Une journée pas comme les autres puisque pour une fois, je m’étais décidée à penser un peu à moi, bien trop prise par mon boulot, habituellement. J’étais heureuse d’avoir réussi ma vie professionnelle, concrétisé une bonne partie de mes projets, mais dans tout cela, je m’étais oubliée un peu, je devais bien l’avouer. Il faut dire que j’étais une éternelle insatisfaite concernant mes projets professionnelles, je voulais toujours plus, toujours mieux. J’avais réussi mes études avec brio, j’avais une bonne place dans un cabinet vétérinaire dans lequel tout se passait bien, mais à présent j’avais quelque chose d’autre en tête et je savais que cela ne me quitterait pas tant que je ne l’aurais pas concrétisé. Je comptais, à présent, ouvrir mon propre cabinet, dans l’espoir d’être ma propre patronne. Me lancer dans cette aventure ne m’effrayait pas, au contraire, cela était même plutôt excitant de se lancer dans tous ces projets et je ne doutais absolument pas de ma réussite à venir. J’avais commencé à me renseigner, à faire quelques démarches et même si je savais que cela ne se ferait pas du jour au lendemain, qu’il me faudrait du temps et de la patience, cela ne m’effrayait absolument pas.
En ce jour de congé, j’avais tout de même pris sur moi pour me sortir de tout cela et m’aérer un peu l’esprit, j’étais consciente que cela me ferait le plus grand bien. Après avoir marché quelques dizaines de minute, le sourire aux lèvres et l’esprit ailleurs, je finissais par jeter mon dévolu sur un café que j’avais l’habitude de fréquenter depuis très longtemps maintenant. Je me posais sur un fauteuil et profitais de l’ambiance du lieu, le regard ailleurs. « Qu’est-ce que je vous sers ? » Un léger sursaut m’envahit, je n’avais même pas entendu la serveuse arriver, tant j’étais plongée dans mes pensées. « Pardon, j’avais la tête ailleurs… Un cappuccino et une part de quatre quarts, merci ! » En attendant l’arrivée de ma commande, machinalement, je sortais mon téléphone portable de ma poche, puis, au bout de quelques minutes à traîner sur les réseaux sociaux, sans grand intérêt, je me décidais d’envoyer un message à Adriel.
Adriel était quelqu’un qui avait une importance capitale dans ma vie et c’était loin d’être un hasard. Ancien ami de longue date, il avait été aussi mon seul et unique amour, le seul qui ne m’avait pas menti, le seul pour qui j’avais nourris de réels sentiments, le seul qui avait partagé ma vie plus de quelques semaines. Nous avions été vraiment proches, fusionnels, il connaissait ma famille et malgré quelques disputes parfois, notre relation n’avait jamais dérapé, à tel point que tout le monde nous voyait ensemble pour des dizaines d’années à venir. Pourtant, nos chemins avaient fini par se séparer, d’un commun accord et malgré les sentiments que nous ressentions l’un pour l’autre et pour cause, nous avions des projets de vie différents et nous savions que nous ne pourrions supporter une relation à longue distance. Les aurevoirs avaient été déchirants, j’avais vécu notre séparation comme une véritable peine de cœur, même si je savais que la douleur aurait été d’autant plus forte si nous avions continué à entretenir nos liens. Je m’étais enfermée chez moi un moment, à pleurer toutes les larmes de mon corps, à avoir l’impression qu’on m’avait enlevé une partie de moi-même, mais je n’avais pas eu le choix que d’avancer et de continuer ma vie sans lui, enfin presque sans lui. Nous avions gardé contact bien entendu, un contact presque permanant les premiers mois, puis des appels et des messages qui s’étaient un peu espacés avec le temps. Pour autant, tous les évènements importants de nos vies, nous nous les étions partagés l’un avec l’autre, comme si soudainement, les kilomètres qui nous séparaient n’existaient plus vraiment. Je savais que malgré tout, Adriel resterait une personne qui avait l’une des grandes places dans ma vie et que notre histoire d’amour resterait parmi les meilleurs souvenirs que je garderais au fond de moi. Peut-être, sans doute, que s’il était resté en Australie, nous serions encore ensemble, mais je ne voulais pas vivre dans le regret. Parfois la vie nous réserve quelques surprises, parfois elle nous force à prendre des décisions que nous croyions impensables et puis malgré tout, il faut continuer à suivre son chemin, dans l’espoir que ce dernier finirait tout de même par retrouver celui de la personne à qui nous tenons tant.
Lorsque le jeune homme me demanda, où je me trouvais, un petit sourire vint s’afficher sur mon visage. Il connaissait bien ce café puisque nous y allions très régulièrement ensemble et je ne fus pas surprise de sa question. Après tout, nous avions l’habitude de chercher systématiquement à savoir où l’on se trouvait mutuellement lorsque nous discutions, une façon comme une autre d’avoir l’impression d’être encore un peu ensemble par l’esprit, c’était mieux que rien. Je lui retournais finalement la question, sans avoir de réponse immédiate. Je restais le regard rivé sur mon téléphone pendant quelques minutes avant de le poser, un peu déçue. Sans doute était-il occupé et répondrait-il plus tard. Je ne pouvais m’empêcher de ressentir une certaine inquiétude lorsqu’il ne répondait pas immédiatement, puisqu’il était plutôt réactif habituellement, mais je me rassurais en me disant qu’il avait très probablement une bonne raison et qu’il le ferait plus tard. Je prenais ma tasse pour la porter à mes lèvres et je perdais mon regard dans le vide, pensive. Quelques minutes de silence, les lieux étaient calmes, peut-être trop calmes même. Tout à coup, un objet apparut devant mes yeux, sorti de nulle part, me provoquant un léger sursaut. Je l’observais rapidement lorsqu’une voix retentit de derrière moi, une voix que j’aurais reconnu entre mille. Un sourire radieux éclaira soudainement mon visage et mon rythme cardiaque s’accéléra. Il était là, bel et bien là, je ne rêvais pas. Alors qu’il prenait place sur le fauteuil en face de moi, je lui laissais à peine le temps de s’installer que je me levais et lui sautais dans les bras, en l’étreignant de toutes mes forces. « Tu m’as manqué, si tu savais ! » Je lâchais finalement l’étreinte et prenais le porte clé dans la main, un grand sourire ne quittant pas mes lèvres. « Merci, il est magnifique ! » J’étais totalement sous l’effet de la surprise, ne sachant plus réellement où j’en étais. Adriel avait toujours été adepte de ce genre de surprises, mais cette fois-ci, je m’attendais à tout sauf à cela. « Comment tu as pu garder ça pour toi ? Je n’aurais jamais pu le faire à ta place ! » Lançais-je avec une pointe d’humour. Je reculais et m’asseyait de nouveau sur mon fauteuil, tout en ne le quittant pas des yeux, comme si je craignais qu’il ne parte encore, une nouvelle fois, ou qu’il soit juste le fruit de mon imagination. Je le regardais prendre un bout de mon gâteau sans aucune gêne, d’autant plus heureuse de voir qu’il n’avait pas perdu cette habitude. « Alors te voilà de retour ? Tu comptes rester combien de temps ? » J’avais peur qu’il ne reparte rapidement et je préférais savoir à quoi m’en tenir dès le départ. J’espérais sincèrement qu’il resterait un moment, que je puisse profiter à nouveau de sa présence dans ma vie, même si j’avais continué mon chemin sans lui, je ne m’étais jamais totalement remise de son départ.
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Désolée pour le temps d'attente, j'ai eu un week-end plus chargé que prévu
Je n’en avais jamais fait part à Adriel, mais je m’étais longtemps posé des questions sur ma vie et en particulier sur mes choix, le concernant. Quand il avait quitté Brisbane, je l’avais très mal vécu, j’avais même songé, à de nombreuses reprises, à tout plaquer pour le rejoindre. Moi, Tessa Mulligan, qui avait toujours eu une vie carrée, qui avait toujours contrôlé, j’avais songé à tout envoyer promener pour une seule personne. Ce n’était pas dans mes habitudes d’avoir de telles pensées, mais Adriel était quelqu’un de particulier et j’avais vite comprit à mes dépends, que cela n’était pas près de changer. Il y avait parfois, des personnes comme lui, qui débarquaient dans votre vie et dont vous étiez incapables de faire ressortir, parce qu’au fond de vous, vous savez que vous n’aurez jamais l’occasion de vous attacher autant à une autre personne. Je lui avais confié que son départ m’avait meurtrie, mais il n’avait probablement pas conscience de l’état dans lequel je m’étais trouvée, les premiers mois, les premières semaines. Si je ne l’avais pas suivi, c’était uniquement la peur qui m’avait retenue, mes projets étaient tout tracés, je savais ce que je voulais professionnellement parlant et il y avait ma famille… Qu’auraient pensé mes parents si je disais que je laissais de côté les plus grandes réussites de ma vie, tout ce dont je m’étais battue avec acharnement, juste pour les beaux yeux d’un garçon ? Ils n’auraient pas compris, personne n’aurait pu le comprendre à part moi, et Adriel peut-être. Je m’étais donc forcée à continuer ma vie à Brisbane, à essayer de faire comme si ma vie continuait normalement, comme je n’étais pas affectée plus que cela du départ d’Adriel. Je m’étais cachée derrière mon sourire, mes réussites professionnelles et encore une fois, j’avais contrôlé ma vie, ou du moins ce qui, aux dires de mes parents, avaient bien plus d’importance que tout le reste. J’avais tenté d’autres histoires avec d’autres hommes, qui s’étaient toujours soldés par des échecs. J’avais cru m’attacher, j’avais cru tomber amoureuse, mais ce n’était pas vraiment de l’amour, juste l’espoir de pouvoir retrouver ce sentiment et vibrer à nouveau comme j’avais vibré le passé. A chaque fois, j’étais tombée de haut, à chaque fois je m’étais relevée, à chaque fois j’avais gardé le sourire et à chaque fois, je n’avais cessé de repenser à Adriel. Si mes études, si ma vie professionnelle avaient toujours été une réussite, avaient toujours été tous tracées, il n’en était pas de même pour ma vie sentimentale, sauf que, malheureusement, j’avais pris ça pour une fatalité et je ne m’étais pas battue pour qu’il en soit autrement.
Si je m’étais rendue dans ce café plutôt qu’un autre, ce n’était absolument pas par hasard. Il n’était pas rare de m’y trouver depuis son départ et en particulier lorsque j’étais seule. Ces lieux étaient chargés de souvenirs positifs et lorsque je m’y trouvais, je ne pouvais m’empêcher de sentir une certaine sérénité que j’avais un peu perdu, une chaleur et un apaisement qui me manquaient beaucoup au quotidien. J’avais l’impression qu’il était un peu là, sans l’être réellement. Le voir ainsi, assit face à moi, comme au bon vieux temps, me donnait l’impression d’avoir été transportée dans un univers parallèle. J’avais encore l’impression que mon imagination me jouait des tours et même lorsque je vivais quelques moments de lucidité, je ne pouvais pas m’empêcher de me demander ce qu’il en serait dans quelques jours, quand il aurait de nouveau quitté Brisbane, me ravivant ainsi des souvenirs dont je ne m’étais jamais totalement remise. Il me taquina en faisant comme s’il ne comprenait pas que je ne parlais pas du porte clé, mais du secret de sa venue. Je lui donnais une tape affectueuse sur l’épaule, faisant semblant d’être contrariée. Il m’avoua que cela avait été difficile pour lui de ne pas me vendre la mèche, mais que j’étais consciente qu’il aimait faire les choses sur un coup de tête. J’avais bien eu le temps de remarquer cet aspect de sa personnalité dans le passé et c’était quelque chose que je lui enviais. J’aurais adoré être moins cérébrale et plus fonceuse, j’aurais sûrement pris les bonnes décisions si je n’avais pas passé toute ma vie à réfléchir à mes actes et à leurs conséquences. J’avais finalement risqué la question de demander combien de temps il était de retour, non sans ressentir une certaine appréhension à l’attente de sa réponse. Je m’étais attendue à tout sauf à ce qu’il allait me répondre. « Vraiment ? » Lançais-je, les yeux grands ouverts de surprise, tout en cachant difficilement ma joie. Je me retenais fortement de ne pas lui sauter une nouvelle fois dans les bras, je contenais très difficilement cette envie de contacts physiques avec le jeune homme, même si pourtant, cela semblait encore tellement naturel de ma part. Lui et moi, c’était de l’histoire ancienne, durant ces quelques années j’avais dû me faire une raison et je me le répétais encore dans un coin de ma tête. Nous nous étions séparés parce que c’était la meilleure solution, je l’avais aimé plus que tout au monde, mais nos chemins avaient dû se séparer. La décision avait été très difficile à prendre, mais nous savions l’un comme l’autre qu’une relation à distance n’était pas envisageable pour nous deux. J’avais besoin de l’avoir près de moi, c’étais inimaginable de poursuivre une relation en le voyant une fois par an, cela n’aurait été que souffrances supplémentaires. « J'ai du mal à y croire, je… me préparais déjà à te voir partir dans quelques jours, si tu savais comme ça me fait plaisir… » Je pensais réellement mes paroles, elles étaient d’ailleurs plutôt raisonnées, contrairement à tout ce qui se bousculait à l’intérieur de ma tête. Lorsqu’il m’annonça avoir adopté un bengal, un petit sourire vint à nouveau éclairer mon visage. « J’aurais la chance de l’avoir en tant que petit patient privilégié dans le futur ? » Lorsqu’il me demanda où en étaient mes projets, je prenais à nouveau la parole. « Je bosse toujours dans le cabinet dans lequel j’ai été embauchée après mes études, je suis en plein dans la paperasse pour ma future ouverture de mon propre cabinet… Autant te dire qu’entre le boulot et mes projets, je n’ai pas beaucoup de temps pour moi. Je ne sais pas combien de temps je vais tenir à jongler entre mon projet et mon boulot, on verra bien. » Je dormais très peu, trop peu, bien trop concentrée sur mon nouvel objectif de vie. Pour le moment, je tenais encore le coup, mais je savais que d’ici quelques mois, je serais très certainement obligée de laisser mon travail de côté pour me concentrer pleinement à mon projet futur, après tout, j’avais beau être coriace, j’avais tout de même besoin de dormir quelques heures, parfois.
Ce qui avait fait que la relation que j’entretenais avec Adriel était si forte, c’était sans nul doute le fait que nous étions aussi différents que semblables. J’avais réussi à convaincre le jeune homme de partir à l’université, d’essayer de prendre son avenir en main, même s’il pensait que ce n’était pas vraiment sa place. Je lui avais expliqué qu’une cause n’était jamais perdue, que dans le pire des cas au moins il aurait essayé et que dans le meilleur des cas, cela lui aurait permis de trouver sa vocation. Il avait tenté et j’étais plutôt fière de voir le chemin qu’il avait parcouru. Il était doué dans son domaine, vraiment doué, grâce à ses efforts, il avait eu la possibilité de vivre de sa passion et il n’y avait rien de plus beau cela, puisque moi-même, j’avais cette chance au quotidien. Quand Adriel avait parfois tendance à baisser trop vite les bras, moi qui étais relativement fonceuse, j’étais toujours là pour le pousser vers l’avant… Et quand moi, je manquais parfois de légèreté, que j’avais tendance à trop réfléchir, à trop me prendre la tête, il me permettait de m’évader un peu. Nous avions passé de très bons moments ensemble, dans ma tête, j’idéalisais peut-être notre histoire, mais je ne gardais que de bons souvenirs en mémoire, je me demandais même si, un jour, j’avais ressenti un quelconque sentiment négatif en présence du jeune homme. Jamais il ne nous était arrivé de nous ennuyer, nous étions pétillants, plein de vie, avec l’avenir devant nous. J’espérais sincèrement retrouver rapidement ce lien qui nous unissait… A une exception près de toute évidence, mais c'était déjà mieux que rien. Adriel faisait partie de ces personnes qui étaient primordiales dans ma vie, qui l’avait marqué à jamais et même s’il avait refait sa vie dans un autre pays, même s’il avait coupé les ponts avec moi pour X raison, il aurait toujours été dans un coin de ma tête. Par chance, il était bel et bien revenu, à mon plus grand plaisir. D’ailleurs, cela faisait bien longtemps que je ne m’étais pas sentie aussi bien, aussi sereine, que depuis qu’il m’avait fait la surprise de me rejoindre dans ce café. Sa présence m’apaisait, elle m’avait toujours apaisée et ce sentiment d’être dans un univers parallèle avec lui, dans une bulle qui nous isolaient tous les deux du reste du monde, était toujours bel et bien là, malgré le fait que nous ne formions plus un couple, cela ne changeait pas grand-chose en fin de compte. Je ne savais pas ce que l'avenir déciderait, je ne savais pas si le fait de nous fréquenter de nouveau régulièrement allait changer quoique ce soit entre nous, mais tout ce que j’espérais c’est que cette fois, il resterait auprès de moi, pour de bon. C’était sans doute égoïste, mais c’était comme si j’avais besoin de sa présence pour être pleinement moi, pour retrouver la Tessa pétillante, inconsciente et pleine de vie, que j’avais été quelques années auparavant.
Il m’avait affirmé compter poser ses bagages pour un long moment cette fois-ci, si ce n’est définitivement. Je savais qu’Adriel adorait voyager et je me doutais bien qu’il serait amené à le refaire dans le futur, mais s’il pouvait revenir à Brisbane au bout de quelques jours ou quelques semaines, cela m’aurait fortement arrangé. Maintenant que nous étions de nouveau réunis, maintenant que nous allions enfin pouvoir nous voir autant que nous le voudrions, je n’étais pas sûre de supporter qu’il parte une nouvelle fois, je n’étais absolument pas prête à cela. Lorsqu’il m’avait annoncé son départ, quelques années auparavant, je n’avais pourtant pas été étonnée et ne lui en avait absolument pas voulu. Adriel était un passionné, dans tout ce qu’il entreprenait et j’étais mal placée pour le freiner dans ses projets, même s’il fallait que je fasse certains sacrifices, des sacrifices que j’avais encore tendance à regretter par rapport aux choix que je n’avais malheureusement pas eu le courage de faire, quand il le fallait. « Moi aussi ça me fait plaisir de te revoir, tu n’imagines pas à quel point tu as pu me manquer… » Commençais-je, sur le ton de la confidence. Je lui parlais librement, je savais que je le pouvais, sans aucune ambiguïté et maintenant qu’il était en face de moi, tout me semblait beaucoup plus simple. Lorsqu’il était à l’autre bout du monde, j’essayais de peser mes mots, de faire attention à ce que je lui disais pour éviter de le toucher ou de le faire culpabiliser. Il avait fait le bon choix en partant, même si à cause de cela, je l’avais perdu en quelque sorte, mais d’un autre côté, c’était une expérience que je lui enviais, moi qui n’avais voyagé que très peu au cours de ma vie, avec des parents bien trop pris par le travail, puis, j'avais malheureusement fini par suivre leur trace. Peut-être que le jour où j’ouvrirais mon cabinet, où j’aurais peut-être trouvé un associé et quelques employés, cela me permettrait de me libérer bien plus facilement et de lever le pied, de temps en temps, même pour quelques jours. « Quand tu es parti, je ne te cache pas que ça a été extrêmement difficile pour moi… Mais j’étais heureuse que tu réalises ton rêve et je le suis toujours aujourd’hui… » Commençais-je, un brin de nostalgie présent dans ma voix. « Mais si un jour tu as une autre idée comme ça, il va me falloir du temps pour me préparer psychologiquement, parce que je ne compte pas te laisser repartir aussi facilement. Ou alors, j’irai me cacher dans ta valise. » Peut-être que s’il n’était pas parti à l’époque, que si nous étions restés ensemble et qu’il n’avait pris la décision que maintenant, je l’aurais suivi sans hésiter. J’avais la maturité en plus et sans doute que j’étais également un peu moins influencée par mes parents, c’était juste tombé au mauvais moment, alors que ma carrière prometteuse ne faisait que commencer. Maintenant, je savais ce que je voulais et je n’étais peut-être plus prête à sacrifier autant pour ma carrière (que j’aurais très bien pu exercer autre part dans le monde d’ailleurs).
Nous en venions à parler de ses animaux. Il m’avoua qu’Erin avait déjà inscrit son chat à la clinique dans laquelle elle faisait son stage. Je laissais échapper un petit rire. « On ne va pas se battre, dans ce cas, je le prends une semaine sur deux et la moitié des vacances scolaires, tu crois que ça irait à… Peter ? » Lâchais-je, dans un nouveau rire, alors qu’Adriel m’avoua avoir capté seulement maintenant que son chat avait le même prénom que mon frère. « C’est pas bien grave, c’est plus cool pour un chat comme prénom je trouve… Par contre, ça risque d’être un peu perturbant pour moi, au pire je lui trouverai un surnom. » Rajoutais-je, grandement amusée par la situation.
Il m’affirma être certain que je ne dormais pas beaucoup, je haussais un sourcil, l’air innocent. « Moi ? Voyons Adri, je pensais que tu me connaissais, tu sais que ce n’est ABSOLUMENT pas mon genre ! » Lâchais-je, non sans ironie. Il m’avait assez côtoyée pendant mes études pour savoir que c’était dans mes habitudes d’enchaîner les nuits très courtes. Il m’avait vu dans des états bien pire que celui dans lequel je me trouvais à cet instant. Lorsqu’il me demanda de lui faire signe si j’avais besoin de quoique ce soit, mon sourire s’agrandit. Dans une envie irrépressible d’affection, face à sa bouille à bisous, je me levais pour lui en déposer un doucement sur la joue, en guise de remerciement. « Merci, c’est adorable de ta part. Je le ferai, à condition que toi aussi, tu n’hésites pas à me demander de l’aide, si tu en as besoin pour quoique ce soit. Je serais même prête à t’aider à cacher un cadavre s’il le fallait… Mais si on pouvait éviter d’aller en prison, ça m’arrangerait pas mal aussi. » On s’était toujours promis d’être là l’un pour l’autre quoi qu’il adviendrait de notre relation et ce qui était en train de se passer était bien la preuve formelle que notre petit pacte était toujours d’actualité. Adriel pouvait bien m’appeler au milieu de la nuit juste parce qu’il se sent seul, j’étais largement capable de le rejoindre pour lui tenir aussitôt compagnie. D’ailleurs, cela ne m’aurait pas déplu de pouvoir passer, de ce fait, encore plus de temps avec le jeune homme. Je reprenais ma place et le regardais, attendrie par sa proposition. « C’est vraiment adorable, je t’avoue que je ne refuserai pas une pareille proposition, surtout de la part d’un photographe aussi talentueux. » J’étais réellement consciente de la chance que j’avais de pouvoir à nouveau avoir le jeune homme auprès de moi, je savais déjà que désormais, il faudrait que je prenne énormément sur moi pour ne pas trouver sans cesse des raisons de l’appeler et lui demander de me rejoindre, après tout, toutes les occasions étaient bonnes à prendre.
Pendant longtemps, j’avais douté du fait qu'Adriel finirait par revenir à Brisbane, du moins plus de quelques jours. Il avait vu tant de pays, tant d’endroits où il aurait pu décider de poser ses valises, c’était pour moi inespéré que de le voir, face à moi, à cet instant précis. J’avais toujours cette impression d’avoir été brusquement projetée dans un univers parallèle, ou d’être en plein rêve, avant de me prendre un brusque retour à la réalité en pleine figure. Je lui enviais le sentiment de liberté qu’il avait dû éprouver lorsqu’il posait ses bagages dans l’endroit qu’il avait choisi, sans savoir quand il partirait, sans aucun billet de retour. Parfois, j’avais cette fâcheuse habitude de manquer de légèreté, une légèreté qu’Adriel avait réussi à m’apporter lorsque nous étions en couple. Pendant la période où nous étions ensemble, il avait apporté beaucoup à mon existence, sans même s’en rendre compte, probablement. A ses côtés, j’avais changé, en bien, j’avais réussi à moins me prendre la tête, à me laisser porter par des sentiments que je n’avais jamais eu la chance d’éprouver une autre fois au cours de mon existence. Pendant un temps, avant que la vie ne nous sépare, j’avais même réussi à voir mon avenir différemment, en quelques sortes. Au lieu d’être trop focalisée sur ma réussite professionnelle, je me surprenais, parfois, à nous voir tous les deux, dans une jolie maison, peut-être même avec une ribambelle d’enfants, dans un futur lointain. J’avais réussi à me dire enfin, qu’il n’y avait pas que mon travail dans la vie, tout aussi prenant et épanouissant qu’il pouvait être. J’avais été épanouie comme jamais, dans les bras d’Adriel, certainement bien plus que mon métier ne le ferait jamais. Et puis, il y avait eu le retour à la réalité et cette vie que rien ni personne ne pouvait contrôler. Lorsqu’Adriel était parti, je m’étais de nouveau bien trop focalisée sur mon boulot, oubliant un peu trop tout le reste, oubliant aussi que je pouvais être pleinement heureuse d’une toute autre façon. C’était comme si l’on avait enlevé une partie de moi-même, comme si j’étais repassée en pilote automatique, après avoir trop vite oublié que je pouvais exister différemment qu’en brillant par mes réussites. Jamais je n’aurais pu en vouloir à Adriel, mais au fond de moi, je ne pouvais parfois m’empêcher de penser à ce que je serais devenue, à ce que nous serions devenus, si ce fameux nous existait encore à ce jour, autrement que par une profonde affection que je ressentais encore pour lui. C’est ainsi que le jeune homme m’affirma, me promit même de me payer un billet pour que je puisse l’accompagner. Je restais un instant sans voix, à le regarder avec un sourire rêveur. J’étais heureuse, heureuse de constater qu’après tout ce temps, il semblait encore autant m’apprécier que c’était le cas de mon côté. Si nous n’avions pas pu sauver notre couple, par chance, notre amitié, elle, semblait toujours aussi intacte, voir encore plus profonde. « Ca me fait plaisir, merci… Dans ce cas, je te promets que cette fois, je ne laisserais plus mon avenir professionnel décider pour moi… » J’étais consciente de l’erreur que j’avais pu faire en prenant la décision de ne pas le suivre, même si c’était la solution la plus raisonnable que j’aurais pu prendre. Parfois, j’en avais marre d’être trop raisonnable et je ne pouvais m’empêcher de penser qu’en prenant cette décision, j’avais perdu bien plus que ce que j’avais gagné, au bout du compte. Il s’excusa de m’avoir fait ressentir ça, peinée, je lui attrapais l’une de ses mains chaudes pour la serrer un peu dans la mienne, pas trop longtemps, juste le temps de retrouver ce contact physique qui m’avait manqué bien trop longtemps. Je le regardais alors dans les yeux, retrouvant peu à peu mon sérieux. « J’ai été aussi malheureuse de te perdre qu’heureuse de te voir réaliser ton rêve. C’est moi qui ai prit de mauvaises décisions, toi tu as fait ce que tu avais à faire. » Je pensais réellement mes propos, dans tous les cas, jamais je n’aurais accepté qu’il fasse une croix sur ses rêves pour moi. Nous étions jeunes et plein d’ambitions, j’avais voulu être là pour le faire avancer, pas pour le contraindre à faire une croix sur ce dont il avait toujours rêvé. S’il avait fallu que je m’oublie un peu pour lui permettre d’être heureux, c’était tout ce qui m’importait. Il me promit alors d’essayer de me prévenir à l’avance. Une promesse qui me fit sourire puisqu’elle n’avait rien d’étonnant de la bouche du jeune homme. Il avait toujours été du genre à prendre ses décisions sur des coups de tête et c’était cela aussi qui faisait que je l’aimais autant. Avec lui, il n’y avait jamais eu de routine, c’était quelque chose de très appréciable. « Tu essaieras oui. » Lâchais-je, dans un petit rire amusé. « Je crois que, contrairement à il y a quelques années, je suis prête à laisser un peu mon travail de côté pour me sortir un peu de mon quotidien… » Commençais-je, tout en lâchant sa main, non sans lui lancer un regard complice. « Du coup, si tu te penses apte à me supporter quotidiennement pendant une période, j’accepte ta proposition avec plaisir. » Lorsque j’aurais ouvert mon propre cabinet, je me préparais déjà à passer la main de temps en temps, histoire de me libérer un peu. Si je trouvais des personnes de confiance avec qui travailler, j’aurais beaucoup plus de facilités à pouvoir m’absenter pour partir avec Adriel. Après tout, nous n’avions qu’une vie et je ne voulais pas avoir de regrets.
Nous en venions à parler de son chat, qu’il avait eu la bonne idée d’appeler du même nom que mon frère. A croire qu’il avait fait exprès, histoire de trouver un sujet de plaisanterie aux ressources inépuisables. « Ou alors, je lui donne un surnom, si ça se trouve il finira par ne plus se reconnaître sous son vrai nom et ça serait marrant. » Commençais-je avec un petit sourire taquin. « Je peux l’appeler Chat, par exemple, c’est super original. »
Adriel me connaissait assez pour savoir que, quand j’avais du travail ou des projets, j’étais capable de me contenter de deux-trois heure de sommeil par nuit et être à l’attaque dès le réveil. Les années durant lesquelles j’avais le moins dormi étaient bel et bien celles de mes études, je m’étais mis une pression folle pour exceller de manière impressionnante dans absolument toutes les matières et autant dire que je m’étais donné les moyens d’y arriver. J’avais enchainé en lui disant que pour lui, j’étais même capable de l’aider à planquer un cadavre, une réplique qui sembla le surprendre. Je haussais alors les épaules. « Un accident, ça peut arriver, on ne sait jamais. » J’avais tenté de paraître le plus sérieux du monde alors qu’au fond de moi, je savais bien que s’il y avait une personne qui n’était pas le genre à se mettre dans le pétrin, c’était bien Adriel.
Lorsqu’il me demanda de lui promettre de venir chez lui, je lui souriais doucement, avant de répondre, avec aplomb : « Bien sûr que oui, je passerai voir Chat et je viendrai te voir aussi, tu en auras tellement marre à force que tu finiras par me mettre à la porte. » Rajoutais-je, avec humour, en reprenant avec sérieux : « Maintenant que je t’ai retrouvé, je ne compte pas te laisser ressortir de ma vie aussi facilement. » Je pensais réellement mes paroles, j’avais trop souffert la première fois, hors de question de le vivre une seconde fois. C’est ainsi que les minutes filèrent à une vitesse impressionnante, à discuter de tout et de rien, devant des boissons chaudes et de bons gâteaux. Lorsque vint le moment de nous quitter, à contrecœur, je me promis de ne plus passer une journée sans prendre de ses nouvelles, maintenant que j’avais l’occasion de revenir dans sa vie, même si ce n’était plus tout à fait comme avant, je ne comptais pas le laisser tomber, pour rien au monde.