C’est comme si j’avais une marque au fer rouge sur le front qui annonce haut et fort à quel point on peut abuser de mon ancienne carrière pour se grappiller des conseils sur sa vie amoureuse mais surtout pour les déboires allant avec. Me fais pas pleurer Ariane, c’est toi qui a commencé et t’es certainement pas là pour en finir. « Ça a jamais été le manque d’atomes crochus le problème. » Rae non plus. Elle l’aime et ça crève les yeux, autant que j’aurais envie de crever ceux des esthéticiennes un peu trop curieuses à mon goût qui sont toujours à deux doigts fraîchement manucurés de se mettre le nez dans nos affaires. Circulez, dégagez, on se gère bien sans vous.

« Et ça marche comment jusqu’ici pour toi ce mode de fonctionnement ? » oh fuck you Rae. « Ça marchait jusqu’à ce que Crésus soit un connard. » le pire c’est qu’elle le demande même pas avec la consonance de celle qui nargue – elle veut vraiment savoir. Ariane pique et Ariane montre les dents, mais Ariane finit par se recaler dans son siège parce ça sert strictement à rien de se battre ici. On est là pour les mêmes raisons, même si les siennes un peu plus Lindsay Lohan que les miennes. N’en reste qu’on tolère une vie de merde depuis trop longtemps, et que nos gars semblent y tenir chacun un grand rôle. « Et si je savais pas pardonner ? Et si j’avais besoin de lui pour ça ? » depuis quand est-ce qu’ils ont le droit de nous mettre dans des états du genre, hen ? Depuis quand est-ce qu’on le leur a donné seulement, le droit, c’est ça la vraie question. « Faut juste pas que ça soit son rôle, de se faire pardonner. Faut que ça vienne de toi. Que tu veuilles le faire. » limez mes ongles, poursuivez, assurez-vous aussi que les coins soient assez carrés pour que je puisse trancher autant des enveloppes que des aortes avec. « C’est quand on fait les comptes que ça finit par merder. » et c’est ça qui cloche, autant pour elle que pour moi. On se gueule dessus, on se fait mal. Mais c’est pas un adversaire qu’il y a en face. Ça l’a jamais été, et la victoire goûte dégueulasse quand on finit par la voler.

Ce qui est dégueulasse aussi, c’est son espèce de tas de cheveux qui jadis avait presque réussi à me donner envie de tenter le platine. Lol, non, à d’autres. « Je préfère me débarrasser de ces racines, ça casse le mythe. » « Il est cassé depuis dix centimètres au moins, chaton. » ça grince, le surnom sur mes lèvres. Mais ça suffit à casser autre chose que le mythe, mais bien le voile de nostalgie larmoyante dans lequel on se complaisait en parlant d’eux. Ils sont pas là, on pourrait pas faire mieux. « Et je me disais que la séance d’UVs te ferait pas de mal, mais ça doit pas être recommandé dans ton état. » mon état, mon état c’est surtout le majeur que je lève à son intention, l’immense sourire qui l’accompagne. « Ta gueule, sinon je leur dis que t’as toujours rêvé qu’on te rase la tête à zéro. » quelques billets sous la table et le plus efficace de leurs rasoirs devraient suffire à ce que Rae joue le jeu de faire comme moi et de foutre sa tête sous le sable pendant au moins quelques mois encore, au sujet de mon état.

pretty savage
Raelyn Blackwell & @Ariane Parker-Williams

Les employées du salon semblent happées par notre discussion l’air de rien, et je peux difficilement leur en vouloir. Faut dire qu’on a une vie un peu plus compliquée que toutes les Karent et Jessica dont elles s’occupent habituellement et par compliquée j’étends bordel complet. Si elles veulent vivre à travers nous quelques heures, me concernant, ça me passe bien au-dessus de la tête. J’oublierai leurs visages en passant la porte et j’ai même pas pris la peine de lire leurs prénoms sur les étiquettes épinglées aux blouses. « Ça marchait jusqu’à ce que Crésus soit un connard. » J’esquisse un sourire victorieux avant de me rappeler qu’on est pas en plein match de boxe. Y’a rien à gagner à lui faire admettre que sa situation est aussi merdique que la mienne alors je rajoute rien.

Amos est pas un connard. Je suis incapable de le penser et je l’étais même quand il m’a tout avoué. C’est peut-être ça le problème. Le fait qu’il ait fait tout ça pour sa fille. Le fait qu’il soit venu me sauver de moi même. Le fait qu’il prenne soin de moi alors que je suis incapable de le faire. Qu’il me fasse vivre et qu’il me pousse à me battre alors que je suis plus certaine d’en avoir envie. J’arriverais jamais à le détester et j’ai pas envie d’y parvenir non plus. Je voudrais simplement pouvoir effacer ce qu’il s’est passé, ses aveux et mes dérives. « Faut juste pas que ça soit son rôle, de se faire pardonner. Faut que ça vienne de toi. Que tu veuilles le faire. » J’en ai envie. Je ne le dit pas à voix haute parce que ça me semble pathétique, mais ça crève les yeux de toute façon. « C’est quand on fait les comptes que ça finit par merder. » Elle a raison, c’est ça le pire. Si je veux que ça marche, il ne faut pas que je ressasse ses mensonges et mes trahisons. Il faut que mes blessures guérissent pour de vrai, sans quoi dans quelques mois à la première dispute tout ressortira de la plus injuste des façons. Et les siennes de blessures, peuvent-elles guérir ? Peut-il oublier que je n’ai pas supporté la vérité et que je l’ai mis à la porte ? Que j’ai tenté de me l’arracher de la peau avec d’autres ? Est-ce qu’il en a envie, comme la rousse le prétend. Je suis trop rancunière. J’ai appris à briser les ardoises plutôt que de les effacer. Mais je n’en peux plus de la rancune, entre lui, Alec et Mitchell, je n’ai plus que ça.

« Il est cassé depuis dix centimètres au moins, chaton. » Elle profite de ma réflexion pour rentrer à nouveau dans une dynamique où on tire à balles moins douloureuses et j’embraye. « Tu crois que c’est possible que les tiens deviennent encore plus ternes avec la grossesse ? Il parait même que parfois ça boucle après l’accouchement. Hâte que tu réalises que mes racines c’était pas si pire. » Vaniteuse, je porte tout de même une main à mes cheveux. Je dois être bien brune, là- haut. « Ta gueule, sinon je leur dis que t’as toujours rêvé qu’on te rase la tête à zéro. » Je lève les yeux au ciel de la plus théâtrale des façons. « Je crois que je préfère encore ça. » A son état. Mais je ferme ma gueule, parce qu’elle a respecté mes plaies, elle. J’ai pas l’intention de verser du sel ailleurs que sur le plat qu’on s’offrira (et par on s’offrira j’entends qu’elle m’offrira) au restaurant tout à l’heure.

RP terminé