a drunkard, a daughter, a preacher, god knows how you dragged us both into the darkness that grows (oh dear god) I won’t leave without a fight I won’t let you turn our last night into this@EDGE PRICE @ ALASKA.
C'est la merde. Ça a souvent été le cas, mais là, elle bat ses propres records - une pensée qui ne fait que traverser son esprit en panique. Pas le temps de s'y attarder, elle a l'impératif autrement plus urgent de sauver sa peau. Alors, elle continue de courir. Elle n'entend rien d'autre que le battement de son coeur dans sa poitrine, les battements frénétiques qui déchirent ses poumons, qui explosent ses côtes ; rien d'autre que sa respiration saccadée, l'air qui peine à se frayer un chemin dans sa gorge. Elle entend ses pas sur le bitume, le choc de ses semelles sur l'asphalte gris et noir alors qu'elle court, aussi vite qu'elle le peu. Elle tente de faire abstraction des cris derrière elle, des klaxons et bruits de la ville quelques rues plus loin. Elle ignore où elle se trouve, d'ailleurs, Ariel. C'est déjà un miracle qu'elle arrive à tenir sur ses deux jambes, à courir sans se briser les genoux, sans tomber - sûrement grâce à l'adrénaline qui coule sans retenue dans ses veines. Elle ne vacille plus mais sa tête, ses poumons, ses muscles ; tout brûle. Elle doit s'arrêter, vite, avant de s'écrouler. Elle tourne aveuglément dans une ruelle sur la gauche, tente tant bien que mal de se dissimuler derrière deux grosses bennes: elle rampe derrière, écorche ses genoux, ses coudes, ses mains. C'est peut-être du sang, des larmes, de la sueur ou les trois qui rendent son visage et son corps poisseux: peu importe. Elle se terre en silence, attend, alerte comme une proie. C'est ce qu'elle est: traquée. Mais elle avait un peu d'avance sur ses poursuivants, avec un peu de chance ils passeront tout droit.
Elle ne peut pas penser, ne peut que réagir. Comment est-ce arrivé? Fais un effort, comment est-ce arrivé? Une soirée qui dégénère, sûrement. Mais encore? Trop d'alcool, trop de colère. Une provocation qu'elle déclenche (à moins qu'elle n'y ait répondu?) et qui s'envenime. Un groupe de mecs dont les corps sont également imbibés par l'alcool, un groupe qui n'apprécie pas qu'elle les insulte, qu'elle riposte, qu'elle aussi se jette dans la bagarre. Un couteau qui jailli de la main de l'un d'entre eux, et lorsqu'elle fuit ils se lancent à sa poursuite. Merde. Ses mains tremblent, et dans la faible lumière blafarde des lampadaires de l'allée elle distingue bien du sang sur ses mains - au même moment, la douleur lancinante sur son bras se rappelle à elle. Elle a fui après le coup de couteau, pas avant. La panique la submerge lorsqu'elle entend la cavalcade de ses assaillants dans la nuit. Don't turn left, don't turn left, don't fucking turn left. Elle entend leurs éclats de voix au loin, demeure incapable de saisir les mots qu'ils s'échangent. Elle imagine leurs tons sanguinaires, la cruauté dans leurs regards, la volonté d'en découdre avec cette fille blonde qui s'est jetée corps et âme dans la baston après les avoir insulté depuis les tréfonds de son âme.
Pas le temps pour les reproches: elle a besoin d'aide. Elle n'arrivera jamais à se relever, pas dans cet état, pas alors que seule l'adrénaline et la peur lui permettent de rester debout. Elle attrape son téléphone dans la poche de sa veste, manque de le faire tomber à cause de ses mains moites. Qui appeler? Les noms défilent et elle les écarte tous, la partie rationnelle de son esprit entièrement mobilisée par cet effort. Quatre lettres reviennent pourtant, s'imposent à elle mais elle s'y refuse - ça fait trop longtemps, et leur dernière entrevue a encore un goût amer. Il va la tuer si elle l'appelle maintenant - elle peine à déchiffrer l'heure sur l'écran de son téléphone mais elle sait qu'il est tard. Il ne viendra pas, pas après ça, pas après tout ce qu'elle a fait et ses mots de la dernière fois. J’en ai marre de chuter, j’en ai marre de devoir me relever et repartir de zéro… J’en ai marre d’être tout le temps en colère, ce n’est pas marrant, ce n’est pas normal. Yeah, welcome to my life.
Mais elle n'a pas d'autre choix.
Les autres ne comprendront pas - personne ne pourra comprendre. Personne ne viendra la chercher, seule, ivre, en sang et paniquée, dans un coin désert de la ville à cette heure-là. Personne ne s'inquiètera, personne ne s'en souciera. Il n'y en a qu'un pour la tirer des ennuis perpétuels dont elle s'entoure depuis quinze ans. Et s'il ne vient pas? Si les autres ne partent pas, l'attendent au coin de la ruelle? Elle ne fait plus la différence entre le rêve et la réalité, la paranoïa qui se fraie un chemin dans ses pensées, qui y infuse le poison du doute. Et elle a désespérément besoin d'une clope, ou de dix. Alors elle s'y résigne, la boule dans la gorge.
La sonnerie est interminable, chaque tonalité comme une lente torture. Les secondes passent et elle n'entend pas le déclic de l'appareil, aucune voix au bout du fil. Elle va pour raccrocher, les doigts tremblants, mais le téléphone bascule sur la messagerie avant qu'elle ne puisse le faire. Hébétée, il lui faut plusieurs secondes avant de se reprendre, d'articuler tant bien que mal un message cohérent entre les larmes et sa respiration hachée.
"Edge, je... je sais pas ce qu'il m'arrive, j'ai besoin d'aide, ils m'attendent et... putain j'ai mal et j'ai peur... j'suis à... Redcliffe je crois, la zone industrielle, je sais pas ce que je fais là mais j'ai mal et je... je vais pas m'en sortir, y'a que toi... j'ai besoin de toi, je sais pas quoi faire." Elle déteste se sentir si faible, vulnérable et terriblement pathétique mais n'a pas le temps d'y penser: elle raccroche et se laisse glisser au sol, perdant peu à peu sa bataille contre la fatigue, la douleur et la peur.
Si Edge ne vient pas, et qu'elle tient jusqu'au lendemain, elle s'en sortira peut-être.
Une habitude, mauvaise ou non, ne s’oublie pas facilement. Non, il ne suffit pas juste de repousser quelqu’un loin de son esprit pour espérer que tout s’efface et qu’absolument rien ne reste. Pas la peine, pas les regrets, pas les souvenirs, les moments passés ensemble ou même les regrets. Et pourtant, tu aimerais te dire que les choses sont aussi simples, tu aimerais pouvoir te dire que tu peux facilement tourner la page et juste passer à autre chose. Sauf que rien ne marche comme cela, et depuis que tu es sorti de l’hôpital, depuis cette nuit-là, tu traines un poids conséquent derrière toi. Une valise complètement invisible mais qui pèse bien lourd, tellement lourd que cela semble être trop pour toi par moment et qu’il faut quelqu’un pour t’aider, qu’il faut que d’autres mains viennent se joindre aux tiennes pour soulever tout ça et pour pouvoir continuer d’avancer. Et récemment, celle qui vient te prêter main forte, littéralement pour le coup, c’est Yasmine, sans aucune hésitation, sans que tu n’aies besoin de l’expliciter à voix haute, et il est assez réconfortant de se dire que quelqu’un peut te lire de cette façon-là, et surtout, que quelqu’un veuille t’aider de cette façon-là. Mais cela est assez nouveau pour toi et cela ne colle pas vraiment au reste ni ce téléphone qui résonne en pleine nuit. Or cette sonnerie ne correspond qu’à une seule personne dans ta longue liste de contact, une seule personne qui pourrait te réveiller en plein milieu de la nuit et c’est bien pour cela que tu émerges à cet instant-là. Tiré des bras de Morphée de la façon la plus brutale possible, une véritable sonnette d’alarme résonnant dans ta tête, accompagnant la sonnerie de ton téléphone. Tu es désorienté, dans le noir et complètement à côté de la plaque pendant une bonne dizaine de secondes, et ton regard s’attarde sur la table de chevet, là où se trouve ton téléphone, le téléphone que tu saisis avec des mains tremblantes, décrochant enfin et le pressant contre ton oreille. Non, tu n’es pas réveillé mais tu sais déjà qui t’appelle et tu sais déjà qu’il s’agit d’une urgence. A l’autre bout du fil, c’est Ariel, la voix de la brune est un peu trop lointaine et son discours est totalement décousu et tu peux entendre la panique et la détresse dans sa voix, encore une fois de plus. Et oui, vous ne vous êtes pas adressés la parole depuis des mois, mais la situation est malheureusement trop familière et à partir du moment où tu repousses les couvertures et que tu te lèves, tu es plus qu’éveillé. "Ariel ? Okay, okay, je ne sais pas où tu es mais ne bouge pas et essaye de ne pas attirer l’attention sur toi, j’arrive. Ne bouge surtout pas, j’arrive." Parce que te rendormir n’est absolument pas une alternative et tu attrapes les premiers vêtements qui te passent sous la main, t’habillant rapidement et c’est tout aussi furtivement que tu t'empares de tes clefs de voiture et il ne s’est écoulé qu’une seule minute quand tu te retrouves au volant de ta mustang. Tu prends une pause pour prendre une profonde inspiration et pianotant sur ton téléphone tu ouvres une application bien particulière et c’est tout ce qu’il te faut pour savoir où se trouve Ariel et tu démarres en trompe, ton pied bien enfoncé sur la pédale de frein. Tu grilles tous les feux rouges, ignores les stops et même ton cœur qui bat la chamade, car dans le fond tu détestes être de nouveau dans cette situation-là. C’est précisément pour cela que tu as pris de la distance avec ta plus vieille amie, pour ne pas te retrouver dans une situation pareille, mais, l’ironie dans tout ça, l’urgence arrive un des seuls soirs où Yasmine ne s’est perdue chez toi, la brune commence à se faire son propre nid douillet dans ta propriété, ce qui n’est pas pour te déplaire loin de là, mais c’est Molly qui t’a assuré qu’elle avait besoin d’elle ce soir alors... Alors tu chasses ta petite-amie de ton esprit, surtout quand tu es arrivé près du lieu où se trouve Ariel et tu finis par te garer, très maladroitement il faut l’avouer mais tu t’en fiches, tu doutes que qui ce soit viennent te le faire remarquer, pas maintenant. Les rues de Brisbane sont vides, il se fait tard et chaque ombre à des allures de monstres et chaque bruit est décuplé au centuple. "Ariel!" Ta voix porte résonne et tu suis le point fixe sur ton téléphone te rapprochant, te rapprochant... Juste là, une masse, cachée derrière deux poubelles, que tu envoies valser d’un simple coup de pied bien placé et sans plus de cérémonie, posant enfin les yeux sur la jeune femme. Et si tu étais en colère, irrité, énervé, même excédé d’être ici, tout s’efface au moment où ton regard rencontre le sien, au moment où tu réalises bien qu’elle est dans une impasse vraiment, coincée dans un merdier qu’elle a elle-même créé, et si quelqu’un peut bien comprendre ça, c’est toi. Alors c’est pour ça qu’elle t’a appelé, toi et personne d'autre. Tu te retrouves à genoux devant elle sans vraiment y réfléchir, ton corps connaissant déjà la marche à suivre et ayant déjà effectué ses gestes-là, il y a des larmes, il y a les relents de l’alcool et il y a du sang. "Hey, hey... c’est moi, respire, respire. Je suis là, ils sont partis, respire Ariel." L’ordre est précis, et tu poses une main sur son épaule avant de prendre ta décision. "Je ne sais pas ce qui t’es arrivé, si c’est ton sang ou pas, mais on ne peut pas rester là, ma voiture n’est pas loin... come on." Tu ne poses même pas la question et tu doutes qu’elle puisse se déplacer seule ainsi, non, elle trouve place dans le creux de tes bras facilement, et c’est en la portant que tu te relèves, la conduisant déjà vers ton véhicule.
Ses membres ne répondent plus, la faute à l'adrénaline et à la peur qui paralysent ses muscles, son cerveau. Elle ferme les yeux, son visage dégoulinant de son mascara noir, de ses larmes salées et du sang qui s'y trouve. Elle abandonne, son téléphone mollement serré dans une main. Si elle laisse le sommeil l'envelopper, peut-être que ça ira mieux plus tard. Est-ce que ça ira mieux plus tard? Impossible à dire tant le sentiment est cru. Elle l'a lu mille fois sur les réseaux sociaux niais de bonnes paroles et mièvres de bons sentiments: you will not always feel like this mais alors pourquoi a-t-elle l'impression de traîner ce poids avec elle comme un boulet depuis des lustres? Elle se revoie faire des plans pour conduire jusqu'à la nouvelle demeure de son père y envoyer des cocktails Molotov par la fenêtre (elle va le faire, elle veut le faire); elle se rappelle les provocations volontaires qu'elle lâche à l'aveugle dans les bars, dans les soirées, pour toujours finir dans un état pire que la fois d'avant. Elle se remémore les corps qui s'enchaînent, les lèvres qui s'embrassent et les corps qui dansent mais les noms ne restent pas, pas plus que les souvenirs ou les parfums. Tout est noir dans sa bulle et elle s'y complait, elle se laisse couler comme les whiskys dorés, fumer comme les paquets de cigarettes qui gisent dans ses poumons essoufflés.
Elle n'est plus qu'une poupée de chiffons sans coeur qui bat, sans tête qui pense. Elle voudrait tout effacer et repartir à zéro, changer les paramètres de sa vie, laisser sa rage et ses pulsions au coin de la rue. De toutes les fois où elle a choisi de se mettre en danger elle n'a jamais rien regretté ; sauf là. C'est la fois de trop. Abandonnée dans une ruelle, allongée derrière des poubelles, le regard flou, les membres qui tremblent; c'est un tableau qui défie même les pires prédictions qu'elle avait pour elle-même. Et pourtant elle a touché le fond plusieurs fois, mais jamais à ce point. Il n'y a plus rien qu'elle ne veuille, plus rien qui ne l'attire dans les profondeurs des abysses mais c'est trop tard: il y a bien longtemps qu'Ariel a franchi le point de non-retour. Elle ferme les yeux, oublie déjà son appel au secours, les paroles qu'Edge lui a adressé semblent n'avoir été qu'un rêve distant. Ce n'est que lorsqu'un bruit de pas accourant atteint ses oreilles qu'elle redresse la tête. Combien de temps s'est-il écoulé? Un quart d'heure? Une éternité? Elle ne voit qu'une silhouette massive et pourtant rassurante qui se penche vers elle. "Edge?" Elle entend son nom, et sa voix si familière qui entreprend de la calmer. Elle sourit à travers ses larmes, ne parvient pas à respirer correctement, s'accroche aux bras d'Edge avec toute l'énergie du désespoir. "T'as grandi," murmure-t-elle. Ou a-t-il été si grand, si fort, capable de la porter dans ses bras comme si elle ne pesait rien? On n'est pas loin de la vérité- l'alcool, le café et le tabac ne sont pas exactement les meilleurs amis d'un régime et d'une santé saine et équilibrés.
L'australienne se laisse faire, murmure des propos incohérents tout le long du chemin. Les yeux à moitié ouverts elle voit les lumières de la ville, floues, de toutes les couleurs. "J'suis désolée," dit-elle, une fois, dix fois, cent fois - elle ne s'en souvient déjà plus. Est-ce son sang, lui a demandé Edge, quelques minutes avant. "Un peu du mien mais pas que." Tant pis si c'est décousu, Edge est intelligent, il comprendra. Elle se laisse faire, porter jusqu'à la voiture et trouve un refuge sur la banquette arrière, allongée. "J'vais saloper tes sièges," tente-elle d'articuler tant bien que mal alors qu'Edge lui somme de simplement s'allonger. Elle ne fait pas d'histoire, et son petit gabarit se plie parfaitement aux ordres. "On va où? J'ai déménagé je... je peux pas rentrer comme ça." Les sanglots entrecoupent une nouvelle fois ses paroles. Son nez coule, sa poitrine se secoue: elle ressemble à une adolescente de 15 ans jetée sur le bord de la route, à un animal chétif abandonné qui ne sait plus où aller. Elle a un chez-elle, un chez-elle cozy et confortable mais elle ne peut pas infliger ça à Martin et Robin-Hope. Elle qui n'a pas de honte en a soudain une: si pour elle c'est trop, elle n'ose pas imaginer ce que c'est pour les autres. Et si elle s'en soucie, c'est que son état est vraiment pitoyable.
Mais elle ne veut pas non plus obliger Edge à la materner, à la veiller, à rompre sa vie pour elle, pour encore une fois la sortir du puits de ses démons. "T'es pas... obligé de faire ça," qu'elle soupire au final, avant de s'abandonner aux bras de Morphée pour l'instant du trajet.
Ariel ne pèse pas lourd dans tes bras, pas du tout et juste comme ça, il est très facile de te rappeler qu’elle n’était qu’une gamine au moment où vos routes se sont croisées. Une gamine avec un peu trop de répondant et un genre de feu que rien ne peut éteindre dans les yeux. Et une colère sourde, la même colère qui t’envahit parfois et que tu as toujours reconnue en elle sans le moindre doute. Cette colère, vous l’avez partagée pendant des années, côte à côte, pendant les moments de galère et les moments de doute et c’est bien pour mettre cette colère de côté que tu as décidé de prendre tes distances avec elle. Et maintenant que tu l’as fait s’asseoir sur le siège passager de ta voiture, est-ce que tu le regrettes ? Un peu seulement, les choses sont toujours un peu compliquées quand Ariel est concernée et quand elle bouge, tu ne la quittes pas du regard et tu finis par lâcher un soupir, très long, quand elle reprend la parole. Comme si tu allais la laisser dans une impasse pareille, comme si tu étais le genre de type à ne pas répondre à son appel. Certaines choses ne changent pas et Ariel devrait bien le savoir, tu ne lui as pas dit adieu ce jour-là dans la chambre hôpital, c’était simplement un au revoir, temporaire, une partie de toi en était déjà persuadée, une partie de toi en était certaine. Mais tu aurais préféré avoir tort et la croiser dans d’autres circonstances, c’est certain. "Je sais." Deux mots, lourds de sens, teintés d’un peu trop d’amertume, et pourtant, c’est tout ce que tu dis, tout ce que tu lances avant de finir par faire le tour de ton propre véhicule et par retrouver la place du conducteur. Tu lui lances un dernier regard avant de démarrer, tu hais la voir comme ça, si tu trouvais le responsable, tu lui mettrais un uppercut plus que puissant dans la mâchoire. Sauf que tu le sais, elle a aussi sa part de responsabilité dans l’histoire, Ariel n’est pas toute blanche, Ariel n’est pas si innocente que cela, peut-être qu’elle a été un jour mais définitivement pas ce soir. Tu redémarres le véhicule quand elle t’indique qu’elle a déménagé, première nouvelle, des mois de silence radio, tu as manqué beaucoup d’événements dans sa vie et l’inverse est vrai... Trop vrai d’ailleurs, mais il est impossible de retourner en arrière, n’est-ce pas ? "Et tu n’as pas besoin de t’excuser ou de te justifier, c’est moi, je suis là, pas besoin d’élaborer ..." Premièrement, vous avez déjà joué ces rôles-là, elle a déjà eu autant d’alcool dans les veines et des nouvelles cicatrices sur sa peau laiteuse, et tu as déjà joué les sauveurs, sauf que ce soir tu es désespérément sobre, et tu la vois sous une nouvelle lumière, beaucoup plus cruelle et moins flatteuse. Et ce que tu vois, surtout, c’est sa détresse, et tu veux aider, du mieux que tu le peux, sans qu’elle ne t’entraîne dans sa chute et sans que cela soit fatal pour l’un d’entre vous. Aussi, tu roules plus vite, vous guidant dans les rues de Brisbane, et connaissant déjà une partie du chemin, malheureusement. "Non, on va faire un détour je ne te ramène pas chez toi ou ailleurs comme ça." Vraiment, parce que tu ne sais pas dans quel genre de nouvel environnement elle vit et que tu ne veux pas fermer les yeux et causer plus de problèmes. Aussi, tu restes silencieux pendant le reste du trajet, une dizaine de minutes tout au plus, mais ce sont les néons du service d’urgence du St Vincent qui finissent par vous accueillir et tu te gares non loin, te tournant enfin vers Ariel. "Tu peux marcher ou... okay never mind." Tu n’attends pas vraiment de réponse de la part de la jeune femme, tu es déjà sorti du véhicule, tu en as déjà fait le tour et tu l’aides à se tenir debout, un de tes bras autour de sa taille, l’aidant à avancer lentement. Tu es là, tu n’es pas loin, elle peut totalement prendre appui sur toi, dans tous les sens du terme et c’est tout aussi prudemment que vous passez les portes du service. Le silence est presque un peu trop effrayant à l’intérieur, c’est une nuit lente visiblement et tu fais de ton mieux pour capter l’attention de quelqu'un de compétent et rapidement. "Mon amie a perdu du sang je crois qu’elle s’est coupée..." Que tu lances à l’intéressée et on s’occupe immédiatement de vous, tu es là, tu n’es pas loin et tu respires correctement quand Ariel se fait examiner par quelqu’un de compétent. Tu es juste là, à un mètre de la scène, les bras croisés sur ta poitrine, et c’est plus fort que toi, tu finis enfin par poser une question importante, lâchant un simple: "Qui t’a laissée dans un état pareil, hmm?" Et tu le sais déjà, tu ne vas pas aimer la réponse.
Ne pas bouger, ne pas penser. Elle se laisse porter dans les bras puissants de son ami – elle n’a pas d’autre choix. Y’a même pas de place pour les regrets, pour la colère, pour autre chose que la honte et ses larmes qui noient ses mots dans de pathétiques sanglots. Le moteur de la voiture la berce, et la voix d’Edge la tire des limbes dans lesquelles sont cerveau s’est englué. Il ne la ramène pas chez elle ou ailleurs, c’est tout ce qu’il dit et elle assume alors qu’il prend la direction de chez lui. Elle rentre la tête dans ses épaules, se colle au siège, ferme les yeux jusqu’à ce qu’Edge freine et coupe le véhicule. Derrière ses paupières elle ne trouve pas de répit, pas de paix: tout est noir, tout lui fait peur. Elle ne voit que ses mauvais choix qui s'empilent pour lui offrir une échelle vers les profondeurs, et elle touche le fond avec le même empressement qu'elle mettrait à remporter un trophée brillant. Elle l'a bien cherché, dira-t-on. Elle cherche les emmerdes, creuse sa propre tombe en brandissant fièrement la pelle, se prépare son ultime demeure entourée de bouteilles d'alcool, de la maladie sournoise qui la ronge, de ses paquets de cigarettes écrasés et de ses contradictions, de ses espoirs et ses luttes bousillées. Chapeau, l'artiste.
Elle voudrait crier take me back, mais pas quelque part: avant. Avant que tout ça ne commence, ou ne s'aggrave ; avant qu'elle ne perde le peu d'emprise et de volonté qui stagnait dans son système pour faire d'elle quelqu'un de décent. Mais c'est trop tard, et Ariel ne peut plus jouer les gamines insolentes et les adolescentes rebelles pour esquiver le poids de ses erreurs. Tout a un prix, et la facture est salée. Si ce n'était pas pour Edge...
Son environnement change et Ariel n’a besoin que d’une seconde de lucidité pour réaliser où elle se trouve et savoir qu’elle ne va pas du tout aimer la prochaine étape : les gyrophares, le toit des ambulances dont les couleurs l’aveuglent… L’environnement qu’elle abhorre le plus l’accueille à bras ouverts – et elle ne peut pas résister. Elle en a bien envie mais le reste lui fait défaut, à commencer par ses jambes qui se dérobent presque sous elle lorsqu’Edge l’aide à descendre de sa voiture. Elle peine à avancer, grommelle quelque chose d’inaudible sous son haleine lourde alcoolisée, quelque chose qui ressemble au caprice étouffé d’une gamine pour ne pas faire ce qu’on lui dit. Prise à son propre piège, elle ne doit son semblant d’autonomie qu’à Edge et ne peut s’enfuir ni résister. Les portes coulissent et ouvrent l’accès à l’hôpital à leur drôle de duo : Edge, une montagne de force et sa peau sombre qui contrastent avec la silhouette chétive et d’une pâleur maladive d’Ariel qu’il tient à ses côtés. Au cœur de la nuit les foules ne se pressent pas : si c’est tant mieux, Ariel ne le remarque pas. Ça ne fait que ressortir ses vêtements sales, son maquillage fondu sur son visage et les traces de sang séché qui parsèment son corps, et quelques regards glissent sur elle comme on regarde une bête dangereuse agonisante.
"Je crois qu’elle s’est coupée" suffit pourtant à lui tirer un rictus et elle arrive à gratifier Edge d’un eye-roll. Mais le message est passé et rapidement Ariel passe entre d’autres mains. Des blouses bleues, des blouses blanches, et elle qui d’habitude jouit du contact prolongé d’inconnus sur sa peau ne supporte pas ces mains-là. Elle réclame à voix basse la présence d’Edge mais ce n’est pas possible, alors elle laisse la fatigue l’écraser et lui ôter sa volonté pendant qu’on l’examine. Elle voudrait dormir. « Avez-vous bu ? » Elle ouvre un œil, arque un sourcil. « Oui. » « Avez-vous pris des drogues ? » Elle secoue la tête. Négatif. Pas de drogues chez Ariel James, tout le monde devrait le savoir. « Et le sang, c’est le vôtre ? » Une boule se forme soudain dans sa gorge et les larmes jaillissent sans qu’elle ne puisse les contrôler. Alors, elle hoche la tête, dans l’autre sens cette fois : positif. « Qui t’as laissée dans un état pareil, hmm ? » Edge intervient, et sa question trouve un écho curieux dans les yeux de la soignante qui s’affaire à vérifier qu’elle n’a rien de plus grave que la plaie à son bras. Par réflexe, Ariel détourne le regard, fronce les sourcils, prête à nier. Mais le cœur n’y est pas, l’esprit non plus. Alors elle rassemble dans sa tête les mots pour sortir une phrase comportant un minimum de cohérence. « Une agression. Sortie de bar. Quatre mecs, je crois. L’un avait un couteau. » La suite ne fait pas mystère. « Ils m’ont poursuivi… » Le flash lui revient en mémoire, et son corps se raidit, le souvenir de sa peur paralysante d’il y a une demi-heure toujours vivace dans ses muscles. « Je pouvais plus me battre, je crois, alors j'suis partie, je voulais me cacher mais j'savais pas où aller dans cette putain de ville… ». Elle marque un temps, puis continue. « J’avais peur », souffle-t-elle, confessant ses pensées. Puis, la panique, soudain. « Qu’est-ce qu’il va se passer maintenant ? Je veux pas rester ici, je veux… » Quoi, au juste ? « I want to be safe. » Et puis, elle se laisse aller, ses muscles cédant peu à peu à la pression. « Et je veux dormir. » Elle regarde enfin Edge, trouve la force dans ses yeux marrons. « Tu restes avec moi? »
Tu n’as pas tout de suite la réponse à la question que tu viens de poser à Ariel et très sincèrement ? Tu n’es pas certain de vouloir connaitre la réponse à cette question-là, tu sais que la réponse risque de t’énerver ou pire encore, provoquer une dispute entre vous deux. Parce que vous êtes bien similaires Ariel et toi, il n’y a pas d’autres explications, c’est pour cela que tu la comprends mieux que personne, pour cela qu’elle t’a appelé toi, pour cela que tu as répondu à l’appel. Tout comme tu sais ce qui a sûrement dû motiver la jeune femme ce soir, ce besoin de courir, ce besoin d’hurler et de se débarasser de tout ce qui la ronge de l’intérieur. En jetant son dévolu sur une bouteille, en étant en plein milieu d’une bagarre. Tu la suis, bien sûr que tu es là quand elle se fait examiner, une ombre plus que menaçante et constante et ton expression se durcit de secondes en secondes quand elle fait le récit de sa nuit à elle. Et le pire dans tout ça ? C’est que tu t’en veux, tu es aussi responsable qu’elle, parce que tu as refermé la porte sur elle, pas complètement, dire adieu à Ariel, ça serait comme se débarasser d’une partie de toi-même et ce n’est pas quelque chose que tu es sur le point de faire. Son regard tombe sur toi et tu te contentes de hausser les épaules et tu réponds presque automatiquement: "Et je suis censé faire quoi au juste, te laisser toute seule ?" clairement sur la défensive. Comment est-ce que tu pourrais réagir autrement ? Sauf que l’infirmière présente t’adresse un regard plus qu’accusateur, un signe qu’Ariel n’a pas besoin de cela en ce moment et tu as vraiment envie qu’elle mêle de ce qui la regarde. Cependant, elle est là pour faire son boulot et elle le fait, jusqu’au bout, termine son examen et déclare qu’il faut qu’Ariel passe des examens supplémentaires, une radio visiblement, et qu’elle voit un médecin avant de pouvoir s’éclipser. Elle finit par tendre un formulaire à la brune et Ariel doit s’installer dans un fauteuil roulant pour pouvoir naviguer dans les couloirs de l’hôpital. "Merci." Que tu finis par marmonner à l’employée, plus que sincère, prenant déjà le relais et prêt à pousser Ariel. "Je m’en occupe, on va aller direct au service de radiologie." Non, ce n’est pas la procédure, sauf qu’elle n’a clairement pas le temps de se prendre la tête avec l’ami d’un patient et l'infirmière vous quitte dans un hochement de tête. Sauf que tu ne bouges pas tout de suite, plutôt que de guider Ariel vers l’ascenseur, tu vérifies qu’elle est bien installée sur le fauteuil roulant et tu reprends enfin la parole. "Vu comment c’est parti, on va devoir rester ici un petit moment donc..." Donc elle ne sera pas chez elle tout de suite, donc elle n’a pas à s’inquiéter. Une fois que tu t’assures que la brune est bien installée, tu pousses un soupir, tes genoux trouvant enfin le sol pour que tu puisses la regarder dans les yeux. Parce qu’il faut vraiment qu’elle entende ce que tu as à dire, et tant pis si ton timing est foireux à souhait, tant pis si elle t’en veut par la suite et qu’elle décide de ne plus t’adresser la parole. Tu n’as absolument plus rien à perdre en ce qui concerne Ariel et elle est déjà en très mauvais état alors... "Je n’ai vraiment pas envie de te faire de leçons de morale ou de te dire que je t’avais prévenu, mais je ne peux pas m’empêcher de voir l’ironie dans toute cette situation." Que tu finis par lâcher de but en blanc, tu finis par te relever, croisant une nouvelle fois les bras sur ta poitrine, ton regard couleur noisette planté dans celui de la brune. "Je décide de couper les ponts avec toi ... à cause de toutes les conneries qu’on a faites, et tu vas faire encore plus de conneries." Parce que tu l’avais prédit ça, cet écart là, okay, pas aussi spectaculaire, mais tu savais que quelque chose du genre arriverait tôt ou tard. Et la dernière conversation que vous avez eu à ce sujet, ironiquement encore une fois, était également entre les murs du St Vincent. "Non sérieusement, il se serait passé quoi si je n’avais pas décroché ? Ou si j’avais été tout simplement occupé ?" Tu n’aimes pas poser cette question, en vérité tu détestes poser cette question à voix haute et tu soupçonnes que cela est lisible sur ton visage, mais tant pis, vous en êtes là maintenant, au beau milieu de la nuit dans ce service hospitalier. Pour le meilleur et pour le pire visiblement, tu pousses un profond soupir, haussant les épaules, parce que non, vous ne vous êtes jamais fait de promesses, vous êtes trop cyniques pour croire en tout ça, mais merde... si tu n’essayes pas de la sortir de cette spirale sans fin, qui va le faire ? Personne d’autre, tu le sais déjà ça. "Ariel, t’es ma plus vieille amie, et on a eu nos hauts et nos bas... donc vraiment, dis-moi, il se passe quoi le jour où je ne décroche pas le téléphone ?"
S'il y a des reproches dans la remarque d'Edge, Ariel les laisse couler. Ce n'est pas (du tout) son genre mais l'australienne déclare forfait d'avance. Elle a déjà tout donné, toute sa hargne, toute sa rage, toute sa peur: et puis, surtout, elle n'a rien à répondre. Elle pourrait le défier, prétendre que si c'est ce qu'il veut, rien ne l'en empêche. La solitude et la self-pity, elle maîtrise sur le bout des doigts. Mais elle a trop peur que si elle fanfaronne, il la prenne au mot et s'en aille, la laisse toute seule dans cet hôpital blanc et vide aux murs tristes. Alors Ariel secoue la tête, défaite.
Lorsque l'infirmière la dirige vers le fauteuil roulant, elle a un geste de recul brusque. « Hors de question, » parvient-elle à articuler d'une voix rauque. « C'est non, » s'obstine-t-elle, jusqu'à ce que, face aux regards d'Edge et de la soignante, elle cède de mauvais gré. Elle sait bien qu'elle n'a pas le choix et qu'elle peut à peine marcher, mais elle trouve le procédé révoltant ; et surtout, l'aveu de sa propre faiblesse la révulse. Alors elle s'assied, sourcils froncés, chétive sous la silhouette d'Edge qui prend le relais et endosse le rôle de soignant ou d'accompagnant pour la pousser à travers les couloirs jusqu'à la prochaine étape: la radiologie. Mais il ne bouge pas, et logiquement, elle non plus. Oh, oh. C'est le signe annonciateur d'une discussion qu'elle n'a pas envie d'avoir. Ses soupçons se confirment lorsqu'Edge s'assied devant elle, ce regard grave qui accentue la profondeur de ses jolis yeux. « T'as pas le droit de faire ça. J'suis handicapée, t'es en train de profiter honteusement de ma situation, c'est de l'abus de faiblesse. » Et c'est parti. Elle croise les bras ostensiblement, le mécontentement suintant par tous les pores de sa peau. Yeah, yeah, les leçons de morale, ils savent tous les deux qu'elle ne les écoutera pas: la preuve... ce n'est pas la faute d'en avoir reçu.
Mais elle est bloquée, littéralement. Il n'y a pas d'échappatoire. Elle n'en a pas envie, pourtant. Les mots d'Edge sont les seuls susceptibles de la percer vraiment à jour, de la faire flancher. Et c'est bien parce-que c'est déjà arrivé par le passé qu'Ariel redoute ce moment. Edge ne mâchera pas ses mots et il ne la ménagera pas plus que nécessaire pour éviter une crise de larmes - ça aura peut-être le mérite de la faire revenir de ses émotions. Evidemment: ses conneries, motif de rupture since forever. Elle soutient pourtant son regard. « Je pense pas que ça soit une grosse surprise pour toi... ou pour moi. » Elle s'est sentie abandonnée, et leur dernier échange glacial dans une même chambre d'hôpital ajouté au reste de son univers se cassant la gueule n'a pas exactement été un remontant. La question tranche son esprit comme une lame affutée.
Ils sont seuls, et rien ne devrait venir interrompre le supplice du silence - rien, sinon Ariel qui finalement retrouve enfin suffisamment d'aplomb pour répondre. Depuis qu’elle est descendue de la voiture, elle retrouve peu à peu un rythme cardiaque normal, ou en tous cas, qui ne s’emballe pas de panique. Les larmes ont séché sur ses joues, elle ne pense pas pouvoir pleurer plus ce soir : Edge devra se contenter de ses yeux verts cerclés de mascara dégoulinant. « Je me serais débrouillée. » Est-ce vrai? Probablement pas. Son état psychique et physique ne lui permettent déjà pas de faire grand-chose alors qu’elle a été sauvée, prise en charge, soignée. Si elle était restée dans la ruelle, derrière les poubelles, son bras en sang, en crise de panique… Il aurait fallu que quelqu’un la trouve. Mais qui passerait par hasard dans une ruelle désaffectée ? Edge n’y croit pas, à sa version, évidemment. Et la sincérité qu’elle entend dans ses propos lui crève le cœur, aussi. « Je t’ai appelé parce-que j’avais personne d’autre vers qui me tourner. Personne d’autre pour me récupérer dans cet état sans paniquer, personne d’autre pour débarquer à cette heure-là. » Elle hausse les épaules. Tout ça la fatigue. « Je ne sais pas. Enfin, si, je sais. Quelque chose de moche. » Elle ne veut pas y penser davantage. « Je suis pas fière de ce qui s’est passé. Mais c’est juste arrivé. Et si ç’avait pas été ça, ça aurait pu être autre chose. Pire. » Parce-que finalement, sa spécialité, c'est quand même le pire. « Si tu veux plus que je t'appelle... J't'appelerai plus. Mais j'ai qu'une personne comme toi dans ma vie, Edge. Tu devrais savoir que couper les ponts avec moi c'est pas non plus la solution pour m'empêcher de faire des conneries. » Elle soupire, un peu par lassitude, un peu par fatigue. « Je sais faire que ça. Et les gens autour, soit je les détruis, soit ils partent. » Sa voix est faible, et elle commence à sentir le froid faire frémir la surface de sa peau. « J'imagine que t'as choisi le bon camp. » Un instant de silence. « Y'a pas de bout du tunnel pour les gens comme moi. » Elle flotte à la dérive et se cognera dans tous les objets posés sur son chemin. On l'a connue plus combative, la petite Ariel, tous crocs et poings dehors, prête à bouffer le monde entier. Mais la mèche semble s'être consumée et devant Edge, ce soir, il ne reste plus que des cendres. « J'sais pas quoi faire. » Pour aller mieux. Pour être mieux. Pour vivre sans survivre. Pour vaincre les démons de l'alcool qui bouffent neurone après neurone, volonté après volonté.
« Tu m'pousses? Le fauteuil, j'veux dire. Je commence à avoir froid. On peut continuer la leçon de morale sur le chemin, de toute façon je vais pas me barrer en courant. » qu'elle marmonne entre ses dents. Et surtout, elle ne veut pas vraiment entendre ce que les médecins lui diront. Quitte à choisir entre des inconnus en blouse blanche qui vont la sermonner sur son train de vie et Edge qui la sermonne déjà sur son train de vie, elle préfère la deuxième option. « Ou alors on peut juste se barrer. J'ai juste besoin de dormir, et sinon, les médecins vont se comporter comme des cons, on le sait tous les deux. Promis, je dirai rien. »
Peut-être qu’elle a raison, faire cela maintenant n’a absolument rien de juste, elle est en position de faiblesse, et pas toi, mais tu ne vois pas vraiment d’autres moyens de vous sortir de cette impasse. Et très sincèrement, tu préfères tirer la sonnette d’alarme maintenant, avant qu’il ne soit trop tard. Parce que tu sais que cela est une possibilité, qu’on t’appelle un jour, pas juste pour venir la chercher, mais pour identifier son corps à elle et pour confirmer que oui, il s’agit bien d’Ariel James. Parce que tu seras le seul à répondre à l’appel, pas vrai ? Tu pourrais lui balancer tout ceci à la figure, mais à l’inverse, tes questions se font un peu plus mesurées, parce que tu ressens toujours une certaine affection pour elle, parce que tu reviens souvent vers elle et parce que oui… vous avez un passé commun. Le nier, ça serait comme nier une part de toi-même, mais tu n’es pas hypocrite à ce point-là, pas même toi. Elle fait des vagues Ariel, elle ne veut pas de ce fauteuil et elle ne veut pas de tes questions, mais elle est là ce soir, ou ce matin, vous êtes là et elle ne peut pas vraiment échapper à cette conversation ou cette situation. Tu pousses un profond soupir aux mots de la brune, tu n’acceptes pas ses réponses, elles ne sont pas suffisantes et d’une certaine façon, elles te mettent un peu hors de toi. Tu es obligé de prendre une profonde inspiration, de considérer tout ce qu’elle vient de te répondre, ce si tu veux plus que je t’appelle… elle ne comprend pas vraiment la nature du problème, pas du tout d’ailleurs et quand tu t’adresses à elle, le timbre de ta voix n’est pas du tout mesuré, lui. Parce que tu ne comprends pas comment Ariel elle, elle peut être aussi calme, tu ne comprends pas comment est-ce qu’elle peut tout prendre à la légère, elle se moque de vivre à ce point ? Le pire c’est que tu connais déjà la réponse à cette interrogation-là, malheureusement. "Tu te serais débrouillée ? Oh vraiment ? Bullshit." Tu as un sourire mauvais avant de reprendre, tout aussi nerveusement et tout aussi rapidement, une partie de toi espérant vraiment que la jeune femme va enregistrer ce que tu as à lui dire. Tu n’as pas envie de la blesser plus que mesure, si tu es autant excédé, c’est parce qu’elle compte à tes yeux, justement, pas l’inverse. "Si ton but est de me faire culpabiliser, tu ne vas pas y arriver Ariel, genre vraiment pas, je sais pourquoi j’ai pris mes distances, c’était pour éviter ce genre de déboires." Votre dernière conversation était aussi dans un hôpital, sauf que tu étais celui qui était allé trop loin, à cause de l’alcool, de la déprime, et toutes ces choses que vous partagez et qui ont justement conduit Ariel à sortir ce soir, tout un tas de mauvaise raison en fait. "Et peut-être que c’était complètement égoïste de ma part… non, c’était totalement égoïste de ma part, mais tu crois que ça ne me fait rien du tout de voir dans quel état tu te mets, et tout ça pour quoi ?" Alors quoi, tu es dans sa vie, vous faites des conneries, tu t’éloignes, elle en fait quand même ? C’est un cercle vicieux et plus que jamais, tu vois très clairement toute la dynamique de votre relation, et tu refuses d’y participer, purement et simplement. Cela n’a absolument rien de saint et les mots d’Ariel sont un bien maigre réconfort. Si tu restes, elle va te détruire aussi, si tu pars, elle trouvera un moyen de te faire revenir. Well fuck that, que tu ne peux t’empêcher de penser, ayant un vrai mouvement de recul, mettant de la distance, physique et réel entre toi et la jeune femme. Elle, assise sur son fauteuil et toi, toujours debout. "On connait tous les deux la raison, je suis là ce soir, les rôles ont déjà été inversés et je ne veux pas avoir à te poser un ultimatum mais…" Vos regards se croisent et tu déglutis faiblement, tu es bien lâche quand Ariel est concerné et tu lui trouves toujours des excuses. Oui, toujours, pas ce soir. Ce soir il n’y a rien pour t’influencer, rien à part les ecchymoses sur la peau pâle de la jeune femme, et sa silhouette un peu trop fragile dans ce fauteuil. Pour la première fois depuis longtemps, tu la vois vraiment. "Si en fait, tu le mérites. Tu te rends compte de l’immense responsabilité que c’est ou pas ? Ou à quel point c’est complètement injuste que tu dépendes de moi à ce point-là ? Ça veut dire que quoi… je n’ai pas le droit de tourner la page ou de vouloir aller mieux ? Et cela vaut pour toi aussi… Je t’assure que tout n’est pas blanc et tout n’est pas noir, il y a juste milieu !" Tu lui en fais l’assurance, la promesse d’une certaine façon, avec beaucoup d’entrain dans ta voix et tu es certain que beaucoup t’ont entendu. Tu roules des yeux, fatigué de toi, d’elle, de tous et tu prends une autre inspiration, plus lourde que la précédente, pour ne pas te laisser dominer par ta colère. C’est dur, encore plus en sa présence, alors vraiment, tu décides de tenter le tout pour le tout et de lui dire la vérité, la vraie raison de ton éloignement. "Je suis sobre depuis pratiquement un an maintenant, ouais, depuis la dernière fois qu’on s’est parlés, difficile à croire, mais c’est vrai, comme quoi, il y un après." Tu vas mieux, le monde ne s’est pas effondré depuis que tu ne bois plus, tu as du être confronté à tes problèmes plutôt que de les noyer et tu voix même une thérapeute deux fois par semaine. Tu as pris ta vie en main et des décisions pour ton bien-être à toi. Et oui, la transition a été des plus difficiles et chaque jour est un combat en soit, car tu te demandes bien pourquoi tu fais tous ces efforts-là et pourquoi est-ce que tu ne peux pas juste boire une bière comme si de rien était… la réponse est simple, c’est Yasmine ta nouvelle motivation, c’est pour elle et parce qu’elle te donne envie d’être un homme meilleur. C’est sans doute un cliché, mais cela reste la vérité néanmoins et c’est une motivation suffisante pour toi. "Après ce soir, songe à aller mieux Ariel, je sais que c’est plus facile à dire qu’à faire, crois-moi, je le sais." Mais chaque jour, tu vas un peu mieux que le précédent et à chaque fois, tout s’allège un peu plus et c’est plus simple de respirer, tout simplement. "Mais ne compte plus sur moi pour te tirer d’affaires, vraiment, si on ne peut pas être amis sans que cela soit une question de vie ou de mort, alors peut-être qu’on ne devrait pas être amis." Tu ne peux pas faire le travail à sa place et si elle décide sciemment, de foncer dans un mur, elle ne peut pas te reprocher de vouloir descendre avant la collision, vraiment pas.
She’s not having a great time. Evidemment, elle préfère être là, saine et sauve et – malgré tout – prise en charge, qu’en train de se vider de son sang dans une ruelle crasseuse, mais au moins, quand il s’agit de s’agiter et de faire entendre ses arguments à coups de poings, elle sait s’y prendre. Elle a beau manier la plume avec assez de talent pour en avoir fait son gagne-pain, quand il faut argumenter et s’en tirer en maniant le verbe, elle goûte plus souvent à la défaite qu’autre chose. Et son état physique comme mental ne lui permet pas de briller à l’apogée de ses capacités. Le problème, avec Edge, c’est qu’elle n’a aucun recoin ou fuir. Il la connaît trop bien pour ne pas anticiper ses remarques creuses, éviter ses répliques cassantes ou ne pas contrer ses caprices. Il le lui dit d’ailleurs – "bullshit" – quand elle affirme qu’elle se serait débrouillée. Elle fronce les sourcils malgré tout : elle ne veut pas faire culpabiliser Edge. C’est idiot. Elle lui en veut, c’est différent.
Elle soupire, le cœur pincé, l’émotion qui encore, prend à la gorge. Elle s’en veut aussi de le mettre dans l’embarras. « Look – I’m sorry, okay ? Je suis désolée de t’entraîner là-dedans, mais… » Edge recule, Ariel suspend sa phrase. Elle doit lever la tête pour croiser son regard (et elle déteste ça), la distance physique entre eux accentuant de manière simple et précise les propos de son ami. Le « mais » glisse dans l’air, se loge entre eux, nargue les larmes qui commencent à perler dans les yeux verts. Mais quoi ? Mais t’arrêtes ou je te quitte ? Mais c’était la dernière fois ? Elle serre la mâchoire, le début de tristesse balayé par la colère. She isn’t a kid, on ne la fera pas plier avec de bêtes menaces. Mais la voix grave au-dessus d’elle reprend, se fiche de son avis. Oh, well. Il lui reste peut-être encore des ressources pour se battre.
Mais le boxeur tape là où il faut, et c’est injuste qu’il sache mettre des mots sur le problème qui définit leur relation. À cet instant, elle le déteste, si elle pouvait frapper son torse avec ses poings elle le ferait, simplement pour ponctuer chaque coup d’un mot ; pourquoi ne peut-on pas prétendre qu’il ne s’est rien passé ? Ce serait tellement plus simple de ne pas y penser, d’enterrer le problème sans chercher à le résoudre. Parce-que l’inverse implique de regarder la vérité en face et d’en subir les conséquences, et ça fait trente ans qu’elle se débrouille pour allonger l’ardoise sans jamais payer. Pour aujourd’hui passer à la caisse ? Elle ne veut pas. Elle veut crier non, se lever, se barrer en courant mais elle reste plantée là dans son stupide fauteuil, ses jambes trop contentes d’être trop fatiguées et ainsi déconnectées de son cerveau pour quelques heures de répit. Faute de mieux, elle se tait, lasse, et se résout à écouter Edge.
Elle écoute ce qui ressemble à une promesse – mais elle en doute. Elle sait que tout n’est pas blanc ou noir, elle-même a l’impression de se balader dans une espèce de zone grise depuis des années. Mais de là à avoir un « juste milieu »… Ce n’est pas non plus comme si ça lui allait. Bien sûr, qu’elle veut qu’Edge aille mieux. Elle n’a pas non plus demandé à dépendre de qui que ce soit : c’est juste… une exception. Ariel soupire.
« Je suis sobre depuis pratiquement un an maintenant, ouais, depuis la dernière fois qu’on s’est parlés, difficile à croire, mais c’est vrai, comme quoi, il y un après. » Wait, what? « Sobre comme... sobre? » Ça lui semble lunaire. Le choc dans son regard ne peut pas être feint, et en même temps quelque chose se brise. Edge a tourné la page, même s'il est là pour elle ce soir. Si elle le regarde plus attentivement elle verra qu'il va mieux, que c'est inscrit quelque part sur son visage - mais elle ne le fait pas. Elle n'en a pas besoin. Si pour lui c'est terminé... Alors quoi? Qu'est-ce qu'il lui reste? « Du coup, quoi, c'est quoi la solution? J'arrête tout? J'peux pas. » Elle n'énonce pas l'évidence. Elle boit depuis son adolescence, quand Edge l'a rencontré Ariel buvait déjà. Sa dépendance à l'alcool n'a fait que s'aggraver en quinze ans, mais elle est ce qu'elle est: malade. Une malade qui ne veut pas l'admettre. « Je sais même pas comment faire. Par où commencer. Je suis pas toi, Edge. J'ai pas... » Quoi? Qu'est-ce qu'il a de plus qu'elle pour réussir là où Ariel ne songe même pas à essayer? La voix dans sa tête lui souffle tout un tas de réponses plus cyniques les unes que les autres.
Et voilà l'ultimatum, enfin.
Edge va s'en aller, aussi. Comme tout le monde avant: tout le monde part. Sa famille, ses amis, tout, tout se dérobe autour d'elle. Le monde tourne, les autres avancent, elle reste bloquée au milieu de son champ de ruines et de regrets. « Alors aide-moi. » Elle ne le regarde pas. « Dis-moi comment faire, parce-que sinon j'y arriverai pas. Et je peux pas te perdre. Pas toi. » Parce-qu'il ne reste que lui.
Ça fait longtemps qu'elle n'a pas demandé l'aide de quelqu'un. Ça fait aussi longtemps qu'elle ne s'est pas retrouvé si proche du néant, du rien, de l'anéantissement d'elle-même. « Si tu me promets qu'il y a un après alors are-moi à y arriver. » Au moins un premier pas. Juste ça. Juste pour voir, si ça en vaut la peine, si y'a vraiment un futur pour les gens comme elle. « S'il te plaît? »
Cette conversation te fatigue plus qu'autre chose, tu le réalises au fur à mesure que les mots t'échappent, cela te vide de beaucoup de choses. Oui, tu as l'impression qu'il y a une fuite quelque part, et que tout ce qui te reliait à Ariel est en train d'en profiter pour s'échapper. Il n'y a pas vraiment d'autre façon pour toi de le décrire ou même de le mesurer. Tu devrais être en colère, mais cela impliquerait... quelque chose de plus que toi, tu te mets généralement en colère pour des choses qui te touchent, qui te tiennent à cœur, et tandis que tu confies à Ariel que tu n'as pas bu une seule goutte d'alcool depuis plus d'un an, tu ne ressens plus ce qui te lie à elle. Ou ce qui t'a un jour lié à elle. Quelque chose manque, quelque chose de plus, quelque chose qui pourrait te remuer au point que tu puisses te mettre en colère mais non, Ariel... Ariel est presque une étrangère. Tu le réalises à présent, elle n'a aucune idée de comment se passe tes journées à présent, et certes, c'est toi qui as exigé cette distance entre vous et sans son coup de fil, de détresse et pas d'autre chose, est-ce que tu serais revenu vers elle ? Malheureusement, tu connais déjà la réponse à cette question-là, et elle n'est pas positive. "Il n'y a pas 36 façons d'être sobre Ariel..." Que tu marmonnes enfin après une profonde inspiration, tu n'as même pas le temps d'être plus sarcastique, ou de lui en dire plus, que déjà, la brune aussi a ses exigences, déjà, elle en demande encore plus de toi. Encore plus. Cela ne t'étonne pas vraiment, cela ne t'étonne plus et tu ne sais pas pourquoi tu en attendais plus d'elle, justement. Quoi que tu fasses, cela sera toujours de ta faute, tu ne feras que prouver sa petite théorie et Ariel n'aura alors plus d'excuses pour avancer ou tout changer. "Oh rien que ça ?" Que tu lâches enfin ta voix lourde de beaucoup de choses, un semblant de menaces sur tes lèvres. Elle te supplie mais cela ne rend pas la demande moins affreuse et moins injuste, qu'est-ce qui lui fait croire que tu es en mesure de l'aider ? Est-ce qu'elle pourra te retourner la pareille ? Est-ce qu'elle était là quand tu étais au plus bas, non, Ariel a été lâche et elle a fui, tu lui a dit de le faire certes, mais c'est le même discours que tu as sorti à Yasmine et elle au moins, elle s'est battu pour sa place, pour toi dans un sens... Yasmine au moins t'a montré que tu valais mieux que... que tout ça en fait. C'est ça la grande différence en fait. "Tu as entendu tout ce que je viens de te dire ou pas ? Ou tout ce que je viens te dire il y a cinq minutes t'a complètement échappé ? Je te dis qu'on ne peut pas continuer comme cela et tu me demandes de l'aide ?" Des questions de pure rhétorique, Ariel n'est clairement pas en état de réaliser ce qu'elle est en train de faire, ou ce qu'elle te demande. Mais toi tu as déjà pris ta décision, et pour vous deux en plus de cela. "Tu sais quoi, Ariel ? Tu veux de l'aide, okay..." Vous vous connaissez depuis des années et il est triste de se dire que tu n'as jamais vraiment été honnête avec elle, mais il faut bien quelqu'un pour la ramener à la réalité et elle vient juste de te demander ton aide alors... Alors tu finis par prendre une profonde inspiration, une autre, et ton regard trouve celui de la jeune femme tandis que tu reprends la parole. "Il n'y a pas de solution miracle, genre vraiment pas, arrête de croire que ce qui t'es arrivé justifie tout tes excès, arrête de te complaire dans ton malheur, ouvre les yeux et réalise que tu as un problème, avec l'alcool, avec le reste, avec les fréquentations que tu as et surtout, surtout, réalise que tu fous tout sciemment en l'air." C'est dur et c'est froid, mais vous savez très bien, tous les deux qui plus est, que c'est la stricte vérité, du moins, c'est comme ça que tu le vois. Tu n'as rien fait de particulier, tu as juste arrêté de boire, arrêté de te voiler la face et tu as regardé tes problèmes en face. Et le constat n'a pas été beau non plus. "Ce n'est pas l'alcool, ce n'est pas ton père, ce n'est pas la vie, c'est toi... tu es ce qui ne va pas chez-toi, et la seule personne qui peut remonter la pente, c'est toi." C'est elle, la somme de toutes les choses qui ne vont pas chez elle et de ses erreurs, et c'est tout ce que tu ajouteras sur le sujet. "Pas la peine de me remercier, je m'en vais." Tu ne peux rien faire de plus pour elle, que tu penses en tournant les talons et surtout, tu ne veux rien faire de plus pour elle.
Aide-moi. Prononcer ces mots, ça ne lui ressemble pas. C’est presque contraire à qui elle est, à son chemin tracé dans le désert depuis trente ans. L’aide, soit elle l’a eu parce-qu’on lui a donné, soit on lui a refusé. Mais demander ? Non. Pas pour elle. Elle se débrouille très bien sans : la preuve… ou pas. Edge, par le passé, il l’a aidé. Des millions de fois. Des fois où elle en avait vraiment besoin, des fois où il n’aurait pas dû, des fois où la demande pointait sur le bout de sa langue mais ne s’était jamais manifestée aussi clairement que ce soir. Combien de temps déjà depuis qu’il est venu en urgence la tirer de cette ruelle glauque et sombre dans le silence d’une nuit anonyme ? Elle ne sait plus. Ils sont tous les deux dans ce couloir trop blanc, mais la seule chose qu’elle remarque sont les yeux d’Edge qui se voilent de colère, de désespoir, de déception. Sa voix qui met des mots explicites sur tout ce qu’elle ne veut pas entendre. Ariel n’a pas le choix : elle ne peut pas fuir, elle ne peut pas prétendre ne pas écouter. Il n’y a qu’elle face à la catastrophe qui arrive et qu’elle ne peut plus retenir. Elle ne peut éviter la vague qui la percute de plein fouet et lui agrippe les entrailles de ses courants froids, la traine vers le fond, la suffoque jusqu’à ce que le manque d’air face percer la bulle de mensonge confortable pour en libérer sa lucidité. Alors c’est lui, Edge? Force de reconnaître qu’elle s’est fourvoyée. Elle n’avait vu dans leur dispute qu’un jeu d’enfant qui tourne mal mais elle pensait naïvement qu’il ne partirait pas, pas comme ça. Mais Edge a changé, Edge a grandi, et il n’a plus grand-chose à voir avec celui qu’elle croyait connaître. Son cœur frappe fort dans sa tête, sa gorge se serre une fois de plus et elle voudrait le supplier d’arrêter. Elle ne veut pas de ce tableau sordide qu’il peint devant elle en lumières crues et froides et teintées de vérité. Elle a perdu son ami, elle a perdu son compagnon de route, et d'infortune, mais pas ce soir. La réalité est cruelle, mais ça fait bien longtemps qu'Ariel et Edge marchent sur deux voies différentes - et l'une seulement n'est pas une impasse.
Why do have to ruin everything? Les mots ne sortent pas. La tirade est finie, les conclusions éparpillées devant ses yeux, gravées au fer rouge derrière ses paupières. Elle ne peut plus respirer.
Arrête de croire que ce qui t'es arrivé justifie tout tes excès. Arrête de te complaire dans ton malheur. Réalise que tu as un problème, avec l'alcool, avec le reste, avec les fréquentations que tu as. Tu fous tout sciemment en l'air.
Elle ferme les yeux avec l’énergie du désespoir, avec la colère qui lui reste et qui la bouffe depuis toujours, la colère qui a transformé toutes ses mauvaises décisions en coups du sorts malvenus, en tristes coïncidences, en tout sauf en sa propre faute.
Ce n'est pas l'alcool, ce n'est pas ton père, ce n'est pas la vie. C'est toi... tu es ce qui ne va pas chez-toi.
Quand elle rouvre les yeux, Edge ne lui a pas dit adieu et il a tourné les talons. Il a dit, « je m’en vais », et Ariel sait déjà que rien au monde ne pourra le faire revenir. Et au fond, qu'elle n'a pas le droit de le lui demander.
La seule personne qui peut remonter la pente, c'est toi.
Mais au bout du tunnel, de ce merdier sans fin qu'est sa vie, Edge fait apparaître la lumière malgré son départ. De toute façon, c'est la seule aide qu'elle aura.