La frontière entre travail, loisir et habitude était de plus en plus ténue pour Chad, qui depuis plusieurs jours cumulait un temps record passé dans les salles de sport. Quand il n'était pas à l'Hibiscus, il coachait à domicile, si bien qu'il ne se souvenait plus de la dernière fois où il avait enfilé autre chose qu'une tenue décontractée. Il n'avait pourtant rien à fuir, car cela faisait des mois qu'il n'avait pas été si épanoui dans sa vie affectueuse. Sa relation avec Casey, qui avançait à un rythme mesuré, par peur sans doute, et aussi par respect pour des étapes dont ils ne s'étaient pas encombrés à l'époque, était malgré tout sans équivoque. Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, et son agenda bien rempli en était finalement le témoin le plus évident. Dans ses rares instants de distraction, ses pensées se tournaient inévitablement vers l'homme qu'il avait embrassé pour la première et, quelques jours plus tôt, la dernière fois. La ritournelle enivrante des premiers émois, qui le ramenaient à ses passions étouffées d'adolescent. C'était un sentiment plutôt envahissant, et difficile à dissimuler aux yeux des autres. Casey était lui aussi un homme peu disponible, souvent sollicité, et Chad avait alors décidé de s'occuper l'esprit à la salle de la caserne. Une façon pour lui de compenser ses aptitudes à faire transpirer les gens toute la journée en levant à peine le petit doigt, et de repousser des moments de solitude si propices à la fabulation. Il n'y avait pas pire ennemie qu'une imagination stimulée par la pesanteur relative du temps. Nerveux de nature, Chad fouillait dans le sac encombré qui flottait sur son flanc en quête de la clé de son vestiaire, avant même que la façade de la caserne ne se dresse devant son nez. Il avait garé sa voiture un peu plus haut dans la rue, et avait entrepris de compléter les quelques mètres qui le séparaient de l'édifice à la marche. Ambitieuse idée, car il faisait en cette fin d'après-midi une chaleur estivale, et malgré la légèreté d'un débardeur il sentait déjà des gouttes ruisseler désagréablement entre ses omoplates. Quelques collègues s'affairaient près des camions, mais à en juger par le calme relatif aucune urgence n'était encore à déplorer. Après quelques moites salutations il se dirigea vers le vestiaire, où il troqua son débardeur imbibé de sueur par un propre, confortablement plié au fond du casier. Puis de filer à la salle. Chad appréciait autant l'effervescence des installations de la caserne que la qualité de l'équipement qui, s'il n'avait pas forcément à envier à celui d'un complexe comme l'Hibiscus, avait au moins le don de ne pas être utilisé par ceux qu'il maltraitait de façon hebdomadaire. Il préférait de loin la camaraderie des pompiers que les rapprochements parfois hypocrites et calculés des adhérents, et il n'avait surtout pas de performance à prouver. Ici, l'effort primait sur l'apparence. Le bourdonnement des machines et les respirations bruyantes et rythmées se mêlaient dans un parfait chaos. S'approchant des bancs de musculation, Chad distingua la chevelure impeccablement identifiable de Kane, qui semblait lutter avec ses ultimes répétitions. En bon collègue, il se posta près de lui pour assurer ses arrières, et lui éviter de se comprimer la poitrine lorsqu'il serait à court d'énergie. « Un coup de main ? » proposa-t-il cordialement en effleurant la barre de ses paumes. Comme il se le répétait toujours avec un cynisme qui lui allait si mal, on ne pouvait pas être mieux servi que sous ce toit en cas d'accident. « Race of Australia ça fait pousser des ailes visiblement. »

Beaucoup de trucs en stand by dans ma tête. Bon ok juste un truc. Mon appartement. Mon futur appartement. Je suis de retour à la case départ. Celui sur qui j’avais mis une option y’a quelques semaines m’est passé sous le nez. Je ne sais pas contre qui j’étais pour l’avoir mais je suis vraiment triste que ça ne se soit pas fait. Je m’étais déjà imaginé la disposition de mes affaires, les meubles que j’allais acheter… J’attends donc un nouveau coup de fil du type de l’agence. Il va me faire visiter d’autres propriété dans les jours à venir mais pour l’instant rien. Je regarde aussi de mon côté sur internet mais je me sens pas assez en confiance pour visiter chez des particuliers. Je suis tellement paranoïaque que je suis sûr qu’il y aura des choses qui marchent pas, qu’ils cachent, ou autre, je sais pas. Je préfère quand y’a quelqu’un d’autre qui est là pour m’assurer des choses car si ça foire, c’est aussi beaucoup pour sa pomme. Je peux faire de la mauvaise pub, mais non. Je ne le ferai pas car cette agence est vraiment bien, j’ai eu que des bons retours de mes proches alors je fais confiance. Je me demande pourquoi j’ai pas été choisi pour l’appart’. J’ai pas mal de sous de côté, mon prêt sera minime. Ils ont peur de quoi ? La prochaine fois j’irai en manches longues pour ne pas que mes tatouages soient visible. Le soleil tape fort mais si c’est à ça que ça joue, je le ferai. Je serai bien mieux en short t-shirt casquette mais faut ce qu’il faut.

C’est donc plein de frustration en moi que je suis en train de m’entraîner à la caserne. J’ai mis bien trop de poids sur la barre mais j’ai besoin d’un challenge à relever. J’ai été crescendo mais j’ai eu les yeux plus gros que le ventre. J’ai sous estimé la fatigue déjà accumulé pour aller un poids plus loin. Mes yeux rivés sur la barre je suis en train de me dire que j’ai été très con de faire ça sans réfléchir plus. En laissant ma frustration parler pour moi. « Un coup de main ? » Mais d’un coup d’un seul, c’est la délivrance. J’hoche la tête, seule chose que je peux faire pour qu’il me comprenne. Je suis rouge tomate. Pas loin d’exploser.« Race of Australia ça fait pousser des ailes visiblement. » Je reprends mon souffle, profitant de ne pas avoir fait un accident. Une bonne minute passe avant que je me redresse.

« Ouais… J’ai été trop optimiste sur le coup. » Je me penche pour prendre ma bouteille d’eau et en boire une grande partie. Je réalise seulement maintenant que c’est de Chad qu’il s’agit sous mes yeux. Je ne l’ai pas croisé depuis longtemps, venant que ponctuellement à la caserne. « Race of Australia ouais… Mes ailes auraient été plus grandes si j’avais gagné le prix final. » Ca me fait sourire mes conneries. Vaut mieux en rire. Je suis content de le voir devant moi et prêt à se lancer dans une séance de sport. Il a eu un accident cette année. Il a Kelly qui a remporté la course aussi. « Vous avez bien célébré la victoire ? » Un sourire pas mal grand sur mes lèvres. Même si je n’étais pas dans son équipe pour la dernière ligne droite, je suis content qu’elle ait remporté le premier prix. « C’était bien plus dur que je ne le pensais ce jeu. Elle a beaucoup de mérite. » Peut être qu’une équipe avec une femme a eu plus de facilité sur certains points de la course. Peut être que j’étais pas totalement prêt dans ma tête pour affronter la course comme il se devait. Peut être que le duo que je formais avec Liam n’était pas aussi optimal que celui qu’elle formait avec Loan. Tellement de choses qui peuvent faire pencher toute la balance. C’était une belle distraction néanmoins. Je peux dire précisément ce que j’ai fait de mon mois de juin. Pas comme ceux qui ont suivi…

Le souffle coupé par un ultime sursaut de force, Kane n'avait pas su lui répondre immédiatement. Ses bras pliés sous le poids écrasant de la barre, sa poitrine gonflée de détermination et son teint écarlate étaient plus éloquents encore qu'un appel à l'aide étouffé au fond de la gorge. Chad n'avait pas attendu la verbalisation de son consentement pour donner un petit coup de pouce à son élan suspendu à mi chemin, et raccrocha la barre à sa place dans un tintement libérateur. Il contourna le banc pour faire face à son collègue encore haletant, sans doute encore étourdi par le manque d'oxygène qui s'était précipité dans ses muscles et l'avait laissé confus. En bon pompier, Chad avait attendu qu'il reprenne ses esprits avant de le laisser avec ses pensées. Il resta suspendu à sa respiration sonore mais rassurante, sa stature réconfortante déployée devant lui sans ciller. Il savait ce que c'était de se dépasser, et serait le dernier à reprocher son ambition un peu trop vaniteuse à Kane. Cet acharnement qui consumait les muscles, vidait l'esprit et ne laissait qu'une fatigue pleine et étrangement satisfaisante, c'était son carburant. Une forme de méditation dont les séquelles  parfois douloureuses rappelaient chaque jour la distance parcourue. Après avoir gardé la face, Kane se redressa enfin. D'autres se seraient écroulés au sol, le visage entre les mains. De toute évidence il ne l'avait pas reconnu au premier abord. Chad ne pouvait pas lui en vouloir, leur dernière conversation remontait à bien trop longtemps pour qu'il s'en souvienne lui-même, alors qu'il était en pleine possession de ses moyens. « L'optimisme c'est bien, faut juste s'assurer d'avoir quelqu'un en renfort. » dit-il comme un vieux sage. Cela dit il n'était pas si mal placé pour parler d’entraînement sportif. Quelques mèches de cheveux collaient sur son front perlé de sueur. Son humour n'était cependant pas entaché par l'épuisement, et Chad esquissa un sourire à son tour. « Je veux bien te croire. Liam s'est fait la exactement même réflexion. » rétorqua-t-il en jouant avec la serviette déposée sur ses épaules. Il n'avait pas réfléchi à ce qu'il aurait pu faire avec tant d'argent, mais les possibilités étaient nombreuses. Ne serait-ce que pour rassurer les banques sur sa capacité à ouvrir sa propre salle. L'idée trottait toujours dans sa tête comme une litanie lointaine. A l'évocation de Kelly, il n'était plus tout à fait submergé par le chagrin de l'inachevé. C'était même toujours une grande fierté, de se voir associé à cette femme qui avait fait rêver l'Australie pendant des semaines. « En ce qui me concerne j'étais dans mon canapé, et j'ai peut-être un peu exulté au moment du verdict... disons que les derniers mois ont été un peu chaotiques entre nous. Elle n'a pas très bien pris certaines annonces que j'ai pu lui faire. » confia-t-il contre toute attente. Son homosexualité et les incompréhensions qui avaient pu émailler sa relation avec ex-femme étaient devenus des sujets beaucoup moins lourds et personnels depuis qu'il était revenu sur les rails. Leur dernière discussion avait d'ailleurs été d'une tendresse inattendue. « Mais oui, elle est incroyable. Au-delà de l'argent, je pense que cette aventure lui apporté beaucoup... Et toi alors, pas de célébrité soudaine ? C'est pourtant le moment rêvé pour se faire une réputation sur Instagram. Enfin, quand t'auras repris une couleur normale. » Il espérait en tout cas que Kelly en profiterait pour réaliser des rêves auxquels il n'avait plus participé depuis une éternité.

« L'optimisme c'est bien, faut juste s'assurer d'avoir quelqu'un en renfort. » Mais comme je suis dans une optique de faire tout tout seul, je crois que j’ai été trop loin cette fois. Je ne peux décemment pas tout faire tout seul. Force est de constater que dans la situation présente, c’était une belle connerie que j’aurai fait tout seul. J’ai eu beaucoup de chance que Chad arrive juste à ce moment là. Je promets de ne pas refaire ça à l’avenir. « Je veux bien te croire. Liam s'est fait la exactement même réflexion. » Je fronce les sourcils avant de joindre les deux bouts. J’avais compris le lien entre Liam et Kelly mais j’avais oublié que c’était Chad le point commun entre eux. Je n’ai pas repris contact avec Liam depuis le retour à la vie normale, ou plus normal que dans la course. La routine est à quelques semaines de moi et j’ai vraiment trop hâte d’y regoûter. Tout va être différent en même temps. « En ce qui me concerne j'étais dans mon canapé, et j'ai peut-être un peu exulté au moment du verdict... disons que les derniers mois ont été un peu chaotiques entre nous. Elle n'a pas très bien pris certaines annonces que j'ai pu lui faire. » « Oh… » Je suis bien sûr pas du tout au courant de quoi il fait mention car nous sommes loins d’être proche à ce point là Kelly et moi. On se voit de temps à autre aux soirées open mic. J’espère que je la verrai par ici à l’avenir également, avec des tupperwear remplis de gâteaux et biscuits fait maison. Mon ventre risque de se mettre à crier famine si je continue de penser à de la bouffe. Je bois encore un peu pour tenter de l’occuper à la place. Je crois quand même que je vais arrêter le sport pour aujourd’hui. Finir sur une mauvaise décision c’est parfait, ça va me faire cogiter tout le reste de la journée sur ma connerie et je ne le ferai plus à l’avenir, ou du moins j’espère. « Mais oui, elle est incroyable. Au-delà de l'argent, je pense que cette aventure lui apporté beaucoup...  » Un sourire se forme sur mes lèvres de l’entendre dire ça. A la fois content d’une retombé plus que positive pour Kelly et qu’il ait changé de sujet car je sentais que c’était sûrement trop personnel. « Et toi alors, pas de célébrité soudaine ? C'est pourtant le moment rêvé pour se faire une réputation sur Instagram. Enfin, quand t'auras repris une couleur normale. » Il me fait rire avec toutes ces phrases là.

« J’ai abandonné instagram depuis un moment et j’ai quand même doublé mon nombre d’abonnés avec l’émission. » Ca reste une fierté au fond. Des gens qui sont prêt à me suivre alors que je ne donne absolument aucun contenu. « J’en avais 500 j’en suis à 1000, c’est rien de fou non plus. » Ca fait quand même bien plaisir d’être passé à 4 chiffres. « Une photo de moi au sport tu penses ça ferait combien de likes maintenant ? Toi tu en fais combien ? » Je suppose que c’est le genre de chose qu’il fait pour en parler. Je sais pas. Je suis sûrement très naïf sur le coup à prendre ses paroles au pied de la lettre. Ça me fait réfléchir quand même. Peut être que je devrais reprendre à poster. Ça fait plus d’une année de silence radio par là bas, mais je ne le sens pas encore. Ou peut être si je mets mon compte en privé, ça pourrait être une solution si je peux gérer qui voit ce que je poste. Mais non, rien que de commencer ces réflexions, c’est bien des soucis que je me crée dont je n’ai absolument pas besoin. « Elle se fait reconnaître dans la rue maintenant ? » Ce n’est pas mon cas mais en même temps je n’ai pas gagné contrairement à elle. J’ai même été exclus assez rapidement de la course. Les gens n’auront pas eu le temps de se souvenir de mon visage autant que du sien. Je sais juste que la scène avec le soda sur la tête de Liam est celle qui a fait le plus parler de nous. On a été dans pas mal de bêtisier et me voir être mort de rire à l’écran, c’est bien mieux que n’importe quoi d’autres qui aurait pu être repris sans cesse. C’est la joie, c’est du positif, pour moi, pas pour Liam qui était couvert de sucre.

L'année s'était écoulée au rythme des conversations sérieuses. Aussi cette rencontre fortuite et presque providentielle avec Kane était la bienvenue. Comme une expiration libératrice après avoir retenu son souffle jusqu'à la limite de l'asphyxie. Ce genre de bavardages lui avait manqué. Il ne se souvenait plus de la dernière fois où il avait pu échanger de façon spontanée, sans conséquence ou fardeau, avec une personne qui ne modelait ni ses pensées ni ses humeurs. Finalement c'était peut-être Kane qui avait innocemment été posé sur son chemin, plutôt qu'il s'était lui-même retrouvé là, homme de la situation prêt à voler à son secours par le plus heureux des hasards. En y repensant, sa vie avait peu laissé place au hasard ces derniers temps. Face aux expressions décomplexées de son collègue, Chad réalisa qu'il restait empreint de la même gravité, et surtout qu'il déroulait ses histoires sans prendre la peine de planter le contexte. C'était sans importance, pensait-il, car le but n'était pas plus de l'informer que d'exprimer certaines vérités sans craindre les répercussions. Kane ignorait peut-être autant le lien qui l'unissait à Liam que la raison pour laquelle Kelly avait rompu le leur. Il se contenta donc de s'exclamer un peu penaud, trop courtois pour lui opposer que personne ne l'avait renseigné sur l'état de sa vie depuis son retour. « Je lui ai fait mon coming out. » expliqua-t-il avec beaucoup plus de décontraction que d'ordinaire. C'était peut-être l'intimité de la salle, mais Chad trouvait surtout que chaque fois qu'il prononçait cette vérité à voix haute elle se délestait d'un peu plus de solennité. Si c'était impensable un an plus tôt, à cette allure il finirait un jour par l'annoncer au détour d'une conversation avec des inconnus avec autant de secret qu'il accordait à son nom. Face à Kane en tout cas, il avait trouvé le candidat parfait. La conversation ne resta pas personnelle trop longtemps, et ils regagnèrent le chemin des babillages, à son plus grand plaisir. « Ça dépend de ton public cible, mais ça risque pas de faire de mal. Tu sais comment ça marche, moins tu laisses place à l'imagination et plus ça plaît. » Il n'était pas un pro des réseaux sociaux, mais c'était une carte de visite qu'il avait été obligé d'exploiter. Si toutes les personnes qui le suivaient ne prenaient pas forcément contact, elles contribuaient au moins à son exposition. « C'est pas vraiment ce que je préfère, mais faut bien reconnaître qu'une photo dans les vestiaires ou une routine torse nu ont tendance à faire plus de vues qu'un post sur l'importance de la diététique dans la prise de masse musculaire. » dit-il en hochant les épaules, résigné. Il s'était peu rabaissé à cette pratique. Au début de sa carrière, et encore de façon très sporadique. Et il n'avait pas encore le soutien de la communauté gay, particulièrement friande de nudité. Du moins pas à sa connaissance. « On peut faire le test si tu veux. » proposa-t-il sans même un clignement d’œil. Kane pouvait en plus bénéficier de l'aura des pompiers, fantasme répandu par nature. « Oui pour le coup je pense qu'elle profite un peu de sa nouvelle notoriété. Qui sait combien de temps ça va durer ? Les gens sont curieux, donc c'est le moment idéal pour se construire un réseau. T'as pas de projet que t'as jamais osé mettre en place par peur que ça aboutisse pas ? » Chad en avait en tout cas, mais il avait moins envie d'en profiter qu'il ne doutait de la capacité de Kelly à rayonner suffisamment sur son entourage.

« Je lui ai fait mon coming out. » Et d’un coup je suis soulagé parce que je m’imaginais que ça avait à voir avec son état de santé qui avait été délicat à une période cette année.« Ow. Okay. Cool. » Je ne réalise pas que ça fait du sens avec le fait que Kelly et Chad ne soient plus ensemble. Ca remonte à un moment maintenant. Je suis bien trop naïf - et surpris - pour faire des liens si lointain. Comme si l’homosexualité de Chad était quelque chose de nouveau et pas du tout une raison de leur séparation jadis. Il n’empêche que je suis en train de repasser ma réponse dans ma tête. Cool. Really Kane?? Heureusement qu’on passe à autre chose.

« Ça dépend de ton public cible, mais ça risque pas de faire de mal. Tu sais comment ça marche, moins tu laisses place à l'imagination et plus ça plaît. » Ok. Donc faut que je me mette torse nu. « C'est pas vraiment ce que je préfère, mais faut bien reconnaître qu'une photo dans les vestiaires ou une routine torse nu ont tendance à faire plus de vues qu'un post sur l'importance de la diététique dans la prise de masse musculaire. » Je suis fier de moi d’avoir compris tout de suite ce qu’il voulait dire. Il est vrai que je bosse dur sur mon corps depuis quelques mois, histoire d’oublier pas mal de mes soucis. Ca marche bien et je suis bien foutu. « Je suis du genre à mettre des captions ridicule… » Loin de moi l’idée de mettre des infos diététique sur ma routine nutritionnelle. J’aime pouvoir retourner sur mon instagram et rire à mes bêtises. Je suis clairement en train de réfléchir si j’ai envie de faire revivre mon instagram en mettant une photo de moi torse nu. Ca sortirait de nul part et je n’ai pas trop envie que ce soit perçu comme de la provoc’ envers certaines personnes qui aiment exposés leurs vies privées sur les réseaux. « On peut faire le test si tu veux. »

« On peut toujours prendre une photo et je vois si je la poste plus tard… » Je sais d’avance que je ne le ferai pas. Mais ça peut être une bonne photo à envoyer en privé à certaines personnes de mon répertoire. « Oui pour le coup je pense qu'elle profite un peu de sa nouvelle notoriété. Qui sait combien de temps ça va durer ? Les gens sont curieux, donc c'est le moment idéal pour se construire un réseau. T'as pas de projet que t'as jamais osé mettre en place par peur que ça aboutisse pas ? » Hmmm… Si. La réponse est oui. Mais j’ai encore très peur alors je n’ai rien fait de ce côté là. Je suis content que ça serve de façon positive apparemment, pour Kelly.

« J’ai toujours peur que ça n’aboutisse pas… Entre autres. » Je fronce le nez. « Je suis beaucoup trop sensible à ce que les gens pourront dire ouvertement comme critiques… Internet est savage et je sais que je ne saurais pas me retenir de lire ce qu’on en dit en même temps. » Mais encore ? Oui, je sais que j’ai pas trop expliqué de quoi je parle mais il me connait et je pense qu’il sait que la musique à avoir au milieu de toute cette anxiété des réseaux sociaux. « Ca fait des années que je dis que je vais poster mes chansons sur YouTube et des années que je trouve des excuses pour ne pas le faire. » Je bois de l’eau pour m’occuper, me sentant bête mais honnête. J’aurai bien envie qu’il me prenne en photo comme il l’a suggéré mais j’ose pas revenir là dessus de peur de le déranger. Je vais pas mettre ces photos sur un post insta, je vais les envoyer à deux personnes bien précise dans ma tête. Des personnes qui sont bien loin en Europe et avec qui je peux continuer de teaser sans que je ne rompes mon voeux de chasteté pour une année. J’irai me prendre en photo dans le vestiaire, torse nu. Oui voilà je ferai ça. Alors je reprends sur le sujet de mes chansons en utilisant des mots qui ne sont pas anodins car ils viennent faire échos à ce qu’il m’a dit un peu plus tôt. « Peut être j’aurai un vrai déclic un jour mais il n’est pas encore arrivé. C’est plus facile de se jeter dans une maison en flammes que d’avouer ses pensées les plus profondes hmmm… » Je me gratte le front. Un peu gêné par tous ces aveux. Parce que oui, dans mes chansons je parle de choses que je n’ai jamais avoué aux personnes concernées. Autant peur de l’internet que des personnes spécifiques si elles se reconnaissent dans mes lignes. Peur que certaines personnes non concernés le prennent pour elles aussi. Peur de tout. Peur de trop. Je me fatigue.

L'expression plutôt concise de Kane, entre étonnement et courtoisie, n'avait pas de quoi vexer. Qu'il soit extatique ou brutal, le choc faisait souvent cet effet. Une bombe larguée sans prévenir, qui prenait au dépourvu, et forçait à l'improvisation. Quand on y repensait c'était extrêmement injuste, car ce genre de scènes Chad les avait fantasmées des milliers de fois. Il savait quoi dire et comment défendre des choix qui n'en étaient pas, tandis que les autres se voyaient souvent contraints de ménager leur surprise, tout en préservant ses sentiments. Un équilibre parfois difficile à trouver, qui réduisait les réactions à la plus candide des confusions. Kane en doutait certainement, mais ses trois mots un peu penauds étaient d'une profonde éloquence. Ils révélaient son embarras autant que son assentiment. Chad n'en attendait pas plus d'un homme qu'il appréciait, mais dont la profondeur du lien se limitait à des échanges épisodiques mais non moins appréciables. Par obligeance plus que par réserve, ils échangèrent leurs bonnes pratiques des réseaux sociaux, et s'éloignèrent du sujet encore importun de son divorce. Chad était tout de même assez ragaillardi de constater que les gens pouvaient être plus mal à l'aise que lui quand il était question de sa sexualité. Il en avait parcouru du chemin, depuis les révélations timides de ses débuts et la douche froide de l'accueil pourtant prévisible que Kelly leur avait réservées. Le manque de confiance de Kane le renvoyait à sa propre modestie. S'il était doué pour les discours, Chad l'était moins pour mettre à exécution ses propres conseils. Il doutait lui-même énormément, mais l'envie de se montrer rassurant et constructif prenait le dessus sur cette voix intérieure qui lui ordonnait de se reposer sur ses acquis. « Je suis le premier à me demander ce que penseront les autres avant de prendre la moindre décision, alors je suis clairement pas le mieux placé pour te donner des leçons. Mais je crois qu'au bout d'un moment, il faut penser pour soi, et se lancer. Au pire qu'est-ce que tu as à perdre ? » De la fierté, le confort du déni, quelques cheveux au passage... il aurait pu dresser la liste lui-même, mais ce n'était pas ce que Kane voulait entendre. « Demande-toi ce qui te retient. La peur que ça ne fonctionne pas ? Ça va paraître un peu convenu ce que je vais te dire, mais tu le sauras jamais si tu n'essayes pas. Vaut mieux avoir des remords que des regrets. » dit-il avec la plus grande assurance. Les remords avaient marché dans son sillage pendant des mois. Aujourd'hui, il ne se remercierait jamais assez d'avoir été assez courageux pour vivre dans la lumière de sa propre vérité. La remarque un peu triviale de Kane l'avait fait sourire tant elle était vraie. Lui-même avait eu moins de mal à contenir les feux de forêt du début d'année plutôt que les conséquences immédiates de ses échanges les plus sincères avec Kelly ou ses frères. « Tu sais ce qu'il faut faire avant de plonger dans le grand bain ? Juste prendre la température avec des gens de confiance. Un peu de soutien c'est un bon moyen de se donner le courage nécessaire... du coup, on la prend cette photo ? Tu pourras mettre 'mon premier fan' en légende. Enfin, après tu écris ce que tu veux. » relança-t-il dans un élan de complicité. S'aimer soi-même, c'était parfois moins narcissique que nécessaire.

« Je suis le premier à me demander ce que penseront les autres avant de prendre la moindre décision, alors je suis clairement pas le mieux placé pour te donner des leçons. Mais je crois qu'au bout d'un moment, il faut penser pour soi, et se lancer. Au pire qu'est-ce que tu as à perdre ? » Des mots que je me suis déjà répété plusieurs fois. Que j’ai déjà écrit dans ma colonne des « pour » faire la chaîne youtube. Des mots qu’il fait toujours du bien de les entendre de la bouche d’une personne tierce. Des mots qui donnent l’impression que c’est extrêmement facile en fin de compte. Oui. Si je pouvais mettre mon cerveau sur off le temps que les chansons soient chargée et qu’il soit trop tard pour faire marche arrière. Sauf que c’est là où je me trompe parce qu’on peut toujours faire marche arrière. Rien n’est définitif, mais je ne m’en rends pas compte de cette simplicité. « Demande-toi ce qui te retient. La peur que ça ne fonctionne pas ? Ça va paraître un peu convenu ce que je vais te dire, mais tu le sauras jamais si tu n'essayes pas. Vaut mieux avoir des remords que des regrets. » Il a raison dans tout ce qu’il dit et je suis peut être en train de me dire que je devrais commencer par une chanson au lieu de me prendre la tête avec la totalité de celles ci. Ca touchera moins de monde. Je prendrais en premier celles dont les personnes concernées savent déjà que je l’ai écrite à leur propos. Ce sera un premier soucis en moins. « Ouais… Faudrait que je me lance. » Après il faudra que je vois comment la réaction des gens se passe mais là, je crois que je me prends pour bien plus important que je ne le suis. Personne ne va regarder mes vidéos si ma chaîne a 0 abonné. Bizarrement, ça me rassure ça aussi. « Tu sais ce qu'il faut faire avant de plonger dans le grand bain ? Juste prendre la température avec des gens de confiance. Un peu de soutien c'est un bon moyen de se donner le courage nécessaire... » Ca aussi il a raison. En plus je sais qu’on peut mettre les vidéos sur youtube mais pas en public. Je pourrais commencer comme ça. Mettre ces vidéos sur le site sera déjà tellement un exploit vu comme je repousse ça depuis litéralmeent trois années. «  du coup, on la prend cette photo ? Tu pourras mettre 'mon premier fan' en légende. Enfin, après tu écris ce que tu veux. » Il me fait sourire avec son idée de caption. Il n’a pas tort non plus. « Je vais l’envoyer à mes premiers fans ouais. » Que je dis alors que je me redresse en enlevant mon t-shirt qui est humide de pas la sueur qu’il a épongé.

Et voilà que je lui pose 1000 questions sur où je me mets pour qu’il prenne une photo (ou deux). Je lui donne mon téléphone alors que je me sens stupide comme ça à poser et puis je me décide de me remettre à faire quelques exercices pour que ça ait l’air plus naturel et moins gênant. Il n’empêche que mes joues sont roses d’être sous l’objectif de la sorte. Heureusement je rentre bien vite dans ma bulle à faire une série supplémentaire de pompes et d’abdos. Quand je m’arrête, j’ai l’impression qu’il a eu le temps de prendre 500 photos au moins. Je regarde ce qu’il se trouve sur ma pellicule et un sourire se forme sur mes lèvres.« En plus on voit le logo des pompiers sur mon short. » Je suis sûr qu’il a fait exprès de se positionner de la sorte pour que le résultat en soit ainsi. « Merci. » Que je lui dis quand je referme l’app photo de mon téléphone. Je prendrais le temps de regarder plus en détail après. « Pour les photos, pour le pep talk. Je t’enverrai le lien de la première vidéo qui sera chargé sur mon compte. » Parce que je suis remonté à bloc là. Limite si c’est pas le premier truc que je vais faire une fois rentré chez moi tout à l’heure. « Je te paie une bière après ta séance ? » Je me sens tellement chez moi ici que ça ne me dérange pas de l’attendre. On sait tous que je vais commencer par prendre une longue douche pour détendre mes muscles sans payer l’eau.

Moins qu'une démonstration de sagesse, il s'agissait surtout de conseils désintéressés, servis sans la moindre obligation de les écouter. Chad n'était pas pompier volontaire par hasard, ni tout à fait par opportunisme. Tendre la main était une qualité qu'on lui connaissait, quoique sans doute foncièrement motivée par des desseins plus égoïstes. Le besoin impérieux de plaire et de se démarquer l'avait longtemps suivi, comme une ombre dont il aurait voulu se séparer, et qui revenait le tourmenter chaque fois qu'un quelconque faisceau de lumière était braqué sur lui. Kane ne lui avait jamais paru si cérébral qu'à cet instant, mais peut-être n'avait-il pas assez pris la peine de se focaliser sur ses collègues à une époque où il était obsédé par ses propres problèmes. Prodiguer des poncifs n'était pas une grande prise risque, pourtant il devinait l'ambulancier acquiescer mentalement, parce qu'après tout la vérité avait souvent plus de poids dans la bouche des autres. Si Kane n'était pas convaincu, il était en tout cas très doué pour faire semblant. Ses affirmations un peu résignées n'avaient pas l'air davantage destinées à faire taire un homme qui lui avait déjà assez fait perdre son temps qu'à faire office d'engagement personnel. Une sorte de mantra qu'il se récitait à lui-même pour se donner le courage nécessaire. Chad serait ravi de découvrir le lendemain la notification de son succès. Sous ses yeux un peu gênés et légèrement surpris, Kane s'exécuta, s'extirpant de son t-shirt encore trempé de sueur pour le déposer négligemment sur le banc. Le regard de Chad se concentra bien plus machinalement sur ses tatouages que ce torse qui semblait luire à la lumière des projecteurs. Après ce qu'il venait de lui annoncer, Kane venait juste de lui prouver encore une fois que la discrimination dont il avait pu faire l'objet dans l'enceinte de la caserne n'avait été qu'une vue de l'esprit. Tout le monde se fichait bien d'où il flanquait son regard dans les vestiaires, ni d'être un potentiel fantasme. Ils le savaient bien trop pudique pour ça. Chad reprit ses esprits au moment où Kane lui tendait son téléphone, tout aussi incommodé que lui. Il s'improvisa photographe quelques minutes, se surprenant à se détendre en même temps que Kane sous l'objectif calibré au millimètre de l'appareil photo. Chad n'était pas étranger à l'exercice, ayant récemment commandé la refonte de son site internet, même s'il était habitué à poser plutôt qu'à passer derrière l'objectif. Il conseilla donc des poses à son collègue, lui suggéra les accessoires les plus simples à utiliser sans avoir l'air de retenir son souffle, et surtout d'avoir l'air naturel, tandis qu'il bombardait en rafales. Les deux photos demandées s'étaient transformées en une centaine, mais Chad savait qu'il valait mieux trop que pas assez, d'autant plus que Kane ne lui semblait pas du genre à faire preuve d'une honnêteté brute quand on avait la décence de lui accorder un peu de temps. Il se fendit d'un sourire apparemment sincère, accompagné de remerciements que Chad n'estimaient pas nécessaires. « Je t'en prie, et j'espère bien avoir droit à une petite exclu ! » s'exclama-t-il sur un ton railleur. Il n'en pensait pas moins. En bon camarade, Kane lui proposa un verre après sa séance. Un coup du destin sans doute, car son planning était étonnamment libre. « Avec plaisir pour la bière, si ça te dérange pas d'attendre un peu. Faudrait quand même au moins que je fasse semblant de transpirer. » rétorqua-t-il en inspectant les machines qui s'étalaient, tristement désertées, derrière le dos de Kane.

« Je t'en prie, et j'espère bien avoir droit à une petite exclu ! » Bien sûr qu’il serait dans les premiers pour ce qui est de ma chaîne youtube. Parce que je suis tellement naïf je ne pense même pas qu’il fasse allusion aux photos qu’on vient de prendre vu qu’il a eu tout en direct. Il peut même respirer à quel point je pue de toute cette transpiration. Je lui fais un sourire avant de passer à l’éventuel moment supplémentaire qu’on pourrait passer tous les deux. J’ai l’impression que Chad est exactement ce dont j’avais besoin là. Ses mots, sa gentillesse, son oeil extérieur. J’ai l’impression que je vais réellement le faire. Je le sens. Je vais même mettre une note sur mon téléphone. Je devrais mettre un immense post it sur l’écran de mon ordinateur aussi. Je vais mettre une note sur mon téléphone pour mettre un post it sur mon ordinateur. Voilà mes prochains pas en avant vers la route du téléchargement de une de mes chansons. « Avec plaisir pour la bière, si ça te dérange pas d'attendre un peu. Faudrait quand même au moins que je fasse semblant de transpirer. » Il me fait sourire, j’ai presque l’impression qu’il aurait envie de dire stop à sa séance de sport pour aller boire avec moi. Mais non, il sait rester dans sa ligne de conduite sans bifurquer à la dernière minute. Je le comprends, autant je suis très faible pour une bière avec un collègue, autant le sport me fait un bien fou. Dans tous les cas y’a pas de soucis parce que je vais vaquer à mes occupations dans le coin, j’ai même ma guitare dans la voiture si me prends l’envie. « Oui, prend ton temps j’ai rien de prévu du reste de la journée. » Loin de moi l’envie de lui mettre un coup de pression inutile. Surtout qu’il m’a été d’une grande aide dans mes multiples réflexions. Je vais d’ailleurs en profiter pour réfléchir sous ma douche à quelle chanson mettre en premier. A quel nom je vais donner à ma chaîne aussi. A quelle photo je vais mettre sur mon profil. Je vais me faire une check-list pour voir mon avancement, ça va m’aider à quantifier les pas en avant que je vais faire. Je suis plein de bonnes volontés et résolutions. Les bières qu’on va aller boire ensuite seront ma récompense pour ce bon début.