C’était un samedi matin. Il faisait beau, et pas encore trop chaud vu l’heure matinale. Comme tous les samedis matin, Andrew avait pris son courage à deux mains, attrapé les premiers vêtements de sport qui lui tombaient sous la main, enfilé une paire de baskets et il était sorti courir en bord de mer. Il appréciait déjà ses petites balades du week-end, mais au vu des quelques jours et semaines qui venaient de s’écouler, il en avait d’autant plus besoin. Il avait besoin de se vider la tête. De réfléchir. Et l’air marin, plus ou moins frais selon l’heure de la journée, l’aidait globalement bien à se remettre les idées en place. Il était à la fois triste. Meurtri. Blessé. Et aussi très en colère. Et il avait du mal à savoir comment gérer ce cocktail d’émotions. Déjà, sa fille n’était pas franchement ravie de le revoir ici. Il aurait dû s’en douter, après tout. Mais il aurait préféré que leurs premières et secondes retrouvailles se passent autrement. Déjà, autre part que dans une chambre d’hôpital. Et il aurait aimé qu’elle ne le déteste pas autant. Qu’elle comprenne mieux pourquoi, il y a 15 ans, il était parti. Mais qu’est-ce qu’il pouvait y faire ? Elle voulait du temps. Il allait lui laisser du temps. Tout en la surveillant de loin. En parlant de surveillance, ça le ramenait justement à la deuxième raison de sa colère profonde. Il aurait bien voulu que Geo s’occupe de cette surveillance. Le problème, c’est qu’il avait récemment cru comprendre qu’il s’occupait trop bien de cette surveillance. Qui il était, pour être si proche de sa fille ? Pour qui il se prenait, à avoir pris un semblant de sa place pendant tout ce temps ? Il lui faisait confiance. Il aurait pu lui confier sa propre vie aveuglément. C’était son meilleur ami, après tout. Mais maintenant…Maintenant il ne savait plus. Toutes ces pensées traversaient son esprit pendant qu’il foulait le sable d’un pas rapide. Il essayait de chasser tout ça en se concentrant sur ce qu’il y avait autour de lui, mais ça ne marchait pas. Comment pouvait-il de nouveau faire confiance à Geo ? Et même à sa propre fille ? Ils l’avaient tous les deux bien entourloupé, pour rester poli. Toutes ces années à se foutre littéralement de sa gueule, pendant qu’il se donnait corps et âme aux Etats-Unis pour retrouver la trace de son fils. Pendant qu’eux se la coulaient douce au soleil. Peut-être bien qu’ils se donnaient corps et âme entre eux deux, aussi. Andrew chassa cette idée d’un revers de la main. Il aurait cette discussion plus tard avec le principal concerné. Pour l’instant il devait se concentrer sur sa course. Il jeta un coup d’œil à sa montre de sport. « Merde ! » Il s’arrêta de courir, complètement désemparé face au nombre de kilomètres qu’il venait de parcourir et au temps qui ne correspondait absolument pas à ses capacités physiques habituels. Il pestait intérieurement. Ils vont même réussir à me gâcher ma sortie du week-end, ces enfoirés. Il décida de s’arrêter là pour aujourd’hui, n’étant visiblement pas en capacité physique ou intellectuelle de continuer sa séance de sport. Il préféra s’installer sur un banc tout proche, sur lequel était déjà installée une jeune femme, et qui au vu de son expression un peu perplexe, l’avait entendu jurer quelques secondes auparavant. Il s’assit à ses côtés, frotta son visage entre ses mains. «Vous excuserez mon langage. Vous connaissez, ce genre de samedi qui ne se passe absolument pas comme prévu… » Il marqua une légère pause. La jeune femme n’avait probablement pas envie d’entendre un vieux croûton râler sur un banc. Il releva la tête vers elle, dans l’objectif de s’excuser de nouveau et de ne plus l’importuner. Il fronça les sourcils en voyant sa tête. S’il y avait bien une chose qu’il détestait depuis qu’il était revenu à Brisbane, c’était de croiser des dizaines de visage connus sans se rappeler ni de leurs noms, ni de pourquoi il les connaissait. Quinze années de disparition faisaient beaucoup de ravage. La gamine devant lui devait avoir l’âge de Mia. Et il était persuadé qu’il s’avait qui elle était. Son cerveau turbinait, repassant en boucle les personnes qu’ils avaient pu connaître à l’époque. Et puis, ça lui revint. Comme si une ampoule venait de s’allumer là-haut. « Tessa ? » Andrew venait de prendre une grosse claque dans la gueule. Une très grosse claque qui lui rappelait qu’il avait pris un sacré coup de vieux. Il avait l’impression d’avoir vieilli d’un coup. Il était sûr que s’il se regardait dans un miroir, ses cheveux seraient tous devenus blancs et il aurait une vingtaine de rides supplémentaires sur le visage. « Bordel, faut pas me faire ce genre de surprises un samedi matin après avoir couru, j’ai bien cru que j’allais avoir une attaque ! » Tessa. Quand il l’avait vu pour la dernière fois, elle devait être en train de faire du vélo dans l’allée de leur maison, avec Mia. Et probablement l’un des frangins…Peter, c’était ça ? Il revoyait surtout Mia, sur son petit vélo violet avec des poignées à pompons brillants. Ses cheveux aux reflets irisés sous le soleil. Ses grands éclats de rire. Sa voix qui l’interpellait pour lui montrer la dernière cascade qu’elle avait trouvé utile de faire. Et puis il y avait Tessa, donc. Une petite gamine à peine plus jeune que Mia. Des cheveux tout aussi dorés. Un peu timide mais pas suffisamment pour ne pas venir passer la plupart de ses week-ends chez eux. Et comme tous les gamins attendrissants qui étaient passés chez eux, Andrew se souvient qu’il avait été pris d’affection pour la gamine. « Bon sang…Si j’avais su que je te croiserais ce matin…Qu’est-ce que tu deviens ? » Il devait l’avouer, c’était un questionnement plutôt large. Mais au-delà de s’intéresser à Tessa, il était surtout content d’avoir retrouvé quelqu’un qui, peut-être, pourrait l’aider à se rapprocher de Mia.
On ne pouvait pas dire que je passais la période de ma vie la plus épanouissante, bien au contraire, j’avais plutôt du mal à voir le bout du tunnel, pour tout dire. Mes soucis de santé n’allaient pas en s’améliorant et j’étais tout bonnement incapable de suivre les directives du médecin, incapable de rester au repos, parce que je ne le supportais pas, tout bonnement. J’avais toujours été une femme très active et non seulement on me demandait d’arrêter de travailler, mais en plus de rester au repos. J’avais l’impression de ne servir à rien, de errer comme une âme en peine et je détestais cette vie qu’on me forçait à avoir. Heureusement, j’avais mon chien Jay, qu’il fallait bien promener de temps en temps et qui était mon excuse parfaite pour mettre le nez dehors, je le faisais plus que de raison, certes, mais pour le moment je tenais le coup et je préférais me voiler la face plutôt que de rester seule à déprimer au fond de mon lit. Je n’avais même pas été capable de parler de mes soucis à ma propre famille, que ce soit à mes parents, à mon jumeau ou à mon grand frère, Peter. Peter … Lui non plus ne quittait pas mes pensées, je ne savais plus quoi faire ni comment réagir face à mon aîné, avec qui j’étais en train d’inverser littéralement les rôles. Je savais que Pete avait toujours eu un penchant pour la boisson, voilà des mois, voire des années que je tâtonnais, que je cherchais comment avoir une discussion avec lui à ce propos sans qu’il ne le prenne mal, sans que cela ne vire en dispute, parce que je n’avais pas vraiment envie de me brouiller avec mon frère, en plus de tout ce qui gravitait autour de moi en ce moment, c’était tout sauf le moment pour cela. Il avait fallu que je le trouve ivre, seul, que je sois devant le fait accompli pour que ressorte tout ce que j’avais à l’intérieur de moi depuis bien trop longtemps. J’avais toujours été une fonceuse, une fille que rien n’arrêtait, qui savait ce qu’elle voulait et pour la première fois de ma vie, j’étais perdue, totalement bouffée par des regrets. Je n’étais pas du genre à penser au passé, mais plutôt à me concentrer sur l’avenir, sauf que cette fois, tout m’empêchait de le faire. J’espérais sincèrement que ma vie reviendrait à la normale rapidement, mais j’avais du mal à rester optimiste. J’avais toujours vécu pour mon travail, je m’étais un peu oubliée pour me concentrer uniquement sur ma carrière florissante et maintenant que cette dernière était mise sur « pause », je me retrouvais sans rien, à penser à tout ce que j’avais raté dans ma vie, à ces choses essentielles, mise trop longtemps de côté.
J’étais sortie de mon sommeil depuis un moment déjà, je n’étais plus assez active pour dormir correctement et mes nuits d’insomnies se répétaient et se ressemblaient, à mon plus grand désespoir. De bonne heure, j’avais entrepris de faire un tour sur la plage histoire de m’aérer un peu et de me changer les idées, ce qui n’était pas de trop en ce moment. Rapidement essoufflée, j’allais m’asseoir sur un banc, à contrecœur et je restais pensive, le regard rivé sur l’horizon. Tout était calme, trop calme. Seule une voix vint rompre le silence matinal, une voix comme sortie de nulle part. « Merde ! » J’étais tellement ailleurs que je n’avais pas vu le joggeur s’approcher et je manquais un léger sursaut en entendant sa voix venue de je ne sais où. Je laissais un léger sourire illuminer passablement mon visage fatigué alors que l’homme prenait place à mes côtés. Un peu de compagnie me ferait peut-être du bien après tout, si cela me permettait de me vider la tête, c’était tout ce que je demandais à cet instant. « Vous excuserez mon langage. Vous connaissez, ce genre de samedi qui ne se passe absolument pas comme prévu… » Je haussais les épaules, entièrement consciente de ce qu’il était en train de vivre puisque c’était aussi mon cas. « Oh oui, je ne les connais que trop… » Commençais-je alors que mon regard se perdit à nouveau sur l’horizon. Après cela, il prononça mon prénom, visiblement surprit de me trouver ici. Je tournais la tête vers l’inconnu qui ne l’était pas tant que cela, pour lui faire face pour la première fois. Il ne me fallut que peu de temps pour mettre un prénom sur cet homme qui me faisait face, un homme que j’avais côtoyé très longtemps pendant mon enfance et avec qui j’avais développé une grande complicité, avant de le voir disparaitre du jour au lendemain… « Andrew ! Bon sang, tu n’as pas changé depuis tout ce temps ! » Je n’avais jamais compris les raisons de son départ, même après en avoir maintes et maintes fois discuté avec sa fille Mia, de qui j’avais toujours été proche. Comme elle, je lui en avais voulu, j’étais moins amère certes et au fond de moi, je m’étais sans cesse répété qu’il devait bien avoir une raison, qu’Andrew n’était pas le genre de personne à tout abandonner comme cela par pur égoïsme et son retour en était la preuve formelle à mes yeux. « Bordel, faut pas me faire ce genre de surprises un samedi matin après avoir couru, j’ai bien cru que j’allais avoir une attaque ! » Je laissais échapper un léger rire, j’avais du mal à croire qu’il se trouvait là, à côté de moi, par le plus grand des hasards et après toutes ces années sans nouvelles. « Bon sang…Si j’avais su que je te croiserais ce matin…Qu’est-ce que tu deviens ? » Mon air joyeux se transforma en un sourire légèrement gêné. Qu’est-ce que je devenais, moi-même je ne le savais pas réellement, là à l’instant. « Et bien disons qu’il s’est passé pas mal de choses depuis ton départ… Je suis officiellement vétérinaire, je ne suis sur le point d’ouvrir mon propre cabinet, même si certains… imprévus ont un peu ralentis mes projets. » Soit, ce n’était pas le sujet du moment et je ne comptais pas m’y attarder, après tout, nous avions d’autres choses à penser à cet instant, j'espérais connaître enfin les raisons de ce silence et surtout, savoir comment il allait. Même s’il n’était pas un membre de ma famille, j’avais beaucoup pensé à lui à la suite de son départ et sa bonne humeur m’avait manqué, il fallait avouer. En plus du fait que la peine de Mia m’avait littéralement crevé le cœur. « Alors comme ça tu es de retour.. ? Comment tu te portes depuis tout ce temps ? » J’avais un million de questions à lui poser, mais je ne voulais pas brusquer les choses, après tout il n’avait peut-être pas spécialement envie d’aborder des sujets sensibles, surtout que nous avions été séparés assez longtemps pour avoir besoin de refaire connaissance une seconde fois, même si ce n’était pas vraiment un départ à zéro.
Andrew était à la fois extrêmement surpris, heureux et surtout mal à l’aise d’avoir croisé Tessa. Encore un cocktail d’émotions à gérer, comme si j’avais besoin de ça en plus du reste, ne put-il s’empêcher de penser. Heureux, parce qu’il avait toujours apprécié cette gamine. De toute façon, Andrew n’avait pas souvenir avoir détesté un seul des camarades de jeu de Mia. Tout ce qui était beau aux yeux de sa fille l’était forcément pour lui. Surpris, parce que Brisbane était sacrément grand et que les astres devaient sacrément être alignés pour avoir décidé qu’il la croiserait aujourd’hui, à cet instant précis, et dans son humeur actuel. Et surtout extrêmement mal à l’aise, car il se demandait bien ce que Mia avait pu raconter sur lui pendant ces longues quinze années d’absence. Tessa avait dû être tout aussi surprise que les autres qu’il disparaisse du jour au lendemain. Si son procès avait fait la une des journaux, et que son divorce était connu, seuls les adultes du voisinage devaient être au courant. Il doutait sérieusement que les enfants du quartier et les camarades de classe de Mia s’y soient vraiment intéressé. Alors il écouta avec intérêt certain ce que Tessa avait à lui dire. Elle l’informa que pas mal de choses s’étaient passés depuis son départ et qu’elle était sur le point d’ouvrir son propre cabinet vétérinaire. « Je suis content de voir que tu t’en sors toujours aussi bien. Si jamais l’envie me prend d’avoir un animal, je viendrai sans aucune hésitation le faire soigner chez toi ! » Dans ses souvenirs, Tessa avait toujours été une élève brillante. Le genre de gamine qui bosse d’arrache-pied pour avoir ce qu’elle veut et qui excelle dans absolument tout. Alors forcément, il n’était pas très étonné de voir qu’elle était arrivée à ses fins. Il ne releva pas quand elle mentionna des « imprévus ». La jeune femme n’avait pas l’air de vouloir en parler pour le moment, et il était du genre à comprendre quand il ne fallait pas insister. Elle s’enquit alors de savoir s’il est de retour, et comment il allait depuis tout ce temps. Andrew ne put s’empêcher de serrer les dents. Il n’avait pas envie d’embêter Tessa avec ses problèmes. Et pourtant, il avait envie d’en parler. Il était sorti pour se vider la tête, alors pourquoi ne pas vider son sac, après tout ? Comme à son habitude, il privilégia l’humour plutôt que d’affronter clairement les problèmes. « Et oui, je suis de retour. Un nouveau McKullan en ville, pour vous servir ! Et ça risque de faire des étincelles… » Il avait dit ça de manière totalement sarcastique. Il serra de nouveau les dents : comment il allait ? C’était la grande question : « Je me porte comme un charme ». C’était faux, totalement faux. Non, il n’allait pas bien. Sa fille le rejetait, son meilleur ami l’avait trahi, et il avait sérieusement envie de tout plaquer et de se casser, comme il l’avait fait quinze ans auparavant. C’était ça, ou il cassait les dents au premier qui lui parlait de travers. Mais est-ce qu’il avait vraiment envie de raconter tout ça à Tessa, qui allait le prendre pour un vieux croulant sur son banc ? Il n’en était pas sûr. Il préféra pour le moment s’épancher sur son nouveau travail. « J’ai pris la direction d’un centre d’aide et d’accueil aux personnes en difficulté. C’est sûr que ça en jette moins que quand j’étais neurochirurgien, mais c’est tout aussi gratifiant… ». Il eut un pincement au coeur quand il évoqua son passé professionnel. Il n’avait jamais vraiment digéré la perte de sa licence de médecine et ça le hantait encore régulièrement. Son nouveau travail l’aidait à panser les plaies encore béantes, mais ça prendrait du temps. « Tu pourras y passer, si tu veux. Je connais plein de gamins qui seraient ravis d’écouter une jeune vétérinaire. Si ça peut les aider à trouver une passion, ou une idée pour se remettre sur le droit chemin, je suis preneur ! » Il marqua une légère pause, laissant son regard se perdre entre le sable et l’océan. Il avait envie de parler de Mia. Il devait parler de Mia. C’était la raison pour laquelle il était revenu ici, après tout. « J’ai revu Mia. C’est compliqué, mais bon, tu sais comment elle est… » Il eut un léger sourire. Il se souvenait encore de leurs chamailleries pour savoir laquelle des deux aurait le droit de jouer avec la poupée rose avec des noeuds, cette fois-ci. Mia avait toujours été un peu la petite cheffe de la bande, et elle savait bien le faire savoir. « J’avais imaginé mon retour ici autrement mais…Je suppose qu’on a que ce qu’on mérite et que c’était le revers de la médaille ». Il avait dit ça d’un ton amer. La pauvre Tessa ne saurait sûrement pas quoi lui dire pour lui remonter le moral. Alors il décida d’arrêter de parler de lui et revenir à son fameux projet. « Tu disais que tu avais eu quelques imprévus pour ton cabinet vétérinaire…Tu as besoin d’aide pour lancer ton projet ? Ça fait un bail que je ne suis pas venu ici, mais j’ai peut-être encore quelques tuyaux et contacts sous le coude, si tu en vois l’intérêt ». Et il était sincère. Il ne pouvait s’empêcher d’aider tout le monde. Peut-être que c’était un moyen pour lui de pallier l’absence de son fils…et de sa fille, désormais, puisque c’était tout comme. Il laissa de nouveau son regard se perde à l’horizon, en espérant ne pas se perdre lui-même.
Je n’avais gardé que de bons souvenirs d’Andrew, un visage souriant en toutes circonstances, des éclats de rire et des moments de jeux qu’il partageait avec nous. Je me souvenais encore de la complicité qu’il avait avec sa fille, une complicité qu’elle n’avait à envier à personne et c’est sans doute pour cela que j’avais été d’autant plus surprise lors du départ du père de famille. J’étais trop jeune à l’époque pour me préoccuper des histoires des adultes, j’avais juste tenté de soutenir Mia au mieux, même si les mots n’avaient certainement pas assez d’impacte dans ces circonstances. Je me souvenais lui avoir dit qu’il reviendrait peut-être bientôt, qu’il allait se rendre compte de son erreur et qu’il ne la laisserait pas, qu’un jour il l’attendrait à la sortie de l’école et qu’il la serrerait dans ses bras, mais il n’en fut rien. J’étais mal placée pour juger quoique ce soit dans cette histoire, je n’avais pas assez d’éléments en ma possession pour l’incriminer, c’était plutôt facile de prendre un parti lorsque l’autre ne pouvait pas se défendre… Mais j’avais été extrêmement triste pour Mia qui, je le savais, ne s’en était jamais remise totalement. Le cinquantenaire ne sembla pas surpris de mon parcours et m’affirma que s’il adoptait un animal, il viendrait sans hésitation le faire soigner chez moi. Un sourire sincère adoucit mon visage, ce n’était peut-être pas grand-chose, mais cela me touchait beaucoup et me donnait encore d’avantage de motivations pour aller jusqu’au bout de ce que j’entreprenais, malgré les obstacles. « C’est gentil, j’y prêterais une attention toute particulière si l’envie t’en prend. » Il affirma être bel et bien de retour, se cachant derrière un sourire qui aurait pu sembler sincère, mais qui ne manqua pas d’attirer mon attention. J’avais toujours été extrêmement empathique et je ne me laissais pas berner si facilement. Je me doutais bien que la situation n’avait rien d’évidente pour lui et que tout ne devait pas se dérouler comme prévu. Toutefois, je ne me permettais pas de lui faire la remarque à cet instant, pas vraiment convaincue du fait qu’il était prêt à se confier à une personne qu’il n’avait pas vu depuis tant d’années, à une personne qu’il avait quitté gamine. Il m’avoua avoir changé de métier et travailler à présent dans un centre d’accueil pour les personnes en difficultés, avant de me proposer de passer pour leur parler de mon métier. Mon sourire d’agrandit, c’était un bon moyen pour moi de me rendre utile et parler de ce que j’aimais le plus au monde. D’ailleurs, si cela donnait envie à certains d’en connaître un peu plus sur le métier, je n’avais rien contre l’idée, une fois que j’aurais ouvert mon cabinet, d’en faire venir quelques-uns pour des stages d’observation, c’était même une idée qui me plaisait beaucoup, en espérant pouvoir la concrétiser au plus vite. « Oui, c’est une excellente idée, si je peux permettre des vocations et donner l’envie à des passionnés d’exercer le même métier que moi, ce sera avec plaisir. Je passe quand tu veux ! Et c’est un beau métier que tu pratiques, je pense que tu dois redonner le sourire, l'envie d'avancer a beaucoup de jeunes qui avaient peut-être perdu tout goût à la vie… Finalement, c’est quand même l’une des plus belles choses que l’on puisse faire, non ? » Il entreprit alors de parler de Mia, sans que je n’ais besoin de lui forcer la main. Sans doute avait-il besoin de vider son sac et le fait que je sois proche de sa fille le rassurait, probablement. Je restais silencieuse un instant, le regard rivé sur lui, écoutant attentivement ses paroles. J’aurais aimé pouvoir l’aider plus que par des mots, mais à cet instant, je ne pouvais pas être beaucoup plus qu’une simple oreille attentive. Je prenais une inspiration, peinée de l’entendre s’exprimer et tentais un léger sourire rassurant. « Mia est très caractérielle, tu le sais autant que moi… » Commençais-je, tout en tentant de trouver mes mots, de ne pas être trop maladroite. « Je pense qu’elle a besoin de temps pour… digérer ton retour… Nous nous voyons toujours régulièrement, si tu veux je pourrai essayer de lui parler, de comprendre son état d’esprit et pourquoi pas d’essayer de la raisonner. Si elle réagit mal, pour moi c’est clairement parce qu’elle t’aime, mais c’est peut-être un peu trop brutal pour elle, pour qu’elle encaisse… Après, je ne suis pas psychologue, mais je pense que j’aurais réagi de la même manière qu’elle à sa place, en étant aussi attachée à mon père qu’elle l’est avec toi, même si pour le moment, ça ne doit pas te sauter aux yeux, je le conçois. » Puisque dans mon esprit, si elle ne l’aimait pas, elle l’aurait simplement ignoré et de toute évidence, ce n’était pas le cas, au vu des confessions d’Andrew. Ce dernier reprit la parole en proposant de m’aider pour l’ouverture de mon cabinet, s’il pouvait. C’était sans doute le moment aussi pour moi de m’ouvrir un peu à lui, étrangement, je me sentais assez en confiance pour le faire et puis, il était suffisamment en dehors de la situation pour ne pas se faire un sang d’encre comme auraient pu le faire les membres de ma famille. Angoisser mon entourage, c’est ce que je craignais le plus. « C’est gentil mais tout se passait plutôt bien jusqu’à il y a quelques semaines… J’ai des problèmes de santé, personne n’est au courant, pas même pas famille… Je suis censée rester au repos, mais je n’y arrive absolument pas, ça me déprime totalement… » Je perdais moi aussi, l’espace d’un instant, mon regard vers l’horizon. Tout un tas de choses se bousculaient dans ma tête depuis bien trop longtemps déjà. Dans un sens, Andrew et moi, nous étions tous deux dans le même bateau, même si nos problèmes étaient radicalement différents. Je tournais doucement ma tête vers lui à nouveau, tentant le tout pour le tout. Je ne voulais pas le laisser avec ce poids sur les épaules, comme moi, j’avais besoin de me libérer du mien… C’était peut-être le moment de nous soulager un peu, mutuellement. « Tu sais Andrew, je traverse moi aussi une période difficile et je sais ce que c’est de se cacher derrière un sourire pour rassurer tout le monde. Je me dis, si tu le souhaites, tu pourrais m’expliquer ce qui s’est passé pour toi, ce qui m’aiderait à pouvoir communiquer avec Mia sans trop de mal… Et je te parlerai de mes soucis personnels… Je peux en parler au chirurgien, comme à la vieille connaissance, à l’ami, peu importe. Je pense que ça me fera du bien de vider mon sac et je me dis que tu serais peut-être le plus à même de me rassurer… Deal ? » Je lui adressais un nouveau sourire rassurant en lui tendant la main, espérant qu’il la serrerait pour celer notre accord.
Malgré l’état de colère d’Andrew, colère qui n’arrivait pas vraiment à redescendre, il était au fond de lui un petit peu content d’avoir pu croiser quelqu’un de connu. Ça lui permettait, d’une part, de se changer les idées, et d’autre part, de parler de sa nouvelle profession. Quand il y réfléchissait, il se disait qu’il n’avait pas vraiment eu l’occasion de présenter ses nouvelles fonctions à qui que ce soit. Adam était bien au courant mais leurs récents sujets de discussion n’avaient pas du tout tourné autour de ça. Quant à Mia et Geo, et bien…Mia s’en contrebalançait et Geo était déjà au courant puisqu’il l’avait suivi dans ses aventures aux Etats-Unis. Mais il n’avait pas envie de penser à eux pour le moment. Il était content de pouvoir en parler à quelqu’un, Tessa, en l’occurence. La jeune femme semblait plutôt emballée à l’idée de venir présenter son cabinet et son métier aux petits jeunes du centre. Elle mentionna le fait que ce qu’il faisait était un beau métier et que le fait d’aider les enfants était « l’une des plus belles choses à faire ». Il ne put s’empêcher de sourire. « C’est vrai que d’aider tout ce monde, ça me donne une bonne raison de me lever tous les matins. Chaque situation est différente, chaque enfant, chaque parent, chaque famille a son histoire et on ne gère pas tout le monde de la même façon. On tisse des liens avec eux, plus ou moins forts. On s’attache à certains ». Il marqua une légère pause, prit d’un éclat de rire communicatif. « On s’attache un peu moins à ceux qui font dix conneries à la seconde, ceci dit. Mais l’essentiel, c’est d’être là pour les accompagner. Pour leur montrer qu’ils ne sont pas obligés de continuer sur un mauvais chemin, que d’autres voies s’offrent à eux et qu’ils peuvent les emprunter s'ils le souhaitent ». Andrew perdit de nouveau son regard dans l’horizon. « Au fond, ces gamins sont un peu comme moi il y a quinze ans. Perdu. Avec le sentiment de ne pas être compris. De ne pas être accompagné, même si des dizaines de personnes les entourent. Il suffit parfois d’une personne, d’un petit coup de pouce de la vie, pour reprendre un peu d’espoir ». Pour lui, ce petit coup de pouce, ça avait été Geo. Mais dès qu’il pensait à lui, la colère grondait au creux de son ventre et il préférait ne pas s’y attarder trop. « J’espère pouvoir être cette aide, cette petite lumière qui les guide à un instant pas forcément très glorieux de leur vie. C’est peut être un peu présomptueux de ma part, mais ça donne un sens à mes journées ». Il s’arrêta, posant de son nouveau ses yeux sur Tessa. Il s’était peut être un peu trop confié. C’était peut-être l’ambiance du bord de mer, l’air marin, sa colère qui le prenait aux tripes, ou bien Tessa elle-même qui le conduisait à parler autant. Il n’en savait rien, le plus important était qu’il avait envie de parler et qu’il sentait que Tessa était une oreille attentive à ses problèmes. C’était curieux, quand on y pensait. Un petit vieux de cinquante balais à côté d’une petite jeune d’à peine une trentaine d’années. La discussion repartit sur Mia. C’était plus fort que lui. Même fâché. Même blessé. Elle hantait chacune de ses pensées. Tessa avança le fait qu’elle était caractérielle, et ça, il le savait. C’était une McKullan, après tout. Elle proposa d’aller lui parler. Il s’empressa de l’arrêter. « Très mauvaise idée. Elle va immédiatement penser que ça vient de moi et que je ne suis pas capable d’assumer tout seul ». Il leva les yeux au ciel. « Et après, ça sera reparti pour pléthores de reproches, d’insultes et d’engueulades. J’en ai déjà pris pour mon grade, je pense que ça suffit pour le moment ». Il fit danser quelques grains de sable sur le bout de sa chaussure. Mia voulait du temps. Il lui laissait du temps. Même si ça lui crevait le coeur. Il était intimement persuadé qu’elle finirait par revenir, peu importe ce qu’elle avait à lui dire. Cette fois, ils allaient parler de Tessa. Dès qu’elle mentionna « des problèmes de santé », son coeur rata un coup dans sa poitrine. Son passé de médecin, et son côté papa poule reprirent le dessus. Surtout que personne n’était au courant. Tessa lui tendit la main, proposant un deal au vieux McKullan. Il ne savait pas trop pourquoi, mais il n’avait pas hésité une seule seconde. Probablement l’air marin, le cri des mouettes et la colère sourde au fond de son bide, encore une fois. Quoi qu’il en soit, il serra tendrement la main de Tessa dans la sienne. « Deal ». Avant qu’elle ne commence, il ne put s’empêcher de lui faire la morale. « Je vais t’écouter, Tessa. Mais tu dois me promettre une chose. Dès qu’on aura fini cette discussion, tu vas rentrer chez toi, t’allonger et ne plus sortir pour la durée prescrite. Tu prendras tes médicaments si tu en as. Tu suis les recommandations à la lettre. On ne déconne pas avec la santé. Tu t’en voudras toute ta vie, sinon ». Il avait pris sa grosse voix. Celle qu’il prenait quand Tessa et Mia étaient gamines. Très probablement que ça n’avait plus aucun effet maintenant. Mais dans le doute, il s’était permis d’essayer. Il haussa les épaules. Il n’était pas certain d’avoir envie de s’épancher sur tous les détails de sa vie. Mais si elle le souhaitait, il le ferait. C’était un deal, après tout. « Toi d’abord. Une fois que tu auras fini, je pourrais te raconter pourquoi je suis parti il y a quinze ans du jour au lendemain. Pourquoi j’ai erré pendant tant de temps aux Etats-Unis. Pourquoi cette quête fut inutile. Peut-être que tu pourras m’aider à guérir, après tout. ». Un ancien médecin en reconversion et une future vétérinaire. Il semblait qu’il ait toutes les clés en main pour pouvoir panser ses blessures. Pour l’instant, c’était celle de Tessa, qu’il fallait guérir.
Andrew entreprit de parler de son nouvel emploi avec une passion qui me fit sourire. Je buvais ses paroles les unes après les autres, heureuse de voir que sa reconversion avait l’air de plutôt bien lui aller finalement. Pour l’avoir connu pendant quelques années de ma vie, cela ne m’étonnait pas de le voir exercer un tel emploi, Andrew avait toujours été quelqu’un à l’écoute, qui savait trouver les mots dans toutes les circonstances et pour ma part, ce métier lui allait comme un gant, même si je me demandais pourquoi il avait quitté son poste de chirurgien. C’était étonnant de sa part, mais sans doute cela avait-il un lien avec son départ. Je lui souriais doucement, la mine un brin rêveuse. En l’entendant parler de la sorte, j’avais l’impression de m’entendre moi-même parler de mon métier, ce qui n’était pas rien, étant donné la passion que je nourrissais pour ce dernier. J’ignorais toujours ce qui avait pu se passer dans la vie d’Andrew quinze ans auparavant, mais tout ce que je comprenais dans son discours, c’était bel et bien le fait qu’il en avait énormément souffert. J’avais beaucoup de peine pour lui et si nous avions été aussi proches qu’à l’époque de son départ, j’aurais, sans aucune hésitation, usé d’un geste de réconfort à son égard. Mais je préférais m’abstenir, nous venions tout juste de nous retrouver et cela aurait pu paraître un peu étrange, voire malaisant. « Je suis sûre que tu leur es bien plus utile que tu n’oses le croire. » Répondis-je, en lui adressant un sourire compatissant. J’étais touchée qu’il se confie à moi de la sorte, peut-être était-ce le fait de nous connaître autant, mais finalement si peu à la fois, ces souvenirs qui nous revenaient en mémoire où tout simplement le calme du lieu qui poussait à la confidence, mais toujours est-il que cela me faisait le plus grand bien, de sentir sa confiance comme de sentir que je pouvais, moi aussi, me livrer les yeux fermés. « Je n’ai que des bons souvenirs des moments passés ensemble, quand j’étais gamine. Tu avais déjà ce petit quelque chose qui me faisait retrouver systématiquement le sourire. Je ne suis pas surprise par ta reconversion, ça me paraît plutôt évident. » Lançais-je, toujours un léger sourire au coin des lèvres. J’appréciais le fait de discuter avec lui, sans aucune prise de tête, sans aucun jugement, c’était le genre de moments simples qui manquaient parfois à ma vie, j’en avais presque oublié mes soucis du moment, presque oublié les raisons de ma venue sur la plage et le fait qu’il me restait encore quelques semaines de nuits blanches à gérer. Nous en venions finalement à parler de Mia. J’avais toujours beaucoup apprécié la jeune fille qui était rapidement devenue comme une sœur pour moi, même si parfois, notre relation était devenue un brin plus conflictuelle, en particulier à l’adolescence. Mais malgré tout cela et le fait que je comprenais totalement la réaction de la jeune femme, je ne pouvais qu’être compatissante face à un papa qui semblait totalement perdu, qui rêvait juste d’une occasion de se racheter, mais qui ne le pouvait pas pour le moment, malgré tous ses efforts. Je ne savais pas encore ce qui avait pu se passer dans la vie d’Andrew pour qu’il parte mais je savais qu’il aimait Mia et c’était tout ce qui comptait. Je ne doutais pas que cela prendrait du temps, mais si vraiment il savait ce qu’il voulait, si vraiment il ne lâchait pas l’affaire, Mia finirait par le laisser faire un pas vers elle. En attendant, je ne doutais pas du fait qu’elle ne devait pas lui faire de cadeau et qu’elle ne devait certainement pas mâcher ses mots face à un père qui l’avait fait tant souffrir, même si ce n’était certainement pas son but. « C’est vrai, tu dois avoir raison. Je n’ai sûrement pas envie de compliquer encore plus la situation. » Commençais-je, en perdant de nouveau mon regard vers l’horizon. J’aurais voulu l’aider, mais je me rendais compte que je ne pouvais guère être plus qu’une oreille attentive à cet instant. C’était un peu frustrant, mais je n’avais pas vraiment le choix. Après quelques secondes de silence, je tournais de nouveau mon regard en sa direction. « Enfin, si tu as besoin d’aide, ou juste d’une oreille attentive, n’hésite pas à me demander surtout, ça me ferait plaisir de me sentir utile. » En ce moment, j’avais plutôt l’impression d’être tout, sauf utile pour quiconque. J’avais déjà du mal à gérer ma propre vie, alors celle des autres, c’était encore autre chose. J’étais sincère dans mes propos, même si je n’avais été que de passage dans la vie d’Andrew, ces petites retrouvailles m’avaient donné envie de garder contact avec lui, s’il le désirait également, bien entendu. Je comprenais que dans le fond, je faisais partie de son passé et qu’il avait certainement d’autres chats à fouetter pour le moment. Contre toute attente, j’avais commencé à me confier, à demi-mot, sur le sujet tabou du moment. Seul mon meilleur ami était au courant et pour cause, il avait été présent sur les lieux lorsque l’incident s’était déroulé. Andrew n’était qu’une ancienne connaissance, mais pourtant, il avait réussi à libérer ma parole, sans avoir besoin de me tirer les vers du nez. Même si je n’avais pas encore tout dit, je me sentais libérée d’un léger poids et savait que le meilleur moyen de me sentir apaisée totalement était de continuer à tout lui raconter. Il accepta mon deal, sans manquer pourtant de me faire une petite leçon de moral comme il en avait eu le secret plus de dix ans auparavant. Je restais stoïque un moment, sans savoir trop comment réagir. D’un côté, je trouvais cela mignon, mais d’un autre, je n’avais pas besoin qu’il me le dise pour être consciente de toute cela… Même si j’étais maîtresse dans l’art de me voiler la face. « Il faut que je te réponde : oui papa ? » Commençais-je, ironiquement, histoire d’apaiser un peu la situation. « Je sais que je prends des risques et tout ça, mais m’enterrer au fond de mon lit, seule à ne rien faire, ce serait pire que tout… » Commençais-je, pas vraiment pour me défendre, plus dans l’espoir qu’il me comprendrait. « Je ne suis sûrement pas assez prudente, mais je ne veux pas être malade ET dépressive, tu comprends ? » Bien sûr que je savais que le chirurgien qui se tenait face à moi, aurait du mal à comprendre que l’on puisse être aussi imprudent, mais peut-être que l’ami le pourrait, lui. Il me connaissait depuis mon plus jeune âge, mon caractère n’avait pas vraiment changé après toutes ces années. Il me demanda de me confier, me promettant de le faire ensuite. Je sentais une certaine appréhension m’envahir, mais je ne pouvais plus faire demi-tour, je lui avais promis. « J’ai… fait un infarctus il y a quelques semaines, suivi d’une hospitalisation… Je n’ai rien dit à personne, j’ai juste fait croire que j’étais débordée, parce que je n’aime pas inquiéter mon entourage… » Je prenais ma respiration, tentant au mieux de finir rapidement mon histoire, de ne pas tourner autour du pot, d’en venir aux faits au plus vite. « Ils m’ont découvert une malformation cardiaque, je suis sous traitement et au repos jusqu’à mon opération, dans quelques semaines. » Je laissais échapper un soupir avant de terminer : « Je déprime totalement, j’ai peur que ma famille l’apprenne, mais en même temps, je sais que je ne devrais pas leur mentir, surtout s’il m’arrive quelque chose de grave, tu vois… Pour tout te dire, je ne veux pas les inquiéter et si je leur avoue tout maintenant, ils m’en voudront de ne pas leur en avoir parlé avant et ils auront raison… » J’espérais que, même si Andrew n’approuverait sûrement pas ma façon de faire, il réussirait à me comprendre, rien qu’un peu… J’étais prête à l’aider autant que je le pouvais, au moins à lui remonter le moral, mais le fait que je me confie à lui n’était pas rien, c’était une preuve ultime de confiance, même si, paradoxalement, nous étions presque devenus des inconnus lui et moi.
Andrew ne pouvait s’empêcher d’aider tout le monde. C’était plus fort que lui. Malgré son humeur exécrable du jour, dès qu’il avait vu que Tessa semblait en difficultés et avait des choses à raconter, il n’avait pu s’empêcher de venir l’aider. Ou en tout cas, d’être une oreille attentive. Et c’était aussi pour ça qu’il aimait autant parler de son métier. Expliquer ce qu’il mettait en oeuvre pour fournir un logement, du travail aux plus démunis. Comment ils apprenaient à certains adultes à lire, à écrire, à préparer un entretien d’embauche. Depuis qu’il travaillait dans ce milieu là, il n’avait - presque - rien trouvé d’aussi gratifiant. Et puis, il y avait Bonnie. La petite Bonnie. Elle le faisait rire, la plupart du temps, parfois un peu pleurer aussi, quand elle avait des gros chagrins. Il était ravi de l’avoir au centre et de l’avoir à ses côtés de manière générale. Alors il était simplement heureux de pouvoir parler de tout ça avec Tessa, et d’autant plus heureux qu’elle reconnaisse que quelque part, il devait leur être utile. Andrew n’avait jamais spécialement eu besoin de la reconnaissance de ses pairs, mais il devait bien avouer que de temps en temps, ça faisait du bien et ça mettait un peu de baume au coeur. Comme à son habitude, la discussion vira rapidement aux souvenirs d’enfance. Et par conséquence, à Mia. Il eut un petit sourire triste quand Tessa lui indiqua qu’elle n’avait que de bons souvenirs des moments passés ensemble. C’était son cas aussi. Les goûters d’anniversaire où elles fabriquaient des cartes, où la moitié des paillettes utilisées finissaient sur la moquette, qu’Andrew mettait des heures à aspirer ; les courses-poursuites dans le jardin à la recherche d’un mystérieux ami imaginaire. Ces moments là emplissaient son coeur et sa mémoire d’un léger voile doré. Tessa comprit lorsqu’il lui demanda de ne pas parler à Mia. Il ne voulait pas envenimer la situation. « Enfin, si tu as besoin d’aide, ou juste d’une oreille attentive, n’hésite pas à me demander surtout, ça me ferait plaisir de me sentir utile ». Il hocha la tête, avec un petit sourire. « Je te remercie, Tessa. Elle me manque beaucoup, tu sais ». Il haussa les épaules, presque blasé, voire abattu. « Je ne sais pas ce qu’elle a pu te raconter sur moi mais… ». Son regard se perdit de nouveau à la surface de l’océan. Il cherchait ses mots. Il ne voulait pas tout déballer non plus. Tessa n’avait peut-être pas connaissance de toute l’histoire, de tout ce qui s’était passé. Ou peut-être n’avait qu’elle qu’une version de l’histoire, qu’un son de cloche. Celui de Mia, ou de la mère de Mia. Peut-être même les deux. Il ne voulait pas avoir à se défendre, pas maintenant, pas dans son état mental actuel. Il retourna la tête vers elle. « Ce que je veux dire, c’est ce que je suis conscient que je n’ai pas toujours été un très bon père. J’espère qu’elle saura me pardonner et qu’elle pourra revenir vers moi, un jour. J’ai besoin d’elle. J’ai besoin qu’elle soit là auprès de moi. Je crois que c’est important pour que je puisse…me reconstruire, tu vois ». Il avait déjà peur d’en avoir trop dit. Il n’aimait pas trop être vulnérable, comme ça, surtout pas devant une amie de Mia. Alors la conversation changea. Assez de lui et assez de Mia, c’était de Tessa qu’il fallait parler. Il la mit en garde et lui fit promettre de rentrer chez elle pour se reposer après leur discussion. « Il faut que je te réponde : oui papa ? ». Le coeur d’Andrew se brisa presque instantanément en mille morceaux. Il n’avait pas entendu ce mot depuis un moment déjà. Papa. L’entendre de la bouche de Tessa, c’était assez particulier. Il aurait voulu se boucher les oreilles, lui dire de se taire, de ne plus jamais utiliser ce mot. Mais il n’en avait juste pas la force. Il en aurait presque pleuré. Alors il se concentra sur ce que Tessa avait à lui raconter. Il prit sa casquette d’ancien médecin. Comme à l’époque, il écouta tout ce qu’elle avait à lui dire, les bras croisés sur sa poitrine. Il ne l’interrompit pas, essayant de comprendre ce qu’elle traversait et chassant les mauvais souvenirs qui remontaient à la surface. « Je sais que je prends des risques et tout ça, mais m’enterrer au fond de mon lit, seule à ne rien faire, ce serait pire que tout…Je ne suis sûrement pas assez prudente, mais je ne veux pas être malade ET dépressive, tu comprends ? J’ai… fait un infarctus il y a quelques semaines, suivi d’une hospitalisation… Je n’ai rien dit à personne, j’ai juste fait croire que j’étais débordée, parce que je n’aime pas inquiéter mon entourage…Ils m’ont découvert une malformation cardiaque, je suis sous traitement et au repos jusqu’à mon opération, dans quelques semaines. Je déprime totalement, j’ai peur que ma famille l’apprenne, mais en même temps, je sais que je ne devrais pas leur mentir, surtout s’il m’arrive quelque chose de grave, tu vois… Pour tout te dire, je ne veux pas les inquiéter et si je leur avoue tout maintenant, ils m’en voudront de ne pas leur en avoir parlé avant et ils auront raison… ». Andrew ferma les yeux quelques instants. Il avait l’impression de se revoir des dizaines d’années plus tôt, dans son cabinet, à voir défiler des patients tout la journée et à écouter autant d’histoires différentes. Il prit son inspiration, réfléchissant à comment il pouvait tourner ça. « J’ai deux avis à te proposer. Celui du médecin, et celui du père. Les deux se rejoignent à peu près, ceci dit ». Petite pause, là encore le temps de peser ses mots. « Le médecin te dirait à quel point c’est imprudent de sortir maintenant. Il te dirait à quel point ta santé est importante, qu’il faut que tu te reposes si tu veux aller mieux. Qu’il est important que tu prennes ton traitement régulièrement. Et il te dirait aussi à quel point il est important que tu t’entoures des bonnes personnes pour surmonter ces moments qui ne sont pas faciles. Il te prendrait sûrement par l’oreille pour te ramener chez toi et te mettre dans ton lit jusqu’à ce que l’opération arrive ». Il se laissa aller d’un petit rire à cette dernière phrase, avant de reprendre son sérieux pour continuer à expliquer ce qu’il en pensait à Tessa. « Le père de famille aurait sûrement la même vision. Il voudrait que tu te reposes. Il voudrait que tu lui en parles pour être au courant, pour t’accompagner jusqu’à l’hôpital, pour être à tes côtés avant et après l’opération, pour te serrer dans ses bras, pour te ramener chez toi, pour déposer un paquet de chocolats devant ta porte pour être certain que tu ne manques de rien après l’opération. Il serait fâché que tu ne lui dises rien. ». En racontant tout ça, il pensait à Mia et ça lui déchirait le coeur. Elle qui ne lui avait rien dit lorsqu’elle était à l’hôpital lors de son accident, il avait dû apprendre de ça de la bouche de quelqu’un d’autre. Il voulait éviter que la même chose se produise avec Tessa. Et puis il eut un petit sourire, en pensant à une dernière option. « Et puis je pourrais te donner l’avis de l’ami. Mais pas n’importe quel ami. L’ami un peu vieux, qui en a vu des vertes et des pas mûres. Il te dirait que tu n’as qu’une vie et qu’un petit écart de temps en temps, ce n’est pas si grave. Il te dirait que tu n’es pas obligée de le dire à ta famille si tu ne t’en sens pas la force pour le moment, mais que lui, il sera là pour te serrer la main et t’amener des chocolats si tu en as envie ». Il eut un petit sourire fatigué. « Alors à toi de voir quelle version tu préfères…Je pense qu’il y a un peu de vrai dans tout ce que je t’ai dit. Mais tu es grande, Tessa, et je pense que tu seras capable de faire les choix qui sont les mieux pour toi et ta santé ». Il lui fit un léger clin d’oeil. « Alors, qu’est-ce que ça sera ? » S’il s’écoutait, il l’aurait prit par la peau du cul pour la ramener chez elle. Au vu de sa condition, elle n’avait rien à foutre dehors. Mais il n’était ni son médecin, ni son père. Et il n’était pas certain d’être tout à fait, son ami. Alors il espérait qu’elle prendrait quand même en compte son avis.
Andrew me faisait beaucoup de peine, derrière son sourire qui était bien présent sur son visage, je n’avais pas de mal à déceler celui d’un homme meurtrit, totalement bouleversé par une situation dont il n’avait aucun contrôle. J’imaginais à quel point cela devait être difficile, de ne rien pouvoir faire pour changer les choses, de ne pouvoir qu’espérer que Mia finirait par prendre la décision, par lui pardonner et oublier partiellement ses rancœurs du passé. J’aurais voulu l’aider, mais malheureusement, cela ne dépendait absolument pas de moi. Au fond de moi, j’avais déjà en tête de ne pas le laisser tomber, de l’épauler autant que je le pouvais, d’essayer de l’aider à garder le cap, à ne pas se replier sur lui-même. Je n’étais pas psychologue, loin de là, mais j’avais toujours été le genre de personne à qui on se confiait facilement, qui était toujours là à aider son prochain et qui faisait souvent office d’oreille attentive lorsque quelqu’un n’allait pas forcément bien. J’étais comme ça avec les personnes que j’aimais, prête à déplacer des montagnes pour elles, quitte à m’oublier un peu parfois, voir souvent. Andrew ne faisait plus partie de mon entourage depuis un bon moment, mais cela ne changeait rien à l’attachement que j’avais pour lui. Lorsque j’étais enfant, il avait toujours été adorable, à l’écoute, toujours à prendre soin de moi lorsque quelque chose n’allait pas et maintenant que j’étais devenue une femme, j’étais prête à en faire de même pour lui. Il avait disparu brutalement de mon entourage, avant de revenir aussi brutalement dans ma vie, sans que je n’ais le temps de m’y préparer. C’était étrange, mais plus les minutes défilaient, plus j’avais cette impression qu’il n’était jamais totalement parti en fin de compte et pour preuve, après tout ce temps, je ne l’avais jamais oublié et n’avait jamais cessé de penser aux moments que nous avions passé ensemble. « Je te remercie, Tessa. Elle me manque beaucoup, tu sais » Je n’en doutais pas une seule seconde, il ny ’avait qu’à l’écouter parler pour en avoir conscience. Il aurait tout bonnement fallu que je sois aveugle et sourde pour ne pas le comprendre, à la minute même où il avait prononcé le prénom de sa fille. « Je ne sais pas ce qu’elle a pu te raconter sur moi mais… » Ce qu’elle avait raconté ? Pas grand-chose, pour tout dire. Nous avions évoqué le sujet quelques fois bien évidemment et je savais que Mia en avait beaucoup souffert, mais après la profonde tristesse de voir son père partir du jour au lendemain, après les pleures et l’incompréhension, lorsqu’elle avait commencé à reprendre un peu du poil de la bête, même si elle ne s’en était jamais remise, bien évidemment, j’avais tout fait pour lui changer les idées et éviter de trop aborder le sujet avec elle. Les cicatrices que le départ d’Andrew avaient laissé pour Mia étaient suffisamment profondes pour qu’elle ne soit pas sans cesse ravivées par des blablas inutiles. Elle avait dû apprendre à vivre malgré son absence et c’était tout ce qui avait compté pendant bien longtemps. J’avais toujours été à son écoute, mais lorsqu’elle avait cessé d'aborder le sujet de son père, j'avais juste fait en sorte d’en faire de même. « Ce que je veux dire, c’est ce que je suis conscient que je n’ai pas toujours été un très bon père. J’espère qu’elle saura me pardonner et qu’elle pourra revenir vers moi, un jour. J’ai besoin d’elle. J’ai besoin qu’elle soit là auprès de moi. Je crois que c’est important pour que je puisse…me reconstruire, tu vois » J’étais réellement touchée par son discours, ne trouvant pas vraiment de mot pour le rassurer, ou l’aider un minimum, à cet instant. Machinalement, sans trop y réfléchir, je posais ma main sur la sienne, d’un geste timide de réconfort. « Ça s’arrangera, n’en doute surtout pas. Tu es son père et quoiqu’elle puisse te reprocher, ce sera toujours le cas. On a tous nos défauts et si tu es revenu vers elle, c’est bien la preuve que tu n’es pas un mauvais père. » Si mon propre père était parti aussi longtemps, je ne lui aurais pas pardonné immédiatement, c’était certain, mais je savais que j’aurais finit par le faire, peut-être au bout de quelques semaines, quelques mois ou même quelques années, mais je n’aurais pas pu l’ignorer éternellement, c’était certain.
En vint le sujet de ma maladie, sujet que j’avais tant de mal à aborder, mais paradoxalement et malgré cette longue absence, je me sentais assez en confiance pour le faire avec Andrew. Le fait qu’il ait été chirurgien était aussi un facteur essentiel, c’était certain. En réalité, je savais également qu’il n’irait pas le crier sur tous les toits et que je pourrais lui faire confiance. Ce n’était pas parce qu’il était au courant que ma famille finirait par l’être, j’avais été assez claire sur la situation et il n’allait pas me trahir, je le savais. Lorsqu’il me fit une leçon de morale, je lui avais répondu sur le ton de l’humour, sans réfléchir à mes paroles, mais rapidement, je sentis un malaise s’installer. C’est à ce moment que je réalisais que mes paroles, même dites sur le ton de l’humour, venait de toucher une corde sensible. « Je suis désolée, je n’aurais pas dû plaisanter à ce propos, je n’ai pas réfléchi… » J’étais réellement gênée et espérais que ces quelques mots, prononcés à la légère, n’allaient pas plomber totalement l’ambiance, voire lui donner tout bonnement envie de partir, de rentrer chez lui et de penser à autre chose. A trop parler sans réfléchir, j’en devenais parfois maladroite, c’était plus fort que moi. Je finissais par lui expliquer ce qui se passait dans ma vie depuis plusieurs semaines et le fait que je n’avais pas eu le courage de le raconter à ma famille. Sur beaucoup de points, j’étais une femme courageuse, mais ma famille était mon plus gros point faible, j’avais toujours peur de leur faire de mal involontairement, de les inquiéter alors qu’ils avaient tant d’autres choses à gérer… Andrew m’écouta dans le plus grand des calmes, sans m’interrompre une seule seconde. C’était agréable, le fait de pouvoir me confier sans être interrompue, sans provoquer de réactions négative et cette impression d’être aussi comprise me réchauffait le cœur. En quelques mots, j’avais compris que j’avais fait le bon choix en me confiant à Andrew et personne d’autre. Mes aveux terminés, il prit la parole à son tour, dans le plus grand des calmes. « J’ai deux avis à te proposer. Celui du médecin, et celui du père. Les deux se rejoignent à peu près, ceci dit » Je l’écoutais, attentivement, curieuse de les entendre. « Le médecin te dirait à quel point c’est imprudent de sortir maintenant. Il te dirait à quel point ta santé est importante, qu’il faut que tu te reposes si tu veux aller mieux. Qu’il est important que tu prennes ton traitement régulièrement. Et il te dirait aussi à quel point il est important que tu t’entoures des bonnes personnes pour surmonter ces moments qui ne sont pas faciles. Il te prendrait sûrement par l’oreille pour te ramener chez toi et te mettre dans ton lit jusqu’à ce que l’opération arrive. Le père de famille aurait sûrement la même vision. Il voudrait que tu te reposes. Il voudrait que tu lui en parles pour être au courant, pour t’accompagner jusqu’à l’hôpital, pour être à tes côtés avant et après l’opération, pour te serrer dans ses bras, pour te ramener chez toi, pour déposer un paquet de chocolats devant ta porte pour être certain que tu ne manques de rien après l’opération. Il serait fâché que tu ne lui dises rien. « Et puis je pourrais te donner l’avis de l’ami. Mais pas n’importe quel ami. L’ami un peu vieux, qui en a vu des vertes et des pas mûres. Il te dirait que tu n’as qu’une vie et qu’un petit écart de temps en temps, ce n’est pas si grave. Il te dirait que tu n’es pas obligée de le dire à ta famille si tu ne t’en sens pas la force pour le moment, mais que lui, il sera là pour te serrer la main et t’amener des chocolats si tu en as envie. Alors à toi de voir quelle version tu préfères… Je pense qu’il y a un peu de vrai dans tout ce que je t’ai dit. Mais tu es grande, Tessa, et je pense que tu seras capable de faire les choix qui sont les mieux pour toi et ta santé ». Il m’adressa un clin d’œil qui me provoqua un sourire, instantanément, avant de reprendre : « Alors, qu’est-ce que ça sera ? » J’étais profondément touchée par ses paroles et le fait qu’il ne m’impose rien, qu’il ne cherche pas à prendre de décision pour moi me faisait beaucoup de bien au moral. Je restais silencieuse un instant, plongée dans mes pensées. Je savais que le médecin avait raison, tout comme le père de famille, mais étais-je assez raisonnable pour les écouter ? Je ne le savais pas réellement, toujours est-il que je ne voulais pas lui mentir, pas lui faire de promesses si je ne savais pas si j’étais, ou non, capable de les tenir. « Déjà, pour rassurer le médecin, le père de famille et l’ami, très certainement aussi, je prends mon traitement comme on me l’a demandé. Je suis peut-être têtue, mais je sais que ce serait ridicule de ne pas le faire, ce serait prendre des risques inutilement, j’en suis consciente. » Je n’avais pas écouté toutes les prescriptions du médecin, mais je ne voulais certainement pas risquer un deuxième infarctus, parce que je n’avais pas été fichue d’avaler mes médicaments, cela aurait été ridicule et j’aurais fait d’autant plus souffrir ma famille, quand ils auraient été mis au courant. « C’est difficile de faire un choix, parce que je pense que le médecin et le père de famille ont raison… Mais je ne suis pas sûre de pouvoir être aussi raisonnable. Je ne peux pas te promettre de rester allongée toute la journée, ce n’est tellement pas… Moi… Et puis, je déteste être seule, je sais que je risque d’avoir le moral encore plus bas, si je me force à aller contre ma nature. » Pourtant, j’étais consciente que c’était ce qu’il y avait de plus sage à faire, mais je n’étais pas sûre d’être prête à cela. Je vivais seule et évitais un maximum de rester chez moi en solo, puisque c’était tout bonnement une de mes plus grandes hantises, alors le faire dans des circonstances si particulières, je n’étais certainement pas sûre de gérer cette solitude. « Quant au point de vue de l’ami… Je le trouve plutôt pas mal, mais… Tu comptes vraiment être présent ? Je veux dire, tu en as vraiment envie ? Je ne veux pas que tu te sentes contraint de quoi que ce soit, même si ça me touche, vraiment et que ça me ferait très plaisir… » J’étais réellement touchée qu’après tout ce temps, il soit encore prêt à être là pour moi et qu’il le propose aussi naturellement. Il arrivait à m’apporter une sérénité que je cherchais depuis cet incident et il l’avait fait en un temps record. « Je vais essayer de lever un peu le pied… Quant à ma famille… Je suis consciente qu’il va falloir que je franchisse le cap à un moment ou à un autre, s’ils l’entendent de la bouche quelqu’un d’autre, ce sera encore pire que tout… » J’avais réfléchi maintes et maintes fois à la situation et me taire signifiait aussi que je risquais de les faire encore plus souffrir que si je leur disais de moi-même la vérité. « Je ne pensais pas que ça me soulagerait autant de te parler de tout ça, je te remercie… » Vider mon sac avait tout bonnement été la meilleure décision que j’avais pu prendre ces dernières semaines, c’était indéniable.
Tessa avait été une oreille attentive. Il avait apprécié qu’elle tente de lui remonter le moral. Il appréciait chacune de ses paroles. Comme le fait qu’elle dise que peu importe ce qui s’était passé, il restait le père de Mia et qu’il n’était pas un mauvais père. Ça lui faisait chaud au coeur et il aurait voulu que Mia ait le même discours, mais pour le moment, c’était peine perdue. Tessa avait été tellement attentive qu’elle avait même remarqué qu’il s’était senti mal lorsqu’elle avait blagué sur le fait qu’elle devait l’appeler « papa ». Etrangement, il se sentait écouté. Et c’était plutôt agréable, après s’être senti trahi et rejeté par à peu près l’entièreté de ses proches. Mia, un peu Adam, puis Geo. Ça commençait à faire beaucoup, et il avait enfin trouvé quelqu’un pour l’écouter. Il essaya lui aussi de lui apporter de l’aide, en étudiant la situation de Tessa dans les moindres détails. Il devait bien l’avouer, son côté papa poule avait bien eu envie de lui mettre une petite tape derrière la tête et de l’engueuler. Si ça avait été Mia, il l’aurait réellement traîné par l’oreille après lui avoir passé une soufflante. Mais Tessa n’était pas sa fille et il estimait que ce n’était pas son rôle. « Déjà, pour rassurer le médecin, le père de famille et l’ami, très certainement aussi, je prends mon traitement comme on me l’a demandé. Je suis peut-être têtue, mais je sais que ce serait ridicule de ne pas le faire, ce serait prendre des risques inutilement, j’en suis consciente. ». Andrew hocha la tête, satisfait de sa réponse. « C’est un bon point pour toi, ça déjà ! ». Il lui fit un léger clin d’oeil. « C’est difficile de faire un choix, parce que je pense que le médecin et le père de famille ont raison… Mais je ne suis pas sûre de pouvoir être aussi raisonnable. Je ne peux pas te promettre de rester allongée toute la journée, ce n’est tellement pas… Moi… Et puis, je déteste être seule, je sais que je risque d’avoir le moral encore plus bas, si je me force à aller contre ma nature ». Là encore, il comprenait. Il en avait eu passer, des jeunes et des moins jeunes, qui refusaient de rester allités et qui gesticulaient dans tous les sens dans l’espoir de faire une ballade dans les couloirs de l’hôpital. « Je pense qu’il suffit de trouver un compromis. Tu n’es pas obligée de rester cloîtrer chez toi toute la journée, mais l’important c’est que tu y ailles mollo. Tu peux t’octroyer une sortie par joue. Mais n’imagine pas que tu vas aller courir sur la plage tous les week-end, je te ferais rentrer chez toi avec un coup de pied au cul ! ». Ca aussi, il le pensait réellement. Il la surveillerait de près, hors de question qu’elle mette sa santé en danger. « Quant au point de vue de l’ami… Je le trouve plutôt pas mal, mais… Tu comptes vraiment être présent ? Je veux dire, tu en as vraiment envie ? Je ne veux pas que tu te sentes contraint de quoi que ce soit, même si ça me touche, vraiment et que ça me ferait très plaisir… ». Il eut un léger sourire. S’il y avait bien quelque chose qu’il voulait faire, c’était d’être présent pour les gens qui l’entourent. « C’est promis, je serai là tous les soirs. Je m’arrangerai pour passer te voir et vérifier que tout va bien. Qui sait, si t’as bien respecté les consignes du médecin, tu pourras même avoir un petit plat préparé par mes soins ! ». Il jeta un coup d’oeil à sa montre. L’heure tournait vite. Il avait discuté un sacré long moment. Il lui lança un dernier sourire. « Merci à toi, Tessa. Ça m’a fait du bien de recroiser du monde. Faut croire que l’air marin, ça aide à se confier ! ». Il se leva du banc, prêt à prendre congés. « Demain, 18h, chez toi ? Tu pourras même rester en pyjama, si tu veux ». Il lui fit un petit clin d’oeil, et sans plus de cérémonie, la salua avant de repartir en courant jusque chez lui. Il avait le coeur léger, et ses pensées sombres l’avaient presque quitté.
Me confier à Andrew m’avait fait le plus grand bien, j’appréciais autant son oreille attentive que son franc parlé. S’il y avait bien une chose que je n’imaginais pas avant de tomber sur le père de mon amie, c’était de me confier aussi facilement à une personne qui avait été inexistante dans ma vie pendant tant d'années. Je me sentais soulagée d’un poids et j’étais touchée de le sentir aussi concerné, alors qu’il aurait pu simplement se contenter de m’écouter. Peu à peu, mon regard changeait sur cet homme que j’avais beaucoup côtoyé durant mon enfance, il n’était plus juste le père de Mia ou un ami de mes parents, en une seule entrevue, je savais déjà qu’il était en train de devenir bien plus que cela. C’était étonnant à quel point notre regard pouvait changer sur une personne entre le début de l’adolescence et l’âge adulte, la maturité que j’avais prit entre temps me faisait voir les choses totalement différemment. « C’est un bon point pour toi, ça déjà ! » Je savais que, malgré la façon dont je gérais ma vie en ce moment, il ne m’était pas permis de prendre mon traitement à la légère. Même si je minimisais les choses, je n’étais pas passée loin de la mort la première fois, si Lawrence n’avait pas été présent et aussi réactif, je ne savais même pas si j’aurais été capable de parler de ce qui s’était passé à ce moment-là… Ne pas prendre mon traitement, c’était aussi prendre le risque de vivre une crise fatale cette fois-ci et en dehors du fait que j’avais encore plein de choses à vivre, je ne pouvais pas concevoir le fait de laisser ma famille et mes proches à cause de mon caractère borné. « Je pense qu’il suffit de trouver un compromis. Tu n’es pas obligée de rester cloîtrer chez toi toute la journée, mais l’important c’est que tu y ailles mollo. Tu peux t’octroyer une sortie par joue. Mais n’imagine pas que tu vas aller courir sur la plage tous les week-ends, je te ferais rentrer chez toi avec un coup de pied au cul ! » Je laissais échapper un petit rire à sa réplique. Le pire dans l’histoire, c’est que j’étais consciente que ce n’étaient pas des paroles en l’air, que maintenant qu’Andrew était au courant, j’avais plutôt intérêt d’être raisonnable, surtout si nous fréquentions régulièrement les mêmes lieux. Maintenant qu'il savait tout, je ne pouvais plus lui mentir en faisant croire que mes petites promenades de santé me faisaient du bien. Je n’avais tout bonnement plus le choix que d’être raisonnable. « C’est promis, je serai là tous les soirs. Je m’arrangerai pour passer te voir et vérifier que tout va bien. Qui sait, si t’as bien respecté les consignes du médecin, tu pourras même avoir un petit plat préparé par mes soins ! » Je ne m’étais certainement pas attendue à autant d’attentions de sa part et j’étais réellement touchée par de telles paroles. Son retour à Brisbane était une véritable aubaine en mon sens, j’étais ravie d’avoir une occasion de pouvoir le côtoyer à nouveau, voir peut-être d’essayer de rattraper un peu le temps perdu. « Merci à toi, Tessa. Ça m’a fait du bien de recroiser du monde. Faut croire que l’air marin, ça aide à se confier ! » Machinalement, mon regard se posa sur ma montre. Le temps était passé extrêmement vite, moi qui me plaignais que les journées n’avaient jamais été aussi longues que depuis que je ne travaillais plus… Etrangement, je me sentais le cœur léger et cette envie de me battre d’avantage, de continuer à garder le sourire coûte que coût m’envahissait un peu plus. Andrew avait, en l’espace de quelques paroles échangé, eu bien plus d’incidence positives sur mon état d’esprit que je n’aurais osé l’avouer. « C’est vrai que le temps est passé bien trop vite… Je vais rentrer chez moi me reposer un peu. » Lançais-je, ne manquant pas de lui faire un clin d’œil, lui prouvant ainsi que j’avais bel et bien écouté ses conseils. « Demain, 18h, chez toi ? Tu pourras même rester en pyjama, si tu veux » Mon sourire s’agrandit et mon regard était pétillant, j’étais partagée entre une positivité étonnante et une certaine émotion de constater qu’il était aussi adorable avec moi alors que rien de l’y obligeait, que moi-même je n’aurais pas osé lui demander d’en faire temps. Alors qu’il commençait à faire volte-face, je le stoppais dans son élan. « Andrew ? » J’attendais qu’il se retourne et lançais, avec un sourire : « Ça me fait vraiment plaisir que tu décides de passer me voir… J’ai hâte d’être à demain… » Avant de lancer un dernier : « Merci beaucoup Andrew… » Et de partir dans la direction opposée, un sourire rayonnant ne quittant plus mon visage.