Il aurait pu prétendre se présenter dans le bureau d’Hannah Whitemore entre deux de ses rendez-vous ou s’asseoir à sa table à la cafétéria de l’hôpital sans pour autant engager de conversation anodine qui ne le serait pas réellement. Il pourrait, mais il a opté pour une autre approche, une stratégie différente, une que sa femme lui reprocherait parce qu’elle est trop “brute de pomme”, une qu’elle aurait tenté de supplanter par l’un de ses brillants conseils, à condition qu’elle cesse de lui tirer une tête de six pieds de long. Depuis leur aménagement sur Brisbane - un mois, déjà - il a plus souvent droit à l’image qu’au son et, pour cause, elle ne digère pas d’être forcée de recommencer sa carrière ailleurs, tout comme lui, avec le désavantage d’être jeune mère pour le moment écartée. Comme si c’était sa faute, au jeune oncologue. Il lui a proposé de faire garder Alex par une nounou : elle n’a pas voulu l’entendre. Il a suggéré de l’inscrire dans une crèche, évoquant l’argument qu’il se sociabilisera davantage : elle a levé les mains au ciel. Que peut-il fait de plus ? Sacrifier ses projets ? Il en est hors de question. Ce n’est pas dans l’ordre des choses. Ce n’est pas un sentier qu’il aurait tracé sur son chemin de vie. Ce n’est pas le modèle familiale qu’il tire des Rhodes . De son vivant, son père a toujours travaillé. C’est sa mère qui a mis sa carrière de côté pour prendre soin de sa marmaille. Lui, il n’en demande pas tant à son épouse. Toutefois, il ne comptera pas parmi les éventuels précurseurs d’une révolution de genre dans la société. Quel genre de fils ferait-il s’il se détournait de sa voie ? Quelle image son miroir lui renverrait-il ? Depuis sa dernière visite à sa dépressive de maman, il n’aime plus vraiment son reflet tant il réalise que pour ses rêves, il a abandonné le navire à Jules. Nul besoin de préciser qu’il n’a pas besoin que Marsh alourdisse sa note dès lors qu’il tente de redorer son blason. Aussi, a-t-il tu les tenants et les aboutissants de son entreprise. Elle est simple : débusquer Whithemore pendant sa garde - sa pause, de préférence - lui offrir un café, reconnaître ses torts sur le cas qui les a opposés - du moins essaiera-t-il - et profiter qu’elle sera joie pour lui réclamer un service, un qui lui en vaudra au moins trois en contrepartie. Pour ce faire, il l’a débusquée dans la salle de repos à dix-neuf heures tapantes et imbu de lui-même, il a mis à exécution son plan manipulation. « Whitemore, tu tombes bien, je te cherchais. Je t’ai pris un café. Je ne savais pas si tu le bois sucré ou non, donc… j’ai de quoi faire dans mes poches. Remarque, je ne sais ps si tu en bois tout court, mais tu sais ce qu’on dit : c’est l’intention qui compte. » l’a-t-il abordée, tout sourire, quoiqu’il sonne faux. Il y a quelque chose, chez cette jeune femme, qui lui tape sur le système. Elle l’horripile, mais il est incapable de déterminer ce qui le dérange tant. sauf qu’il a besoin d’elle. Il fait donc l’effort. Il s’emploie à se montrer sous son meilleur jour, autrement dit, le moins condescendant possible. « Bientôt fini pour aujourd’hui ? D’ici quoi ? Une heure ? Tu es attendue quelque part ? J’aurais aimé qu’on feuillette le dossier de l’autre fois… ça te dirait ? » a-t-il lancé, priant pour susciter en elle de la curiosité ou pour le moins le désir de lui rabattre son caquet, d’étaler sa science, de pointer du doigt qu’il a commis une erreur de jugement.
Dernière édition par Edward Rhodes le Jeu 19 Nov 2020 - 10:42, édité 1 fois
Débordée, Hannah l’était constamment. C’était en grande partie de sa faute, tout simplement parce qu’elle était incapable de refuser de rendre un service et que se surcharger de travail était, à ce stade, devenu une règle de vie plutôt qu’une simple passade professionnelle. Cela lui permettait de rester constamment active et surtout, de se rendre indispensable – car là était le but, avant toute chose. A partir du moment où la réponse au problème s’appelait Whitemore, la brune estimait que toutes ces heures supplémentaires avaient payé. Une belle théorie sur le papier mais qui devenait un rien plus compliquée à mettre en œuvre lorsqu’elle se retrouvait à jongler avec une surcharge de travail donnée par l’université à l’approche de la fin de l’année. Encore deux ans à tirer, et elle serait enfin libérée de toute cette pression – en théorie, encore une fois. Pour l’heure, la jeune femme profitait d’une pause pour se plonger dans la relecture d’un travail qu’elle devait rendre la semaine suivante et pour lequel elle ne voulait pas demander le moindre délai. Cela faisait couramment à l’université, mais le médecin avait toujours mis un point d’honneur à toujours tout faire en temps et en heure, il suffisait simplement de s’organiser et… de vivre des journées de 48h. Rien de bien compliqué, donc. Dans un soupir, la brune passa une main fatiguée sur ses yeux dénués de maquillage avant de jeter un œil à l’horloge murale, réalisant qu’il était déjà dix-neuf heures. Plissant les lèvres, elle replongea dans sa lecture, rapidement dérangée par le bruit de la porte qui s’ouvrait à la volée sur Edward Rhodes en personne. Quelle chance. « Whitemore, tu tombes bien, je te cherchais. Je t’ai pris un café. Je ne savais pas si tu le bois sucré ou non, donc… j’ai de quoi faire dans mes poches. Remarque, je ne sais ps si tu en bois tout court, mais tu sais ce qu’on dit : c’est l’intention qui compte. » Hannah releva un sourcil dubitatif dans sa direction, analysant d’abord son sourire forcé pour ensuite reporter son attention sur le café fumant qu’il tenait dans ses mains et qui semblait être à son intention. « Ce serait bien la première fois que tu penses à m’apporter du café Rhodes, tu as besoin de quelque chose ? » Perspicace, elle l’était. Leur relation professionnelle était courtoise, certes, mais ils n’en étaient tout de même pas à penser à l’autre en passant devant l’une des machines à café de l’hôpital. Cela dit et même si ça lui faisait mal de l’admettre, le brun tombait à pic. La fatigue gagnait du terrain et le remède, il l’avait entre ses mains. « Avec un sucre, s’il-te-plaît. » Ajouta-t-elle finalement, presqu’à contre-cœur, avant de pencher la tête sur le côté, attendant qu’il lui avoue la raison de sa présence dans cette salle qui n’avait rien de fortuit, elle en était persuadée. Il traînait d’habitude dans les salles de pause de son étage et se mêlait rarement aux autres services. Cela ne faisait pas très longtemps qu’il travaillait au St Vincent, mais suffisamment pour que la brunette se soit fait une opinion sur la question. « Bientôt fini pour aujourd’hui ? D’ici quoi ? Une heure ? Tu es attendue quelque part ? J’aurais aimé qu’on feuillette le dossier de l’autre fois… ça te dirait ? » Refermant avec fermeté son ordinateur portable, le médecin croisa les mains en observant attentivement Edward, sans ciller. « Qu’est-ce que tu veux trouver là-dedans ? Un détail qui t’aurait empêché de te tromper ? » Elle haussa un sourcil amusé, provoquant sans la moindre hésitation l’égo qu’elle jugeait surdimensionné de son interlocuteur. Ce dossier leur avait valu de longues prises de tête et bien trop d’énergie qu’elle aurait pu déployer ailleurs, si ce n’était pour son entêtement exaspérant.
Certes, elle avait l’air occupée, mais Edward s’en tracassa à peine. N’est-ce pas la salle de pause ? Son nom n’indique-t-il pas que le travail est proscrit dans cette pièce aménagée pour que chacun puisse se détendre et alléger ses épaules de la pression qui règne à l’hôpital ? Tous ici en souffre. Certains le cachent mieux que d’autres, mais Whitemore semble de ces médecins qui la supportent mieux et, qui plus est, non contente de cumuler les heures, elle donne l’impression de prendre un plaisir malin à charger son dos de plus de poids encore. Serait-il honnête, Rhodes, il admettrait qu’il retrouve en elle les traits de caractères qui ont plus à sa femme, ceux qu’ils partagent par ailleurs. Or, il est trop fier, le futur oncologue. Bien trop pour s’installer à la table de la jeune femme, deux cafés à la main, sans détester d’avoir à montrer patte blanche. Il a un service à lui réclamer. Il a besoin d’elle pour vérifier la thèse de Diana : sa mère est insauvable. Il a besoin d’un avis extérieur, et par conséquent, objectif, une opinion non biaisée par son statut de fils. Mais, Dieu que ça lui coûte. Edward, il tire seul les épines de son pied. Il n’a jamais eu besoin de personne jusqu’ici. L’expérience est désagréable et la condescendance d’Hannah n’arrange rien à sa frustration. Il l’amplifie au point qu’il envisage sérieusement de la renvoyer dans ses buts avant de se raviser. « C’est une première, c’est vrai. » Et il ne garantirait pas que ça ne sera pas la dernière. C’est d’autant plus vrai qu’elle vise dans le mile de ses intentions. Pour peu, elle l’aurait déstabilisé. Le cas échéant, il esquisse un sourire qui en dit long, plus long qu’il ne l’aurait souhaité, amusé par la perspicacité de son interlocutrice. Elle est douée, Hannah Whitemore. Sa réputation la précède : il n’attendait pas d’autres réactions de sa part, si bien qu’il se discipline pour ne pas se braquer dès lors qu’elle fanfaronne. Il se moque d’ajouter lui-même du sucre dans son gobelet de café. Il se fiche bien d’être plus serviable qu’à l’accoutumée avec toute personne qu’il juge horripilante. En revanche, qu’elle insiste sur une erreur qui ne peut lui être directement imputable, ça l’agace. « Je te trouve dure avec moi. Je n’ai fait qu’appliquer les ordres et, si tu savais lire les résultats d’un IRM, tu aurais constaté par toi-même qu’elle était cachée, cette tumeur. Peut-être que c’est ça que j’ai envie de trouver dans ce dossier. Démontrer que c’est un coup de chance » a-t il lancé, sans la toiser, mais sans la perdre du regard pour autant. Il la détaille pour chercher la faille et pour également jauger de son sens de l’humour. Bien sûr, s’il taquine bel et bien, la raillerie est maladroite. Le ton utilisé laisserait volontiers sous-entendre qu’il est mauvais joueur et, sans doute aurait-il pu l’être s’il était convaincu que la faute dans le diagnostic ne relevait pas de la responsabilité de son référent. N’a-t-il pas attiré l’attention sur ce que les symptômes éloignaient le patient du service de psychiatrie ? N’a-t-il pas souligné, s’attirant par les foudres de son résident trop sûr de lui, que les hallucinations aussi effrayantes sont médicamenteuses et rarement psychotiques ? D’après lui, il est blanc neige dans toute cette histoire. Si Hannah avait assisté à la scène dans sa globalité, elle le reconnaîtrait au lieu de le prendre de haut. « Ok ! Ce que je veux bien admettre, c’est que c’était une mauvaise approche, Whitemore. J’ai effectivement besoin de toi. J’ai besoin de ton avis…. et comme ça concerne la mère d’un ami, qui n’est pas ta patiente, j’ai pas envie de demander à n’importe qui. » C’était, à peu de chose près, ce qui se rapprochait le plus d’un compliment venant de sa part. « C’est personnel et important pour moi. Tu crois que tu aurais deux minutes pour jeter un coup d’oeil au dossier médical ? » s’enquit-il en buvant une gorgée de son café. Il le prend noir, sans sucre : il aime l’amertume au goût, pas dans ce genre de situation où il a l’impression que son humeur dépend de quelqu’un d’autre.
La présence d’Edward ici, armé d’un café de surcroît, devait forcément être animée par une volonté bien précise, du moins en était-elle persuadée. Et la brune n’hésita pas à pointer cette incohérence dans son comportement, juste histoire qu’il sache qu’elle n’était pas dupe, quoiqu’il essaie de trouver en se perdant dans une salle de pause où il ne traînait jamais d’ordinaire. « C’est une première, c’est vrai. » Ce qui ressemblait à un gage de paix avait pris la forme du graal aux yeux de la brunette qui sentait la fatigue s’accumuler et l’empêcher de poursuivre la tâche qu’elle s’était fixée comme un but à atteindre avant de rentrer chez elle. Alors, elle accepta en faisant fi des sentiments mitigés que le brun lui inspirait depuis son arrivée à l’hôpital, guidée par la curiosité et l’envie de découvrir les desseins qui se cachaient derrière ce ton affable qui changeait de leurs échanges précédents. Elle l’observa remplir son café de sucre, presque religieusement, avant de le lui tendre et d’en venir à ce qu’elle pensait être le vif du sujet ; ce fameux dossier, source de la discorde qui régnait entre eux. Il pensait qu’il s’agissait d’un cas psy, elle était persuadée du contraire. La science avait fini par étayer sa théorie à elle, mais les nombreuses discussions qu’ils avaient eues à ce sujet avaient mises à mal la relation professionnelle qu’ils venaient seulement d’entamer. « Je te trouve dure avec moi. Je n’ai fait qu’appliquer les ordres et, si tu savais lire les résultats d’un IRM, tu aurais constaté par toi-même qu’elle était cachée, cette tumeur. Peut-être que c’est ça que j’ai envie de trouver dans ce dossier. Démontrer que c’est un coup de chance » Hannah haussa un sourcil, s’efforçant de ne pas réagir à ce qu’elle prenait pour une attaque déguisée. Le ton employé était celui de l’humour – à peine – mais s’engager sur cette pente n’était guère une bonne idée face à elle. La psychiatrie était souvent regardée de haut par ses collègues et beaucoup semblaient oublier qu’elle aussi avait fait médecine, tout comme eux. Est-ce que Rhodes faisait partie de ce groupe ? La question se posait, mais une part d’elle aurait été déçue que ça soit le cas. « Cachée ou pas, les signes étaient plutôt révélateurs. Mais si tu y tiens tellement, allons-y… » Lança-t-elle finalement en pointant du doigt la chaise qui lui faisait face, prenant sur elle pour ne pas foncer droit dans le piège de l’impulsivité en rebondissant sur cette histoire d’IRM. « Ok ! Ce que je veux bien admettre, c’est que c’était une mauvaise approche, Whitemore. J’ai effectivement besoin de toi. J’ai besoin de ton avis…. et comme ça concerne la mère d’un ami, qui n’est pas ta patiente, j’ai pas envie de demander à n’importe qui. » La brune avala péniblement une gorgée encore brûlante en relevant les yeux sur lui, surprise d’entendre que ce dossier n’était qu’un leurre et qu’il y avait effectivement autre chose. Un avis ? Lui qui n’avait pas hésité à sous-entendre un manque de professionnalisme de sa part, il lui demandait à présent un avis officieux ? Le médecin plissa les lèvres, se radoucissant bien malgré elle. Le compliment avait fait mouche, puisqu’il ne venait pas de n’importe qui. « C’est personnel et important pour moi. Tu crois que tu aurais deux minutes pour jeter un coup d’oeil au dossier médical ? » Personnel et important, rien que ça. L’hésitation ne dura que quelques secondes, mais son instinct naturel ne tarda pas à reprendre le dessus. Il lui était impossible de refuser un service et même si elle ne portait pas vraiment Edward dans son cœur, elle sentait tout de même qu’il était aux abois. Suffisamment pour s’abaisser à venir la trouver et lui amener un café, ce qui pouvait être considéré comme des excuses, si on allait chercher très loin. « Fais voir. » Lança-t-elle finalement en tendant la main pour attraper le dossier, repassant une main sur ses yeux afin d’y voir plus clair. Sans prononcer le moindre mot supplémentaire, elle se plongea dans sa lecture, étonnée de voir que plusieurs éléments liés à l’identité du patient étaient effacés. A croire que la protection de sa vie privée était un point essentiel, à tel point que certains points importants manquaient à l’appel. « Est-ce qu’elle a déjà été traitée par quelqu’un ? Avec des médicaments, je veux dire. » Précisa-t-elle en faisant glisser le dossier vers le brun, en ayant lu suffisamment pour se faire une opinion sur le sujet. « Avec les éléments que tu me donnes, je peux simplement te dire qu’il s’agit de signes indiquant une dépression sévère. J’ignore si elle est sous traitement ou si elle l’a été, parfois un simple ajustement peut aider… » Elle fronça les sourcils en voyant à quel point Edward buvait ses paroles ; c’était vraiment si personnel ?
Il s’était promis de l’aborder avec délicatesse et sans arrogance. Lorsqu’on se présente auprès d’un confrère somme toute brillant et peut-être légèrement plus susceptible que la moyenne du fait d’être né du mauvais côté de la barrière, on avance à pas de loup. On ne taquine pas en laissant planer un doute sur ce qu’il s’agit bien d’une plaisanterie et non d’une attaque à peine dissimulée. On ne tend pas non plus un bâton pour se faire battre. Or, en évoquant le dossier de la discorde, il ne s’y prend pas seulement comme un manche, il trahit surtout ses propres serments. En toute franchise, il se serait guère étonnée si elle s’était infiltrée dans la brèche pour se défendre d’une fausse accusation et filer un coup de pied dans les échasses sur lequel il s’est perché, Edward. Honnêteté serait d’admettre qu’il a confondu sûreté et précipitation sur le cas de la tumeur cérébrale. Il est néanmoins trop fier, beaucoup trop pour agiter une second foulard blanc sous son nez. A quoi prétendra-t-elle si ça se reproduisait ? (Il veillera que ça n’arrive plus d’ailleurs). Des fleurs ? Des chocolats ? Aucun doute qu’il ne s’infligera pas de telles attentions et moins encore à réviser ce satané cas maintenant qu’elle l’invite à s’asseoir et qu’il prend place. Certes, il n’avait pas prévu de dévoiler le pot aux roses aussi vite. Toutefois, il préfère s’y coller sur le champ que de s’appesantir à nouveau sur cette erreur. Il a déjà fait son mea-culpa envers lui-même. Il en a tiré la dure leçon qu’à se montrer trop sûr de lui, il tend à devenir son pire ennemi. Il n’en rajoutera pas une couche au profit d’oreilles jubilatoires. Dès lors, il clôt ce débat-là pour en ouvrir un autre, un qui le tient à cœur, si personnel - ce qu’il ne cache pas contrairement à l’identité de sa mère - que le ton change. Il n’est pas plus sympathique. Il est simplement moins présomptueux et ça paie. Hannah se radoucit et, lui, gorgé d’espoir, il lui confie ce pan de son histoire, pan sur lequel jamais il ne s’épanche. «Merci. » a-t-il sougglé d’emblée, plus reconnaissant que poli, alors qu’elle compulse les papiers. Les pupilles de son interlocuteur sont suspendues aux lèvres de sa confrère. Il attend le verdict tel un futur condamné à mort qui craint sa sentence. Il est nerveux, Ed. Il sait que rien ne justifie l’internement. Il sait ou, tout du moins, il s’en doute. « Elle est suivie depuis des années. On lui a prescrit tellement de traitements différents et les psys lui ont ajusté tellement de fois qu’elle pourrait servir de cobaye ou être une véritable encyclopédie si elle était lucide plus de deux heures par jour...Et encore, je suis gentil.» a-t-il précisé, loin d’être convaincu qu’il ne grossit pas le trait. « Est-ce que tu vois quelque chose là-dedans qui pourrait justifier qu’elle ne reste plus seule chez elle ? » poursuit-il, rattrapé par un sentiment de culpabilité qui ne lui ressemble pas. Cautionnera-t-il, son père ? Serait-il fier de son fils ? De là où il est, l’est-il alors qu’il cherche l’assentiment d’un psychiatre pour faire enfermer la femme de sa vie ? Celle qu’il a laissée derrière lui, au même titre que ses enfants, et sur lesquels ils veillent depuis l’au-delà ? Peu de chance. Son rôle aurait été de rester à Brisbane et d’essayer de la sauver. C’était celui qu’il lui aurait conseillé de saisir à bras-le-corps ou celui qu’il aurait endossé lui-même, Alexander Rhodes. Et que fait-il, Edward ? Il triche. Il ne cherche pas des réponses, il souhaite créer de bonnes raisons en faveur de l’enfermement. « Qu’est-ce qu’il faudrait pour qu’elle soit réputée incapable, histoire que mon pote lui faire ce qui est le mieux pour elle ? » Laquelle de ses frasques, parmi toutes celles dont elle s’est rendu responsable, maintiendrait sous bonne garde sa mère au point que peut-être un miracle survienne ?
Hannah était étonnée que son choix se porte sur elle, parmi tout le personnel médical présent dans l’aile psy, de part la mésentente qui s’était infiltrée dans leur relation peu après l’arrivée du brun au St Vincent. La réputation d’Eward le précédait également, mais l’air suffisant qu’il portait en permanence sur son visage avait tôt fait d’agacer la jeune femme, d’autant plus lorsqu’il était venu ramener sa science sur un cas où le désaccord s’était très vite dessiné entre eux. Il se servait désormais de ce dossier comme d’une manière de l’aborder, ce qui était extrêmement maladroit compte tenu de la tension qui régnait depuis lors. Mais la brunette devina rapidement l’importance de ce qu’il avait réellement à lui demander et elle fit l’impasse sur son ressenti pour revêtir le masque de professionnalisme qui incombait en ces circonstances. « Merci. » Elle lui adressa un sourire crispé qui signifiait que ça n’était rien – alors que si, parce qu’il venait de la déranger en plein travail sans même se soucier de l’importance de ce qu’elle était entrain de faire, mais que ses grands principes la poussaient à enterrer la hache de guerre puisqu’il était son confrère, après tout – et elle se plongea dans la lecture du dossier de cette patiente, la mère de son ami. Il s’agissait là d’une dépression sévère, le genre qui durait depuis toujours sans qu’aucun traitement ne semble faire le moindre effet – du moins s’agissait-il des conclusions qu’elle avait sous les yeux. Hannah n’aimait pas discuter de la méthode de travail de ses confrères, mais les années lui avaient permis d’ouvrir les yeux sur le manque d’intérêt et d’investissement chez bon nombre d’entre eux. Comment savoir si cette femme avait eu droit à l’éventail de traitements qui existaient pour gérer les dépressions dans son genre ? Elle interrogea Edward du regard, sondant à quel point ce cas était personnel, mais il se contenta de lui répondre avec un brin de nervosité dans la voix, comme s’il espérait un verdict qu’elle savait déjà qu’elle ne pourrait pas lui apporter. « Elle est suivie depuis des années. On lui a prescrit tellement de traitements différents et les psys lui ont ajusté tellement de fois qu’elle pourrait servir de cobaye ou être une véritable encyclopédie si elle était lucide plus de deux heures par jour...Et encore, je suis gentil. » La brunette plissa les lèvres, dépitée de voir que les traitements médicamenteux avaient davantage servi à calmer la patiente qu’à lui permettre de gérer sa souffrance et ses idées noires. « Est-ce que tu vois quelque chose là-dedans qui pourrait justifier qu’elle ne reste plus seule chez elle ? » Le médecin haussa un sourcil, désarçonnée par sa question. Était-ce là le but de la manœuvre ? Il ne voulait pas d’un avis, mais plutôt d’une sentence, d’une condamnation à l’enfermement. S’il la connaissait un tant soi peu, il saurait qu’elle mettait toujours tout en œuvre pour éviter d’en arriver là, surtout dans ce genre de contexte où le patient n’avait déjà plus grand-chose auquel se raccrocher pour ne pas sombrer. « Non. » Répliqua-t-elle en refermant le dossier avant de le lui tendre, une lueur de curiosité brillant dans le regard. « Qu’est-ce qu’il faudrait pour qu’elle soit réputée incapable, histoire que mon pote lui faire ce qui est le mieux pour elle ? » Ce qui est de mieux pour elle, ou pour lui ? Sans savoir qu’elle s’adressait directement à son pote, la brunette décida de ne pas prendre de gants et de lui offrir sa vision des choses. « Je n’ai pas tous les détails en ma possession, mais je peux te dire que cette femme n’a pas encore eu droit à tous les traitements qui existent pour la dépression. Je peux aussi te dire que la faire quitter sa maison et ses proches est sans doute la pire des choses à faire, parce qu’elle doit déjà avoir une image bien négative d’elle-même après toutes ces années sans reprendre le dessus. Et pour terminer, si ton pote veut vraiment l’aider, il peut me l’envoyer. Mais certainement pas la faire enfermer parce que ça devient trop difficile à gérer émotionnellement pour lui… » Elle pencha légèrement la tête sur le côté, continuant de l’observer. « Mais si tu veux une vraie réponse, à part une tentative de suicide, il n’y a rien de tangible pour la déclarer inapte. Il faudrait qu’elle soit un danger pour elle-même ou pour les autres. » Et encore, elle passerait peut-être quelques semaines en centre, mais la plupart de ces établissements essayaient de rendre ces patients à leurs familles pour libérer les lits le plus vite possible. « Désolée, je ne sais pas quoi dire de plus. » Elle était sincère et elle se fendit même un sourire, plus naturel cette fois, avant d’avaler une gorgée de son café. « Sinon, comme ça se passe aujourd’hui ? » Elle revenait sur des banalités, loin de se douter qu’elle venait probablement de lui asséner une belle claque derrière le crâne, sans le savoir.
Elle analyse les données du dossier médical et il la dévisage avec au cœur une étrange sensation : le ridicule. Solliciter son aide n’était pas idiot : elle est compétente, Whitemore. C’est l’espoir qu’elle s’oppose à ses propres conclusions qui l’est. Certes, la psychiatrie n’est pas sa spécialité. Il ne compte pas non plus les médecins qui considèrent celle d’Hannah comme une sous-catégorie. Il s’y est intéressé pour son usage personnel. Un jour, il a eu besoin de comprendre ce qu’était le deuil. Il a ressenti cette nécessité très cartésienne de définir la pathologie de sa mère et les conséquences du drame qui a frappé sa famille. Les différentes branches ont réagi selon leur tempérament, optant tantôt pour le déni ou la combativité, tantôt pour l’hyperactivité, le dévouement ou l’auto-destruction. La majorité des Rhodes s’est distinguée par un don pour la résilience, mais pas sa mère. Elle est restée sur le bord de la route a observé les voitures poursuivre leur route sans jamais embarquer dans l’une d’elle. Aussi n’est-il pas surpris par le diagnostic rapidement posé par son confrère. Il n’était qu’une évidence et, a priori, ce n’est pas ce qui l’inquiète, Ed. Ce n’est pas ce qu’il attendait et puisque son but n’est pas limpide, il le précise. Il l’exprime ouvertement sous couvert de cet ami imaginaire et la réponse de la psychologue lui fait aussitôt l’effet d’une énorme claque en plein visage. Bien sûr, il se doutait du fond. C’est la forme qui lui déplaît et, s’il ne peut réellement la blâmer pour sa franchise et le ton employé, il s’y colle d’être trop impliqué émotionnellement. « Elle les prend mal, c’est pour qu’ils ne fonctionnent pas, ses médocs. » crache-t-il en récupérant son bien abandonné sur la table. « Changer son traitement ne va pas l’aider, elle ne le prendra pas mieux. De plus, elle vit seule, chez elle, dans cette maison dont elle ne s’occupe plus. il est une sorte de mausolée, un mémorial pleins de souvenirs malheureux qui la bousillent depuis la mort de son mari.» Evoquer son père lui fait un pincement au coeur et, au lieu de se détendre, il hausse encore le ton, pas assez fort pour attirer l’attention, mais bien suffisamment pour que son interlocutrice devine qu’il est furibond. « Quant à mon pote, il essaie pas de s’en débarrasser comme si elle était un boulet. Elle ne l’est pas pour lui, mais il n’est pas tout seul et il est fatigué de voir sa soeur s’en chargé à sa place, toute seule parce qu’elle est trop fière pour abdiquer et chercher des solutions ailleurs.» Par le biais d’une infirmière, par exemple. Jules réfute cette possibilité à chaque fois que le médecin la propose, comme si c’était un échec et, non pas un soulagement. « Tu juges sans savoir, Whitemore, et tu juges mal.» l’a-t-il accusée à son tour, mécontent de se justifier auprès de cette femme qui l’insupporte. Elle ne mérite pas l’égard. S’agirait-il d’un patient lambda qu’il ne se serait pas donné tant de mal à se défendre. Le hic, c’est qu’il vit sa réplique comme une attaque personnelle, si bien qu’il concède à son sentiment d’injustice le droit de se montrer désagréable. « Et, elle l’est, un danger, elle est un danger pour elle-même. C’est moi qui dois t’apprendre qu’il ne suffit pas toujours de se tailler les veines pour se suicider ? Elle surdose ses medocs. C’est pas des tentatives de suicide, ça ? Qu’est-ce qu’il vous faut de plus ? Qu’elle se jette sous un train ? » Excédé par son comportement excessif, il a tenté de calmer ses nerfs pour ne pas vendre la mèche malencontreusement. Ce serait à son sens une catastrophe pour sa réputation. Qu’arriverait-il si l’information filtrait dans tout l’hôpital quand il arrive à peine ? Par chance, il s’abstient de trop en dire et il ne redescend pas… que du contraire : il escalade le mont de la colère. «J’avais besoin d’un avis, pas de ton opinion personnelle. Ce sont des gens bien, ses proches. Des gens bien comme il faut qui veulent juste aider. » a-t-il conclu, se levant de sa chaise, tournant les talons sans pour autant s’engager vers la porte. Il n’a pas fait un pas qu’il se retournait déjà pour reposer son dossier sur la table, juste sous les yeux d’Hannah. « Regarde encore. Prends le temps. Cherche et trouve. Quand on cherche, on trouve. Et, quand on veut, on peut, alors essaie de le vouloir, pour elle… pas pour mon pote.» Pas même pour lui d’ailleurs. « Elle a besoin qu’on l’aide. » a-t-il souligné en s’évadant cette fois.
Hannah venait de lui donner son avis avec la franchise qu’elle offrait à son entourage, à ceux avec qui elle traitait personnellement puisque c’était sous cet angle qu’il lui avait présenté le dossier qu’elle avait entre les mains. Jamais elle n’aurait été si abrupte, si radicale, si elle avait su que cet « ami » s’appelait Edward Rhodes et qu’il se tenait face à elle, rongé par l’expectative d’une réponse à laquelle il s’attendait probablement déjà. Son but, en tant que psychiatre, est d’aider et d’apaiser. Elle ne s’était donc pas attendue à une réaction comme celle qui allait suivre, tandis que le brun se fermait presque comme une huître en reprenant le dossier laissé sur la table. « Elle les prend mal, c’est pour qu’ils ne fonctionnent pas, ses médocs. Changer son traitement ne va pas l’aider, elle ne le prendra pas mieux. De plus, elle vit seule, chez elle, dans cette maison dont elle ne s’occupe plus. il est une sorte de mausolée, un mémorial pleins de souvenirs malheureux qui la bousillent depuis la mort de son mari.» La jeune femme leva un sourcil, surprise de cette réaction pleine de véhémence qui semblait sortie de nulle part. Pourquoi s’emportait-il de la sorte face à un point de vue professionnel qu’il avait lui-même sollicité ? « Quant à mon pote, il essaie pas de s’en débarrasser comme si elle était un boulet. Elle ne l’est pas pour lui, mais il n’est pas tout seul et il est fatigué de voir sa soeur s’en chargé à sa place, toute seule parce qu’elle est trop fière pour abdiquer et chercher des solutions ailleurs. Tu juges sans savoir, Whitemore, et tu juges mal.» Le ton de sa voix, en plus d’être accusateur, montait de plus en plus, ce qui laissa le médecin sans voix. L’irritation commençait à pointer à mesure que les paroles de Edward se faisaient plus incisives, alors qu’il apportait à présent des précisions sur un contexte familial qui n’apparaissait nulle part dans les lignes du foutu dossier qu’il lui avait lui-même remis en main propre. « Je ne juge personne Rhodes, à part les faits. Ce que tu détailles n’apparaît pas là-dedans, alors inutile de me fustiger deux secondes après m’avoir demandé une opinion sur des faits aussi vagues que ceux-là. » Lança-t-elle à son tour, piquée à vif par l’attaque qu’il lançait après qu’elle ait tendu l’autre joue – encore un de ces concepts bibliques qui valaient vraiment la peine, tiens. « Et, elle l’est, un danger, elle est un danger pour elle-même. C’est moi qui dois t’apprendre qu’il ne suffit pas toujours de se tailler les veines pour se suicider ? Elle surdose ses medocs. C’est pas des tentatives de suicide, ça ? Qu’est-ce qu’il vous faut de plus ? Qu’elle se jette sous un train ? » Hannah serra les dents, contrariée qu’il la mette dans le même bateau que tous ces autres médecins que cette femme semblait avoir vu, sans résultat, comme si elle n’en avait cure de ce qui pouvait lui arriver. Elle ne connaissait même pas son nom, encore moins sa situation familiale, et voilà qu’elle se retrouvait avec un potentiel suicide sur la conscience ? Le raccourci était un peu trop vite fait à son goût, et elle ne parvenait pas à comprendre pourquoi il se déchaînait ainsi contre elle. Il devait forcément y avoir quelque chose derrière cela, le brun n’était pas réputé comme caractériel, ou alors il cachait fort bien son jeu. « Et lui fournir une aide médicale à domicile, ça ne serait pas un début de solution ? » La brunette tentait de le calmer tant bien que mal, de l’obliger à revenir sur une réalité sur laquelle il pourrait se concentrer pour retrouver un peu de sérénité, mais le médecin était hors de lui et continuait de s’énerver sur elle sans même essayer de se contenir, ne serait-ce que par égard pour elle. « J’avais besoin d’un avis, pas de ton opinion personnelle. Ce sont des gens bien, ses proches. Des gens bien comme il faut qui veulent juste aider. Regarde encore. Prends le temps. Cherche et trouve. Quand on cherche, on trouve. Et, quand on veut, on peut, alors essaie de le vouloir, pour elle… pas pour mon pote. Elle a besoin qu’on l’aide. » La jeune femme resta coite en le voyant déposer à nouveau le dossier face à elle, comme si elle n’était qu’une étudiante qui avait besoin d’un coup de pouce pour trouver la solution au problème, avant de disparaître sans un mot de plus. Et ils auraient pu en rester là sans le besoin presque obsessionnel de la brune de comprendre les comportements auxquels elle faisait face, raison qui la poussa à se lever d’un bond pour le poursuivre dans le couloir et le pousser à nouveau dans une pièce vide, avant de refermer à son tour la porte derrière elle. « Qu’est-ce qui t’arrive, Rhodes ? » Elle fronça les sourcils en levant devant ses yeux le dossier médical de la patiente, comme pour appuyer la légitimité de sa question. « Tu débarques tout sourire avec tes cafés pour me soutirer un avis « entre nous » et quand je te le donne, tu m’insultes presque, moi et l’entièreté de la profession. C’est quoi le problème ? » Parce que s’il y avait bien une chose que la brune ne supportait pas, c’était de laisser des non-dits planer dans une relation, quelle qu’elle soit.
Politesse et respect comptent parmi les valeurs de son éducation, celles dictées par la foi et le Livre Saint des Catholiques. Habituellement, il s’y plie, Edward. Il s’efforce de se fier à ces préceptes supposés faire de lui un homme de bien. Sauf qu’aujourd’hui, il n’y arrive pas. Lui, qui s’est distingué durant ce mois de labeur à l’hôpital comme étant bon, altruiste et assez bienveillant pour aborder les patients lorsqu’il est porteur de mauvaises nouvelles, il est aux antipodes de sa nature. Il jette aux orties ses qualités professionnelles et, pour cause, le sujet de discorde - une de plus - sort dangereusement du cadre. Il n’est pas seulement irrité par les propos objectifs d’Hannah, il est en rage. Il est furieux et hausse le ton et ferme les écoutilles : il ne l’étend pas. Il ne perçoit pas dans son discours qu’elle dessine les contours d’une solution viable en proposant une aide médicale à domicile. Il ne réalise pas davantage qu’elle n’a pas à tenir le rôle de récipiendaire de sa colère étant donné qu’elle n’a rien fait, rien d’autre que son job. Elle n’est pas coupable de la déchéance de sa mère. Elle n’est pas non plus responsable si, depuis la naissance de son fils, il remet en question ses choix. Il est aveuglé par un sentiment d’impuissance et par le regret également. Il est principalement voué à Alex, ce petit garçonnet qui mérite une grand-mère maternelle aimante et gaga devant ses sourires angéliques. Son insouciance exige d’être préservée de la déroute des Rhodes et, honnête, ce jeune père admettrait qu’il s’en veut d’avoir honte de sa maman. Il a honte au point de taire à sa femme ce qui l’agite depuis son retour sur Brisbane et qu’il exprime auprès d’une autre de la plus détestable des façons. Il a honte de garder son petit bonhomme loin d’Ellie pour le bien du plus jeune et au détriment de la veuve. Est-ce qu’il y a brièvement songé sur l’instant ? Est-ce cette triste et sombre raison qui l’a fait rebrousser chemin alors qu’il s’apprêtait à partir, son dossier sous le bas ? Est-ce par la faute ou grâce à ce regain de lucidité qu’il a opéré une manœuvre de demi-tour et qu’il l’a remis entre les mains d’Hannah, son dossier ? Et, cette dernière, que voit-elle à travers sa brusquerie ? Comprend-elle que derrière son comportement se dissimule un appel à l’aide ? Que le gosse qui a perdu son père et qui est tapi dans les zones d’ombre de son cœur lui lance un SOS ? Au vu de la mine rembrunie de sa consoeur, il en doute, mais qu’importe… il est déçu. Il serait dès lors bien en peine d’accepter qu’il l’a peut-être blessée en tenant de ses rudes assertions. S’il fuit, son départ n’est pas lâche. Il ressemble à celui des types blasés de perdre leur temps en conversation stérile. Il n'a rien à tirer de bon ou d’utile chez Hannah Whitemore. Quant à elle, elle n’a rien à recevoir d’agréable d’Edward Rhodes.
Sans doute aurait-il mieux valu qu’elle l’autorise à s’en aller sans le retenir d’ailleurs. Malheureusement - à moins que ça ne soit l’inverse ? - elle l’a poursuivi, la têtue. Elle l’a attrapé par le bras pour le conduire dans une salle de repos vierge de toute présence et, bien entendu, il s’est insurgé. « C’est toi ton putain de problème, Whitemore ? Qu’est-ce que tu n’as pas compris dans “cherche et trouve ?” Qu’est-ce qui chez moi t’a donné l’impression que je ne venais pas de clore le débat là ? » a-t-il craché, négligeant qu’il tend certainement le bâton pour se faire battre. Qui est-il pour décider seul de la fin d’une rencontre ? Qui est-il pour donner des ordres ? « Je pensais avoir été clair et, si pas, maintenant, c’est fait. Alors, je vais sortir de cette pièce en espérant que personne ne nous a vus entrer et en priant pour que, si ça soit le cas, cette personne aura les yeux rivés sur sa montre, ce qui nous évitera des rumeurs. J’ai autre chose à foutre que de les contenir. » A nouveau, il peste, mais il l’a entendue, cette fois. Il devine qu’il ne s’en tirera pas à si bon compte et, s’il se dirige vers la porte, il l’ouvre en grand, en soupirant et sans amorcer un pas vers l’extérieur. « Je t’ai pas insultée. C’est toi qui l’as fait la première. C’est toi qui a laissé sous-entendre qu’on voulait se débarrasser de la patiente par confort. » On. Pronom indéfini qui désigne tout le monde et personne à la fois. « Le problème, c’est que...» Il hésite entre mentir ou briller par la vérité. Il hésite parce que s’il a confiance en ses compétences, il doute de sa bonté en tant que femme. Est-elle, comme il l’a évoqué, de celle qui juge ? De celle qui pense détenir le monopole de la meilleure attitude à afficher en toutes circonstances ? « C’est que je ne sais pas qui tu es et que ce n’était pas une bonne idée de te montrer ça.» Se tournant vers elle, il a tendu la main pour récupérer les papiers desquels il a soigneusement défalqué le nom de sa mère. « On ne se connait pas. Tout ce que je sais de toi, c’est que tu es particulièrement douée pour donner l’impression aux autres qu’il ne t’arrive pas à la cheville. Je n’aurais pas dû m’énerver contre toi. C’était idiot et pas tout à fait juste. Mais, c’est de ta faute, pas la mienne. Il y a une façon de dire les choses. Tu le sais, non ? Tu es psy ! » il a levé les yeux aux ciels pour illustrer cette hérésie. « Si je te dis c’est quoi le problème, tu pourrais garder tes jugements pour toi pour essayer de m’aider vraiment cette fois ? Et pas faire semblant ? En gardant tout ça pour toi, bien entendu. » Doit-il la refermer, cette porte ? Doit-il se prêter au jeu des confidences en s’assurant tout de même qu’ils sont à l’abri des langues de vipères amatrices de “bruits qui courent” ?
Hannah avait senti que quelque chose n’était pas entièrement sincère dans la démarche du Rhodes, mais elle avait finalement mis cette impression sur le compte de son approche hasardeuse. La débusquer dans la salle de repos armé d’un café et d’un sourire, voilà qui était suffisamment déconcertant que pour lui donner une perception faussée de l’instant. Sous couvert d’une révision d’un dossier houleux, il lui avait finalement demandé de se plonger dans un document qui n’était lié en rien à leur accrochage de la dernière fois, bien au contraire. Et si son premier réflexe avait été de refuser de lui rendre ce service, le fait qu’il amène une dimension personnelle à sa demande avait suffi à la convaincre de passer au-dessus de son ressentiment à l’égard du médecin. Parce qu’elle essayait de s’améliorer sur sa rancune depuis que sa relation avec Lucia en avait pâti durant des mois et surtout, parce qu’il était parvenu à taquiner sa curiosité en s’abaissant à lui parler à elle, en dépit de l’animosité qui flottait dans l’air depuis leur dernière entrevue. Que pouvait-il bien se cacher au sein de ces pages qui semble tenir tant à cœur du brun ? Elle regrettait à présent de s’être posé la question, alors qu’il lui criait sa frustration au visage avant de tourner les talons en lui sommant de trouver une solution à un problème qui avait l’air bien plus important qu’il ne le laissait paraître. Une fois la surprise passée, la brunette prit donc sur elle de le poursuivre, feuillet à la main, bien décidée à comprendre les raisons de son courroux. Il était venu la chercher et elle n’avait fait que répondre à ses questions, en faisant fi du mystère dont il avait volontairement entouré sa demande et de son attitude absolument exécrable. A quel moment pensait-il être en droit de lui parler de cette façon, de remettre en question son jugement et surtout, ses qualités de psychiatre ? Blessée par l’agressivité dont il avait fait preuve mais surtout piquée à vif, la jeune femme fit en sorte de le rattraper et de le coincer dans une autre pièce, à l’abri des regards dont elle ne voulait pas l’attention. Qui était-il pour l’interrompre dans son travail avant de lui hurler dessus lorsque ses réponses n’allaient pas dans son sens ? Désireuse de comprendre, elle lui posa la question directement, sans s’embêter à y mettre les formes puisqu’il n’en était pas non plus adepte, apparemment. « C’est quoi ton putain de problème, Whitemore ? Qu’est-ce que tu n’as pas compris dans “cherche et trouve ?” Qu’est-ce qui chez moi t’a donné l’impression que je ne venais pas de clore le débat là ? » Sérieusement ? La brune fronça les sourcils et croisa les bras, une posture qui en disait long sur la façon dont elle accueillait sa réflexion pour le moins égocentrique – était-ce là un nouvel aspect de sa personnalité qu’il lui laissait découvrir ? Elle s’en serait bien passé. « Tu m’as prise pour ta secrétaire personnelle, Rhodes ? Je suis pas un foutu moteur de recherche. » Répliqua-t-elle sèchement en lui mettant le dossier sous les yeux afin qu’il comprenne qu’elle en avait fini avec celui-ci, que cela lui plaise ou non. « Je pensais avoir été clair et, si pas, maintenant, c’est fait. Alors, je vais sortir de cette pièce en espérant que personne ne nous a vus entrer et en priant pour que, si ça soit le cas, cette personne aura les yeux rivés sur sa montre, ce qui nous évitera des rumeurs. J’ai autre chose à foutre que de les contenir. » Hannah fût un instant désarçonnée par sa remarque, jetant par réflexe un œil à la bague qu’il portait au doigt et qui justifiait qu’il puisse avoir ce genre de crainte alors qu’elle-même n’y avait pas pensé un seul instant. Sa réflexion eût au moins le mérite de l’empêcher de renchérir et de le laisser mettre fin à cet échange, une nouvelle fois, mais Edward s’interrompit une fois arrivé à la porte, lâchant un « Je t’ai pas insultée. C’est toi qui l’as fait la première. C’est toi qui a laissé sous-entendre qu’on voulait se débarrasser de la patiente par confort. » qui lui fit hausser un sourcil. Insulté ? Cela n’avait jamais été son intention et à nouveau, elle s’interrogea sur la part que tenait Rhodes dans cette histoire de famille qu’il lui avait brièvement exposée, entre deux cris. « Je n’ai jamais dit ça. J’ai simplement pointé du doigt le fait que ce qui vous semblait être le mieux pour elle n’était pas vraiment la meilleure solution, c’est tout .» Hannah avait à cœur de rétablir la vérité, car jamais on ne l’avait ainsi attaquée sur une opinion professionnelle, sans qu’elle ne parvienne d’ailleurs à comprendre pourquoi. « Le problème, c’est que… C’est que je ne sais pas qui tu es et que ce n’était pas une bonne idée de te montrer ça.» Il tendit la main vers elle pour qu’elle lui rende le dossier et elle obtempéra, non sans hésitation, le fixant pour tenter de comprendre où se situait le fond du problème, ce que ces paroles pouvaient bien traduire en réalité, mais sans succès. Edward Rhodes était un mystère et lui donnait l’impression d’être constamment à côté de la plaque, ce qui n’était pas un sentiment qu’elle appréciait outre mesure. « On ne se connait pas. Tout ce que je sais de toi, c’est que tu es particulièrement douée pour donner l’impression aux autres qu’il ne t’arrive pas à la cheville. Je n’aurais pas dû m’énerver contre toi. C’était idiot et pas tout à fait juste. Mais, c’est de ta faute, pas la mienne. Il y a une façon de dire les choses. Tu le sais, non ? Tu es psy ! » La brune serra les dents alors qu’elle réalisait qu’il avait raison, qu’elle avait été bien trop abrupte alors qu’il avait précisé qu’il s’agissait de quelque chose de personnel. En effet, il avait mentionné un ami, mais cela ne voulait pas dire qu’il était totalement étranger à cette patiente et par extension, qu’il n’était pas sensible à sa situation. « Je suis désolée moi aussi, j’ai manqué de discernement. » Et s’il lui était difficile de l’admettre, elle y était bien obligée, surtout après les excuses qu’il venait de lui présenter. « Et je pense que tu m’arrives à la cheville, la plupart du temps. Et dans ton domaine d’expertise. » La brune se fendit d’un sourire, signe évident qu’elle plaisantait et qu’elle lui accordait son pardon, encore une fois. « Si je te dis c’est quoi le problème, tu pourrais garder tes jugements pour toi pour essayer de m’aider vraiment cette fois ? Et pas faire semblant ? En gardant tout ça pour toi, bien entendu. » Le médecin tiqua sur à peu près la moitié des mots contenus dans ses questions, mais elle garda son exaspération pour elle cette fois-ci, se contentant d’un hochement de tête pour appuyer ses paroles. « Je ne dirai rien à personne, et je ne ferai pas semblant. » L’ironie de sa réponse était peut-être un peu palpable, quoiqu’adoucie par la lueur amusée qui dansait dans ses yeux, mais il en faudrait beaucoup plus pour changer Hannah Whitemore. Reprenant son sérieux, elle pencha la tête sur le côté afin de sonder ce qui semblait être un poids sur l’esprit du brun, quoiqu’il en dise. « Allez, dis-moi tout. Tu n’as pas l’air dans ton assiette. » Et c’était un euphémisme, si l’on considérait son ton agressif et le fait qu’il soit constamment sur la défensive depuis qu’il était venu lui parler.
Il n’a que faire de son trait d’ironie. Certes, dirigé contre tout autre, peut-être aurait-il applaudit à deux mains son sens de la répartie. Peut-être même s’en serait-il amusé, riant de bon cœur, le regrettant aussitôt à cause de ses valeurs. Peut-être aurait-il songé qu’elle est sculptée dans le même bois que Marsh, l'épouse et la consoeur s’entendraient à merveilles. Or, sur l’instant, il se contente de serrer la mâchoire pour ne surtout pas répliquer qu’il l’aurait préférée dans ce rôle. De sa secrétaire, il aurait pu exiger un silence à propos et profitable. Il aurait pu le réclamer sur le ton péremptoire de l’impératif qui avorte toute envie de discuter. Il aurait eu le droit d’user de son lien hiérarchique afin de la renvoyer dans ces buts, poliment, si tant est qu’il puisse en être capable au vu des circonstances, sans craindre qu'elle insiste pour lui tirer les vers du nez. Or, Hannah Whitemore, n’est pas sa subalterne. Elle est sa collègue. Quoiqu’il ne défriche pas le même terrain, il n’a pas le loisir de l’envoyer sur les roses à l’aide d’une pirouette désagréable. Il a déjà essayé. Il n’y a rien gagné puisqu’elle s’accroche. Lui, il n’a à sa disposition pour la désarçonner que des bassesses présomptueuses. Evoquer la rumeur d’une liaison parce qu’elle l’a tiré à l’écart pour le prendre à parti, c’est petit, voire mesquin. Il pourrait en jubiler qu’elle jette un coup d’oeil sur son alliance, consciente de sa maladresse. Sur le moment, il se réjouit simplement de s’être offert une aussi belle porte de sortie. Il s’en réjouit, certes, mais pas longtemps. Arrivé devant la porte, les doigts ceignant la poignée, il hésite. Est-ce qu’elle mérite d’être déboutée aussi violemment. Et pour cause, elle a raison. Il existe une différence notoire entre ce qui serait pour Ellie et ce qui le serait pour ses enfants. Mais quelle est-elle ? Où se situe la limite entre abandon et bienveillance ? N’est-ce pas à cause de cette question entêtante à laquelle il ne trouve aucune réponse qu’il s’est emporté aussi vite et à ce point ? Une tempête dans un verre d’eau. Voilà comment quiconque assistant à la scène décrirait son comportement. Il s’agace, s’énerve contre les autres, parce qu’il est fâché après sa mère, après ses soeurs et certainement après lui. Alors, soucieux de maintenir entre la psychiatre et lui un semblant de cordialité, il s’est ravisé. Il n’a pas quitté la pièce en claquant la porte après avoir récupérer le dossier qu’elle lui a tendu sous son invitation. Il ne s’est pas enfui en laissant sans doute un goût amer dans l’arrière-gorge. Il a plutôt refermé la porte qu’elle repose contre le chambranle. Ainsi entre-ouverte, il se sent à l’abri des oreilles indiscrètes et protégé des éventuels “bruits qui courent”. Il se sent libre d’expliquer son comportement par le sien, parce qu’il y aura contribué, assurément. Etonnamment à l’écoute - elle paraît plus douée pour l’être dans le cadre professionnel, mais beaucoup dans le privé - il a achevé de se radoucir tandis qu’elle lui présentait des excuses. En toute franchise, il n’en demandait pas tant. Il n’espérait pas même un compliment quant à ses compétences. D’emblée, ses lèvres se sont étirées d’un sourire à sa destination. Il y a de la douceur dans son regard désormais, quelque chose de bien plus noble que tout ce qu’il lui a servi auparavant. « Je sais, je suis le meilleur. Ou en tout cas, je le serai. » s’est-il défendu pour masquer qu’il est touché par son assertion. Elle lui paraît sincère, Hannah, et l’espace d’un instant, il s’est demandé s’il convenait de le lui retourner avant de statuer : c’est à elle qu’il a confié la tâche compliquée de l’aider à trouver une solution. C’est vers elle qu’il s’est tourné alors qu’il s’agit du dernier pilier de sa vie familiale. N’est-ce pas éloquent par rapport à ce qu’il pense de ses capacités ? « Très bien. Je vais te croire sur parole dans ce cas.» a-t-il renchéri, soupirant de dépit, mal à l’aise et honteux de ce qu’il s’apprête à admettre. « C’est pas la mère d’un ami, c’est la mienne. Elle est dans cet état depuis longtemps et rien n’y fait. Absolument rien. C’est même pire d’années en années.» Il n’était pas là. Il n’a pas vécu cette déchéance en spectateur. « Avant de partir pour l’unif, elle n’était pas dans cet état et à chaque fois que je suis rentré pendant mes études, j’ai constaté qu’elle n’allait pas mieux. Mais, là, elle touche le fond et n’a aucune intention de remonter. J’ai voulu aller la voir, avec mon fils et… et j’ai dû dire à ma femme de rentrer avec le petit. Elle n’était pas convenable. Elle était à peine consciente que j’étais là. Elle… me fait peur.» a-t-il conclu, finalement bien incapable de soutenir le regard de celle qui semble parfaite en tout point. « Je suis convaincu qu’elle a besoin de soin permanent, des soins que ma sœur n’est pas capable de lui donner à moins de mettre sa vie entre parenthèses et j’ai pas l’impression que ça soit son rôle. On ne fait pas des enfants pour ça… si ? » A-t-il tort ? Est-il trop dur ?
Hannah s’apprêtait à jeter l’éponge sur son envie de comprendre le comportement paradoxal qu’avait adopté le brun en sa présence, mais une fois la main sur la porte, ce dernier sembla se raviser. Avait-il pris conscience du caractère exagéré de ses propos ou avait-il tout simplement décidé de ne pas en rester là, elle n’aurait su le dire. Peu importait finalement, le fait qu’il se retourne pour reporter son attention sur elle suffit à la rassurer sur le fait qu’ils ne termineraient pas cette discussion dans les cris et les reproches, ce qui rassurait grandement la brune qui n’appréciait que moyennement les dissensions entre collègues – surtout lorsque l’origine même de celle-ci lui échappait complètement. Edward laissa la porte entr’ouverte – un détail qui n’échappa pas à l’œil avisé de la jeune femme qui constata par la même occasion qu’il accordait beaucoup d’attention à ce que les autres pouvaient penser. Avait-il eu à souffrir des rumeurs de celles qu’il avait hypothétiquement soulevée lorsqu’elle l’avait attiré dans cette pièce ? Car si Hannah ne voyait pas le mal, lui semblait embarrassé à l’idée d’être surpris en pleine conversation avec elle sans aucun témoin dans les parages pour attester de leur bonne foi. Le médecin ne prétendrait pas comprendre, mais après tout, elle n’était pas mariée et si elle partageait son temps libre avec quelqu’un ces derniers temps, la brune était loin du chemin qui la mènerait vers l’autel – et l’emprunterait-elle jamais ? Par conséquent, les craintes d’Edward lui paraissaient infondées mais il devait les puiser quelque part, potentiellement dans des disputes passées ou alors projetait-il simplement ses propres angoisses sur une situation qui n’était rien de plus que ce qu’elle était ; un entretien professionnel entre deux collègues, en tout bien tout honneur. Elle lui retourna son sourire mais recula d’un pas, maintenant ainsi une distance confortable entre eux afin de rendre l’atmosphère moins tendue, plus propice à ces confessions qu’il semblait désormais prêt à lui faire. « Je sais, je suis le meilleur. Ou en tout cas, je le serai. » Il ne cachait pas son ambition, ni sa conviction sur ses propres capacités, et l’espace d’un instant, Hannah eût l’impression de faire face à une copie d’elle-même au masculin. « Je n’en doute pas. » Lâcha-t-elle, moue amusée à l’appui, ravie de constater qu’il baissait enfin sa garde. « Très bien. Je vais te croire sur parole dans ce cas.» Le médecin se contenta de hocher la tête sans poursuivre l’argumentaire sur les raisons qui pourraient le pousser à avoir confiance en elle, déjà concentrée sur la suite, curieuse de découvrir ce qui se cache réellement derrière ce dossier. « C’est pas la mère d’un ami, c’est la mienne. Elle est dans cet état depuis longtemps et rien n’y fait. Absolument rien. C’est même pire d’années en années.» Hannah accusa le coup sans broncher, continuant de l’observer avec cette neutralité acquise au fil des années qui lui permettait de contenir ses réactions face aux patients. Edward était un cas particulier, mais elle comprenait déjà mieux pourquoi il s’était emporté de la sorte ; si elle avait su que cet ami était une invention pour masquer l’identité de sa mère, elle n’aurait jamais été aussi abrupte. Elle écouta la suite avec attention tout en s’en voulant déjà pour les paroles qu’elle avait eue sans avoir toutes les données à sa disposition ; il s’agissait là d’une erreur grossière de débutante. « Avant de partir pour l’unif, elle n’était pas dans cet état et à chaque fois que je suis rentré pendant mes études, j’ai constaté qu’elle n’allait pas mieux. Mais, là, elle touche le fond et n’a aucune intention de remonter. J’ai voulu aller la voir, avec mon fils et… et j’ai dû dire à ma femme de rentrer avec le petit. Elle n’était pas convenable. Elle était à peine consciente que j’étais là. Elle… me fait peur. Je suis convaincu qu’elle a besoin de soin permanent, des soins que ma sœur n’est pas capable de lui donner à moins de mettre sa vie entre parenthèses et j’ai pas l’impression que ça soit son rôle. On ne fait pas des enfants pour ça… si ? » Maintenant qu’elle avait les informations en sa possession, la brunette s’en voulait d’autant plus de s’être exprimé avec autant de sévérité dans la voix. Il était évident qu’il faisait face à un dilemme et que l’état catastrophique de sa mère ne laissait plus beaucoup de place à l’espoir, raison pour laquelle il espérait la placer afin d’ôter le poids psychologique que cela pouvait représenter pour lui et sa sœur. « Je suis désolée. » Commença-t-elle en posant instinctivement sa main sur son bras, avant de la retirer aussi vite en repensant à l’accusation qu’il avait émise à son égard. « S’occuper ainsi d’un parent malade demande énormément de temps, d’investissement et surtout, de ressources que vous n’avez certainement pas. A moins que ta sœur ne soit médecin ? » Elle pencha légèrement la tête sur le côté en le fixant droit dans les yeux, cherchant son regard afin qu’il imprime chaque mot qu’elle allait prononcer. « Déléguer cette tâche à un professionnel ne fera pas de vous des enfants ingrats, au contraire. Elle n’est peut-être plus tout à fait elle-même, mais quel parent voudrait que ses enfants se sentent ainsi piégés par ce devoir filial ? » Elle secoua la tête avant de lui adresser un sourire qu’elle espérait réconfortant. « Toutefois, je maintiens ce que j’ai dit tout à l’heure ; son état ne nécessite pas qu’elle soit placée quelque part, mais je peux quand même te recommander quelques établissements. A ce stade, la décision doit venir de vous. » Elle aurait aimé faire plus et s’en voulait de ne pas avoir de meilleure nouvelle à lui annoncer, comme l’indiquait probablement son air consterné.
Il ignorait si acquiescer devant son assurance était preuve de bonne composition vis-à-vis de sa vexation - la comprend-elle ? - , si elle le pense sincèrement ou si, au contraire, elle tente d’alléger l’ambiance. Mais, peu lui importe finalement. Il ne doute pas de ses compétences. Ce qui le met particulièrement mal à l’aise, c’est ce sentiment qu’il s’apprête à prendre un risque considérable en lui révélant ce secret. Et cette crainte, par quoi se justifie-t-elle ? Parce qu’elle est vilaine, cette cachotterie ? Parce qu’il estime qu’il y a une part de vrai dans les accusations lancées par Hannah un rien plus tôt ? A-t-il peur qu’elle essaime cette information aux quatre vents pour lui nuire ? En rira-t-elle sous cape avec ses collègues ? Se taira-t-elle ensuite sous son passage, lui tournant le dos pour dissimuler leur hilarité ? Un instant durant, se tournant vers elle non sans avoir laissé la porte entr'ouverte, il l’a considérée, gravement, évaluant ce qu’elle lui inspirait. Est-elle digne de confiance ? Il ne plongerait pas la main dans une bassine d’eau chaude, mais il choisit de lui accorder le bénéfice du doute, sans doute par la faute de ce minois auquel on donnerait le bon Dieu sans confession. Il ne perçoit aucune malice dans son regard. Dès lors, il se lance. Il l’affirme d’ailleurs. Il le confirme en craquant l’allumette de la vérité. Il lui rapporte que cette femme dont il a gommé le nom dans le dossier n’est pas la mère d’un ami, mais bel et bien la sienne. Il ne lui raconte pas qu’elle ne s’est jamais relevée de la mort de son père. Il n’explique pas non plus qu’il a fait des choix que beaucoup décriraient comme égoïste mais qui, à ses yeux, relevaient de la survie. Il se contente de justifier sa réaction véhémente, son emportement qu’elle n’aura certainement pas mérité. « Désolée ?» a-t-il répété, se demandant si elle formule sa pitié, de la compassion - ce qui est similaire, mais légèrement différente - ou des excuses pour la rudesse de son propos précédent. Est-ce que ça vaut le coup de lui poser la question ? Qu’y gagnerait-il finalement ? De la satisfaction ? Compte tenu de ces confidences, il n’en a besoin de se réjouir de son éventuelle humilité. Elle se dissimule derrière ses mots de toute façon et, Edward, touché par tant de sollicitude, il lui adresse un sourire, quelque peu éteint, mais empli de gratitude. « Aucune de mes soeurs n’est médecin et, en ce qui me concerne, je suis parti. On peut pas dire que je me sois investi longtemps. Peut-être que ça m’empêche de décider, mais ma sœur aînée, elle lui sacrifie sa vie et ses rêves surtout. Et, pour des peccadilles ? Elle ne va pas mieux et je sais que ça n’arrivera jamais. Elle ne s’en sortira pas. Et je ne suis même pas certain que ma sœur accepte. C’est pour ça que je t’ai demandé de jeter un œil, au cas où tu pourrais voir quelque chose qui m’a échappé… pour m’appuyer. C’est...ta spécialité, pas la mienne. » Ce n’est pas une remarque destinée à l’humilier ou la titiller au sujet de ses compétences, mais une confession. Aussi l’a-t-il enveloppée d’une oeillade chargée de sincérité. « Et ma mère, on peut pas lui demander son avis. Elle ne quittera jamais sa maison. Elle ne voudra jamais quitter sa maison, pas même pour quelques mois.» ai-je admis, conscient qu’il lui vaudra peut-être des détails supplémentaires pour bien saisir l’implication sentimentale d’Ellie pour son bien. Mais, il s’abstient. Il n’est pas prêt, pas prêt à parler de cette blessure commune à tous les membres de sa famille. Dès lors, il s’abstient malgré cette main qu’elle pose instinctivement sur son bras, promesse d’encouragement et d’empathie sans doute. « Si tu as des… établissements, oui… ce srait pas une mauvaise chose. J’aurai déjà de quoi étayer ma position, c’est pas plus mal.» Avec un peu de chance, convaincre Jules ne sera pas si compliqué s’il réussit à la convaincre qu’elle sera mieux entourée de soin qu’avec elle, leur mère. En attendant, il jette autour de lui quelques regards. La conversation est close. Il n’a plus rien à ajouter à part ce : « Merci. Beaucoup. Et...» Il haussa les épaules sans renchérir : elle a compris qu’il comptait sur sa discrétion. « Bon ! Faut retourner bosser.» a-t-il souligné, se dirigeant vers la porte, un dernier sourire à l’égard de la jeune femme sur les lèvres.