé. Puisqu’il est toujours à la même place, je me sens presque obligée de lui faire une remarque, pour l’encourager à se mouvoir rapidement pour venir me retrouver entre les vagues, l’envie sentir sa peau contre la mienne se faisant plus pressante. « Tu comptes me rejoindre ou tu préfères regarder ? » Je le vois croiser les bras, et le regard qu’il me lance me fait bouillir les sangs, me faisant instantanément oublier la fraîcheur de l’eau qui lèche ma peau nue. « Ne me tente pas. » Qu’il lance, avant de commencer à se déshabiller quelques secondes plus tard seulement. Ravie de ne pas avoir à insister davantage, je profite du spectacle qui se déroule devant mes yeux, souriant un peu plus à chaque vêtement qui glisse le long de sa peau pour aller rejoindre le sol, appréciant d’autant plus chaque centimètre carré de sa peau qui se découvre. La seule chose qui me fait détourner le regard, et même fermer les yeux, c’est toutes les gouttelettes d’eau salée que l’entrée dans l’eau énergique de Vittorio m’envoie au visage. Je bats des paupières, et brusquement il est juste à côté de moi. « Vous m’aviez caché ce goût pour les bains de minuit, signorina … Je vais me demander ce que vous dissimulez d’autre. » Il attrape ma main, et l’espace d’un instant je me retrouve lovée contre lui, dans l’eau, ses lèvres salées plaquées sur les miennes. Un court moment, et quelques secondes plus tard, je suis de nouveau seule dans les vagues noires, alors qu’il s’est éloigné un peu. « Si tu veux connaître mes petits secrets il faudra me faire avouer, mais prépare-toi, je ne suis pas facile à faire parler… Pour info, la torture classique ne fonctionnera pas. » Un sourire mutin de ma part, qu’il me rend volontiers. Je trépigne de le voir essayer, mais bientôt son regard se fixe à nouveau sur ce qui nous entoure. L’interrogatoire aura lieu plus tard… Je le vois lever les yeux vers le ciel, observer le paysage céleste qui s’étend au dessus de nos têtes, immense, et aussi noir que la mer où nous nous baignons. « Je pourrais rester là éternellement … » Dans l’eau nocturne de la Méditerranée, nu comme un ver et en ma compagnie? C’est l’émotion qui pointe dans sa voie qui me retient de faire la remarque, de le piquer comme nous en avons l’habitude. Je sais que sa terre natale, notre Italie, lui manque, plus que ce qu’il n’a jamais osé l’avouer. Mais s’il semble décidé à rester en Australie, alors ce petit intermède en Campanie aura au moins eu le mérite de lui redonner le sourire. Il finit par reporter son attention sur moi. « J’espère qu’on ne te tiendra pas trop rigueur de mon absence, demain. » Je secoue la tête. « Ce n’est pas comme si ils avaient leur mot à dire. Et ça te permettra aussi de souffler un peu… » J’aime profondément ma famille, leur joie de vivre et leur sans-gêne, mais à la longue, je sais qu’ils peuvent être fatigants, en particulier quand ils sont en si grand nombre au même endroit. Alors pour quelqu’un comme Vittorio, qui n’a clairement pas l’habitude de ce genre de rassemblement, une petite pause loin de toute cette agitation ne peut être que bénéfique. Dans tous les cas, et même s’il s’était senti dans son élément et assez à l’aise pour affronter mes proches, il m’avait prévenue dès le début qu’il devrait s’absenter un moment pour régler des affaires de son côté. Et si je brûle de savoir de quelles affaires il parle, j’ai pour l’instant réussi à tenir ma langue. « On ne m’en tiendra pas rigueur, je risque surtout de me prendre une remarque désagréable de ma soeur, que je n’ai pas réussi à te garder avec moi, que tu es sûrement allé papillonner ailleurs… Un truc du genre. » Je soupire. J’arrive toujours à passer au dessus des commentaires acerbes d’Ana, mais ce n’est pas pour autant que ça ne me pique pas. En particulier quand il s’agit de Vittorio, qui lui plait, il faudrait être aveugle pour ne pas l’avoir remarqué. Je secoue la tête. Peu importe, je ne vais pas laisser demain empiéter sur cette soirée plus qu’agréable. L’Italien continue sur sa lancée, visiblement peu désireux qu’on s’attarde un peu plus sur les détails de son escapade. « Mais si je ne rentre pas trop tard, je me disais qu’on pourrait … Je ne sais pas, aller se balader en ville. Jouer aux touristes. J’ai envie de voir où Gaïa-Salvatori-journaliste-d’investigation a grandi avant de décider que l’herbe était plus verte à Rome. » Avec un sourire, je me rapproche de lui, réduisant presque à néant la distance qui nous séparait jusque là, le besoin d’être a proximité de lui se faisant sentir. C’est une idée qui me plait assez, il faut l’avouer. De jour ou de nuit peu importe, la visite de la ville peut se faire à n’importe quelle heure… Il n’y a pas besoin d’être en journée pour que je lui fasse découvrir les endroits les plus beaux de la ville, des endroits peu fréquentés et préservés des touristes, à ceux débordants de vie qui se trouvent à chaque coin de rue. Les balcons fleuris, les fontaines, les pavés usés par le temps et par les passants. Tous les endroits que je fréquentais lorsque j’étais enfant. Je me rapproche encore plus, quémandant un baiser, faisant mine de réfléchir avant de conclure. « C’est une idée. Ça me plairait beaucoup de te servir de guide. » Ma mère voudra nous avoir à manger au moins une fois avant qu’on reprenne l’avion, c’est une certitude. Elle ne laissera pas repartir Vittorio sans avoir pu le cuisiner un peu avant. Mais d’ici là, et si l’Italien parvient à régler ses affaires le plus rapidement possible, j’aurais largement le temps de lui faire visiter la ville, dont il n’a vu que l’église pour le moment. « Tu vas certainement trouver ça bizarre, mais même dans ma tête de petite fille, l’herbe a toujours été plus verte à Rome. Quand j’étais gamine, c’était juste de la curiosité, parce que je voulais voir d’autre choses, rencontrer plus de gens. En grandissant, cette envie s’est transformée en besoin. On a voulu m’imposer certains choix, et je ne pouvais pas l’accepter. » La lune est haute, pleine et illumine partiellement les traits de l’Italien qui me fait face. La lumière est parfaite, donne à la scène des allures presque mystiques. Je soupire à nouveau, hausse les épaules, évite le regard de Vittorio qui me sonde. « Désolée. J’imagine que tout ça doit te paraître un peu absurde. » Pauvres soucis de petite fille riche. De ce qu’il a bien voulu me raconter, des bribes de son histoire qu’il a accepté de me livrer, je sais que son enfance n’a pas été des plus simples. Je me sens soudain ridicule, et résiste à l’envie de disparaître un instant sous l’eau, pour essayer d’effacer mon embarras.
CODAGE PAR AMATIS
Dernière édition par Gaïa Salvatori le Dim 12 Juin 2022 - 18:38, édité 1 fois
La mer était aussi noire que l’aurait été le ciel si la lune n’y avait pas mis un peu de clarté. D’ici on n’entendait rien, ni le bruit de la route, encore moins celui de la ville, et si la chose était on ne peut plus triviale l’espace d’un instant Vitto avait eu la sensation que là se trouvait la véritable différence entre les privilégiés et « le reste ». Le vrai luxe ce n’était pas les bijoux tape à l’œil, les voitures rutilantes, les chaussures hors de prix – c’était ça. Pouvoir faire son nid à l’abri des autres, du tumulte de la ville, c’était posséder tellement de terrain que lorsqu’on allait s’y perdre il suffisait de le vouloir pour se persuader que plus rien autour n’existait plus … Cela n’avait l’air de rien, mais pour quelqu’un comme Vittorio qui avait grandi dans une barre HLM aux murs tellement fins que ni les plans culs de la voisine du dessus ni les accès de colère du voisin de gauche n’étaient un secret pour personne, pas même les oreilles d’enfants. Le silence à Scampia n’existait jamais vraiment, il y avait toujours une télévision allumée trop fort quelque part, un couple qui se querellait à un autre étage, un moteur qui grondait ou des pneus qui crissaient au pied de l’une des tours, un chien qui aboyait – un coup de feu qu’on tirait aussi, parfois, mais ceux-là particulièrement chacun apprenait vite à faire mine de ne pas les entendre. Mais ici – ici – ce n’était que le clapotis des vagues, le bruissement d’ailes d’une mouette, et le silence cotonneux de la nuit encore loin d’être terminée. Et la voix de Gaïa en écho mélodieux, l’attention trop éparpillée l’espace d’un instant pour que la connexion ne se fasse entre ses mots à elle et son attention à lui, et la remarque sur le fait qu’il aurait pu rester là éternellement lui échappant dans un souffle le regard de la journaliste lui avait donné la sensation d’être pris sur le fait. La bulle dans laquelle il s’était momentanément enfermé venait d’éclater, et l’esprit revenant à des choses un peu plus terre-à-terre il s’était informé sur la probabilité que son absence le lendemain fasse jaser du côté des proches de sa cavalière. « Ce n’est pas comme si ils avaient leur mot à dire. Et ça te permettra aussi de souffler un peu … » Volontairement ou non, la remarque de Gaïa était parvenue à lui arracher un léger rire « J’ai travaillé pour le bureau du procureur je te rappelle, j’ai eu affaire à plus coriace. » Mais il appréciait le fait qu’elle semble s’en soucier malgré tout. « On ne m’en tiendra pas rigueur, je risque surtout de me prendre une remarque désagréable de ma soeur, que je n’ai pas réussi à te garder avec moi, que tu es sûrement allé papillonner ailleurs … Un truc du genre. » Dire qu’il avait toujours cru que les crêpages de chignons entre filles d’une même fratrie n’étaient que pure légende. « Et dire que je me croyais spécial avec mes histoires de relations fraternelles compliquées. » avait-il alors ironisé avec un brin de taquinerie, laissant à nouveau l’eau le porter jusqu’à la journaliste et passant ses bras autour de sa taille pour l’attirer contre lui. « Je penserai à ça … » Et par ça il voulait dire : les baisers qu’il était en train de déposer sur son épaule, sur sa nuque, sur ses lèvres. « … toute la journée jusqu’à mon retour. » Et sur ses lèvres à nouveau, tandis qu’un sourire mutin les étiraient. Les médisances de sa sœur pouvaient bien couler.
Si le programme avait été autre, peut-être aurait-il proposé à Gaïa de l’accompagner. Mais le programme était ce qu’il était, pavé de ces pans de son jardin secret qu’il ne souhaitait pas partager avec elle, pas partager avec qui que ce soit, et en cela l’excuse de lui laisser le temps de profiter seule de sa famille tombait à pic. Vittorio le savait, il ne reviendrait probablement pas au pays avant un (long) moment, et ce voyage depuis l’autre bout du globe c’était une occasion que clore certains chapitres qui trainaient depuis trop longtemps eux aussi ; Peut-être Gaïa en ferait-elle de même de son côté, et sur d’autres sujets. Si la journée portait ses fruits, se Dio vuole, ils auraient encore la soirée pour flâner et feindre un brin d’insouciance. « C’est une idée. Ça me plairait beaucoup de te servir de guide. » Répondant à son baiser avec tendresse, il se demandait quel souvenir Gaïa gardait des environs – si elle était encore attaché aux lieux, aux souvenirs qui allaient avec. Il n’avait pas besoin de réfléchir pour savoir que s’il était né de ce côté-ci de la baie, il n’aurait pas déployé autant d’énergie pour s’en extirper qu’il ne l’avait fait pour quitter Scampia. « Tu vas certainement trouver ça bizarre, mais même dans ma tête de petite fille, l’herbe a toujours été plus verte à Rome. » avait par ailleurs rebondi Gaïa au sujet de sa remarque. « Quand j’étais gamine, c’était juste de la curiosité, parce que je voulais voir d’autres choses, rencontrer plus de gens. En grandissant, cette envie s’est transformée en besoin. On a voulu m’imposer certains choix, et je ne pouvais pas l’accepter. » Elle semblait pourtant avoir (presque) tout pour être heureuse, la Gaïa haute comme trois pommes qu’il avait imaginé courant dans les allées de la propriété où il déambulait encore une heure plus tôt. « Désolée. J’imagine que tout ça doit te paraître un peu absurde. » Malgré lui il avait détourné le regard, forcé d’admettre que tout cela ressemblait aux problématiques de petite fille riche dont il accablait déjà Livia. « Non … » avait-il pourtant prétendu, mais sans parvenir à y mettre l’aplomb nécessaire pour que cela ne semble pas sonner un peu faux. « Pas absurde. » avait-il alors repris, tentant de peser chaque mot « C’est juste que … Pour nous Rome c’était plutôt une question de survie. Rome ou ailleurs. » Et tous n’avaient pas de quoi y parvenir, tous ne pouvaient (ou ne voulaient) pas se le permettre … Ce nous c’était lui, c’était Nino, c’était Vince ou Gennaro, c’était même ce serveur qui traversait la baie pour servir le vin à ces gens qui semblaient vivre sur une autre planète que la sienne. « Mais je suppose qu’on cherche tous à échapper à quelque chose. » La misère et la délinquance pour lui, les griffes trop acérées d’une famille accaparante pour elle – et vers là où l’herbe était plus verte, en somme. « Ma … sœur. Elle venait d’une famille comme la tienne – riche – les frères et sœurs en moins, et elle a tellement eu besoin de prendre le large qu’elle a mis deux continents d’écart entre ses parents et elle. » Cela restait nébuleux pour lui, Livia avait eu tous le confort et les privilèges dont ses frères et lui avaient toujours manqué, et comme à Gaïa autre chose lui avait manqué.
Était-ce la conversation qui devenait trop sérieuse, ou la température de l’eau qui commençait à faire son effet, reste que l’italien avait senti la chair de poule glisser le long de ses bras et les avait automatiquement resserrés autour de Gaïa comme pour absorber un peu de sa chaleur. « On devrait regagner la terre ferme, si on veut avoir une chance de dormir un peu avant demain. » Il suggérait de bouger mais il ne bougeait pas lui-même, ou juste pour l’embrasser à nouveau, goûter le sel qu’elle avait sur les lèvres et sur la peau, et y goûter encore lorsqu’ils avaient retrouvé les draps de leur chambre d’hôtel, enlacés l’un contre l’autre à attendre un sommeil qui se faisait désirer. Il n’avait pas menti à Gaïa en affirmant que l’homme qui l’avait agressée ne l’avait probablement pas reconnue, pas plus qu’il n’avait d’intérêt particulier à s’en prendre à nouveau à elle ce soir-là ; Nino n’avait que des moyens limités, il ne pouvait pas avoir recruté autre chose qu’une petite frappe en manque de cash pour faire son sale boulot. Il n’avait pas menti, et malgré tout il n’était pas tranquille, incapable de fermer l’œil et l’oreille tendue, prête à identifier le moindre bruit qui semblerait inhabituel. Gaïa non plus ne dormait pas, il le remarquait au rythme de sa respiration, et les doigts jouant doucement avec une mèche de cheveux contre sa tempe il avait fini par demander à voix basse « Tu veux en parler ? » De ce qui la tenait éveillée. Était-ce son père, ses frères et sœurs, ce mariage, ou la même raison qui tenait Vitto éveillé lui aussi … Peut-être même était-ce lui, à cogiter, qui l’empêchait de trouver le sommeil.
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Les yeux rivés sur l’eau noire, je ne vois pas la réaction de Vitto face à ma déclaration. C’est le timbre de sa voix, quand il finit par répondre, qui me renseigne sur son état d’esprit, et me donne envie à nouveau de disparaitre sous l’eau. « Non… Pas absurde. » La courte pause qu’il s’accorde entre les deux morceaux de sa phrase a tout un sens. Il a beau dire que non, ça ne lui parait pas absurde, il est clair que si ça me parait ridicule à moi, la question ne se pose pas pour lui. Néanmoins, je lui suis reconnaissante de son tact et des précautions qu’il prend, de ne pas chercher à m’enfoncer davantage, alors qu’il aurait pu se le permettre. « C’est juste que … Pour nous Rome c’était plutôt une question de survie. Rome ou ailleurs. » Il poursuit, et je me rends compte que c’est beaucoup plus douloureux que ce qu’il a bien voulu laisser entendre précédemment. Toujours proche physiquement de l’Italien, je résiste à l’envie de le toucher, me contente de croiser les bras, tout en cherchant son regard. « Je suis désolée, Vitto. » Même si je n’y peux rien, et même si cette empathie que je ressens par rapport à cette partie de sa vie, par rapport au petit Vitto, ne lui apporte rien, ou pas grand chose. Mais je suis désolée. Désolée d’avoir eu des conditions de vie si faciles, quand pour lui c’était une question de survie, comme il l’a avoué. Désolée, à nouveau, d’avoir détruit avec un papier tout ce qu’il avait construit à Rome, sa rédemption, après qu’il ait réussi à fuir l’adversité pour se forger une vie meilleure. « Mais je suppose qu’on cherche tous à échapper à quelque chose. » Chacun ses problèmes, c’est sûr. Soudainement frigorifiée, attaquée par la chair de poule, je m’enfonce dans l’eau jusqu’au cou pour couper les petites rafales de vent qui ont décidé de faire leur apparition. Une maigre tentative pour conserver de la chaleur, quand l’eau salée dans laquelle nous baignons devient si fraîche. « Tu cherchais à échapper à un danger bien physique, pour moi le danger, c’était la dépression. » Et au final, je ne m’en étais pas si mal sortie, depuis la seconde où j’avais posé le pied dans l’avion en partance pour Rome. Vitto non plus ne s’en sortait pas si mal là-bas, on peut même aller jusqu’à dire qu’il y brillait, en tant que substitut du procureur. Jusqu’à ce que je décide de tout gâcher, sans même en avoir mesuré les conséquences. Pour de la renommée. Un silence s’installe, et puis finalement, l’Italien reprend la parole, pensif. « Ma … sœur. Elle venait d’une famille comme la tienne, les frères et sœurs en moins, et elle a tellement eu besoin de prendre le large qu’elle a mis deux continents d’écart entre ses parents et elle. » Je garde un instant le silence, en me demandant s’il va poursuivre. Il parle si peu souvent de sa soeur, cette soeur mystère qu’il a découverte il y a quelques années à peine, que je ne veux pas prendre le risque de l’interrompre, s’il a décidé de s’ouvrir un peu à moi sur ce sujet. Mais quand il reste silencieux à son tour, je comprends qu’il en a terminé pour ce soir. « Elle avait certainement une bonne raison. On avait tous une bonne raison de partir. » Certaines sont juste plus urgentes que d’autres. Mais dans la plupart des cas, la fuite, est souvent la chose la plus facile à faire, la moins douloureuse, la plus sûre. Même si au final les problèmes sont toujours là, ils sont juste… Plus loins. Un nouveau silence s’installe entre nous. Moins pesant cette fois, plus confortable. De longues minutes passent, et lovée dans ses bras, je sens Vittorio resserrer son étreinte, frissonner. Je suis bien incapable de dire depuis combien de temps nous sommes là, enlacés dans l’eau qui se rafraîchit à mesure que la lune trace son chemin dans un ciel d’encre. « On devrait regagner la terre ferme, si on veut avoir une chance de dormir un peu avant demain. » Ça paraît logique, et pourtant, il ne bouge pas. Du moins pas pour sortir de l’eau dans la seconde, puisque l’Italien préfère venir goûter mes lèvres à nouveau, en un baiser langoureux qui s’éternise. Finalement, c’est le vent naissant qui aura raison de nous, nous faisant sortir de l’eau et regagner nos vêtements. Puis les enfiler sans attendre, trempés, puisque ne pouvant pas compter sur la lune pour sécher nos peaux humides. Préférant regagner notre hôtel un minimum habillés plutôt que complètement nus, un court intermède en tissus aussitôt abandonnés une fois la porte refermée derrière nous. Et une fois sous les draps, lovés l’un contre l’autre, je commence à cogiter. Je repense à tout ce qui s’est passé aujourd’hui. Le bonheur inscrit sur les traits de mon petit frère, ma soeur la jalouse, mon père qui m’observe sans jamais m’adresser un mot… Je pense aussi à l’Italien, à ce que je ressens dès qu’il est près de moi, à ce qu’il m’a susurré tout à l’heure dans l’eau, en me couvrant de baisers… Je penserai à ça toute la journée jusqu’à mon retour... Un frisson me parcourt, Vittorio jouant avec une mèche rebelle de mes cheveux, distraitement. Et puis s’inscrit dans mon esprit, bien clairement, son visage. Celui du serveur, de l’agresseur. L’un des visages qui a hanté mes nuits pendant des mois, qui m’a fait cauchemarder et angoisser à chaque fois que je devais me déplacer seule, de nuit. Allongée dans le noir, la nervosité resurgit. Mis à part la parole de mon Italien, qu’est ce qui m’empêche de l’imaginer franchir la porte, pour venir terminer ce qu’il avait commencé il y a 4 ans? « Tu veux en parler ? » La voix de Vittorio qui murmure coupe court le flot des mes pensées noires. Je soupire. « Nino me hait. » C’est un fait, et peut-être même qu’il me hait encore plus depuis qu’il sait que je me trouve moi aussi sur les terres Australiennes. Et s’il avait appris pour le mariage, s’il avait appris que je fricotais de nouveau avec son frère adoré? Et s’il avait demandé à son larbin de venir me donner une nouvelle leçon? Je lève un peu la tête pour croiser le regard interloqué de Vittorio. « Et si ce n’était pas une coïncidence? » J’ai beau retourner la situation dans tous les sens, ça me paraît tellement gros pour être une coïncidence. Et pourtant, j’ai l’impression d’être complètement parano. « Je veux dire… Et si il avait découvert pour… » Pour nous. Peu importe ce que nous sommes en train de faire, puisque nous n’avons jamais mis les mots sur cette situation. Dans tous les cas, imaginer que Nino n’apprécie pas le fait que je sois dans les parages de son frère n’est pas aberrant. Mais maintenant il est père… Est-ce que c’est un critère qui pourrait adoucir ses rancoeurs? « Tu crois qu’il serait capable de refaire appel à eux encore une fois? »
La journée avait été éreintante, pour elle autant que pour lui, pour leurs pieds autant que pour leurs nerfs. Le monde, le bruit, et la tension constante pour Vittorio de se retrouver dans un lieu qu’il ne connaissait pas, au milieu d’une foule qu’il ne connaissait pas, et dans laquelle il avait dû user des mêmes mécanismes de survie l’ayant accompagné durant ses années de vie à Rome – ceux visant à gommer toute trace du milieu défavorisé dont il tentait de se défaire. La journée avait été éreintante, mais … Au bout du compte ni l’un ni l’autre ne semblaient parvenir à trouver le sommeil, aux prises avec leurs propres songes et leurs propres tracas, et la crainte aussi peut-être d’une porte ou d’une fenêtre qu’un intrus viendrait faire grincer, quand bien même le risque était quasi-inexistant. Las de fixer le plafond en cogitant sur ce qui l’attendait le lendemain, Vittorio avait le premier décidé de briser le silence que tous deux conservaient artificiellement dans l’espoir de faire venir le sommeil – et peut-être viendrait-il enfin, ainsi. Le « Nino me hait. » obtenu en réponse l’avait toutefois un peu pris au dépourvu, son cadet n’ayant jamais été moins un souci que depuis que des dizaines de milliers de kilomètres les séparaient, la journaliste et lui. « Nino hait la terre entière. » avait-il alors corrigé dans une tentative un peu maladroite de faire de l’esprit, certain au demeurant que son frère ne possédait désormais plus à l’égard de Gaïa qu’un profond mépris, en lieu et place de la haine un peu mal placée qu’il avait pu nourrir à l’époque où il l’estimait responsable de tout ce qui n’allait plus dans sa relation avec Vitto. « Et si ce n’était pas une coïncidence ? » Quoi, le fait que Nino la haïsse ? « Je veux dire … Et si il avait découvert pour … » Pour eux ? Vitto avait la bêtise de penser que son frère n'en aurait probablement plus rien à cirer – il savait que Gaïa était toujours en ville, et il n'avait même pas eu besoin de lui pour le découvrir. S'il avait assez de jugeote pour relier les points tout seul il en avait peut-être même déjà tiré les conclusions qui s'imposaient, et compris de lui-même que ce n'était pas une discussion que Vitto et lui avaient besoin d'avoir. Le boxeur se passait bien volontiers des conseils de Nino en matière de femmes, il n'était pas mieux placé.
« Tu crois qu’il serait capable de refaire appel à eux encore une fois ? » Il s'était laissé happer sans le remarquer par ses propres pensées, avant que la question ne le ramène brusquement à la réalité. « Quoi, Nino ? » Bien sûr que oui, Nino – mais la chose lui semblait tellement improbable que la rhétorique l'avait emportée. « Non, bien sûr que non. » S'appuyant sur l'un de ses coudes pour se redresser, il avait posé sur Gaïa un regard plus sérieux. Ils n'en avaient jamais vraiment parlé au fond, c'est vrai. « J'ai jamais trop su si … s'il avait fait ça parce qu'il t'estimait responsable du fait que je l'ai laissé tomber, ou s'il pensait qu'en s'occupant de ton cas pour moi je passerais l'éponge sur le reste. » Et il ne saurait probablement jamais, car cette conversation-là aussi il espérait bien ne jamais l'avoir avec son frère. « Dans les deux cas, il n'a aucune raison de recommencer. » Marquant une pause, ses lèvres s'étaient pincées avec hésitation avant qu'il ne se décide à ajouter « Et je pense pas que … » Que Nino était du genre à s'acharner ? Qu'il ait voulu autre chose que simplement lui faire peur ? Nino était beaucoup de choses, mais ce n'était pas un assassin. « Disons que s'il avait voulu qu'ils finissent le travail, ils l'auraient fini la première fois. » Cela devait sonner abrupt, mais c'était un fait : si Nino avait payé ces types pour autre chose que de la secouer un peu ils se seraient assurés que la part du marché était respectée jusqu'au bout … Et Gaïa ne serait plus là pour en parler. L'idée lui arrachant un frisson désagréable, il avait attrapé l'une des mains de la jeune femme et entrelacé leurs doigts avant de déposer un baiser sur les siens « T'as pas à t'en faire. » avait-il finalement assuré, mais en semblant paradoxalement vouloir se convaincre lui-même autant qu'elle. Car en vérité la tête de Nino valait bien plus cher que la tête de la journaliste désormais. Elle valait plus chère que sa tête à lui, même, et s'il devait prier pour quelque chose actuellement c'était pour que l'homme croisé au mariage ne soit pas suffisamment physionomiste pour les relier l'un ou l'autre au traditore dont le cadavre ferait assurément gagner quelques galons à celui qui le ramènerai.
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La phrase qui s’échappe de mes lèvres, celle qui concerne Nino et le fait qu’il me hait, cette phrase provoque de la surprise chez Vittorio, je le lis dans ses yeux. Pas de la surprise par rapport au contenu de cette fameuse phrase, il n’est pas stupide d’avancer que le plus jeune des deux frères ne me porte pas dans son coeur, non. Ce qu’il l’a prit au dépourvu, c’est sûrement le fait que le nom de son petit frère soit sorti de ma bouche, alors que nous sommes enlacés dans les draps frais de notre chambre d’hôtel, à des milliers de kilomètres de l’intéressé. Mais ces mots sont le fruit d’une reflexion silencieuse qui m’accable depuis quelques minutes, et ne sont donc pas sortis de nulle part. « Nino hait la terre entière. » Pas totalement faux, j’imagine. J’espère qu’à l’époque il n’envoyait pas des gorilles casser la gueule à toutes les personnes qui lui tenaient tête, quoique ça ne m’étonnerait qu’à moitié. Heureusement, Nino semble s’être calmé depuis quelques temps, y compris à mon sujet. Mais le visage du larbin, celui qui m’avait mise à terre il y a quelques années me revient en tête, le souvenir de ses traits à cette époque là se superposant à son visage actuel, croisé il y a quelques heures à peine. Et malgré les mots de Vittorio par rapport à son frère, la nervosité me reprend. « Et si ce n’était pas une coïncidence ? » J’hésite, et continue, avant de perdre le courage de le faire. « Je veux dire … Et si il avait découvert pour … » Je me tais à nouveau, bien incapable de terminer ma phrase. Je suis presque certaine que pour le moment, le frangin ignore tout de ce qui nous lie, son frère et moi. Sinon, à défaut d’essayer de me faire tuer, comme il l’a déjà tenté dans le passé, il aurait quand même dû nous faire une petite crise. Après, s’il sait, il a déjà peut être fait son cirque à Vittorio… Mais si les deux n’avaient jamais abordé le sujet, et que Nino le découvre de lui-même… « Tu crois qu’il serait capable de refaire appel à eux encore une fois ? » C’est sorti tout seul, et honnêtement, je pose la question uniquement pour me rassurer, persuadée de connaître déjà la réponse. « Quoi, Nino ? » Oui, Nino. Qui d’autre? Je hoche la tête, en continuant d’observer l’italien. « Non, bien sûr que non. » Comme sonné, il se redresse un peu, sur les coudes, et me dévisage, son air devenant sérieux. Je capte son regard et le garde. « J'ai jamais trop su si … s'il avait fait ça parce qu'il t'estimait responsable du fait que je l'ai laissé tomber, ou s'il pensait qu'en s'occupant de ton cas pour moi je passerais l'éponge sur le reste. » Et s’il ne lui a pas demandé depuis tout le temps passé en Australie, c’est certainement qu’il ne le fera jamais. Nino ne reviendra pas sur ça de lui-même je pense, alors l’affaire semble classée. Et dans tous les cas, pour moi en tout cas, la raison importait moins que l’acte, et à l’époque j’avais passé un sacré mauvais quart d’heure. « Dans les deux cas, il n'a aucune raison de recommencer. » Tant mieux. Mais Vittorio ne semble pas avoir terminé, et hésite, avant de continuer sur sa lancée. « Et je pense pas que … » Nouvelle pause. Comme il met un peu plus de temps à continuer, cette fois-ci, je décide de l’encourager, à ma façon. « Quoi? Tu ne penses pas quoi? » Il reste un instant de plus silencieux, concentré, comme s’il cherchait ses mots ou en cherchait certains qui ne lui viennent pas. Mais finalement, il se décide. « Disons que s'il avait voulu qu'ils finissent le travail, ils l'auraient fini la première fois. » Un frisson parcourt ma peau, et subitement, j’ai froid. Je sais qu’il a sûrement raison, après tout à l’époque Nino trempait sûrement dans des trucs assez louches pour pouvoir faire taire certaines personnes de façon définitive… Et si j’avais survécu à l’agression, c’est certainement parce que le petit frère l’avait voulu, après tout. Ou alors il n’avait pas été assez précis dans ses ordres. Tout compte fait, ce n’est pas comme si j’avais vraiment envie de connaître les détails de l’évènement. Il saisit mes doigts et les entremêle avec les siens, effleure la fine peau de ma main de ses lèvres, provoquant un frisson qui n’a absolument rien à voir avec celui qui m’a saisie tout à l’heure. « T'as pas à t'en faire. » Pas à m’en faire parce que Nino n’en a peut être plus rien à faire de moi, que le larbin ne m’a pas reconnue, ou parce que Vittorio est à mes côtés? Ou peut être tout à la fois. « Si tu le dis… Je te fais confiance. » Passant ma main derrière sa nuque, j’exerce une légère pression pour l’attirer à moi, quémandant un baiser. Laissant mes doigts explorer sa peau, me délectant de chaque réaction que cela provoque sur Vittorio, je susurre à son oreille. « Parlons d’autre chose. Ou encore mieux, ne parlons plus du tout. » Nous avons fait le tour du sujet, pas besoin de s’attarder plus sur ce dernier. Le corps de Vittorio contre le mien, les inquiétudes qui me tourmentaient encore il y a un moment s’envolent. Ma famille, mon père, ma soeur, le larbin… Ça peut attendre, je préfère mille fois effleurer la peau de l’italien de ma bouche. De toute façon, le lendemain arrivait bien assez tôt.
S'il y avait bien un sujet sur lequel Vittorio s'était trop souvent montré naïf par le passé, c'était son frère cadet. Si les dix ans qui le séparaient de Gennaro avaient eu vite fait de le distancier de cet aîné au fond résolument mauvais, Vitto n'avait jamais su se protéger des mensonges et des fausses promesses de Nino. Capable de lui pardonner l'impardonnable, de lui trouver des excuses qu'il n'aurait pas envisagé une seconde pour qui que ce soit d'autre, et résolument incapable de ne pas accourir chaque fois que le benjamin de la fratrie de retrouvait dans de mauvais draps. Là-dessus leur mère avait bien travaillé, usant et abusant de cette culpabilisation chaque fois que Nino sortait du droit chemin depuis le bac à sable et jusqu'aux recoins crasseux de Scampia – Vitto était l'aîné, Vitto devait le surveiller, Vitto devait veiller sur lui, Vitto devait se montrer meilleur fils et meilleur frère que Genny. Vitto devait jouer le rôle du père et de la mère, et tant pis s'il avait à peine l'âge d'être un adolescent. Le départ à Rome, la Mamma ne lui avait pardonné que dès l'instant où il avait commencé à envoyer de l'argent comme on tentait de se racheter une conscience, et parce qu'inlassablement il continuait de rappliquer séance tenante dès que Nino s'attirait des ennuis. Ce que le plus jeune défaisait le plus vieux le raccommodait, ce que le plus jeune brisait le plus vieux le remplaçait … Il en avait toujours été ainsi, il en serait probablement toujours ainsi, et rien pas même l'influence de Gaïa n'y changerait probablement quoi que ce soit. Au sujet de la jeune femme néanmoins le romain d'adoption voulait croire que son frère avait retenu la leçon, et que jamais plus il ne tenterait de nuire à la journaliste … Le seul de ses crimes avait été d'indirectement éloigner les deux frangins, mais la partie se jouant désormais ailleurs Gaïa n'était plus ni une menace ni même un problème. Et des problèmes, Nino en avait bien d'autres à gérer.
La promesse faite à la jeune femme que, concernant au moins Nino, elle pouvait dormir sur ses deux oreilles avait été faite avec une tendresse qu'il n'adressait plus qu'à elle, et le « Si tu le dis … Je te fais confiance. » obtenu en retour lui avait fait autant (si ce n'est plus) d'effet que la main qu'elle était venue glisser derrière sa nuque pour l'attirer à elle. Le baiser était doux, aussi doux que les lèvres de l'italienne, lesquelles étaient finalement venues murmurer à son oreille « Parlons d’autre chose. Ou encore mieux, ne parlons plus du tout. » avec candeur. Scellant ses lèvres d'un geste de la main pour toute réponse, il avait laissé celles de Gaïa se perdre sur sa peau avec délectation, et caressé la sienne comme s'il voulait en chasser une fois encore toute preuve de qu'on y avait infligé quelques années plus tôt. Il voulait qu'elle frissonne d'autre chose, qu'elle soupire d'autre chose, et que son corps à lui soit le seul à pouvoir éveiller ses sens désormais. Les baisers menant aux caresses menant aux étreintes amoureuses avaient ramené sérénité et sommeil, et lorsque le bip de sa montre avait éveillé Vittorio quelques heures plus tard il avait quitté les draps comme on revêtait une armure, prêt à affronter les coups qu'il ne manquerait pas de prendre durant la journée qui l'attendait – fussent-ils purement métaphoriques.
Il n'avait pas menti. Gaïa n'avait que peu quitté ses pensées, de l'instant où il avait mis pied à bord du bateau qui traversait la baie, jusqu'à celui où la voiture l'avait déposé aux portes de Sorrente en début de soirée. Le coeur était trop lourd pour qu'il se sente capable d'affronter à nouveau la famille de la jeune femme, et sa peine l'avait accompagné tandis qu'il regagnait à pieds leur hôtel, longeant le port et ses odeurs tantôt rebutantes, tantôt ennivrantes. Elle n'avait pas entièrement disparu lorsque Gaïa était rentrée, la peine, mais accoudé au balcon de leur chambre l'italien avait senti son cœur bondir un peu au retour de sa belle et enfoui son visage dans son cou comme on respirait un parfum pour se rassurer. Éludant toute tentative de la jeune femme pour obtenir plus de détails sur de quoi avait été faite sa journée, Vitto avait obtenu la légèreté d'une dernière soirée sur leurs terres natales à se laisser guider à travers la ville par la journaliste, sa main quittant rarement la sienne et le regard naviguant sans cesse entre ce que Sorrente avait à offrir et ce que le profil de Gaïa donnait à contempler. C'était peut-être la dernière fois que les deux se mélangeaient, qui pouvait dire quand le napolitain reviendrait dans ce pays qu'il aimait tant, et s’il tentait d’emmagasiner la moindre seconde de souvenirs de cette soirée c’était dans l’espoir vain que le mal du pays, de retour à Brisbane, ne le frappe plus aussi fort.