C'était juste avant que tout éclate. Avant que tout soit horrible, avant que tout fasse mal et que tout soit impossible à gérer. Elle gérait au mieux, là, vraiment. Elle était heureuse Chloe, Byers n'avait même pas encore mis son nez dans sa vie, elle ne le connaissait que de nom, et certainement pas de réputation. Elle n'était même pas sur son plateau, pas encore, occupée à errer sur un autre lieu de tournage. L'un où elle s'éclate comme une gamine, l'un où elle tourne avec Rory. Ils en ont fait, des plans sur la comète, ils en ont réinventé des mondes et des scénarios pour arriver à ici et pour arriver à aujourd'hui. Les voilà donc qui partagent l'écran, lui en pilote d'avion corrompu, le truc qu'on ne comprend que longtemps après le début des galères et des magouilles. Le personnage cassé de l'intérieur qu'on gratte à peine, qu'elle, elle grattera, avec la poupée de porcelaine qu'on lui a donnée à jouer. Elle est sa voisine et elle le croise dans l'ascenseur des dizaines de fois par mois, ils se parlent à peine, se parleront une fois de trop qui changera tout.

Le script est lourd, difficile à cerner. L'histoire est noire et se termine mal, la fin est crève-coeur et ce n'est clairement pas ce qui est au programme pour le tournage d'aujourd'hui à voir les sourires des uns et des autres. Aujourd'hui, c'est jour de cascades, c'est jour d'effets spéciaux. C'est le jour où Rory s'élance de parts et d'autres du plateau, qu'il risque sa vie - à peine hen, il est protégé comme un petit lingot d'or - et où Chloe a prévu s'installer popcorn en main sur l'une des chaises du staff rien que pour ne pas manquer une seule des frasques de son ami. Elle a tout planifié, a vidé son horaire et s'est assurée de passer ses scènes au peigne fin et d'offrir des tas de variantes au directeur pour qu'il puisse piger dans ce qui lui plait. Et maintenant, elle se prépare à raffoler du spectacle.

Y'a une tête blonde aux mèches folles qui apparaît, dans l'angle. Elle le reconnaît de suite, l'aime beaucoup, lui et son silence rassurant. Ils se parlent peu, communiquent bien plus par les yeux lui et elle. Mais quand elle lui lâche son plus grand sourire et tapote la chaise qu'elle a gardée disponible expressément que pour lui au cas où il passe aujourd'hui, c'est rassurée qu'elle le voit arriver à tâtons. Droit devant, on annonce que l'équipe est presque prête, qu'il ne reste qu'à assembler les derniers morceaux du décor et à faire quelques tests de lumière. « Je vais pas te proposer de faire des paris, ça sonnerait morbide, avoue. » qu'elle pouffe l'australienne, remontant ses pieds sur le siège, tendant le sac de maïs éclaté à son allié du jour, à son spectateur préféré. « J'ai demandé et si t'as envie, on peut tester les câbles à saut dans le vide une fois que les scènes seront finies. » ça a dû bon, d'avoir des potes dans le monde du cinéma.

Swann est toujours le premier à courir tête baissée vers des plans qui ont tout de mauvais, lesquels impliquent la plupart du temps des blessures qu’il aurait pu prévenir et éviter. Qu’importe. Ce ne sont pas les conséquences sur lesquelles il s’attarde mais bien l’instant présent, l’adrénaline, le souffle si fort qu’il n’en entend plus le reste du monde. Il aime les sensations fortes, assurément, et à voir les cascadeurs voler d’un quoi à l’autre du plateau de tournage, il serait presque prêt à vouloir changer de métier tel un enfant capricieux. Après tout, avec ses connaissances en médecine il pourrait aussi aider à soigner ses collègues ; et il pourrait par la même occasion voltiger avec eux. L’idée n’aboutira jamais, certes, mais il est au moins heureux d’y avoir pensé, un sourire au coin des lèvres.

Il est cependant bien moins serein quand c’est son petit ami qui joue à ce genre de choses. Il sait qu’il n’est pas friable et loin de là, bien sûr, tout comme il sait qu’un incident est bien vite arrivé. Ce n’est pas une chose qui l'effraie lorsqu’il s’agit de sa propre vie mais pour ceux qu’il aime, tout est différent. Absolument tout. Ses doigts s’enfoncent dans la chaise flanquée d’un Craine aux moments les plus périlleux de la scène quand, à ses côtés, Chloe semble plus sereine que jamais. Le noisettes de ses yeux ne lâche pas les éclairages aussi étouffants que éblouissants. « Je vais pas te proposer de faire des paris, ça sonnerait morbide, avoue. » Elle est là pour le rassurer sans même le savoir, alors il lui tend un sourire qui a tout de poli, attrapant au passage quelques grains de pop corn pour se faire poli. Lui qui a tout le temps faim par simple habitude, ce n’est pas réellement le cas en ce moment précis. Il garde encore ses yeux posés sur la scène, presque certain qu’on s’apprête à demander un médecin sur le tournage d’un instant à un autre. Rory détesterait l’entendre dire tout ça, il se contente donc de s’enfoncer un peu plus dans sa chaise alors que Chloe, elle, se redresse et se grandit.

« J'ai demandé et si t'as envie, on peut tester les câbles à saut dans le vide une fois que les scènes seront finies. » Il échappe un rire discret - pour ne pas gêner le tournage - avant de faire la même grimace qu’un enfant pris sur le fait. “Sérieusement ? Ça va pas t’attirer des problèmes ?” Il meurt d’envie d’essayer les mêmes acrobaties, bien sûr, et même s’il est loin de s’être rendu sur le tournage pour cette seule raison, maintenant il doit bien avouer que l’idée n’est plus jamais sortie de son esprit. “Enfin surtout pour vous les acteurs, je veux dire. Il m’a dit qu’une fois son contrat disait qu’il n’avait pas le droit de se couper les cheveux, peut être que t’as pas non plus le droit de jouer à Tarzan.” Il craint bien plus les répercussions pour elle que pour lui, ça va s’en dire, mais il ne veut surtout pas se faire remarquer sur les lieux d’un tournage alors qu’il n’est utile à personne, ici. Il est simplement un invité un peu trop curieux, celui qui sourit bêtement en observant les draps verts et bleus dans le fond de chaque scène, s’imaginant ce à quoi tout pourrait bien ressembler une fois sur grand écran. “Maintenant j’ai encore plus hâte qu’ils aient fini de tourner, alors.” Et ses yeux reprennent la trace de Rory. Au moins il ne jouera plus à Tarzan non plus, et ils pourront échanger les rôles pour qu’il fasse l’imbécile à sa place. Ce sera bien moins stressant comme situation.

Elle ne se sent elle-même que sur un plateau de tournage, qu’entourée d’une équipe qui joue du coude et qui se poste là où l’action se trame. Aujourd’hui, l’Action est avec un grand A et capte l’attention de tout le monde, des préparatifs jusqu’aux caméras qu’on installe et qu’on aligne. Les scènes à tourner ont tout de dangereux à la clé mais personne ne s’en inquiète tant tout le monde a son rôle à cœur au point où tout est parfaitement rôdé. Elle se complait donc à distance, de voir Rory être traîné d’un sens et de l’autre, de l’admirer entrer dans le personnage une minute pour lui tirer la langue la suivante. Il est beau, quand il joue les types sans foi ni loi. À la seconde où Swann apparaît dans les parages, elle la voit, la lueur de fierté qui brille dans le regard de son ami.

Entre deux bouchées de popcorn, elle fait la conversation, s’assure que le McGrath tient bon non sans lui envoyer un ou deux sourires rassurants entre ses blagues de gamine de cinq ans. La vérité, c’est qu’ici on ne s’autorise pas de mentionner ce qui pourrait arriver si. Il ne s’agit que d’une autre scène, que d’un autre morceau à peaufiner pour le film. Si qui que ce soit parle de malheur, on le voit automatiquement comme une malédiction et c’est là où l’équipe se rappelle les dangers, où les erreurs se portent sur le dos du stress. Ils font tous un excellent travail, ils connaissent la procédure. Ce n’est qu’une suite d’étapes et de précautions, une to-do list à suivre avec minutie, mais qu’ils maîtrisent au point où il ne s’agit que d’une routine de plus. La routine donc. De se lancer dans le vide d’un building, de faire la même d’un avion en plein vol. “Sérieusement ? Ça va pas t’attirer des problèmes ?” la routine qu’elle offre sur un plateau d’argent à un Swann qu’elle arrive à déconcentrer de ses quelques petits rictus d’inquiétude que Cohen remarque autant qu’elle ne souligne pas. « Tant qu’on met les harnais et qu’on hurle un truc marrant avant de sauter, y’aura pas de soucis. » ça fait partie des avantages de connaître chambre membre de l’équipe technique par son prénom, ça fait partie du deal quand on est dans la famille depuis assez longtemps sûrement.

“Enfin surtout pour vous les acteurs, je veux dire. Il m’a dit qu’une fois son contrat disait qu’il n’avait pas le droit de se couper les cheveux, peut être que t’as pas non plus le droit de jouer à Tarzan.” elle éclate de rire en silence, s’assurant de ne pas déranger personne lorsqu’elle se penche à la hauteur de l’oreille de Swann pour poursuivre du même air. « Oh ouais, ça c’était parce que le réalisateur était un gamin qui voulait tester un nouveau style de latex pour faire des effets glauques à la caméra. » un gamin qui avait bien fait de prendre position d’ailleurs, parce que le résultat était impeccable et qu’aujourd’hui encore on parlait de la plastique parfaite des effets spéciaux que le petit caprice avait amené. “Maintenant j’ai encore plus hâte qu’ils aient fini de tourner, alors.” sans aucune surprise, Swann la suit dans sa folie alors que devant leur yeux, Rory s’élance de nouveau dans la sienne.

« Il lui reste encore deux autres cascades à faire. » elle a l’air de ne faire que la conversation Chloe, quand au final elle apporte des informations cruciales pour que la respiration de l’anglais retrouve un rythme normal. « Après celle-là, ils vont lui demander de reprendre la scène de bagarre sur les ailes de l’avion. elle prend le temps de constater la liste des scènes à tourner sur le script à distance d’un coup d’œil, gardant ses doigts collants de beurre et de sel loin du scénario et des feuilles à abimer.  «  Et après ils le mettent en feu. Mais genre deux minutes à peine. » ouais, bon, pour le rassurer c’est selon. Mais au moins là il aura un heads up sur la suite des choses et pourra s’y faire concrètement.

La question de l’anglais aurait pu être interprétée comme de la peur quand, au final, c’est loin d’être ce qui l’anime. Il a peur de bien des choses en réalité, la question ne se pose même pas, mais sauter dans le vide en hurlant un truc stupide juste avant, cela ne fait pas parti de cette liste là. Dès qu’on peut ajouter la moindre once d’adrénaline à l’équation alors il est le premier partant, celui qui veut toujours tout tester sans réellement s’attarder sur les conséquences de ses actions. Il le fait seulement pour les autres comme il vient de tâter le terrain avec Chloe, là, juste là, simplement pour s’assurer qu’elle ne risque pas de prendre aucun blâme. Réponse négative oblige, il arbore désormais le plus tendre des sourires enfantins ; ceux dont la simple présence nous informe qu’une idée stupide a naquit dans leurs cerveaux. « Il lui reste encore deux autres cascades après celle-là. » Il a peu à peu appris à associer une certaine durée de temps à des informations comme celle-ci. Avant, il se serait contenté d’hocher la tête en silence sans oser poser la moindre question, ne voulant déranger personne. Aujourd’hui, il se sent presque à sa place. Il sait bien que ce n’est pas exactement son monde et que cela ne le sera jamais, mais il s’y est plutôt bien accommodé à vrai dire - si on omet le fait qu’il referme nerveusement ses poings à chaque nouvelle cascade de son petit-ami.

Les informations s’accumulent et bien qu’il écoute son amie d’une oreille attentive, il ne rate pas une seule miette de la scène tournée face à lui. « Après celle-là, ils vont lui demander de refaire la scène de bagarre sur les ailes de l’avion. » Swann en a entendu parler de nombreuses fois, il a vu Rory la réviser et l’apprendre. A sa manière, il a l’impression de participer au film lui aussi. Il ne sera jamais crédité nulle part - et tant mieux - mais il en gardera de précieux souvenirs. Il est vieux jeu, parfois, c’est bien vrai. «  Et après ils le mettent en feu. Mais genre deux minutes à peine. » Dramatiquement, la tête de l’anglais se retourne vers elle, ses sourcils menant une danse improvisée et chaotique, ne sachant trop s’ils peuvent montrer leur désarroi ou non. “Quoi ?” Le murmure est étouffé. Il aurait prononcé ce simple mot sur un ton plus proche d’un cri, si jamais il en avait eu la possibilité. Cette partie là du film, il n’a jamais vu Craine la réviser - ou en tout cas pas avec le feu, puisque là est tout le danger, donc. “Je pensais qu’ils rajoutaient les flammes et tout ça en post production.” Ça aurait dû être une question mais désormais il n’est pas certain de vouloir en entendre la réponse, raison pour laquelle il n’ajoute pas de “non ?” qui aurait sonné pathétique. La seconde qui suit, il revient poser son dos contre le fauteuil et ses doigts s’accrochent au dossier. Dans son esprit défile la liste de toutes ces stars qui ont frôlé la mort de peu sur les plateaux, le genre d'articles qu’on lit entre deux autres sans ne jamais y porter d’importance. Pour lui ça en a beaucoup, de l’importance, bien plus qu’ils ne peuvent tous s’en douter. “C’est quelque chose que t’attends ou que tu crains, les scènes comme ça ?” Selon la réponse, il promet de faire taire son inquiétude. Sinon, il va sans aucun doute préférer sortir du hangar de tournage pour réellement penser à autre chose.

“Quoi ?” elle savait bien, qu’elle devrait le lui annoncer avant qu’il ne le voit de ses yeux. Pour éviter que justement, à ce moment-là, Swann se retrouve avec la même expression aussi horrifiée que contrôlée de tatouée sur son visage de porcelaine d’anglais fraîchement débarqué en terre australienne. “Je pensais qu’ils rajoutaient les flammes et tout ça en post production.” « D’habitude, ouais. » il a bien fait ses devoirs, le McGrath. Il écoute et il est attentif, il prend le temps de décortiquer chaque élément du moment où il traîne avec elle ou avec Rory sur les plateaux. Et c’est tout à son avantage ; Chloe adore les gens qui prennent en considération les détails, qui sont minutieux et pour qui même les plus petites bribes ne sont pas laissées pour compte. « Mais on est tombés sur une réalisatrice hyper attachée aux vrais effets, du coup la grande majorité des flammes vont être réelles. » elle ne le dit pas sous forme de reproches, bien au contraire. C’est qu’elle se considère comme une puriste Cohen, du plus loin dont elle se souvienne. Elle déteste devoir jouer avec des silhouettes qui seront changées et optimisées à l’ordinateur ensuite. Elle le fait, bien sûr, et du mieux qu’elle peut, mais n’en reste que plus les méthodes sont réalistes plus elle l’est elle aussi.

Les cascades se filment et avancent. Décortiquées, elles n’ont l’air de strictement rien et sont lassantes même, à force. Pourtant dès la seconde où l’équipe au montage se mettra les mains là-dessus, la magie aura tôt fait de venir s'inviter à travers les dizaines de centaines de pellicules brûlées aujourd’hui seulement. “C’est quelque chose que t’attends ou que tu crains, les scènes comme ça ?” une bouchée de popcorn pour lui, et une pour elle. Le changement de scène est en cours, on apporte la veste de Craine qui sera immolée sous peu. « C’est quelque chose d’incroyable, déjà. » alors elle l’attend, et alors elle la craint aussi. Il s’agit d’un parfait mariage entre l’amour et la haine, entre la terreur et l’excitation. C’est probablement leur dopamine à eux tous, ici. « On sait que tout va bien aller, y’a des dizaines de personnes sur le plateau engagées juste pour que rien ne sorte du plan original. » à nouveau, elle glisse tout ce qu’elle peut autant dans ses mots que dans son coup d’œil vers Swann pour le rassurer. Vaut mieux trop que pas assez. « Mais le petit stress qui vient juste avant, et l’adrénaline d’après, ça a pas de prix. » ce qu’il ressentira donc, lui aussi, dans quelques minutes quand le set sera libre et qu’ils pourront grimper tout là-haut pour se lancer dans le vide, le plus heureux et le plus gamins possible.

« Regarde-le, notre parfaite petite torche humaine. » parce qu’il s’agit là du clou du spectacle, lorsque les dites équipes engagées pour que tout se passe bien s’étalent autour de Rory. Une partie se chargeant des flammes, l’autre de la caméra et la troisième arrivant à la toute dernière seconde pour s’assurer d’éteindre le feu en bonne et dûe forme.

« Mais on est tombés sur une réalisatrice hyper attachée aux vrais effets, du coup la grande majorité des flammes vont être réelles. » Ça alors, quelle chance. Qu’il aurait voulu ironiser en accompagnant le tout d’un rire nerveux. C’est le métier de tout le monde ici de s’assurer que tout se passe bien et il n’a même jamais assisté à aucun accident de tournage mais le simple fait de savoir que ce genre de chose existe suffit à le rendre nerveux, plus encore alors que c’est une personne à qui il tient bien plus que de raison qu’il risque d’arriver malheur.

« C’est quelque chose d’incroyable, déjà. » Ouais et surtout c’est pas la question ça, Chloe. Peur ou excitation ? Qu’est ce qui l’anime le plus avant d’entrer en scène et tout particulièrement lors de scènes comme celle-ci, celles qui se démarquent à bien des niveaux. « On sait que tout va bien aller, y’a des dizaines de personnes sur le plateau engagées juste pour que rien ne sorte du plan original. » Sous sa langue il retient la liste non exhaustive de tous les acteurs qui se sont blessés sur un tournage et même ceux qui y ont perdu la vie. Encore heureux que ce ne soit pas un film de magie où ils aient à jouer le tour de la cuve d’eau de laquelle le magicien doit s’extirper. Autant dire que cela ressemblerait fortement au pire des cauchemars de l’anglais à fleur de peau. « Mais le petit stress qui vient juste avant, et l’adrénaline d’après, ça a pas de prix. » Ces paroles là, pourtant, il ne peut que les comprendre. Sa vie doit sembler bien monotone en comparaison mais à chaque fois avant de rentrer sur le terrain, il ressent la même chose. Tout le monde est excité, le public est présent et l’issue du match n’a rien de jouée. Tout est à faire, tout est à créer et c’est le moment pour lui de faire ses preuves. Cela ressemble sans doute un peu à ce que font les acteurs aussi, au fond. Les points de comparaison ne sont pas nombreux mais ont au moins le mérite d’exister.

« Regarde-le, notre parfaite petite torche humaine. » Lui aurait préféré qu’elle ne continue pas après le “parfait” et ce serait un terme qu’il aurait assimilé à l’australien sans même avoir à forcer le trait mais Chloe ne semble pas se contenter de cela. Pourtant il ne ferme pas les yeux pour autant et les garde au contraire bien ouverts, s’assurant que chaque membre de l’équipe de tournage s’occupe de bien faire son travail - surtout une fois le feu allumé. Son rythme cardiaque s’accélère subitement et il s’en veut d’être aussi à cran et aussi émotif alors qu’il n’a aucune raison de l’être justement, Chloe lui ayant assuré un bon millier de fois qu’il n’y avait là aucune raison pour que quoi que ce soit se passe mal ou ne dérape. “La Torche, ça sonne plutôt cool comme nom de scène. Il est prêt à jouer un super héros maintenant.” Il rigole enfin, l’anglais qui a repris des couleurs (façon de parler puisque son teint se rapporte éternellement à celui des morts). “C’est quoi le temps politiquement correct à attendre pour pouvoir profiter du décor ?” Parce que s’il y a bien une chose dont il est certain c’est qu’ils n’ont pas le droit de faire joujou avec le plateau ; surtout pas elle et sa valeur monétaire et lui, l’ami un peu trop encombrant sur les plateaux. “Maintenant j’ai envie de retourner dix ans en arrière et dire à mes professeurs que je veux être cascadeur.” Il aurait vraiment pu l’être, en réalité, s’il n’avait pas eu ce besoin viscéral de se sentir utile aux autres. “Par contre si tu manges un seul pop corn de plus je fais passer ta mort pour un accident.” Il éclipse son sourire une seule seconde avant de ne déjà plus être capable d’être faussement sérieux. La nourriture, toujours la même rengaine.

“La Torche, ça sonne plutôt cool comme nom de scène. Il est prêt à jouer un super héros maintenant.”
« Lui donne pas des idées, je sais pas si je suis prête à être pote avec une vedette de blockbusters. »

Elle fait comme si c’était le pire scénario du monde, que Rory devienne un de ces grands acteurs qu’on voit sur les posters en tout aussi grands formats. Elle qui se nourrit de cinéma indépendant et de réalisateurs obscurs, elle qui finalement laisse un sourire se nicher sur ses lèvres tant le simple fait de savoir Craine entre les mains des stars du domaine la rendrait fière, heureuse. Ouais, elle passerait des heures à tout critiquer, à être la pire des hipsters en devenir rien que pour défendre des points de pacotille. Mais au final, ce n’est que ça qu’elle vise pour lui. Son étoile sur le walk of fame ; il la mérite.

Il la mérite encore plus quand le studio de tournage en entier sent les cheveux brûlés et l’essence enflammée. “C’est quoi le temps politiquement correct à attendre pour pouvoir profiter du décor ?” l’équipe n’attend pas elle, s’affairant à rapatrier les pièces de la cascade pour déjà passer à un autre plan dans une toute autre localisation. Ce qu’il y a de bien avec les gens qui bossent sur le film, c’est qu’ils sont tous hyper indépendants les uns des autres, qu’ils savent exactement où et quand se poster, et que leur chorégraphie semble aussi bien calculée que s’ils étaient tous des chirurgiens occupés à opérer à cœur ouvert. « On traîne trop déjà, notre place va être prise dans deux secondes si on se bouge pas. » Cohen elle, le presse, se levant de son siège et l’incitant à faire de même dans un rire et un coup d’œil renvoyé aux alentours pour s’assurer que l’équipe attitrée aux cascades les attend avant de plier bagages.

“Maintenant j’ai envie de retourner dix ans en arrière et dire à mes professeurs que je veux être cascadeur.” « Si tu savais ; la majorité a fait des études dans des tas de trucs différents. Lui, il devait bosser dans la construction. » du doigt, elle en pointe un et un autre, évitant de dire qu’elle a eu l’autorisation du saut en mentant effrontément et en disant que oui, oui, Swann était cascadeur aussi et qu’il avait toutes les connaissances nécessaires pour bien faire son saut de l’ange. Oups. “Par contre si tu manges un seul pop corn de plus je fais passer ta mort pour un accident.” le pop corn qui reste s’envole vers lui quand elle se dépêche de monter deux par deux les escaliers de la station, lui lançant des grains à chaque marche, d’un regard par-dessus l’épaule de plus. Elle se sent toujours repasser en enfance quand Swann est dans les parages, tant il est foncièrement gentil, mais surtout toujours prêt à participer à ses conneries.

« Tu vas crier quoi? » ils leur mettent les harnais, elle relève ses cheveux le temps de sourire de plus belle. « Tu vas penser à qui? » l’adrénaline fait faire de bien drôles de choses. Et si elle sait clairement à qui il va penser lorsqu’il sautera, elle n’attend pas sa réponse pour s’élancer elle-même la première vers le saut de l’ange.

« On traîne trop déjà, notre place va être prise dans deux secondes si on se bouge pas. » Il n’a pas besoin de plus pour se lever aussitôt de son siège et déjà se faire mille scénarios dans lesquels ils ont à leur tour le droit de jouer avec le feu - ah, ah, le jeu de mot, vous l’avez hein ? Chloe en tête, il la suit sans un mot de plus pour qu’ils ne se fassent pas prendre par l’équipe de tournage. Swann aimerait bien dire qu’il n’agit que dans le but de ne pas mettre Rory dans l’embarras, mais force est de constater qu’il a tout de même pour habitude de suivre à la règle ce que les personnes d’autorité lui dictent.

« Si tu savais ; la majorité a fait des études dans des tas de trucs différents. Lui, il devait bosser dans la construction. » Et s’il n’aimait pas autant le métier qu’il faisait, Swann aurait demandé à se faire embaucher sur le tournage illico presto, sans savoir s’il était supposé avoir des diplômes ou quoi que ce soit dans le genre. Ses yeux dérivent même un temps vers l’homme qu’elle a pointé du doigt et même s’il ne connaît pas le nom de ce dernier, il est au moins heureux d’en connaître son parcours. Un jour, il espère qu’il pourra assez connaître tout le monde sur le plateau pour que Rory n’ait pas à utiliser des dizaines de périphrases pour désigner chaque personne se rapportant aux anecdotes qu’il lui conte. Un objectif comme bien d’autres.

Les pop-corn ont volé jusqu’à lui et pour peu, elle vient de planter tout un champ en quelques minutes. Il a le souffle court à force de vouloir monter les marches trois par trois si elle elle va de deux en deux, en même temps qu’il lui racontait n’importe quoi. De là-haut, le plateau de tournage est encore plus impressionnant. De là haut, il a plus encore envie de sauter et de faire la totale, comme d’autres ont montré l’exemple avant lui. « Tu vas crier quoi? » Le harnais ressemble à un casse-tête tellement il faut le passer devant et derrière les cuisses, et autour de la taille, et sur les épaules, et qu’il faut serrer le tout et blablabla, laissez le sauter. “Geronimo. C’est Le Docteur qui dit tout le temps ça. Enfin un des docteurs, parce que y’en a plusieurs. Bref.” Ouais, personne ne le comprend quand il parle de Doctor Who en dehors de l’Angleterre et ce n’est pas le Commonwealth qui peut sauver grand chose à ce sujet. « Tu vas penser à qui? » Le sourire qui s’ensuit est large, niais, et impossible à cacher. “Me petite-am - oh.” Et apparemment elle s’en moque, donc, parce qu’elle a déjà sauté dans le vide et qu’elle lui a grillé la priorité par la même occasion, la fourbe. Maintenant qu’il est tout seul face au vide, au moins, il n’a plus à mentir. C’est le prénom de Rory qu’il laisse échapper doucement d’entre ses lèvres, souriant désormais dans le vide pendant une seconde avant de se laisser tomber sans même avoir y à penser plus longtemps. Le besoin d’adrénaline est toujours le même.

“Ok, faut payer qui pour pouvoir refaire ça à l’infini ?”