Les chansons de Noël jouent en boucle à la radio mais Archie refuse de les écouter. Cette fête n’a jamais été sa préférée. Jeune, il n’obtenait pas les cadeaux qu’il désirait et, quand il est devenu assez grand pour se payer le moindre de ses désirs, le plaisir de déballer une surprise s’est lentement dissipé pour finalement disparaître complètement. Certes, les gens lui diront que, Noël, c’est avant tout de passer du temps en famille et d’échanger des sourires et des câlins, mais, pour Archie, les dîners avec ses parents et ses sœurs se résumaient à des parties de jeu de rôle. Devant son père et sa mère, il n’a jamais pu afficher le garçon qu’il est réellement. À la place d’une accolade, il a toujours reçu une tape sur son épaule et des questions concernant sa carrière. Et puis, comment vont les affaires ? Pas encore millionnaire ? Les gens qui ont acheté des actions chez Apple le sont depuis des années. Tu devrais trouver la prochaine perle de technologie, plutôt que cette entreprise de café.

« Ça ne sert à rien de me mordre les mollets, Bucky. » grimace Archie en ajustant son col devant le miroir près de la porte de sortie. Il passe sa main dans ses cheveux pour les peigner grossièrement mais un soupir s’échappe de ses lèvres quand il se retrouve devant un reflet trop soigné et il défait vivement les mèches parfaites qui encadraient son visage. « Arrête, j’ai dit ! » Il souffle, un peu plus fort, en reculant pour s’éloigner de la gueule ouverte de son chien. « T’es impatient, tu le sais, ça ? » Il demande, plongeant ses yeux sévères dans ceux du barzoï qui s’est finalement assis en regardant son maître avec un air piteux, suppliant. « Bien. » Il termine, satisfait, reposant son attention sur le miroir. Dans un mouvement classe, il déboutonne les manches de sa chemise pour les enrouler jusqu’à la hauteur de ses coudes. Finalement content de son apparence, il s’abaisse pour enfiler ses chaussures en cuir. Le museau de Bucky se colle contre son front. « Tu vas payer pour ton impatience. » Le jeune homme marmonne avant de vivement tendre la main vers le crochet sur lequel était suspendu un bonnet de Noël. Il le pose sur la tête de l’animal et le boucle en dessous de son menton. Bucky secoue la tête quelques secondes, se gratte le côté du crâne pour se débarrasser du vêtement mais il n’y arrive pas. « Ne fais pas cette gueule, t’es adorable. » Il ricane avant d’empoigner ses clefs et de sortir de la maison sans oublier le cadeau qu’il a fait emballer au centre commercial, faute de talent artistique.    

Il a vérifié l’adresse à plusieurs reprises pour s’assurer qu’il pouvait facilement se rendre à la petite fête à pieds. S’il amène Bucky avec lui, c’est seulement pour le présenter à Autumn. Elle ne l’a pas encore rencontré mais il est certain que ce sera le coup de foudre. Archie la connait bien, la jeune femme, mais il se rend sur les lieux des festivités légèrement appréhensif. Il ne connait pas vraiment ses amis, du moins, pas les nouvelles têtes qu’elle a rencontrées depuis qu’ils ne sont plus en couple mais cela ne devrait pas être un problème : il sait déjà qu’il ne fera pas la meilleure impression, c’est une question d’habitude. Les amis, il ne les collectionne pas et il est très bien comme ça – c’est ce qu’il essaye de se faire croire. Il suffit de regarder l’animal de l’autre côté de la laisse pour réaliser qu’Archie se sent légèrement seul depuis quelques années. Personne ne remplit les pièces de sa maison trop grande.

Devant une maison plutôt jolie, Archie vérifie deux fois l’adresse pour s’assurer qu’il ne s’est pas trompé d’endroit. Il ne peut s’empêcher de remarquer que la pelouse est brunâtre et mal entretenue. Soit le propriétaire se fiche complètement de l’apparence de son terrain, soit il n’a pas le temps de s’en occuper. Arrivé à la hauteur de la porte, l’actionnaire ne prend pas le temps de sonner, il pose la main sur la poignée et la tourne pour ouvrir le battant. Il se retrouve face à des dizaines de décorations lumineuses, de lumières colorées, de guirlandes de pin naturel. L’odeur de la nourriture lui fouette les narines en même temps que la musique de Noël vient agresser ses tympans. Il cache une moue derrière sa main et, en refermant la porte derrière lui après s’être assuré que Bucky était bien entré, il jette un coup d’œil aux alentours. Tout le monde semble s’être rassemblé dans le salon ; il entend des voix provenant de la pièce voisine. S’apprêtant à rejoindre les festivités en passant par le couloir, il sursaute lorsqu’un garçon sort de la salle de bains, à sa droite. « Woah, doucement mec. » Il lance après avoir repris son souffle. Un sourire amusé étire finalement ses lèvres lorsqu'il se met à étudier le look plutôt simplet de l'étranger. « Soit je me suis trompé de party, soit t’es un des potes mystères d’Autumn. » Bucky renifle timidement les genoux de l’inconnu. « Rassure-moi, ma seconde hypothèse est la meilleure ? Je savais pas si j’avais le droit de faire entrer mon chien mais je ne pouvais pas le laisser seul dehors, ça m’aurait brisé le cœur. » Il couine en posant sa main sur sa poitrine, faussement bouleversé.          

 

@ARCHIE KWANTEEN & KIERAN HALSTEAD ⊹⊹⊹ A thrill of hope, the weary world rejoices, For yonder breaks a new and glorious morn. Fall on your knees, Oh, hear the angel voices, Oh, night divine, Oh night, that leads to morn.

(FLASHBACK). Priam a passé une demi-heure à conter la chasse au trésor organisée par ses parents, tradition désormais poursuivie en compagnie de leurs petits-enfants. Lottie a récité pendant un bon quart d’heure la liste des recettes familiales qui composent le banquet de ce jour particulier. Phoebe a passé presque autant de temps à se remémorer son cadeau préféré. Cinq minutes ont suffi à Woody, peu loquace de nature, pour partager sa tradition favorite - cinq minutes qui ont suffi à lui humidifier les yeux et à ce qu’on lui serre l’épaule pour ce troisième Noël sans sa mère, qui semble toujours être le premier en vue de l’émotion qui se propage dans la pièce.

Dix secondes ont suffi à Kieran pour rappeler qu’il n’a aucun souvenir de Noël à partager et que non, s’ils sont tentés d’être désolés pour lui, ça n’a pas lieu d’être, merci pour lui.

Les rires partagés, les murmures approbatifs et les sourires émus continuent de plus belle ; la tête d’Autumn assise sur ses genoux vient se nicher dans son cou un bref instant tandis que sa main caresse doucement son dos. Il pourrait se réjouir de ce soutien silencieux, d’autant qu’elle sait à quel point il hait les fêtes de fin d’année, mais sa gratitude ne dure que le temps de son accolade, vite remplacée par cette ambivalence qui la caractérise et ce regard las qui lui fait comprendre, pour la énième fois, que les années ont passé et que de la même façon, il devrait passer à autre chose.

Alors son rire, plus faible, se mêle à ceux des autres. Ses murmures, à peine audibles, rejoignent ceux des autres. Ses sourires, plus discrets, s’enchaînent sur son visage. Le mécanisme est enclenché, mais aucun souvenir partagé n’est enregistré. Ou du moins, avec l’image du protagoniste concerné. C’est la frêle silhouette de Kieran qui prend leur place ; c’est lui qui rit à s’en faire mal aux joues tandis qu’il suit les ordres de ses parents pour trouver son cadeau. C’est lui qui peine à tenir sur la pointe des pieds sur le tabouret qu’on lui a prévu pour aider à préparer les biscuits de Noël. C’est lui qui compose le festin qu’il va engloutir le jour magique - tout n’est pas forcément de sa décision, mais tous ces souvenirs le concernent désormais et sont vécus dans son esprit.

Le sourire sur ses lèvres est sincère, cette fois.

Mais le mutisme demeure bien réel tandis que ses lèvres finissent par se coller entre elles à force de ne pas ouvrir la bouche - que pourrait-il dire, de toute manière ? Il n’a rien d’intéressant à raconter, Kieran, ni sur ses souvenirs, ni sur sa vie, autant préserver les autres de ses anecdotes inutiles. La conversation se poursuit sans lui ; ça tombe bien, il n’en a jamais vraiment fait partie. Le jeune homme reste en retrait, suit les indications des autres pour savoir quand sourire, rire, réagir. Son esprit, lui, est ailleurs, alors que son cœur se serre à mesure que les souvenirs s’enchaînent sans qu’il ne puisse espérer se joindre à la discussion. Il est le spectateur privilégié de la séquence qui se déroule devant lui – mais jamais il n’en sera acteur. Autumn ne comprend pas plus que les autres, que le dessinateur les envie à cet instant, tandis qu’ils ne cessent de lui renvoyer en plein visage la facilité avec laquelle ils peuvent raccrocher les souvenirs à une identité. Il ne bénéficie pas du même privilège et cela lui pèse de jour en jour. « Excuse-moi. » Il étire le cou, murmure à l’oreille de sa petite amie, dont les sourcils se froncent dans l’attente d’une explication. « Les joies de la bière. » Il justifie en haussant les épaules, tandis qu’elle pince les lèvres et se laisse glisser sur le côté pour qu’il puisse s’échapper de ce canapé, puis de cette pièce.

Il verrouille la porte aussitôt derrière lui ; bon sang qu’il voudrait souligner à Priam que son air hautain ne lui apportera jamais rien de plus au quotidien que l’agacement qu’il provoque chez les autres. Il enclenche l’eau glacé ; Lottie devrait cesser de prétendre appartenir à une famille unie alors que tout le monde perçoit qu’elle est la déception de celle-ci – lui compris. Ses mains passent sous l’eau ; et est-ce que Phoebe pourrait comprendre une bonne fois pour toutes que tout le monde a enregistré que son porte-monnaie (ou celui de ses parents, en l’occurrence) est plus gros que les leurs réunis ? L’eau s’abat sur son visage, une fois, deux fois ; et il le lui ferait bouffer, à Woody, son besoin d’être le centre du monde alors qu’il n’avait pas parlé à sa génitrice depuis plus de dix ans.

Mais ce sont les amis d’Autumn ; par conséquent ce sont les siens quand bien même il ne comprend pas la majorité de leurs sujets de conversation et la totalité de leurs vaines plaisanteries. Ils enchaînent les sous-entendus à un rythme effréné et s’il n’a jamais été entraîné à les comprendre ; il comprend bien lorsqu’ils lui sont adressés.

Une heure est passée depuis qu’ils sont arrivés. Plus que six ; cinq si Priam propose d’aller à la messe de minuit, quatre si Lottie s’alcoolise suffisamment pour ne plus contenir son racisme, trois si Phoebe se plaint du festin qui n’est pas à la hauteur de ses allergies alimentaires, deux si le deuil de Woody fait place à la rancune d’avoir été largué par la précédente à la même époque l’année dernière.

Une si sa maladresse habituelle lui permet de trébucher sur le sol mouillé de cette salle de bain et se rattraper la tête la première dans ce miroir qu’il aura suffisamment brisé pour nécessiter cinq, allez soyons fous, dix points de suture. Dix heures aux urgences seront toujours plus agréables qu’une heure de plus ici.

Il chasse cette pensée de son esprit en soupirant, observant son reflet qui affiche son plus beau sourire forcé, avant de quitter précipitamment la pièce – sans quoi, il abattra de lui-même son crâne contre la glace. « Ah ! » Il s’exclame sous l’effet de la surprise en manquant de heurter un homme qui n’est ni le snobinard numéro 1, ni le second pas plus que le dixième qu’il côtoie depuis une heure. « Euh. Ouais. » Il fronce les sourcils, incapable de remettre ce type qui prononce le prénom de sa petite amie. « Je suis son copain, en fait. » Il souligne avec un sourire pincé. « Et tu es... ? » Il quémande, curieux, mais surtout envahit par ce mauvais pressentiment qu’il n’arrive pas à calmer. « Et pour le chien, j’en sais rien. Je crois que Diego est allergique. » Quel dommage. « Il peut rester. » Autant qu’il veut. « Enfin, j’imagine. » Qu’il nuance rapidement, conscient que son avis n’a aucune valeur et que la décision ne lui appartient pas. « C’est quoi cette histoire de potes mystères ? » Il finit par demander, oscillant entre le réconfort d’avoir une parfaite excuse en la personne de cet inconnu pour ne pas retourner dans ce salon et l’incompréhension des termes qu’il utilise et qui laisse présager la révélation de certains détails dont il se serait probablement passé.  

Quand Archie a vu le message d’Autumn dans son téléphone, bien sûr qu’il a souri. Cette fille, il l’adore depuis le jour où ils se sont rencontrés dans un taxi, forcés à partager le même véhicule à cause d’une énorme averse à l’extérieur. Ils étaient faits pour s’entendre ; ils étaient toujours pris ensemble d’un fou rire qui s’éternisait une dizaine de secondes de trop. Et, une fois qu’ils se calmaient, la respiration saccadée par le manque d’air, ils reprenaient de plus bel jusqu’à ce que leur gorge ne puisse plus émettre le moindre son.

S’ils s’étaient séparés quelques mois auparavant, c’est simplement parce qu’ils avaient compris que l’amour était un sentiment complètement différent et qu’ils ne l’avaient jamais senti réchauffer leur cœur. La coupure s’était faite doucement : ils avaient simplement souri, hoché la tête, puis ils s’étaient promis de se revoir souvent. Certes, Archie s’était senti plutôt seul pendant un moment a s’était retrouvé du jour au lendemain dans une grande maison qui accueillait un élevage de chiots. Il est reparti avec l’une des petites bêtes et l’avait serrée dans ses bras sur tout le chemin du retour.

Pourtant, ce doit bien faire plusieurs semaines que lui et Autumn n’ont pas passé une soirée ensemble. Il a arrêté depuis longtemps d’espionner son profil Facebook parce qu’il n’est pas un de ces ex toxiques qui cherchent à tout prix à retourner dans le passé. Il a compris qu’elle s’est bâti sa vie de son côté et qu’il devait faire de même. Il ne connait pas son nouvel entourage, eux qui partageaient le même quelques années plus tôt. En cette soirée de festivité, Noël s’approchant à grands pas, Archie met les pieds dans une baraque décorée qu’il n’a jamais vue auparavant. Le corridor qui mène jusqu’au salon, il l’explore pour une première fois en compagnie de Bucky et c’est la surprise qui fend son visage lorsqu’il apprend de force qu’une salle de bains se trouve à sa droite. L’homme qui en sort est aussi déboussolé que lui alors qu’une onomatopée des plus banales s’échappe de ses lèvres, comme s’il venait de renverser le contenu de son assiette sur le plancher. Archie s’en doutait : il ne connait pas le visage de ce jeune homme. Il espère simplement ne pas s’être trompé de maison. Naturellement, il interroge l’inconnu pour s’assurer de la chose. « Euh. Ouais. » Eh bah, il a l’assurance d’une souris, celui-là. Les deux yeux grands ouverts, l’actionnaire attend de plus amples explications. « Je suis son copain, en fait. » Sourcils froncés, il analyse le garçon de bas en haut, notant la finesse de ses jambes et sa carrure plutôt vulnérable. Mais, ce qui se démarque le plus chez le fameux copain d’Autumn, ce sont ses traits déboussolés, comme si on venait de lui voler sa queue et qu’il ne savait pas comment réagir. « Un simple ami. » Archie finit par répondre, un sourire traitre soulevant le coin de ses lèvres tandis qu’il ment sur ce lien qui l’uni à la plus colorée des saisons. « Et pour le chien, j’en sais rien. Je crois que Diego est allergique. » Lèvres pincées, le brun observe curieusement l’attitude de l’autre alors qu’il approuve la présence du chien malgré les allergies d’un certain Diego – un autre prénom qu’il ne reconnait pas, la chasse à l’homme est ouverte. « Tant mieux alors. Je peux rester et faire la fête avec vous. C’est bien dans le salon que ça se passe, et pas dans les toilettes ? » Amusé, il jette un coup d’œil à travers la porte ouverte de la salle de bains, comme s’il cherchait les festivités. « C’est quoi cette histoire de potes mystères ? » Archie balaie l’air du revers de la main, relâchant la laisse de Bucky qui se dirige tout naturellement vers le salon, là où l’odeur de la nourriture le guide. « Je pense que je ne connais qu’Autumn, ce soir. Je ne sais pas trop pourquoi elle m’a invitée, d’ailleurs. Elle voulait peut-être me présenter sa bande. Et son nouveau copain, du coup. » Il le désigne du menton, toujours aussi peu impressionné par le choix de la jeune femme. « Mais j’espère que je ne ferai pas trop de déçus, je n’ai apporté qu’un cadeau pour elle. » Il présente la petite boîte emballée de papier rouge et or dans sa main ouverte.

« POURQUOI Y’A UN CHIEN DANS LE SALON ?! » « Non, arrête, c’est Bucky ! » « IL EST À QUI, BUCKY ? » Ses deux yeux amusés plantés dans ceux du petit copain, il sourit à pleines dents en attendant des pas précipités se diriger dans leur direction. Quand il croise le regard d’Autumn, il ouvre ses bras pour tout de suite l’accueillir contre lui. Il la serre doucement, posant ses lèvres contre le dessus de sa tête. « Je suis contente que tu sois là ! » Elle lance avant de se décoller, gardant ses doigts enroulés autour de son poignet comme si elle voulait l’amener jusqu’au salon. « Oh ! » Elle s’exclame en réalisant que Kieran est juste à côté d’eux. « Vous vous êtes déjà rencontrés ? Kieran, c’est Archie. Archie… » Son sourire s’étire alors qu’elle croise le regard de son ex. « C’est Kieran. » Il hoche la tête. « Ton copain. Oui, on vient de se parler un peu, avant que tu arrives. Il sortait des toilettes, il m’a presque assommé avec la porte. »  

La magie des fêtes de fin d’année se transforme le plus souvent en cauchemar pour un Kieran qui n’avait, jusqu’à l’année dernière, personne avec qui partager celles-ci. Oh, bien sûr, il a toujours pu compter sur ses sœurs, mais cette petite voix dans sa tête ne cesse de lui dire qu’elles aimeraient aussi pouvoir profiter de cette période sans l’avoir constamment dans les pattes, sans avoir le devoir de s’assurer qu’il n’est pas seul et qu’il faut, comme toujours, s’occuper de lui. De son côté, il fait preuve d’une certaine ingratitude alors qu’il a toujours rêvé de passer des fêtes en compagnie d’individus qui ignoreraient tout de son histoire et qui ne chercheraient qu’à partager leurs traditions avec lui plutôt qu’à lui demander d’évoquer les siennes, inexistantes. Et dans un sens, c’est ce qu’il se passe ce soir, alors que les tours de parole sont bien définis et que chacun bénéficie d’un moment d’égocentrisme pur lorsqu’il s’agit d’évoquer ses souvenirs et, plus concrètement, pour quelles raisons les festivités sont meilleures dans son propre foyer que dans celui des autres. Il pourrait inventer ses propres traditions, en réalité, Kieran. Changer la donne et décider de faire un melting pot de tout ce que les amis d’Autumn apprécient pour les recevoir chez lui et s’assurer de leur sympathie en leur organisant des fêtes inoubliables. Ce ne serait pas difficile de les séduire de par la manière dont il met du cœur à s’assurer de toujours satisfaire les autres ; le problème étant qu’il n’est pas très créatif ni sûr de lui et qu’aucune des festivités d’apparence incroyable dans sa tête ne le seront en réalité. Comme tous ses projets, tout tombera à plat et ce sera un sérieux désastre, une humiliation dont il n’arrivera probablement pas à se relever. Alors à défaut, il se contente du rôle qu’il a toujours eu et qu’il revêt à merveille ; celui d’un figurant dans la vie des autres autant que dans la sienne, restant en retrait, silencieux, aux expressions maîtrisées pour ne pas paraître trop détaché, pour donner le meilleur de lui-même à défaut de réellement avoir quelque chose à offrir.

Mais ses bonnes intentions se heurtent néanmoins à son mal-être constant et la façade s’effrite malgré tous ses efforts. Il s’excuse, disparaît ; il sait qu’il n’a pas besoin de plus de quelques minutes pour se remettre d’aplomb. Le prétendre du moins et finalement n’est-ce pas là l’essentiel ? Offrir à Autumn la soirée parfaite dont elle rêve, qu’elle a détaillé encore et encore lorsqu’elle s’impatientait qu’il rencontre quelques amis encore méconnus, qu’il puisse passer un événement d’une telle importance avec les gens qu’elle aime (en dehors de lui, bien sûr) afin qu’il puisse lui confirmer, à l’issue de cette soirée, qu’elle avait bien raison de lui suggérer de rester avec elle cette année plutôt que de rester avec Sawyer et qu’il était temps, à son âge, d’oser bousculer ses habitudes. Il ne sait pas encore si cela est une bonne idée quant à ce contexte spécifique, pour autant il se raisonne rapidement lorsqu’il songe aux quelques habitudes qu’il a déjà bousculées pour elle et qui, il doit l’admettre, ce sont avérées bénéfiques. En ce sens, comment pourrait-il être déçu de cette soirée ? Les discours encourageants s’enchaînent dans son esprit ; le masque du petit ami réservé – mais agréable – à nouveau sur ses traits, il quitte sa tanière sécurisante pour se mêler à nouveau à la foule. Du moins, c’était l’idée avant que sa précipitation se heurte (littéralement) à un nouvel invité. Quant à sa sympathie, d’ordinaire visible sur ses traits, elle se heurte à l’identification quasi immédiate de sa petite amie, autant qu’à la comparaison qui fait de lui « un pote mystère » de la jeune femme. « Un simple ami. » Qu’il répète par automatisme, comme si cet acte lui permettrait de mieux décortiquer la situation ou, à défaut, d’identifier ce simple ami qui n’en est probablement pas un. Depuis quand on se présente à autrui comme un simple ami et non pas comme un ami tout court ? « J’imagine que c’est comme tu préfères. » Il souligne lorsque l’inconnu suggère que les festivités se déroulent dans les toilettes, Kieran répondant le plus sérieusement du monde : il est libre de faire ce qu’il veut et s’il veut à son tour s’enfermer dans la salle de bain, grand bien lui fasse. « Oh, je vois. C’est une soirée de présentations, alors. » Il ajoute, poli, un sourire qui s’affiche sur ses lèvres. Lui aussi ne connait pas tout le monde, lui aussi n’est pas vraiment à l’aise avec tous – mais c’est un autre sujet. « Phoebe risque de t’en vouloir, elle a l’air de... faire une fixette sur les cadeaux. » Il ajoute, en haussant les épaules, son regard se posant sur l’emballage trop soigneux que le type lui présente – qui arrive à emballer les cadeaux avec autant de délicatesse ? Mais il ne dit rien, Kieran, tout comme il espère que le présent n’est pas d’une valeur susceptible d’écraser sa propre offrande.

Une voix derrière eux se fait entendre puis celle, plus familière, de sa petite amie, ce qui ne manque pas de le soulager sur l’instant, ravi d’être interrompu dans ces présentations qui n’en sont pas réellement. La quiétude ne dure qu’un instant lorsque l’étranger semble bien trop familier avec sa petite amie – mais Kieran se raisonne rapidement en se disant que l’amitié homme-femme existe et que ce n’est pas parce qu’il n’est pas tactile avec ses propres amis que d’autres ne peuvent pas l’être. Certains apprécient de se prendre dans les bras ou de déposer des baisers tendres sur le front de leurs amis, c’est évident. C’est sa conception à lui de l’amitié et des relations qui est problématique ; il le sait et cet exemple ne fait qu’illustrer à quel point il est largué dans le domaine. Il laisse les deux amis discuter et se retrouver avant que sa petite amie ne se tourne vers lui, d’un air faussement outré : « Kieran ! » « J’ai pas fait exprès, tu me connais. » Il se justifie en pinçant les lèvres, s’approchant pour rejoindre le petit groupe, sa main qui vient se glisser dans le dos de sa petite amie tandis que celle-ci rit légèrement. « Désolée. » Elle glisse à l’intention d’Archie avant de lancer un regard amusé au grand brun. « Kieran et la maladresse, c’est une longue histoire. » Le principal concerné hausse les épaules. « Mais en général, je m’assomme tout seul alors tu devrais être tranquille. » Il ne s’en prend pas aux autres, à moins que. Il oublie très rapidement cette idée alors que les regards des deux amis se croisent à nouveau, Kieran qui reprend rapidement la parole pour exister dans cette conversation, lui qui d’ordinaire aurait apprécié sa position d’observateur. « Et donc, vous deux, vous vous connaissez d’où ? » Il demande, réellement curieux, sourire bienveillant sur les lèvres. Après tout, il est là pour apprendre à peaufiner ses liens avec l’entourage d’Autumn puisque celui-ci doit également devenir le sien, autant qu’il commence par les bases de leur amitié pour mieux orienter la manière dont il construira sa propre camaraderie avec le dénommé Archie – puisqu’il ne peut s’agir que du seul lien envisageable pour un Kieran qui maintient à l’écart tout sentiment à potentiel négatif.  

Heureusement pour Kieran,  il ne se trouve pas en face d’un ex jaloux qui aurait accepté l’invitation à cette soirée festive dans l’unique but de reconquérir le cœur de cette fille qu’il n’a jamais pu se sortir de la tête. Toutefois, Autumn a été très importante pour Archie car elle lui a permis d’apprendre à se connaître davantage, lui qui a grandi dans une famille qui avait décidé de son avenir. Il n’avait jamais eu besoin de se chercher une personnalité, des intérêts ou une passion parce que ses parents avaient tout prévu pour lui ; la boxe n’est pas un sport qui aurait attiré son attention si on ne lui avait pas enfilé des gants aux mains sans lui donner le droit de se plaindre. Les chiffres et les statistiques ne composeraient pas quatre-vingt-dix pourcents de ses pensées si son père n’était pas banquier. Il n’y avait qu’avec Autumn qu’il se permettait de tenter de nouvelles choses sans avoir peur qu’on lui reproche ses décisions. Elle le gardait sur terre tout en l’aidant à s’envoler.

Même si Kieran ne craint donc pas de terminer la soirée dans une lutte sanglante afin de conserver sa petite amie, ça n’empêche pas Archie d’avoir envie de jouer un peu. Il a toujours été comme ça, même dans le berceau : il a besoin de titiller là où ça irrite, de sourire devant le malaise des autres et d’ajouter cinquante couches de glaçage sur le gâteau dans le simple but de garder le contrôle sur la situation. Il aurait facilement pu être intimidé par la présence de ce garçon à l’allure maladroite puisque ce dernier a lui aussi réussi à conquérir le cœur d’Autumn mais… Étrangement, il ne fait pas bien peur avec sa silhouette svelte et ses lunettes de geek posées sur le bout de son nez. C’est exactement pour cette raison qu’il décide de jouer un peu avec lui en racontant immédiatement qu’il a bien faillit l’assommer avec la porte de la salle de bain. Il aurait pu complimenter sa gentillesse ou son style vestimentaire mais non : c’est bien plus amusant de le rendre mal à l’aise et d’ainsi avoir l’avantage sur la situation. « J’ai pas fait exprès, tu me connais. » Il reprend rapidement, ne laissant pas sa petite amie le blâmer plus longtemps. Un sourire malin toujours tapissé sur son visage, Archie laisse ses yeux glisser un peu plus bas en constatant que Kieran s’approche d’Autumn pour l’enrouler de son bras, protecteur. Quand il redresse les yeux, c’est pour croiser le regard de la jeune femme tandis qu’elle met à jour le principal défaut de son copain. Il est maladroit, alors ? Intéressant. « Mais en général, je m’assomme tout seul alors tu devrais être tranquille. » Aussitôt, l’expression d’Archie change mais il le fait exprès. En présence de n’importe quel inconnu, il aurait probablement agit plus respectueusement. Toutefois, afin d’officiellement poser un délicieux malaise dans le trio, il affiche un faux sourire et se pince les lèvres en observant Kieran de bas en haut. Volontairement, il veut le gêner, l’esseuler dans un silence dont lui seul serait responsable ; parce que sa blague était mauvaise. « Hun hun. » C’est la seule réponse – onomatopée – qu’il obtient alors qu’Archie reporte rapidement son attention sur Autumn pour lui lancer un regard qu’elle connait bien. Amusée, elle secoue discrètement la tête de droite à gauche et mime les mots « ne fais pas ça » à son ex, bien que ses yeux soient eux aussi brillants d’amusement. Probablement dans le but de rassurer son copain, elle pose ses lèvres sur son épaule alors qu’il tente de reprendre les rênes de la conversation. « Et donc, vous deux, vous vous connaissez d’où ? » Nouveau regard échangé entre les deux membres de l’ancien couple. Si Archie prend un malin plaisir à jouer la carte de l’arrogance, il ne veut toutefois pas importuner sa complice. C’est à elle de le présenter comme elle le souhaite. Alors elle prend la parole. « On s’est trouvés par hasard dans un taxi. Je ne sais pas si tu te souviens de l’énorme tempête qui a détruit plusieurs maisons, y’a deux ans ? » Elle interroge innocemment Kieran du regard en attendant qu’il confirme ou affirme. « C’était cette journée-là. On a parlé… Enfin, il m’a beaucoup parlé, je crois qu’il était bourré. » Archie se pince les lèvres en marmonnant : « Juste un peu. » Et elle continue : « Enfin, voilà. On a été ensemble pendant un an. » Ce à quoi ajoute l’actionnaire dans un sourire exagéré : « L’amour fou. » Avant de tendre le petit cadeau bien emballé à sa destinataire. Il s’agit d’un collier en argent duquel pend un joli pendentif en cristal orangé en forme de feuille d’arbre. « Tu l’ouvres quand tu veux. Moi, je devrais probablement aller m’assurer que Bucky n’est pas en train d’enfoncer sa grosse truffe dans les plats. » Il marque une pause et interroge ses deux interlocuteurs du regard : « Y’a des jeux et de l’alcool dans le salon, j’espère ! » Parce qu’il ne pourra pas supporter le poids de cette soirée en compagnie d’étrangers si les festivités ne sont pas au rendez-vous.    

Elle n’a jamais parlé de cet Archie et Kieran s’en veut de s’interroger sur la raison derrière cette omission. Rien n’oblige sa petite amie à lui dévoiler chaque pan de sa vie, tout comme il n’a aucune obligation de le faire lui-même – et il ne s’en prive pas s’il n’est pas invité à se confesser. Pour autant, il y a cette petite voix dans sa tête qui s’alarme ; il a bien compris qu’Autumn a un cercle social bien plus conséquent que le sien pour avoir connaissance de chaque individu qui le compose, mais la réaction de cet Archie face à lui semble... théâtrale ? Exagérée ? Moqueuse ? Ils auraient simplement pu échanger un rire suite à la maladresse du grand brun ; mais le plus petit a souhaité s’amuser de celle-ci alors même qu’il ne le connaît pas. Il s’est permis une réflexion qui surprend Kieran - évidemment qu’elle le surprend puisqu’elle ne semble pas s’intégrer dans le manuel des interactions sociales les plus clichées, qu’il suit à la lettre contrairement à ce fameux Archie. Raison pour laquelle Kieran se retrouve confus face à lui, incapable de vraiment percevoir s’il s’agissait d’une pique, d’une plaisanterie ou d’une simple gêne. Il aimerait qu’il soit question d’une des deux dernières options, mais cette même petite voix penche pour la première option. Ça n’aide pas pour autant Kieran à parvenir à calmer ses interrogations ; pourquoi est-ce que ce type l’attaquerait alors qu’ils ne se connaissent pas ? Alors il tente de se raisonner en supposant qu’il s’agit seulement d’humour et que, comme bien souvent, il ne le comprend pas. Un humour douteux, assurément, mais qui est-il pour le juger, lui qui est bien souvent incapable d’en faire preuve ? Humour qui persiste même s’il n’a pas lieu d’être lorsqu’ils sont rejoints par Autumn et que cet Archie semble réellement bouleversé par l’incident de la porte, alors même que Kieran ne l’a pas touché – et peut-être qu’il aurait dû, finalement. Il regrette rapidement cette pensée, bien trop virulente pour être acceptée et même s’il a conscience qu’Archie ne peut pas lire dans les pensées, c’est un sourire bienveillant qui s’affiche sur ses lèvres pour tenter de contrer cette attitude dont il est pourtant le seul à être au courant.

Autumn s’offusque faussement de sa maladresse, parfaitement consciente que jamais celle-ci ne pourra être reprochée à Kieran puisqu’inscrite dans son code génétique, autant que parce qu’elle fait partie des éléments qu’elle a trouvé suffisamment attachants pour en être là aujourd’hui avec le dessinateur. Il recherche la proximité de sa petite amie par besoin de reprendre contenance autant que de se rassurer, heureux qu’elle soit bien plus tactile que lui pour ne pas avoir à justifier cette technique de petit garçon qui ne ferait qu’accentuer son humiliation – et son instinct lui dicte qu’aujourd’hui, il sera bien assez servi de ce côté-là. Il n’y a qu’à voir le détachement dont fait désormais preuve cet Archie, enclin à lui parler quelques instants plus tôt et semblant désormais ignorer sa présence, ses yeux et son intérêt n’étant plus que dirigés vers une seule personne : Autumn. Bien sûr qu’elle attire les regards et la sympathie, elle a cet aura qui a notamment été la raison pour laquelle il s’est lui-même laissé à tomber sous son charme, mais quand même, c’est presque vexant d’être relégué au rang de simple observateur alors que quelques instants plus tôt, Archie se plaisait encore à le taquiner. Il faudrait savoir ce que tu veux, Kieran. Il ne le sait pas vraiment et à vrai dire ce n’est pas surprenant : il se questionne encore quant à tout ce qu’il se passe, incapable de comprendre la situation qui se joue. Il esquisse un sourire charmé lorsque les lèvres de la jeune femme se posent sur son épaule, concrétisant l’impression qu’elle est à ses côtés, son réflexe visant à poser à son tour ses lèvres sur le sommet de son crâne – n’en déplaise à Archie. Kieran tente d’occuper le silence qui s’installe, autant qu’il tente d’avoir une piste quant à cette situation de laquelle il semble le seul à l’extérieur. Tournant la tête vers sa petite amie, il hoche vigoureusement la tête pour lui certifier qu’il s’en souvient, esquissant un rire lorsqu’Archie confirme avoir trop bu, se renfermant dès lors que tout s’éclaircit.

« Enfin, voilà. On a été ensemble pendant un an. » « Oh. » « L’amour fou. » « D’accord. »
Non, pas d’accord.

Le puzzle se résout et il comprend mieux, Kieran, la manière dont l’a accueilli ce type quelques instants auparavant, comme s’il tentait de marquer un territoire qui ne lui appartient plus – et qu’il n’appartient pas plus à Kieran, à vrai dire, puisqu’il s’en veut aussitôt d’avoir supposé qu’Autumn lui appartenait. Bien sûr que ce n’est pas le cas, mais, quand même. Ils ont vécu une relation d’une année, ce n’est pas rien une année, c’est encore plus conséquent quand cette relation s’est terminée au moment où la leur a débuté. Alors c’est ça, il est un pansement ? Le bon samaritain qui a réussi à lui changer les idées lorsqu’Archie lui a brisé le cœur, une jolie distraction dont le temps est compté ? « Oh merci beaucoup, Arch. » Il jette un coup d’œil au cadeau et il ne sait pas s’il est satisfait ou non qu’elle ne l’ouvre pas tout de suite. Autumn relève les yeux et croise le regard d’un Kieran qui s’empresse de reposer le sien sur l’invité. « Mais c’est du passé. » À défaut que ce soit il y a longtemps, oui. L’attention du brun se reporte sur Archie qui n’a pas ôté son sourire fier de ses lèvres, alors qu’il prend de plus en plus ses aises. Vas-y donc, et prends la porte au passage. Ou peut-être que c’est moi qui enfoncerai ta tête dans un plat. Et peut-être même que tu t’étoufferas avec tout l’alcool à disposition. « Oh, oui, bien sûr. Va profiter. » Qu’il suggère avec un sourire plaqué sur les lèvres. Mais sérieusement, étouffe-toi, s’il te plaît. « Ça te dérange ? » Qu’Autumn lui demande lorsqu’elle vient glisser ses mains dans les siennes et lui faire face. Quoi ? Que ton ex soit là et semble se vanter de l’amour fou qui vous unissait ? Oui, ça me dérange et ça me dérange encore plus de ne pas avoir été mis au courant avant d’avoir l’air d’un con face à lui. C’est d’autant plus gênant qu’il est mieux sur tous les points et que je me demande ce que tu fous avec un type comme moi. « Non, bien sûr que non. » Il lui assure, alors qu’elle fronce légèrement les sourcils. « Vraiment ? » Kieran agrandit son sourire. « Vraiment. C’est ton ami et c’est normal que tu veuilles qu’il soit là pour Noël. » Il confirme, tandis que la moue boudeuse sur le visage de la petite blonde semble lui interdire l’usage du mensonge. « Kieraaan ? » Il soupire, lève les yeux au ciel avant de rire légèrement. « Bon ok, il se pourrait que j’envisage d’être particulièrement démonstratif ce soir. » Il admet finalement, ses lèvres qui viennent voler celles de sa moitié. « Tu es tout pardonné. » Elle souligne, lui rendant son baiser.

Il ne sait pas quelle attitude adopter lorsqu’ils reviennent au salon, entre l’ignorance ou un intérêt persistant, mais il ne veut pas donner satisfaction à l’ex d’Autumn en lui faisant croire que sa présence l’impact ; alors que c’est évidemment le cas. « Alors, tu as trouvé ce que tu cherchais ? » De l'alcool, des jeux, peu importe. Il l’interroge, son sourire conciliant qui ne quitte pas ses lèvres. Il ne les quittera jamais, de toute évidence, car jamais il n’admettra tout ce qu’il se passe actuellement dans ses pensées, ni son réel ressenti vis-à-vis de tout ça. La neutralité, la banalité, l’effacement ; encore et toujours.

@Archie Kwanteen

C’est clair et net : Autumn n’a jamais mentionné le nom d’Archie en présence de Kieran. Si elle l’avait fait, ce dernier ne serait pas en train de tirer cette gueule. Mais l’actionnaire ne lui en veut pas, au contraire. La situation est parfaite pour un homme qui aime s’amuser, jongler avec le malaise et appuyer là où ça fait mal. Bien qu’il ait été élevé dans une famille catholique, Archie sait déjà qu’il devra passer un énorme interrogatoire avant de pouvoir entrer au paradis, si jamais on lui laisse une chance de s’y installer après sa mort. De toute façon, il n’a jamais cru à toutes ces histoires et il préfère profiter de la vie plutôt que d’espérer avoir une place aux côté de Dieu quand ce sera trop tard. Et puis, c’est presque Noël ! L’ambiance est festive, Kieran saura rapidement se remettre de ses émotions une fois que la soirée sera terminée. Après tout, c’est un maladroit : il est habitué de se retrouver dans ce genre de situation. Il pourra bien supporter de voir l’ex de sa copine le temps de boire quelques verres et de manger quelques amuse-gueules. « Oh merci beaucoup, Arch. » Son sourire est sincère lorsque la jeune femme le remercie d’avoir pensé à elle. Il ne lui en voudrait pas si elle ne lui avait rien acheté en retour. Il n’a jamais été un grand partisan des cadeaux parce qu’il ne sait pas réagir correctement lorsque l’attention ne lui plaît pas. Il préfère éviter de se faire des ennemis par erreur – il veut plutôt les choisir. « Mais c’est du passé. » Archie relève les yeux pour observer la réaction de Kieran, son regard toujours aussi brillant de malice. Il hoche la tête pour acquiescer aux propos d’Autumn parce qu’il est tout à fait d’accord. Il n’a pas l’intention de s’agenouiller devant elle et de la demander en mariage, ce soir, il est simplement heureux de la revoir après ce silence radio. Et puis, s’il était réellement obsédé par elle, il aurait parcouru son profil facebook et aurait tout de suite compris qu’elle est à nouveau en couple. Rencontrer Kieran ne l’aurait pas autant surpris.

Pensant qu’il vaut mieux pour eux de rejoindre les festivités, il se glisse entre les deux tourtereaux (là il fait exprès de les séparer parce que c’est marrant) et se dirige vers le salon, conscient qu’il devra s’armer de son plus beau sourire et ne pas paraître trop intrusif dans cette maison qu’il ne connait pas. C’est le mouvement de la queue de Bucky qu’il aperçoit du coin de l’œil. Ce dernier s’est assis devant le canapé, la gueule grande ouverte, la langue pendante, parce que les amis d’Autumn le gâtent avec des morceaux de dinde. Devant ce spectacle, Archie est ravi. C’est bien vrai que les chiens sont parfaits pour entamer des discussions. « Vous avez rencontré Bucky. » Il lance à l’intention des quatre personnes qui soulèvent la tête en réalisant qu’un inconnu vient de se planter devant eux. Ce dernier reprend, le ton sympathique : « Je suis Archie, un ami d’Autumn. Elle m’a invité sans me prévenir que je ne connaitrai personne mais vous semblez tous bien aimables. » Il ne prend même pas la peine d’apprendre leurs noms avant de les couvrir de compliments. C’est ainsi qu’on passe du rang d’étranger au rang du populaire. Enthousiastes, ils se présentent tous un à un, lui serrent la main fermement, et l’invitent à se joindre à eux, lui présentant d’un signe de la main la table couverte de plats en tout genre. « Merci, je mourrais de faim, justement. Oh, et, Diego. Il est hypoallergénique, tu ne risques rien. » Il accompagne ses paroles d’un clin d’œil, conscient que ce terme est tout à fait erroné. Bien évidemment que Bucky est bourré d’allergène, comme tous les chiens, mais il pourrait faire croire n’importe quoi à n’importe qui est c’est exactement l’expérience qu’il veut faire ce soir.

Ses envies sont divisées. D’un côté, il pourrait s’empiffrer de pommes de terre pilées et de dinde, de l’autre il pourrait se gâter avec que des collations trop salées tels que les chips, les mini bretzels et les nachos. « Alors, tu as trouvé ce que tu cherchais ? » Il redresse la tête, réalisant seulement maintenant la présence de Kieran. Un ricanement s’échappe de ses lèvres en même temps que ces dernières accueillent un sourire et il tapote fermement l’épaule du garçon dans le simple but d’entrer dans sa bulle, de le toucher, de l’ébranler. Il ne peut s’empêcher de remarquer qu’il est mou comme une serviette. « J’hésite beaucoup, il y a trop de choses délicieuses » Et il marque une pause, fronçant les sourcils. « À moins que tu parlais de l’alcool et des jeux ? » Il l’interroge du regard seulement quelques secondes et pivote la tête vers les autres, toujours occupés à prendre soin de Bucky comme s’il s’agissait d’une divinité à quatre pattes. « Hé, tout le monde ? Ça vous dit un Gnôle ? » Devant les expressions perdues de certains, il explique rapidement : « C’est un jeu de boisson. Il nous faut simplement de l’alcool et je m’occupe du reste ! » Ils se regardent entre eux quelques secondes et finissent par approuver. Aussitôt, Woody se redresse et va chercher de bouteilles dans la cuisine. Archie termine de préparer son assiette et se tourner vers Kieran pour lui faire signe de rejoindre les autres dans le salon. Il croise le regard d’Autumn et souffle : « Ça va te rappeler des souvenirs, pas vrai ? » Accompagnant sa question rhétorique d’un clin d’œil discret, il déverrouille son téléphone d’une main pour ouvrir l’application du jeu. Il se dirige ensuite vers le reste du groupe pour prendre ses aises dans un des canapés. Quelques secondes plus tard, plusieurs verres sont disposés au centre de la table basse. « C’est simple, je lis une phrase et vous suivez les instructions. Par exemple… » Il déroule la page sur son portable en coinçant une chips entre ses dents. « Ah ! Voilà. Ceux qui ont déjà fantasmé sur un ami déjà en couple, buvez deux gorgées. » Et, aussitôt, il remplit son verre pour avaler ces deux gorgées, invitant les autres à entrer dans la partie. Timidement, Diego brise la glace à son tour. Et, discrètement, Archie observe Autumn du coin de l’œil. Il prête ensuite son téléphone à la personne à sa droite afin qu’elle lise la prochaine carte.

Il a toujours su que ses expériences n’étaient pas comparables avec celles de sa petite amie : le simple fait qu’il soit en réalité plutôt question d’inexpérience en dit long sur le passé amoureux de Kieran. Oh, bien sûr, il avait connu quelques flirts avant de se mettre en couple avec Autumn, mais elle est sa première véritable petite amie et s’il était parvenu à faire disparaître cette honte de lui attribuer ce titre en ayant un quart de siècle au compteur, celle-ci se rappelle aujourd’hui à lui de la plus douloureuse des manières. Ce n’est pas le fait que la petite blonde ait pu connaître d’autres hommes avant lui, il s’en doutait bien avant ce soir et ça ne l’a jamais dérangé, c’est le simple fait de réaliser qu’il ne peut pas comprendre ce lien qui peut l’unir avec Archie, n’ayant lui-même personne pour jouer ce rôle. Alors il ignore ce qui est supposé être normal entre des exs et ce dont il pourrait légitimement s’offusquer. La familiarité d’Archie, en premier lieu, lui semble particulièrement malvenue – mais il ne le dira pas. Il ne dit rien quand il se montre tactile avec la jeune femme, il ne dit rien quand il fait passer son regard de chacal sur lui, il ne dit rien quand il lui offre un cadeau qui a probablement plus de valeur que tous ceux qu’il a lui-même pu offrir, il ne dit rien lorsqu’il appuie volontairement certains faits de l’histoire qui l’unit à la jeune femme par simple plaisir de le mettre mal à l’aise. Il se rend compte de tout cela, Kieran, quand bien même il aime se prétendre plus naïf qu’il ne l’est : d’ordinaire, les gens lui fichent la paix, ce qui ne semble pas être le cas de cet Archie. Son sourire d’emmerdeur, son assurance qui transparaît par tous ses pores, son charisme naturel, son usage maîtrisé des mots, son élégance certaine ; tout lui indique que celui-ci est son exact opposé et pour un Kieran qui doute jusqu’à sa seule existence, c’est largement suffisant pour qu’il se sente dépossédé de toutes qualités qu’Autumn peut lui trouver jusqu’alors afin d’accentuer toutes celles qui prédominent chez cet homme.

Et même la douceur de sa petite amie ne parvient pas à le rassurer. Ce n’est pas d’elle dont il a peur, c’est de ce type ; bien qu’il ne cesse d’essayer de se raisonner en se flagellant quant au fait d’avoir un avis aussi arrêté sur une personne que, finalement, il ne connaît même pas. Cet Archie est probablement un chic type pour être parvenu à séduire Autumn et peut-être qu’il aurait dû leur demander les raisons de leur rupture plutôt que de se contenter d’acquiescer silencieusement à l’existence de leur histoire. Peut-être qu’il aurait été rassuré, qu’il aurait compris que même si, d’apparence, il ne semble pas être en mesure de rivaliser avec l’homme qui vient de disparaître dans le couloir, il n’a aucune raison de douter de lui-même (plus qu’il ne le fait d’ordinaire, du moins). Ou peut-être que l’effet inverse se serait produit, avec un Archie prenant plaisir à rappeler à quel point il connait bien Autumn. À défaut, il se contente de suivre sa petite amie lorsque celle-ci le tire par bras jusqu’au salon, son sourire rassurant sur les lèvres. Ses doigts s’enlacent dans les siens et ne veulent plus s’en séparer tandis que ses yeux, eux, se lèvent au ciel en attendant résonner la voix pleine d’assurance d’un Archie qui semble accorder plus d’intérêt à son chien qu’au reste de l’univers. « Vous semblez tous bien aimables. » Il répète d’une voix aiguë et à peine audible, son regard noir qui croise aussitôt celui d’Autumn. Il est surpris d’y lire plus de curiosité que d’agacement, mais ce n’est pas pour autant qu’il est serein quant à cette attitude qui ne lui ressemble pas. « Désolé. C’est sorti tout seul. » Mais qui parle ainsi, aussi ? Il s’évitera d’ajouter des justifications hasardeuses à son comportement puéril. « Je rêve, qu’avez-vous fait de Kieran ? » Il fronce les sourcils, s’imaginant qu’il s’agit d’une critique à laquelle il répond sans tarder : « Rien, rien du tout. » Qu’il se ressaisit rapidement en affichant un sourire pincé sur ses lèvres. Lui-même ne reconnaît pas un tel comportement ; il doit sans tarder revenir à ses vieilles habitudes de ne jamais montrer la moindre réaction, même si Archie lui rend la tâche difficile à mesure qu’il ouvre la bouche. Un chien hypoallergénique, Diego ne va quand même pas croire à ces conneries ? ... Il semblerait, lorsqu’il flatte le poil de l’animal et qu’Archie semble déjà faire partie de la bande en se souciant pareillement d’eux, sans rendre à Kieran les mérites d’une telle attention, lui qui n’a pas encore trouvé sa place parmi eux.

À défaut, il s’imagine que commencer par Archie est peut-être la clé derrière un succès plus grandissant avec le reste des amis d’Autumn, dont il s’écarte pendant quelques instants. La main de l’ex de cette dernière qui vient fermement serré son épaule le met mal à l’aise, mais Kieran n’en dira rien, ses deux bras qui restent fermement longés contre son corps. « Oui, je... » parlais de ça, qu’il ne peut pas ajouter avant que le type se retourne vers les autres ; et une seule question accapare l’esprit de Kieran : elle est sérieusement tombée amoureuse d’un mec comme lui ? La proposition d’Archie semble être acceptée à l’unanimité, tandis que le petit groupe se rassemble, Kieran sur les pas d’un Archie qu’il observe en baissant le regard sur lui lorsqu’il s’arrête près d’Autumn pour ressasser (encore une fois) la belle année dont il ne semble pas faire son deuil à force de l’évoquer à la première occasion (soit, cela fait dix minutes qu’ils se connaissent, mais cette époque a été abordée déjà deux fois et c’est toujours deux fois de trop). Écoutant docilement les consignes, Kieran finit par s’asseoir par terre, la tête appuyée contre l’accoudoir du canapé, restant à distance de ce jeu à boire qui, comme tous les autres, démontrera seulement de sa réserve et de sa cruelle inexpérience dans bien des domaines, à commencer par le simple fait de vivre. Sans surprise, la première carte énoncée a le don d’agacer le dessinateur, bien que le regard qu’Autumn, à ses côtés, glisse sur lui. Il ne lui montrera plus qu’il est jaloux : il ne voudrait pas qu’elle s’imagine qu’il n’a aucune confiance en elle alors qu’il lui en accorde pourtant une aveugle et ce, depuis le premier jour. Priam suit le mouvement, Kieran aussi : il faut dire qu’il n’a bien souvent eu que son imagination sur laquelle compter. Et à cet instant, il s’agace de ne pas s’être assis sur le canapé aux côtés de sa petite amie pour guetter sa participation, alors qu’elle est la première spectatrice de la sienne en pouvant le surveiller ainsi de sa hauteur. Lottie prend la relève, lisant à voix haute la carte affichée sur le téléphone. « À trois, il est interdit d’être en contact avec le sol. » Et bien sûr, entre les canapés et les deux fauteuils, la compétition ne se joue qu’entre Woody et lui ; l’avantage étant que le premier est encore debout, verre en main, tandis que Kieran n’a qu’à éteindre ses jambes sous la table basse et se relever à l’aide de l’accoudoir – même si la position est inconfortable au possible – pour ne plus toucher le sol. « Le dernier a encore toucher le sol boit deux gorgées. » Que Lottie avertit Woody, tandis que Kieran reprend sa place, en profitant pour se tourner légèrement de façon à apercevoir ce qu’il se passe sur le canapé où sont serrés Archie, Lottie et Autumn dont c’est désormais le tour. « Je peux pas jouer cette carte. » Que la jeune femme souligne, l’incertitude qui se lit dans sa voix, l’ambiance qui redescend avant même d’avoir atteint son apogée. « Oh, allez, on sait tous que c’est pour rire, non ? » Bien sûr, Phoebe l’exigeante lui adresse un regard, il est évident qu’il est celui au sens de l’humour inexistant, pour qui d’autre ferait-elle attention à la carte qu’elle doit lire ? « Oui, j’imagine que ce n’est pas dans les règles d’avoir le droit de sauter une carte. » Phoebe roule des yeux ; évidemment qu’il répond avec sérieux à une remarque qui ne l’était pas. « On va faire une exception, alors. » Qu’Autumn annonce d’un ton cette fois plus ferme, Kieran qui cherche son regard qui, pourtant, ne s’adresse qu’à un Archie qui semble du même avis que Phoebe ; pour le faire réduire au silence selon sa petite amie, pour se remémorer, une fois encore, le bon vieux temps selon Kieran.

@Archie Kwanteen  

Archie est mauvais perdant : c’est un défaut pour plusieurs mais une qualité selon lui. C’est grâce à son esprit de compétition énorme qu’il arrive à atteindre le podium bien avant les autres, ou à remplir son compte en banque d’un million de pièces à cet âge. Et c’est aussi grâce à ce dernier qu’il est le premier à soulever les pieds quand c’est au tour de Lottie de lire une carte qui interdit à tout le monde de toucher le plancher. Il n’a pas la position la plus défavorable pour réaliser ce défi, à vrai dire, et il peut bien se marrer en observant la pose presque artistique de Kieran, ainsi le saut complètement raté de Phoebe qui s’était dirigée vers la cuisine à cet instant-même et qui se voit obligée de grimper sur la table pour réaliser le défi. Mais elle est tout de même plus agile que Woody, qui se retrouve à boire les deux gorgées d’alcool en guise de punition. Engloutissant une énorme poignée de chips, Archie se fait plus confortable dans le canapé, laissant ses deux jambes sur la table basse qui, au fond, lui offre un support bien agréable. C’est au tour d’Autumn d’attraper le téléphone pour en lire l’écran mais elle perd rapidement son sourire, comme si l’appareil venait de l’insulter. « Je peux pas jouer cette carte. » Il se redresse légèrement pour tenter de lire la carte en question par-dessus Lottie, qui le sépare de son ex, mais la tentative est vaine : il n’a pas la vision d’un faucon. C’est Phoebe, fraichement revenue de la cuisine, qui insiste la première pour qu’Autumn ne détourne pas les règles malgré son inconfort. Ils sont ici pour boire, pas pour juger l’immoralité de ce jeu qui dépasse trop souvent les limites, au plaisir des participants. « Oui, j’imagine que ce n’est pas dans les règles d’avoir le droit de sauter une carte. » Les yeux de l’actionnaire s’abaissent pour tomber sur Kieran et il ne peut s’empêcher de se dire qu’il n’a jamais vu un type aussi simplet. Il a l’impression d’entendre les virgules qui ponctuent ses phrases. Avalant une gorgée de vodka sans s’en rendre compte (il commence à se faire impatient, il est là pour boire, Archie), le garçon finit par soupirer : « Rooooh. » Autumn a posé ses yeux sur lui, il en profite pour lui offrir l’un de ses authentiques sourires, ceux qui la mettent au défi mais aussi ceux qu’il lui partageait pour la réconforter. « T’es bien plus forte qu’une petite carte, pas vrai ? » Il demande, question rhétorique, alors que la jeune femme oublie pendant un instant qu’elle voulait préserver son petit ami d’une humiliation. Elle s’accroche à son regard quelques secondes de trop et elle finit par hocher fièrement la tête, balayant l’air du revers de la main. « C’est vrai, vous avez raison. » Alors elle se racle la gorge et se lance : « Ceux qui ne peuvent pas nommer les parents de leur voisin de droite boivent deux gorgées. » Quelques rires s’élèvent et la plupart des gens abandonnent avant même d’avoir essayé. Archie jette un regard amusé à Lottie  et tente au hasard un prénom masculin et un prénom féminin et elle secoue la tête de droite à gauche en ricanant. « J’aurai essayé. » Il souffle, joueur, pour finalement terminer son verre en deux gorgées : il le remplit aussitôt et c’est au moment où il tend le bras vers l’avant pour s’emparer de la bouteille qu’il remarque qu’Autumn boit elle aussi les gorgées de la défaite. Ses sourcils se froncent et il ne peut pas s’empêcher de passer une remarque parce qu’elle connaît très bien le nom de ses parents, à lui. Et rappelons-nous qu’ils n’ont jamais été amoureux, eux. « J’ai présenté Autumn à mes parents seulement quelques jours après notre rencontre ! Il va falloir que tu te rattrapes rapidement, Kieran, sinon elle ne saura pas quel nom inscrire sur les invitations à votre mariage ! » Son ton est un mélange d’amusement et de moquerie. En un sens, ça rassasie son appétit de vautour de constater qu’elle ne semble même pas avoir rencontré sa famille alors qu’ils sont ensemble depuis un long moment, déjà. Archie a cette fâcheuse habitude de détester lorsque les autres font mieux que lui et, visiblement, le nouveau copain d’Autumn n’est pas un véritable rival – cette dernière l’a peut-être choisi en pensant que la longueur de ses jambes était proportionnelle à la grosseur de son cerveau – ou d’autre chose.  

Pourtant, un silence gênant s’installe dans le salon et tous les regards se posent sur l’actionnaire. Ébranlé et surtout confus de constater que plus personne ne sourit, il lève ses deux mains devant lui avant de lâcher : « Quoi ? » Même Bucky le fixe, mais c’est certainement parce qu’il attend que ce dernier lui donne l’autorisation de bouffer tout ce qui n'a pas été consommé sur la table.  

Il n’a jamais été le meilleur participant pour ce genre de jeu, Kieran, il le sait très bien. Il faut dire qu’il part avec un désavantage conséquent : son adolescence n’a pas rimé à ce genre de choses ; bien au contraire. Là où les autres testaient leurs limites et vivaient leurs premiers émois à l’aide d’action ou vérité (ou tout autre semblable), il essayait de se faire accepter dans des familles qui ne prévoyaient pas de s’encombrer d’un garçon trop vieux pour être adorable et adopté. Les jeux qu’il a connu, ce sont ceux qui consistaient à ne pas se faire piquer son paquet de biscuits durant la nuit et de ne pas se faire accuser d’avoir sali le plafond de l’entrée pour ne pas être de corvée nettoyage de toilettes à la place d’un autre (un petit jeu où Logan a – trop – souvent pris l’avantage sur lui). Alors son air innocent n’est pas uniquement une façade qu’il offre aux autres pour qu’on le pense plus stupide qu’il ne l’est et qu’on le laisse tranquille, une part de vrai s’y glisse lorsqu’il s’agit de vivre, tout simplement. Il n’avait pas vécu ces choses-là avant qu’Autumn entre dans sa vie et elle est bien la première à lui avoir fait découvrir des jeux aussi stupides que je n’ai jamais et action ou vérité, mais à vrai dire sur ordre de la jeune femme il aurait fait n’importe quoi. C’est tant mieux, parce qu’il ne s’est pas senti aussi libre que depuis qu’ils sont ensemble, depuis qu’il apprend à baisser sa garde jour après jour et à s’autoriser à être comme n’importe quel type d’à peine plus de vingt-cinq ans. Tout ça, il le doit à sa petite amie et même s’il ne se sent pas particulièrement à l’aise entouré de ses amis qui n’en sont pas vraiment de son côté, il ferait n’importe quoi du moment que cela peut lui convenir. Mais il n’est pas le meilleur participant, c’est certain ; car si Autumn a le droit à un Kieran qui abaisse sa réserve et se permet d’être (de temps à autre) lui-même, avec ses opinions et ses désirs, lorsqu’il s’agit de les exprimer en public, c’est une autre histoire et il se réfugie aussitôt dans son habituelle réserve. Le simple fait d’admettre qu’il a pu fantasmer sur une amie déjà en couple n’est assumée que lorsqu’il sait que sa main se lèvera au milieu des autres et que personne ne lui fera de commentaires sur ce détail. Probablement qu’il mentira à d’autres reprises, d’ailleurs, quitte à passer pour un prude qui casse l’ambiance – il y a des choses qui ne peuvent être assumées en groupe.

La seconde carte relève d’un soulagement lorsqu’il s’agit plus d’une action que d’une vérité à dévoiler devant tout le monde (et oui, il se trompe de jeu, mais c’est du pareil au même). Ses lèvres ne viennent pas goûter à son verre puisqu’il est en mesure de se sauver sur ce coup-là et il se détend quelque peu, jusqu’à ce qu’Autumn finisse par émettre des réserves. Depuis quand elle en a ? Il ne la connait pas ainsi, elle qui est si impulsive et fonceuse – c’est bien pour ça qu’il est fou d’elle. Les seules moments où elle fait preuve de réserve, c’est lorsqu’il... s’agit de lui. Le regard de Phoebe sur lui atteste de cette hypothèse, alors que celui de sa petite amie fuit le sien lorsqu’il se tourne vers elle. Pire encore, elle cherche celui d’Archie – alors c’est ça, une question qui a rapport à ce bon vieux temps que ce dernier semble regretter ? Il sent sa jalousie s’immiscer à nouveau et il ne peut s’empêcher de froncer les sourcils en voyant le jeu des deux anciens amants. Il n’est pas habitué à réagir de la sorte, Kieran, mais ce n’est pas pour autant que son masque de neutralité traduit de ce qu’il ressent. « T’es bien plus forte qu’une petite carte, pas vrai ? » Et il la provoque, le grand dadais (pas si grand que ça, qu’il se réjouit, Kieran), alors que le plus grand (insistons bien sur ce détail) cherche du regard sa moitié. C’est toujours un échec, alors qu’elle finit par abdiquer. « C’est vrai, vous avez raison. » Son cœur se serre alors qu’il sent que la suite ne lui sera pas favorable ; et s’il n’est pas doué dans de nombreux domaines, son sixième sens, lui, ne lui fait pas défaut. « Ceux qui ne peuvent pas nommer les parents de leur voisin de droite boivent deux gorgées. » C’était donc ça. Tout prend sens alors qu’il sent sa gorge se nouer, pas parce qu’Autumn est bien incapable de répondre à la question – pour ça, il faudrait lui parler de ses souvenirs et il serait difficile de les mettre sur le tapis quand il a prétendu pendant un an qu’il n’en possédait aucun – mais parce qu’elle l’a posée et qu’il réalise s’être trompé : sa réserve, qu’il pensait lui être adressée, n’existe tout simplement plus au contact de cet enfoiré qui enfonce le clou. « J’ai présenté Autumn à mes parents seulement quelques jours après notre rencontre ! Il va falloir que tu te rattrapes rapidement, Kieran, sinon elle ne saura pas quel nom inscrire sur les invitations à votre mariage ! » Est-ce qu’il est seulement capable de fermer sa grande gueule ? C’est la question que Kieran se pose, alors que son regard préfère s’échapper vers Priam. « Daniel et Samantha. » Il s’en fiche bien de passer pour le premier de la classe qui a réponse à tout ; le fait est qu’il écoute et que ça, ce n’est pas quelque chose dont la pièce rapportée peut se vanter, n’est-ce pas ? Le ton moqueur de l’autre con (son prénom est définitivement rayé de sa mémoire pour être remplacé par des surnoms tous plus valorisants les uns que les autres), résonne dans sa tête, le silence qui s’ensuit est assourdissant ; il a encore plombé l’ambiance malgré lui, c’est bien ça ? Il sent quelques regards qui oscillent entre lui et l’imbécile, l’air de s’impatienter autant que de craindre qu’il se rende coupable d’une soirée gâchée – il ne leur fera pas ce plaisir. Il ne leur fera pas le plaisir de montrer qu’il est blessé par l’attitude de sa petite amie et qu’il s’osera à lui demander des explications – ou peut-être pas, si cela implique de dire la vérité. Il ne fera pas le plaisir à la tête de nœud de répondre à ses provocations – gnagna le bon vieux temps, gnagna je l’ai présentée à mes parents, gnagna va jouer sur l’autoroute, connard. « T’inquiète pas. » Qu’il murmure en venant déposer ses lèvres sur le genou d'Autumn, à défaut d’être en mesure de lui voler ses lèvres. Le geste est tendre, le geste signifie encore une fois que c’est bien lui son présent ; et pas ce paon non loin de là. Pourtant, elle ne s’est pas excusée. Elle ne s’est pas excusée, parce qu’elle ne le fait jamais ; mais elle ne lui avait jamais donné l’impression de dépasser une limite que lui-même ne savait pas existante. Elle ne s’est pas excusée, parce que ce n’est pas elle. Ça ne peut pas être elle, qui fait fi de ce détail, qui s’en fiche de tout ce qu’il a pu partager sur ses difficultés à retracer son histoire, elle ne peut pas s’en ficher au point de privilégier le bon déroulement d’un jeu à son propre ressenti. Mais c’est un jeu, qu’il songe et il se sent stupide : c’est un jeu et il ne devrait pas réagir ainsi, peu importe à quel point cela peut lui faire mal, c’est un adulte et plus un enfant. Alors sa réaction va de pair avec le masque qu’il revêt pour l’occasion, celui d’un adulte qui a fait la paix avec son passé plutôt qu’un enfant a jamais marqué par celui. « Moi-même je sais pas répondre à cette question. » Il éclate de rire, qu’il veut le plus sincère possible, le plus trompeur, ses épaules se levant de façon nonchalante alors qu’il grimace exagérément pour donner un côté théâtral et moqueur à ce constat – ne dit-on pas qu’il vaut mieux rire de soi-même ? « Désolé de te décevoir. » Il finit par souligner à l’attention du brun lorsqu’il s’avance légèrement pour l’avoir dans son champ de vision. « Mais on pourra inviter les tiens, en remplacement. » Et un nouveau rire bref s’échappe d’entre ses lèvres alors qu’il caresse le genou d’Autumn pour lui demander le téléphone ; d’abord désamorcer la tension, ensuite l’ignorer. Il a bien retenu la leçon. « À trois, tout le monde désigne le plus gros mythomane. » Une question sur mesure. « 3, 2, 1... » Il se serait désigné lui-même s’il l’avait pu, pas par logique, mais par lâcheté : jamais il ne prend le risque de vexer quelqu’un. Mais puisqu’Archi-con semble avoir lancé les hostilités à se pavaner comme un coq depuis tout à l’heure, il s’imagine pouvoir être un adversaire à sa hauteur lorsque son doigt le désigne. « Aucun chien n’est hypoallergénique. » Qu’il justifie rapidement ; parce que chassez le naturel qu’il revient au galop et que cette aisance, d’ordinaire réservée à Autumn, semble s’exprimer pour la première fois au sein du groupe. Et il n’aime pas ça, Kieran, parce qu’il prend le risque de se faire détester, de se faire humilier, pire, de décevoir Autumn. Pourtant, lorsqu’il croise son regard, ce n’est pas de la désolation qu’il y lit, mais un étonnement qu’il est le premier à partager. Il devrait s’arrêter, il ne devrait pas poursuivre le jeu dans lequel il se lance malgré lui, mais bordel, qu’est-ce que ça fait du bien d’être soi-même. C’est le temps d’un jeu, d’un soir tout au plus et demain il retrouvera le chemin sécurisant et sans couleurs qu’il suit au quotidien.

@Archie Kwanteen  

Archie est venu ici pour être le centre de l’attention. Il a toujours aimé se faire éclairer par les faisceaux de lumière, être celui sur qui tous les yeux sont posés sous l’effet de la jalousie ou de l’admiration. Certains pourraient dire que la plupart des hommes le regardent jalousement mais ce n’est pas tout à fait vrai : le but d’Archie est de se faire le plus de complices possible, garçon ou fille, et qu’il fera exprès de se faire des ennemis seulement quand il a envie de faire brûler le feu dans les tripes de certaines personnes. Kieran, en l’occurrence, durant cette soirée de Noël qui devient de plus en plus amusante. Parce qu’il veut rappeler à Autumn qu’il a toujours été le meilleur de ses partenaires même s’il n’y avait pas d’amour véritable dans leur relation. Ils ont été les meilleurs amis du monde et il se pourrait qu’Archie en veuille à son nouveau copain qui l’a indirectement éloignée de lui. Cela faisait plusieurs semaines qu’il n’avait pas reçu de nouvelles de la jeunes femme, il a d’ailleurs été surpris lorsqu’elle l’a invitée à cette soirée : il n’a pas pu s’empêcher d’accepter pour en apprendre un peu plus sur la vie qu’elle mène actuellement et sur les nouveaux amis qu’elle côtoie depuis qu’ils ne sont plus que des ex.

Tout se déroule bien jusqu’à présent. Comme à son habitude, Archie a récupéré la place centrale et toutes les oreilles sont rivées vers lui lorsqu’il propose de lancer un jeu d’alcool. Toutefois, Autumn se retrouve face à un dilemme lorsqu’elle tombe sur une carte qui lui fait une petite réserve. Sans réfléchir, l’actionnaire insiste pour qu’elle lise cette dernière parce qu’il ne s’agit que d’une carte, justement, et qu’elle ne pourrait pas la mordre. Toutefois, devant le malaise général qui s’installe, Archie ne sait pas vraiment comment se placer. Il constate que la jeune femme ne peut pas nommer les parents de son petit ami alors il se doit d’appuyer sur cette plaie là pour lui rappeler qu’elle connait les siens, à lui. Cependant, sa plaisanterie ne vole pas bien haut et tous les yeux se fixent dans le vide et Archie se retrouve au milieu, planté comme un piquet, dénué d’explications pour comprendre la raison derrière ce silence pesant. « T’inquiète pas. » Chuchote Kieran en embrassant le genou d’Autumn, souhaitant la rassurer. Il n'a pas de parents, alors. Quelle surprise, ils ne voulaient pas de lui. Sourcils froncés, l’actionnaire hésite quelques secondes avant de ricaner nerveusement : « J’ai manqué un truc ? » Il demande finalement, souhaitant qu’on l’éclaire sur la situation maintenant qu’il ressemble à une sardine au milieu du désert. « Moi-même je sais pas répondre à cette question. » Son rire le déstabilise complètement parce qu’il sonne à la fois vrai, à la fois faux. Il veut détendre l’atmosphère et Archie l’aurait peut-être remercié si ses prochaines plaisanteries n’avaient pas pour but de l’humilier. « Désolé de te décevoir. » Il plante son regard dans le sien quand il s’avance au milieu du salon, suspicieux. « Mais on pourra inviter les tiens, en remplacement. » Gnagnagna connard. Ce n’est plus drôle lorsque c’est lui qui est ridiculisé. Esquissant un sourire faux, il fait mine de ne pas être déstabilisé par sa répartie et il se laisse tomber contre le dossier moelleux du canapé en posant ses pieds sur la table basse. C’est maintenant au tour de Kieran de prendre son téléphone (il le lavera avec de l’eau de Javel après ça) et il profite du moment pour réfléchir à la suite de la soirée – à un moyen de reprendre le dessus. « À trois, tout le monde désigne le plus gros mythomane. » Et poursuit immédiatement avec le décompte qu’Archie n’entend pas, trop concentré à réfléchir à la question parce que, au fond, il n’en sait rien. Il ne connaît véritablement personne dans ce salon d’étrangers et c’est seulement maintenant qu’il se rend compte qu’il n’a peut-être pas opté pour le jeu qui lui est le plus favorable. Toutefois, quand il remarque le gros doigt puant de Kieran pointé en sa direction, il hausse les sourcils, les yeux remplis de défi. Qu’est-ce qu’il va inventer, encore ? « Aucun chien n’est hypoallergénique. » Il glousse faussement en jetant un coup d’œil à Diego qui, au même moment, éternue. Ne pouvant pas se défendre, il hausse mollement les épaules et se justifie : « Pourtant, Diego n’avait pas éternué jusqu’à présent. » C’est le pouvoir du mental : faites croire à quelqu’un qu’un citron est sucré et son cerveau mordra à l’hameçon. Il se retourne vers Kieran, les yeux faussement déçus, voire tristes, désolés. « Je ne voulais pas déranger avec Bucky, tout mon entourage était occupé, personne ne pouvait s’occuper de lui. Je ne voulais pas le laisser seul chez moi, c’est un dépendant affectif. » Et, aussitôt, comme si le barzoï avait entendu la peine dans la voix de son maître, il se décolle du sol et va le rejoindre pour poser son gros museau sur ses cuisses. « Je suis désolé d’avoir dit ça, Diego, j’espère que tu ne te sens pas trop mal. » Il termine, en se redressant du canapé. Attrapant la laisse de son meilleur ami. Il avale le fond de son verre, puisqu’il a été nommé plus gros mythomane par Kieran, et il va récupérer son téléphone d’entre les mains de celui dernier. « Je ne vais pas vous déranger plus longtemps, je ne me pardonnerais pas d’importuner Diego. » Il fait exprès de passer par-dessus les jambes étendues de Kieran pour bien entrer dans sa bulle. « Pour tout dire, j’allais bien avant que Kieran ne révèle que Bucky n’est pas hypoallergénique. » Admet Diego en se frottant le bout du nez avec un mouchoir. Archie se tourne vers lui, près du couloir qui mène vers la sortie : « C’est le pouvoir du mental. » Il répond en haussant les épaules avant de faire un signe de la main à tout le monde : « C’était bien cool. Merci pour la bouffe et les jeux ! Je suis content de vous avoir rencontré, Bucky aussi. » Il tapote gentiment la tête de l’animal qui bat de la queue. « Autumn, tu me diras ce que tu penses de ton cadeau une fois que tu l’auras ouvert. J’espère sincèrement qu’il te plaira. Quand je l’ai vu, j’ai tout de suite pensé à toi. » Et il lui glisse un clin d’œil complice avant de tourner les talons en saluant pour la dernière fois tout le monde qui lui souhaite un bon retour à la maison.  

« J’ai manqué un truc ? » Oui, une occasion de te taire. Il voudrait le souligner, Kieran, les mots qui brûlent ses lèvres et qu’il s’empêche d’affirmer haut et fort par la faute de cette habituelle crainte d’être trop. Trop virulent, trop agressif, trop jugeant, les termes sont multiples, pourtant la vérité est qu’il n’est jamais assez. Il n’est pas assez bien pour une Autumn qui semble regretter le bon vieux temps, il n’est pas assez drôle pour participer à cette soirée, il n’est pas assez détaché pour répondre à une question qui, en réalité, ne devrait pas le toucher autant. C’est stupide et il le sait bien, mais qui est réellement étonné, que son attitude soit de pair avec sa personnalité ? Il est stupide, qu’il se répète, encore et encore, quand il sent les regards sur lui, quand il sent ce malaise qui s’est installé alors qu’il n’a rien dit. Il n’a pas quitté la pièce, il n’a pas souligné que la question étant trop intime, il n’a même pas ouvert la bouche qu’il est déjà catégorisé comme le rabat-joie de service par les amis d’Autumn, les nouveaux du connard de service, ceux qui ne seront jamais les siens. Comme trop souvent, son impression d’être de trop prédomine bien vite, faisant grimper le pic de son anxiété et son malaise qu’il essaie de dissimuler. Il n’aura pas plus sa place aux côtés de ces gens qu’il ne l’a eue auprès de quiconque dans sa vie, à l’exception d’Autumn. Il croyait, du moins, mais même ce soir il a l’impression de découvrir un autre visage de sa fiancée. Elle a toujours été joueuse, c’est l’aspect qu’il aimait chez elle, c’est ce trait de personnalité qui s’oppose à tous les siens et l’oblige à sortir de sa zone de confort. Elle est joueuse, oui, mais elle n’est pas manipulatrice, en principe. Elle n’est jamais celle qui appuie là où ça fait mal, elle n’affiche jamais ce sourire mutin simplement pour blesser. Ce n’est pas elle. Ça ne peut pas être elle. Pourtant, au contact d’Archi-bête, c’en est une autre et même si Kieran préfère rester silencieux sur cet aspect-là, tentant de dédramatiser une situation dont il n’aurait jamais voulu être à l’origine de par son effacement habituel, il l’a noté, ce changement. Ce qu’il note aussi, c’est qu’il n’a jamais été directement impliqué dans des dynamiques de groupe comme celles-ci, toujours observateur extérieur ; mais il sait que les individus, influencés par les uns et les autres, peuvent se montrer différents de ceux que l’on côtoie individuellement au quotidien. C’est rien, qu’il songe, c’est juste l’ambiance du moment, ça n’a rien de méchant et ça n’a pas pour vocation de l’être, c’est juste lui qui, comme souvent, interprète tout ce qu’il se passe autour de lui quand il se sent largué, quitte à se faire de fausses impressions. C’est lui qui exagère, comme souvent, c’est lui qui devrait juste se la fermer et rester en retrait comme il sait si bien le faire – parce qu’à chaque fois qu’il tente d’avoir une opinion, qu’il se met en avant à sa façon, c’est une catastrophe. C’en sera une aussi à cet instant alors qu’il tente de faire usage d’un humour qu’il ne maîtrise pas et d’une affirmation qu’il possède encore moins ; à quel moment a-t-il cru qu’il serait capable de rivaliser avec Archi-con ici présent ? Bien sûr que celui-ci reprendrait l’avantage aussitôt sa réflexion sur les parents prononcées, évidemment que la courte (et dérangeante) fierté que Kieran ressent à se montrer plus dur qu’il ne l’est en temps normal serait très vite réduite en poussières par la première pique visant à rétablir l’égalité des deux hommes qui se battent pour l’attention d’Autumn – et il sait qu’il a perdu d’avance, Kieran, bien trop récent dans la vie de la jeune femme, bien trop invisible par rapport au charisme de tête de con.

L’ambiance ne s’est pas effondrée ; il pourrait presque être fier, Kieran. Mais cette confiance retrouvée ne dure qu’un instant, jusqu’à ce que ce sentiment méconnu, désagréable, et pourtant faisant presque de lui quelqu’un de normal, ne continue à s’étendre dans ses veines pour prendre possession de tout son être ; et cette jalousie à l’écart de Archi-Content n’arrive pas à se réduire au silence lorsque son doigt point le jeune homme et que des justifications ne tardent pas. Il aurait dû simplement prétendre avoir une vessie trop sensible, disparaître cinq minutes, le temps suffisant pour qu’on l’oublie tandis qu’il aurait été finir sa bière sur le porche en prétextant avoir été accaparé par une bestiole inconnue se baladant dans le jardin. Il serait passé pour un con, comme souvent, mais comme souvent lorsqu’il est catégorisé comme un imbécile, personne ne se serait donné la peine de fouiller dans ses pensées – parce qu’elles sont supposément vides – et il aurait été tranquille, comme il veut toujours l’être. Il n’avait pas besoin de se croire plus intelligent qu’il ne l’est réellement en affirmant qu’aucun chien ne peut être hypoallergénique, il aurait dû se cantonner au rôle d’idiot du village – il lui va si bien. « Pourtant, Diego n’avait pas éternué jusqu’à présent. » Pourtant, j’essayais d’être gentil jusqu’à présent. Qu’est-ce que tu veux, Archiment con, les gens reviennent sur leurs comportements, parfois. La sale tête du brun se tourne vers lui, les sourcils de Kieran se plissent en voyant ce regard ô combien hypocrite – le coup de poing que tu mérites dans la gueule serait crédible, lui, pour justifier des larmes. « Je ne voulais pas déranger avec Bucky, tout mon entourage était occupé, personne ne pouvait s’occuper de lui. Je ne voulais pas le laisser seul chez moi, c’est un dépendant affectif. » Il adore les chiens, Kieran. Il adore les animaux, il adore tout le monde, mais à cet instant il a une furieuse envie d’attacher le sale clébard et son propriétaire sur une voie de chemin de fer pour qu’ils connaissent le destin qu’ils méritent, tandis que cette scène répétée se met en action devant lui. Bien sûr, tout le monde craque devant cette scène horriblement triste, sans parler de l’emploi de mots forts comme « dépendant affectif » qui ne manquent pas de le faire passer, lui, pour un « insensible chronique ». « Je ne vais pas vous déranger plus longtemps, je ne me pardonnerais pas d’importuner Diego. » S’il n’y avait que Diego qu’il importune. Kieran reste muet face à ce qui se joue sous ses yeux, partagé entre l’agacement d’une hypocrisie bien visible chez Archie, autant qu’un malaise perceptible de son propre comportement. Il y a une petite voix dans sa tête qui lui dit qu’il n’a pas à se sentir aussi mal à l’aise pour avoir été lui-même la cible des attaques gratuites d’Archie et de n’avoir comme seul tort d’avoir voulu rivaliser, mais ce serait mal connaître Kieran que de supposer que c’est suffisant pour l’aider à être en paix avec sa conscience. Il ne l’est pas du tout, alors que ses épaules se voutent doucement, alors que son regard fuit celui de quiconque essayant de capter le sien. Même Diego semble dire que s’il avait eu la décence de se la fermer rien de tout ceci ne serait arrivé et tout le monde boit les paroles d’Archie même quand celui-ci leur fait clairement comprendre qu’il s’est permis de les manipuler. Et après, on dit que c’est lui le plus con de l’équipe. Il aurait pu le retenir et s’excuser, Kieran, face au départ d’Archie, mais c’est sans compter sur cette détestable jalousie qui se rappelle à lui lorsque l’autre fait encore une fois le coq auprès de sa petite-amie. C’est bon, il a compris. Il a compris que son cadeau ne serait pas aussi bien que le sien, il a compris qu’il passera pour un imbécile auprès de sa copine simplement parce qu’Archie a plus de moyens, plus d’assurance que lui. Aucun mot ne sort de ses lèvres, le rendant encore plus détestable qu’il ne le semble déjà quand il ne salue même pas Archie, toujours en proie à sa propre culpabilité autant qu’à une certaine satisfaction. Il n’a jamais été de ceux qui jouent à qui pissent le plus loin ; mais bordel, qu’est-ce que ça fait du bien quand c’est justifié. À cette pensée, il s’en veut pourtant aussitôt ; ça ne lui ressemble pas, ça ne doit pas lui ressembler, s’il prend goût à de l’assurance, il prend goût à la visibilité et le jeune homme ne supporterait pas de céder son rôle d’homme invisible pour être vu, alors même qu’il court après cela depuis des années et qu’Autumn est la première à lui offrir cela. Il y a beaucoup de choses qui se passent dans un cerveau supposé vide et lorsque les regards des autres invités l’observent quand il revient dans le salon, Kieran hésite un instant par rapport à la marche à suivre. Une part de lui voudrait confirmer cette confiance, l’autre sait pertinemment que ça n’arrangera pas ses relations avec eux. Ils sont les amis d’Autumn, il se plie en quatre pour faire des efforts, mais ce n’est pas suffisant. Ce qu’il retient, c’est qu’ils semblent bien plus à l’aise quand il n’est pas là et que ses bourdes, son manque d’humour, ses incapacités sociales et tout le reste n’empêchent pas le bon déroulement de la soirée. Ce qui est certain, aussi, c’est qu’il maintient cette colère et cette jalousie, qu’il peine à assimiler et qui pourtant l’empêchent de s’excuser des centaines de fois comme il l’aurait fait en temps normal. « Ouais, c’est bon, je sais, je vous laisse profiter de la soirée, amusez-vous bien. » Il balance avant de monter à la hâte dans l’une des chambres qui sert à accueillir les invités pour éviter tout accident par la faute d’une soirée trop arrosée, même si à cet instant, Kieran se dit surtout que l’accident susceptible d’arriver ne mettrait qu’une personne en danger. Si c’est lui ou encore le visage de cet Archie qui s’est imprimé avec une cible dans sa mémoire, c’est une autre histoire. La seule certitude, à cet instant, ce sont le nombre d’excuses à la minute qu’il formulera auprès de sa petite amie dès le lendemain matin, mais pas dans les minutes mêmes alors que ses pas ont suivi les siens – il faut croire qu’elle est à l’origine de beaucoup de ses premières fois, y compris sa première crise de jalousie.

@Archie Kwanteen