“Lucia ?”

Débuter une conversation en prononçant doucement le prénom de l’autre n’est jamais une bonne chose lorsqu’il s’agit de Swann. Cela signifie qu’il n’est pas serein ni même certain et qu’il marche sur des œufs - et quiconque connaissant un minimum l’anglais sait déjà qu’il va tous les casser. La jeune femme est pourtant blottie entre ses bras et pour rien au monde il ne voudrait s’en détacher, preuve en est qu’il ne relâche pas son étreinte. Le soleil est levé depuis longtemps et la matinée bien entamée mais puisqu’aucun des deux ne travaille aujourd’hui alors ils ont muettement signé l’accord leur laissant le droit de ne rien faire. Le lit est douillet, l’appartement silencieux n’appartient qu’à eux. Décembre est le meilleur mois de son année, et il peut l’avouer sans douter une seule seconde parce que la présence quotidienne de sa petite amie à ses côtés y est pour beaucoup - si ce n’est dire “pour tout”. C’est bien la première fois de sa vie qu’il préfère la fin de l’année et tout a rapport à Lucia. Depuis presque un an déjà, beaucoup de choses se rapportent à la belle jeune femme et il ne cherchera même pas à le nier.

Des doutes persistent pourtant dans l’esprit torturé du jeune trentenaire et depuis sa dernière conversation avec Penny puis Rory, il est incapable de sortir certains d’entres eux de son esprit. Il sait qu’il doit parler à Lucia mais plus il attend et plus tout est compliqué, plus il a peur que ses mots puissent changer quelque chose entre eux et force est de constater qu’elle est tout ce qu’il a et qu’il est terrifié à l’idée qu’elle s’éloigne. Il a vu son regard changer une fois, en septembre, et même si les raisons étaient bien différentes, il ne voudrait jamais avoir à revivre un tel moment. Pourtant elle mérite terriblement la vérité et Rory mérite d’exister dans son passé, au moins par son nom et une étiquette qu’il lui aura trouvé à défaut de pouvoir réellement conter tous les détails. “Tu te souviens, avant de partir en vacances, ce jour où je t’ai dit que j’étais fatigué ?” Il voulait attendre d’être de retour avant de lui en parler parce que, encore une fois, il avait peur de lui gâcher son bonheur. Alors il a inventé une histoire qui ne relatait qu’une partie des faits. Bien sûr qu’il était fatigué, mais cela n’avait rien à voir avec un manque de sommeil mais tout était plutôt corrélé avec sa discussion avec l’acteur, les larmes qui s’en sont suivies ensuite, le volant du van qui a été le souffre-douleur de sa colère et de la pression accumulée encore après. Il n’est pas violent, Swann, et il ne s’exprime jamais de cette façon en règle générale mais ce soir-là il a eu besoin d’exploser au moins une fois pour ne pas avoir à imposer ce spectacle à une Lucia qui n’y est pour rien. “En fait, c’est parce que j’avais parlé à mon ex.” Et de là le silence n’est pas bien long avant qu’il enchaîne pour qu’elle n’ait surtout pas à penser qu’il doute de leur couple ou de ses sentiments pour elle - ou bien d’une quelconque envie (voire même besoin) de retrouver une ancienne relation. Il prend simplement le temps de déglutir, pour une fois bien heureux de ne pas avoir à la regarder dans les yeux pour le moment encore. “C’était pas… Enfin on a pas parlé de grand chose, tu sais. On avait même pas prévu de se voir.” Pas grand chose qui l’intéresserait, en tout cas, puisqu’au fond ils ont assez parlé pour que Swann en soit bouleversé. Force est de constater, pourtant, qu’il n’a jamais été doué pour rester de marbre face aux paroles de l’Australien. “Je sais même pas pourquoi je te dis ça. Ca n’a aucun rapport. Je voulais juste te dire que j’avais connu quelqu’un, avant.” Et que le avant n’est sans doute pas aussi vieux qu’elle peut le penser ; et que le quelqu’un est sûrement la dernière personne à laquelle elle pourrait en penser. Il voulait juste lui dire un millier de choses différentes, en réalité, puisque c’est ce qui arrive lorsqu’on tarde de trop à parler de sujets importants. “Et qu’il s’appelle Rory.” Mon ex n’avait pas de genre, quelqu’un en avait tout aussi peu. Rory, pourtant, ne porte guère à confusion. Swann se sent stupide à retenir se respiration comme s’il venait confesser le pire péché qui soit, il se sent d’autant plus mal de réagir ainsi alors qu’il fait confiance à Lucia sur sa propre vie et qu’à aucun moment il ne voudrait qu’elle - ou qui que ce soit d’autre - n’en vienne à penser qu’il a honte de cette histoire passée. “Craine. L’acteur. Je suis désolé, j’aurais dû t’en parler avant.” L’anglais expire enfin, pensant naïvement laisser s’envoler tout le poids sur ses épaules par la même occasion. Il n’a fait qu’évoquer que la partie immergée de l’iceberg, pourtant, et pour cette raison comme pour tant d’autres, ses caresses redoublent de douceur contre la peau de la jeune femme qu’il souhaite rassurer avant toutes choses.

she is the flint that sparks the lighter
Lucia Whitemore & @Swann McGrath

Je suis si bien dans ses bras que, même si décembre est le meilleur mois de l’année, je pourrais y rester pendant vingt quatre heure et ce pendant les trente et un jours du mois. Le marché de Noël ? J’adore ça, mais moins que la chaleur de son torse. La patinoire installée tous les ans par la ville et où j’adore me rendre ? C’est chouette certes, mais beaucoup moins chouette que de pouvoir demeurer au lit sans notion du temps qui passe. Acheter un sapin (bon ok ça c’est déjà fait) ? C’est un peu en dessous de son souffle dans mon cou. Je ne suis pas une casanière qui aime traîner toute la journée au lit mais lorsqu’il est question de traîner toute la journée au lit avec lui l’activité prend une toute autre dimension. Les différentes étapes d’une relation ont toutes été franchies dans un ordre qui n’a de sens que pour nous et je ne pensais pas pouvoir l’aimer plus jusqu’à ce qu’il m’offre un calendrier de l’avant fait de ses mains : à côté, j’ai presque trouvé mon cadeau - des matching pyjama - parfaitement ridicule au regard du temps qu’il a passé lui à glisser chaque surprise dans une petite pochette en papier kraft. Je suis douée généralement pour faire des cadeaux : je vis comme une offense d’avoir été surpassée dans le domaine.

« Lucia ? »
« Hum, Swann ? »

Un sourire sur les lèvres, je relève mon visage dans sa direction et ce n’est qu’en le détaillant que je perds mon sourire : il est stressé et si au début j’ai cru qu’il allait dire quelque chose du genre ”je t’aime” je comprends qu’il cherche le moyen d’avoir une conversation sérieuse et, dans ma poitrine, mon coeur commence une samba survoltée. Plus sérieuse, je rajoute. « Oui, dis moi ? » Les choses se passaient trop bien et, puisque je finis toujours par perdre ceux à qui je tiens, je suis une belle idiote de ne pas avoir vu venir le nuage qui semble s’être installé au-dessus de nos têtes. « Tu te souviens, avant de partir en vacances, ce jour où je t’ai dit que j’étais fatigué ? » La gorge nouée, je ne parviens pas à répondre quoi que ce soit et je me contente de hocher la tête en forçant mes lèvres à s’étirer en un sourire qui sonne faux. « En fait, c’est parce que j’avais parlé à mon ex. » J’ai parlé à mon ex. Une phrase aussi simple que ça réveille mes angoisses et, bien qu’il poursuive rapidement, je me dit immédiatement que le jour est arrivé : il me quitte, et pour une ex en plus. A-t-il réalisé en la voyant qu’il était mieux avec elle qu’avec moi ? Qu’il ressentait toujours pour elle quelque chose de bien plus fort que ce qu’il ressentira jamais à mon égard ? J’imagine le pire puisque j’y ai souvent été confrontée en amour, mon coeur se brise sans même savoir de quoi il en retourne. « C’était pas… Enfin on a pas parlé de grand chose, tu sais. On avait même pas prévu de se voir. » Oh ce on qui fait mal. Après, j’imagine que vient le ”on a décidé de se redonner une chance”, ”on s’est rendu compte qu’on était faits l’un pour l’autre” ou ”on a réussi à mettre nos différends de côté et on veut retenter”. Quelque chose dans le genre en tout cas et je me conditionne déjà à tout faire pour ne pas pleurer (spoiler : je n’y parviendrai pas) et accrocher un sourire sur mes lèvres déjà qui ont déjà commencé à trembler. « Je sais même pas pourquoi je te dis ça. Ça n'a aucun rapport. Je voulais juste te dire que j’avais connu quelqu’un, avant. » Je fronce les sourcils en me faisant la remarque qu’il a une façon bizarre de rompre avec moi. J’ai connu quelqu’un avant, c’est ça qu’il essaye de me dire ? Ce qui le stresse à ce point ? J’ai connu plusieurs “quelqu’un” avant (deux ça reste plusieurs) et il le sait puisqu’il a eu le plaisir de rencontrer Lawrence. « Et qu’il s’appelle Rory. » Mon visage se détend peu à peu et je n’assimile pas tout de suite. A la place, je me raccroche à l’idée que, peut-être, il n’est pas en train de me quitter mais a simplement une façon étrange d’amener une conversation sur les ex. « Craine. L’acteur. Je suis désolé, j’aurais dû t’en parler avant. » Cette fois-ci, c’est bien de la surprise et de la stupéfaction qui se peignent sur mon visage. Rory Crane, l’acteur, Swann est sorti avec quelqu’un de célèbre. La voilà ma première réaction avant que je ne connecte les fils.

Swann est sorti avec un garçon.

Avant toute chose : le commencement. « T’es pas en train de me quitter ? » Puisque naïvement, je pense pour l’instant que s’il n’est pas en train de me quitter tout va bien, Swann est sorti avec un garçon est alors ? Je n’ai pas été élevée pour comprendre l’homosexualité mais je suis quelqu’un d’aimant, de tolérant et d’ouvert. Je suis capable de respecter ce que je ne comprends pas comme d’apprendre et si j’ai tout un tas de questions qui me viennent, ce n’est pas grave s’il n’est pas en train de rompre avec moi après six mois de relation. « Je… Je savais pas que t’aimais les garçons. » Que tu aimais aussi les garçons. Je dis je ne savais pas, pas “je ne comprends pas” ou “pourquoi ?” parce que c’est tout ce qui me vient : je ne savais pas, mais ça ne change rien à ma façon de le voir lui. « Je… C’est pour ça que tu es si stressé ? Parce que tu avais peur de me dire que tu étais… Bisexuel ? T’es bisexuel ? » Je ne suis pas assez cultivée sur le sujet pour me risquer à autre chose que des suppositions et des questions puisqu’il envisage peut-être une étiquette toute autre pour définir son orientation. « Je… T’as pas besoin d’être stressé d’accord ? Je me fiche que tu sois attiré juste par les filles ou par les filles et les garçons tant qu’au bout du compte tu n’aimes que moi. » Je fronce les sourcils. « Parce que tu n'aimes que moi hein ? » On en revient aux doutes et au manque de confiance en soi : c’est le serpent qui se mord la queue puisque j’arrive seule à créer des angoisses à partir de mes angoisses.

La discussion semble anodine et simplissime, Swann aurait dû l’avoir avec sa petite-amie il y a longtemps déjà mais tous ces jours passés à douter se payent aujourd’hui en une inquiétude supplémentaire. De son côté ou celui de Lucie on ne sait plus vraiment, la différence n’étant plus aussi évidente qu’aux débuts. « T’es pas en train de me quitter ? » Il a une première réaction aussi naturelle qu’instinctive, laquelle consiste en une réponse simple. “Non.” Face à ses yeux paniqués et sa lèvre tremblante, il fronce aussitôt les sourcils et se redresse dans le même élan. Il pose son front contre le sien et reprend dans le même élan pressé. “Non, absolument pas Lucia. Je t’aime.” Ses mots sont mâchés et il ne réfléchit même pas à ce qu’il va lui dire. A son sens, pourtant, il n’y a aucun doute et cela coule de source. Il ne compte pas la quitter et l’idée ne lui a jamais traversé l’esprit en aucun moment, il espère donc qu’elle saura comprendre qu’il dit la vérité. Ce n’est pas parce que ses lèvres sont éternellement pincées et son regard triste que cela change le moindre sentiment qu’il a pour elle. Cela n’a même rien à voir, en réalité, et il ne souhaiterait perdre la constante qu’elle représente pour rien au monde. Il ne souhaiterait la perdre pour rien au monde.

La rassurer sur ce point était pourtant le plus facile à faire selon lui. Elle doutait d’une chose dont il reste certain, alors il n’y avait aucune difficulté dans la chose. Lorsque les questions reprennent pour parler de lui, de son passé et de ses sentiments, tout prendre une ampleur nouvelle. « Je… Je savais pas que t’aimais les garçons. » Il a les yeux fermés, Swann, parce qu’il ne veut pas affronter son regard pour le moment. Au delà de ne pas le vouloir, en réalité, c’est qu’il ne s’en sent pas capable. “C’est pas...” C’est pas quoi, Swann ? C’est pas ce que tu penses, c’est ça que tu allais dire ? Les mensonges n’ont pas leur place entre eux et il ne peut pas dire ça et aller au bout de cette phrase. Il ne peut pas dire qu’il n’aime pas les garçons parce qu’il en a aimé un et qu’il refuse donc de tout nier en bloc si cela revient à nier Rory. « Je… C’est pour ça que tu es si stressé ? Parce que tu avais peur de me dire que tu étais… Bisexuel ? T’es bisexuel ? » Dit comme ça il a l’air bien stupide, c’est vrai. Elle ne l’a pas rayé de sa vie, elle ne l’a pas insulté, elle ne l’a pas plaqué non plus. Le scénario catastrophe ne se produit pas mais tout est loin d’être optimal pour autant. Elle ne comprend pas où il veut en venir et lui, il retarde encore et toujours les mots qu’il craint pouvoir faire mal. “Non...” Non il n’est pas bisexuel, non ce n’est pas pour cette raison qu’il est si stressé. Mais oui, il a peur, il a terriblement peur. Elle est douce et compréhensive et pose des questions qui font du sens mais peu importe à quel point elle arrive à bien s’en sortir, il restera encore incapable de se sentir pleinement à l’aise. Le problème n’est pas qu’elle pose sur lui des mots tels que “stress” ou “peur”, il n’est pas ce genre d’homme à tenir à son image de figure virile. Il sera le premier à dire qu’il est loin d’aller bien, mais il a besoin que les mots viennent de sa bouche et de sa bouche seule. « Je… T’as pas besoin d’être stressé d’accord ? Je me fiche que tu sois attiré juste par les filles ou par les filles et les garçons tant qu’au bout du compte tu n’aimes que moi. » Elle est maladroite et il ne lui en veut pas. Il ne sait pas comment est ce qu’il aurait pu réagir à sa place non plus, alors il lui pardonne et lui trouve des milliers d’excuses sans même avoir à se forcer. “Lucia...” - « Parce que tu n'aimes que moi hein ? » Elle répète ce qui sonne faux à ses oreilles alors il se contente de tiquer intérieurement, non sans affirmer la seule et unique vérité l’instant qui suit : “Oui. Bien sûr.” Il n’aime qu’elle, c’est un fait. Il le lui répétera autant de fois que nécessaire avant qu’elle commence à le croire et arrêter de douter. Elle est tout pour lui et il ne veut pas la perdre.

Pour ces raisons comme tant d’autres avec, il prend enfin le temps de prendre une légère inspiration avant d’éloigner son front du sien pour l’observer dans les yeux. Ses pouces jouent doucement avec ses joues, effleurant à peine sa peau pour ne pas qu’elle se sente emprisonnée - l’éternelle peur de ressembler à son ex, encore et encore. “Je suis pas bisexuel. Je suis jamais sorti avec aucun autre homme.” Il y a un “sauf Rory” qu’il ne précise pas, conscient qu’elle sera toujours la dernière à avoir envie qu’il parle de lui de la sorte - qu’il parle de lui, tout simplement. Pourtant il a désormais besoin de lui dire la vérité et de tout lui conter pour qu’elle puisse enfin avoir une vision d’ensemble sur son passé. Il n’a pas à lui dire quoi penser, il ne pourrait pas lui ordonner de telles choses. “Je suis pas en train de remettre en question notre couple, ok ?” Une dernière fois, il l’assure sur ce point avant de continuer. Ce n’est pas le but de cette discussion et cela ne sera jamais le but d’aucune des discussions qu’il aura avec elle. “Il est la seule personne que j’ai aimé avant toi et… ça ne s’est terminé qu’il y a un an, à vrai dire.” Presque un an, mais ça non plus, il ne tient pas à le préciser. Il souhaite simplement mettre en avant le peu de mois qui se sont écoulés entre la fin d’une histoire et le début d’une autre parce qu’à ses yeux c’est un point important qu’elle mérite de savoir, en plus du fait qu’il n’ait pas aimé que des enfants - quand bien même, justement, elle est la première femme dont il soit tombé amoureux. “Je suis stressé parce que j’en ai jamais parlé à personne, Lucia. Personne n’a jamais su. Même Matt ou mes soeurs.” Il ose mettre des mots sur les émotions qui animent son coeur qui bat encore et toujours trop vite et trop fort, sans que cela n’ait rien à voir avec de l’amour pour une fois. Ou, en tout cas, le stress l’emporte momentanément sur l’amour et il souhaite lui faire comprendre entre deux mots à quel point tout était (et continue à l’être) infiniment secret. Lucia sait que sa fratrie est tout pour lui et qu’ils sont toujours les premiers au courant du moindre changement dans sa vie. A une exception près, donc. “Je voulais pas que ça change quoi que ce soit pour nous.” Enfin, il répond à la question qu’elle n’a pas posée : pourquoi est ce que tu n’en parles que maintenant ? Pourquoi est-ce que tu as attendu tout ce temps ? Et c’est là, donc, qu’un seul mot suffit à tout résumer : la peur.

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Lucia Whitemore & @Swann McGrath

« Non. Non, absolument pas Lucia. Je t’aime. » Il n'est pas en train de me quitter et cette simple affirmation parvient à ralentir les battements de mon cœur. Il n'est pas en train de me quitter et tout de suite, je respire un peu mieux. Alors, je me concentre sur ses mots, j'essaye de comprendre pourquoi il a l'air à la fois si troublé et si angoissé à l'idée de me dire tout ça. A-t-il peur que je le vois autrement parce qu'il est attiré par les hommes ? A-t-il peur que je l'aime un peu moins ? Ne sait-il pas que c'est impossible ? Prise par surprise, je ne m'attendais pas à ce genre de discussion, je fais ce que je fais le mieux : parler encore et toujours sans laisser la place à l'autre pour s'exprimer. Je suis maladroite, mais je ne cherche qu'à le rassurer : je ne vois pas pourquoi ces révélations changeraient quoi que ce soit.

« C’est pas... »
« Non... »
« Lucia... »

Ses tentatives de me couper, certainement pour apporter des précisions, je les entends à peine ou, en tout cas, lancée dans un monologue que je ne contrôle plus, je les ignore. Je veux pouvoir lui dire que je me fiche bien de tout ça avant qu'il ne regrette de s'être confié, que cela ne change rien entre nous et que je l’aime autant maintenant qu’il y a dix minutes. Les rôles s’inversent ce matin : il est fébrile et je ne sais quoi dire pour le rassurer alors je parle et je parle trop. Je n’ai besoin de savoir qu’une seule chose : qu’il n’aime que moi, que ce n’est pas là sa façon de m’avouer qu’il est perdu parce qu’il ressent encore quelque chose de fort pour son ex. « Oui. Bien sûr. » « Alors ça change rien. » Je ne sais si je l’affirme ou si je tente de m’en convaincre. Bien sûr, pour moi ça ne change rien, mais j’espère surtout de tout coeur qu’il en va de même pour lui. « Je suis pas bisexuel. Je suis jamais sorti avec aucun autre homme. » Je me redresse pour m'installer en tailleur sur le lit et, sans cesser de caresser son bras de la pulpe de mes doigts, je l'observe en tentant de ne pas froncer les sourcils : il le prendrait mal, quand je suis juste trop peu éduqué sur ces sujets là pour comprendre directement où il veut revenir. Il n’aime pas les hommes, il l’a juste aimé lui, Rory. «Je suis pas en train de remettre en question notre couple, ok ?  » Doucement, je hoche la tête et, même si mon cœur bat toujours la chamade dans ma poitrine, je le crois. Il n’est pas en train de nous remettre en question et si de ma main libre je viens enrouler mes doigts autour des siens, ce n’est pas tant pour me rassurer que pour le garder près de moi envers et contre tout. « Il est la seule personne que j’ai aimé avant toi et… ça ne s’est terminé qu’il y a un an, à vrai dire. » « Je suis la seule fille que tu… ? » Que tu as aimée, c’est ce qu’il est en train de dire et je ressens à la fois une pression inattendue sur mes épaules et une profonde tendresse à son égard. « Je suis stressé parce que j’en ai jamais parlé à personne, Lucia. Personne n’a jamais su. Même Matt ou mes sœurs. » Mes yeux s’écarquillent et, vraiment surprise, je resserre un peu plus nos doigts.

Il est stressé parce que c’est un secret.

Et c’est ce qui me surprend le plus dans tout ça : depuis que je connais les McGrath je les vois comme une fratrie soudée envers et contre tous (et parfois contre les pièces rapportées, Lily et moi en avons fait les frais.) Je pense que personne ne le jugerait d’avoir fréquenté un homme, même pas Ariane et Jill. « Je voulais pas que ça change quoi que ce soit pour nous. » « Mais pourquoi ça changerait quoi que ce soit pour nous ? » Je ne réfléchis même pas avant de parler et je m’exprime en toute sincérité ? « Je te vois pas différemment. Je t’aime pas moins qu’avant que tu me le dise. » Je le rassure là dessus en continuant de serrer ses doigts d’une main et de caresser son bras de l’autre. « Il y a un an ? » Mon cœur se pince à cette idée, et je ne peux m’empêcher de lui poser une question que j’aurais préféré ne pas poser. « Je suis pas un pansement hein ? » Le genre de relation que l’on utilise pour aller mieux et que l’on arrache lorsque la plaie est cicatrisée. Je n’ai pas envie de l’être quand il n’est rien de tout ça. « T’as pas besoin de moi pour savoir que Matt et tes soeurs t’aimeraient pas moins parce que tu as eu une relation avec un… Avec Rory. » C’est bizarre de prononcer son prénom mais puisque je n’ai pas réellement compris la différence entre aimer les hommes et avoir aimé Rory je l’emploierai : c’est plus simple. « Tu… Tu es troublé parce que tu l’as revu ? » Et cette fois-ci, nous aurions la même discussion s’il s’agissait d’une femme : j’ai besoin d’être rassurée parce que il y a un an c’est si proche que je suis renvoyée face à mes propres insécurités. « Il te manque parfois quand t’es avec moi ? » Je baisse les yeux avant d’ajouter. « Tu ressens encore quelque chose pour lui ? »

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Lucia Whitemore & @Swann McGrath

« Oui. La seule fille que j’ai aimé. » Les lèvres légèrement entrouvertes, je l’observe en battant des cils, une fois, puis deux, et sans trop savoir comment réagir. Ma première pensée est égoïste et je m’en veux. Je n’ai pas le droit de ne penser qu’à moi, de demander ce que cela fait de moi et de douter alors qu’il m’ouvre son coeur et qu’il a vraisemblablement l’air fébrile, mais je n’arriver pas à m’en empêcher puisque les questions fusent et puisque mes mains tremblent. Je suis la seule fille qu’il ait aimée. Et ce Rory le seul garçon. Les choses pourraient être aussi simples que ça et pourtant les dates sont bien trop rapprochées pour que je ne me pose pas la question, pour que l’idée de lui avoir servi de pansement, de divertissement pour oublier son ex ne m’effleure pas l’esprit. L’a-t-il plus aimé que ce qu’il m’aime ? Que ce qu’il m’aimera jamais ? A-t-il eu la sensation qu’il ne serait plus jamais heureux lorsque les choses se sont terminées entre eux ? L’est-il totalement avec moi ? Pense-t-il à lui ? Le fait qu’il soit un homme ne change finalement pas grand chose et c’est tout le contexte autour qui retient mon attention et me pousse par la même occasion à retenir mon souffle. J’attrape mes mains l’une dans l’autre, juste pour masquer mon trouble. « Non, je ne te vois absolument pas comme ça. C’est pas ce que tu es. » Je croise timidement son regard, et je déglutis. Swann ne m’a jamais menti et j’ai envie de croire que cela signifie donc forcément qu’il ne me mentira jamais, que c’est aussi simple que ça finalement. « Mais tu étais triste, quand on s’est rencontrés. » Quand on s’est rencontrés, quand il m’a tendu la main parce que j’étais maladroite à cause de mon plâtre, quand on a dansé ensemble au mariage de son frère, peut-être même quand on s’est embrassé. Il était en couple lors de nos premiers duos karaoké au bar, la première fois que j’ai rougi, et je me demande s’il l’était encore lors du concours de mermaid crêpes, même si c’est idiot. « Quand est-ce que ça s’est fini entre vous ? Exactement ? » Je n’ai pas envie de le replonger dans des souvenirs qui lui font certainement plus de mal que de bien, j’ai honte de le faire et je baisse les yeux, mais j’ai besoin de savoir. « C’était avant ou après le mariage de Matt et Lily ? » Avant ou après la soirée d’enterrement de vie de garçon au DBD ? Avant ou après qu’il me ramène chez moi ?

« Je comptais leur en parler bientôt. Je voulais que tu sois la première au courant, avant. » Je rougis et, d’un air grave, je hoche la tête. J’en avais presque oublié le sujet principal de la conversation : le fait que l’ex s’appelle Rory et que ce soit un garçon quand, moi, c’est sa simple existence et non son sexe qui me perturbe. « Je sais que ça se passera bien. » Je n’en doute pas une seule seconde et, quand bien même il m’aurait avoué avoir encore des sentiments pour son ex, c’est quand même ce que je lui aurais souhaité. « Je ne pense pas à lui quand je suis avec toi. Il me manque en tant qu’ami. » Alors pourquoi tu as l’air si triste ? Si troublé ? Je ne veux me poser aucune question et je m’en pose pourtant des centaines. « J’ai tourné la page. Je suis troublé parce qu’on ne s’était pas revus depuis la rupture. Il a passé une année difficile et j’ai pas été là pour lui. » Si je suis jalouse, si je suis blessée et si j’ai peur, cela prend bien moins de place que la peine que j'éprouve pour ce jeune homme qui m’est inconnu : je suis faite ainsi, j’ai appris à m’écraser et à accorder juste un peu moins de place à ce que je ressens moi, par rapport aux autres. Alors je ne dis rien, parce que même moi j’ai une fierté et que je ne peux me résoudre à plaindre l’autre à l’oral. « Je l’ai quitté parce que je sentais que tout allait mal entre nous et j’avais peur que ça ne soit pas réparable. Je serais retombé dans mes travers, et je voulais vraiment pas. » « Tu l’as pas quitté parce que t’étais plus amoureux... » J’aurais préféré. J’aurais préféré qu’il m’avoue que ses sentiments s’étaient éteints petit à petit avant de disparaître et ce, bien avant la fin et notre rencontre. J’en aurai eu moins peur ainsi. « Quand est-ce que tu as arrêté d’être amoureux ? » Après notre premier baiser ? Quand il s’est rendu compte qu’il l’était de moi ? Ou pire, l’est-il toujours un peu ?

« Et j’ai longtemps attendu avant de faire un pas vers toi parce que j’avais peur de te faire du mal à toi aussi, un jour ou l’autre. »
« Je sais. »
« Jamais volontairement. C’est pas ce que je veux dire. »
« Je sais. »
« Je ferais tout pour toi. »

Je ne réponds rien mais mes yeux répètent encore et toujours cette même litanie : je sais Puis finalement, j’ajoute un « et moi aussi. » qui me laisse un goût amer sur la gorge. Parce que je ferai tout, strictement tout, j’accepterais l’idée qu’il soit plus heureux avec Rory si elle lui traverserait l’esprit, j’accepterais qu’il ait besoin de le garder dans sa vie alors que mon coeur se serrera toujours à cette idée, j’accepterai d’être un peu moins heureuse si lui peut l’être un peu plus. « Et vous allez vous revoir ? Souvent ? » A nouveau je baisse les yeux, à nouveau je joue avec les mains et je tente de poser la question juste comme ça alors que j’ai l’impression que mes jambes ont été remplacées par du coton et qu’elles ne me porteraient plus si je tentais de me mettre debout.

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Lucia Whitemore & @Swann McGrath

« J’ai souvent tendance à être triste, pour beaucoup de raisons. » Mes lèvres se plissent et mon visage se pare d’un air triste à mon tour. Je n’aime pas entendre ça. Je n’aime pas l’entendre puisque je vis dans un joli monde trop réducteur, un joli monde où il est impensable qu’il soit triste s’il est amoureux de moi, s’il est bien à mes côtés. Je ne suis pas câblée pour comprendre sa douleur, pas encore en tout cas puisque je rejette encore la mienne. Je lui interdit de cohabiter avec mes sentiments pour le blond, je lui interdis de cohabiter avec notre bonheur de peur qu’elle l’entache, qu’elle le pervertisse, qu’elle le transforme en quelque chose de moins beau. Pourtant elle est toujours là et le sera toujours tant que ce que m’a fait Lawrence restera secret. Tant que ce qu’il a fait à Shiloh restera secret et qu’il continuera à être libre de le refaire à d’autres. Mais j’enfouis ça dans mon esprit, je nie l’existence de ces sentiments qui n’ont aucun sens puisque je ne peux pas être triste, j’aime Swann et je suis heureuse avec lui. « Même avec moi ? Même quand on est ensemble ? » Je retrouve mes couleur enfantines, j’hésite, je l’observe avec de grands yeux ronds et j’espère une réponse d’enfant : je ne suis pas prête à me confronter à un monde d’adultes. Je ne suis pas prête à voir les nuances, je ne suis pas prête à compromettre et je sais qu’arrivera un jour où je tomberai de dix étages, mais ça aussi, je le nie.

« Avant. On a rompu en janvier. C’était compliqué depuis plusieurs mois. » « C’était compliqué pourquoi ? » Je ne sais pas si j’ai le droit de demander. Je ne sais pas si c’est insensible de le faire, je ne sais pas s’il m’en voudra mais je n’ai pas réfléchi et je baisse les yeux en réalisant que je touche peut-être d’un peu trop près à son jardin secret. « En janvier... » Je répète, en prenant la mesure de la date. Avant le mariage, avant les pancakes. Mais après notre rencontre, après qu’il ait commencé à m’aider quand mon bras était dans le plâtre, après que j’ai commencé à lui sourire comme une idiote, comme si je lui plaisais, comme s’il était disponible. « Je me sens si bête... » D’avoir déjà à l’époque commencé à imaginer une relation avec lui. Je me sens bête de lui avoir fait des avances, bien qu’elles ait été timide, quand à côté il en aimait un autre. Jusqu’à quand l’a-t-il aimé ? « Avant qu’on commence à se rapprocher. J’aurais jamais fait ça si j’avais le moindre doute à propos de mes sentiments pour lui. » « Quand est-ce qu’on a commencé à se rapprocher pour toi ? » Ma réponse, encore une fois, me donne l’impression d’être une idiote. Dès le premier jour. Dès la soirée d’enterrement de vie de garçon de Matt, j’ai commencé à sentir mon coeur battre plus fort en sa présence. C’était en février, et je ne peux concevoir qu’il lui ait fallu si peu de temps pour apprendre à ne plus aimer son ex. Alors j’en déduis que mon cœur était le seul à battre plus fort à ce moment-là et si je ne devrais pas avoir mal - il m’aime aujourd’hui, et j’en suis sûre - je ne peux pas réfréner ma tristesse.

Elle n’est rien par rapport à celle qui me noue la gorge lorsqu’il répond à ma dernière question. Il va le revoir. Il va le revoir de temps à autres et je peine à comprendre ce que ça veut dire. J’ai envie d’être la parfaite petite amie qu’il mérite. J’ai envie d’avoir assez confiance en moi pour ne pas être jalouse, mais le problème réside là : mon estime de moi. J’ai mal à cœur à l’idée qu’il le revoit, parce que j’ai peur que naisse alors l’idée, l’envie de le récupérer. Alors mon sourire, déjà triste, s’efface encore un peu plus. Il fait ce qu’il veut. Je me le répète et je le pense : je ne serai jamais le genre de petite amie qui pose des ultimatum, qui empêche son compagnon d’être ami avec ses ex puisque ce serait envoyer le mauvaise message, ce serait lui dire que je n’ai pas confiance en lui quand c’est moi le problème. « Je te dis tout ça parce que je veux vraiment que ça marche, nous deux, et parce que je ne veux rien te cacher à partir de maintenant. » Je hoche la tête doucement, mais je joue nerveusement avec mes doigts. « T'as le droit de m'en vouloir, tu sais. J'aurais dû te le dire il y a longtemps. » « Je t’en veux pas…. » C’est vrai, je me sens en insécurité, je me sens idiote, je me sens bien moins intéressante que ce Rory, même si je ne l’ai jamais rencontré. « Je suis juste... » Je suis triste. « Et si en le revoyant tu réalisais que c’est avec lui que tu veux être ? Que c’est pas fini entre vous ? » J’aurais trop mal au cœur de devoir m’effacer, j’aurais trop mal au cœur puisque j’aurais juré avoir aperçu avec Swann la possibilité d’un avenir à deux.

Et qu'elle me plait, l'idée de cet avenir.

she is the flint that sparks the lighter
Lucia Whitemore & @Swann McGrath

Tout va bien quand il est avec moi. Je cherche à sonder son regard pour savoir à quel point il le pense, à quel point il s’agit de la vérité. Je sais qu’il ne me mentirait pas consciemment, mais j’ai peur qu’il minimise un quelque chose sur lequel je n’arrive pour l’instant pas à mettre le doigt. Pourtant, si je suis une bavarde j’écoute aussi beaucoup, j’observe, et je sens chez Swann les signe de quelque chose d’autre qui me serre le coeur sans trop que je comprenne pourquoi. « Sa carrière a vraiment commencé à décoller, il était plus souvent en tournage. Ça veut dire qu’on se voyait beaucoup moins, alors que j’estimais déjà qu’on ne pouvait pas passer assez de temps ensemble. Ensuite… on se parlait moins, on se comprenait moins. C’est la vie, j’imagine. » J’écoute ses explications mais ne les intègre pas. J’ai l’impression d’avoir dépassé les bornes en lui posant cette question, si bien que mon esprit se ferme à cette réponse qu’il a l’impression de ne pas avoir à connaître. C’est leur histoire, elle n’a rien à voir avec la nôtre et je ne veux pas qu’il me la partage parce que j’aurais été pressante. Je hoche pourtant la tête, doucement, sincèrement, je hoche la tête pour qu’il sente que je suis là.

J’ai mal au cœur moi aussi. J’ai mal au cœur et je me sens à la fois coupable et idiote de m’être intéressé à quelqu’un qui, lors de notre rencontre, n’était pas disponible. Qu’a-t-il pensé de cette jeune fille qui lui souriait et rougissait alors qu’il était en couple ? Qu’a-t-il pensé quand je m’arrangeais pour prendre mes poses lorsqu’il était au café ? Bien sûr, je ne lui ai jamais fait d’avances éhontées : ce n’est pas vraiment le genre de la maison, mais il me plaisait et si, au début, je n’avais pas confiance en moi, la suite des événements m’avait laissé penser que c’était réciproque. « J’ai jamais fait semblant de t’apprécier. C’est simplement que... j’avais pas compris les choses de la même façon au début. » C’est juste qu’il te voyait comme une amie. Je sais que ce sont les mots qu’il n’ose pas prononcer et je ne serai certainement pas celle qui le fera. Je les garde emprisonnés dans ma gorge, je déglutis difficilement pour les repousser et je hoche à nouveau doucement la tête de bas en haut. « Je comprends. » Je ne comprends rien du tout et cette formule toute faite est vraiment idiote, mais je ne trouve rien de mieux, rien qui ne l'accablera pas, et je n’ai pas envie de le faire. « Je sais que c’est pas la façon dont tu voyais les choses ni même ce que t’espérais. J’aurais voulu que ce soit plus simple. » Bercée de roman d’amour et de contes de fées toute mon enfance (et ma vie d’adulte également), bien sûr que j’aurais préféré que notre histoire s’y apparente, surtout après ma dernière relation. Mais cela ne veut pas pour autant dire que je les aime moins, notre parcours et lui. Cela ne veut pas dire que je nous trouve moins beaux, et que je n’imagine plus de suite avec lui. Je dois simplement faire le deuil des débuts parfaits que j’imaginais être les nôtres, et si je crois être capable de garder la face je suis bien loin du compte. J’essuie une larme qui roule sur ma joue, puis une autre avant de tourner la tête pour qu’il n’ait pas à assister à ce spectacle ridicule.

J’ai peur. J’ai peur parce que je n’ai pas confiance en moi, parce que maintenant qu’il m’a parlé de lui, j’ai l’impression que le fantôme d’un autre hante notre relation. J’ai peur qu’il le trouve mieux que moi au bout du compte, et que j’ai rêvé à un avenir pour rien. J’ai peur non pas parce que je doute de lui, mais parce que douter de moi est bien trop ancré dans ma chair pour que ce ne soit pas mon premier réflexe. « C’est le cas. » J’essuie une larme de plus sous ma paupière et, promis, j’essaye de retenir les autres avant de tourner la tête à nouveau dans sa direction. « Regarde moi dans les yeux. T’es la seule que j’aime, Lucia, et ça ne changera pas, que je le revois ou non. » Je le regarde, j’observe son regard rempli de sincérité et mon cœur se réchauffe. Bien sûr que je le crois. Jamais je ne le traiterais de menteur, en paroles ou en pensées. Jamais je ne lui collerais l’étiquette du beau parleur parce qu’il ne la mérite pas. Si je suis pétrie de doutes c’est à propos de moi uniquement, parce qu’on efface pas vingt six ans de faible estime de soi d’un coup de baguette magique. « Je veux pas que ça soit un tabou. Si tu veux en parler, maintenant ou plus tard, on pourra toujours le faire. » Je ne veux pas parler de Rory, je ne veux pas le faire puisque je voudrais qu’il n’existe pas mais il est là, et j’aurais besoin de transparence, quand bien même elle ne suffira pas à ce que mon coeur soit à son aise quand ils se retrouveront. « Ne te compare pas à lui. Je ne le ferai jamais non plus. C’est avec toi que je veux vivre. » Ses mains se posent dans mon dos, il m’attire à lui et je ne résiste pas. J’ai besoin de sentir son corps tout contre moi, son coeur battre si près du mien, son souffle dans mes cheveux et ses lèvres sur ma peau. Il embrasse mon front et je ferme les yeux en passant à mon tour mes bras autour de sa nuque pour poser mes mains de part et d’autre de son cou. « Et Pancake, j’espère que t’es okay de partager avec Pancake. » Il n’est pas question de pleurer lorsqu’on parle de Pancake et je sèche mes larmes pour de bon (croisons les doigts.) J’esquisse un sourire, mon visage s’illumine à nouveau, un peu, et mes mains quittent sa peau pour que mes bras puissent s’enrouler autour de son cou. « Je serai toujours okay pour te partager avec Pancake. » Et Swann junior, et Lucia junior également. Mais pas Rory. Lui, je vais avoir du mal à lui faire de la place dans notre vie quand bien même je n’en dirai rien et ne m’opposerai à rien. « Tant qu’il vient pas se mettre entre nous dans le lit. » Tu parles. J’ai trop d’amour dans mon coeur pour envisager de chasser le petit chien qui n’existe même pas encore. « Je t’aime et je veux que tu sois heureux. Ce sont deux certitudes et deux choses qui changeront jamais. » Quoi qu’il arrive. « Je vais... » Ma gorge se noue, mes bras le serre fort une dernière fois et finalement je me recule pour pouvoir ancrer mon regard au sien. « Je serai pas à l’aise tout de suite avec votre relation. » L’idée qu’il le revoit. L’idée qu’il fasse partie de sa vie. « Pas parce que c’est un garçon, j’en ai rien à faire de ça. » Ma main glisse dans ses cheveux et j’accroche mon regard au sien pour le rassurer. Je ne l’aime pas moins parce qu’il ne s’est pas intéressé qu’à des filles ou des femmes. « Mais… Je serai pas à l’aise tout de suite, c’est tout. Ça prendra du temps. » Parce qu’ils sont restés quatre ans ensemble. Parce qu’il lui manque, parce qu’il tient à lui et j’ai besoin d’arriver à assimiler tout ça sans me sentir menacée. « Mais je ferai tout pour que tu sois heureux. » Même si je dois prendre sur moi. Même si je dois m’oublier un peu au passage. « Et je serais heureuse tant que c’est moi que tu aimes. Juste moi. » Même s’il aura peut-être besoin de me le répéter tous les jours puisque, finalement, il m’aimera pour deux : j’ai du mal à m’aimer moi même. J’ai peur que ce soit épuisant pour lui. J’ai peur d’être épuisante et si je regrette une chose de cette conversation, c’est d’avoir une fois de plus laissé mes insécurités se mêler de quelque chose qui ne les regarde certainement pas.

Il ne fera aucun commentaire sur les larmes roulant le long des joues de sa petite-amie, se contentant de les éloigner du bout de ses pouces à chaque fois qu’elle menacent de venir briser l’harmonie de son visage. En dernier recours, l’argument de Pancake est utilisé au détour d’une blague pour lui voler un sourire ou un rire, peu importe tant qu’elle pense à autre chose que sa tristesse pendant une simple seconde. Le plan fonctionne, il sourit à son tour lorsqu’elle accorde à leur chien un statut privilégié et un droit de partage bien particulier. Rien de ce dont Swann pourrait avoir l’envie de s’opposer.

La suite de la discussion le rend bien moins heureux mais c’est sûrement un passage obligatoire ; surtout qu’il est la seule raison pour laquelle ils en sont arrivés là et pourquoi tout a pris de telles proportions. Il laisse donc Lucia poser ses mains comme elle le veut contre sa nuque et l’observer de ses yeux bleus, lui qui en retour ne voit de toute façon qu’elle depuis longtemps déjà. « Je t’aime et je veux que tu sois heureux. Ce sont deux certitudes et deux choses qui changeront jamais. » L’inverse est réciproque mais il ne veut pas la couper pour lui rappeler une fois de plus ces quelques mots qui lui semblent évident. Il a bien assez parlé, le tour de la blonde est venu maintenant. A défaut, il laisse donc ses mains retomber contre ses cuisses sans trop savoir quoi en faire pour finalement se contenter de caresser sa peau au travers de son parfait matching pyjama. « Je vais... » Il ancre ses yeux contre les siens, redouble de douceur contre sa peau, tente de lui faire comprendre qu’il l’aimera toujours, peu importe ce qu’elle a à lui dire. Il comprend aujourd’hui que les non-dits ne préservent rien et ne savent leur faire que du mal. « Je serai pas à l’aise tout de suite avec votre relation. » C’est à son tour de hocher la tête sans ne savoir quoi dire. Il comprend. C’est tout ce qu’il y a à faire : comprendre. Il ne peut pas changer la façon dont elle ressent les choses, il ne peut pas non plus changer son passé (et ne le veut pas, de toute façon). La seule chose qu’il lui reste est donc la compréhension et l’espoir que le temps saura faire son œuvre pour panser les plaies. « Pas parce que c’est un garçon, j’en ai rien à faire de ça. Mais… Je serai pas à l’aise tout de suite, c’est tout. Ça prendra du temps. » Swann n’avait jamais imaginé l’hypothèse que ce soit la relation en elle-même qui lui pose problème et non pas que Rory soit un prénom masculin. Ce n’est qu’une preuve de plus qu’il n’est finalement pas le fin psychologue pour lequel il se prend parfois. Le problème, c’est qu’il a trop longtemps été amoureux d’un autre, jusqu’à trop récemment. Et ça, finalement, il aurait dû s’en douter. C’est à son tour de la comprendre une fois de plus. Il ouvre la bouche pour dire quelque chose et la referme rapidement, se rendant compte qu’il n’a aucune idée de quels mots former. Je suis désolé n’est décidément pas adapté à la situation. « Mais je ferai tout pour que tu sois heureux. Et je serais heureuse tant que c’est moi que tu aimes. Juste moi. » Ce qui est et restera le cas, tout comme la seule et unique vérité. Il vient d’abord poser doucement ses lèvres contre les siennes dans un premier élan autant amoureux que soulagé, avant de finalement prolonger son baiser pour lui faire comprendre sans un mot à quel point il l’aime. “Je t’aime. Juste toi.” Ses lèvres se décalent à la commissure des siennes et se posent une dernière fois contre sa joue. Il la ramène ensuite une fois de plus contre elle, ayant posé ses mains dans ses cheveux encore emmêlés de la nuit. Le geste sert autant à la rassurer elle que lui. “Je veux jamais te perdre.” Il a eu peur que ce soit le cas aujourd’hui pendant une seconde, une seule, et l’idée lui a été insupportable. Il serait prêt à beaucoup de choses si ce n’est toutes pour cette jeune femme soudainement apparue au milieu du dédale de leur vie. “Tu peux prendre tout le temps dont tu as besoin.” Après tout, ils ont bien la vie devant eux.