Le voyage n’avait pas été particulièrement long, ni désagréable. Si tu n’étais pas particulièrement fan de l’avion lorsque tu avais commencé à tourner dans les différents états de l’Australie, tu t’étais habituée rapidement, sachant que c’était préférable à rouler pendant des journées de temps sur des routes pas toujours bien entretenues. Le vol entre Brisbane et Melbourne ne durait que deux heures, la même distance à parcourir entre l’aéroport et la maison de tes parents à Torquay. À l’aéroport, Rory et toi aviez fait votre possible pour être le plus discret possible, sachant qu’il serait facile de repartir la machine à rumeurs à votre sujet, surtout si vous étiez vus ensemble. Il suffisait d’un curieux, d’un geste, d’une photo prise sur un certain angle pour faire croire à n’importe quoi. Tu avais longtemps éviter de faire la une des journaux à potins lorsqu’il s’agissait de rumeurs, surtout sur ta vie sentimentale, et c’était maintenant plus important que jamais que ça reste ainsi. Tu gérais déjà difficilement avec les rumeurs entourant l’arrêt du film, tu ne pouvais pas imaginer avoir à gérer des rumeurs sur ta vie sentimentale en plus. C’est donc avec un certain soulagement que tu es rentrée dans la voiture louée pour le weekend avec Rory à tes côtés. Contente d’être loin des autres, ces autres que tu ne connaissais pas, ces autres qui comme lui pouvaient te faire du mal, d’une manière bien différente mais tout aussi traître. Tu ne parles pas beaucoup alors que la route change des routes occupées de Melbourne, jusqu’à celles un peu moins occupées de Geelong et finalement les routes tranquilles de Torquay. Le silence n’est pas lourd toutefois, même plutôt réconfortant dans ce naturel qui s’est installé dans les derniers mois entre le jeune Craine et toi. C’est que les choses avaient bien changé depuis votre première journée sur le plateau. Certains en mieux, comme votre amitié qui avait mis plusieurs mois avant de véritablement être. D’autres en pire, mais ça, tu refusais d’en parler la plupart du temps, même à Rory qui pourtant savait. Rory qui pourtant, ne jugeait pas. Rory qui pourtant, répondait toujours présent.

David t’avait réservé un accueil haut en couleur, même si ça faisait moins d’un mois depuis la dernière fois que tu l’avais vu. Si ton frère avait normalement du mal à être trop près des autres, il y avait longtemps qu’il n’avait plus aucun problème à entrer dans ta bulle. Tout de suite il te tend les mains pour des pressions, sa manière préférée de t’accueillir et tu n’as même pas le temps de poser tes sacs dans l’entrée qu’il insiste, ses mains attrapant les siennes. Tu profites de ce moment pour faire les présentations entre Rory et David, même si ce dernier perd rapidement l’intérêt de ce petit rassemblement et repart aussi vite qu’il n’est arrivé, sautant sur une jambe comme à son habitude. David cherchant toujours plus de sensations moteurs, tu n’étais encore qu’une adolescente lorsque tu avais appris à aimer les divers comportements de ton frère. Enfant, c’était principalement de marcher sur la pointe des pieds, et de flapper ses bras lorsqu’il était excité. Si le flapping était resté au cours des années, la pointe des pieds avait laissé place à un sautillement qui avait le don de rendre ta mère à cran, probablement parce que David n’avait pas complètement conscience de la place qu’il prend et qu’il avait tendance à briser bien des choses sur son passage. Une fois dans la maison, tu en profites pour faire visiter sommairement Rory avant de lui montrer la chambre d’amis ou tu l’invites à laisser ses choses. Tu lui montres ou sont les différentes salles de bain et le présente finalement à ta mère qui rougit plus qu’elle ne veut l’admettre alors qu’elle tend la main au jeune homme. Tu l’avais prévenu toutefois que ta mère était une groupie, une vraie. De ceux qui s’émerveillent éternellement devant des gens connus, que ce soit moindrement ou plutôt famous. Une fois les présentations faites, ta mère disparaît de nouveau, annonçant qu’elle allait prendre une marche avec David. « Fais comme chez toi Rory! » qu’elle lance finalement avec un léger gloussement, ce qui t’arrache un rire alors que la porte se ferme derrière elle et David. « Je te l’avais dit qu’elle était une groupie. » Tu passes une main dans ton visage, la fatigue qui se fait ressentir comme toujours lors des journées de voyage, même si ce dernier avait été en somme toute relativement court et simple. Dehors le soleil brille encore, la soirée qui commence à peine. Tu sais que d’ici la prochaine heure, le soleil va laisser place à la lune, un de tes moments préférés de la journée. « Ça te dis d’aller à la plage voir le coucher de soleil? » que tu proposes donc à Rory. À ce temps-ci de l’année, les plages ne sont pas encore super bondés, les journées encore plutôt fraîches au printemps ici comparativement à Brisbane ou il fait plutôt bon à l’année longue. Passant devant la cuisine, tu t’arrêtes devant le réfrigérateur et sort quelques bières que tu mets dans un sac froid que ta mère garde toujours à portée de la main. Tu y ajoutes aussi quelques sacs de croustilles et un sac de chocolats et montre fièrement tes trouvailles à ton acolyte. « On a pas le droit de boire sur la plage, mais je connais un coin ou y’a jamais personne qui vient. » que tu ajoutes, un sourire aux lèvres, heureuse d’avoir le jeune Craine comme compagnie, ici et maintenant, chez toi, à Torquay.

Ça ressemblait presque à la scène de fin d'un film d'espionnage. Deux individus traversant le hall d'un aéroport à toute hâte, tentant de se fondre parmi la foule et de passer aussi inaperçus que possible. Puis une voiture, louée pour retrouver un brin de quiétude et appréhender la suite du voyage avec plus de sérénité tandis qu'à l'intérieur, les mines soucieuses laissaient place à des sourires soulagés. Et enfin, une destination tenue secrète, la promesse d'un week-end loin de l'agitation habituelle et de la curiosité malsaine qui depuis plusieurs mois faisaient leur quotidien. Ça ressemblait presque à un film, et pourtant Rory percevait à présent à quel point c'était réel. Les paysages changeaient de l'autre coté de la vitre, la vue paraissait tout de suite plus dégagée, dépaysante. Le ciel paraissait même plus bleu, à mesure que le silence reprenait ses droits tout autour d'eux et que la voiture glissait sans un bruit le long de la route. Rory plissa les paupières et savoura un instant cette sensation qu'un poids considérable lui avait été ôté des épaules. Que son cœur, qui hier encore lui semblait peser si lourd dans sa poitrine, était maintenant aussi léger qu'une plume. Ça ne durerait pas, et il le savait, mais à cet instant tout ce qui lui parasitait habituellement l'esprit, tout ce qui lui rendait les choses si compliquées, tout ça lui paraissait loin. Et mieux encore, il lui suffisait de tourner son visage vers Penny pour deviner à son sourire qu'elle aussi, se sentait plus légère. Qu'elle non plus ne pensait plus, ou que très peu, à ce que ces derniers mois avaient eu de particulièrement pénibles et étouffants. Probablement même que l'idée de rejoindre sa famille d'ici une poignée de minutes lui mettait du baume au cœur à elle seule, quand Rory jurerait déjà tous les connaître depuis le temps qu'elle lui parlait d'eux. Il avait pourtant hésité à décliner sa proposition, lorsqu'elle l'avait généreusement invité à passer un week-end à Torquay dans leur maison familiale. Il avait hésité de peur de s'imposer, de gêner, d'envahir le quotidien de ces gens qui ne pouvaient qu'être d'une dévotion semblable à celle de Penny mais que pour autant il n'avait aucune envie de déranger. Il était comme ça, Rory, soucieux de rester à sa place même quand il se savait désiré quelque part. Rien que dans l'avion tout à l'heure, il plaisantait encore de l'idée qu'elle puisse être tentée de saisir sa dernière chance de revenir sur son invitation, auquel cas il n'aurait pas protesté. Mais elle l'avait laissé dire, avait ri avec lui avant de lui donner un léger coup de coude, et voilà qu'il roulaient maintenant sans plus s'arrêter, prêts à faire entièrement le vide pour le week-end.

Leur arrivée fut suivie des présentations avec le frère de la jeune femme, dont Rory savait qu'il était l'une des raisons principales au fait que Penny retourne régulièrement à Torquay. Leur lien semblant à cet instant aussi précieux et indéfectible qu'il se l'était toujours représenté. Elle lui avait souvent parlé de lui, lui avait expliqué sa situation, la manière dont son frère communiquait et à quel point elle s'était toujours montrée protectrice à son égard. Il connaissait son engagement auprès de l'organisme Autism Queensland, son envie de sensibiliser et de faire évoluer certaines mentalités. Et lorsqu'il la voyait si patiente, si attentive au bien être de David, Rory songeait à combien il s'était d'abord mépris à son sujet lorsque les choses n'avaient pas forcément démarré sous les meilleurs auspices entre eux. On n'apprenait vraiment à connaître quelqu'un qu'à la façon dont il parlait des êtres qui lui étaient proches, et cet amour qu'il pouvait sentir entre Penny et sa famille lui ferait presque douter à nouveau d'avoir sa place au sein de ce cocon qui respirait la bienveillance. Pourtant, tout se fit avec un tel naturel qu'il oublia ses doutes et laissa Penny le guider sans se départir du sourire impressionné qu'il affichait depuis son arrivée. Un petit tour du propriétaire fut l'occasion pour Rory de découvrir l'environnement où elle avait grandi, puis de faire la connaissance de sa mère, qui étrangement paraissait presque plus désarçonnée que lui. Une idée qui l'amusa, lui avait presque oublié ce que c'était que de voir briller cette lueur un brin fascinée dans le regard de quelqu'un. Ça lui faisait du bien, ça l'emplissait même de joie à l'idée de ne pas se sentir ici aussi indésirable qu'à certaines occasions ces derniers mois. C'était la parenthèse qu'il était venu trouver auprès des proches de Penny, convaincu que si sa seule présence compensait déjà cette situation, il en serait de même pour eux. La mère de la jeune femme s'éloigna et tandis qu'il lui sourit une dernière fois, il échangea avec Penny un regard amusé. « De quoi tu parles ? Ça s'est à peine vu. » D'accord, ça s'était vu beaucoup et il avait cru sentir sa main trembloter en la serrant. Mais loin d'être désagréables, ce genre de réactions l'attendrissaient bien souvent. « J'ai eu mon compte de détracteurs pour toute une vie, alors tu sais, l'enthousiasme de ta mère me fait plutôt l'effet d'un grand bol d'air frais en comparaison. » Une manière comme une autre de la rassurer si Penny doutait qu'il puisse être à l'aise : il l'était, depuis qu'il avait posé un pied hors de la voiture et découvert qu'elle exagérait à peine, toutes les fois où elle lui avait parlé de cet endroit. Ainsi, lorsqu'elle lui proposa de l'accompagner jusqu'à la plage pour admirer le coucher de soleil, Rory jeta un regard à travers la fenêtre pour constater que le ciel avait déjà changé de couleur. « Avec plaisir. » Il acquiesça sans même avoir besoin d'y réfléchir, après tout la proposition ne se refusait pas et lui y voyait une occasion de passer un peu de temps seul avec Penny pour prendre de ses nouvelles. Et ce, sans prendre sa famille à témoin. Cette intimité était appréciable et nécessaire depuis l'incident, et Penny tout particulièrement en avait besoin. Jetant un coup d’œil à l'intérieur du sac qu'elle avait préparé, Rory lâcha un léger rire. « T'es entrain de me proposer d'enfreindre la loi ? Si c'est le cas, je suis ton homme. » Et s'il était un buveur très modéré, un coucher de soleil ne saurait évidemment s'admirer sans un minimum de moyens. « Après tout, Bonnie et Clyde se seraient sûrement pas encombrés de ce genre d'interdictions. » Il glissa, le regard complice et forcément habité d'une pointe de nostalgie. Ils avaient besoin de dédramatiser la situation quand ils le pouvaient, de se remémorer les bons moments qu'ils avaient eu sur le tournage avant que tout ne parte en fumée. Ils en avaient besoin et pourtant, c'est à cet instant encore une vive mélancolie qui primait sur le reste. Ils se mirent en route, et Rory reprit doucement. « Tu pouvais proposer à ton frère de nous accompagner, tu sais. Je veux pas que tu te sentes obligée de passer moins de temps avec lui parce que je suis là. » Il les avait vus tout à l'heure, il savait quelle relation privilégiée les unissait. La dernière chose qu'il souhaitait c'était qu'elle change quoi que ce soit à ses habitudes à cause de lui, surtout si ça impliquait son frère. Il saurait si besoin se faire tout petit, elle le savait.

Jamais tu n’aurais pu t’imaginer il y a dix-huit mois de cela te retrouver ici, avec Rory. Si tu es bien honnête, tu n’étais pas certaine un jour de comprendre, encore moins d’apprécier ce dernier lorsque vous avez commencé à travailler ensemble sur The Trial’s End. Le moment présent te semblait d’autant plus surréaliste lorsque tu pensais au début de votre collaboration. Le sourire sur ses lèvres en était un que tu n’avais pas eu l’occasion d’apercevoir souvent dans les derniers mois et tu savais que malgré ces protestations, tu étais un peu à blâmer pour tous les malheurs qui vous tombaient sur la tête, particulièrement sur la sienne. S’il existait un petit nombre de rumeurs sur ton implication dans l’arrêt du tournage, la majorité tournait autour de Rory. Byers c’était d’ailleurs fait un plaisir vile à salir le nom du jeune Craine, se proclamant victime d’une agressivité sans raison de sa part alors que tu savais pertinemment que la vérité ne pouvait pas être plus loin. Tu possédais les réponses. Tu possédais la vérité qui était tant recherchée par tous, et pourtant, tu peinais à penser à tout ça, pratiquement incapable d’en parler, même avec Rory qui pourtant, avait été là pour empêcher le pire. La moindre des choses aurait été de ne pas détruire sa carrière au passage. Et pourtant. Tu te concentres sur le moment présent, sur le sourire qui habite sans visage sans aucun signe de disparaître, la musique en fond comme seule source de bruit alors qu’aucun mot ne semble nécessaire. Rien à dire de plus. Que la route, l’océan qui se dessine alors que vous approchez de votre destination, la promesse d’une fin de semaine sans pression. Loin des rumeurs, loin des attentes, loin des regards à la recherche d’un quelque chose que vous n’étiez pas prêts à offrir.

Si tu présentais toujours ta famille – surtout ton frère – avec une certaine appréhension, tu devais admettre que tu ne ressentais pas cette anxiété alors que Rory rentrait dans cette maison qui t’avait vu grandir, se retrouvant dès lors devant ton frère et son excitation contagieuse. La réaction de David était d’ailleurs toujours un très bon guide sur les intentions de quiconque se voyait l’honneur de rentrer dans la fameuse demeure des Stringer. Une bonne réaction de la part de David et tu savais que tu pouvais faire confiance à la personne les yeux fermés, il avait un discernement incroyable ton frère, sans même avoir à dire quoique ce soit. Ça te fit sourire d’ailleurs quand David se décida à offrir ses mains à Rory, attendant des pressions qui ne vinrent probablement pas assez vite pour lui, repartant aussi rapidement qu’il n’était arrivé. Mais c’est le cas de ta mère qui te fait rire le plus, et t’es soulagée de voir que le jeune Craine réagit plutôt bien lui aussi.  « De quoi tu parles? Ça s’est à peine vu. » Tu roules légèrement des yeux, un rire sifflant légèrement entre tes lèvres. « J’ai eu mon compte de détracteurs pour toute une vie, alors tu sais, l’enthousiasme de ta mère me fait plutôt l’effet d’un grand bol d’air frais. » Il y a un sourire triste qui traverse ton visage l’histoire de quelques secondes, alors que tu ne peux t’empêcher que c’est de ta faute s’il arrête pas de s’en prendre plein la gueule depuis quelques mois. Mais plutôt que de t’excuser pour la millième fois, tu te ressaisis, tente de te concentrer sur le but premier de ce weekend qui est de penser à tout sauf à cette soirée et ses multiples répercussions. « Ça ne m’étonnerait pas qu’elle te demande un autographe avant que tu partes. » que tu dis en levant les bras, l’air de dire qu’elle est incorrigible ta mère, ce qui est un peu le cas. Mais tu ne la changerais pas pour rien au monde. C’est en partie grâce à elle si tu as la carrière que tu as aujourd’hui, c’est elle qui a bien voulu te donner une première chance alors que tu étais encore trop jeune pour réaliser le chemin que tu venais de prendre. Décision qui allait teinté toutes les autres, même celles que tu prenais encore aujourd’hui, avec une certaine maladresse nouvelle.

« Avec plaisir. » Les bières, le chips et le chocolat prêts pour la petite escapade, tu te réjouis de la réaction du jeune homme. « T’es entrain de me proposer d’enfreindre la loi? Si c’est le cas, je suis ton homme. » « On parle le même langage. » que tu ajoutes avec un sourire. Vous aviez mis du temps avant de vous comprendre, Rory et toi, mais dans la nouvelle année, vous vous étiez fait complices l’un de l’autre, confidents, et tu savais que tu n’aurais pas pu survivre les derniers mois sans son support et sa présence. « Après tout, Bonnie et Clyde se seraient sûrement pas encombrés de ce genre d’interdictions. » Tu échappes un léger soupir, mais tu gardes ton sourire parce que même si cette expérience ne s’est pas terminée exactement comme vous vous l’étiez imaginer, ça avait tout de même amener à ce moment, à vous. À cette amitié qui t’était si précieuse. À des moments volés au près du jeune homme, loin de l’oeil public. « Tu pouvais proposer à ton frère de nous accompagner, tu sais. Je veux pas que tu te sentes obligée de passer moins de temps avec lui parce que je suis là. » Ça t’arrache un rire, que de penser à David sur la plage avec vous. Non pas que ton frère n’aimera pas le moment, au contraire. David adorait la plage presque autant que toi, tellement qu’il avait un peu de mal à rester en place lorsqu’il y était. « Oh ne t’inquiète pas, on trouvera bien le moment. Je nous imagine mal chasser David d’un bout à l’autre de la plage. Ma mère va prendre une marche avec lui à tous les soirs pour qu’il brûle son restant d’énergie, sinon il met des heures à s’endormir. Ça fait partie de sa routine. » Dans l’univers de David, tout est le plus prévisible possible, ne serait-ce que pour aider avec les transitions. Il n’a jamais été du genre très rigide, il se laisse porter par le gré des évènements de ses journées, mais ça aide quand il sait ce qui l’attend et de finir sa journée de la même manière chaque jour est la meilleure façon de s’assurer une nuit avec au moins huit heures de sommeil. Tu ouvres finalement la porte, laissant le jeune Craine sortir avant toi. Vos pas vous guident rapidement jusqu’à la plage. L’appel de l’océan est tellement fort chaque fois que tu retournes à Torquay, tu passes d’ailleurs la majorité de ton temps chez tes parents ici, sur cette plage au sable blanc et à l’eau turquoise. L’endroit est pratiquement désert et tu ne prends même pas la peine d’amener Rory dans un coin plus discret que tu t’assois dans le sable, sortant une bière et en offrant une au jeune Craine. « Merci d’être là. » Sincérité dans la voix, tu viens porter la bière à tes lèvres. Un souffle de soulagement qui s’échappe de tes lèvres alors que le liquide te réchauffe le fond de la gorge. « Et merci d’avoir été là, cette année. » Vous aviez dit que vous n’en parleriez pas, mais tu ne sembles pas être en mesure de laisser tout ça complètement derrière toi. « Si on oublie Byers.. ça te manque, le tournage? Le film? » Ce que ça aurait pu être. Le rêve au bout des doigts. Tu veux croire qu’il y a encore une chance que vos carrières – la sienne surtout – puissent encore être sauvés. Des chances encore que le rêve ne soit pas complètement évaporé.

Il n'avait jamais mis les pieds à Torquay avant que Penny et lui ne roulent jusqu'à apercevoir les côtes et le charme tranquille de cette ville qui avait bercé l'enfance de la jeune femme. Mais il y avait malgré tout dans ces paysages quelque chose d'étrangement familier, soit parce qu'elle lui en avait si souvent parlé qu'ils se les était depuis le temps représentés, soit parce qu'il avait tout de l'endroit paisible par excellence. Celui où n'importe qui se verrait bien se perdre quelques jours, à respirer le grand air et laisser ses problèmes derrière lui. Si seulement c'était si simple, qu'il s'était dit en prenant l'avion, réalisant qu'il n'avait pas voyagé depuis le mois dernier, lorsqu'il s'était rendu aux États-Unis pour cette convention qui aurait du être l'accomplissement de plus d'une année de travail et sa plus grande fierté. Dans un monde idéal, Penny et lui s'y seraient rendus ensemble pour défendre leur film, Byers aurait été la figure de confiance que chacun avait toujours voulu voir en lui, ses parents auraient été là, son frère et ses sœurs aussi, et Swann. Lui aussi aurait été présent, parce que dans un monde idéal il n'y aurait eu ni drame pour les séparer, ni peur pour les empêcher d'afficher leur bonheur ensemble. Seulement même un idéaliste apprenait à sortir du brouillard qui lui barrait la vue pour regarder les choses en face : tout son monde avait vacillé et il s'était retrouvé seul, jugé, en proie aux mêmes jugements qu'à Brisbane. Alors ce matin, tout était remonté. Jusqu'à ce moment où le ciel avait chassé ses nuages et s'était paré d'un bleu porteur d'espoir : il avait enfin pris une vraie grande respiration et savouré le plaisir de pouvoir mettre tout ça derrière lui pendant quelques jours. Un soulagement qu'il avait ressenti à nouveau en rencontrant David, le frère de Penny, avec qui le premier contact fut légèrement hésitant mais réellement agréable. Rory ne fut pas sûr de bien s'y prendre mais le regard rassurant de Penny l'avait aussitôt apaisé. Le sourire et l'enthousiasme de sa mère, eux, chassèrent en partie des mois de remises en question. C'était impossible d'être mal à l'aise avec quelqu'un qui vous accueillait comme si elle avait de la chance de vous avoir sous son toit. Une impression qu'on ne lui avait que rarement donné, ces derniers temps. Les traits de son visage étirèrent une expression amusée à l'idée effleurée par Penny. « Je suis sûr que ta mère me confond avec ce type, là, qui tourne pour Netflix. C'est la seule explication possible à autant d'engouement, tu crois pas ? » Il glissa, son rire résonnant une seconde dans la pièce. En vérité, ça lui allait de ne pas nécessairement savoir ce qui lui valait un accueil si chaleureux. Peut être que Penny l'avait survendu auprès de ses parents, auquel cas il savait qu'elle ne le lui dirait pas. Peut être que sa mère avait choisi d'ignorer ce qu'on avait pu dire de lui dans la presse, ou pris le parti de croire que la vérité était bien plus complexe que ce qu'on faisait croire. Au fond, il était touché et c'était là l'important.

La proposition de Penny, elle, ne mit pas longtemps à être acceptée par un Rory impatient de voir de ses propres yeux ce coucher de soleil dont elle lui parlait. Quant à enfreindre une simple loi, il y voyait juste une opportunité de décompresser avec elle après sept mois pesants et difficiles. Penny et lui avaient fait profil bas parce que la presse avait décidé de tisser sa propre histoire et d'en faire un feuilleton sordide où la seule personne qui avait quelque chose à se reprocher était celle que tout le monde laissait en paix. Ça n'était pas de boire une ou deux bières au bord de l'eau qui irait faire une différence. Rory alors réprima un élan de nostalgie inévitable, tandis que le seul fait de les imaginer dans leurs costumes lui serrait le cœur et l'emplissait en même temps d'un réconfort précieux : s'ils étaient là, aujourd'hui, c'était aussi grâce à ce tournage. Un tournage qui leur avait coûté beaucoup, bien trop, mais qui leur avait aussi apporté la seule chose qui vaille aujourd'hui la peine d'affronter tout ça : cette relation de pleine confiance qui les unissait envers et contre tous. Mais dans cette bulle de sérénité, Rory fut traversé d'une pensée. Car c'était précieux de s'isoler avec elle pour souffler, mais sa famille était très importante pour Penny et il était bien placé pour le comprendre. Les paroles de la jeune femme étirèrent ses lèvres dans un sourire paisible. « David, tes parents, ils doivent tous beaucoup te manquer quand tu es à Brisbane. » Il souffla avec bienveillance, fasciné comme à chaque fois qu'elle lui parlait de son frère et qu'il mesurait quel lien indéfectible l'unissait à lui. « J'espère d'ailleurs que tu m'as pas trouvé tendu ou... maladroit, tout à l'heure, avec ton frère. » Il demanda doucement, et parce que rien ne le désolerait plus que de lui laisser penser que cette rencontre l'avait gêné, quand la seule chose à laquelle il pensait face à lui c'était à bien s'y prendre. Penny lui faisait l'honneur de lui présenter sa famille, de l'inviter là où elle avait grandi parce qu'elle savait qu'il avait besoin de s'éloigner de ce qui lui pesait. Réagir avec la plus grande bienveillance face à l'enthousiasme contagieux de la personne qu'elle aimait le plus au monde, c'était le moins qu'il puisse et qu'il veuille faire. Ils quittèrent la maison pour prendre la direction de la plage, quand autour d'eux le paysage changeait déjà. La couleur du ciel se fondait en nuances de rose et d'orange, tandis qu'en s'approchant ils pouvaient déjà sentir la brise de l'océan. Si tôt assis dans le sable, Rory ferma les yeux une seconde puis les rouvrit pour les poser sur Penny, son sourire n'ayant pas disparu. « J'aurais aimé faire plus, tu sais. » Faire taire les ignorants, empêcher certaines rumeurs de se répandre. Il aurait aimé faire tellement plus. « Mais c'était impensable pour moi de te laisser traverser ça toute seule. Tu sais que tu peux compter sur moi, qu'on traverse ça ensemble. » La laisser livrée à elle-même n'était pas une chose qu'il ait envisagé une seconde, et pas seulement parce qu'il se retrouvait lui aussi directement concerné depuis cette soirée. Il avait été là pour elle comme elle avait été un soutien pour lui, et il savait que sans ça, aucun n'aurait supporté la pression des derniers mois. « Et t'as été là pour moi, toi aussi. Bien plus souvent que tu dois en avoir conscience. » Son regard croisa le sien avec le besoin de s'assurer qu'elle y lirait sa sincérité. « Et si la plus petite partie de toi devait un jour penser que quoi que ce soit de tout ça est de ta faute, je veux que tu saches que c'est pas le cas. » Ils avaient si soigneusement évité le sujet pendant les dernières heures, les derniers jours, que Rory ressentait le besoin de s'assurer qu'au moins sur ce point-là, elle ne se tracassait pas. Qu'elle savait qu'elle n'avait rien à se reprocher, ni à ce qui s'était passé ce fameux soir, ni au reste. Que sans son soutien, lui non plus n'aurait pas tenu. Son regard se posa sur l'océan et il poussa un long soupire. « Ça me manque, oui. L'ambiance entre chaque scène, toutes ces heures passées à faire ce qu'on aimait le plus, le sentiment d'appartenir à quelque chose de grand mais aussi à une petite famille... » Pour lui qui avait un tel besoin d'être accepté et pris au sérieux par ce milieu, ça signifiait beaucoup. « Certains jours j'ouvre un œil et j'oublie pendant une demi-seconde que tout est terminé. C'est le moment le plus heureux de ma journée. » Il eut un sourire triste en y repensant. Parce qu'il y avait ce très bref instant pendant lequel tout était exactement comme avant cette soirée, il y a sept mois. Avant qu'ils ne voient leur rêve leur échapper, leur honneur bafoué, leur vie changée. Avant que Penny, elle, y perde encore bien plus. « J'ai retrouvé des photos du tournage dans mon téléphone, l'autre jour. J'ai pas osé te les envoyer, je savais pas si ça te ferait plaisir de les voir. » Ou si ce serait trop douloureux. Il avait hésité, puis s'était dit que s'il y avait la moindre chance pour qu'elle ne pense pas ou peu à toute cette histoire pendant une journée, il n'avait pas le droit de troubler sa quiétude. « J'ai supprimé celles où il était dessus. » Il assura dans un souffle, de sa prudence et sa pudeur habituelles. Il les avait supprimées, au cas où, pour que ces souvenirs-là il ne les détruise pas aussi.

« Je suis sûr que ta mère me confond avec ce type, là, qui tourne pour Netflix. C’est la seule explication possible à autant d’engouement, tu crois pas? » Il rit le Craine, d’un rire sincère qui te fait tellement de bien chaque fois que tu l’entends. Tu sais qu’il plaisante, mais tu le vois, le fond de vérité dans ces paroles, cette peur constante de ne jamais être assez bien, jamais assez bon. Pourtant, tu l’as bien vu l’année dernière, comment il rayonne Rory, sur un plateau de tournage. Comment il se perd dans la peau du personnage qu’il incarne, comment il prend plaisir à se laisser porter par les répliques, les scènes, la frénésie du tournage. Ça se voit, ça se ressent, autant sur place, alors que tu joues devant lui, avec lui, mais tu sais que ça se ressent aussi au travers de l’écran. Ta mère, elle ne confond pas, et il le sait très bien. Mais ce n’est jamais désagréable de recevoir un petit boost à l’estime. « Oh elle ne confond pas, crois-moi. Elle sait juste reconnaître le talent ou il y en a. » Tu te retournes légèrement, ton regard qui croise le sien pendant quelques secondes. Et quelques secondes de plus, avec ce sourire qui se forme naturellement sur tes lèvres alors que tu sens une gêne nouvelle se faire une place sur tes joues, rosissant ton visage avant que tu ne détournes le regard subitement. Comme si pendant ces quelques secondes de trop, t’avais l’impression de sentir un changement venir. Un changement que tu n’avais pas imaginé. Un changement sur lequel tu n’étais pas prête à t’attarder. « Après tout, c’est elle qui a lancé ma carrière. » que tu ajoutes rapidement, sur un ton plus léger, te forçant à ralentir ton rythme cardiaque, à reprendre ton souffle momentanément coupé, à laisser la tension descendre de tes épaules. Vous étiez là pour vous reposer après tout et tu avais bien l’intention de profiter de chaque minute loin du rythme trop effrénée de vos vies cette dernière année.

Tu as déjà l’impression de mieux respirer une fois que tes pieds trouvent le sable frais de la plage, tes escarpins qui se ramassent rapidement entre tes doigts alors que tu te laisses submergée par ce bien-être qui ne t’envahit que lorsque tu es ici. Le bruit de l’océan comme une mélodie familière, le vent de cette fin de journée de printemps qui fait légèrement virevolté tes longues mèches blondes. C’est la liberté à l’état pur, rien de mieux pour te remettre les idées en place. Ici, tout semble moins lourd, même les sujets qui font mal, ceux qui blessent, ceux qui ont laissé leurs marques sur ton être depuis plus de sept mois déjà. « David, tes parents, ils doivent tous beaucoup te manquer quand tu es à Brisbane. » Tu replaces une mèche de tes cheveux derrière tes oreilles, même si le vent s’entête à te faire une nouvelle coiffure. Tu cherches les mots pour expliquer comment tu te sens quand tu penses à cette distance constante entre ta famille et toi. « Ce serait mentir que de dire que je n’ai pas pensé à revenir ici de manière permanente après ce qui est arrivé... » Tu échappes un léger soupir alors que tes doigts libres viennent jouer avec la ganse du sac dans lequel se trouve la nourriture et la bière. Le support de tes parents auraient été bénéfique sans aucun doute, la présence de ton frère toujours rassurante, mais tu savais aussi que ta mère se serait rapidement inquiétée de ton état. Elle aurait remarqué que quelque chose n’allait pas, et tu ne voulais pas lui créer ce genre d’angoisses. Elle devait s’occuper de ton frère à temps plein après tout, toi, tu pouvais t’occuper de ta personne toute seule. Même si c’était plus difficile que tu ne voulais l’admettre. Fort heureusement que tu n’étais pas complètement toute seule, à Brisbane. « Mais il y a trop de choses que je ne voulais pas laisser derrière à Brisbane. » L’agence qui te représente depuis bientôt dix ans. Ton implication dans Autism Queensland. Et puis le jeune Craine qui s’installe à côté de toi aussi. Tu lui offres un sourire explicite d’ailleurs, laissant ton visage dire ce que tu n’arrivais pas à mettre en mot. « J’espère d’ailleurs que tu m’as pas trouvé  tendu ou… maladroit, tout à l’heure, avec ton frère. » Tu hoches instantanément de la tête, tu n’as vraiment pas envie qu’il s’en fasse à ce sujet. David est un homme simple, non pas parce qu’il n’est pas intelligent, mais plutôt parce qu’il sait avec une intuition certaine s’il peut faire confiance à quelqu’un ou non. « T’inquiète, j’suis pas mal certaine que t’as fait une bonne impression. » Ça fait au moins Stringer avec qui le courant est passé dès le début. Ça t’amuse de repenser à ses premières semaines, à te demander si le courant allait éventuellement venir entre vous. Et maintenant que vous étiez si proches, c’était difficile d’imaginer que ça n’avait pas toujours été le cas.

« J’aurais aimé faire plus, tu sais... » Tu hoches la tête, tu partages complètement le sentiment énoncé par le jeune homme. Tu prends une gorgée de ta bière, échappe un long soupir alors que ton regard passe du bleu des yeux du jeune homme jusqu’au bleu de l’océan. « Mais c’était impensable pour moi de te laisser traverser ça toute seule. Tu sais que tu peux compter sur moi, qu’on traverse ça ensemble. » Tu te retournes légèrement, mais évite son regard. Tu aurais aimé l’épargner. Tu aurais préféré qu’il ne se retrouve pas au milieu de tout ça, que sa carrière et que sa réputation ne paie pas les frais d’erreurs qui ne lui appartiennent pas. Mais il encaisse le tout, le jeune Craine, sans se plaindre, sans jamais laisser entendre qu’il a fait une erreur ce soir-là. Tu n’oses même pas imaginer ce qui aurait pu se passer s’il n’était pas intervenu. Tente encore tant bien que mal d’effacer toute trace de ce qui s’est passé d’ailleurs. « Et t’as été là pour moi, toi aussi. Bien plus souvent que tu dois en avoir conscience. Et si la plus petite partie de toi devait un jour penser que quoi que ce soit de tout ça est de ta faute, je veux que tu saches que c’est pas le cas. » Ça te serre le coeur, de l’entendre te dire ça, lui qui continuellement s’assure que tu vas bien avant même de penser à ce que le bordel qui vous suit depuis tant de mois représente pour lui. Ta main vient trouver la sienne, dans un mouvement de douceur qui te surprend malgré la familiarité. Tu serres ses doigts légèrement, l’air de dire que tu entends ce qu’il dit, mais que tu ne sais pas comment répondre. C’est la vérité après tout, tu ne sembles jamais trouver les mots lorsque ce sujet prend place entre vous. Toi qui a normalement réponse à tout, c’est toujours difficile de réaliser que tu sembles avoir perdu de si gros morceaux de toi dans les derniers mois. « Je sais que je te l’ai déjà dit, mais je ne sais pas ce que j’aurais fait sans toi. Ce soir-là, et tout ceux après.. » Les soirs ou seulement être devenait trop difficile. Les soirs ou l’anxiété prenait le dessus. Les soirs ou Rory semblait être la seule lumière au bout d’un long tunnel sombre.

Ta main reste naturellement dans la sienne alors que la discussion tourne autour du tournage. Ces souvenirs qui sont beaux presque autant qu’ils sont laids, pour toi du moins. Tu t’en veux, souvent, que les choses se soient passées de cette façon. Il y avait tellement de gestes posés par Byers qui était limite, tellement de moments ou le malaise avait pris le dessus, tellement d’occasions ou tu aurais pu dire quelque chose, faire quelque chose. Mais tu étais restée silencieuse, tu avais fermé les yeux sur des mains baladeuses, des commentaires déplacés, convaincue que ça arrêterait, que ce n’était rien. Tu te détestais d’avoir été si naïve, mais il était trop tard pour faire quoique ce soit. Ou du moins, trop tard pour effacer les actions passées. Et tu n’avais pas le courage de prendre les actions pour rectifier le tir, même si ça vous coûtait à tous les deux. Pas le courage de dénoncer. De vivre avec un titre de victime. De risquer le peu de ta réputation qu’il te restait. Mais par dessus-tout, tu étais incapable de t’imaginer raconter tout ce qui s’était passé à qui que ce soit. Des policiers, des journalistes, des psychologues. Tu parvenais à peine à en parler avec Rory et il avait été là. « Ça me manque, oui. L’ambiance entre chaque scène, toutes ces heures passées à faire ce qu’on aimait le plus, le sentiment d’appartenir à quelque chose de grand mais aussi à une petite famille... » T’as presque l’impression d’y être pendant quelques secondes. Tu fermes les yeux et la scène se dessine devant toi. Tu te concentres sur le beau, parce que ça compte, malgré tout. « Certains jours j’ouvre un œil et j’oublie pendant une demi-seconde que tout est terminé. C’est le moment le plus heureux de ma journée. » Ça t’arrache le coeur d’entendre ces mots siffler entre les lèvres de Rory, bien que tu puisses ressentir exactement la même chose plus souvent que tu n’as envie de l’admettre. Tout n’a pas a être fini pourtant, tu le sais. Mais tu fais du surplace, incapable d’aller dans l’avant dans cette histoire qui te paralyse. « Je suis tellement désolée.. » que tu souffles malgré toi, la culpabilité toujours aussi présente malgré les mots du jeune homme. « J’ai retrouvé des photos du tournage dans mon téléphone, l’autre jour. J’ai pas osé te les envoyer, je savais pas si ça te ferait plaisir de les voir. J’ai supprimé celles ou il était dessus. » Il sort son téléphone Craine, et tu en prends possession sans rien dire, laissant tes doigts swiper sur les différentes images. Il y en a beaucoup de toi, bien plus que tu ne te l’imaginais. Des grimaces, des faces sérieuses, des photos prises en pleine action, des selfies de vous deux, des semaines et des semaines de travail résumées en quelques clichées qui font du bien à voir. « Tu te souviens la fois ou tu t’es endormi en plein maquillage? Je pense que j’ai une photo aussi. » que tu dis avec un rire, sortant ton téléphone à ton tour pour partager avec le jeune homme les différentes photos que tu as toi aussi prise sur le tournage. Tu échappes quelques rires alors que les images continuent de défiler sous vos yeux, et puis tu aperçois cet homme, celui que tu voulais disparu de tout cliché. Il est de dos, mais tu le reconnais facilement, trop facilement. Ça te coupe le rire, ça te pèse à nouveau, comme ça le fait chaque fois que tu penses à lui. « C’est injuste qu’il s’en sorte si facilement, aucune tâche à son dossier. Rôle parfait de la victime. » Tu échappes un soupir, déposant ton téléphone dans le sac avant d’en ressortir une palette de chocolat. Tu défais l’emballage, en brise un morceau que tu emmènes à tes lèvres, avant de tendre le chocolat en direction de Rory. « Tu mérites pas d’être celui qui paye pour tout ça. J’te promets que ça va pas rester comme ça. » J’peux pas te dire quand je vais trouver la force Rory, mais j’te jure que j’vais y arriver. Pour toi.

Il y a des mois qu'il n'avait plus ri aussi fort, comme si la brise de l'océan était sur le point d'emporter une partie de ses tourments. Bien sûr qu'il savait que la mère de Penny ne l'avait confondu avec aucun de ces acteurs dont la vie semblait toujours tellement simple quand on se contentait de l'admirer au travers du prisme enchanteur des réseaux sociaux. Il le savait, mais qu'un accueil aussi chaleureux lui soit réservé par cette femme qui avait une place si particulière dans la vie de la blonde, ça le touchait forcément un peu plus. Après tout, ils en faisaient déjà tous beaucoup en acceptant de l'accueillir parmi eux pour le week-end, Rory leur en était déjà très reconnaissant. Et puis, c'est vrai, une partie de lui s'entêtait encore à esquisser un pas en retrait chaque fois qu'on le complimentait sur ses rôles, sur son jeu, sur tout ce qu'il défendait toujours avec une extrême fierté mais qui ne lui donnait jamais totalement l'impression de mériter les éloges auxquelles il avait parfois droit. Ces derniers mois en particulier, Rory avait perdu cette confiance en lui qu'il avait si durement gagnée, ainsi il n'était jamais rare de voir ses joues rougir, comme à l'instant où les mots de Penny le désarçonnèrent bien davantage que ce qu'il aurait pensé. Ça n'était pourtant pas la première fois qu'elle insinuait qu'il avait du talent, et ça n'était pas de croiser son regard qui d'ordinaire amplifiait sa gêne comme maintenant. Rory eut un fin sourire, secouant la tête en se focalisant consciemment sur ses dernières paroles. « Le monde peut non seulement la remercier d'avoir mis au monde la grande Penny Stringer, mais aussi de l'avoir révélé au grand public. » Ses yeux brillaient de malice, tandis qu'il chassa l'idée selon laquelle sa propre mère n'avait pas exactement réagi de la sorte avec lui. Sa passion pour la comédie, elle ne l'avait pas soutenue comme elle avait pu soutenir ses exploits sportifs pendant l'adolescence, et même si elle avait largement revu sa position aujourd'hui, il en gardait un léger goût de déception malgré tout. La mère de Penny, de toute manière, portait sa dévotion sur son visage.

La plage paraissait immense, et ils l'avaient à cet instant pour eux seuls. C'est fou comme ce cadre se voulait déjà différent de Brisbane, alors même que Rory n'était jamais le dernier pour sortir courir sur le sable aux aurores. Ici, tout était si calme que le bruit des vagues s'écrasant contre les rochers étaient les seuls à troubler la quiétude de l'instant. Son regard se reposa sur Penny, dont la confession lui tira une moue compréhensive. Si quelqu'un n'irait jamais lui reprocher d'avoir pu nourrir l'envie de retourner vivre sur la terre qui l'avait vu naître lorsque toute sa vie avait été bouleversée, c'était bien lui. Rory avait été aux premières loges, il avait vu sa détresse, partagé ses angoisses, remarqué combien cette énergie si particulière qu'elle dégageait toujours n'irradiait plus de la même manière après ce qui s'était passé. Il avait vu à quel point tout ça l'avait marquée au-delà même de ce qu'elle laissait paraître, y compris devant lui. A quel point il l'avait changée malgré elle. « N'importe qui y aurait songé après ce qui s'est passé, c'est normal que ça t'ait effleuré l'esprit. » D'autant plus qu'elle avait toute une partie de sa vie, ici, à Torquay. Ses parents, son frère, et de nombreux souvenirs sûrement aussi heureux que leurs portraits de famille le lui avaient laissé penser lorsqu'elle lui avait fait visiter leur maison. Il n'avait aucun mal à l'imaginer s'épanouir dans un endroit comme celui-ci, courir d'un bout à l'autre de la plage, piquer une tête en fin d'après-midi et se poser sur le sable avec un bouquin, sans aucun bruit aux alentours. Mais qu'elle confie avoir renoncé à cette idée de peur de laisser derrière elle ce qu'elle n'était pas prête à quitter, ça le soulageait bien plus qu'il n'estimait en avoir le droit. Il l'aurait soutenue, si elle lui avait dit qu'elle préférait attendre que les choses se tassent dans un endroit où personne n'irait l'importuner. Pour autant, Rory était heureux qu'elle soit restée. Pas parce qu'il avait lui-même traversé les derniers mois bien moins difficilement en l'ayant à ses cotés, mais parce qu'il aurait eu le plus grand mal à la voir s'éloigner du jour au lendemain. La présence de Penny lui était devenue essentielle et leur complicité comptait aujourd'hui bien trop, il était donc infiniment soulagé qu'elle ne compte pas sortir de sa vie de si tôt. « Je suis sûr que derrière chaque raison qui t'a fait renoncer à l'idée de partir, il y a aussi une personne qui se réjouit que tu sois restée. » Il souffla doucement, sans avoir probablement besoin de le lui exprimer plus clairement, à la façon dont son sourire s'étira bientôt. « Moi, je m'en réjouis. » Ça n'avait rien d'une surprise, mais elle méritait de le savoir et d'en être sûre. Penny le connaissait assez pour savoir qu'il enveloppait souvent ses sentiments dans une certaine pudeur, ayant peut être appris des nombreuses fois où il s'était attaché aux autres et en avait souffert, beaucoup. Mais parce qu'ils étaient loin d'un quotidien pesant et de leurs soucis, il songeait que la pudeur n'était que l'une des nombreuses choses qu'il pourrait mettre de coté pour le week-end. « C'est vrai, qui t'apporterait ton café préféré sur le pas de ta porte si tu nous quittais ? » Un regard amusé pour appuyer la plaisanterie, et le voilà qui retombait dans ses vieux travers : la manie qu'il avait de dédramatiser chaque fois que l'atmosphère changeait pour quelque chose de plus confidentiel. Il était acteur, il savait donner le change malgré le fait qu'il en ait été bien moins capable ces derniers mois. Ses traits se détendirent dans une expression rassurée lorsque Penny lui assura qu'il avait du faire bonne impression à son frère – ce qu'il espérait sincèrement, tout plein de bonnes intentions qu'il était.

La suite fut ponctuée de regrets autant que d'un sentiment d'impuissance, celui-là même que Rory avait si souvent éprouvé au cours des derniers mois face à tout ce qu'il aurait aimé faire de plus pour lui rendre les choses un peu moins difficiles. Certaines diraient qu'il en avait déjà fait beaucoup, qu'il s'était parfois oublié pour s'assurer qu'elle ait toujours un soutien sur lequel se reposer, un confident auquel se livrer et une présence à laquelle se raccrocher. Mais Rory ne pouvait s'empêcher de regretter de n'avoir pas su faire l'essentiel : lui rendre sa vie et faire regretter à Byers les gestes qu'il avait eu. Il aurait pu, il aurait peut être du, quand bien même ça n'aurait peut être fait qu'empirer les choses. Car son geste lui avait déjà valu de tout perdre une première fois et qu'il ne l'avait jamais considéré comme une solution viable, à part sur le moment, lorsqu'il était déterminé à rendre à ce type la monnaie de sa pièce. La main de Penny vint serrer la sienne et il se concentra une seconde sur le contact de ses doigts entre les siens. Ça, c'était peut être bien l'unique chose qu'ils avaient tous les deux gagné au milieu de ce cataclysme qui les avait changé mais les avait aussi rapproché comme les épreuves savaient le faire. Il le sentait, Rory, que sans son soutien non plus il n'aurait pas pu affronter le quart de ce qu'il y avait eu ces derniers mois. La façon dont la presse l'avait volontiers diabolisé au profit d'un Byers toujours plus intouchable, les réactions hostiles auxquelles il s'était parfois heurté, cette rupture douloureuse qui résonnait au fond de son cœur comme l'ultime coup de grâce. Ils s'étaient soutenus sans jamais laisser qui que ce soit mettre à mal cette symbiose que Penny et lui avaient su trouver, et c'était ce qui le rendait si reconnaissant aujourd'hui. « Tu es bien plus forte que tu ne le crois, Penny. » Il souffla tout bas, ses doigts resserrant légèrement les siens. Vraiment, il avait pu constater à quel point ces derniers mois et c'était une chose qu'il voulait qu'elle garde à l'esprit, soutien ou non. « Mais j'ai bien peur que tu te débarrasses pas de moi de si tôt, alors considère que je suis là et que j'irai nulle part. » Et c'était peut être bien une promesse, le sourire apparaissant sur ses lèvres en témoignerait à lui seul. Si elle avait renoncé à l'idée de quitter Brisbane, lui aussi avait depuis longtemps exclu de disparaître.

L'instant fut baigné de nostalgie lorsqu'ils en virent à évoquer les souvenirs du tournage, ceux-là même qui tournaient et retournaient déjà dans son esprit chaque nuit où Rory peinait à s'endormir – et ça lui arrivait souvent, ces derniers mois. Et comme à chaque fois que la mélancolie l'emportait sur le reste, il faisait le choix de se concentrer sur les souvenirs les plus beaux, ceux auxquels il pouvait repenser avec un sourire un peu triste, mais un sourire malgré tout. Ceux qui lui permettaient de s'en rappeler comme d'une expérience instructive et précieuse, avant que tout ne connaisse un tournant bien moins joyeux que ce qu'ils espéraient tous les deux lorsqu'ils avaient posé un pied sur le set, le premier jour. Rory s'y revoyait, il y revoyait Penny, et pendant quelques secondes c'était comme si on lui offrait la chance de revivre l'histoire, de repasser par tous ces moments de complicité qui avaient rythmé ces mois de tournage – et ceux qui leur avaient parfois valu de s'insupporter l'un-l'autre, c'est vrai, mais ceux-là aussi il ne les réécrirait pour rien au monde tant ils avaient aussi joué un rôle dans la relation qu'ils partageaient aujourd'hui. Et pourtant, il suffisait parfois que son cœur se remplisse de joie pour qu'il se brise à nouveau dans la seconde. Parce que repenser à tout ce qu'ils avaient l'un et l'autre avant le drame, c'était aussi repenser à tout ce qu'ils y avaient perdu. Et c'était toujours ça, précisément ça, le plus dur. Sentir que tout lui échappait une nouvelle fois et repasser inlassablement par les mêmes peines. Il se revoyait perdre la plus belle opportunité de sa vie. Il se revoyait être traité comme la brute épaisse qu'il n'avait jamais été. Il se revoyait perdre Swann, l'avenir qu'ils auraient pu bâtir ensemble, et leur bonheur. Il revoyait tout, en pire encore. « Ne le sois pas. » Il souffla en tournant son visage vers le sien, sa main libre venant se refermer sur leurs paumes liées avec douceur, comme on protégerait un bien précieux. « J'ai beau rester convaincu que j'ai fait ce qu'il fallait ce soir-là, en voulant l'éloigner de toi, je savais quand mon poing a frappé son visage que ça aurait des conséquences. » Ça en a toujours, quand bien même ça pouvait sembler injuste. On ne frappait jamais impunément, même quand ça semblait être la seule et unique chose à faire. Rory n'était pas naïf, il n'avait jamais espéré s'en tirer à bon compte. « Je pensais simplement pas que j'y perdrais autant... » Qu'il y perdait bien au-delà de ce film, finalement, justement parce que ça n'avait plus rien d'une fiction. Le mal qui avait été fait à Penny était bien réel, tout comme la perversion de Byers, le coup qu'il lui avait porté et les répercussions de toute cette histoire sur leurs vies. Tout était bien réel, et il en prenait un peu plus conscience chaque jour qui passait depuis cette soirée. Rory sortit finalement son téléphone, songeant que s'il devait replonger dans ces souvenirs, il aimait mieux le faire avec elle. Des photos du tournage, il en avait des tas. Beaucoup de Penny, beaucoup du cast où tout le monde affichait la plupart du temps un sourire entier qui n'annonçait en rien le drame qui se jouerait quelques mois plus tard. Comme il regrettait ce temps-là. « Si je m'en souviens ? Tu m'as tellement charrié qu'après ça j'ai plus jamais commencé une journée de tournage autrement qu'en avalant deux cafés. » Il s'esclaffa lorsque Penny lui rappela combien elle avait toujours eu cette dérision naturelle qui rendait leurs moments entre les scènes toujours si rafraîchissants. Il se rappelait bien de cette photo, pourtant il tendit quand même le cou pour l'apercevoir lorsqu'elle fit défiler les clichés sur l'écran de son téléphone, se figeant en même temps qu'elle lorsque la silhouette de Byers apparut à l'écran. Un sentiment de colère fut aussitôt ravivé mais Rory se contint, pour elle, pour ne pas lui rendre les choses plus pénibles encore. « Ça m’écœure, moi aussi. Je l'imagine vivre sa vie sereinement, comme si de rien était, et je me dis que ce qu'on traverse depuis des mois c'est lui qui devrait le vivre. » Lui qui devrait voir son intimité piétinée par la curiosité des journalistes, lui qu'on devrait regarder en biais dans la rue. Lui, que le milieu devrait accabler au lieu de le défendre. « Eh, je t'en veux pas Penny. Je t'en voudrai jamais, et surtout pas d'avoir besoin de temps pour en parler. » Il reprit de sa voix la plus douce, prenant un morceau de chocolat avant de décider d'unir le geste à la parole en passant cette fois un bras autour de ses épaules. « Le jour où tu seras prête, c'est moi qui te promets qu'on fera payer à ce type ce qu'il a fait. Et que plus jamais il dirigera une seule actrice de sa vie. » Pour que plus jamais personne ne traverse ce qu'elle avait traversé. Et il le savait, rien qu'au regard qu'ils échangèrent, que c'était ce qu'elle voulait par dessus tout. Obtenir justice, mais aussi protéger celles que comme elle l'aura d'un homme comme Byers pourrait amadouer. Parce qu'elle pensait toujours aux autres, Penny, toujours.

« Le monde peut non seulement la remercier d’avoir mis au monde la grande Penny Stringer, mais aussi de l’avoir révélé au grand public. » Ton rire qui se joint au sien comme une douce harmonie qui ne se fait pas entendre assez souvent dans les derniers mois. Oui, dans les derniers mois vous vous étiez rapprochés, il t’était devenu facile de te confier à l’homme, mais vos discussions semblaient toujours être teintées de cette lourdeur qui ne vous quittait jamais, que ce soit à Sydney ou à Brisbane. Ici toutefois, sur cette plage qui t’avait vu grandir, ou les souvenirs étaient plus bons que mauvais, ça semblait plus simple autant pour lui que pour toi que de baisser la garde. De laisser tomber la pression dans vos épaules, de profiter des petits bonheurs, loin des regards, des jugements et des attentes qui se dressaient sans cesse sur votre chemin. Ici, les petits bonheurs se résumaient d’une plage qui s’étend sur des kilomètres, une bière dans les mains et un peu de chocolat à grignoter en bonne compagnie. Et des compliments qui font du bien à l’égo, d’un côté comme de l’autre. « Je crois qu’on a pas la même définition du mot grande. » que tu ajoutes sur un ton joueur, faisant référence à la différence de grandeur entre vous. En effet, collé l’un à l’autre, c’est à peine si tu lui arrives en dessous du menton. Ça demandait d’ailleurs souvent un travail de cadrage plus précis sur le tournage. Tu ne pourrais expliquer le pourquoi du comment puisque ce n’était pas ton champ d’expertise, mais tu te souvenais avoir entendu des commentaires ici et là des différentes personnes travaillant sur le plateau de tournage comme quoi il était parfois difficile de vous avoir tous les deux à des angles avantageux. Et puis de détourner le compliment, ça aidait à faire fit de la teinte rosée qui était temporairement venue habiter tes joues. Tu sais qu’il le pense, et ça te touche qu’il ait une si haute opinion de toi.

Ça te fait drôle d’avouer à voix haute que tu avais songé revenir t’installer ici. Ne serait-ce que de manière temporaire. Ou même permanente. Tu ne l’avouerais jamais au jeune homme, mais tu y avais pensé, ne serait-ce que quelques secondes, à tout mettre derrière toi. À disparaître de manière plus permanente de l’oeil public. De ne plus assister à des évènements, ne plus chercher de rôles, ne pas tenter de redresser ton image suite au scandale. Tirer ta référence. Ne plus jamais être vulnérable. Ne plus jamais te retrouver sous la main d’un homme en contrôle. Mais ça aurait été dire adieu à ce que tu avais mis toute une vie à bâtir. Mais surtout, ça aurait été de le laisser gagner. Déjà qu’il avait une bonne longueur d’avance, le Byers, jouant la victime parfaitement auprès de quiconque voulait bien l’entendre, tu n’allais certainement pas lui donner le plaisir de t’avoir forcé à une retraite avancée, toi qui aimait tant la caméra, toi qui aimait tant ce métier. « N’importe qui y aurait songé après ce qui s’est passé, c’est normal que ça t’ait effleuré l’esprit. » T’as toujours apprécié, ce niveau de compréhension qui émanait du jeune homme. Il avait toujours été très terre à terre, jamais tu ne l’avais vu s’énerver plus que de raison – sauf ce soir-là. Il trouvait toujours le bon mot, toujours le bon ton de voix pour te mettre à l’aise, pour te rassurer, pour que tu te sentes mieux, ne serait-ce que le temps de quelques minutes. Quelque chose de précieux, de rare, tu en avais bien conscience. « Je suis sûr que derrière chaque raison qui t’a fait renoncer à l’idée de partir, il y a aussi une personne qui se réjouit que tu sois restée. » Tu tournes la tête, ton regard croise le sien à nouveau, ses yeux et son sourire disent tout avant même que les mots ne quittent ses lèvres. « Moi, je m’en réjouis. » Tu ne dis rien, tes yeux ne quittent pas les siens une fois de plus alors que vous vous permettez une vulnérabilité nouvelle l’un avec l’autre. Il y a un minuscule silence qui s’installe alors que t’es incapable de défaire cette connexion, ton coeur qui s’emballe étonnamment dans ta poitrine avant qu’il ne brise finalement le regard avant de reprendre la parole. « C’est vrai, qui t’apporterait ton café préféré sur le bas de ta porte si tu nous quittais? » Tu échappes un énième rire alors que tu prends une autre gorgée de ta bière, contente de tenir la bouteille entre tes doigts pour t’occuper le corps après cet instant d’hésitation. « Personne ne connaît mes préférences aussi bien que toi. » que tu avoues tout bêtement, tellement reconnaissante de chaque attention que le jeune Craine t’accorde. « Et puis, je ne peux pas t’abandonner, avec qui ferais-tu des marathons de films classiques sous-titrés en noir et blanc? » Et puis ces soirées-là, elles étaient un peu pour toi aussi. Pour oublier le reste. Pour te rappeler ton amour du cinéma. Pour te convaincre qu’il y avait encore de quoi te faire rêver.

Quand tu penses à cette soirée-là, le soir de l’incident, il y a toujours un malaise qui semble s’installer en toi, et autour de toi aussi. Tu fais tout ton possible pour oublier la sensation de ses mains sur ton corps, de l’odeur de cigarette et d’aftershave pourtant collé sur ta peau malgré les centaines de lavage depuis. Mais les images, elles restent. Gravées dans ton esprit, créant des cauchemars, des crises d’anxiété, une peur nouvelle d’être toute seule, d’être près des hommes, d’être touchée. Il t’a proposé plusieurs fois de consulter, le Craine, mais tu n’oses pas. Tu sais que tout thérapeute ou psychologue se retrouverait sous le secret professionnel, mais tu aurais trop peur que tes secrets se retrouvent dans les magazines, malgré tout. « Tu es bien plus forte que tu ne le crois, Penny. » Il y a ses doigts qui se serrent autour des tiens alors que tu sens les larmes qui menacent fortement de couler le long de tes joues. Tu te forces à regarder vers le ciel pour ne pas te laisser prendre par la vague d’émotions. « Mais j’ai bien peur que tu te débarrasses pas de moi si tôt, alors considère que je suis là et que j’irai nulle part. » Mais il ne rend pas la chose facile, Rory alors que tes lèvres se mettent à trembler légèrement, quelques larmes roulant contre joues. Tu t’empresses de les essuyer, voulant effacer toute trace de faiblesse. Mais ici, sous le ciel de Torquay qui ne connaît rien des horreurs passés et des tourments des mois passés, tu te sens plus libre d’être honnête sur cette soirée. « Je ne sais pas si tu as vu, quand tu es intervenu... » Ce soir-là, quand le corps de Byers s’est pressé contre le tien, quand tu ne pouvais pas empêcher ses mains de se balader sur ton corps. « Une minute plus tard et il aurait.. t'aurais rien pu faire. » que tu avoues, pour la première fois depuis l’incident, les larmes coulant chaudement contre tes joues. C’est lourd, mais soudainement, tu te sens plus légère, de l’avoir dit, admis. Et puis il est là, sa main dans la tienne et tu ne te sens plus seule. T’as la plage et Rory et dans l’instant présent, tu n’as besoin de rien de plus

Mais il y a les photos du tournage pour vous changez les idées. Les souvenirs, ceux qui sont bien moins lourds et bien moins douloureux qui viennent mettre une lumière sur une fin sombre. « Ne le sois pas. » qu’il te rassure, tant bien que mal. Si Byers est doué pour jouer la victime, Rory lui, refuse de s’abattre à un tel niveau et tu ne peux que l’admirer pour ça. Tu veux garder la tête haute dans tout ça, mais tu peines parfois à ne pas te perdre dans un océan de self-pity, à te demander pourquoi ça t’est arrivé, pourquoi toi, pourquoi pourquoi pourquoi. « J’ai beau rester convaincu que j’ai fait ce qu’il fallait ce soir-là, en voulant l’éloigner de toi, je savais quand mon poing a frappé son visage que ça aurait des conséquences. » Autant il avait empêcher le pire en intervenant, autant tu savais qu’il avait jouer beaucoup et tu n’avais pas été en mesure de l’aider, tu ne l’étais toujours pas d’ailleurs, alors que tu laisses les jours, les semaines et les mois filer, Byers prenant de l’avance alors que le nom de Rory était traîné dans la boue sans cesse. « Je pensais simplement pas que j’y perdrais autant. » Tu gardes la tête basse, parce que la culpabilité que tu ressens alors que tu entends ces mots est immense. Tu sais que ce n’est pas l’intention du jeune homme, mais c’est plus fort que toi. « On va tout démentir. » que tu annonces, comme une certitude. Le moment n’est pas encore venu, mais il viendra. Pour la réputation de Rory. Pour qu’il ait une chance de se faire le nom qu’il mérite. Pour le remercier de t’avoir tenu debout quand tout ton monde s’écroulait sous tes pieds. « Ça n’effacera pas les derniers mois, mais j’te jure que c’est pas la fin pour toi. Ton nom va traverser les océans Craine. » Tu tentes un sourire, tu tentes de ramener un peu de gaieté à ce moment qui était si bien parti, mais les nuages noirs ne sont jamais bien loin, malgré le ciel bleu au-dessus de votre tête. « Si je m’en souviens? Tu m’as tellement charrié qu’après ça j’ai plus jamais commencé une journée de tournage autrement qu’en avalant deux cafés. » Ça aussi, tu t’en souvenais. Tu avais d’ailleurs pris l’habitude de lui apporter son premier café de la journée sur le plateau. Vous étiez comme ça, une fois que le malaise des premiers temps s’était dissipé, toujours à penser un peu plus à l’autre avant de se mettre en premier.

« Ça m’écoeure, moi aussi. Je l’imagine vivre sa vie sereinement, comme si de rien était, et je me dis que ce qu’on traverse depuis des mois c’est lui qui devrait le vivre. » Tu ne peux qu’acquiescer, t’es incapable de lire des articles qui le concernent, incapable de te mettre à jour sur ce qui occupe désormais ses journées, sur les projets qu’il a en branche. Mais tu le sais qu’il y en a, des projets. Il serait stupide de ne pas utiliser le momentum que toutes ses rumeurs avaient créer pour lui, malgré l’arrêt de The Trail’s End. « Eh, je t’en veux pas Penny. Je t’en voudrai jamais, et surtout pas d’avoir besoin de temps pour en parler. » Ton regard se tourne à nouveau vers lui, tes joues toujours humides des larmes ayant coulés précédemment, son bras se plaçant autour de tes épaules alors qu’instinctivement tu te rapproches de lui, vos corps l’un contre l’autre. « Le jour ou tu seras prête, c’est moi qui te promets qu’on fera payer à ce type ce qu’il a fait. Et que plus jamais il dirigera une seule actrice de sa vie. » Ta tête vient se nicher dans le creux de son épaule et tu réalises que c’est la première fois depuis l’incident que tu te retrouves aussi près d’un homme. Mais tu n’as pas peur, tu n’as pas cette boule d’anxiété dans le creux de ton ventre pour une fois. « J’arrête pas d’y penser. Aux autres filles. Et je me demande... » T’as de la difficulté à enchaîner les mots, mais tu prends une longue respiration, refusant de te remettre à pleurer une fois de plus. « Si j’étais la première. » Sûrement pas. que tu te dis, reconnaissant facilement que les façons de faire de l’homme semblaient trop à point pour être une première. Et tu t’en voulais, de ne pas pouvoir le dénoncer, de ne pas pouvoir l’empêcher de s’approcher de qui que ce soit, en attendant. « On va devoir agir bientôt. » que tu dis, toujours contre lui, ne ressentant pas le besoin ni l’envie de mettre de la distance entre vous. « Il doit déjà être en train de se chercher un nouveau projet. Et on peut pas… Je peux pas le laisser faire. » Tu te sens forte, en ce moment, alors qu’il est là. Mais tu te connais assez pour savoir que la force n’est que temporaire. Éphémère. Et qu’au petit matin, quand le soleil se lèvera sur une nouvelle journée, que ce coucher de soleil, que ce moment avec Rory sera derrière toi, le courage aura lui aussi disparu. Laisser derrière avec tout le reste, loin des yeux curieux. Du moins, c’est ce que tu croyais, naïvement.

Voir briller cette étincelle nouvelle dans le regard de Penny valait plus que tous les couchers de soleil qu'on pourrait lui offrir, tant c'était précieux de l'entendre rire aux éclats après huit mois d'un cauchemar sans fin. Rory le voyait dans ses yeux, cet endroit lui apportait la sérénité qu'il n'était pas toujours si facile de trouver au quotidien, lorsque tout se chargeait toujours de leur rappeler ce qu'ils voulaient pourtant certains jours simplement mettre derrière eux. Ici, et plus particulièrement sur cette plage, Penny n'avait plus à craindre les journalistes, les curieux ou les conséquences malheureusement nombreuses d'une vie bouleversée de la seule poigne d'un homme qui pour quelques jours serait loin de ses pensées. Parce qu'ici, elle n'avait plus à le craindre lui, et c'était l'essentiel. Ça n'aidait peut être qu'en partie, mais Rory était au moins soulagé qu'elle puisse profiter des bonheurs simples qu'offrait cette parenthèse dans ce lieu qu'elle connaissait bien. C'était nouveau pour lui, en un sens, et plus spécial encore de pouvoir découvrir tout ça à travers le regard de la jeune femme. Il pouffa à son tour, lorsque Penny souligna indirectement un détail qui les avait souvent amusés sur le tournage, à savoir que leur différence de taille se notait plutôt facilement quand on les voyait l'un près de l'autre. Quoi qu'ici, assis sur cet immense bout de sable, on ne le remarquait justement pas. « Je peux te faire une confidence ? » Il glissa, vrillant un regard amusé au sien. « Quand on s'est rencontrés pour la première fois, le jour de notre bout d'essai, j'étais persuadé que jamais ils nous prendraient ensemble à cause de ça. » Qu'en tout cas ils hésiteraient à le faire parce que n'importe quel technicien savait quel défi représentait ce genre de situations au moment de cadrer une scène entre deux acteurs précisément voués à passer les trois quarts du film ensemble. « Mais dès qu'on a commencé à se donner la réplique, j'ai su que leurs cadreurs allaient avoir du pain sur la planche. » Ça l'amusait autant que ça lui mettait du baume au cœur, de repenser au moment où il avait su que l'alchimie entre le jeu de Penny et le sien était telle qu'elle ne faisait plus l'ombre d'un doute. Qu'ils étaient faits pour faire ce film ensemble et que beaucoup de monde en face d'eux l'avaient compris au même moment. « J'ai adoré tourner ce film avec toi, peu importe comment ça s'est terminé. » Cette fois son ton s'adoucit et un sourire plus paisible étira ses lèvres. Il voulait qu'elle en soit sûre, peu importe qu'il le lui ait déjà dit des dizaines de fois depuis cette soirée où tout avait pris fin. Parce que ce projet-là s'accompagnait de nombreux regrets, douloureux, mais que des projets il y en aurait de nouveaux et que ce jour-là, c'est à elle qu'il voudrait à nouveau faire des confidences entre deux prises. C'est auprès d'elle qu'il voudrait apparaître à l'écran, même si pour ça ils devaient créer leur chance seuls.

Apprendre qu'elle avait songé à revenir s'installer à Torquay, ça n'était pas une si grande surprise mais c'était loin de ne faire aucune différence pour lui. Parce qu'il réalisait qu'il n'aurait rien pu dire, rien pu faire pour retenir Penny si elle avait décidé que c'était le mieux à faire pour elle et parce que c'était tout ce que lui-même voulait depuis le départ : qu'elle prenne le temps dont elle avait besoin pour aller mieux. Bien sûr qu'il l'aurait soutenue et qu'il aurait été le premier à lui dire qu'elle prenait la meilleure des décisions en pensant d'abord à elle. Pour autant, son départ aurait changé sa vie de tellement de manières qu'il n'était même pas certain d'avoir envie de penser à tout ce qu'il aurait encore perdu si Penny était partie. Après Swann, après tout ce qu'il avait déjà vu lui échapper ces derniers mois, c'aurait été bien plus difficile qu'il n'oserait le lui avouer aujourd'hui – parce qu'ils s'étaient implicitement promis d'être présents l'un pour l'autre et que même s'ils n'étaient géographiquement plus aussi proches, ça n'aurait pas changé. Mais Penny méritait de savoir combien il était soulagé qu'elle ait décidé de rester – pas seulement parce que lui en était plus heureux, aussi parce qu'il savait qu'elle n'aurait pas pris cette décision-là si elle n'était pas au moins en partie convaincue qu'elle pouvait encore trouver la sérénité à Brisbane. Malgré ce qui rendait certains jours plus pesants que d'autres, malgré toute cette situation qui chaque fois lui apparaissait un peu plus injuste, il y aurait des lendemains plus heureux et Rory était persuadé qu'elle le sentait elle aussi. L'atmosphère changea sitôt ces quelques mots prononcés et il y eu ce laps de temps pendant lequel son regard resta ancré au sien et où tout parut plus silencieux encore que quelques secondes plus tôt. Là, troublé par la simplicité de ce moment où tant de choses semblaient passer de ses yeux à ceux de Penny sans même qu'il ait à nouveau besoin d'ouvrir la bouge, il songea que rien de ce qu'il aurait pu ajouter ne lui aurait mieux prouvé à quel point il était sincère. « Les forums de discussion autour des acteurs sont de vraies mines d'or d'informations, tu savais pas ? » Là, elle devinerait à sa manière de sourire qu'il n'y avait pas un mot de vrai et qui plus est, qu'il n'était pas le genre à aller lire ce qui pouvait se dire sur ces forums. Il se protégeait depuis toujours de ce genre de choses – un aperçu de ce qui se disait parfois sur instagram suffisait déjà parfois à lui serrer le cœur, il n'avait pas besoin de s'infliger plus que ça – et il n'avait sans doute pas besoin de lui dire qu'il avait simplement pris le temps de la découvrir, au fil des mois, sur le tournage et en dehors. Parce qu'elle savait tout ça, qu'elle avait fait la même chose avec lui et que c'est ce qui leur permettait aujourd'hui d'être si proches. Un rire passa entre ses lèvres, et il ajouta. « Et par « films en noir et blanc », tu veux parler de toutes les fois où j'ai insisté pour qu'on visionne Casablanca et du fait qu'on connaisse aujourd'hui presque aussi bien les répliques que si on l'avait tourné. » Comme pour beaucoup d'autres films devant lesquels ils avaient volontiers oublié leurs tourments ces derniers mois. Parce que c'était ce qui les avait rapproché en premier lieu, malgré tout ce qui les rapprochait d'autre aujourd'hui.

Ses doigts serrés autour des siens, Rory effleura le sujet qu'ils redoutaient toujours d'évoquer avec la même délicatesse et la même pudeur que celles qu'il prenait soin d'adopter depuis le premier jour – depuis ce soir-là. Penny le savait, il n'avait jamais voulu lui tirer la moindre confession qu'elle n'aurait pas été prête à faire et il avait chaque fois respecté ses silences, son besoin d'être seule ou au contraire d'avoir une épaule sur laquelle se reposer. Dans cette histoire, il avait toujours veillé à être présent pour elle sans jamais se montrer ni entreprenant ni maladroit, parce qu'il avait toujours craint qu'elle puisse tout à coup être mal à l'aise aussi à son contact. Il n'était peut être pas Byers, ils n'avaient même rien à voir l'un avec l'autre, mais il pouvait imaginer combien tout avait aujourd'hui un goût différent pour elle, un goût dont il ne pouvait pas prendre la pleine mesure mais qui l'incitait chaque fois à avancer prudemment. Il pourrait supporter beaucoup de choses, mais pas de faire naître un jour cette même peur et cette même détresse que celle qu'il avait lu dans son regard ce soir-là, dans la loge de Byers. Il n'oublierait jamais son regard, pas plus que celui qu'elle déposa sur lui à cet instant et qui se borda de larmes silencieuses. Son cœur se serra et ses doigts renforcèrent leur pression autour des siens pour lui montrer qu'il était là et qu'il n'y avait rien dont elle doive avoir honte, surtout pas devant lui. De sa main libre, il aventura lentement son pouce jusqu'à son visage pour sécher doucement une larme qui perlait le long de sa joue. « C'est ce qui m'a terrifié, ce soir-là, quand je suis arrivé dans sa loge... » Il souffla tout bas, la voix remplie d'une émotion écrasante de voir cette lueur si triste au fond de ses yeux. « L'idée que j'étais peut être arrivé trop tard. » Tout l'avait à ce moment-là rempli de terreur et d'effroi, mais quand il avait vu Byers et son emprise sur elle, il avait prié le ciel pour qu'il n'ait pas eu le temps de lui faire plus de mal encore. C'était déjà trop, mais il aurait pu faire encore pire et cette pensée ne l'avait jamais quitté. Parce que les jours où on le salissait et le faisait passer pour une brute, il se raccrochait à l'idée qu'il avait fait quelque chose et que c'était peut être discutable à plus d'un titre, mais qu'il n'était pas resté sans réagir. « Je suis vraiment désolé que tu aies du assister à ça après ce que tu venais déjà de vivre. » Cette fois, c'est lui qui raccrocha son regard au sien, lui qui ressentit le besoin de livrer ce qu'il avait sur le cœur. Il était désolé d'avoir malgré lui contribué à rendre tout ça plus sordide encore, ce soir-là, quand bien même la seule chose à laquelle il pensait c'était à mettre un homme dangereux, un prédateur hors d'état de nuire. Il n'allait pas lui dire qu'il était loin d'être violent de nature et qu'il avait simplement réagi comme le frère, le fils et l'ami qu'il était au plus profond de lui quand un homme comme Byers osait s'en prendre à une femme. Il n'allait pas lui dire qu'il pensait à la protéger elle avant de penser aux conséquences de son geste. Parce que tout ça, elle le savait déjà, et bien d'autres choses encore qu'il n'avait sans doute pas besoin de formuler.

Penny, en revanche, n'avait aucune raison d'être navrée pour la façon dont sa vie avait échappé à son contrôle depuis qu'on avait fait de lui le seul bourreau que cette histoire ait connu. C'était l'une des choses les plus douloureuses qu'il ait du affronter, de voir à quel point les regards sur lui avaient changé et que plus rien n'importait plus désormais que de prouver, peu importe le moyen, qu'il en avait forcément après Byers bien avant l'incident. Les rumeurs avaient commencé à se répandre, le rôle de la victime avait été offert au protagoniste le plus puissant et le plus respecté de cette sombre affaire – sans que ça n'ait été étonnant – et là où il avait déjà tout perdu sur la place publique, sa vie personnelle aussi avait implosé. Et ça, ça avait forcément fait une énorme différence lorsque c'est son existence toute entière, finalement, qui s'était brisée. Il avait tout pour être heureux, avant, mais avait tout perdu en l'espace d'une seule soirée. Tout ce qu'il avait si longtemps voulu construire, tous les projets qu'il aurait pu faire, tout ce qui donnait finalement un sens à ces nombreux sacrifices n'existait subitement plus. L'image de Swann se fraya comme si souvent un chemin dans son esprit et son cœur se serra à nouveau dans une douleur sourde. L'immense chagrin qu'il portait au fond de lui n'avait d'équivalente que l'énergie qu'il déployait depuis des mois à prétendre qu'il allait bien, quand bien même la plupart du temps il se sentait échouer lamentablement. A cet instant, pourtant, le léger sourire qu'il lui adressa n'avait rien de faux. Parce qu'elle n'avait jamais cessé d'y croire, et que face à la force et la volonté dont elle avait toujours fait preuve, il était exclu qu'il soit celui qui s'effondre. « Je crois que je me contenterais pour l'instant de me sentir à nouveau désiré dans mon propre quartier. » Il souffla doucement, sachant très bien que si quelqu'un le ressentait de la même façon, c'était Penny. « Mais oui, un jour on aura notre revanche et elle sera inscrite en lettres capitales sur une affiche géante. » Parce que pour elle non plus ça n'était pas la fin de quoi que ce soit, bien loin de là, et qu'un jour il était convaincu qu'elle retrouverait confiance dans ce métier et dans ce milieu qu'elle aimait. Un jour, tout irait mieux. A son tour d'être optimiste, à son tour d'égayer l'instant et d'alléger l'atmosphère, un sourire plus doux sur les lèvres. Tant de choses leur paraissaient sans doute insurmontables aujourd'hui, mais sans espoir ils n'auraient aucune raison de s'accrocher et de vouloir faire toute la vérité.

Alors il prenait sur lui, de toutes ses forces, pour qu'elle ne voit pas combien il fulminait de voir cette photo de Byers. Au lieu de ça, il préférait la rassurer et faire qu'elle n'aille pas imaginer une seconde qu'il puisse lui tenir rigueur d'avoir besoin de temps pour parler de ce qui s'était passé. Ce ne serait jamais le cas et si ses mots n'étaient peut être pas encore suffisants pour le lui faire comprendre, au moins espérait-il que son étreinte le lui prouverait un peu mieux. Un bras passé autour de ses épaules, il l'invita à se reposer sur lui. C'était peut être tout ce qu'il pouvait faire à cet instant alors il tenait vraiment à ce qu'elle sache qu'il ne l'inciterait jamais à parler avant qu'elle ne s'y sente prête. On pourrait croire que c'était parce qu'il n'avait déjà plus rien à perdre de son coté, mais c'était parce qu'il voulait que cette décision lui appartienne entièrement. Elle déciderait du moment, et il la soutiendrait quoi qu'il arrive. C'était acté, comme une promesse faite huit mois plus tôt. Elle reprit la parole et il l'écouta sans l'interrompre, son pouce caressant distraitement son épaule en espérant sans doute au fond de lui que le contact l'apaiserait. Elle pensait aux autres filles, Penny, et il pouvait voir quelle détermination cette seule pensée déversait en elle. Tout comme il pouvait voir qu'elle s'en voulait de détenir cette vérité sans savoir combien d'autres existences avaient été changées à cause de l'homme qui lui avait fait tant de mal. Alors il souffla d'un ton rassurant. « Et on le fera. » Bientôt, quand elle serait prête, ils agiraient et alors Byers ne connaîtrait plus jamais le bonheur de s'endormir sans avoir à s'inquiéter de rien. Ils le feraient pour elle, et pour toutes celles qui attendaient peut être aussi de se sentir prêtes à parler. « S'il y a d'autres filles, on fera ce qu'il faut pour les aider à se faire entendre elles aussi. Je te promets qu'on le fera. » Parce que c'était important pour elle comme c'était important pour lui. Que si Byers avait fait d'autres victimes, elles méritaient d'être entendues et d'obtenir réparation sur cet homme qui lui ne méritait que de croupir derrière des barreaux. « Je te jure qu'il paiera, Penny. On le laissera pas s'en sortir, jamais. » Peu importe combien d'obstacles se dresseraient sur leur route, combien de sceptiques ils leur faudrait convaincre et à quel point la réputation de Byers était jusqu'ici irréprochable. Ils en feraient leur combat parce que c'était trop important pour s'avouer vaincus. « Maintenant, j'aimerais qu'à ton tour tu me promettes une chose. » Il reprit plus doucement, ses yeux rivés sur le soleil déclinant à l'horizon. « Que tu le laisseras pas te gâcher ce week-end. » Qu'elle profiterait de cet endroit, de sa famille, de lui aussi qui n'était pas seulement là pour rentabiliser la chambre d'amis mais bien pour passer ces quelques jours avec elle, à lui changer les idées. Rory accompagna sa requête d'un sourire suffisamment doux et apaisé pour qu'elle n'ait pas le cœur à refuser.

« Je peux te faire une confidence? » Tu hoches la tête légèrement, un peu curieuse d’entendre ce qu’il va dire. Vous n’en étiez plus à une confidence près tous les deux. C’était même devenue une seconde nature dans les derniers mois pour toi de te tourner vers le jeune homme dès que quelque chose te tracassait. Il avait appris à te comprendre, trouvant toujours les bons mots pour calmer ton esprit trop souvent rempli d’une anxiété dont tu ne parvenais plus à te défaire. En ce moment, tu pouvais sans doute affirmer sans le moindre doute qu’il était la personne qui te connaissait le mieux, qui te comprenait le mieux, et c’était parfois effrayant de réaliser l’espace qu’il avait pris dans ta vie dans les derniers dix-huit mois. De réaliser que ton univers ne serait plus du tout le même si Rory venait à sortir de ta vie. « Quand on s’est rencontrés pour la première fois, le jour de notre bout d’essai, j’étais persuadé que jamais ils nous prendraient ensemble à cause de ça. » Tu ne peux t’empêcher d’éclater de rire parce que t’as exactement eu le même genre de pensée. Et pendant un moment, tu avais douté que le rôle te serait donné. Parce que tu l’avais vu dès les premières lignes que Rory était fait pour un rôle de cet envergure, et que si votre différence venait à être un problème, tu serais celle qui viendrait à être tassée du projet. Ce n’était pas arrivé, évidemment. Pour le mieux, tu voulais croire. Pour le mieux, malgré le pire. « Mais dès qu’on a commencé à se donner la réplique, j’ai su que leurs cadreurs allaient avoir du pain sur la planche. » Un sourire vient se placer sur tes lèvres. Parce que si tu avais su à ce moment que le Craine était le choix parfait pour jouer Clyde, il semblait avoir eu la même réalisation à ton égard pour le rôle de Bonnie. Comme une évidence qui venait d’être mis sur les yeux. Bonnie & Clyde. Penny & Rory. Plus jamais l’un sans l’autre, d’une manière ou d’une autre. « J’ai adoré tourner ce film avec toi, peu importe comment ça s’est terminé. » Tu hoches légèrement de la tête, un sourire habitant toujours ton visage. C’est toujours dur, même presque 9 mois plus tard de parler de ce projet au passé. De penser que vous n’en viendrez jamais à filmer la fin. À voir vos noms en grands sur les écrans. Que jamais les photos publicitaires du film – que vous aviez prises seulement quelques jours avant l’incident – ne seraient vues par qui que ce soit. Du beau gâchis. Mais le beau de tout ça se trouvait devant toi et c’est sur quoi tu devais te concentrer. « J’aurais pas voulu vivre tout ça avec qui que ce soit d’autre. » que tu avoues tendrement, malgré le léger soupir qui s’échappe de tes lèvres.

Et puis il y a ces choses que vous osez admettre à voix haute, et ces choses que vous gardez silencieuses. Vos yeux qui parlent plus, qui parlent trop peut-être alors que ton regard ne quitte pas le sien pendant ces longues secondes qui semblent être pleines de ce sentiment nouveau, naissant, d’autant plus effrayant alors que ton affection pour le jeune Craine semble se trouver sur une nouvelle ligne. Une ligne que tu pourrais facilement franchir, là maintenant, alors que le scénario et le setting s’y prêtent, mais tu n’en fais rien et lui non plus, laissant ainsi le doute planer au dessus de vos têtes. « Les forums de discussion autour des acteurs sont de vraies mines d’or d’informations, tu savais pas? » Tu rigoles, mais la vérité c’est que la première personne à t’avoir aider à percer la carapace de Rory, c’est Chloe qui était venue le voir quelques fois sur le set. Elle qui t’avait donner les meilleurs conseils pour te faire une place, elle qui t’avait avoué comment il aimait son café, le Craine. Et ça n’avait été qu’une petite attention à ce moment, t’étais pas certaine s’il avait même réalisé que tu avais commencé à lui apporter son café dès son arrivée sur le set à ce moment, mais si ça avait aidé à vous mener jusqu’ici, sur cette plage, avec ce coucher de soleil, tu ne pouvais être que reconnaissante de chaque petite intervention qui avait joué leur part. « Pas besoin de ces forums, j’ai Chloe pour me dire tout ce que j’ai besoin de savoir. » que tu ajoutes, un rire dans la voix. Non pas que tu penses encore avoir besoin d’elle pour t’aider à déchiffrer le Craine. Depuis le temps, tu es devenue plutôt fluente dans le jargon. « Et par « films en noir et blanc », tu veux parler de toutes les fois ou j’ai insisté pour qu’on visionne Casablanca et du fait qu’on connaisse aujourd’hui presque aussi bien les répliques que si on l’avait tourné? » Il était impossible pour toi de compter combien de fois vous aviez visionné ce classique, et encore, il ne s’agissait là que d’un classique parmi tant d’autres. Dès les premières scènes, les premières répliques, vous aviez tendance à réciter le film comme si vous y étiez. « Et encore, Casablanca n’est qu’un seul classique de la collection. » que tu ajoutes, songeant à vos collections respectives. Rêves de gamins qui espèrent un jour tourner dans des films qui braveront les épreuves du temps, se faire un nom dont on se souviendra pour longtemps. Le rêve semble te filer entre les doigts, mais quand t’es devant un film avec Rory, que tu te souviens pourquoi tu fais ce que tu fais, tu oses à y croire encore. Que ce n’est pas la fin pour vous, juste un changement de voie. Et qui sait, peut-être que votre nouvelle voie vous mènera plus loin que vous n’oseriez l’imaginer.

Sa main qui serre la tienne. Les larmes qui coulent sur tes joues sans que tu ne puisses les retenir plus longtemps. L’impression de t’être finalement libérée d’un poids trop lourd, toi qui avait toujours évité de rentrer trop dans les détails de cette soirée-là. Tu ne dis presque rien, mais il comprend le Craine, les sous-entendus de ce que tu évoques. Il y a son pouce qui vient se glisser doucement sur ta joue, et tu ne figes pas à son contact. Tu frisonnes même alors que tes lèvres tremblent et que tu échappes quelques sanglots silencieux, couverts par le bruit des vagues qui montent tranquillement contre la plage alors que le soleil entame sa descente, annonçant la fin d’une énième journée. Incapable de soutenir le regard du jeune homme plus longuement, tu décides de te perdre dans les nuances de rouges et d’oranges qui habitent le ciel. « C’est ce qui m’a terrifié ce soir-là, quand je suis arrivé dans sa loge... » Tu retournes légèrement le regard à nouveau, tu détestes voir l’émotion qui se glisse dans ses yeux. Tu voudrais pouvoir faire tout disparaître de cette soirée. Tu te sens tellement impuissante, et tu le vois bien que lui aussi. « L’idée que j’étais peut-être arrivé trop tard. » Presque, mais non. Tu fermes les yeux, tente tant bien que mal de chasser les images qui te martèlent. L’impression que tu peux encore sentir le poids de son corps sur toi. Son odeur qui n’est jamais bien loin dans tes souvenirs. Tu te concentres sur la sensation des doigts de Rory. Sur le sable sous tes pieds. « Je suis vraiment désolé que tu aies dû assister à ça après ce que tu venais déjà de vivre. » Par ça, tu comprends qu’il parle du coup de poing et de tout ce qui en a découlé. La vérité est que tu ne serais jamais en mesure de lui en vouloir à Rory. Oui, le coup de poing avait été l’élément déclencheur, mais le vrai coupable de tout ça, c’était Byers. Byers qui était pourtant sorti de tout ça avec le beau rôle. Qui en avait longuement profité, de ce titre de victime, pour ruiner la carrière de Rory. Tu voulais le faire payer, le réalisateur. Mais avant tout, tu voulais prendre la culpabilité de Rory et la faire disparaître. Tu voulais le rassurer, le dire encore et encore que tu ne lui en voulais pas, que tu ne lui voudrais jamais. « Tu t’excuses surtout pas, d’accord? T’as fais ce que tu devais faire. » C’était sûrement à toi de t’excuser. De ne pas avoir pu démentir les rumeurs quand c’était le temps. De ne pas avoir pu sauver son couple avec Swann. De ne pas pas avoir réussi à faire ce que tu aurais dû faire. Mais tu lui as déjà dit tout ça, à Rory alors cette fois-ci, tu restes silencieuse. Tu laisses le moment filer entre vos doigts et changer pour autre chose. D’autres regrets, d’autres remords. « Je crois que je me contenterais pour l’instant de me sentir à nouveau désiré dans mon propre quartier. » Tu les sentais toi aussi, les regards malveillants à vos égards, les murmures qui se faisaient entendre derrière vous. Tu espérais que ce weekend, il vous aiderait à laisser tout ça derrière, une bonne fois pour toute. Non, ça ne serait pas mieux lundi matin, oui les gens auraient des opinions à vos sujets, mais tu espérais que vous seriez plus reposés, mieux équipés pour gérer tout ce qui vient. « Mais oui, un jour on aura notre revanche et elle sera inscrite en lettres capitales sur une affiche géante. » À ça, tu parviens à sourire un petit peu à nouveau. Tu essuies les larmes sur tes joues et prend une autre longue gorgée de ta bière, que tu termines et laisse tomber à côté de toi. Ensemble, vous alliez en sortir plus fort, de tout ça. Tu t’accrochais à cette idée plus fort que tu t’accrochais à quoique ce soit d’autre. Vous alliez avoir votre heure de gloire. À un moment ou un autre. Bientôt ou dans longtemps, à la limite ça n’avait plus vraiment d’importance. T’espérais simplement que quand viendrait le moment, Rory serait avec toi.

« Et on le fera. » Pour protéger les autres. Pour aider celles qui ont été à la même place que toi avant. Tu y penses sincèrement, d’aller porter plainte. De plus en plus. Tu sais que Rory viendrait avec toi, si tu te décidais enfin. « S’il y a d’autres filles, on fera ce qu’il faut pour les aider à se faire entendre elles aussi. Je te promets qu’on le fera. » Et il te montre une fois de plus le Craine, à quel point il a le coeur sur le main, toujours à faire passer les intérêts des autres avant les siens. Il aurait pu tout dire il y a tellement longtemps, pour sauver sa peau, sa réputation, mais il n’a jamais même penser à le faire. Il a toujours voulu te protéger toi d’abord, et tu ne savais plus comment lui faire savoir à quel point tu étais reconnaissante. « Je te jure qu’il paiera, Penny. On le laissera pas s’en sortir, jamais. » Tu hoches légèrement la tête en guise d’approbation. Tu le sais, tu n’en doutes pas du tout. Tu restes silencieuse, un peu plus longtemps, laissant ton regard dire tous les mots qu’il sait déjà. « Maintenant j’aimerais que tu me promettes une chose. » Tu fronces les sourcils légèrement alors que son regard se tourne vers l’océan. « Que tu le laisserais pas gâcher ton weekend. » Un petit rire siffle entre tes lèvres, c’est une promesse que tu peux facilement faire. Tes doigts serrent les siens une dernière fois alors qu’il se retourne vers toi et tu te perds dans son regard quelques secondes de plus. « Promis. » que tu murmures et échappe un long soupir. Et puis soudainement, sans y penser plus longuement, tu te lèves d’un coup sec, laissant tout derrière « Le dernier dans l’eau est un loser! » que tu t’exclames, ton regard tourné vers l’eau que tu sais glacée, mais ça ne t’empêche pas de te mettre à courir aussi rapidement que possible. Il ne met que quelques secondes pour réaliser ce que t’es en train de faire et tu l’entends derrière toi qui s’approche. Tu échappes quelques cris lorsque tes pieds touchent l’eau, Rory en fait de même, et tu sens ses mains qui viennent se placer sur ta taille pour te lancer plus loin dans les vagues et tu peines à te défaire de son emprise. T’éclates de rire alors que tu sors ta tête de l’eau, l’éclabousse avant d’essayer de le faire tomber à ton tour. Il n’y a que l’eau glacé et l’écho de vos rires qui comptent. Le reste n’existe plus pour une fois depuis longtemps, tu es tout simplement bien.