Lend me your ears and I'll sing you a song And I'll try not to sing out of key
On prêtait au Keynes bien des stratagèmes pour redorer sa réputation violemment arrachée à son piédestal il y avait un an de cela. L’ouverture des portes de l’association au nom de son frère décédé était notamment au coeur de cette rumeur qui entachait les précédentes années de travail en amont et désavouait le réel engagement de l’anglais sur la base d’un timing douteux. Et il n’en avait cure, à dire vrai, tant la Fondation l’avait aidé à se trouver une raison de se lever le matin. En revanche, nul investissement ne visait plus à apaiser sa conscience que le chèque qu’il avait signé au nom de Nathanael afin de l’aider à acquérir ce vieux club de jazz, et ainsi se lancer dans un projet rêvé. Et cela n’avait rien à voir, de près ou de loin, avec les remous de la fameuse affaire Mina ; cependant, la tragique année 2017 avait laissé plus d’une blessure à panser. Alors que Jamie se laissait noyer par les tourments de son coeur, ballotté ici et là par un orgueil meurtri et une thérapie sans résultats, allant d’erreurs en mauvaises conduites, cherchant toujours plus de nouveaux moyens de se punir sans cesse, Emily avait quitté ce monde et lui, comme pris de court, avait alors réalisé qu’il n’avait pas accordé une pensée, un moment, à cette douce amie qui avait été son guide dans ses premiers pas à Brisbane tout du long de sa maladie. Six années d’amitié et d’affection auxquelles il n’avait pas fait honneur. Trois supplémentaires pour trouver comment se racheter auprès de Nathanael, laissé derrière. Bien sûr, les choses seraient si faciles s’il suffisait d’une signature sur un rectangle de papier pour alléger sa culpabilité. L’anglais s’était cependant pris d’intérêt pour le projet plus qu’il ne l’aurait pensé de prime abord, et l’investissement s’était mué en de précieuses opportunités de passer du temps avec un homme faisant partie des rares à ne pas l’avoir rejeté.
Forcément, il répondait présent et pile à l’heure à leurs rendez-vous informels à ce sujet. Il avait largement souri en lisant le texto que Nate lui avait envoyé plus tôt et s’était réjoui de la perspective de ce détour avant de prendre la route de ce chez lui à l’atmosphère pesante. Le divorce avec Joanne était lancé et il était peu dire que la démarche s’était accaparée chacune de ses pensées. Un verre n’était pas de refus. Jamie s’avança sur le chantier, prenant garde à l’emplacement de ses pieds à chaque pas après avoir passé la grille, de crainte d’écraser ceci, de trébucher sur cela. Il tapota les épaules de sa veste en lin beige, trempées par la pluie qui battait sans relâche à l’extérieur en cet été australien. Son complice l’attendait près du piano dissimulé sous un drap blanc. L’étreinte qu’ils échangèrent avait quelque chose de revigorant. Elles étaient rares, les personnes sincèrement heureuses de le voir. « Je suis content que tu aies pu te libérer ! - Mon planning n’est plus aussi fourni qu’il a pu l’être autrefois. » il répondit en plaisantant. Cela paraissait si lointain, l’époque où l’anglais était levé aux aurores dans l’espoir de faire tenir deux journées en une, premier arrivé à la rédaction, dernier à quitter les locaux, jonglant entre son travail, ses investissements et son rôle de père sans laisser le silence et le calme prendre leurs aises pendant une minute de son temps. Ce jour, il s’était rendu à la Fondation sur les coups de dix heures, après s’être chargé de Daniel et de Louise tandis que Joanne s’était rendu au musée de bon matin. Il se demandait souvent si cela aurait changé quoi que ce soit à leur relation si cela avait été leur rythme de vie dès le départ. « Fais donc comme chez toi et installe toi là où il n’y a pas de poussières… » Le regard de Jamie glissa sur l’ensemble de la pièce, puis son rire résonna. “Même si je lévitais je ne pourrais pas échapper à la poussière, je crois.” Elle était partout, du sol au plafond, sur chaque meuble, chaque centimètre carré, et les particules brillaient dans l’air sous la lumière des spots de chantier. C’était donc sans se formaliser que le Keynes s’asseyait sur la première surface plane lui tombant sous le postérieur. « Comment vas-tu ? » La question, il la redoutait et l’évitait autant qu’il le pouvait. Jamie avait toujours eu une sainte horreur de s’étaler et gérait les contrariétés en son fort intérieur, quitte à dévorer ses nerfs et faire céder ses épaules sous une pression que lui-même s’imposait. Il n’évoquait pas les détails du divorce avec qui que ce soit, ne souhaitant pas de compassion et redoutant les c’est bien fait. L’impact de cet échec, d’après lui, se lisait aisément sur son visage aux traits las. “Toujours dans l’espoir de jours plus glorieux, répondit-il avec un ersatz de sourire se voulant optimiste, plus que son coeur ne parvenait à l’être vraiment. Et toi ?” En renvoyant la question, Jamie s’empara de la bouteille de vin apportée par Nate et se chargea d’en extraire le bouchon puis de remplir les verres. “Qu’est-ce que tu avais à me montrer ?”
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« J’aurais peut-être dû te préciser de venir un peu plus décontracté… Fais attention là où tu passes, je ne voudrais pas que ta veste se coince sur un clou qui dépasserait ! » A peine arrivé au coeur du club de jazz, la voix de Nate décrochait un rire à l’anglais qui naviguait entre les câbles et les outils abandonnés ici et là. Son accoutrement n’était pas particulièrement adapté aux lieux mais un crochet par son dressing n’avait pas été prévu pour se changer et Jamie ne se formalisait pas d’une tache ou deux qu’un passage au pressing ne saurait faire disparaître. “Tu sais que j’ai déjà été sur un chantier avant, n’est-ce pas ?” il rétorqua avec un sourire, sans être étonné qu’on ne lui prête pas ce genre d’expérience au premier coup d’oeil. Le Keynes avait bien des airs de ceux qui faisaient faire les choses bien plus que de ceux qui mettaient la main à la pâte. S’il avait en effet endossé le rôle de chef de travaux durant la construction de la Fondation, le brun avait en revanche tenu à effectuer lui-même un certain nombre de travaux sur celui de la maison qu’il avait fait construire pour lui, Joanne et les enfants. La maison qu’ils n'habiteront jamais. S’il le pouvait, Jamie donnerait un coup de main plus manuel au club et ne se contenterait pas d’être un soutien financier dans le projet. Cependant, un local professionnel n’accordait aucune marge d’erreur et ne laissait pas de place aux souhaits de bricolage d’un amateur. Ce n’était pourtant pas le temps qui lui manquait, comme il le soulignait à l’ancien professeur qui ne manqua pas de lui glisser quelques mots d’encouragement bienveillants avant de l’inviter à prendre ses aises -autant que cela était possible. « N’hésite pas, j’ai des plumeaux dans le bureau s’il y a trop de poussières pour toi ! » Jamie arqua un sourcil avec son plus bel air snob importé tout droit du vieux continent. “Je ne sais pas ce qui est le plus offensant, que tu croies que je ne peux pas supporter un peu de poussière ou que tu t’imagines que je pourrais manier un plumeau.” S’il était rare qu’il rechigne à faire quoi que ce soit lui-même, le ménage n’en faisait définitivement pas partie.
Éludant la question concernant son état d’esprit actuel, Jamie l’avait immédiatement retournée à un Nathanael aux bien meilleures augures que les siennes. L’aboutissement de son rêve de rouvrir cet endroit se lisait dans son regard et ce large sourire qui semblait si rarement disparaître de son visage. « Que veux-tu que je demande de plus, mon projet a vu le jour, et je tente tant bien que mal de le faire avancer un peu plus vite afin de lui rendre cette once de vie qui faisait son charme quelques années auparavant ! Et si j’y parviens, c’est grâce à toi, alors je ne sais pas si je te l’ai déjà dit, mais merci Jamie. » Il le lui avait déjà dit. Plus d’une fois. Vraiment un tas de fois. Et la réaction était toujours la même ; le Keynes haussait les épaules, souriait discrètement et faisait comme si de rien n’était. Souvent, une réflexion sarcastique allait de pair avec ce brin de nervosité et d’embarras. “Contente-toi de m’être redevable jusqu’à la fin de tes jours et on sera quittes.” Il s’amusait à jouer le jeu de ce rôle qu’on lui donnait spontanément de prime abord, l’orgueilleux, le mégalo, à coups de grandes phrases dont il ne pensait pas un mot. Lire entre les lignes pour y deviner tout le sens inverse de ses paroles nécessitait de le connaître depuis assez longtemps. Les autres se contentaient de tomber dans le panneau tête la première, et il s’en amusait tout autant.
En servant le vin apporté par Nathanael dans les verres à pied, Jamie s’était rapidement intéressé aux raisons qui avaient poussé celui-ci à faire appel à lui. Les affaires d’abord, le personnel ensuite ; c’était dans cet ordre que l’anglais avait toujours procédé et son affection pour l’ancien professeur ne changeait pas ses habitudes bien ancrées. « Si je te dis que je m’en sors mieux avec des thèses à relire que des devis de travaux, tu me promets de ne pas rire ? » fit-il pour annoncer la couleur, élargissant déjà le sourire sur les lèvres de Jamie. “Je promets d’essayer.” Ceci dit, la force avec laquelle il essayerait ne serait probablement pas suffisante pour épargner à Nate un ricanement ou deux. Il se saisissait du dossier que celui-ci lui tendait, débordant de propositions de tarifs d’une multitude d’entreprises différentes ; il était toujours crucial de faire marcher la concurrence dans ce genre de cas pour espérer obtenir le meilleur prix. « … Et comme j’ai l’impression que les prix sont corrects, j’ai besoin de ton œil d’investisseur vois-tu ? » A première vue, Jamie reconnaissait quelques entreprises auxquelles il avait fait appel pour ses précédents projets, ce qui pouvait s’avérer être un avantage pour Weaver. “Ainsi que de mon charisme légendaire et de mes incroyables capacités de négociation ?” ajoutait le brun en finissant de feuilleter les documents en diagonale. Il était certain de parvenir à obtenir des chiffres plus avantageux pour son ami sans trop d’effort, néanmoins, il n’était pas regardant sur les sommes à dépenser afin de lui permettre d’ouvrir le club tel qu’il se l’imaginait, sans concessions sur ses goûts ou la qualité. « Mais avant que tu ne te noies dans ces papiers, si je t’expliquais les multiples idées que j’avais ? » Suivant le mouvement, Jamie replia le dossier sous son bras et se leva à son tour, prêt pour un tour du propriétaire. “Avec plaisir. Après vous, Professeur Weaver.”
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“Si tu continues de m'enquiquiner, tu vas découvrir à quel point je sais négocier à la hausse.” rétorquait Jamie, un index pas particulièrement menaçant pointé vers Nathanael tandis que son nez, lui, ne s’était pas levé du dossier de devis qu’il scrutait avec un certain sérieux. Cependant, en bon investisseur, il songeait avant tout à la qualité et la pérennité du projet, et n’avait pas l’intention de laisser ces chiffres déjà gonflés d’une marge généreuse peser dans la balance. Parfois, la fidélité et l’influence d’un client pouvait bien coûter quelques pourcentages du prix, et l’anglais n’avait aucune honte à effectuer quelques économies, là où son ami entendait les cloches de sa conscience sonner dans un coin de sa tête. “Je confirme, tu es naïf.” il répondit en haussant les épaules. Il était bien sûr tout à l’honneur de Nate de se soucier du bien être de ces compagnies de construction et de leurs employés à l’approche des fêtes de fin d’année, mais c’était être dupe de ne pas faire le parallèle entre le prix du matériel au coûtant et celui du devis pour comprendre qu’il y avait de la marge pour négocier. Sans oublier que cette différence n’allait pas dans la poche des petites mains. “Tu ne vas priver personne d’un beau réveillon en obtenant dix ou vingt pour cent, alors que pour toi, pour cet endroit, c’est la différence entre des sièges en croûte de cuir et des sièges en pleine fleur. Tu veux que les gens écoutent du bon jazz sur des fauteuils médiocres ? Je ne crois pas.” S’il ne faisait aucun doute que la qualité de la sono serait primordiale qu’importe le prix à mettre, le reste des éléments du club était composé de variables ajustables, de la décoration aux boissons en passant, donc, par les sièges. L’un de ces éléments allait forcément pâtir, à terme, des dépenses au profit d’un autre. Mais pour mieux comprendre la vision de Nathanael, rien ne valait un tour du propriétaire avec un certain sens de l’imagination pour se projeter dans ses ambitions.
L’anglais écoutait avec attention et acquiesça de temps à autre d’un simple signe de tête afin de ne pas interrompre l’ancien anthropologue plongé dans les détails de sa reconversion. Il approuvait les briques, les néons, classiques d’une atmosphère jazzy, mais retint une grimace à la seconde partie des plans de Nate. “Tu devrais oublier la baie vitrée.” conseilla-t-il. C’était son rôle, dans la paire qu’ils faisaient, d’être celui qui gardait la tête froide, et il voyait parfaitement toutes les problématiques soulevées par cette idée. “Ceux qui paient leur consommation pour assister au concert n’ont pas envie que d’autres puissent le voir un bout gratuitement depuis la rue. Ceux de la rue n’entreront pas pour autant, il ne faut pas sous-estimer à quel point les gens sont capables de se contenter de peu quand c’est gratuit. Et enfin, tout ce que ces personnes ne consommeront pas à l'intérieur sera non seulement un manque à gagner pour toi, mais aussi pour ta capacité à payer les artistes.” Sans oublier l’entretien nécessaire et le manque de sécurité pour l’établissement qui ferait monter la facture de l’assurance. La générosité de son ami avait définitivement besoin d’être temporisée dans le cadre d’un business. “Donc pas de baie vitrée.” conclut Jamie, laissant peu de place à la négociation -comme quoi, il savait mener sa barque.
« Et surtout… Il lui faut un nom à ce club… » évoquait Nate avec raison, cela n’ayant encore jamais été acté. Il serait temps, pourtant, s’ils voulaient faire créer un logo et l’appliquer un peu partout dans le club et sur la devanture. Ce n’était pas une chose à déterminer à la légère ; le nom ne pouvait pas être modifié au gré des envies ou selon un degré de lassitude. Il devait être pensé pour coller à l’ambiance des lieux et pour durer. Il devait être accrocheur et facile à retenir. “Des idées ?” Jamie leva un sourcil. Et lui, est-ce qu’il en avait ? Sa légitimité à proposer quoi que ce soit le freinait ; le projet était celui de Nathanael avait toute chose et le nom devait donc lui ressembler, faire honneur à sa reconversion et à l’histoire qu’il partageait avec le club. En réflexion, le brun prit une gorgée de vin. “Pourquoi pas quelque chose de simple ? At Nate’s, jazz club & bar. Ça sonne friendly, personnel, accessible. On sent qu’on a des chances de croiser le propriétaire en venant et qu’il sera là pour vous serrer la main.” Ce qui était certainement vrai, Jamie n’imaginant pas son ami passer sa vie de directeur derrière un bureau et des montagnes de paperasse sans être au contact de la clientèle. Du reste, l’anglais n’était pas particulièrement bon en jeux de mots et autres formes de titres peut-être plus créatives mais potentiellement moins claire et plus sujettes aux différences de goût et de perception de la clientèle. Lui, il s’imaginait bien aller at Nate’s régulièrement.
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Il était le premier à voir trop grand, trop excentrique, trop mégalo -il avait bien fait planter un arbre au beau milieu du salon de la maison qu’il avait fait construire après tout. Pourtant Jamie se montrait bien plus raisonnable dans ses conseils à Nathanael. Il n’avait jamais monté de business de ce genre et s’appuyait uniquement sur ce qui lui semblait être du bon sens. Il n’était pas question d’économies dont il ne jugeait pas avoir besoin ; il ne craignait pas d’aligner les chèques pour l’entreprise de son ami. Mais il tenait à ce que le club marche, que cet endroit soit un succès, non seulement pour que l’investissement ne soit pas vain mais pour que Nate ne vive pas une déception. Est-ce que la réussite du projet dépendait de cette baie vitrée dont l’anglais insistait pour tuer l’idée dans l'œuf ? Peut-être pas. Cependant il avait un bon instinct et celui-ci lui disait de ne pas laisser le Weaver foncer dans cette fausse bonne idée. Lèvres pincées, Jamie observait les alentours à la recherche d’un endroit où placer la fameuse source de lumière naturelle à laquelle Nate tenait tant. Un club de ce genre, typiquement, n’en avait pas ; ambiance feutrée, perte de la notion du temps, cela participait au mystère et à l’atmosphère des lieux. « Emily adorait les endroits lumineux… Alors oui, tu vas me dire que c’est un club, que ce n’est pas fait pour accueillir toute la lumière du jour, mais je tiens vraiment qu’un point de ce club puisse bénéficier de cela… » Au bout d’un tour complet sur lui-même à imaginer l’endroit idéal, le brun songea qu’une arche vitrée autour de la porte principale ferait bon effet, d’autant que cela remplirait également la fonction de teasing à laquelle Nate songeait plus tôt. “Va pour l’entrée alors.” approuva-t-il avec un sourire en coin avant de prendre une gorgée de vin.
En terme de nom pour l’établissement, Jamie ne fit pas preuve d’une grande originalité, mais il remplissait les critères de Nathanael à ses yeux ; c’était simple, humble, facile à retenir et à répéter à ses collègues à la machine à café. Dans la bouche de son ami, il lui parut d’autant plus adoptable, comme une évidence, et l’anglais aurait juré voir Nate se laisser séduire par l’idée derrière le petit rire qu’il soufflait. « Tu ne veux pas mettre ton trigramme dedans ? Je suis sûr qu’avec nos deux noms on peut en faire quelque chose… » Jamie grimaça. Les mélanges de noms façon Brangelina étaient ridicules et manquaient cruellement d'élégance. Et puis, associer publiquement son nom à cet endroit était l’assurance d’un échec. Il préférait de loin signer des chèques dans l’ombre. “J’apprécie, mais non merci. Si tu tiens à célébrer ma participation, j’accepte humblement un cocktail à mon nom.” Quelque chose à base de whisky ou de champagne, songeait-il. Ils pourraient également en dédier un à Emily, pétillant et acidulé. Puisque leur tour du propriétaire prenait fin et que leurs deux verres étaient désormais vides, ils retournèrent sur leurs pas. « Et tu te doutes bien que je serais en train d’écumer chaque soir les rangées de mon club pour m’assurer que tout se passe bien pour chaque personne entrant ici… Sauf si un ami vient me proposer une bonne bouteille et une soirée autre… - Quelle soirée autre ? Je serais ici tous les soirs, j’aurais ma table attitrée, juste là. » Il indiqua un coin tranquille à un bout de la salle, là où il s’imaginait une banquette en angle pour lui seul -ou toute compagnie se joignant à lui-, un petit encart “réservé” éternellement arboré et sa commande habituelle prête à être envoyée au moment où il passerait la porte. Rien que ça.
Ils avaient repris place autour du piano. Jamie les resservit en vin et s’asseya de nouveau sur son petit coin de mobilier dépoussiéré par la précédente trace de son derrière. « Si le club s’appelle At Nate’s, cela doit-il signifier que je vais devoir me présenter une fois au moins sur scène ? -Bien sûr, ça sera ton devoir. Tu pourras en profiter pour introduire les musiciens. Je suis sûr que tu en jetteras sur scène, sous les spots. » Nul besoin d’être du sexe opposé pour affirmer que Nathanael était un bel homme qui faisait déjà naturellement tourner les têtes. Emily faisait bien des jalouses. En se mettant en avant de la sorte, il fidéliserait la clientèle féminine en un claquement de doigts. Un seul de ses rires graves et suaves, et toute la salle serait conquise. Au fond, à le voir, on pouvait penser qu’il était né pour tenir un endroit pareil. « Je pourrais m’occuper du logo et de l’enseigne que je ferais poser sur la devanture… -Tu ne veux pas laisser ça aux soins d’un vrai graphiste professionnel ? Je connais quelqu’un. » Pas que l’anglais doutait des talents de son ami, mais il était anthropologue, pas artiste, et le logo était au moins aussi important que le nom lui-même. Jamie avait fait remettre au goût du jour celui de la Fondation avec une agence à Londres, il avait confiance en leur oeil pour livrer quelque chose d’adéquat pour le club qu’ils pourraient décliner un peu partout. « Je veux que ce club ouvre rapidement Jamie… Parce que j’ai l’impression que le temps qui passe est du temps perdu… Tu peux faire quelque chose aussi à ce sujet pour la livraison des travaux ? Parce que j’aimerais vraiment que le prochain verre que nous partagerons sera dans un autre contexte. » La moue préoccupée de Nate fronça les sourcils du Keynes. Il ne souhaitait pas mettre de pression sur les entreprises de construction en termes de délais. Des travaux effectués sous le joug d’une date de livraison serrée étaient susceptibles d’être bâclés, et une mauvaise finition ne se voyait peut-être pas les premières semaines mais étaient l’assurance d’une nouvelle facture en six mois de temps afin de les retoucher. “Je vais faire au mieux, mais je ne peux rien promettre.” répondit-il, compréhensif et compatissant. Ils devaient également commander les meubles, les décorations, les lumières, la sono… Il suffisait de regarder autour d’eux pour réaliser que tout était à faire avant que la vision de Nathanael prenne vie. « Trinquons à ce club alors. At Nate’s. » Avec un sourire, Jamie fit tinter son verre contre celui de l’australien. Il lui sembla lever de la poussière alentour par ce simple geste. "Ça sonne déjà si bien.”