J’ai plus mis les pieds chez Greg depuis une semaine. C’est pas que j’avais pas envie de le voir, c’est juste que j’étais encore touchée par sa réaction et que j’arrivais pas à prendre du recul. J’arrivais pas à comprendre que c’était normal que ça l’fasse flipper, que ce soit normal qu’une telle annonce puisse foutre le bordel…. J’crois que si ce soir, j’étais en bas de chez lui, c’était uniquement grâce à Jane. On avait passé la soirée à parler de ça. Elle trouvait bizarre d’autant me croiser ces derniers jours et avait fini par aborder le sujet. Je pense que verbaliser ce que j’avais sur le cœur m’avait fait du bien et m’avait permis d’exorciser toute ma colère et de prendre un peu de hauteur. Nos échanges m’avaient permis de faire ce dont j’étais incapable jusqu’à présent : comprendre.
Elle m’avait demandé de faire appel à mon empathie, que celle-ci ne devait pas m’être réservée que dans un cadre strictement professionnel mais que parfois, c’était aussi bien de la pratiquer dans mes relations personnelles. C’est vrai que je pouvais être assez exigeante avec mes proches en leur demandant d’adopter les mêmes reflex que moi. Elle m’avait bien fait comprendre que si je pouvais être ouverte et tolérantes sur bien des choses, il fallait aussi que je le sois quand les autres ne l’étaient pas autant que moi. Et aussi, que certaines personnes avaient besoin de temps. Greg avait sans doute besoin de temps, du temps pour assimiler et qu’en pensant qu’en cinq secondes il aurait dû me dire que c’était ok, je me trompais. Je m’étais rendu compte que je lui avais mis la pression, qu’en peu de temps, j’avais fait deux annonces chocs et qui n’allaient pas de pairs. Trop d’émotions, trop d’informations, trop pour un seul homme. Trop pour Greg surtout.
J’avais pas rompu tout nos contacts, il avait droit à ses messages quotidien, il avait droit à quelques photos dans la semaines, j’lui disais que ca allait, que j’avais le temps de rien, que j’étais occupée. J’étais pas plus occupée que d’habitude, il devait l’savoir, j’avais juste du mal à avaler tout ça. Mais j’étais devant chez lui ce soir, parce qu’il me manquait. J’avais pas osé utiliser le double des clés qu’il m’avait donné alors que ces derniers temps, j’me gênais plus, j’entrais chez lui comme si c’était chez moi. Cette fois-ci, je sonnais à la porte, j’attendais juste qu’il vienne ouvrir et que Doowap me saute dessus parce que moi aussi, je lui avais manqué.

Une semaine. Une semaine sans la voir, c’était long quand même. Elle me disait qu’elle était occupée, j’y croyais moyennement, mais je me disais qu’elle avait besoin de temps, elle aussi. J’avais fait mes propres recherches, j’avais vu qu’elle était innocente, que l’autre con d’inspecteur avait vraiment fait n’importe quoi, et je m’en étais voulu de pas l’avoir crue sur le coup. Mais j’avais fait comme j’avais pu avec les infos que j’avais, c’est-à-dire pas beaucoup, c’est-à-dire que j’ai galéré. Elle pouvait me reprocher de ne pas l’avoir crue sur le coup, mais faut quand même qu’elle avoue que c’est pas évident de faire face à quelqu’un qui nous annonce avoir fait de la taule et qui insulte la justice alors que c’est exactement de ça dont est fait mon métier, et par conséquent, une grosse partie de ma vie. Je m’étais bien gardé de lui dire que j’avais vérifié son dossier, je suis franchement pas sûr qu’elle aurait apprécié, mais j’avais fait en sorte d’être plus doux par message, je voulais qu’elle comprenne que je ne lui en voulais pas, que je lui fais confiance, mais que je lui laissais le temps de revenir vers moi. Parce qu’elle allait bien finir par revenir, non ? On est d’accord que c’est à elle de revenir, pas à moi ? Je me suis déjà excusé, j’avais fait des efforts sur mes messages ces derniers temps, elle ne pouvait pas me reprocher grand-chose, si ?

En sueur, je reviens de mon footing quotidien. Chloe a l’air d’avoir repris du poil de la bête, elle arrive plutôt bien à me suivre à nouveau dans la course, et je me suis donc bien dépensé ce soir. J’ai à peine le temps d’allumer l’eau de la douche que la sonnette retentit. « Putain mais c’est qui ça », je grogne, éteins l’eau, réenfile mon short et me dirige vers la porte. Je jette un coup dans le judas. C’est Noa. Pourquoi elle rentre pas ? Elle a les clés pourtant ? Oh putain, ça n’annonce rien de bon. Je lui ouvre, penaud. « Ca va ? T’as pas tes clés ? » que je lui demande en l’interrogeant du regard, en me décalant pour la laisser rentrer. Elle va rentrer quand même, hein qu’elle va rentrer ?

@noa jacobs

J’ai l’impression qu’il est pas là, parce qu’il met du temps à venir ouvrir et j’suis à deux doigts de partir. Et si vraiment, j’devais m’en aller là, je sais pas bien quelle serait l’issue de tout ça. Je sais pas si j’aurai la force de revenir à nouveau pour le retrouver, parce que même si j’avais bien réfléchi, j’avais l’impression de faire un effort en me pointant chez lui. Ça me pesait. Alors qu’en fait, il m’aurait suffit d’ouvrir sa porte pour aller voir s’il était pas juste entrain de dormir, par exemple.
J’tourne déjà les talons quand finalement, j’entends la poignée bouger et j’me retourne, le cœur palpitant à mille à l’heure, c’est fou. Il pointe le bout d’son nez, cheveux mouillés, ok il était juste en train d’prendre une douche ? Il s’attendait pas à m’voir débarquer comme ça, surtout pas que j’sonne pour attendre qu’il vienne m’ouvrir. Ca m’fait du bien d’être devant lui. « Ca va ? T’as pas tes clés ? » Qu’est-ce que j’dis là ? Si, elles sont dans ma poche mais que j’ai pas voulu les utiliser ? Alors que ça lui aurait semblé normal que j’fasse comme d’habitude ? « J’les ai oublié. » j’hausse les épaules, ça, c’est pas la vérité mais au moins, ca m’fait pas passer pour une conne. J’suis comme un chien qui revient la queue entre les jambes et qui veut rentrer à la maison, qui veut être dans son cocon. Je passe à côté de Greg, rentre chez lui et me rappelle comme j’m’y sens toujours bien. J’pose mon sac, toujours au même endroit, à côté de ses pompes, la place toujours libre. J’me retourne finalement sur lui quand il referme la porte derrière moi. Je meurs d’envie de me serrer contre lui et de juste profiter de ses bras autour de moi. J’meurs d’envie d’aller trouver ses lèvres, parce qu’elles m’ont manqué. J’me sens fébrile et il se passe trop de secondes silencieuses à mon goût. J’vais quand même pas me mettre à chialer là ? Franchement, j’suis venue ici pour ça ? Mon cœur se serre de plus en plus et mon seul remède, c’est de faire c’que j’vais faire maintenant : me blottir contre lui et juste rien dire en fait. « J’suis désolée. » que je souffle. Désolée d’avoir pris mes distances pour rien, désolée d’avoir exigé de lui de tout accepter sans broncher, de pas lui avoir donner le bénéfice du doute, de pas lui avoir donné l’temps d’assimiler tout ça. J’ai mal au cœur et j’veux juste réparer tout ça.

Elle a l'air hésitante quand elle rentre, qu'est-ce qu'elle me fout, là ? Il est 21h et elle a oublié ses clés, ça veut dire qu'elle sort tout juste du boulot ? Qu'elle est pas repassée chez elle entre temps ? Pourquoi venir chez moi dans ce cas, sans me prévenir ? Elle a quelque chose à me dire qui ne pouvait pas attendre ?
Je la laisse rentrer, en silence, et referme tout doucement la porte derrière elle. La prendre dans mes bras et l'embrasser, c'est tout ce dont j'ai envie là maintenant, mais je suis pas certain de la raison pour laquelle elle s'est pointée ici ce soir. Et puis, je dois puer la mort avec tout ce que j'ai sué ce soir. Je me retourne pour lui faire face, elle a l'air perdue, une moue triste sur son visage. "Qu'est ce qui se passe Noa...?" que j'ose enfin demander, le cœur battant. J'ai toujours l'impression qu'il y a un moment, ça finira entre nous, parce que j'aurais foiré, parce qu'elle voudra plus, parce qu'elle se rendra compte que je lui conviens pas. Je lui en voudrais pas, je comprendrais parfaitement, je fais pas vraiment tout correctement avec elle depuis le début. Elle finit par se rapprocher de moi et me serrer contre elle, serrer mon torse poilu transpirant contre sa joue. J'ai la respiration rapide et le souffle court, toujours aussi apeuré qu'elle me quitte, mais je la serre contre moi à mon tour. « J’suis désolée », qu'elle me sort, se blottissant davantage contre moi. "T'es désolée de quoi, Noa ?" Je comprends pas bien où elle veut en venir, ni pourquoi elle s'excuse. Il me semble que c'était moi le connard dans l'histoire, non ? "T'as... fait quelque chose ?" Parce que c'est la seule réponse qui pourrait justifier ses excuses, parce qu'au fond, je flippe qu'elle ait fini par trouver mieux ailleurs : ce serait pas bien difficile.

Quand j’me colle contre lui, j’comprends qu’il sort pas de la douche mais qu’il allait sans doute y aller, parce que si ses cheveux sont mouillés, c’est surement parce qu’il revient de son jogging et vue l’heure j’aurai du m’en douter. Mais bon, j’m’en fou qu’il pue, qu’il soit en sueur, parce que ça m’fait juste du bien d’être avec lui et de pouvoir enfin relâcher la pression. Même si j’sais pas c’que j’fou, même si j’avais peur qu’il soit soulée qu’on se soit pas vu de la semaine. J’suis chez lui presque tous les jours depuis plusieurs semaines, je sais même pas à quoi me sers mon appartement – bon, si en fait, il me sert quand j’ai pas trop envie d’le voir et que j’suis en colère contre lui. Ca fait à peine adolescente capricieuse ça… hm. J’ai l’impression de revivre mon premier amour, d’être si accro à lui, que ça en ferait presque flipper. Greg, c’est la relation que j’attendais depuis toujours, une relation d’adulte, sérieuse, où j’ai l’impression que j’peux enfin me projeter à plus de trois jours, que j’demande pas la lune de savoir si on peut programmer des trucs sérieux, des weekends, des vacances… avoir des conversations complètes et construite et où son seul centre d’intérêt c’est pas de savoir combien je gagne et si il allait pouvoir me soulever tous les soirs. Greg c’est des soirées à regarder des films qu’on aime pas tous les deux mais dont on a envie de connaitre la fin. C’est des promenades avec Doowap, main dans la main et des glaces pour finir le parcours. C’est se plaindre tous les deux d’nos taf pendant des heures et y retourner le lendemain avec une envie de toujours faire mieux quand même. C’est des projets cons d’ouvrir un bar à saucisson pour monsieur mais dont on sait pas trop si ca finira par se faire un jour. C’est des jours et des jours à tenter d’le convaincre de manger quelques musli au petit dej pour lui faire dire que c’est pas si dégueulasse que ça. En plus, avec du chocolat, ca passe toujours… "T'es désolée de quoi, Noa ?" quoi ? J’ai fais la presque morte pendant une semaine et c’est pas suffisant pour s’excuser ? Il m’en veut pas ? C’est normal ça ? "T'as... fait quelque chose ?" j’relève les yeux, j’fronce les sourcils. « Pas ce à quoi tu penses ! » enfin, j’sais pas à quoi il pense, mais j’ai l’impression qu’il croit que j’ai fais une grosse connerie, enfin, du moins, que j’ai fais un truc que j’aurai pas du faire et du genre impardonnable. J’crois pas que ça se situe dans cette catégorie là. « J’suis juste désolée de pas t’avoir laisser l’temps et de t’avoir mis la pression comme je l’ai fais. » j’pose ma tête encore deux secondes sur son torse juste pour entendre son cœur battre aussi vite que l’mien et en fait, ca m’fait sourire. « Tu m’as manqué, c’est tout. J’ai l’impression de pas t’avoir vu depuis une éternité et j’t’en ai beaucoup voulu toute la semaine… » que j’finis par avouer quand même, parce que j’lui avais pas dis clairement jusqu’à présent, faisant comme si tout allait bien.

Je m’accroche à l’espoir quand je la sens contre moi. C’est con, rien que ça, ça aurait dû me faire comprendre qu’elle comptait pas me quitter. Pourquoi est-ce que j’ai toujours peur qu’elle me quitte, à chaque fois ? Quand est-ce que la balance a été retournée comme ça ? Pourquoi est-ce que je m’accroche autant à elle ? J’ai peur de cette relation où je m’attache aussi vite, aussi fort, aussi violemment. Et depuis qu’elle m’avait dit qu’elle m’aimait, j’étais tiraillé par l’envie de me laisser aller et le besoin de m’éloigner, je savais pas ce que je faisais, ce qu’il fallait faire, comment il fallait le faire, mais je vois juste que je suis de plus en plus effrayé à l’idée qu’elle m’échappe. Alors quand elle s’excuse, je me demande ce que j’ai fait foiré, si c’est elle qui est allée foirer la relation en étant allée voir ailleurs. Mais visiblement, elle semble étonnée de ma question. Elle me recadre rapidement, et s’explique : « J’suis juste désolée de pas t’avoir laisser l’temps et de t’avoir mis la pression comme je l’ai fais. » Je relâche ma respiration et m’autorise enfin à détendre mes muscles pour la serrer plus fort contre moi. « Tu m’as manqué, c’est tout. J’ai l’impression de pas t’avoir vu depuis une éternité et j’t’en ai beaucoup voulu toute la semaine… » Donc elle était bel et bien distante avec moi. Pourtant, je m’étais excusé d’avoir réagi fortement la semaine passée, et j’avais fait des efforts toute la semaine pour me montrer affectueux et présent une fois que je m’étais assuré qu’elle était bel et bien innocente. « Tu m’as manqué aussi, » que je me contente de dire avant d’embrasser son crâne, puis de lui relever le menton pour l’embrasser. Elle m’avait vraiment manqué. « Je dois vraiment t’avoir manqué pour que tu me prennes dans tes bras alors que je suis crade comme ça. » Je rigole, reprends de l’assurance. « Tu veux m’accompagner sous la douche ? » que je lui demande finalement, la tirant déjà vers ma salle de bain.

C’est vrai que j’avais été dure la semaine dernière et que pour le coup, mes mots avaient largement dépassés mes pensées, mais j’étais déjà revenu la dessus le soir même avec un méa culpa digne de ce nom par sms. Greg avait fini par en faire autant. Mais pour la peine, tout le reste m’était resté quand même à travers de la gorge toute cette semaine. J’avais finalement fini par ravaler ma fierté et merci Jane, encore une fois.
Il flippe de je ne sais quoi quand je m’excuse, comme si pour lui, tout ça c’était déjà fini et j’vais pas m’en plaindre, il a pas l’air de m’en tenir rigueur d’avoir été assez distante et peut être qu’il a aussi compris pourquoi. Finalement, si on peut se comprendre l’un et l’autre, c’est pas plus mal et si on peut foutre ça derrière nous, c’est encore mieux. Au moins, jusque-là, j’avais vraiment plus rien à lui cacher et ce serait aussi plus simple à l’avenir. « Tu m’as manqué aussi, » ca suffit à m’faire sourire et ça suffit pour plus vouloir partir d’ici avant un long moment. Des fois j’me demande si ce serait pas juste plus simple d’emménager avec lui pour de bon, mais j’sais pas encore si j’ai vraiment envie de laisser mon appart. J’ai refais toute ma chambre avec Kane avant qu’il parte à ROA et j’m’y suis toujours sentie vraiment bien. Mais si j’le lâche pas, c’est uniquement sentimental, par attachement. Aussi pour Jane, j’avoue, je sais pas si elle aurait les moyens de le garder – je sais carrément qu’elle aurait pas les moyens, ca voudrait dire qu’elle devrait aussi changer d’appartement et bon, j’ai du mal à lui forcer la main. C’est chiant, en fait. Enfin bref, c’était pas le moment, Greg m’avait jamais fait une telle proposition, bien que j’avais déjà les clés de chez lui. Mais entre ça et habiter pour de bon, c’est-à-dire, venir avec toutes mes affaires et avoir une place dans ses placards, c’est pas pareil – même si j’ai déjà squatté un bout de son dressing de malade.
« Je dois vraiment t’avoir manqué pour que tu me prennes dans tes bras alors que je suis crade comme ça. »et pour cette remarque, il a droit à une tape sous son pec en sueur. « J’avoue, tu devrais faire profil bas et t’en contenter ! » je réponds en me soulevant sur la pointe des pieds pour atteindre ses lèvres encore timide. « Tu veux m’accompagner sous la douche ? » j’me laisse tirer vers la salle de bain sans broncher. « Uniquement parce que tu sais pas te frotter l’dos. »