Passer ses matinées, après midi et soirées au DBD n’est désormais plus une habitude dans le quotidien de Lily, elle dont le coeur se serre dès lors qu’elle s’approche d’un peu de trop du café. Si elle ne l’avait jamais fréquenté avant son seul et unique date avec Matt, il est pourtant devenu une grande partie de sa vie lorsqu’elle a épousé ce dernier et par conséquent emménagé juste au dessus. Pour elle, tout était naturel et logique ; tout était parfait. Pourtant, c’est elle aussi qui en a soudainement jugé le contraire un soir, avant de déconstruire d’un coup de pied cette tour qu’ils faisaient grandir grâce à la niaiserie sous-jacente à leur amour. Aujourd’hui les choses ont changées mais la vie continue et elle a encore bien trop d’ego pour simplement être résumée à un homme ou à une relation. Elle existait avant Matt et elle existera après - si le ‘après’ peut se résumer à ‘quand ils seront de nouveau réellement ensemble’ cela réchaufferait grandement son coeur, ceci dit.

Et c’est bien parce qu’elle veut se persuader qu’elle existe sans lui qu’elle se déplace en personne pour lui rendre des objets inutiles, allant du vernis à ongle qu’il a insisté pour acheter jusqu’à ses chaussettes ananas hyper giga trop cool. Ce soir, c’est un bracelet de cheville en coquillages fait maison qui remporte la palme et devient la raison pour elle se venir, le saluer, échanger un sourire aussi triste que désolé, et tourner les talons. Elle ne sera jamais capable de jouer le registre de la pitié, alors elle préfère toujours repartir avant que le pathos ne l’emporte. Dans la paume de sa main s’impriment les coquillages qu’elle sert de trop forte, l’amoureuse. Elle ne masque pourtant pas sa surprise ni même sa déception lorsqu’elle entre dans le café et que la silhouette de son mari ne se dessine pas derrière le comptoir, quand bien même il passe plus de temps que d’habitude encore en cet endroit. Ses sourcils se froncent plus encore alors qu’elle reconnaît la silhouette de Peter de l’autre côté, alors qu’elle pense avec ironie que seul coucher avec lui aurait été pire que de le faire avec Ezra. Ou Deklan, aussi, aurait été sur le podium. Une troisième place largement méritée, sans doute, aussi improbable une quelconque nuit passée avec lui aurait pu l’être. Un jour elle trouvera les mots et le temps de lui expliquer son geste, quand elle se le sera expliqué à elle même en premier lieu.

“Il est pas là ?” Lily débute d’elle même en s’asseyant sur la chaise haute à ses côtés, demandant par la même occasion un chocolat chaud à Deklan - tout en vérifiant qu’il ne crache pas dedans. L’avantage, au moins, c’est qu’elle n’a pas à préciser de qui elle parle puisque l’histoire est connue de tous, surtout de son crew. Une part d’elle lui hurle de ne surtout pas parler à Peter de quoi que ce soit quand l’autre n’en a finalement plus rien à faire, des secrets et des mensonges, des apparences et de tout le reste. Elle est simplement fatiguée.

@Peter Mulligan

Je suis revenu depuis peu pourtant il n’aura pas fallu longtemps pour que je retrouve mes habitues, pour que le DBD redevienne cette deuxième maison que j’habite constamment, me perdant avec un café la journée pour dessiner mes prochains bâtiments, ou bien simplement les clients. M’y perdant en soirée, avec un énième verre d’alcool, tenant compagnie à Matt. A vrai dire cela faisait longtemps que je restais un pilier de bar même quand il n’y était pas là.  Si ma présence était récurrente au sein du DBD, elle était quasi systématique depuis mon retour, pour la simple et bonne raison que je m’inquiétais. Je voulais lui changer les idées. Je savais que la tromperie de Lily l’avait profondément affecté, plus qu’il ne le disait. Et à défaut de savoir quoi dire, je me contentais de lui changer les idées, de faire ce que je savais faire de mieux : le pitre avec une bière à la main comme la solution à tous ses problèmes.

“Il est pas là ?”   Sa voix me sort de mes pensées, j’ai un irish coffee devant moi, des croquis étalés tout autour de moi,  perdu dans mon imagination et dans des maisons imaginaires.  Je grimace en  me rendant compte que c’est elle. Malgré tous mes efforts, je ne l’avais jamais appréciée. Si je devais admettre que mes efforts n’avaient jamais été très flagrants, je m’entendais généralement facilement avec les gens, j’étais après tout charmant et sympathique bien qu’un peu trop moqueur sans doute.  Mais elle, elle était mon opposé en tout point, je ne comprenais pas ce que Matt lui trouvait à cette fille qui sortait de nulle part. Je n’arrivais pas à lui voir des qualités et encore moins depuis que je l’avais vu dans ce même café embrasser Ezra et foutre en l’air sa relation avec mon meilleur ami. Il n’y avait pas à dire ça me restait en travers de la gorge. Je ne prends même pas la même de lui adresser un sourire qui sonnerait faux. Je continue de dessiner. « Non, il est pas là. » Je la regarde un instant, regrette le fait qu’on ne puisse pas pas fumer à l’intérieur. Ca m’aiderait à faire passer le goût amer dans ma bouche. Pourtant j’observe son visage y cherche des traces de regret. Elle a l’air fatiguée Lily, mais à part ça son visage ne me donne aucune indication, aucun regret et aucune peine, je me doute bien que c’est le genre de femme bien trop fière pour le montrer.  Deklan lui amène son chocolat chaud d’un air mauvais et je bois une gorgée de mon irish coffee, un peu froid parce que j’ai trop attendu.

«  Pourquoi t’es là Lily ? tu t’es perdue ? » Mon ton pourrait être plein de sarcasme. Il le serait habituellement. Pourtant aujourd’hui il ne l’est pas. Peut-être que j’aspire simplement à l’indifférence. Peut-être que je sais aussi que mon meilleur ami est malheureux comme une pierre depuis que cette femme n’est plus dans sa vie. Peut-être que je n’ai pas le courage de me moquer aujourd’hui car si elle est ici, si elle passe aussi souvent pour lui ramener toujours une connerie plus idiote que la précédente c’est qu’il doit lui manquer aussi. C’est qu’au fond elle doit avoir des regrets. Et ça c’est quelque chose que je peux comprendre, moi qui avait trompé je ne sais combien de fois des personnes que j’avais aimé et qui parfois, l’avait profondément regretté.

@Lily McGrath  

Elle n’a pas le droit de mentir et de dire que l’attitude de Peter l’étonne. A sa place, elle n’aurait même pas daigné lui apporter la moindre réponse, alors Lily se dit que finalement tout n’est pas aussi horrible qu’il n’y paraît. Elle se dit qu’elle a parfois de la chance que le monde ne lui ressemble nullement parce que sinon sa vie serait ô combien compliquée, et pourtant elle l’est déjà beaucoup ces derniers temps. La jeune femme se place un peu plus confortablement sur la fauteuil, ses yeux bleus dérivant à peine vers les croquis du Mulligan. « Non, il est pas là. » Elle n’a jamais eu la fibre artistique, si ce n’est peut être pour dessiner sur les gâteaux et leur donner des formes particulières et appétissantes. Elle le faisait pour Matt, avant. Maintenant ce n’est plus que pour les enfants de l’aile pédiatrique du Saint Vincent. Les choses changent, épisode 137. Se contentant de cette maigre réponse, elle laisse son expiration se perdre en silence dans le café bondé, comme à son habitude. Sa bouche est trop pâteuse pour remercier Deklan avec des mots, elle le fait donc d’un simple hochement de tête, pourtant sincère.

Ses doigts s’enroulent autour du mug brûlant dans lequel elle ne trouve aucun réconfort, ne sachant désormais plus comment articuler sa soirée si elle ne peut pas voir Matt ce soir. Elle n’aime pas que ses plans soient contrariés mais dès lors que cela touche à lui, elle l’aime encore moins. Chez qui est ce qu’il est en train de boire de trop sans que personne ne soit là pour le raisonner, hein ? Ce n’est pas Matt le problème, ce sont tous ses amis qui ne font rien pour l’aider alors qu’il a besoin d’eux plus que jamais, maintenant qu’elle l’a trahi. «  Pourquoi t’es là Lily ? Tu t’es perdue ? » Déjà elle souffle avant même qu’il n’ait le temps de terminer sa phrase, la Keegan-McGrath qui voudrait lui hurler qu’il ne s’y prend pas de la bonne manière s’il cherche quoi que ce soit qui ne ressemble pas à une attaque en retour. Elle est fière et elle le restera ; et fort heureusement qu’elle se rend compte qu’il ne cherche pas à l’attaquer avant qu’elle le fasse à son tour. Ils ne sont que deux épaves qui tentent de se raccrocher au comptoir du DBD comme ils le peuvent ; comme si c’était moindrement une bouée de sauvetage. “Tu sais bien que non.” Dans d’autres circonstances, ces mots auraient à leur tour pu être lancés telle une pique. Aujourd’hui c’est bien loin d’être le cas, en atteste le souffle qu’elle perd, une seconde avant de porter ses lèvres au chocolat chaud sans saveur. Ses yeux ne brillent pas, malgré l’infinité de souvenirs tous plus heureux les uns que les autres qu’elle a vécu ici. Il manque l’autre personnage principal pour que la magie opère. “Tu sais s’il va bien ? Pour ce soir, je veux dire. S’il ne fait pas n’importe quoi.” Parce que non, bien sûr qu’il ne va pas bien ; la question ne se pose même pas. Elle a simplement besoin de savoir s’il n’est pas en train de répondre à un énième stupide pari ou s’il ne s’est pas décidé à aller surfer de nuit ou se mettre au parkour. Désormais, il en serait sûrement capable et aucun cookie au coeur fondant ne saurait le garder chez eux quelques minutes et quelques heures de plus.

Je continue de griffonner, traçant des lignes sur le papier, comme si sa présence ne changeait pas grand-chose finalement. Ce n’est pas mon amie, elle ne l’a jamais été. Elle n’est pas quelqu’un que j’apprécie particulièrement et la seule raison pour laquelle je la supportais était pour Matt. Matt qu’elle a envoyé valser en embrassant Ezra dans ce lieu. Matt qu’elle a trahi, ce qui revient à la plus haute des trahisons pour moi et me donne enfin l’excuse pour montrer ouvertement que je ne l’apprécie pas. Je pourrais savourer ma victoire, me moquer, lui montrer qu’elle n’est pas la bienvenue ici. Mais à quoi bon ? Qu’est-ce que cela apportera de plus ?  

Mon regard se pose sur elle. Elle a l’air plus jeune soudainement, ses doigts entourant son mug brûlant, l’odeur du chocolat chaud venant titiller mes narines. Elle a l’air un peu perdue Lily, plus que ce que j’aurais pensé.  Je m’attends à une remarque cinglante,  une réponse pleine de cette fierté habituelle, des mots qui me remettraient bien à ma place.  Mais rien ne vient. Pas cette fois. Peut-être parce que pour une fois je n’ai pas cherché à blesser, si le choix de mes mots n’était peut-être pas le meilleur,   mon sourire aurait pu être bien plus moqueur, mes yeux remplis de cette malice habituelle. Pourtant je la regarde et je n’ai pas envie de rire, pas envie de me réjouir d’une victoire qui n’en est pas une. Car si elle n’est plus dans la vie de Matt, aucun des deux n’a l’air plus heureux l’un sans l’autre.  Ce n’est pas une remarque cinglante qui arrive,  pas une énième pique lancée à la figure, mais un souffle qui se perd, un regard tout sauf heureux qui refuse de se fixer dans le mien. « Tu sais bien que non. » Je finis ma tasse quand elle commence à peine la sienne et je relève mon regard vers Decklan pour commander la même chose, n’ayant même pas besoin de préciser la boisson.  En temps normal j’aurais sûrement pris un café normal cette fois, mais la présence de Lily à mes côtés m’incite à me préparer à l’éventualité d’une conversation que je ne vais pas apprécier et un Irish coffee aura au moins le mérite de me faire digérer les remarques que je pourrais me prendre à la figure. Il vaut mieux être préparé à tout.

“Tu sais s’il va bien ? Pour ce soir, je veux dire. S’il ne fait pas n’importe quoi.”

Je ne sais pas pourquoi mon regard s’adoucie, pourquoi je ne réponds pas la remarque qu’elle mériterait sans doute d’entendre. Je me retiens de lui dire qu’elle n’a plus aucun le droit de savoir, que les déboires de Matt ne sont plus de son ressort quand elle est la cause de son malheur. Car s’il a beau me dire que ça ira, le futur n’a aucune conséquence sur le présent et actuellement Matt ne va pas bien.  Et si ses frasques de ces dernières semaines et les verres qui vont avec aident sans doute à faire passer la pilule,  je ne sais pas comment répondre à la question de Lily sans lui lancer une pique de plus.

« Tu lui ramènes quoi cette fois ? »  Je coupe court à sa question, préfère me concentrer sur l’excuse qu’elle a trouvé pour se rendre au DBD une fois de plus.  Je soupire pourtant, faisant quelques parts en arrière mentalement alors que Decklan me sert mon café. Je lui réponds presque à contre cœur. « Il va très bien Lily. »  Non il ne va pas bien. Mais je protège l’honneur de mon ami comme si je défendais Troie. « Il est sûrement en train de faire n’importe quoi. Et tant mieux s’il est en train de s’amuser. » Cette fois il y a un air de défi dans mon regard. Parce que qu’est ce qu’elle va bien pouvoir me dire. J’espère qu’une chose à vrai dire c’est que Matt soit en train de se bourrer la gueule quelque part et qu’il décide de tomber amoureux de quelqu’un d’autre et qu’il retrouve le sourire, ça m’éviterait de devoir subir cette conversation.  Parce que je ne peux pas être le type qui lui dit comment arranger les choses avec lui. Ca ne peut pas être moi hors de question. Pas quand je trouve Keegan insupportable et tout sauf digne de lui.  Keegan, pas Mcgrath, parce que pour moi c’est comme si leur mariage n’avait jamais existé.  

Pourtant je suis là et je n’ai pas encore lancé de remarque odieuse histoire de la faire partir. Ce qui pour moi relève du summum de la générosité.

@Lily McGrath  

Paradoxalement, être une petite fille sage et gentille n’est pas ce dont elle a l’habitude, surtout pas face à Peter. Elle se tient au mieux quand Matt est près d’eux, pour ne pas qu’il ait à se mettre au milieu de leur conflit enfantin, mais lorsque ce n’est pas le cas, elle ne manque jamais une occasion pour lui rappeler le moindre de ses défauts et ses erreurs. Et Dieu sait qu’elle lui en trouve, des erreurs et des défauts, le premier d’entre eux étant tout simplement l’importante place qu’il tient dans la vie de son mari. Elle n’a jamais su ce que Matt pouvait bien lui trouver, le temps de l’université et des frat boys étant révolu depuis longtemps. Si son mari a su devenir un homme, elle est loin d’en penser autant du Mulligan se tenant face à elle, continuant de dessiner avec attention comme si elle n’était pas là. Même l’art, elle ne comprend pas ça. Ils viennent de deux mondes bien trop différents il faut croire. « Tu lui ramènes quoi cette fois ? » Pourtant ce soir elle n’a ni l’envie ni la force de débuter une énième joute verbale, resserrant plutôt encore un peu plus le bracelet dans sa main. Ce dernier est collé contre la paroi du mug brûlant qu’elle porte à ses lèvres comme si de rien n’était, elle qui veille bien à ne pas laisser de chocolat sur ses lèvres. “Son bracelet de cheville.” Lily ne cherche pas à éviter la question ni même à lui demander en retour en quoi cela le regarde. Il a vu clair et elle ne s’attardera pas là dessus, trouvant le sujet bien trop difficile à aborder avec qui que ce soit. Et surtout lui.

Jamais elle n’osera se montrer faible ou vulnérable face à lui ; pas même moindrement humaine. Sa seule réponse est donc finalement de dévier le sujet vers Matt, non pas pour qu’elle puisse s’échapper mais bien parce qu’elle s’inquiète. « Il va très bien Lily. » A vrai dire elle connaissait déjà la réponse à sa question et ce n’est sûrement pas ce qu’avance Peter, pourtant faussement assuré. Le mensonge coule dans ses veines, l’australienne sait reconnaître quelqu’un de son espèce ou un amateur dans le genre. Elle ne sait pas encore dans quelle catégorie ranger le brun, mais elle peut au moins en venir à la conclusion que son mari ne se porte pas aussi bien que son ami le laisse entendre. Solidarité masculine, sûrement. Préserver les apparences, tout ça. Quelles conneries. “C’est vrai ce mensonge ?” Elle est douce, sa voix, sans attaque, sans méchanceté. Une partie d’elle voudrait qu’il aille bien et une autre trouverait cela hautement injuste. S’il va bien, alors elle voudrait surtout lui demander sa recette miracle - mais puisque ce n’est de toute façon pas le cas, personne ne donnera rien à personne.

Peter enchaîne, le cœur de l’infirmière se brise dans un silence lourd de sens. « Il est sûrement en train de faire n’importe quoi. Et tant mieux s’il est en train de s’amuser. » Ils savent tous deux tout ce qu’il se cache sous le s’amuser et cela sous entend certainement beaucoup d’alcool et beaucoup de femmes (peut être même de la drogue, aussi, mais elle préfère ne surtout pas penser à ce genre de choses, parce que ce serait pire encore que des femmes). Elle se dit que ce ne serait pas son genre, pourtant, de vouloir la blesser là où elle l’a fait avec lui et pourtant quand on est au fond du gouffre, toute solution semble être bonne à prendre, même celles qui ne font qu’empirer la situation. “J’espère simplement qu’il ne fera rien qu’il regrette.” Elle t’en foutrait des “et tant mieux s’il est en train de s’amuser” : va te faire foutre Peter, va te faire foutre. Ce n’est pas tant mieux s’il va mal au point de retourner quinze ans en arrière. Ce n’est pas tant mieux s’il sombre et que personne n’est là pour lui ; que tout le monde ne fait que le conforter dans cette idée qu’une fois qu’on a atteint le fond on ne peut que remonter à la surface ensuite. Mensonges. Une fois qu’on a touché le fond, on peut encore creuser ; encore et toujours. “Pourquoi t’es pas avec lui ?” Nerveusement, son doigt triture son alliance ainsi que la bague offerte par Matt sans qu’elle ne s’en rende compte. Elle ne sait même pas si elle serait rassurée de le savoir avec Peter, ou si ça serait pire encore. “J’ai pas l’intention de me battre, tu peux te calmer sur le whisky.” Qu’elle assure et annonce alors que Dek revient avec un verre qui empeste l’alcool surdosé à des kilomètres.

Je la regarde en essayant de deviner quel objet a été le prétexte pour qu’elle revienne de nouveau en ces lieux à la recherche de Matt.  J’observe les mains qu’elle serre contre son mug brûlant, l’observe boire comme si de rien n’était. « Son bracelet de cheville. »  J’aurais pu en rire, lui lancer une énième provocation. En temps normal je n’aurais pas hésité. Je ne savais pas ce qui me retenait, était-ce sa manière de revenir encore et encore qui me faisait me dire qu’elle était tout aussi malheureuse que Matt ? Était-ce finalement l’absence de commentaires désobligeants lancés depuis que nous étions assis à côté de l’autre ? Cette conversation était peut-être une des plus cordiales que nous ayons eu en l’absence de Matt. Pourtant son ton n’offre aucun aperçu d’une quelconque vulnérabilité et malgré tout je ne peux m’empêcher de penser qu’elle a du culot de revenir ici après tout ça.

« C’est vrai ce mensonge ? »   Je lève les yeux au ciel alors, un soupire passant la barrière de mes lèvres. En temps normal j’aurais sans doute afficher mon plus beau sourire, plein d’hypocrisie et j’aurais continuer sur ma lancée. Mais on sait tous les deux que je ne dis ça que pour sauver un pseudo honneur, pour ne pas avouer à voix haute qu’évidemment que non Matt ne va pas bien. « Tu veux que je te dise quoi Lily ? Que je te confirme que Matt est malheureux? Que tu l’as blessé ? C’est ça que tu as envie d’entendre ? »  

J’espère pour ma part que Matt est en train d’oublier la jolie brune dans un verre de trop ou dans les bras de quelqu’un d’autre, qu’il s’amuse, si ça veut dire ne pas penser à cette relation. “J’espère simplement qu’il ne fera rien qu’il regrette.” J’hausse les épaules. « Tout le monde a des regrets. »  

“Pourquoi t’es pas avec lui ?”   « Parce que je savais pas qu’il serait pas là. »  J’avoue presque à contre cœur. J’étais venu ici pour le voir, et pour bosser, le café m’inspirant toujours plus que d’autres endroits quand il s’agissait de dessiner des plans. « T’aurais préféré que je sois avec lui ? »  J’hausse un sourcil en la regardant, parce qu’elle n’avait jamais été ma plus grande fan et qu’on savait tous les deux que si j’avais été avec lui on serait tous les deux saouls depuis déjà un bon moment.

“J’ai pas l’intention de me battre, tu peux te calmer sur le whisky.”   J’ignore son commentaire, attrapant le verre d’irish coffee que Deklan me tend, le remerciant avec un sourire. Je réchauffe mes mains en entourant le verre sans la regarder avant de finir par dire « Je suis pas là pour me battre non plus Lily. »   C’est sûrement le plus proche qu’on a été d’un drapeau blanc levé dans le ciel, d’une trêve le temps d’un court instant. J’en bois une légère gorgée.

C’est peut-être parce qu’en buvant une gorgée, je pense à Molly qui m’a quitté pour toutes ces années où je ne l’ai pas traitée comme il le fallait. Je l’ai trompée à de nombreuses reprises Molly. Pourtant ça serait mentir que dire que je ne l’ai pas aimée. Et elle m’a pardonnée mais je ne suis pas sûre qu’elle n’en ait été plus heureuse.  Mon cas n’a rien à voir avec celui de Lily qui jusqu’à ce dérapage avait pourtant l’air de tenir à Matt et qui malgré tout ce que je peux lui reprocher n’est pas une mauvaise personne. Mais la vision d’Ezra et elle est encore ancrée dans mon esprit et alors je ne peux m’empêcher de demander doucement. « Je peux te demander pourquoi ? »    Je demande de nouveau, sans la regarder mon crayon traçant des lignes des bâtiments. Il n’y a pas une once de moquerie dans ma voie. Pas cette fois. Et le pourquoi pourrait être interprété de temps de manière différentes. Pourquoi a-t-elle trompé Matt ? Pourquoi Ezra ? Pourquoi ici ? Pourquoi s’accroche t-elle vraiment ? Je me dis qu’elle sera trop fière pour y répondre. Mais je la pose quand même.  


@Lily McGrath  

L’ambiance ne change peut être pas au fil des secondes et autres minutes égrenées mais ce n’est pourtant pas pour autant que Lily se sent moindrement plus à l’aise. Avec Peter ce n’est pas même tout ou rien, c’est toujours rien ou rien. Ne parlons donc même pas d’un juste milieu qui n’a sûrement jamais existé entre eux. Il a vu la femme coincée qui n’a même pas embrassé son mari sur l’autel ; elle a vu le meilleur ami typique qui ne sait qu’amener les problèmes à lui et à ses proches. « Tu veux que je te dise quoi Lily ? Elle voudrait des mensonges qui rendraient la vérité jalouse mais doute Peter capable de telles prouesses. Il ne suffit pas d’être un homme habitué à jouer avec le coeur des autres pour cela. C’est bien plus complexe, bien plus profond aussi. Le travail de toute une vie, lequel ne peut sûrement pas être réalisé par un alcoolique notoire, aussi doué puisse-t-il être avec un crayon de bois entre les mains. Que je te confirme que Matt est malheureux? Que tu l’as blessé ? C’est ça que tu as envie d’entendre ? »  Il ne lui offre aucune des réponses qu’elle aurait espéré, pas même celles qui se rapprochaient de la vérité. Elle souhaitait quelque chose de clair et d’acté, pas quatre nouvelles questions pour répondre à une seule venant de sa part. “Tu penses que c’est vraiment ce que je te demandais ?” Alors il ne lui en voudra pas si elle adopte la même technique, sûrement. Il ne lui dit ni même ce qu’elle a envie d’entendre et encore moins quoi que ce soit qu’elle ignore encore au sujet de l’état actuel de son mari. Finalement, elle se demande s’il n’est pas tout autant sur le carreau qu’elle l’est en ce moment - à la seule différence que lui, personne ne lui en veut de rien.

La jeune femme l’observe boire du coin de l’oeil, s’en voulant de ne pas avoir amené avec elles des lunettes de soleil pour pouvoir rouler des yeux autant de fois qu’elle le voudrait. Ce n’est pas parce qu’il prend autre chose que des verres pur que c’est mieux pour autant. Au contraire, même. Il semble ne même pas être un alcoolique pour quiconque n’étant pas assez proche de lui pour sentir que son verre se compose plus d’alcool que de quoi que ce soit d’autre. « Parce que je savais pas qu’il serait pas là. » La Lily d’avant aurait rigolé de savoir son super meilleur ami à la vie à la mort lui aussi mis sur la touche. Vue qu’ils y sont tous les deux, pourtant, elle se retient de commenter une telle chose. Tout ce qu’elle retient c’est qu’ils ne savent pas avec qui il passe la soirée et ça, ça ne la rassure pas le moins du monde. Elle le sait capable de se gérer seul et jamais elle ne remet ça en doute ; ce qu’elle ignore encore pourtant reste la façon dont il agit lorsqu’il a mal et qu’il est blessé. Ce sont ces actions là qui lui font peur ; surtout tout ce qui peut en découler. « T’aurais préféré que je sois avec lui ? » Ses doigts se mettent à pianoter sur la table alors qu’elle réfléchit à la réponse à lui donner. Une partie d’elle veut lui dire que non parce qu’elle sait qu’il ne l’aurait poussé qu’à boire plus encore, aller plus loin, tester de nouvelles choses, embrasser (pour ne pas dire autre chose) d’autres filles et tout un tas d’autres choses auxquelles elle n’ose même pas penser. Une autre partie se dit aussi qu’au moins à deux, ils seraient restés ensemble. Dans leur connerie et leurs excès, certes, mais soudés. “Peut être. Je sais pas.” C’est un oui qu’elle atténue. Bien sûr qu’elle ne le lui dira pas de but en blanc. Cette soirée est placée sous le signe du drapeau blanc mais chaque chose en son temps et un pas à la fois. S’il n’y a rien d’impossible à la volonté humaine, elle a encore besoin de temps.

Elle s’en vient finalement, la question que tout le monde finit par lui poser à un moment ou à un autre. Peu son au courant de son aventure et encore moins osent aborder le sujet face à elle, mais pour la poignée de personnes pour qui c’est le cas, les mêmes mots reviennent toujours : « Je peux te demander pourquoi ? » La logique voudrait qu’elle lui réponde que non, il n’a pas le droit de lui demander pourquoi et elle a encore moins envie de répondre mais pourtant elle garde ses paroles acerbes pour elle. Drapeau blanc, on a dit, pas celui des pirates sans foi ni loi. Une fois de plus, elle souffle doucement, incapable de trouver des mots qui n’existent pas. Comme si elle avait pensé à ce qu’elle faisait avant d’embrasser Ezra et de passer la nuit avec lui ensuite, comme ils l’avaient fait tant de fois auparavant, quand cela ne brisait la vie de personne. “Je sais pas moi même. C’est pas que je ne veux pas te répondre, même si, ouais, un peu quand même c’est que je n’ai pas de raison à te donner. Ou à moi même.” Je suis perdue aurait été la réponse la plus complète et concise à donner mais aussi celle qui l’aurait automatiquement exposée à son jugement - impensable, donc. “Entre nous, je ne pense pas que tu sois le mieux placé pour me faire la morale à ce sujet.” Bien que les comparer lui fait plus de mal que de bien, elle n'a pas besoin d'y penser bien longtemps avant de se douter qu'il a sans doute trompées toutes les femmes qu'il a connu. Lui, pourtant, n'a sans aucun doute aimé quelqu'un de la manière dont elle aime son mari. "Mais dis-moi si je me trompe." Il ne dira rien si ce ne sont des mensonges. Sans aucun doute, encore une fois.

On ne se répond jamais vraiment, répondant aux questions par d’autres questions. Je ne sais pas si c’est beaucoup mieux que de s’envoyer des insultes à la figure mais on avance à notre façon. Peut-être que pour nous c’est déjà un progrès.

Je sens son regard alors que je bois ma tasse mais ce n’est pas avec elle que je vais discuter de mon problème avec la boisson. Parce que c’est un problème sous contrôle du moins c’est le mensonge que je me dis.  Je suis étonné pourtant quand elle avoue presque qu’elle aurait préféré que je sois avec Matt, quand on sait tous les deux que je l’aurais entraîné dans ma débauche pour lui faire oublier les beaux yeux de la jeune femme.  “Peut être. Je sais pas.”   J’hausse un sourcil.  Ce oui déguisé me pousse pourtant à lui dire.  « Il ira bien Lily. »  J’utilise le futur dans un élan d’honnêteté, dans ce drapeau blanc levé vers le ciel. En faisait cela j’admets qu’il ne va pas bien, mais souligne qu’il s’en remettra. Tout le monde finit toujours par se remettre d’une peine de cœur, en quoi cette fois serait différente.

Le pourquoi de son erreur apportera-t-il une réponse ? Le pourquoi me permettra-t-il de mieux la comprendre ? Qu’est ce que je cherche ?  Peut-être que je cherche seulement à savoir si elle va me répondre ou si elle sera trop fière, trop fière pour apporter quoique ce soit comme explication.  « Je sais pas moi même. C’est pas que je ne veux pas te répondre. c’est que je n’ai pas de raison à te donner. Ou à moi même. Entre nous, je ne pense pas que tu sois le mieux placé pour me faire la morale à ce sujet. Mais dis-moi si je me trompe."  Elle est là la jeune femme piquante. Un léger sourire esquisse mes lèvres à ces mots.

« J’ai jamais prétendu être irréprochable. »  Non car je n’étais pas de ceux capables de rester et de s’attacher. J’étais de ceux qui papillonnaient, qui craignaient l’ennui et qui rêvaient de découvrir le monde, de nouvelles villes, de nouvelles personnes, de nouveaux corps.  Contrairement à elle, j’avais pris l’habitude depuis longtemps à céder à mes désirs, de suivre mes envies là où elles me menaient peu importe les conséquences et je n’étais pas près de m’excuser pour cela.  

« C’est mon ami. »  Je plonge mes prunelles bleues dans les siennes. Cela voulait dire quelque chose pour moi. J’étais peut-être égoïste, mais les Mcgrath avait été ma deuxième famille depuis que je les avais rencontrés et s’il y avait bien des gens pour qui j’aurais été prêt à donner beaucoup, pour qui j’étais loyal et je le resterais, c’était eux. Alors évidemment que je me permets de juger son geste car je vois la douleur qu’il a causé chez Matt. Parce que pour lui j’avais envie de sortir les griffes et de ne plus jamais la laisser s’approcher de nouveau de lui.   « A vrai dire ce sont tous les deux mes amis. »  Je souffle avant de boire un peu de mon café.  Je n’étais peut-être pas aussi proche de Ezra que de Matt, mais j’étais plus déçu de lui que je respectais et que j’appréciais,  que d’elle que j’avais toujours bien peu estimé.

Mais on a décidé que le drapeau blanc était levé et comme elle l’a si bien dit j’étais mal placé pour faire la morale à qui que ce soit. Je soupire, levant les yeux au ciel face à ce que je m’apprête à dire. « Écoute Lily, crois-moi ça m’arrangerait que Matt t’oublie en deux minutes ça me permettrait d’éviter cette conversation. »  Je sens venir la remarque cinglante aussi je lève la main comme pour signaler que je n’ai pas terminé. « Mais je sais aussi qu’il t’aime et qu’il est malheureux. Et de ce que je pense que tu es toute aussi malheureuse lui alors je me dis que malgré ça tu dois l’aimer. »   Ma voix est plus douce, il n’y a pas de moquerie. Parce que j’avais beau avoir trompé Molly je ne sais combien de fois je savais pertinemment qu’on pouvait aimer quelqu’un tout en lui causant énormément de mal. « Il va pas te pardonner facilement ni oublier. » J’assène la vérité qu’elle sait sûrement déjà, mais il est important de le souligner.  «  Va falloir du temps pour que tu regagnes sa confiance. »   Elle est là la note d’espoir. Parce que je n’ai pas dit qu’il ne lui pardonnerait jamais. Je n’ai pas dit que tout était terminé et qu’elle ferait mieux de partir de ce lieu où elle n’appartient plus. Je n’ai pas dit mon avis personnel qui est qu’elle devrait dégager de sa vie, parce que malgré tout ce que je pense de la jolie brune à mes côtés, je n’ai aucune envie de voir mon meilleur ami malheureux.  Et que j’étais de ceux qui croyaient aux deuxièmes, aux troisièmes, aux dixièmes chances, parce qu’on me les offrait toujours, alors pourquoi ne pourrait-elle pas en avoir une de plus ?


@Lily McGrath  

« Il ira bien Lily. » Ca c’est un fait, parce que tout finit un jour par rentrer dans l’ordre et qu’elle est finalement plutôt bien placée pour le dire. Ce qu’elle se demande, pourtant, c’est quand. C’est tout ce qui importe. S’il est heureux dans dix ans, ce n’est pas une bonne chose. S’il est heureux demain, ce sera bien pour lui - un désastre pour Lily, certes, mais n’allons pas là. Sa moue trahit son manque d’engouement à propos de la réponse de Peter, laquelle ne la comble pas réellement - pour ne pas dire pas du tout. Il n’en sait rien, lui, après tout, puisqu’il n’est pas à ses côtés.

Il la questionne sur ses raisons, elle renvoie la pique à propos de son manque de morale à ce sujet. Elle ne le connaît pas bien (et loin de là), mais c’est au moins une chose dont elle est aujourd’hui certaine : il serait bien le dernier type de personne avec qui elle voudrait être en couple. Même, pire encore, s’il fallait le comparer à quelqu’un qu’elle connaît, elle le ferait avec son ex-petit-ami. Et par ce titre là, elle est loin, bien loin, de vouloir désigner Matt. Lui, il est son mari et elle continuera à se battre pour qu’il le reste. « J’ai jamais prétendu être irréprochable. » Elle n’a pas à rire ou à lever les yeux au ciel dédaigneusement : il sait déjà ce qu’elle pense de cette question là et les mots qu’il ajoute ne sont qu’un rappel de plus.

« C’est mon ami. » C’est mon mari. Comment ça, ce n’est pas un concours ? Lily a pourtant un air de défi dans le regard et ce dernier refuse de s’en aller ou de s’estomper. Elle n’y peut rien, c’est plus fort qu’elle. Peter papillonne et elle combat des moulins. « A vrai dire ce sont tous les deux mes amis. » A ça elle n’a rien à répondre. Cela ne la regarde pas ; pour de vrai cette fois-ci. Le bleu de ses yeux dérive un instant alors qu’elle est prise de remords pour être celle qui soit venue mettre à mal une amitié déjà bien compliquée. Elle a vu Ezra s’en remettre petit à petit au fil des ans ; elle voit aujourd’hui Matt en parler et un voile de tristesse s’immiscer devant ses iris noisettes. Pour elle aussi, ils sont tous les deux ses amis. Ils ont été bien des choses à bien des moments de sa vie et ils ont encore des milliers de titres et d’étiquettes, parmi lesquelles le terme d’ami.

Quoi qu’il en soit, elle trouve que Peter n’est pas très doué pour formuler des excuses. « Écoute Lily, crois-moi ça m’arrangerait que Matt t’oublie en deux minutes ça me permettrait d’éviter cette conversation. »  Il a roulé ses yeux vers le ciel alors elle roule les siens aussi, prête à reprendre les armes comme si de rien n’était. Elle respecte la main qu’il lève bien plus pour Matt que pour lui-même et parce que le DBD a déjà eu à faire face à bien assez de ses frasques. Elle a déjà couché avec son ancien meilleur ami, elle n’a pas le droit de se battre avec le plus récent en date. « Mais je sais aussi qu’il t’aime et qu’il est malheureux. Et de ce que je pense que tu es toute aussi malheureuse lui alors je me dis que malgré ça tu dois l’aimer. » Il en sait bien des choses, subitement, le meilleur ami un peu stupide de son mari. Il pense tout savoir et elle déteste qu’il vise aussi bien, aussi juste, et qu’il fasse aussi mal. Elle a beau le cacher à tout son entourage et à elle-même aussi, bien sûr qu’elle est affreusement malheureuse de toute cette situation et de toutes ses conséquences aussi. Elle aime Matt du plus profond de son cœur et Ezra d’une manière singulière qui est la sienne, et jamais son histoire avec chacun n’aurait dû interférer avec l’autre. Elle est la seule égoïste de l’histoire et a bien trop d’ego pour se l’avouer. « Il va pas te pardonner facilement ni oublier. » Elle sait, ça. Elle l’a vu au fond de ses yeux, elle l’a compris dans sa voix froide et triste. Elle a eu peur pendant longtemps que ce ne soit pas le cas mais aujourd’hui elle sait enfin que c’est possible ; simplement ce sera long et difficile. « Va falloir du temps pour que tu regagnes sa confiance. » Et enfin elle souffle doucement, laissant échapper ses yeux des siens sans les y faire revenir. “Je sais. Je compte pas abandonner.” Elle ne l’abandonnera pas tout comme elle ne l’oubliera pas non plus, c’est d’une évidence incroyable aux yeux de l’Australienne amoureuse qui déteste toujours avoir à se mettre à nu face à un homme tel que Peter Mulligan. Il est un assemblage de tout ce qu’elle déteste et pourtant s’il faut en passer par là pour regagner la confiance de Matt alors elle est réellement prête à tout. "Tout comme je ne compte pas te faire le plaisir de sortir de sa vie." Elle sourit tristement, ne sachant quoi faire de cette demie-blague sortie de nulle part. "T'as déjà regretté d'avoir fait ça, toi ?" Ça étant bien sûr le fait d'aller voir ailleurs, elle fait tout pour ne pas avoir à le dire mot pour mot. Loin d'elle l'idée de se comparer à Peter, bien sûr, mais elle a besoin de s'instruire à ce sujet et savoir comment réagir - ou ne surtout pas réagir, peut être.

Elle n’a pas l’air heureuse de mes réponses. Mais je n’en ai pas d’autres à lui demander. Je me demande à vrai dire pourquoi je suis là à lui donner des conseils sur Matt, quand j’avais toujours été le premier à ne pas l’apprécier et que l’air de défi qu’elle a sur le visage m’agace bien assez vite.  Pourtant je sais que j’ai touché juste quand je souligne qu’elle est malheureuse et que j’en déduis qu’elle l’aime. J’aimerais me tromper et que Matt se trouve quelqu’un d’autre, quelqu’un de plus drôle, quelqu’un que j’apprécie, mais en vérité j’ai juste envie qu’il soit heureux. Il avait l’air heureux Matt avec elle, jusqu’à ce qu’elle vienne piétiner son cœur.  Alors je me prends à donner des conseils pour qu’elle retrouve le chemin de son cœur, parce que s’il y a quelqu’un dont je veux uniquement le bien c’est Matt.

« Je sais. Je compte pas abandonner. Tout comme je ne compte pas te faire le plaisir de sortir de sa vie. » Est-ce que c’est que c’est une demie blague que j’entends ? Est-ce que Lily Mcgrath vient de se dévoiler un peu face à moi ?  J’en n’en croirais presque pas mes yeux. C’est sans doute pour ça qu’un sourire moqueur vient étirer mes lèvres. « Merde je crois que je me suis trompé de discours, le but c’était de te faire fuir à jamais ? On prend les mêmes et on recommence ? Non ? » Pauvre tentative d’humour qui répond à la sienne, parce que je suis incapable d’être sérieux bien longtemps. Je le vois déjà d’ici son roulement de yeux,  alors j’bois une gorgée de mon café et d’une voix plus faible, plus douce, je dis doucement, sans la regarder. « Tant mieux. » Je ne la regarde pas quand je dis ça, hors de question que j’admette que malgré tout je sois heureux que ce soit les mots qu’elle prononce, parce que au final je ne veux que le bonheur de Matt et apparemment ce petit con a choisi de trouver le bonheur avec cette fille que je trouve insupportable alors il va bien falloir que je l’accepte à un moment donné ou à un autre.
« T’as déjà regretté d’avoir fait ça, toi ? »  Mon sourire s’estompe cette fois-ci, alors que je reprends mon crayon pour tracer de nouvelle ligne sur le papier comme si ça pouvait rendre la question plus facile.

« Oui. Plusieurs fois. » Parce que malgré tout ce que je prétendais, le regard de Molly me faisait toujours aussi mal alors qu’elle était blessée. Parce que je me souvenais encore du regard de Rory quand il m’avait vu le délaisser pour quelqu’un d’autre. Pourtant ça ne m’avait pas empêché de recommencer. Je ne pouvais pas dire que je l’avais regretté à chaque fois, car la plupart du temps en vérité, je n’en avais rien eu à faire. Peut être aussi parce qu’au fond si j’étais resté, cela aurait prouvé que j’étais trop attaché et qu’au fond cela me faisait aussi peur que la solitude. « Mais ça m’a pas empêché de recommencer. » Je plante mon regard dans le sien alors. J’ai beau avoir des sentiments pour Molly cela ne m’a pas empêché de recommencer, tout simplement parce que je n’ai jamais été prêt à m’engager. J’aimerais être différent, j’aimerais être capable de changer et de grandir, mais je reste bloqué, insatisfait, occupé à poursuivre des chimères. « Mais toi t’es pas comme ça non ? » Les mots sont prononcés doucement et c’est une vraie question. Parce que je me demande si elle serait capable de le tromper une nouvelle fois maintenant qu’elle l’a fait une fois ? Qu’est ce qui l’empêchera de recommencer ? Elle regrette aujourd’hui mais qu’est ce qui me dit qu’elle ne retombera pas dans les bras d’Ezra une prochaine fois ?  Alors je pose la question, à moitié supposition car je ne pense vraiment pas qu’elle soit ce genre de personne.


@Lily McGrath  

Il lui fait penser à Joseph. C’est autant un des meilleurs compliments qui soit comme le pire d’entre eux mais elle n’y peut rien, elle, si justement il répond et réagit comme son frère aurait pu le faire. Il souffle le chaud et le froid, il enchaîne les erreurs et les problèmes. Mais il pense faire le bien, au fond. C’est ça, surtout, qu’elle lit au fond de ses yeux tout comme elle a su lire un moment dans ceux de son aîné - avant qu’elle ne décide plutôt qu’il n’y avait finalement rien à tirer de son bleu océan. « Merde je crois que je me suis trompé de discours, le but c’était de te faire fuir à jamais ? On prend les mêmes et on recommence ? Non ? » Quand bien même il avait réellement essayé une telle chose en y mettant un peu plus du sien, cela n’aurait été qu’une raison de plus pour elle pour ne justement pas le faire. Elle esquisse un sourire en demi-teinte alors que ses grands yeux bleus vacillent une fois de plus en direction du comptoir. Ses mains, elles, se réfugient un temps autour de sa boisson à laquelle elle s’accroche comme une bouée de sauvetage. Non pas qu’elle ait besoin d’une telle chose (elle sait bien trop gérer sa vie pour en arriver à ce point), mais la métaphore a peut être effectivement quelque chose de semblable à ce qu’elle vit en ce moment. Sûrement que le but était de la faire fuir à jamais, ouais, mais il a échoué. Sacrément échoué. « Tant mieux. » En effet.

Et puisque tout semblait finalement aller un peu trop bien dans un monde où le bonheur n’est toujours qu'éphémère, Lily se permet de souffler elle-même sur le fébrile château de cartes. « Oui. Plusieurs fois. » Ils sont incomparables et elle s’en rend compte à chaque nouvelle question qu’elle lui pose. Si le “oui” aurait peut être pu la rassurer, le “à chaque fois” vient effacer toute la crédibilité qu’il aurait pu gagner jusque là. Il fait un pas en avant et deux en arrière, c’est bien là le problème du Mulligan, selon elle. Elle ne comprend surtout pas comment un homme tel que lui peut être aussi proche de Matt, son Matt, son mari en qui elle ne reconnaît aucun de ces traits là. Il ne l’aurait jamais trompé, lui, ni une fois ni dix autres. Si Peter peut ressembler à Joseph, il est à des centaines de lieues d’avoir quoi que ce soit à voir avec Matt. C’est une certitude à laquelle elle se raccroche donc avec hargne. « Mais ça m’a pas empêché de recommencer. » Le regard de la jeune femme supporte celui de son homologue masculin sans qu’elle ne pense à sourciller à aucun moment. Peu importe la femme (ou les, puisque, soyons honnêtes, il enchaîne sans aucun doute les conquêtes) qui a pu s’enticher de lui, elle voudrait bien lui conseiller de s’enfuir aussi vite et loin que possible puisqu’il ne cessera de recommencer. Il est comme un chien ayant déjà goûté le sang, Peter, il voudra toujours y revenir. « Mais toi t’es pas comme ça non ? » A cela la réponse vient aussitôt sans qu’elle n’ait même à y penser. “Non. Absolument pas, non.” Bien sûr que non, en réalité. Elle s’en veut déjà bien assez de l’avoir fait une fois, elle ne risque donc pas de reproduire le même schéma une seconde : ce serait fou et suicidaire. “On s’accorde sur le fait que cette conversation n’a jamais existé, hm ?” Qu’ils ne se sont pas ouverts l’un à l’autre, même au milieu des couteaux et des piques en tout genre. Il ne voudra pas que le monde sache qu’il a l’once d’un coeur et de même pour elle, alors garder le silence semble être le juste milieu à toute cette histoire qui ne fait aucun sens.

Elle est trop parfaite, trop bien rangée et quand je la regarde,  je n’arrive pas à voir ce qu’ils lui trouvent tous, Ezra et Matt. Qu’est ce qu’il y a dans ses grands yeux bleus que ça en vaille tant la peine ?  Je ne comprends pas, sans doute parce qu’elle est trop différente de moi,  que j’ai envie de la décoincée et qu’une blague me vaut un sourire en demi-teinte. Dur public face à moi, public trop coincé pour que je puisse l’apprécier. Mais au moins cela doit être la plus longue conversation qu’on ait eue sans s’envoyer une énième insulte à la figure. Ca me donnerait presque envie d’aller en parler à Matt comme un gamin fier de sa dernière réussite. Eh regarde Matt, Lily et moi on a réussi à se supporter pendant dix minutes, tu devrais être fier.  Seulement je ne dirais rien à Matt, parce qu’il n’y a plus rien à dire maintenant qu’ils ne se parlent plus, maintenant que cette comédie de mariage est terminée. Mais la comédie est-elle réellement terminée ? Puis-je vraiment dire qu’il ne lui pardonnera pas quand je me doute

« Non. Absolument pas, non. » Je ne sais pas si c’est son ton résolu, son regard peut être qui me convint qu’elle ne refera pas la même erreur une deuxième fois. Parce qu’elle n’est pas comme moi Lily et on ne pourra jamais être plus différents. Pour Lily c’était la pire erreur qu’elle aurait pu faire, celle qu’elle ne ferait sans doute qu’une fois parce que le contraire était suicidaire, impensable. Pour moi, c’était un passage qui finissait toujours par arriver, qui mettait fin à chacune de mes relations, parce que mon regard et mon esprit étaient attirés ailleurs et que je voulais tout découvrir et m’échapper. Cela me permettait de prétendre qu’aucune personne n’avait réellement obtenu mon cœur quand c’était faux, quand je craignais l’attachement autant que la solitude. J’aimerais être différent et pendant quelques secondes je me dis même que j’aimerais même être un peu plus comme elle sans doute. Mais la pensée s’arrête vite, quand je me rappelle les différents traits de personnalité de Lily.

« On s’accorde sur le fait que cette conversation n’a jamais existé, hm ? » Et ça j’hoche la tête, parce que pour une fois je suis bien d’accord avec elle. Je préfère de loin maintenir les apparences de piques en tous genres plutôt que d’avouer qu’aujourd’hui je l’avais peut-être un peu plus comprise qu’avant et un peu mieux acceptée.  Je lui souris mutin portant ma tasse à mes lèvres et boire une gorgée de ma boisson. « Quelle conversation ? »

Cela se termine aussi simplement que ça, alors que mon regard se tourne de nouveau sur mon dessin, qu’elle parte ou qu’elle reste ça n’a plus d’importance,  la trêve n’a plus lieu d’être et on peut de nouveau se détester avec plaisir.



@Lily McGrath