Alors que la dernière sonnerie avant la messagerie retentit, tu raccroches brutalement alors que la voix mélodieuse de Kieran raisonne dans ton oreille avant de balancer ton téléphone sur ton lit. S’il y avait bien une chose que tu détestais, c’était que l’on t’ignore. Enfin, tu t’en fichais éperdument de la part d’inconnus qui ne faisaient que te croiser dans leur vie mais de la part de tes proches, c’était une autre histoire. C’est le quatrième coup de fil que tu passes à Kieran en trois jours et quand les choses se passent ainsi, tu sais que ce n’est pas une coïncidence, tu sais qu’il fait exprès de ne pas te répondre. Et il n’en faut pas plus pour que tu sentes la colère faire son petit chemin. N’avait-il pas compris la leçon ? Le traitement que tu lui avais réservé quand il était revenu à Brisbane en janvier ne lui avait-il pas suffit ? C’était un miracle que tu acceptes toujours de lui parler après qu’il ait décidé que c’était une bonne idée de ne plus répondre à tes emails. Et après cela, plus de carte poste, plus de lettre, rien. Nada jusque’à son retour. Autant, certaines personnes peuvent avoir des excuses et toutes les personnes que tu rencontres ne savent pas que ton père vous a lâchement abandonné quand tu avais neuf ans. Mais s’il y a bien une personne qui le sait, c’est Kieran. Kieran qui t’a vu grandir et qui sait à quel point l’idée de voir les gens t’abandonner te terrifiait. Pourtant, il n’avait pas hésité à le faire quand cela l’avait arrangé. A vraie dire, tu ne savais pas exactement ce qui l’avait arrangé dans cette histoire. Depuis son retour, tu avais essayé de lui tirer les vers du nez à de multiples reprises mais sans succès. Il s’était toujours défilé avec une habileté qui te surprenait quand tu arrivais à lui faire peur avec un simple ‘Bouh !’. Sa participation à Race of Australia avait été une surprise mais tu n’avais pas bronché quand il t’avait dit qu’il n’aurait aucun moyen de te contacter cette fois. Et puis il fallait le reconnaître, la diffusion de l’émission t’avait amenée à voir Kieran sous un nouveau jour et t’avait beaucoup amusée. Depuis son retour du tournage de l’émission, tu l’avais vu certes mais de moins en moins au fil des semaines. Tu avais d’abord pensé que c’était certainement pour éviter les hordes de personnes qui devaient le reconnaître dans la rue suite à cette émission de télé-réalité mais désormais tu savais que c’était autre chose. Voilà pourquoi tu n’hésitais pas une seule seconde à attraper ton sac à main et à sortir de ta chambre en direction de la voiture. Il était tard, plus de vingt-deux heures et Edge te jeta un regard intrigué en te voyant quitter la maison comme une furie mais tu veillais à le rassurer en lui disant que tu allais botter le cul à un idiot. Cela ne sembla pas le perturber plus que cela, c’était toujours comme ça quand il avait Yasmine dans ses bras. Qu’importe de toute manière, ta mission était ailleurs.

Il était temps que Kieran entende ce que tu avais à lui dire et qu’il comprenne qu’il ne pouvait pas t’éviter quand il allait mal et te parler quand il allait bien. Non, ce n’est pas ainsi que les choses marchent. S’il allait mal, tu étais là pour l’aider à surmonter ce qu’il traversait. Mais ce que tu voulais surtout c’était comprendre, c’était qu’il te donne des explications pour arrêter de te triturer l’esprit à croire que tout ça c’était de ta faute. Tu avais besoin qu’il te dise que ce n’était pas de ta faute s’il s’éloignait, s’il s’était éloigné dans le passé. Parce que tu commençais très sérieusement à te demander si toutes les personnes qui te rencontraient n’étaient pas destinées à t’abandonner. Ta mère était la seule personne qui ne l’avait pas fait pour l’instant et ton père pouvait t’assurer ne pas avoir voulu t’abandonner, il l’avait fait finalement. Pour te protéger apparemment, une raison que tu avais encore du mal à comprendre et donc à accepter. Parler de ton père avec Kieran ne sera pas une bonne idée de toute manière, tu savais à quel point les deux hommes ne s’aimaient pas et tu savais en partie pourquoi même si tu avais du mal à le comprendre. Dans le peu de souvenirs que tu avais de ton père, il était toujours protecteur, attentif et attentionné, qu’il ait pu autant maltraiter Kieran dans sa jeunesse t’a toujours semblé étrange. Mais ce n’étaient pas tes histoires après tout, tu n’étais pas censée les comprendre. Contrairement aux raisons qui faisaient que Kieran ne te répondait pas, encore et toujours. A moins qu’il ne soit devenu un fêtard invétéré, tu étais à peu près certaine de le trouver chez lui. Voilà pourquoi tu te garais aux alentours de ton immeuble et tu tu faufilais à l’intérieur quand un de ses voisins sortit. Tu montais les escaliers jusque’à son appartement et tu n’hésitais pas à frapper sur la porte, presque violemment. « Kieran ! C’est Ilaria, ouvre cette porte tout de suite ! » Ta voix ne laissait aucun doute possible, tu n’étais pas dans les meilleures dispositions. Tu étais aussi inquiète en réalité, tu ne voudrais pas qu’il lui soit arrivé quelque chose même si c’était une option que tu te refusais d’envisager sérieusement. Quand la porte s’ouvrit sur ton ami, celui que tu considérais comme ton oncle, tu lui dis : « Ravie de voir que tu es toujours vivant ! Je peux rentrer ? » Là encore, tu n’attendis pas sa permission. Tu pénétrais à l’intérieur de son salon avant de lui demander : « J’ai fait quoi cette fois pour que tu refuses de me répondre ? Qu’est-ce qui se passe Kieran ? Qu’est-ce que je dois faire pour que tu arrêtes de me ghoster ? » Tes yeux se plongent dans les siens et en dehors des reproches que tu es en train de lui faire, tu espères qu’il y voit la peur qui te terrifie, une peur que tu dissimules derrière ta colère mais qui est bel et bien là pourtant. Cette fois tu attends, patiemment, tu attendras le temps qu’il faudra pour qu’il te réponde.


@Kieran Halstead

@ILARIA MACKENZIE & KIERAN HALSTEAD ⊹⊹⊹ yeah, you never said a word, you didn't send me no letter, don't think i could forgive you. see our world is slowly dying, i'm not wasting no more time, don't think i could believe you.

Alors, ils avaient raison.

C’est le constat que fait Kieran en ressassant inlassablement sa dernière rencontre avec Eve. Cette dernière, Autumn, les amis proches que le couple avait eus, sa cousine Victoria, la psychiatre de la jeune femme, ce Keith qu’elle avait tenté de mettre dans son lit alors qu’ils étaient encore ensemble, tous avaient raison.

Au-delà du simple fait d’avoir des problèmes, Kieran est surtout le problème.

Le constat est douloureux, mais surtout si bien ancré qu’il m’est difficile de le dissuader du contraire. Ce n’est pas faute d’essayer, pourtant. J’ai accès à tellement d’autres faits que les susmentionnés, qui ouvrent la porte vers d’autres interprétations, les vraies, qu’il serait aisé de me croire. Mais depuis le temps que je me mêle à lui, je ne suis pas sans savoir que notre protagoniste se fie bien plus à l’opinion d’autrui qu’à la sienne (la mienne, en l’occurrence). Pourtant, celles des autres ne se basent que sur des « on dit » et il serait ainsi bien plus cohérent de s’accrocher à des faits. Mais comment pourrait-il le faire alors qu’il est le premier à les nier ?

Alors oui, ils ont raison.

Kieran n’accepte pas le rejet ; il le sait pertinemment. Mais il ne pensait pas qu’il le traduisait de cette manière, il ne pensait pas être devenu de ces hommes qui ne considèrent pas un « non » comme une réponse. Pourtant, il semblerait que ce soit le cas et sa dernière rencontre avec Eve a attesté de tous les reproches qu’Autumn formule à son égard depuis des mois. Il est abusif, peut-être pas de la manière dont on l’entendrait en temps normal. Il n’a jamais laissé parler ses mains sur son ex-fiancée ou sur celle qui a ravivé son cœur après sa rupture, mais il les a maltraitées, c’est une certitude.

En es-tu sûr, Kieran ?

Au début, il pensait seulement s’être fourvoyé, avoir démontré à nouveau à quel point il est stupide en ne voyant pas l’évidence. Il comprend maintenant qu’il a surtout refusé de la voir. Le jeune homme en est si convaincu que tous les signes lui donnent raison quand bien même j’essaie de mettre en avant ceux qui pourraient lui donner tort. Là où je vois une manipulation d’Eve d’avoir délibérément fait tomber ce carnet où elle lui révèle ses sentiments, il y voit une erreur d’interprétation de sa part. Là où j’y vois la continuité du jeu qu’elle a instauré auprès du jeune homme lorsqu’elle lui a confirmé par message de la véracité de ses dessins, il y voit un quiproquo instauré par sa stupidité. Là où j’y vois l’assurance de le garder à sa solde de par les photos séduisantes envoyées par sms, il se persuade d’avoir été le seul et unique responsable de cette ambiguïté entre eux. Et il se flagelle pour ça, Kieran. Il s’est assez renseigné suite aux accusations d’Autumn pour considérer qu’il fait partie de ces individus qui rejettent la faute sur les femmes seulement parce qu’ils sont trop frustrés pour accepter cette issue qui ne va pas dans leur sens.

Et au-delà de s’être fourvoyé quant à la situation, ça lui fait peur à Kieran, de s’être ainsi fourvoyé sur lui-même et de prendre conscience d’à quel point il s’est déconnecté de la réalité pour ne pas avoir à se confronter à ses propres actes.

Alors il ne se donne pas le droit de considérer son cœur brisé ; pourtant, je vous assure qu’il est éparpillé en des milliers de morceaux au point où il semble de plus en plus difficile de le reconstituer. Il peut tenter de le nier, pourtant je suis témoin du déchirement intérieur de notre protagoniste et de cette nausée qui lui survient dès lors qu’il essaie de comprendre à quel moment il est devenu totalement aveugle. À quel moment il a dérapé si fortement qu’il n’a considéré plus que ses propres sentiments au détriment de ceux d’Eve et de son ex-fiancée avant elle.

Oh, Kieran. La vérité est que tu as perpétuellement écrasé tes sentiments pour laisser plus de place à ceux des autres.

Alors je lui donne le droit de s’interroger, malgré sa volonté. J’interfère dans ses pensées, je m’immisce, pour qu’il se donne le droit d’être triste malgré sa culpabilité faussée.

Tu as le droit de t’interroger sur les attentes d’Eve ; mieux encore, je te conseille de te questionner sur sa manipulation d’aussi loin que je me souvienne. Parce que rien n’est cohérent dans son attitude, n’est-ce pas ? Tu t’interdis de songer à cette pensée, alors je le ferai pour nous deux, Kieran. Ses sentiments étaient réels, selon elle. Pourtant, lors de cette dernière rencontre, elle est venue t’affirmer qu’elle avait choisi Ezechiel, en affichant sa bague à tes yeux. Elle n’a pas mentionné ces messages, comme s’ils n’étaient que l’œuvre de ton imagination. Elle t’a donné rendez-vous là où ils ont eu leur premier. Elle t’a supprimé des réseaux, ne s’est jamais reconnectée sur vos divers jeux en ligne.

Elle a eu ce qu’elle voulait, elle a cessé d’exister. À cause de moi, qu’il se flagelle. Elle le lui avait dit, il est responsable de sa volonté de disparaître, de cette anorexie dont il aurait pourtant rêvé la sauver.

Il ne pourra jamais réparer le mal qu’il fait aux autres, alors autant disparaître à son tour.

Porté pâle depuis deux jours au travail, absent sur les réseaux depuis une semaine, injoignable depuis tout autant de temps, Kieran finit par donner raison à Méduse, les autres s’en sortent bien mieux sans lui et ses proches n’ont vraisemblablement pas de difficulté à s’habituer à son absence. Cloitré de sa chambre, il ignore si Fiona continue de mener sa vie de l’autre côté de cette porte, tandis que lui se perd jusqu’à des heures déraisonnables sur cette console qui lui permet autant de s’échapper quelques heures que de continuer à espérer, naïvement, qu’Eve lui donnera signe de vie et qu’elle n’est pas totalement indifférente à son existence. Mais elle n’apparaît jamais, sa voix ne résonne jamais dans son casque, le laissant avec cette solitude de plus en plus écrasante qu’il a pourtant choisie. Alors il finit par abdiquer quelques minutes, le temps de traîner jusqu’à la cuisine pour décapsuler une bière – et peu importe l’heure, pourvu qu’il ait l’ivresse. Il n’est pourtant pas porté sur la bouteille, Kieran, même si je trouve qu’il s’agit bien trop souvent d’une solution de secours pour se changer les idées ; mais le fait est que la réputation de l’alcool n’est plus à faire et que cela est effectivement efficace.

Il sursaute et s’interroge aussitôt lorsque des coups frappent avec virulence à la porte, décidant de ne pas s’en préoccuper jusqu’à ce qu’une voix suive. Auprès de n’importe qui, il n’aurait pas hésité à faire le mort, mais il s’agit d’Ilaria et il n’est pas sans savoir qu’il n’a plus le droit à l’erreur la concernant, autant qu’il ne doute pas qu’elle trouvera, dans tous les cas, un stratagème pour pénétrer dans cet appartement. Alors il fait les quelques pas qui le séparent de la porte d’entrée pour ouvrir celle-ci, un sourire pincé sur les lèvres, tandis qu’il sait très bien que les minutes qui vont suivre ne seront pas en sa faveur. « Euh, oui, oui, vas-y, je t’en prie. » Qu’il balbutie alors qu’elle est déjà au milieu du salon et qu’il ferme la porte avant de se retourner vers elle afin de faire face à ses accusations.

« Quoi ? » Il se questionne en fronçant les sourcils alors qu’elle s’interroge sur ce qu’elle a pu faire cette fois. Elle-aussi, elle est blessée par ma faute, qu’il songe, alors qu’il sent son cœur en miettes s’alourdir. Et aussi stupide qu’il aime paraître aux yeux des autres, je le sens comprendre le double sens de cette phrase, autant que je perçois que ça le perturbe autant qu’il a conscience que la jeune femme est peinée. De son attitude actuelle ou de la précédente ? Ils ne sont jamais revenu sur le sujet parce qu’il l’a toujours refusé et ce n’est pas aujourd’hui qu’il compte le faire. Pour autant, il a conscience d’être au pied du mur et que ses arguments se devront d’être convaincants pour motiver Ilaria à quitter cet appartement au plus vite. « Y’a rien, Ila’, je t’assure. » Je détruis juste tous ceux qui s’approchent, alors ne t’attardes pas ici, s’il te plaît. « Je suis juste malade, c’est pas un drame. » Qu’il se justifie et je peux vous assurer qu’avec ses cernes sous les yeux, son teint blafard et la douche qu’il n’a pas vue depuis bien trois jours, il n’est pas difficile de le croire. « Désolé si j’ai manqué tes appels, j’ai juste la tête un peu ailleurs, ces derniers jours. » Et là aussi, il pourrait presque être convaincant tant il s’assure qu’il ne s’agit pas d’un mensonge ; il est effectivement désolé, il a effectivement la tête ailleurs. « Je t’assure que je me rattraperai la semaine prochaine, ça ira sûrement déjà mieux. » Non, ça n’ira pas mieux. « D’ici-là, je te conseille de tenir à distance, si tu veux pas finir toi-aussi clouée au lit. » S’il te plaît, Ilaria, s’il te plaît, tiens-toi à distance, parce que mes mensonges t’ont déjà suffisamment blessée.

C’est toujours bien plus difficile à accepter quand les personnes qui vous déçoivent sont celles en qui vous avez le plus confiance. C’était ce qui était arrivé avec Kieran. Il avait été ton rock, cette présence dans ta vie depuis ta plus tendre enfance, une sorte de grand frère en vérité. Tu as encore de maigres souvenirs de tes petites jambes qui cherchaient à le suivre partout, tout le temps. Et puis vous aviez grandi et lui était parti. Au début, tu avais cru en lui parce que ce n’était pas possible autrement. Puis les emails s’étaient raréfiés, les appels aussi jusqu’à disparaître. Quand cela était arrivé, tu avais d’abord cherché des excuses, des dizaines d’excuses jusqu’à ce que les mois passent et que tu ne puisses plus nier la réalité. Finalement, Kieran avait fait la même chose que ton père, cet homme dont même lui faisait perdre le sourire. Ce n’était pas un secret que Kieran ne lui portait pas une grande estime et pourtant, il avait agis exactement comme lui. Il t’avait abandonné comme ça, sans un mot, sans une explication. Et comme ton père il était revenu. Enfin, ça Kieran ne savait pas qu’Ichabod était de retour ou peut-être que ta mère le lui avait dit ? Peu importait parce que ce n’était pas le sujet. Revoir Kieran, savoir qu’il allait bien avait été un soulagement certes mais il avait été comme impossible pour toi de lui pardonner. Pas sans explication. Tu ne pouvais pas accepter qu’il soit parti et qu’il ait coupé toute communication et l’accueillir de nouveau les bras ouverts comme l’avait fait ta mère. Non, il t’avait blessée et s’il ne voulait pas faire un pas vers toi avec quelques explications, il n’y avait pas de raisons que tu en fasses non plus. Voir Kieran avait toujours été un bon moment et tu l’avais laissé partir à Race of Australia sans rien dire, attendant patiemment de voir ce que le jeune homme allait donner dans ce genre d’émission. Et tu n’avais pas été déçue ! Mais depuis son retour de tournage, tu ne l’avais pas beaucoup vu et depuis plus d’une semaine c’était silence radio. Et ce silence commençait à te peser. Pourquoi est-ce que Kieran refusait de te répondre ? Qu’est-ce que tu lui avais fait pour mériter un tel traitement ? A force de te faire abandonner par tous tes proches, tu commençais à te poser de sérieuses questions. Et toutes ces questions sans réponse ne te plaisaient pas du tout. Alors il était temps de prendre les choses en main. Voilà pourquoi tu te retrouvais chez Kieran, en train de frapper à sa porte sans relâche, jusqu’à ce qu’il t’ouvre. Le fait qu’il ne vienne pas t’ouvrir de suite veut certainement dire qu’il a hésité mais tu aurais fini par trouver un moyen d’entrer de toute manière. « Euh, oui, oui, vas-y, je t’en prie. » Bien trop aveuglée par ta propre colère et ta propre peur pour remarquer que quelque chose cloche, tu rentres dans le salon et tu ne prends pas le temps de l’observer que tu lui demandes directement ce qui se passe et la raison pour laquelle il n’a pas daigné répondre à toutes tes tentatives de contact ces derniers temps. Devant tes questions, il semble éberlué, comme si tu le sortais d’une transe. « Quoi ? » C’est à ton tour de froncer les sourcils. Il ne peut pas être surpris que tu te poses des questions et que tu penses que c’est de ta faute non ? Comment peux-tu penser autre chose ? Enfin, s’il pense que tu as tord, il faudra qu’il t’explique. « Y’a rien, Ila’, je t’assure. Je suis juste malade, c’est pas un drame. Désolé si j’ai manqué tes appels, j’ai juste la tête un peu ailleurs, ces derniers jours. » Ses paroles te font t’arrêter et font redescendre tout de suite ta colère. Malade ? Tu regardes Kieran sous un nouveau regard désormais et effectivement, il n’a pas l’air au mieux de sa forme. Pas coiffé, pas préparé, des cernes sous les yeux, il ne te mentait pas quand il affirmait qu’il n’était pas au top de sa forme. Ça, tu aurais pu le dire toi aussi … Mais malade ? Non, si c’était le cas, pourquoi ne pas avoir répondu à au moins un texto. S’il était malade tu aurais pu venir lui rendre visite et t’assurer qu’il mangeait et prenait son traitement. « D’ici-là, je te conseille de tenir à distance, si tu veux pas finir toi-aussi clouée au lit. » Tu n’avais pas fait tout ce chemin pour repartir aussi rapidement que tu étais arrivée. Tu t’en fichais bien de tomber malade si cela te permettait d’enfin avoir des réponses, d’enfin comprendre pourquoi Kieran refusait de te donner une quelconque réponse et se remettait subitement à ne plus te parler alors que vous viviez dans la même ville. Oui, cette fois tu pouvais venir le mettre face à ses responsabilités, il n’était plus à l’autre bout du pays. « Elle doit être bien ailleurs pour que tu ne te sois pas lavé depuis plusieurs jours. » Lui fis-tu remarquer parce que c’était évident que niveau hygiène corporelle, il n’était pas au top. Ton regard se posa sur la cuisine ouverte et tu aperçus la bière qui était posée sur la table. Oui, tu n’étais pas médecin mais de l’alcool avec des médicaments ce n’était pas l’idée du siècle. « Tu as plus l’air d’être déprimé que malade je dois l’avouer. » Tu t’approches de lui et tu poses ta main sur son bras pour le pousser en direction du canapé. Il doit bien se douter que tu ne vas pas partir, que tu ne comptes pas partir et le laisser ruminer ou s’enfermer dans sa maladie, tu ne savais plus trop quoi croire. « Assieds-toi avant de tomber à la renverse, tes cernes feraient même peur à une chauve-souris. » Dis-tu pour le taquiner. « Je m’en fiche d’être malade, c’est mal me connaître que de penser que je vais te laisser dans un état pareil, ma mère me tuerait. » Et puis aussi cela ne te ressemblait pas. Laisser les gens souffrir dans leur coin, ce n’était pas ton truc. Une fois Kieran installé dans le canapé, tu retournais dans la cuisine pour allumer la bouilloire. Il devait bien y avoir du thé ou une infusion dans les placards non ? Tu n’avais pas oublié que tu étais en colère mais c’était soudainement passé au second plan en vérité. Revenant prendre place à ses côtés, tu lui demandas : « Qu’est-ce qui se passe Kieran ? Qu’est-ce qui t’arrive ? » Tu veux creuser, tu ne veux pas prendre ce qu’il te dit pour acquis parce que ce qu’il te dit n’est souvent qu’une petite partie de la vérité, pas vraiment la vérité elle-même. Soit il se défile, soit il ne la dévoile qu’en partie. Il semble vouloir se protéger de toi et de tout le reste. « Je m’en fou si je tombe malade, c’est pas important. » Tu guériras, y a pire dans la vie quand même.


@Kieran Halstead

Dans d’autres circonstances, la visite d’Ilaria aurait été accueillie avec la plus grande joie ; je sais à quel point Kieran est attaché à la jeune femme et quelle place majeure elle occupe autant dans sa vie que dans son cœur. Il gravite autour d’énormément de monde, Kieran, de par sa volonté d’être constamment entouré et d’être apprécié par tous, mais rares sont ceux pouvant se vanter d’avoir une vraie place dans son cœur. Du moins, je compte ces bénéficiaires sur les doigts d’une main ; Ilaria fait partie de ceux-ci, mieux encore, les années écoulées autant que leur différence d’âge n’ont pas mis à mal l’importance qu’elle a pour lui. De la même manière que Rhea est devenue une grande sœur, Ilaria est devenue la petite dernière, celle sur laquelle il veille même si dans l’ordre des choses, c’est plus souvent elle qui lui botte les fesses ou se veut celle qui fait preuve d’une maturité qu’il ne possède pas. En ce sens, il n’est pas surprenant qu’elle soit à l’origine de cette confrontation, qu’elle impose sa présence sans s’assurer que celle-ci puisse être acceptée au préalable. Je crois surtout qu’elle autant que moi savons que même les tendances à la fuite de Kieran ne sauront rivaliser avec l’affection qu’il a à son égard et qu’elle aurait très bien pu crocheter la serrure au milieu de la nuit pour lui flanquer la frousse de sa vie qu’il n’en se serait pas offusqué.

Néanmoins, ne pas s’en offusquer n’implique pas d’accepter cette intrusion, et malgré le plaisir provoqué par la vision de la petite blonde, il revient très rapidement à ses préoccupations principales, à ce qu’il ressasse depuis des jours contre ma volonté : et ce mal qu’il est persuadé de causer autour de lui, faisant de ses proches des dommages collatéraux de son incapacité à considérer leurs sentiments, puisque le problème vient bien de là. Et il s’en persuade, Kieran, alors que tous les éléments sont contre lui et, à cet instant, le souvenir du pardon pas si accordé d’Ilaria ne fait que concrétiser cette crainte. Il aime prétendre que tout va bien entre eux, que le simple fait qu’elle lui parle toujours est suffisant pour ne pas se poser plus de questions, pourtant j’essaie de lui faire comprendre que les adultes, les vrais, parviennent parfois à faire abstraction de certaines contrariétés pour le bien commun, ce dont il ne peut pas se vanter d’être capable. Ilaria, elle, l’est, et pour autant il ne devrait pas prendre cet élément pour acquis ; comme je lui fais remarquer, il ne s’est jamais permis de lui donner de plus amples explications quant à sa disparition et contrairement à ce qu’il pense, ce n’est pas parce qu’il demeure muet que le sujet sera oublié. Pourtant, elle en mériterait, des explications. Des rares personnes auxquelles il accepterait de se confier, elle serait probablement en tête de liste, parce qu’elle ne l’a jamais jugé, parce que sa rancœur n’est finalement que la preuve de son affection et que s’il désire la conserver, il serait de bon ton de s’épancher un peu. Mais il n’y parvient pas, Kieran et même alors qu’elle le confronte il tend à prétendre que le sujet n’existe pas.

Ses doigts viennent pincer son t-shirt au niveau de son épaule pour rapprocher le tissu de ses narines et humer celui-ci, lui faisant réaliser qu’elle marque un point. Un peu gêné, il entreprend de reculer d’un pas et de prétendre garder une certaine contenance en rétorquant : « c’est mon nouveau gel douche, parfum ‘’sortie de fitness’’. » Il tente l’humour pour désamorcer la situation, avant de reprendre, sur le même ton : « l’un va avec l’autre, non ? » Il est malade ; il a le droit d’être déprimé. À moins que ce ne soit l’inverse ? « Dans tous les cas, l’un est aussi contagieux que l’autre, alors... » Au revoir ? Mais il n’a pas le temps de le dire qu’elle le dirige vers le canapé, dans lequel il s’enfonce sans attendre plus longtemps, se faisant à la présence de la jeune femme par obligation : il sait bien qu’elle ne compte pas partir d’aussi tôt. « Ingrate. » Il s’offusque, lui lançant un regard – faussement – désapprobateur lorsqu’elle évoque ses cernes. Il n’oublie pas sa volonté de la convaincre de tourner les talons, et pour cela agir avec une aisance qui contraste avec son attitude d’il y a cinq minutes lui semble être la meilleure option : elle verra qu’il va bien (prétend l’être en tout cas) et n’aura pas à s’inquiéter plus de raison, suffisamment pour se convaincre de quitter les lieux. « Je me sacrifie à ta place, si tu veux. » Rhea ne pourrait jamais s’en prendre à son sang, certes, mais si cette perspective doit être envisagée, il prend volontiers le rôle. Non, Kieran, ôte-toi cette idée de la tête de ce pas.

Elle l’a dit ; elle ne le laissera pas dans un état pareil et le fait qu’elle prenne ses aises dans la cuisine ne font que lui confirmer qu’il doit compter sur sa présence. Ne reste plus qu’à réfléchir à la manière de l’écourter, quand bien même d’ordinaire il aurait savouré ces quelques moments passés en sa compagnie. Aujourd’hui, celle-ci n’est pas la bienvenue et cette simple pensée lui déplaît, pourtant il se persuade que c’est pour le bien de la jeune fille et que cela vaut bien le prix de son rejet. « Et ce que j’ai n’est pas important non plus. » Il veut la persuader en haussant les épaules ; après tout nombreux sont ceux qui passent par une peine de cœur, nombreux sont ceux qui se relèvent. Mais à la différence que, lui, il n’a pas le droit de s’en plaindre pour être à l’origine des tourments des autres. Je veux le convaincre du contraire et, pourtant, les mots d’Ilaria résonnent encore dans sa tête. J’ai fait quoi cette fois pour que tu refuses de me répondre ? « T’as rien fait, tu sais. » Il souligne avec sérieux, tournant la tête vers la cuisine pour capter son attention. « Ni cette fois, ni... l’autre fois. » Il perd son regard alors qu’il n’ose plus l’affronter – et je ne me surprends pas, il n’a jamais été capable de soutenir le regard des autres plus de dix secondes. Mais je ne lui fais pas la leçon, trop heureux qu’il puisse venir sur ce sujet qui lui tient à cœur, qu’il parvienne à s’ouvrir, à essayer de le faire, du moins. « Je suis désolé de t’avoir blessé. » Il pourrait le répéter un million de fois que ça ne traduirait pas de la culpabilité qu’il ressent. « C’est ma spécialité, faut croire. » De blesser les autres, de les torturer pour son plaisir personnel – il ne se savait pas ainsi, mais puisqu’on le pointe du doigt, c’est qu’ils ont raison. « C’est ça le problème. » Qu’il reconnait alors qu’il s’enfonce un peu plus dans le canapé. « Et j’aimerais que tu partes avant que je te cause plus de dégâts. » Il finit par admettre, refusant de croiser son regard et priant seulement pour que la porte claque derrière lui ; il a verbalisé son envie de ne pas l’avoir face à lui aujourd’hui, peut-être qu’elle sera suffisamment vexée pour lui en tenir rigueur et se préserver comme elle le mérite en quittant cet appartement.

En mettant ta colère de côté, tu commençais à remarquer certaines choses. tu remarquais la tenue de Kieran, tu remarquais les cernes sous ses yeux et son teint blafard, tu remarquais l’odeur qu’il dégageait. Il ne t’en fallut pas plus pour comprendre que quelque chose n’allait pas. Et de suite, ta colère disparut. Pour l’instant en tout cas car tu n’oubliais jamais complètement ce qui t’avait amené par ici qui n’était autre que le fait que Kieran justement ne te disait rien et pensait qu’en ne parlant pas des choses, elles disparaitraient dans la nature. Non. Il avait arrêté soudainement de t’écrire quand il avait quitté Brisbane et tu avais désespérément besoin de savoir pourquoi. Tu te fichais que cela fasse de toi une enfant gâtée, une enfant qui n’acceptait pas qu’on lui dise non. Justement, tu l’avais accepté ce non depuis presque un an et tu en avais assez. Surtout quand il recommençait à le faire. Dommage pour lui, cette fois il n’était pas à l’autre bout du monde, il était toujours à Brisbane et là tu savais comment le retrouver. Ce n’était pas une surprise que Kieran cherche à se débarrasser de toi, c’était plus une déception. C’était mal te connaître que de penser que ses petites réflexions et sa prétendue maladie allaient te chasser. Au contraire, il aurait eu plus de chance de te voir partir rapidement en t’invitant à rentrer car désormais, tu comptais bien rester le plus longtemps possible ou du moins le temps que tu arrives à lui tirer les vers du nez. Alors que tu lui fais remarquer qu’il ne sent vraiment pas la rose, Kieran sent son t-shirt, le sent vraiment en tout cas pour la première fois. Son pas en arrière fait naître un sourire amusé sur tes lèvres alors qu’il rétorque : « C’est mon nouveau gel douche, parfum ‘’sortie de fitness’’. » Tu lèves un sourcil à ces paroles parce que sérieusement ? Il voulait essayer de te faire croire qu’il avait fait du sport ? Kieran ? Non, tu n’y crois pas une seule seconde mais tu ne vas pas le taquiner à ce sujet, il a l’air déjà assez préoccupé comme cela. « Si ça te fait du bien de nommer cette odeur ainsi. » Dis-tu en haussant les épaules. Tu lui fais remarquer ensuite qu’il a l’air plus déprimé que malade car il n’a pas ce regard perdu que l’on a souvent quand on a de la fièvre, il ne se tord pas de douleur non plus, il ne tousse pas et ne se mouche pas donc non, il ressemble plus à quelqu’un de déprimé qu’à un malade. « L’un va avec l’autre, non ? Dans tous les cas, l’un est aussi contagieux que l’autre, alors... » Tu hausses les épaules. Pour toi cela dépend. Oui certaines personnes peuvent être un peu déprimées en étant malades parce que cela les empêche de vaquer à leurs occupations mais ce n’était pas une petite déprime passagère que tu voyais se dessiner sur le visage de Kieran. Alors non, tu n’avais pas plus peur d’attraper un virus que d’attraper sa déprime voilà pourquoi, quand il va s’installer dans le canapé, tu le suis pour prendre place à ses côtés. « Ingrate. » A son air renfrogné, tu lui réponds avec un grand sourire satisfait. Tu as bien conscience de jouer avec les limites. Si tu n’avais pas ce lien si particulier avec Kieran, il t’aurait certainement mise dehors mais c’est aussi pour cela que tu te permets d’en abuser car si tu ne le fais pas, qui va venir le sortir de son trou ? Tu mentionnes ensuite que ta mère ne te pardonnerait pas de le laisser dans cet état et te tuerait. Extrême bien entendu, ta mère ne ferait jamais cela. « Je me sacrifie à ta place, si tu veux. » Tu avais dit cela pour plaisanter mais l’homme à tes côtés ne plaisantait pas. Il n’en avait pas la force très probablement pour l’instant. « Toujours aussi second degré Kieran à ce que je vois ! » Ne pus-tu t’empêcher de lui faire remarquer en levant les yeux au ciel. Personne n’allait mourir et surtout pas aux mains de ta mère. Enfin, peut-être ton père si elle n’avait pas encore évacué sa colère la prochaine fois qu’elle le verrait mais c’était une autre histoire.

Parce que c’est presque ton métier que d’être pénible et insister, tu redemandais à Kieran ce qu’il a. Que ce soit une maladie ou une dépression, il devait le savoir non ? « Et ce que j’ai n’est pas important non plus. » Tu avais l’impression d’écouter un vieux vinyle qui se serait coincé dans le lecteur. Bien sûr que c’était important ce qu’il avait vu que cela semblait le ronger de l’intérieur ! Tu n’allais pas le regarder se faire du mal encore et encore. Non, tu voulais mettre un terme à tout cela mais avant que tu ne puisses ajouter quoi que ce soit, Kieran te dit : « T’as rien fait, tu sais. Ni cette fois, ni... l’autre fois. » Tu te figes alors qu’il prononce ces mots. Sans surprise il ne te regarde pas mais tu ne t’attendais pas à cela. Tu ne t’attendais pas à des excuses de sa part. Déjà parce que tu n’en voulais pas, c’était des explications que tu voulais. Mais tu ne pouvais pas nier que cela te rassurait de savoir que tu n’avais rien fait même si une partie de toi se demandait si c’était ce qu’il voulait te faire croire. « Je suis désolé de t’avoir blessé. C’est ma spécialité, faut croire. C’est ça le problème. Et j’aimerais que tu partes avant que je te cause plus de dégâts. » Pardon ? Il ne te voit pas, la tête baissée, le corps enfoncé dans le canapé il ne voit pas ton air ahuri et hébété. C’est beaucoup d’information en peu de temps, c’est beaucoup de choses à assimiler. Oui, Kieran t’avait blessée quand il avait arrêté de t’écrire mais de là à penser qu’il était destiné à te blesser et qu’il valait mieux que tu t’éloignes, il y avait un énorme pas que même toi tu n’avais jamais fait. « De quoi tu parles Kieran ? » Ne pus-tu t’empêcher de lui demander presque dans un murmure. « Qui est-ce qui t’a dit que ta spécialité c’était de blesser les gens ? » Tu commençais à être indignée. Oui, il t’avait blessée mais tu étais persuadée qu’il avait eu une bonne raison ou du moins une bonne raison à ses yeux de ne plus te contacter. Tu voulais juste la connaître et qu’il arrête de vouloir fuir ce qu’il fuyait. Mais jamais tu n’avais pensé que blesser les gens était sa spécialité ! Si quelqu’un lui avait fait penser cela, tu comptais bien aller trouver cette personne et lui dire le fond de ta pensée. « Kieran ? » L’appelais-tu alors qu’il refusait toujours de te regarder. « Kieran regarde-moi. » Insistas-tu avant de poser tes doigts sur son menton et de relever sa tête pour que vos regards se croisent. Tu ne voulais pas qu’il y ait de malentendus désormais. Oui, tu étais blessée mais pas pour les raisons qu’il pensait. « Je ne sais pas quelles conneries tu t’es mis en tête mais tu n’es pas destiné à me blesser d’accord ? Tu as fait des erreurs et j’aimerais comprendre pourquoi tu as arrêté de m’écrire mais je ne pense pas que tu l’aies fait avec l’intention de me blesser. » Certains appelleront cela un dommage collatéral. Toi, tu ne savais pas comment l’appeler mais Kieran avait un coeur trop pur pour chercher à te blesser de manière frontale. Surtout qu’il n’y avait aucun intérêt à cela pour lui à l’époque. « Comment peux-tu penser que tu es destiné à blesser les autres ? » Tu étais incrédule parce que tu ne comprenais vraiment pas comment une idée pareille avait pu faire son chemin dans l’esprit de Kieran …


@Kieran Halstead

Il s’imagine souvent être le héros principal d’un film d’action, Kieran, sauvant la veuve et l’orphelin, défendant des causes nobles ou encore empêchant une guerre nucléaire, dans l’espoir de se donner une valeur qu’il n’a pas au quotidien. La vérité, c’est qu’il ne sera jamais le héros de tels films ; mais il peut sans autre revêtir celui du protagoniste d’un film d’auteur à la mélancolie poussée à outrance, filmé en teinte de gris et à la fin calamiteuse réduisant à néant toute notion d’espoir. À le voir ainsi, il ne manque plus que la couverture sur les épaules pour parfaire le tableau qui peut également coller à une comédie romantique de bas étage, à l’exception qu’il n’aura pas de fin heureuse avec celle qui fait battre son cœur. Nous avançons à deux vitesses quant au deuil de cette relation – si je l’ai fait depuis longtemps, Kieran, lui, est incapable de passer à autre chose. Il le pensait, alors que son cœur s’est remis à battre pour Eve pour des raisons totalement faussées qui laissaient présager cette malheureuse fin, pour autant il s’est bercé d’illusions jusqu’au bout, rendant la chute plus vertigineuse encore. La fin heureuse n’aura pas lieu, justifiant cet état déplorable dans lequel il se trouve et qu’il impose aux narines d’Ilaria, alors qu’il tente de faire preuve d’un humour qu’il ne possède pas pour se sentir moins mal à l’aise. Il l’est terriblement, pourtant et je crois qu’il est bien le seul à penser qu’il peut faire bonne figure, tandis que son regard est hagard et son discours décousu. « Si ça te fait du bien de nommer cette odeur ainsi. » Il hausse les épaules à son tour, ne préférant pas rebondir alors qu’il essaie de chasser de sa tête l’image que ce constat lui provoque. Cette fois-ci, il est dans un dessin animé et les mouches volent autour de lui, synonyme de la puanteur qu’il dégage et le tableau n’est guère réjouissant ou flatteur – ça tombe bien, c’est à l’image de sa vie, dans un sens.

Elle insiste, il persiste ; hors de question qu’elle ne fasse un pas de plus dans cet appartement alors qu’il ne souhaite que claquer la porte. Bien sûr, cette perspective n’est que dans son imaginaire, dans la réalité il a autant d’autorité qu’un muet asocial, évidemment. Oh, bien sûr qu’il pourrait faire preuve de plus de vigueur si je le voulais (et non s’il le voulait), mais je m’oppose à cette possibilité, conscient qu’Ilaria est une des rares personnes qui compte suffisamment aux yeux de Kieran pour qu’il ne joue pas (toujours) à l’autruche avec elle et pour que sa présence soit, malgré ses dires, bienvenue, réconfortante et rassurante. Exactement ce dont il a besoin à l’heure actuelle, peu importe si c’est un raisonnement égoïste, je concède à l’être si cela peut l’aider. Il hausse à nouveau les épaules quand elle moque son second degré, si seulement elle savait. Mais je balaie très vite le sujet d’un revers de main que je ne possède pas pour qu’il daigne accorder l’attention qu’elle mérite à la jeune femme. Oh, Kieran, tu es peut-être doué pour tenir les autres loin de toi, mais je ne partage pas ce défaut et je suis le petit ange sur ton épaule (bon, dans ta tête, certes), qui te motive à ne pas tout gâcher sous prétexte que tu vis un rejet difficile. Ilaria ne mérite pas un tel traitement ; elle ne l’obtiendra pas quoi que tu puisses vouloir toi.

Ce qu’elle mérite, par contre, ce sont des excuses. Des explications seraient mieux, raison pour laquelle il s’y essaie. Pas pour ce qu’il devrait réellement justifier, mais pour son comportement actuel – il préfère ne pas penser au passé et je ne peux guère lui jeter la pierre. Son retrait, son silence, tout ceci mérite d’être expliqué, bien qu’il soit maladroit. S’il me laissait la totalité des commandes, nulle doute que les mots seraient plus percutants, plus clairs, mais Kieran ayant la volonté de s’ouvrir, je ne veux pas l’arrêter en si bon chemin. S’ouvrir n’implique pas d’accepter sa présence, puisqu’il formule une nouvelle fois sa volonté de la voir déguerpir – et plus il le formule, plus il la rejette. N’as-tu donc pas conscience du désagrément que cela peut causer, Kieran, pour l’avoir toi-même vécu à outrance dernièrement ? Pourquoi l’infliger de cette façon à la douce Ilaria qui n’a jamais rien demandé d’autre que de prendre de tes nouvelles et qui s’inquiète sincèrement pour toi ? Tu vois, c’est très exactement ce que j’essaie de te faire comprendre ; le fait que tu ne fais pas le ménage auprès des bonnes personnes. « C’est pas qui, c’est un tout. » Il murmure toujours prostré dans le canapé, sa main qui vient se glisser sur son visage pour masquer les émotions qui peuvent commencer à se lire sur celui-ci. Elle l’interpelle ; il ne répond pas, jusqu’à ce que sa main l’oblige à lui faire face et qu’il soit obligé de soutenir son regard. La scène peut paraître ridicule ; elle l’est probablement. L’assurance et la douce autorité de cette gamine de dix-neuf ans devraient servir d’exemple. Un sourire aurait pu se glisser sur ses lèvres s’il n’était pas autant perturbé par toutes les pensées que j’essaie pourtant de chasser au quotidien. Je pensais y parvenir en activant tous les souvenirs qu’il a construit avec Ilaria pour lui faire comprendre que cette détresse qui et la sienne peut être contenue en privé afin de profiter des instants de celle qu’il considère comme une petite sœur, mais il ne maîtrise pas grand-chose, Kieran, et moi non plus. Il secoue la tête de gauche à droite pour lui confirmer que là n’était pas son intention. Et il aimerait s’expliquer, Kieran, mais il ne sait pas par où commencer. « Parce que c’est ce que je fais toujours. » Qu’il finit par répondre alors que son regard divague une nouvelle fois et qu’il ne parvient à l’offrir à Ilaria que par intermittence. « Il... » Il hésite un instant, se rendant compte par lui-même du ridicule de cette situation. Il est adulte ; il ne devrait plus avoir besoin d’être rassuré à la moindre difficulté. Il devrait être en mesure de se prendre en mains et devrait être celui qui aide Ilaria à naviguer dans les eaux troubles de la vie de jeune adulte ; pas l’inverse. Mais il n’a jamais vraiment atteint ce stade, alors est-ce que cette justification a de la valeur ? « Il y a cette fille dont... » Je suis amoureux. Non, Kieran. Je te rappelle que cet amour n’est pas sincère. « ... que j’aime bien. J’aimais bien. J’en sais rien. » Un équilibre des deux qui s’alterne au quotidien. « Je... elle lui ressemble. À Autumn. » Et à chaque fois qu’il prononce ce prénom, son cœur se serre un peu plus fort. « Je lui l’ai dit, sans le vouloir. Elle m’a dit que ça lui avait donné envie de disparaître. Et ça lui a tellement envie de le faire, qu’elle a sombré dans l’anorexie. » Par ma faute. Il n’arrive pas à le dire, mais il n’en pense pas moins. « Sawyer a cru qu’il m’était arrivé quelque chose ou que je la détestais. » Sa grande sœur, chez laquelle il s’est réfugié à son retour en ville, lui permettant d’espérer réparer les pots cassés. « Mira le dit pas, mais elle me pardonne pas. » Et la petite sœur qui suit, celle dont l’intérêt est plus difficile à retrouver. « J’ai lâché mon meilleur ami quand il avait besoin de moi. » Raphael a été un énième dommage collatéral de ses mauvaises décisions. « Autumn... elle a fini internée parce que je-... je l’ai poussée à bout. » Et peut-être qu’elle ne s’en est jamais remise, il a été trop lâche pour atteindre de s’assurer que ce soit le cas avant de fuir. Et pour la première fois, il essaie de poser des mots sur la fin de cette relation, sur ce qu’il n’a jamais admis à voix haute. « Et je t'ai blessée, et ta mère aussi. J’ai trahi votre confiance et je sais pas si je pourrai la retrouver un jour. » Probablement que oui, mais jamais comme elle l’était ; il reste un lâche qui fuit à la moindre occasion, après tout. « Et même si l’intention n’y est pas, le résultat est ce qu’il est. » Il blesse, toujours, malgré ses prétendues bonnes intentions. Elles ne doivent pas l’être tant que cela pour qu’il en arrive à tout consumer autour de lui. « Mais crois-moi quand je te dis que je suis désolé. Vraiment. » Il le répétera encore et encore si nécessaire, dans l’immédiat il finit par laisser échapper un rire nerveux. « Et je suis désolé, parce que la logique des choses voudrait que ce soit à moi de m’occuper de toi. » Elle n’est plus une enfant, certes, mais ce n’est pas à elle de jouer au rôle de parent – elle a déjà manqué de l’un d'eux.

Tu étais venue à la base pour remettre les choses au clair avec Kieran et lui faire comprendre que ne pas te donner de nouvelles c’était inadmissible. Toutefois, l’état dans lequel tu l’avais trouvé t’avait fait revoir ton objectif principal. C’était un message que tu devras lui faire passer à un moment ou à un autre mais il était évident qu’il était physiquement et psychologiquement peu en forme et il était hors de question d’en rajouter une couche. Non, tu préférais lui remonter le moral pour l’instant, le reste pouvait attendre. Ta mère avait l’habitude de dire que vous étiez des femmes solides, qu’il fallait frapper un certain nombre de fois avant de vous déstabiliser. Tu pensais en grandissant que c’était le cas de tout le monde mais tu avais appris que tu te trompais. Tu ne savais pas ce qui faisait que Kieran était dans un tel état mais cela t’inquiétait beaucoup. Tu ne l’avais jamais vu ainsi et surtout les paroles qui sortaient de sa bouche te faisaient réellement peur. Oui, Kieran t’avait blessée, c’était indéniable et tu le lui avais fait sentir, il le savait. Mais de là à dire qu’il était destiné à blesser tout le monde dans son entourage comme si c’était une fatalité, un destin duquel il ne pouvait se détacher, c’était aller un peu loin tout de même. Non, Kieran n’était pas destiné à faire du mal à qui que ce soit. Il avait fait le choix d’arrêter de t’écrire quand il avait quitté Brisbane mais même s’il ne te l’avait jamais dit, tu espérais secrètement que c’était parce qu’il avait vécu quelque chose qui l’avait fait oublier tout le reste. Peut-être un jour s’expliquera-t-il ? Tu ne savais pas mais tu doutes que cela soit le moment. Non, pour l’instant tu es inquiète de ses paroles autodestructrices, tu es très inquiète voilà pourquoi tu refuses de partir et voilà pourquoi tu lui poses des questions qui vont, tu l’espères, le pousser à se confier et à te dire qui lui a mis en tête qu’il était maudis alors que ce n’était pas le cas. « C’est pas qui, c’est un tout. » Hum … Donc c’était lui qui était arrivé à cette conclusion. Mais pour y arriver, il devait bien y avoir des gens qui avaient dit certaines choses. Kieran s’enfonce un peu pus dans le canapé et cache son visage dans ses mains. Tu n’es pas pressée, tu as tout le temps du monde pour l’écouter se confier alors tu ne dis rien, tu attends patiemment qu’il réponde à tes autres questions. Tu ne sais pas ce qu’il va te dire mais tu espères que ce que tu lui répondras pourra le convaincre qu’il disait des bêtises. Mais s’il s’était déjà convaincu lui-même du contraire, cela allait être compliqué … « Parce que c’est ce que je fais toujours. » Qu’il finit par répondre alors que son regard divague une nouvelle fois et qu’il ne parvient à l’offrir à Ilaria que par intermittence. « Il... Il y a cette fille dont... que j’aime bien. J’aimais bien. J’en sais rien. Je... elle lui ressemble. À Autumn. Je lui l’ai dit, sans le vouloir. Elle m’a dit que ça lui avait donné envie de disparaître. Et ça lui a tellement envie de le faire, qu’elle a sombré dans l’anorexie. » Quoi ? Tes yeux s’écarquillent alors que tu essaies d’assimiler ce qu’il est en train de te dire. Il avait dit à une fille qu’elle ressemblait à Autumn et en réponse à cela elle était tombée dans l’anorexie ? Cela n’avait aucun sens à tes yeux mais Kieran n’avait pas terminé : « Sawyer a cru qu’il m’était arrivé quelque chose ou que je la détestais. Mira le dit pas, mais elle me pardonne pas. J’ai lâché mon meilleur ami quand il avait besoin de moi. Autumn... elle a fini internée parce que je-... je l’ai poussée à bout. » Autumn était internée ? Tu connaissais la jeune femme de nom plus qu’autre chose mais tu n’avais jamais su ce qui avait mis un terme à sa relation avec Kieran. Oui, il était clair que le jeune homme avait fait quelques erreurs sur son parcours mais tout le monde en fait. Tu es à peu près sûre que tu seras amenée à blesser du monde et à faire des erreurs toi aussi mais il ne pouvait pas être la cause du malheur de tous ces gens, ce n’était tout simplement pas possible. « Et je t'ai blessée, et ta mère aussi. J’ai trahi votre confiance et je sais pas si je pourrai la retrouver un jour. Et même si l’intention n’y est pas, le résultat est ce qu’il est. Mais crois-moi quand je te dis que je suis désolé. Vraiment. Et je suis désolé, parce que la logique des choses voudrait que ce soit à moi de m’occuper de toi. » Tu ne pouvais pas parler pour ta mère mais par contre, tu pouvais parler de ton cas. Oui, tu étais en colère que Kieran ait coupé tout contact soudainement et qu’il t’abandonne comme avait pu le faire ton père. Cela t’avait mise en colère mais ce n’était pas une raison pour que Kieran se flagelle et s’accuse de tous les maux. Toi aussi tu aurais pu faire les choses différemment, certaines choses en tout cas. Tu laissais le silence s’installer, ne répondant pas de suite. Tu avais besoin d’assimiler ce qu’il venait de te confier et de mettre tes idées en ordre avant de parler. Il était important de ne pas se précipiter parce que tu sentais que les mots que tu prononcerais pourraient être fatals pour Kieran. Si tu les choisissais mal, ils pourraient le blesser encore plus et ce n’était pas ce que tu voulais. « Je te crois Kieran, je sais que tu es désolé. Et tu n’as pas perdu notre confiance, on est toujours là non ? » Si tu ne lui faisais plus confiance, s’il t’avait autant blessé qu’il le pensait, tu ne serais pas là aujourd’hui à essayer de le sortir de cette spirale infernale. Comment pouvais-tu le convaincre qu’il n’était pas la cause de tous les malheurs qu’il t’avait confiés ? C’était peut-être impossible mais tu devais essayer. « Tu n’es pas responsable de tous les malheurs des gens Kieran. Tu ne peux pas penser une chose pareille parce que ce n’est pas vrai. » Tu plantes ton regard dans le sien et tu espères qu’il y lit une certaine sincérité. Si les gens qu’il rencontre sont déjà fragiles et ne sont pas capables de prendre soin d’eux tout en prenant soin de Kieran, c’était leur problème, pas le sien. « Est-ce que tu as envisagé que cette fille ne cherchait peut-être qu’une excuse pour son anorexie ? Est-ce que tu as envisagé qu’Autumn n’allait pas bien et que ce n’était pas à toi de la sauver ? » C’était une grosse pression à mettre sur les épaules de quelqu’un. Si Autumn avait été internée, si cette fille était anorexique, c’était qu’il y avait déjà un problème en dehors de Kieran. « Tu n’es pas la cause des malheurs de tout le monde. Mais plus tu vas t’en persuader, plus tu vas te retrouver seul Kieran et ça, je refuse que cela arrive. » C’était sans doute ce qui l’avait poussé à se brouiller avec son meilleur ami. Il pensait certainement qu’il lui aurait fait plus de mal que de bien.


@Kieran Halstead

Persuadé de n’avoir aucune force mentale, il était évident que l’enchaînement de tous ces événements aurait un impact sur Kieran. Bien évidemment, dans mon monde merveilleux, j’imaginais qu’ils parviendraient à lui faire réaliser qu’il ne peut plus se faire marcher sur les pieds comme il l’a toujours accepté. Qu’il ne peut plus tolérer le comportement exécrable des autres à son encontre simplement parce qu’un mauvais traitement vaut mieux qu’un désintérêt pur et simple ; mais j’ai aussi conscience qu’il est difficile d’oublier trente ans de tels apprentissages et qu’il en faudra probablement trente autres avant qu’il ne puisse réellement s’épanouir. Tu vois, Kieran, nous en avons pour un moment toi et moi, autant faire un effort pour que je te rende ta liberté au plus vite, tu ne crois pas ? Et si de son point de vue pessimiste le dessinateur ignore comment les choses auraient pu être à son avantage, de mon point de vue rationnel, la réponse est toute trouvée : il devrait simplement cesser de rechercher l’amour de tout le monde autant que d’oublier cette conciliance à l’extrême qui ne lui réussit jamais. Pour preuve, le problème qui lui serre le cœur aurait aisément pu être réglé si Kieran daignait m’écouter et cesser d’accorder cet intérêt maladif à la Zimmer, sans quoi elle aurait disparu de sa vie comme exigé par mes soins. Je sais ce que vous allez dire, je n’ai jamais vécu directement la douleur infinie d’un cœur brisé (bien que je l’expérimente à travers Kieran) et il est facile de supposer que des sentiments peuvent être gommés par simple volonté. Mais, dans ce cas-là, et avec tout le respect que je dois à la jeune femme, pourquoi se tourne-t-il vers Ilaria pour obtenir de tels conseils, elle qui, à sa connaissance, n’a jamais ramené quelqu’un chez les Mackenzie ? Soit, il n’a pas à savoir les détails de sa vie amoureuse, mais aux dernières nouvelles elle n’a jamais prononcé le mot « petit ami » ou « petite amie ». Pas que ce soit un problème, qu’on se le dise, seulement le problème ne réside pas dans le fait qu’il tend à dénigrer mes conseils que le simple fait qu’il minimise mon importance. C’est vexant, Kieran, très vexant. Heureusement que j’apprécie la Mackenzie qui, à défaut de pouvoir puiser dans sa propre expérience, est toujours de bons conseils. C’est pour ça qu’il est si évident pour lui de se tourner vers elle, alors qu’il n’a jamais vraiment jugé utile, au cours des derniers mois, de s’épancher de cette façon. Qui est-ce que ça peut intéresser, ce qu’il traverse ? C’est la question qu’il se pose régulièrement, celle à laquelle j’essaie de lui apporter une réponse quand je fais défiler les visages des quelques personnes qui l’apprécient et qui devraient effacer l’existence de ceux qui le déprécient. Je sais qu’il pense que la seconde catégorie est plus remplie, pourtant la première n’est pas à négliger alors qu’Ilaria se veut à l’écoute. Il s’y attendait, seulement il supposait ne pas avoir le droit d’en bénéficier. Il estime qu’il ne mérite pas d’en bénéficier, quand il prend en compte tout le mal qu’il a causé autour de lui. Il n’y a pas qu’Eve, il n’y a pas qu’à cette déception amoureuse difficile à avaler, il y a aussi et surtout sa famille, pas par leur sang, mais celle qu’il a formé avec le temps et dont fait partie Ilaria. Et dont faisait partie Autumn. À chaque espoir qu’il parvienne à diminuer ses torts, ses pensées se morcellent et ne font qu’accentuer son mal-être. La liste de ceux qu’il a maltraités ne s’arrête pas à ces deux noms ; il y a tous les autres. Ses sœurs, son meilleur ami et, surtout, Rhea et Ilaria. Et s’il ne peut pas revenir en arrière, il peut à défaut tenter de s’excuser, encore et encore.

« Je te crois Kieran, je sais que tu es désolé. Et tu n’as pas perdu notre confiance, on est toujours là non ? » Les mots devraient être plaisants à entendre, ils ne le sont pas ; parce qu’encore une fois Kieran n’arrive pas à se débarrasser de ses mauvaises habitudes. Je le sais, pour faire partie de son fonctionnement, qu’il a bien plus de facilité à enregistrer les critiques que la bienveillance. Il secoue vaguement la tête ; oui, elles sont encore là, mais il ne peut pas s’enlever de la tête que quelque chose a changé, quelque chose qu’il ne parviendra jamais à réparer. Et il ne peut pas s’enlever de la tête qu’elles sont là aujourd’hui, mais qu’elles ne le seront plus demain : l’expérience lui a prouvé qu’il reste toujours en arrière quand d’autres évoluent, qu’il n’est pas bien difficile de le laisser derrière soi tel le chien serviable et loyal qu’il est. « Tu n’es pas responsable de tous les malheurs des gens Kieran. Tu ne peux pas penser une chose pareille parce que ce n’est pas vrai. » Je l’oblige à planter son regard dans celui d’Ilaria, à faire abstraction du ridicule de la situation ; à cet instant ça ne compte pas, alors que la jeune femme fait des efforts qu’elle ne devrait pas avoir à faire. Parce qu’il devrait être suffisamment grand pour réussir à raisonner par lui-même autant que parce qu’il s’agit de mon travail. « Et pourtant, je le suis depuis ma naissance. » Il laisse échapper un rire nerveux pour masquer cette gêne qui l’envahit alors qu’il n’évoque jamais cette enfance, ces dix premières années auprès d’individus qu’il est venu déranger par sa simple existence. À croire que c’est acté dans son code génétique : né pour déranger, le simple fait de respirer est rédhibitoire. « Oui, mais... » Il réfléchit un instant, ravale sa tristesse qu’il ne veut pas dévoiler pour ne pas paraître encore plus pathétique. « Bien sûr que je l’ai envisagé. Mais j’y ai contribué. Que je le veuille ou non, j’y ai contribué. » De près ou de loin, volontairement ou par inadvertance, ce n’est pas bien important : le résultat est ce qu’il est, dans sa vision étriquée. Et si j’avais des bras (les miens, pas ceux mollassons de notre protagoniste), je vous garantis qu’Ilaria n’aurait pas échappé à un câlin. J’ai même envie de crier Amen (si je le pouvais), tant je suis heureux que son point de vue concorde avec le mien. On revient en arrière et on appuie sur repeat en espérant que le disque se raye, Kieran, tu veux bien ? Eve cherche seulement une excuse à son anorexie. Autumn ne pouvait être sauvée. On le répète, encore et encore et on l’intègre, merci. Elle est de bons conseils cette Ilaria, j’en atteste. Une perle, alors tu vas me faire le plaisir de ne pas lui donner envie de claquer la porte, Kieran. « Comment je suis supposé accepter que deux personnes veuillent... disparaître ou même mourir et que je-je contribue à ce sentiment ? » Comment se le pardonner, surtout ? « Comment tu réagirais, toi, si on te reprochait ces choses ? » La question n’est pas accusatrice, en réalité elle ne vise qu’à tenter de se dédouaner en l’entendant de la bouche d’autrui. « Tu n’es pas la cause des malheurs de tout le monde. Mais plus tu vas t’en persuader, plus tu vas te retrouver seul Kieran et ça, je refuse que cela arrive. » « Ce serait plus facile. » Il ponctue sa remarque d'un rire nerveux. Et si moi je veux que ça arrive ? Non, tu t’enlèves cette idée de la tête tout de suite, Kieran. Et j’aimerais qu’il s’ouvre plus, Kieran, pas pour embêter Ilaria avec ces histoires, seulement parce qu’elle fait preuve de conseils que je peine à moi-même lui faire entendre. Que j’imagine qu’à force de l’entendre autant de moi que d’une des personnes dont il est le plus proche, il finira par l’intégrer et y croire. Il pourrait lui expliquer à quel point il a l’impression d’être une mauvaise personne, de s’être fait des films, d’avoir prôné ses désirs sur ceux des autres. Il pourrait lui dire à quel point il se sent coupable de ces comportements qu’il n’arrive pas très bien à comprendre. Il voudrait lui dire à quel point il ouvre les yeux sur Autumn et tous les doutes qui accompagnent cette prise de conscience. Il pourrait lui expliquer à quel point il voudrait être seul, justement, et à quel point tout autour de lui démontre qu’il finit toujours par blessé ceux qu’il aime. Mais je sais aussi qu’il ne le fera pas, alors qu’il finit par esquisser un sourire qui, à défaut d’être sincère, parvient au moins à l’aider à garder contenance. « Enfin, ce qu’il faut retenir, c’est que t’as le parfait exemple d’à quel point être amoureux, ça craint, ça t’évitera peut-être cette erreur. » Et il parvient presque à rire, lorsqu’il s’essaie à croiser le regard d’Ilaria. Et quelle erreur, la plus belle qu’il ait pu faire et qu’il continue malgré tout de souhaiter à Ilaria.

@Ilaria Mackenzie

La psychologie, ce n’était clairement pas ton truc. Il y avait une raison pour laquelle tu avais choisi d’étudier les sciences dures et pas les sciences humaines et c’était parce que tu ne comprenais pas toujours les humains et leurs réactions. Les animaux te semblaient bien plus prévisibles et en ça, ils étaient une présence rassurante à tes côtés. Les humains eux étaient fortement imprévisibles et même quand tu pensais avoir toutes les variables dans l’équation, tout pouvait basculer à tout moment. Et tu détestais ça. Tu aimais rentrer dans une situation avec toutes les variables à ta disposition et c’était ce que tu pensais faire en venant rendre visite à Kieran aujourd’hui. Mais une dizaine de minutes avaient suffi pour que tu comprennes que tes reproches devraient attendre un autre jour, Kieran était déjà bien assez au fond du seau pour que tu n’enfonces pas le couteau dans la plaie. Et quelle plaie … Tu n’arrivais pas à croire que tu n’avais rien vu ! Certes, vu que le jeune homme semblait ne jamais répondre directement à tes questions et toujours trouver un moyen de se défiler, tu avais arrêter de trop en poser par agacement et aussi pour essayer de lui montrer un désintérêt qui n’en était pas un mais qui, tu l’espérais, le blesserait comme il t’avait blessé. Mais malgré tout, tu n’arrivais pas à croire que tu étais passée à côté d’un tel état chez Kieran. Comment pouvait-il penser qu’il était le responsable de tous les malheurs de ces gens et en particulier de ces deux femmes ? Cela n’avait aucun sens dans ton esprit. Surtout que ce n’était pas de petits malheurs, des choses qui auraient pu être de sa faute comme s’il avait trompé l’une avec l’autre ou quelque chose comme ça. Non, c’était des problèmes psychologiques, certainement des pathologies plutôt lourdes vu qu’on parlait d’anorexie et de maladies psychiatriques. Peut-être que tu aurais dû pousser un peu tes cours de psychologie finalement, tu allais réfléchir à en reprendre dans les semestres à venir même si tu restais persuadée d’être le genre de personne qui ne dit jamais la bonne chose au bon moment. Tu fais remarquer à celui que tu considères comme ton grand frère qu’il n’est pas responsable de tous les malheurs des gens et il te dit : « Et pourtant, je le suis depuis ma naissance. » Il a en plus l’audace de laisser échapper un petit rire ! Tu sens la colère monter en toi de nouveau car tu comprends bien que lui le pense réellement et que le convaincre du contraire va être une tâche bien difficile. Mais tu ne peux t’empêcher de le frapper légèrement sur l’épaule parce que cette violence psychologique s’il s’inflige et cette pity party te dépriment et t’agacent. « Non mais tu t’entends ? Je te pensais pas égocentrique à ce point Halstead, je suis très déçue. » Lui dis-tu sur un ton sérieux et en même temps légèrement taquin. Le pire c’est sans doute que lui ne doit pas l’entendre. La vie de chaque individu est faite de tellement de rencontres, de tellement de petites choses qui peuvent tout faire basculer qu’il est impossible qu’une seule personne soit responsable de tous les malheurs que l’on rencontre. Oui, ton père t’avait blessée en t’abandonnant mais il n’était pas la cause de tous les malheurs que tu avais pu rencontrer par la suite. « Oui, mais... Bien sûr que je l’ai envisagé. Mais j’y ai contribué. Que je le veuille ou non, j’y ai contribué. Comment je suis supposé accepter que deux personnes veuillent... disparaître ou même mourir et que je-je contribue à ce sentiment ? Comment tu réagirais, toi, si on te reprochait ces choses ? » Hum … Bonne question … Tu ne répondis pas tout de suite et tu pris le temps d’y réfléchir. Oui, il y avait des chances que si l’on t’envoyait ces reproches au visage, tu te remettes en question et tu retraces toutes vos interactions pour voir ce que tu aurais pu changer. Mais au fond, pour des questions psychologiques, il était bien difficile de savoir si telle ou telle action aurait pu changer les choses. « Je ne le prendrais pas bien non plus. Mais j’essaierai de faire la part des choses. Personne n’est parfait Kieran. Ni toi, ni elles. Est-ce que tu aurais pu réagir autrement, dire autre chose ? Peut-être. Est-ce que cela aurait changé quelque chose ? Je n’en suis pas persuadée. Les maladies psychiatriques sont des maladies. Autumn et cette autre femme sont malades et on ne peut pas toujours sauver tout le monde, même ceux que l’on aime. » Ce serait trop facile si c’était le cas. Ce serait trop facile s’il y avait un mode d’emploi qui permettait de ne blesser personne et de vivre tous dans une harmonie parfaite. C’était une utopie et tu n’étais pas certaine de vouloir vivre dedans. « Est-ce que tu as envisagé qu’elles cherchaient une excuse à leur mal-être ? Qu’elles t’ont désigné toi comme coupable parce que c’était plus facile que de reconnaître qu’elles ne pouvaient plus gérer elles-mêmes ? S’il le faut, tu as contribué à les aider à garder la tête hors de l’eau mais ce genre de maladie, ça ne disparaît pas du jour au lendemain, c’est un combat quotidien et des fois, on a plus la force de le mener. » S’il y avait une chose que tu avais retenu de ton cours de psychologie, c’était bien ça. Que les maladies mentales, ce n’est pas comme la grippe. Les symptômes sont différents pour chacun et le traitement pour en sortir doit être personnalisé s’il existe un traitement bien entendu. Parce que tu n’avais pas envie que Kieran finisse par se retrouver complètement isolé, tu lui dis qu’il avait intérêt à arrêter de s’isoler tout seul pour des raisons idiotes. « Ce serait plus facile. » Tes yeux s’écarquillent alors qu’il prononce ces mots. Cette fois, tu le frappes derrière la tête. Pas trop fort bien entendu, le but n’est pas qu’il ait mal mais juste qu’il soit secoué un peu. « Pour qui ? Pour toi ? Parce que tu pourras vivre en reclus et ne plus blesser personne ? Qu’est-ce que tu fais des gens qui ont envie que tu sois dans leur vie ? Arrête de dire des conneries Kieran. » Finis-tu par dire déterminée. Tu voyais bien qu’il ruminait de mauvaises pensées et qu’elles s’approchaient de plus en plus de quelque chose qui pourrait déboucher sur un suicide si jamais il en arrivait là et tu comptais bien veiller à ce que cela n’arrive jamais. Kieran finit par chercher ton regard, il ne parvint pas à le tenir très longtemps mais il plongea ses yeux dans les tiens et te dit : « Enfin, ce qu’il faut retenir, c’est que t’as le parfait exemple d’à quel point être amoureux, ça craint, ça t’évitera peut-être cette erreur. » Il avait déjà détourné le regard, presque amusé par ses paroles. Tu décidais de te laisser convaincre par ce petit rire alors qu’il tentait une plaisanterie après tous ces sujets très sérieux. Passant une main dans tes cheveux, tu lui dis : « Ne le prends pas mal mais je vais attendre que tu sois un peu moins déprimé pour prendre tes conseils à la lettre. Là j’ai bien peur qu’ils soient pas très objectifs. » Fis-tu remarquer avec un petit clin d’oeil. Tomber amoureuse, c’était un concept totalement inconnu pour toi. Tu espérais que cela t’arrivera un jour mais tu n’en faisais pas une priorité.


@Kieran Halstead

Il se cache derrière des rires nerveux et des plaisanteries de mauvais goût, mais je sais à quel point il a honte, Kieran, à mesure que les minutes défilent et que le poids de tout ce qu’il a sur le cœur, du peu qu’il ose pourtant verbaliser, l’affaisse dans ce canapé. Il ose de moins en moins soutenir le regard d’Ilaria, conscient du ridicule de la situation et d’à quel point les rôles pourraient être échangés. L’adulte responsable et capable de se raisonner, c’est bien elle, tandis qu’il n’est qu’un type paumé sortant tout juste de l’adolescence. Ses réactions sont extrêmes, peu maîtrisées, alors qu’il s’enfonce dans des justifications qui ne visent pas à se dédouaner ; c’est même tout l’inverse alors qu’il accentue cette culpabilité qui n’a pas lieu d’être. Je lui le dis au quotidien, Ilaria s’y essaie aujourd’hui et pourtant aucun d’entre nous ne parvient à amorcer un changement d’attitude – ou au moins, de pensées – chez le dessinateur. Qu’il ne m’écoute pas, je peux encore le concevoir : Kieran tend à refuser ma présence et à s’imaginer qu’à force de m’ignorer, je finirai bien par partir (sans réaliser que je suis une partie intégrante de lui), mais qu’il ne veuille pas entendre Ilaria, j’en suis plus surpris. Je sais l’importance qu’elle a pour lui, le rôle qu’elle joue dans son quotidien et l’affection qu’il lui porte. Il s’attache peut-être rapidement, notre protagoniste, mais rares sont les privilégiés qui ont le droit à une telle place dans sa vie et vers lesquels il est revenu en début d’année, lorsqu’il a tenté de reprendre le cours de sa vie après plusieurs années d’absence. Beaucoup n’ont pas été considérés comme suffisamment importants pour qu’il tente de réparer les pots cassés (même s’il s’agit plutôt de reprendre les choses là où elles se sont arrêtées en prétendant que rien n’est jamais arrivé, soit), mais Ilaria et Rhea ont été des exceptions et même s’il a conscience de ne pas avoir répondu à toutes leurs interrogations – et qu’il ne le veut pas – il aurait tout tenté pour se faire pardonner. Parce qu’elles lui sont essentielles, parce que même si elles ont leur propre famille, il aime croire qu’elles sont la sienne par la force des choses, par les années et les liens qui se sont solidifiés. Un lien qu’il ne peut concevoir de perdre avec une femme qui a été un repère quand il n’en avait d’autres et sa fille qu’il a vu grandir et qu’il veut désormais voir s’épanouir en plus de réussir. Une jeune femme particulièrement intelligente, surtout, avec laquelle la barrière de l’âge ne l’avait jamais dérangé jusqu’à ce qu’il se sente aussi pathétique qu’il ne l’est aujourd’hui, car malgré sa jeunesse, Ilaria a toujours fait preuve d’une extrême maturité. Il a beaucoup plus à apprendre d’elle que l’inverse ; notamment sur la manière dont elle ne se laisse pas abattre par les événements déplaisants de sa vie. Son père l’a littéralement abandonnée et pourtant elle a su s’épanouir, elle a su surmonter cette terrible épreuve – pourquoi est-ce qu’il ne peut pas en faire de même ? Pourquoi il se laisse submerger par toutes ces émotions négatives quand d’autres parviennent à les gérer ? Pourquoi ne peut-il pas juste avancer au lieu de rester figé dans le passé ? C’est très exactement ce qu’il fait lorsqu’il évoque cette impression d’être responsable du malheur de tous ceux qui le côtoient et ce, depuis sa naissance. Il a été à l’origine du malheur des deux personnes qui étaient supposées l’aimer plus que de raison et ce simple constat a façonné son opinion de lui-même. Les remontrances d’Ilaria font leur effet tandis qu’il baisse légèrement la tête, se mordant les lèvres un bref instant, mal à l’aise. « Je le pensais pas non plus. Désolé. » Il se justifie péniblement, un peu heurté par cette réflexion. Je perçois que son agacement est plus à l’attention de cet égocentrisme qu’il n’assume pas qu’envers Ilaria (jamais elle ne pourra être la source d’un quelconque agacement), mais le résultat est ce qu’il est et il préfère se concentrer sur d’autres pensées.

Ce n’est pas difficile tant il y a de choses qui accaparent son esprit ; à commencer par ce sentiment de culpabilité qui ne le quitte pas depuis des semaines. Faire la part des choses est aisée sur le papier ; néanmoins cela prend un tout autre sens lorsqu’il faut l’appliquer dans la réalité. Ce n’est pas faute de l’y pousser, mais je sais qu’il n’y arrive pas, Kieran, malgré toute sa bonne volonté. Acquiesçant silencieusement lorsqu’elle s’interroge quant au fait qu’il aurait pu faire les choses différemment, la réponse lui paraît évidente : il aurait pu et il aurait dû. Il ne sait pas comment il aurait pu s’y prendre et je l’ignore moi-aussi, mais il s’imagine qu’une solution miracle aurait pu exister et lui faciliter la chose, sans réaliser qu’elle n’existe en réalité pas et que malgré tous ses efforts, jamais il aurait pu s’en approcher. Et je sais, qu’avec tout le respect qu’il a pour Ilaria, il ne croit pas en ses belles paroles. Pourtant, ses derniers mots résonnent ou du moins, j’essaie de les répéter pour qu’il les intègre. « On ne peut pas toujours sauver tout le monde, même ceux que l’on aime. » Et je sais que tu y as cru, Kieran. Je sais que tu l’as espéré pendant des mois, des années et que le résultat actuel est considéré comme ton plus grand échec. Mais Ilaria a raison : on ne peut pas sauver tous ceux que l’on aime et jamais tu n’aurais pu le faire. Leurs problèmes sont bien plus grands que toutes les solutions que tu pourrais offrir et ça n’aurait jamais été assez. Il y aurait toujours fallu en donner plus, tu l’as expérimenté avec Autumn et ça ne t’a pas empêché de t’enfermer dans le même schéma avec Eve. « Mais j’aurais voulu. » Sa voix se brise alors qu’il se mord la lèvre pour s’empêcher de laisser échapper un sanglot. Je sais à quel point tu l’aurais voulu, Kieran, à quel point tu as voulu y croire avec ton ex fiancée. Mais Ilaria a raison et les faits ont démontré que tous tes efforts n’étaient jamais assez, alors pourquoi continuer à espérer changer les choses ? « Qui ferait ça ? » Il questionne, peut-être de façon rhétorique – il n’est pas sûr de vouloir entendre la réponse. Qui pourrait être mauvais au point de rejeter la faute de son propre mal-être sur d’autres ? Peut-être que c’est très exactement, ce que tu fais, Kieran, en vivant difficilement ces diverses informations, en supposant que les paroles d’Autumn et Eve ont un impact sur ton propre ressenti. Mais la différence est qu’il ne le fait pas de manière sadique, mais presque innocente – et peut-être est-ce le réel fond du problème. « Je sais, oui. » Il finit par admettre et bien qu’il puisse prétendre qu’il s’agit simplement d’accepter le raisonnement d’Ilaria, je sais aussi qu’il parle d’expériences personnelles. Mais ça, comme tant d’autres choses, il n’en parlera pas. Ni aujourd’hui, ni dans le futur : cet égocentrisme lui est interdit. « J’ai enfoncé celle d’Autumn sous l’eau. » Il ne peut s’empêcher d’ajouter, avant de rapidement préciser : « Je suis parti quand elle avait le plus besoin de moi. » Quand elle se battait avec ses propres démons ; mais tu devais aussi vivre avec ceux qu’elle a fait naître en toi, Kieran et malgré toute la culpabilité que tu peux ressentir, jamais tu ne devrais avoir à t’excuser d’avoir pensé à toi avant tout. « J’avais plus la force. » Qu’il admet et c’est peut-être ce qui se rapproche le plus d’une vérité quant à son retour. Il n’avait simplement plus la force et il s’en veut encore tous les jours. Les minutes passent, mais son discours ne se veut pas beaucoup plus encourageant alors qu’il fait réagir Ilaria, qui lui offre une tape derrière la tête. « Désolé. » Qu’il se reprend, lui offrant un bref regard ; il ne pouvait pas disparaître une seconde fois et encore moins de cette manière. Et cette culpabilité s’accentue toujours à l’idée d’avoir eu de telles pensées – sans pour autant que celles-ci ne disparaissent. « J’ai tendance à oublier ces gens-là. » Qu’il se justifie, les lèvres pincées, précisant rapidement avant d’avoir le droit à une seconde claque : « Mais je ne devrais pas, je sais. » Il précise, manière de lui assurer qu’il entend bien ses réprimandes et qu’il va essayer de se concentrer sur ceux qui veulent bien de lui. Ils sont rares, mais ils sont essentiels. C’est pour cette raison qu’il s’essaie à une tentative d’humour peu maîtrisée, mais évitant ainsi d’embêter encore plus Ilaria avec ses problèmes. « Je comprends pas pourquoi tu dis ça. » Qu’il s’offusque avec un léger sourire, avant d’appuyer sa tête contre son épaule. « Tu restes un peu ? Et on commande quelque chose pour aller avec ce thé ? » Il demande, désignant celui-ci du bout du nez. L’avantage de vivre dans une ville comme Brisbane, c’est la possibilité de se faire livrer tout et n’importe quoi, peu importe l’heure. Cupcakes, gaufres, pizza ou sushis, le choix de la jeune femme sera le sien. « Promis, je vais aller prendre une douche. » Il précise en relevant sa tête et en laissant échapper un léger rire – peut-être que s’il se force, tous ses tracas seront oubliés (ce n’est pas le cas). « Merci, Ilaria. » Il ajoute, sincère. Merci de l’avoir écouté avec ses déboires, merci de ne pas l’avoir jugé, merci d’être là. Il ne croit pas forcément en toutes ses paroles, mais certaines ont eu le don de résonner en lui, même s’il n’en a pas encore totalement conscience – ce sera mon travail de l’amener à le prendre en compte.

@Ilaria Mackenzie  

Ne jamais trop prévoir les choses, aimer se laisser surprendre. C’était une leçon que tu apprenais de plus en plus alors que tu gagnais en maturité et en expérience. Tu avais prévu en venant rendre visite à Kieran de lui communiquer le fond de ta pensée. Tu en avais assez qu’il ne réponde pas à tes questions, qu’il tourne autour du pot, de ne pas savoir ce qui s’était réellement passé pour qu’il coupe brutalement tout contact avec toi. A son retour, tu n’avais rien pu faire d’autre que lui pardonner à moitié, ta mère ne t’aurait pas pardonné de lui en vouloir pour une raison obscure et Kieran avait eu le courage de revenir ce que ton père n’avait jamais fait. Enfin, il ne faut jamais dire jamais car il est désormais de retour dans ta vie mais ce n’est pas un sujet que tu vas mettre sur la table de suite et puis ce n’est pas pareil de toute manière car il réapparait dix ans plus tard sans vraiment avoir envie de te fréquenter apparemment. C’était un tout autre problème cependant, un problème sur lequel tu te pencheras plus tard, une fois que tu auras sorti Kieran de sa dépression ou de son humeur maussade. Tu ne sais pas depuis combien de temps il végète dans son appartement avec ses mauvaises idées mais cela doit faire un moment vu l’odeur qu’il dégage quand tu t’approches de lui. Toutefois, il t’en faut bien plus pour te faire reculer et tu refuses de le laisser gagner avec des raisonnements qui à tes yeux ne tiennent pas une seule seconde debout. Tu fais partie de ces gens qui se laissent difficilement abattre. Quand tu reçois un coup, tu t’accordes quelques minutes pour le recevoir et puis ensuite tu te relèves pour avancer. Rien ne sert, à tes yeux, de se morfondre ainsi. Vous êtes les seuls à pouvoir vous sauver, les seuls à pouvoir vous libérer de vos démons car vous êtes ceux qui les créent. Tu ne peux pas imaginer que quelqu’un ait dit une chose pareille à Kieran, jamais. Alors toutes ces idées lugubres, elles venaient de son cerveau, de conclusions qu’il avait dû tirer. Ce n’était pas facile pour toi d’essayer de l’en sortir parce que Kieran avait veillé depuis son départ de Brisbane à ne pas te raconter grand chose de sa vie. C’était d’ailleurs le sujet de ta visite mais vous en reparleriez une autre fois. « Je le pensais pas non plus. Désolé. » Tu ne cherches pas à le voir s’excuser, du moins pas pour cela. Si ton job aujourd’hui c’est de lui remettre les idées en place, tu vas le faire. Mais cette pity party doit s’arrêter parce que tu trouves cela nauséabond et qu’en plus ce n’est vraiment pas bon du tout pour ton ami, celui que tu considères comme le frère que tu n’as jamais eu.

Tu ne sais pas exactement ce que Kieran a traversé et ce qu’il traverse aujourd’hui mais il souffre d’un complexe, celui du héros. Oui, il est important d’aider les autres, oui, quand on les aime il faut essayer de les aider mais des fois, il faut accepter que l’on ne peut pas sauver tout le monde. C’est plus simple à dire qu’à faire, tu en es bien consciente mais tous les malheurs des autres ne devaient pas retomber sur les épaules de Kieran. « Mais j’aurais voulu. » Bien sûr qu’il l’aurait voulu et c’est ce qui fait de Kieran une personne que tu n’as pas envie de voir disparaître de ta vie malgré vos différents ces derniers temps. Tu ne dis rien car il n’y a rien à dire, à la place, tu poses ta main sur la sienne en espérant lui apporter une forme de réconfort. Par contre, tu ne peux t’empêcher de lui faire remarquer que peut-être que les personnes qui l’ont accusé d’être la cause de leurs problèmes ont fait preuve de mauvaise foi plus qu’autre chose, un discours qu’il n’était pas prêt à entendre apparemment. « Qui ferait ça ? » Tu te demandes si Kieran est réellement aussi naïf ou si ce sont les sentiments qu’il a pour les personnes en question qui l’empêchent d’envisager cette possibilité. L’être humain n’est pas un ange et les personnes que l’on aime sont souvent celles qui vont le plus nous décevoir … « Je sais, oui. J’ai enfoncé celle d’Autumn sous l’eau. Je suis parti quand elle avait le plus besoin de moi. J’avais plus la force. » Toi, ces paroles te rassurent. Parce que tu sais que l’homme à tes côtés a tendance à s’oublier pour les autres alors rien que le fait qu’il soit parti pour se sauver lui, c’était déjà un pas énorme. Tu étais désolée pour Autumn, qui qu’elle soit mais ce n’était pas à lui de porter son fardeau. « Tu as eu raison de partir Kieran, des fois il faut se sauver soi-même pour sauver les autres. » Un jour, Autumn le remerciera peut-être si elle finit par guérir. Parce que tu connais Kieran, avant de partir, avant de la quitter, il avait dû tout essayer … Et parce qu’il était clair qu’il s’enfonçait dans une forme de dépression où il se sentait seul, tu préférais lui rappeler qu’il ne l’était pas si seulement il sortait un peu de son appartement. « Désolé. J’ai tendance à oublier ces gens-là. Mais je ne devrais pas, je sais. » Le voir sourire, même légèrement te rassurait beaucoup. Tu seras toujours là, c’est un peu un contrat implicite entre vous et s’il faut que tu le répètes à haute voix à Kieran à chaque fois que tu le vois, tu le feras si cela peut l’aider à ne pas sombrer. « Je comprends pas pourquoi tu dis ça. Tu restes un peu ? Et on commande quelque chose pour aller avec ce thé ? Promis, je vais aller prendre une douche. » Attrapant ton téléphone dans ta poche, tu ouvres l’application que tu as téléchargée pour te faire livrer avant de lui répondre : « Bien sûr que je reste, va te doucher, je nous commande quelque chose. » Tu le laisses se lever et se diriger vers la salle de bain. Tu vas profiter de l’avoir dans cette pièce pour aérer tout son appartement. Si tu imposais à Edge un environnement pareil, il te tuerait tout simplement … « Merci, Ilaria. » Tu relèves la tête, étonnée d’entendre ces mots mais un sourire se dessine naturellement sur ton visage et tu lui réponds : « De rien Kiki. » Il lève les yeux au ciel mais part se doucher alors qu’un grand sourire éclaire ton visage. Bon, il faudra vraiment que tu lui parles du sujet qui t’avait amené mais un autre jour, ce n’était plus si urgent que ça désormais.

@Kieran Halstead