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 and the darkest hour is just before dawn | willer #35

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Message(#)and the darkest hour is just before dawn | willer #35 EmptyMar 8 Déc 2020 - 12:02

C’est le fruit d’une traversée de l’enfer, de nuits passées chez Auden et Ginny. Pas un pied posé dans la Serre depuis qu’elle est partie. Elle a laissé un vide partout et surtout là bas. Les fleurs ont dû sécher depuis le temps, les fraises ont dû pourrir. Saül s’est réfugié dans le travail, c’est toujours ce qu’il sait faire de mieux. Le divorce lui prend moins de temps, maintenant que les procédures sont véritablement sur le point d'être achevées. Il ne suffit que de prétendre, de porter une alliance qu’il n’avait plus au doigt depuis des mois. C’est un jeu simple, confortable, d’enfiler ce costume qu’il a toujours su porter à la perfection. La maison reprend vie lorsqu’il y habite avec Elise, lorsque vient son tour de veiller sur son père. Le costume est taillé trop grand pourtant et le jeu se fait rouillé. C’était confortable un temps. Mais Ariane est à l’autre bout du monde.

Saül a quitté la maison qu’il partage de temps à autre avec Elise, juste pour la pièce de théâtre qu’ils rejouent d’un commun accord depuis maintenant un mois et demi. La routine s’est plutôt bien réinstallée, au final. L’esprit de Saül, pourtant, ne cesse de revenir à l’autre côté de l’Atlantique. Il n’a plus de nouvelles d’Ariane depuis le dernier appel. Plus de nouvelles, sinon par le biais de Sophie qui lâche parfois quelques informations à force de se trouver face à un Saül insistant au possible.

Et un jour, elle a laissé une adresse.
Une adresse de rien du tout, celle d’un hôtel. Saül en a détaillé les chiffres pendant des heures, des semaines. C’est un petit morceau de papier qu’il a laissé entre d’autres, qu’il a trimballé dans ses poches au risque de le perdre.
C’est un petit bout de papier qui ne s’est jamais perdu, pourtant. Et puis un jour, Saül s’est trouvé dans un avion pour Paris. Un aller, sans retour, précipité par les événements familiaux.

Retrouver l’aéroport de Paris sans elle est difficile, d’autant plus que Saül sait qu’elle ne voudra pas de lui. Il n’a rien réservé, est de toute façon habitué à vivre au jour le jour depuis qu’elle l’a quitté. C’est terminé Saül. Il fait sa route seul, désormais. On croirait que les choses sont revenues comme elles l’étaient avant, lorsque Saül ne se contentait que de vivoter, endormi confortablement dans sa petite vie de quarantenaire. C’est peut-être moins chaotique. Il en tire peut-être plus d’avantages, une plus grande sérénité apparente. Cosimo va bien, Elise va bien, le monde va bien. Saül est en vie, ce ne sont pourtant pas ses comportements qui y sont pour quelque chose. Le nombre de nuits passées sur le perron de la maison de Auden ne se comptent plus sur les doigts d’une main depuis un moment déjà, lui qui préfère la compagnie de la boisson à celle d'autrui. Il n’y a que lorsqu’il faut prétendre à jouer la vie d’avant qu’il reste sobre. Le reste du temps est passé à décuver de la veille. Et les journées se ressemblent, se suivent.

Se suivaient, jusqu’à ce que la voiture ne le dépose devant cet hôtel à la façade blanche. A peine pose-t-il le pied sur les pavés de la rue qu’un frisson s’impose à lui. Il n’a rien à faire ici, pas de quoi se justifier ou même s’excuser. Elle a probablement tiré un trait, Ariane, sur la vie qu’ils vivaient ensemble. Et le bébé, garde-t-elle le bébé ? Est-elle avec quelqu’un d’autre ? Est-elle ici, vraiment ? Le hall d’entrée est simple et Saül ne se présente pas à la réception tout de suite. Un petit comptoir de bar attire son attention, mais le temps n’est pas à l’ivresse. Ses jambes de coton le poussent à s’asseoir dans un coin, journal à la main. On croirait assister à une planque et c’est peut-être un peu ce qu’il fait là, ridicule, probablement répréhensible. Il voudrait la voir pourtant, l’apercevoir, s’assurer que tout va bien. Il la laissera ensuite tranquille dans son coin, si elle n’a pas besoin de lui. Elle n’a jamais eu besoin de lui, c’est ça le plus fort. C’est lui qui a besoin d’elle, depuis toujours.

Le sort fait qu’il monte dans les étages, presque certain de pouvoir la trouver dans la salle de conférence de l’hôtel en observant le public qui descend de l’ascenseur, le livre d’Ariane à la main. Au poignet de Saül, pas de montre. Il tire pourtant machinalement la peau de ses bras et de ses mains, concentré au possible.

C’est elle qui monte dans l’ascenseur, rendu au troisième étage. Saül a arrêté de respirer. « Bonjour. » C’est la surprise qui lui coupe le souffle, alors qu’elle est aussi belle que toujours, par dessus le fond des vitres qui donnent sur un Paris pluvieux. Décembre réussit étrangement à la capitale qui commence doucement à s’endormir. Lui doit faire pitié, alors que le temps est déréglé dans sa tête. Le temps est déréglé depuis un mois et demi au moins, à dire vrai. « Je passais juste. » La main de l’italien est arrêtée sur le bouton "ouvrir" à l’intérieur de l’ascenseur. Il faudrait qu’il reparte, désormais. Le conditionnel est un joli mode de conjugaison.
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Message(#)and the darkest hour is just before dawn | willer #35 EmptyMar 8 Déc 2020 - 14:15

Je serai pas le genre de mère qui coupe toute communication entre le père du gamin et le gamin en question sous prétexte qu’on n’arrivait pas à être dans la même pièce sans avoir envie de s’égorger mutuellement. Je serai pas ma mère, en somme, qui a passé sa vie à espérer qu’il revienne tout en jouant de paradoxes qui clamaient haut et fort qu’elle voulait le garder le plus loin possible de moi, de Wyatt, de Yele. C’est la seule et unique décision que j’ai prise une fois posée dans l’avion, l’Australie derrière et la France devant. Une fois l’item coché froidement sur ma to-do list mentale, la page s’est tournée bien trop vite pour que ce soit réfléchi, ou même voulu. Je m’étais jurée de ne pas tomber amoureuse et de tout arrêter si c’était son cas à lui. Force est d’admettre qu’il n’était pas le seul à avoir cassé ses engagements. Passons.

Paris fait du bien, toujours. La ville en a fait à la seconde où j’y ai mis le pied, les semaines qui ont suivi avec. Une coupure plus que nécessaire avec la vie de l’autre côté du globe à défaut d’en construire une ici me semblait être le meilleur de tous les scénarios catastrophes possibles et inimaginables. Le livre va bien, sa version française est reçue comme une décharge électrique renvoyée dans un style littéraire dont on manquait apparemment de plus en plus. Elles sont nombreuses, les lectures où on me poste de front, où je finis avec des crampes de signatures au poignet, l’envie de tuer le monde entier mais surtout le sentiment tout de même du devoir accompli. Les jours se suivent et ne se ressemblent pas depuis un mois et demi, je me suffis à moi-même et la vie va bien. Ou du moins, je suis passée maître dans l’art de m’en convaincre à la perfection.

J’ai envie de lui raconter chaque fois qu’un idiot de touriste me coupe dans la rue pour finir par piler sur une merde de chien. J’ai envie de lui lister toutes les envolées de mes voisins de chambre qui s’affairent à marcher sur l’étage du dessus comme s’ils avaient besoin de défoncer chaque planche de bois mal vernis et contre qui ma meilleure vengeance sera d’utiliser très tôt toute l’eau chaude du building. J’ai envie de lui gueuler dessus chaque fois que je me réveille avec la nausée, j’ai envie de l'appeler rien que pour chasser le moindre moment où il baissera sa garde et où je pourrai lui piquer avec ingratitude le dernier mot.

Mais pour l’instant, j’ai surtout envie de tuer Sophie parce que c’est elle, pour sûr, qu’il lui a dit pour aujourd’hui. Pour l’hôtel et pour l’apéro qui venait avec, sûrement pour l'ascenseur aussi et pour l’étage. Foutue traître. Merde qu’il est beau.

« Bonjour. » bonsoir .
« Je passais juste. » te justifies pas .

Il est sur le décalage horaire Saül, et il marche sur des œufs. L'ascenseur qui était vide est désormais plein d’une poignée d’inconnus que j’ai déjà imaginés torturer d’un milliard de manières simplement parce qu’ils ont décidés aujourd’hui d’être des fat fucks qui préféraient se faire déplacer lâchement que de peaufiner leur cardio dans les escaliers. Plaît-il?

« T’as pas peur. » il a l’air terrifié, mon sourire qui vient s’immiscer sur mes lèvres ne fait que s’en réjouir un peu plus. Son visage est épuisé, sa ride du lion est creuse. Je reconnais pas la cravate à son cou et c’est soit le signe que je suis passée à autre chose soit que je me mens encore parfaitement bien à moi-même parce que ouais je la reconnais, bien sûr que je la reconnais. Je la lui ai retirée des dizaines de fois déjà - avant. « Elle est presque gelée, la Seine. » alors je désamorce la situation, mes fossettes qui s’en chargent avec. Il est entre la sortie et l’entrée Saül, entre rester et partir. « Ça sera pire pour y finir tes vacances. » et moi aussi, quand je parle de fin mais qu’une de mes mains propose un début, quittant le bouquin calé contre ma poitrine pour laisser mes doigts aller pincer la peau des siens.
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Message(#)and the darkest hour is just before dawn | willer #35 EmptyMar 8 Déc 2020 - 18:09

Ariane est là et elle passe les portes de l'ascenseur. Tout un tas de gens font de même, juste quand ils se croient un peu plus seuls. Personne n’adresse la parole à personne, il y a pourtant une petite voix qui perce le silence bercé du vrombissement de la cabine de métal. « T’as pas peur. » « Je devrais ? » Oui, probablement puissance mille. Un accident d’ascenseur est si vite arrivé et après tout, Ariane aurait environ soixante dix raisons de lui coincer la tête entre les portes automatiques. Elle est là pourtant, juste là. Proche comme elle ne l’a plus été depuis des semaines. « Elle est presque gelée, la Seine. » Elle est splendide Ariane, avec ses fossettes et la lueur qu’elle a au fond des yeux. Saül se surprend à accrocher son regard à la peau de ses joues, à la peau de son front, à ces mèches de cheveux qu’il a tant envie de compter de ses doigts.

« Ça sera pire pour y finir tes vacances. » « Je croyais que tu voulais venir travailler. Et moi, je ne fais que passer. » C’est Sophie qui le lui a dit entre deux commentaires désobligeants. Les doigts d’Ariane pincent et le sourire de Saül est presque en train de naître, au coin de ses lèvres. Son visage fatigué ne se déride pas pour autant, lui qui fixe son regard sur la nuque d’un type debout devant lui. Le silence se fait de nouveau lorsque l’ascenseur franchit un étage de plus. Lorsqu’il prend de nouveaux passagers, la main de l’italien a attrapé celle de l’auteure. Froid contre chaud, la sensation qui manquait aux pensées de l’homme d’affaires occupé outre-océan et outre-continent. A l’autre bout du monde, ils sont peut-être tous en train de se déchirer, mais Saül n’en a cure. « C’est lequel, ton étage ? » Elle n’a appuyé nul part et lui non plus. Elle appuiera sur le trois ou le six, devra remonter alors qu’ils ont fait un peu de chemin ensemble. Lorsqu’au passage suivant, l’ascenseur se vide de ses passagers, Ariane et Saül remontent. Les doigts gelés de Saül se sont trouvés, sans vraiment qu’il n’y songe, liés à ceux de la française.

Et entre deux étages, l’ascenseur s’arrête. « Ils fonctionnent mal, les objets, dans ton pays. Je ne suis pas étonné. » Il est peut-être trop tôt pour la piquer, trop tôt pour le plus petit des commentaires, même pour ceux qui sont murmurés. Les yeux de Saül se lèvent vers les chiffres clignotant en jaune. Le néon aussi, clignote un instant avant de s’éteindre complètement. Dans tout l’immeuble, on entend des grognements en français. La panne doit être générale, la faute à la pluie. Saül n’a pas lâché la main d’Ariane, c’est dans la pénombre que leurs peaux se sont pleinement retrouvées. « Les dernières semaines étaient compliquées. » C’est un euphémisme quand tout était horrible. C’est une journée sans alcool, Saül n’a même pas bu un verre dans l’avion. Tout était horrible, du dîner à la fuite, en passant par les heures qu’il aurait dû passer avec elle dans cet avion de malheur. Tout était horrible et elle n’est pas obligée de savoir que chez eux, tous les meubles ont pris la poussière en son absence - leur absence. Tout était horrible et elle n’est pas obligée de savoir que dès qu’elle l’aura congédié, Saül ne rentrera pas chez eux. Ce n’est plus chez eux sans elle. Quand elle lui aura demandé de partir, il retournera à sa petite vie d’homme d’affaires, cette fois-ci bien rangée - comme avant, sans Elise et sans le reste du monde pour y interférer.
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Message(#)and the darkest hour is just before dawn | willer #35 EmptyMar 8 Déc 2020 - 20:28

Il devrait avoir peur et c’est certainement pas moi qui risque de chasser le sourire en coin qui passe une seconde une seule sur mon visage quand il fait mine d’affirmer tout l’inverse. Il a changé de parfum ou alors il sort à peine de l’avion, entre les deux mon esprit critique pointe toutes les raisons qui justifieraient qu’il ne fait que passer, vraiment, entre deux réunions et une infinité de signatures. Il a cinq minutes à m’accorder, c’est tout un honneur qu’il soit apparu ici au hasard et au détour d’une rue pavée et c’est absolument rien de plus que ce que c’est. Saül et Ariane dans un ascenseur bondé, où chaque idiot me filant un coup de coude dans les côtes en reçoit le triple.

« Je croyais que tu voulais venir travailler. Et moi, je ne fais que passer. »
« C’est ce que j’ai dit. Tes vacances. »

Je travaille, j’ai du boulot moi. Les étages hésitent et du coup, nous aussi. Jusqu’à ce que je n’hésite plus, la stupide main de Williams dans ma stupide proximité qui est stupidement glacée que je réchauffe de la plus stupide des façons. Il peut bien avoir toutes les excuses du monde pour justifier son passage inopiné, s’il est ici c’est simplement pour des raisons d’affaires ou pour des conneries de karma qui se moquent et c’est bien fait. T’es partie, Ariane, non? C’était terminé y’a presque deux mois et ça l’est encore aujourd’hui. J’crois.

« C’est lequel, ton étage ? »
« Et le tien? »

Un jeu de plus et une négociation avec. Je ne bouge pas ni ne cède l’information où la chambre que j’ai louée pour finir d’écrire quelques chapitres tant qu’à être ici se trouve. Je ne m’attends pas non plus à ce qu’il réponde autre chose qu’un grognement. Il a l’air passionné par la foutue nuque d’un parisien qui pue la clope et l’aftershave, en bonne gamine ingrate et immature je pince ses doigts un peu plus rien que pour espérer qu’il détourne son regard vers moi et que j’ai enfin une excuse pour arrêter de le fixer et regarder ailleurs à mon tour. Sa tactique pour calmer mes relents de rebelle de bac à sable suffit à resserrer sa paume contre la mienne. Encore cinq minutes Saül, et après on choisit des étages différents, et après on repart (encore) à zéro et certainement pas à deux.

« Ils fonctionnent mal, les objets, dans ton pays. Je ne suis pas étonné. »
« Ce qui m’étonne moi c’est le temps que t’as mis avant de commencer à râler. »

Et ce qui ne m’étonne pas, c’est l’absence de montre à son poignet. L’inverse aurait été discutable, la tentative aurait été impossible à expliquer et m’aurait fait chier presque autant que la lumière qui décide d’arrêter de fonctionner. La pénombre m’empêche de contre-attaquer sa prochaine pique avec le compte précis des cheveux blancs qui s’égarent à travers ses mèches, son profil restant tout de même facile à distinguer dans le noir. Je le connais par coeur, son putain de visage à la plastique parfaite, sa mâchoire avec. L'ascenseur lui, en fait à sa tête, il fait sa vie et les autres à l’extérieur pareil. L’hôtel en entier a l’air de bouillir. Ironiquement, ni Saül ni moi ne rage pour une fois. On a dû dépenser notre stock d’insultes, de cris et de hargne, on a dû épuiser tout ce qui s’accumulait pendant des semaines y’a des semaines déjà et maintenant, on arrive à être dans la même pièce l’un l’autre sans hausser le ton ou se tirer des verres d’eau et pléthores de reproches à la gueule. On a changé, j’imagine.

« Les dernières semaines étaient compliquées. »
« Ouais. » compliquées, quelle rhétorique implacable.

Ou alors, pas du tout. Quand ma main toujours vissée à la sienne presse et annonce, c’est une marge de manœuvre d’à peine une demie-seconde qui lui donne le signal. Il s’est tiré bien assez de fois pour que je lui laisse l’opportunité de le faire à nouveau, mon livre tombe au sol du bout de mes doigts lorsqu’eux s’ancrent à sa nuque. Elles sont suffocantes, mes lèvres contre les siennes. Elles sont partout une seconde et nulle part la suivante, elles reprennent leurs marques oubliées savamment de la plus lâche des façons et s’affairent à l’empêcher de parler, de répondre, de souffler, de partir. Il partira, il ne fait que passer après tout. Il partira et ça n’aura été qu’un au revoir de plus, paradoxalement jamais articulé puisqu’il n’a pas plus la latitude de parler que moi. Sa silhouette se retrouve plaquée à l’un des murs de l'ascenseur, celui où tous les boutons s’illuminent sur la batterie d’urgence lui qui les presse de force, la mienne. C’est lequel ton étage qu’il demandait, alors que je pouffe contre sa peau, la lumière de toutes les options sauf la bonne qui illumine par défaut la cabine immobile et désormais prise d’assaut.
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Message(#)and the darkest hour is just before dawn | willer #35 EmptyMer 9 Déc 2020 - 1:27

« C’est ce que j’ai dit. Tes vacances. » Ou la fuite, celle qui cache à peine ses hématomes. L’alliance qu’il gardait encore dans un tiroir n’est définitivement plus, rendue à Elise en un geste. Bien sûr qu’elle a beaucoup à faire, Ariane. Contrairement à celles de Saül, ses affaires à elle vont bien. Ce qu’il est fier d’elle, sans pour autant le lui dire assez. C’est pour cela qu’il vient la retrouver ici, non ? Pour lui dire combien ses affaires sont bien lancées, pour s’excuser d’avoir été au boulet à son pied quand elle en avait le moins besoin. Elle n’a jamais eu besoin de lui et certainement pas pour essayer de lui mettre des chaînes aux chevilles. Leurs mains entrelacées le rassurent pour autant, lui qui ne risque pas un regard dans la direction de l’auteure. « Et le tien? » « Je ne veux pas te déranger. » Tout ça pour dire qu’il repartira quand elle se sera souvenue qu’il n’a rien à faire ici, que sa présence non sollicitée est déplacée et probablement assez démonstrative de tout le mal qu'a l’italien à lâcher l’affaire lorsque les choses ne vont pas dans son sens.

Ariane pince, Saül se mord l’intérieur des joues comme un enfant sur le point d’avoir un fou rire. Alors, elle n’essaie pas de lui coincer la tête entre les portes de l’ascenseur. Ascenseur qui, d’ailleurs, a décidé d’arrêter de fonctionner. « Ce qui m’étonne moi c’est le temps que t’as mis avant de commencer à râler. » « Je n’ai jamais arrêté. Tu ne m’entends pas penser ? » C’est sur cette moquerie là qu’il se risque à lui décocher un regard, un sourire dans la voix mais pas vraiment marqué sur le visage.

L’instant d’après, l’engin n’est plus éclairé que par les lumières de sécurité. C’est la pénombre qui accueille leurs retrouvailles, alors que les mains de Saül retrouvent la taille d’Ariane de la plus naturelle des façons. Les doigts de l’italien se pressent contre ses reins, grimpent partout pour réduire la distance entre sa propre peau et le tissu qui la sépare de celle d’Ariane. Ce qu’elle lui a manqué, Ariane. Saül taira cette donnée là d’un baiser et d’un autre, plus criant de vérité que tous les petits mots qu’il aura pu lui dire au creux des dernières nuits qu’ils ont passé ensemble. Lorsque dans son dos tous les voyants se sont allumés, Saül pose son front contre celui de la française. C’est un vrai sourire, un peu fatigué, qui éclaire son visage encore douloureux des coups portés par son cadet. Sa main gauche a retrouvé la joue d’Ariane, ce grain de peau qui lui avait tant manqué. Des semaines de trop, des semaines passées trop loin sans n’avoir d’autres nouvelles que des mots entre les disputes, de trop rares interactions qui n’en valaient pas la peine. « Tu me manques. » Parce qu’il ne prend rien pour acquis, parce que tout ne pourrait être qu’un au revoir entre deux étages, avant que chacun ne retourne à sa petite vie. L’italien voudrait conjuguer son absence au passé. Mais Paris n’est déjà qu’une trêve, ça n’a jamais été qu’une trêve. Un moment de répit. N’a-t-il pas fui l’Australie pour la rejoindre ? « Je ne veux pas t’embêter. » qu’il répète encore, répètera encore pour assurer qu’il partira comme il a quitté les autres, en Australie, si elle se décidait à reprendre l’instant de félicité qu’elle vient de lui offrir.

« Tu dois avoir tout un tas de trucs à faire. » Et voilà pourquoi Saül la couvre de ses baisers. Son rire lui manque, son sourire aussi et Saül donnerait cher pour revoir la tête qu’elle fait quand elle est sur le point de déchaîner l’apocalypse sur le monde - tout le monde sauf eux, en somme. « Des meetings importants, des papiers à signer... » Il s’est attaqué à la peau de son cou contre lequel il souffle, mutin, avant de redresser la tête pour planter ses yeux dans ceux d’Ariane - bleu contre bleu. « Je suis certain que tu as tout oublié de la valse. » qu’il chuchote, secret, au souvenir de leurs instants sur les quais. Lui n’a rien oublié du tout. Si elle désire le congédier, ce sont ces souvenirs-là qu’il emportera avec lui une fois parti - et non pas l’orage qui a jadis menacé de les emporter.
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Message(#)and the darkest hour is just before dawn | willer #35 EmptyMer 9 Déc 2020 - 3:09

« Je ne veux pas te déranger. » « Trop tard. » à commentaire idiot, réponse évidente. Bien sûr qu’il me dérange, bien sûr qu’il dérange tout Saül. Il dérange tout sur son sillage, il change la donne. Il me rappelle comment je l’aime bien plus que je le déteste, avec sa cologne de chieur, de bourgeois parfait. Ses cheveux qu’il a quand même trouvé le temps de placer même si je sais qu’il a pas traîné entre l’aéroport et ici. Il était devant l’immeuble d’en face, hier. Moi aussi. Y’avaient juste un océan et un monde qui séparaient les deux. « Je n’ai jamais arrêté. Tu ne m’entends pas penser ? » tout est autant différent que pareil. Il râle alors je râle, il dit rien alors je grogne. Ses doigts font du bien, glacés, entre les miens. « Pense plus fort. » à son sourire en coin s’accroche le mien. C’est con, la bulle qui se forme quand il est là. Aussi cons que les ratés qui me font l’affront de jeter un coup d'œil vers nous, les effrontés qui parlent français et jugent que l’anglais a pas sa place ici. Si j’étais pas occupée à pincer la paume de Saül, mon majeur leur aurait été dédié. Les priorités.

L'ascenseur fait des siennes, et moi aussi. « Tu me manques. » quand ses mains s’égarent de parts et d’autres de mes hanches, y’a mes sourcils qui se froncent de le voir de face. Son profil avait pas autant d’hématomes, sa mâchoire était pas si bleutée que ça, dans la pénombre. « Qui t’a pété le nez? » le fait d’avoir relancé le baiser une seconde après est pas une façon détournée de lui dire que j’en ai rien à chier de son assaillant. En temps et en heures, j’irai défoncer ses fenêtres et crever ses pneus. Là par contre, j’ai à faire. « Je ne veux pas t’embêter. » « Trop tard j’ai dit. » et son nez lui? C’est pas comme si ça allait changer quoi que ce soit que je sache, il est cassé, à d’autres. Ses lèvres quittent les miennes dans un soupir de plus, le livre m’énerve au sol à être entre nous deux. Du bout du pied, je le dégage, me rapproche encore, le plaque un peu au mur pour la bonne mesure. Derrière y’a toutes les lumières qui s’illuminent et lui, il se dérobe. Vers ma mâchoire, vers ma nuque. Vers la naissance d’une clavicule, puis en sens inverse. Il reprend ses marques exactement là où il ne faut pas, s’il part après, s’il s’en va.

« Tu dois avoir tout un tas de trucs à faire. »
« Mon horaire déborde, oui. »
« Des meetings importants, des papiers à signer... »
« T’as oublié tous les appels à faire à travers, et les courriels qui s’accumulent à l’heure où on se parle. »
« Je suis certain que tu as tout oublié de la valse. »
« Y’a pas de musique, de toute façon. »

Y’a pas de musique, et y’a pas de certitude qu’il est pas juste là de passage, qu’il est pas à même de repartir. Quand bien même mes doigts s’accrochent un peu plus fort au col de sa chemise, quand bien même mes paumes le rapprochent encore un peu plus. Qu’il parte, ou qu’il tente du moins, rien que pour voir. Les portes s’ouvrent de nouveau d’ailleurs, le courant électrique revient entre temps. Ma main le quitte rien que pour appuyer violemment sur le panneau, refermer les portes de force elles qui agissaient en véritables traîtres à s’ouvrir sur d’autres silhouettes et autant de visages que j’ai déjà oubliés, qui voulaient encourager leur paresse à éviter la cage d’escaliers. « Tu restes jusqu’à quand? » il veut pas déranger Saül, alors on va jouer à son jeu de merde pour lequel je cherche déjà toutes les tactiques de triche, toutes les règles à lister rien que pour les casser les unes à la suite des autres. « J’ai besoin d’un chauffeur, ce soir. » et l’italien, il a pas besoin de savoir pour où, ni pourquoi. Il m’a demandé où était ma chambre et il ne saura pas plus, il a parlé de valse et d’horaire chargé. Il a dit que je lui manquais et mes lèvres elles, ont répondu pour deux. De l’index, je profite du fait que l'ascenseur fonctionne à nouveau pour redescendre au lobby.

Il est fourbe, le dernier baiser que je lui force, avant de le forcer tout autant hors de la cabine de mes mains poussant son torse dans le hall. « Attends-moi. » c’est son tour d’attendre, de toute façon, non? L’instant d’après, les portes de métal se referment sèchement sur ma silhouette montant au 8e étage, lui restant au rez-de-chaussée. La lourdeur, qu’on soit en période de Noël. Qu’on m’attende à l’autre bout de la ville. Que j’insiste sur le comportement de la parfaite idiote amoureuse, en choisissant la teinte de rouge à lèvres qu’il préfère, la robe qui le rend fou. Je me déteste quand mon reflet qui passe devant le miroir une poignée de minutes plus tard renvoie l’image de celle qui l’a pas oublié, qui l’oubliera jamais. Au moins, j’arrive à tenir jusqu’à la table basse à l’entrée de ma suite. La pauvre d’ailleurs, et surtout le contenu qui s’étale dessus, que je renverse un sol d’un mouvement rageur de la main. Le vacarme résonne jusque dans le couloir, mon soupir aussi, sûrement. L’instant d’après, c’est impassible que j’attrape mes clés, prête à sortir et à reprendre le jeu sans savoir qu’elles en sont les cartes.
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Message(#)and the darkest hour is just before dawn | willer #35 EmptyMer 9 Déc 2020 - 14:15

« Qui t’a pété le nez? »
« Son identité va t’étonner. »

Ou pas du tout, en fait. Mais l’information n’aura pas le temps d’être dévoilée. C’est tout en embrassades qu’ils brûlent la distance qui les séparait depuis trop longtemps. Tous les contacts jusqu’au dernier ont manqué à l’italien qui ne voudrait plus quitter le couvert des bras de la française. Elle doit le détester de se présenter à elle de cette manière, les joues encore enflées et les yeux hagards de fatigue. Le cou de Saül est probablement couvert d’hématomes et il n’y a pas un seul de ses muscles qui ne grince pas à chacun de ses mouvements. L’homme d’affaires se surprend presque à imaginer Ariane le traiter de vieux, encore. Il y a trop longtemps qu’elle ne s’y est pas risquée et pour une fois, l’italien n’en serait pas mécontent. La pique le fera peut-être rire, et probablement qu’il sera d’accord pour acquiescer que se battre à noël, cela sera bientôt de trop pour ses vieux os.

Alors, il ne l’embête pas. Elle l’a déjà presque dit comme tel, non ? « Trop tard j’ai dit. » Et de toute façon, s’il est là, autant que ça soit pour chambouler tout son emploi du temps à elle. Paris a des allures d’échappatoire idyllique. « Mon horaire déborde, oui. » « C’est comment, de signer des contrats toute la journée ? » Encore un sourire, un vrai, alors qu’il maudit le micro d’appel d’urgence qui les informe qu’ils seront bientôt sortis d’affaire. « T’as oublié tous les appels à faire à travers, et les courriels qui s’accumulent à l’heure où on se parle. » « Engage une secrétaire. Pour qui se prennent-ils, à t’appeler sur ta ligne personnelle ? » Des lustres qu’il ne passe plus ses appels tout seul comme un grand Saül, si bien qu’il a probablement oublié qu’au début d’une conversation, on dit "bonjour". « Y’a pas de musique, de toute façon. » « Tu n’as pas pratiqué depuis la dernière fois ? Quelle honte. » Lui non plus.

Le maudit ascenseur se remet en marche et déjà, des gens voudraient venir envahir l’espace. Un rire s’échappe d’entre les lèvres de Saül lorsque Ariane éconduit la meute qui s’apprêtait à passer les portes métalliques. Elle n’a pas changé, pas en deux mois, pas après la catastrophique soirée de remise des prix et pas non plus après l’épisode de l’aéroport. Elle n’a pas changé et elle rayonne, même sous les horribles lumières qui clignotent doucement. « Tu restes jusqu’à quand? » Jusqu’au moment où elle en aura assez de sa présence. « Le temps qu’il faudra. » Pour tout réparer, si c’est possible et faisable. « J’ai besoin d’un chauffeur, ce soir. » « Tu vas voir ton nouvel amant ? » qu’il raille, le ton grinçant et le sourire goguenard. Elle le fiche hors de leur nouveau territoire commun - il n’aura pas fallu beaucoup de temps avant que le froid ne s’empare des os de l’italien qui, faute de la tirer avec lui, fronce désormais les sourcils. « Attends-moi. » Toujours, désormais.

Mais pas là où elle l’aura demandé. Il faut environ cinq minutes à Saül de patience - un record - pour briser la promesse silencieuse et pour traverser la route. En face de l’hôtel, il y a encore des commerces ouverts. Saül ne prendra certainement pas de roses à Ariane. Ses yeux se promènent sur les lys, trop odorants et trop pompeux. La fleuriste n’a pas beaucoup de choix, mais c’est sur les amours en cage que se posent les yeux du quadragénaire.

Il a repéré que l’ascenseur s’était arrêté au huitième, alors c’est là que Saül décide d’attendre. Le couloir est immense mais Saül guette les portes qui daignent s’ouvrir, raide comme un piquet et bouquet en main. Elle a besoin d’un chauffeur mais elle pourra mettre le bouquet dans sa chambre. Lorsque enfin l’une des portes s’ouvre sur Ariane, Saül se dépêche de se planter sur le chemin de l’auteure. « Elles sont un peu moches. Ne rigole pas. » Elle, en revanche, a tout de la moitié dont il regrette encore le départ pour la capitale française. « Tu es magnifique. Il a de la chance, ton rencard. » le lourd qui raille, encore, le sourire définitivement accroché au coin du visage. « On peut le faire attendre un peu. Écris-lui qu’une affaire urgente a eu raison de ton temps. » Et l’urgence, c’est le baiser qu’il brûle de lui délivrer, par dessus le bouquet désorganisé qu’il serre encore entre ses doigts. Le couloir est silencieux mais Saül ne dérange pas sa tranquillité lorsque, penché à l’oreille d’Ariane, il murmure encore de quoi s’imposer dans son planning chargé d’auteure cotée, blablabla. « J’espère que je ne bousille pas l’idée d’un repas de famille la veille de noël parce que j’ai peut-être commandé à manger. » Il n’était pas si réussi, son dernier repas de famille à lui. « J’ai bousillé le repas de famille en Australie. Et puis Auden m’a bousillé le nez. » Elon s’est chargé de bousiller ce qu’il restait de l’estime que Damon pouvait avoir pour son père. Oups.

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Message(#)and the darkest hour is just before dawn | willer #35 EmptyMer 9 Déc 2020 - 19:41

Mon nouveau jeu préféré, c’est d’imaginer le nombre d’os que Saül a cassés sur celui dont l’identité va m’étonner – ou pas du tout. Mais c’était avant que je décide que de jouer à ça m’emmerdait, et que jouer à marquer ses avant-bras comme l’arrière de sa nuque de fines lignes rouges du bout des ongles était mille fois mieux. « C’est comment, de signer des contrats toute la journée ? » c’est l’enfer, même si ça veut dire que je suis invitée à des talkshows pour parler de mon bouquin, à des podcasts, à la radio. Même si ça signifie que les ventes vont bien et que d’office, les coffres se remplissent. « Je comprends ta passion pour les stylos maintenant. » c’est l’enfer pour moi comme ça le sera pour lui, l’égalité et tout, quand mes doigts dérobent un stylo qu’il cache toujours dans la poche avant de sa chemise. Les habitudes ne changent pas au profit de tout le reste, qui change. « Engage une secrétaire. Pour qui se prennent-ils, à t’appeler sur ta ligne personnelle ? » pourquoi est-ce qu’il est là, pourquoi est-ce qu’il me laisse le dernier mot? « C’est quoi ton tarif pour les insulter? » pourquoi à chaque baiser donné la priorité reste de l’attraper le plus vite possible au vol pour que le suivant ne soit pas le dernier?

« Tu n’as pas pratiqué depuis la dernière fois ? Quelle honte. »
« J’ai pas eu l’occasion. »

La dernière fois qui donne l’impression de dater d’il y a une vie déjà. Une vie, un aller sans retour, et Saül qui a l’air de pas avoir dormi depuis autant de temps. « Le temps qu’il faudra. » les portes se ferment, fort. « T’es si dramatique. » et elles se rouvrent, mieux. « Tu vas voir ton nouvel amant ? » quand il sort de l’ascenseur sous mon impulsion, y’a que mes mots qui restent, alors que ma silhouette repart à nouveau. « Amant, prof de valse, secrétaire ; il a tous les rôles sauf celui de conducteur désigné apparemment. » attends-moi.

La chambre est en bordel, j’évite les vases cassés et les cadres avec quand il a visiblement envie que j’ai un portrait plus clair et exhaustif de sa gueule en lambeaux sous les lumières claires et immaculées du couloir. « Elles sont un peu moches. Ne rigole pas. » « J’ai rien dit. » pour l’instant. Il fait un pas devant j’en fais pas plus un derrière. L’embrasure de la porte de ma chambre me convient, pour faire comme si. « Tu es magnifique. Il a de la chance, ton rencard. » comme si je voulais pas qu’il entre, comme si je doutais maintenant, comme si lui faire goûter à sa propre médecine semblait être la seule option possible. « Il a de la chance et il va détester que je sois en retard. » il existe pas, il sert juste de barricade, de blocage, de faux alibi. « On peut le faire attendre un peu. Écris-lui qu’une affaire urgente a eu raison de ton temps. » il c’est ma grand-mère et mes tantes, il reste ma seule stupide façon de me prouver que j’ai encore un peu de contrôle dans l’histoire. « C’est toi la secrétaire, écris-lui à ma place. » et mon portable que je glisse entre ses mains, avec ouvert à l’écran un numéro de mes contacts qui se rattache à Léo. La safe zone qui répondra à n’importe quel message d’un meme semi drôle semi insultant à la clé. La couverture sera sauvée.

« J’espère que je ne bousille pas l’idée d’un repas de famille la veille de noël parce que j’ai peut-être commandé à manger. il parle et il se désole Saül, mais il fait l’inverse. Quand son souffle se casse contre ma nuque à défaut d’être resté suffisamment longtemps contre mes lèvres, c’est un roulement d’yeux qui l’accueille alors que je sais très bien qu’un pas un seul de plus vers moi de sa part casserait tout. Il peut pas revenir aussi facilement, je peux pas le laisser faire aussi facilement, ça peut pas être aussi facile tout court. « J’ai bousillé le repas de famille en Australie. Et puis Auden m’a bousillé le nez. » évidemment qu’il lâche des bombes de partout comme si ça faisait le moindre sens. Évidemment aussi qu’il est venu ici parce que tout a explosé là-bas. Quand je pose la question, j’en connais déjà la réponse. « Il sait? » Cosimo. Sûrement. D’où les coups, d’où la fuite. D’où le fait que c’est une toute autre conversation qu’il commence lorsque je soupire encore. « Si t’as fait une erreur dans la commande t’es out. » qu’il reste, que j’utilise le sujet comme défaite, comme excuse parfaite. Je me décale, la porte et sa poignée me lacèrent le dos et ses restes de cicatrices de l’accident. Il ne verra rien. « J’ai besoin de quelqu’un pour s’occuper du ménage aussi. » un seul commentaire sur le contenu de la table basse qui s’étale, cassé à ses pieds, et là aussi, il est out.

Mes escarpins restent derrière, clés et sac à main pareil. Le parquet de la chambre craque, la vue à travers les rideaux donne sur un Paris en hiver, sur des grains de pluie qui tourneront à de la neige au fil de la nuit. « T’es venu parce que c’est trop le foutoir là-bas? » il trouvera pas d’alcool dans le minibar, il trouvera pas d’indice de qui que ce soit ayant pu monter dans cette chambre avec moi non plus. Cherche Saül, cherche bien pour voir. « Ou parce que t’as buté Auden et que tu veux mes meilleures techniques pour cacher le corps? » bien sûr que les bleus viennent des mains du cadet, sans surprise. Mes boucles d’oreilles rejoignent la table de nuit, elles m’emmerdent autant que mes mèches que je remonte en un chignon qui n’en a que le nom. Qu’il se pose où il veut, j’attends le repas qui me mettra en retard au creux des couvertures et des coussins de l’immense lit, barrières comme d’autres. « Une heure. Après on part. » le on qui prend la place du je. Et non, c’est même pas étonnant.

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Message(#)and the darkest hour is just before dawn | willer #35 EmptyVen 11 Déc 2020 - 13:17

« Je comprends ta passion pour les stylos maintenant. »
« Quand tu les rangeras par couleur, c’est toi que je traiterai de folle. »

Elle est attendrissante, cette vision. Saül voudrait la voir à l’oeuvre tout de suite, en grande femme d’affaires qui gère son immense fortune. « C’est quoi ton tarif pour les insulter? » « Ils payeraient pour entendre les insultes sortir de ma bouche. » qu’il chuchote, le sourire aux lèvres, entre un baiser et un autre. Elle aurait été parfaite dans un poste tout inventé pour elle, celui qui aurait requis la droiture et la confiance en soi des rois de la jungle, celui qui aurait consisté à virer les gens. Il l’aurait embauchée pour un poste factice, enfreignant toutes les lois du monde pour la placer à ce rang là si elle en avait vraiment eu envie. Ariane et Saül se seraient probablement entretués en travaillant ensemble. Tout cela n’importe plus, désormais. Paris d’avant non plus, n’importe plus. « J’ai pas eu l’occasion. » Pas plus que lui. Avec personne. Les seules valses qu’il aura dansé de sa vie furent probablement celles dansées pour son mariage - le premier - ou aux évènements qui demandaient une telle distinction. Tout cela est envolé, envolé définitivement depuis qu’il a quitté l’Australie.

Et à Paris, Saül y restera le temps qu’il faudra. « T’es si dramatique. » « J’ai appris de la meilleure. » La meilleure qui le pousse en dehors de ce territoire neutre d’où ils ne pouvaient pas s’échapper, d’où Saül n’aurait peut-être pas voulu sortir. « Amant, prof de valse, secrétaire ; il a tous les rôles sauf celui de conducteur désigné apparemment. » C’est un rire qui accueille les derniers mots d’Ariane alors que Saül se détourne vers le hall de l’hôtel.

Les fleurs qu’il ne ramène que quelques minutes plus tard ont l’air d’avoir vécu la guerre mais elles ont au moins le mérite d’être originales. Certaines petites lanternes tomberont bientôt, en fin de vie. « J’ai rien dit. » « Tu allais le faire. » Lorsqu’il fait un pas en avant, Ariane en fait un autre en arrière. La sérénité de l’ascenseur a déjà disparu et dans la chambre, ça sent autre chose que la paix du terrain neutre que Saül croyait trouver. Peut-être s’attendait-il aussi à ressentir les mêmes choses qu’au de Paris de la première fois. Ce Paris là avait un goût d’interdit. « Il a de la chance et il va détester que je sois en retard. » « Tu es Ariane Parker. » Saül voudrait lui rajouter le Williams avec lequel il pourrait l’embêter pour une vie entière, se retient au dernier moment. « Annule, repousse, reporte. » Leurs rendez-vous étaient importants, les soirs d’hiver qui suivaient le repas de famille catastrophique de l’année passée. Après tout, le rencard d’Ariane peut attendre. « C’est toi la secrétaire, écris-lui à ma place. » Le téléphone atterrit entre les mains de Saül, qui en fait presque tomber son bouquet. Léo, alors. Saül restera poli, n’écrira qu’un vague "Obligée de repousser à jamais" dramatique, pratiquement agrémenté d’un "va te faire voir" au passage. Le téléphone d’Ariane rejoint la commode à l’entrée de la chambre et c’est aussi là que Saül laisse le sien. Terrain neutre, donc.

« Il sait? »
« Tout le monde sait. »
« Si t’as fait une erreur dans la commande t’es out. »
« Je n’ai pas pris de sushis, tu es interdite de poisson cru. »

Le regard de Saül guette le ventre d’Ariane, ce giron qui porte la vie qu’il a aussi abandonné dans sa connerie. Cette vie que l’italien n’ose pas évoquer, pas encore très certain que sa présence ici soit pour le mieux - et soit surtout faite pour durer. « J’ai besoin de quelqu’un pour s’occuper du ménage aussi. » « Il te manque une massue, surtout. » Pour tout briser, ils n’en ont pas besoin. Ils sont assez grands pour s’occuper de tout casser eux-mêmes. Saül suit Ariane dans la chambre, le pas encore hésitant et les épaules voûtées. Ses doigts ont lâché le bouquet, déposé à la place de tous les objets envoyés au sol. « T’es venu parce que c’est trop le foutoir là-bas? » « C’est ce que tu crois ? » « Ou parce que t’as buté Auden et que tu veux mes meilleures techniques pour cacher le corps? » Alors elle se trompe et elle se trompe pour de bon, alors qu’il quitte Ariane des yeux pour poser ces derniers du côté des vitres froides, celles qui séparent la chambre de la pluie hivernale. Bien sûr que non, Saül n’ose pas affronter le regard de la française. Elle aura raison de le traiter comme un fuyard, elle n’aura pourtant que tort de penser qu’il n’est là que pour, encore une fois, tout arranger à sa sauce. « Je suis venu pour rester. Si tu ne veux pas de moi, je m’en irai. Tu n’as qu’un mot à dire. » Ou deux, sur le ton qui lui plaira. Elle est la seule personne qu’il a envie de voir et Auden aura probablement eu raison, en hurlant que personne ne peut supporter Saül plus d’une année. Ariane se lassera-t-elle bientôt ?

Lorsqu’il se tourne, ce n’est que pour la rejoindre sur le lit, assis du côté droit. Le côté gauche a toujours été celui d’Ariane, au final. « Mais je veux bien des conseils pour cacher un corps. » Bijoux et accessoires ou pas, Ariane n’a jamais été aussi belle qu’en cet instant, toute éloignée de lui qu’elle soit. « Une heure. Après on part. » « Après on part. » Un si petit mot n’a jamais autant procuré de soulagement à l’italien qu’à ce moment précis.

Le lit s’est transformé en buffet et évidemment que Saül a commandé des tartes aux fraises - quoi d’autre - pour agrémenter la soirée. Il a depuis longtemps ôté ses chaussures et sa veste, étendu de tout son long dans les oreillers. La distance avec Ariane est encore maintenue dans la limite du raisonnable et si l’on devait donner une unité de mesure pour cette dernière, elle serait probablement estimée à une tartelette, soit quelques centimètres. « Comment va le bébé ? » Alors, enfin, ils y viennent. Saül veut y venir, tout du moins, soucieux. « Comment va la maman ? » qu’il murmure plus bas, les yeux plantés dans ceux de l’auteure.

Et enfin elles viennent, les préoccupations. Les échos que Saül a entendu ces dernières semaines se bousculent et n’en peuvent plus d’attendre en silence. « Qu’est-ce que tu as fait, ces dernières semaines ? » Et qui as-tu vu, Ariane ? Le voilà, l’homme jaloux, qui ferait peut-être bien de s’excuser de son propre comportement avant d’interroger celui de celle qu’il crève d’envie de serrer dans ses bras jusqu’à manquer de tout, sauf de sa présence. Lui s’est occupé, ces dernières semaines, de tout briser et surtout les dernières miettes de ce qui pouvait ressembler à de la confiance ou de l’estime, pour ses proches. Il n’y a peut-être plus rien à briser qu’il n’ait pas cassé avec Ariane. « J’aimerais pouvoir être capable de te mentir en disant que je n’ai fait que des choses productives. » Mais ce n’est pas le cas.
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Message(#)and the darkest hour is just before dawn | willer #35 EmptySam 12 Déc 2020 - 15:39

Les fleurs sont belles et la couleur avec, même si elles font un brin pitié faut dire. Il est allé les acheter et rien que pour ça je me fais violence de pas rire, un fin sourire prenant marque sur mes lèvres à la place. Le pauvre gars s’est fait chier à chercher un fleuriste pas fermé aujourd’hui, un encore ouvert par malheur qui est tombé probablement sur ses commentaires acerbes et ses coups d'œil dédaigneux. Quel enfer depuis que Saül a mis le pied en France - pour eux.  « Tu allais le faire. » « Tu m’entends penser, toi? » pas pour moi. Moi qui le laisse entrer et moi qui me décale et moi qui constate ses blessures ouais. Moi qui ne vois que ça et que lui. « Tu es Ariane Parker. » apparemment. Williams s’est perdu entre deux océans, la montre et son alliance aussi. Alors les rumeurs étaient fausses - ou le sont, maintenant, à voir. « Annule, repousse, reporte. » « Et après tu te demandes pourquoi tes pions te détestent. » et pourquoi moi je l’aime. Le nombre de fois où il a mis en place la trinité des rendez-vous décalés rien que pour être avec moi est gênant de manque de professionnalisme, pour qui que ce soit sauf pour nous. Fût un temps, c’était un jeu de le voir laisser glisser des rappels de rencontres et des appels vers la boîte vocale rien que pour me caler entre ses bras, se perdre entre mes draps.

« Tout le monde sait. » « Comment il a réagi? » tout le monde m’emmerde, tout le monde lui a foutu des marques jusqu’au cou, tout le monde savait déjà de toute façon, selon sa liste exhaustive de la royauté ou de ce qui s’en rapproche. L’héritier par contre, lui, il savait pas. C’est de lui que je m’enquiers, j’ai pas le droit et c’est pas mes affaires et je l’ai pas rencontré et ça arrivera sûrement jamais anyways, mais j’en ai rien à battre. C’est lui qui doit être la cause de pourquoi Saül est parti. Lui d’ailleurs, je lui demande pas comment il va ni comment il l’a pris. L’évidence est ici. « Je n’ai pas pris de sushis, tu es interdite de poisson cru. » je souffle, je soupire, grogne encore. « C’est toi le pire, tout mon stock de tartare va puer la mort d’ici demain matin. » il me manque, son ordre abusif et sa suffocante autorité avec. Il le verra pas pourtant, ou à peine, le sourire qui creuse mes joues. Il veut pas le voir, sûrement.

Ma chambre est en bordel. « Il te manque une massue, surtout. » mais notre vie l’est encore plus. « Ici les trucs brûlent vraiment bien, et vite. Quelque chose dans l’air sûrement. » les trucs comme les clopes, comme les souvenirs, comme les pages et comme toute l’étendue d’éléments que j’ai pu griller depuis que j’ai emménagé à Paris sans date de retour. J’aurais jamais pensé que Brisbane me manquerait ; Saül par contre, c’est une autre histoire. Mais il fait chier, l’italien. Il me fait rager aussi, surtout. Il contrecarre tout et il reste à distance. L'ascenseur est loin, là, la ville nous regarde à travers les immenses baies vitrées. La ville a le dos large d’ailleurs, quand je cherche une raison de justifier le pourquoi du comment il est là. Il m'a pas retenue, non? Il m’a pas retenue et il est arrivé de rien, de nulle part, il fait comme si tout lui était dû et il est beau, je l’ai déjà dit? « C’est ce que tu crois ? » c’est ce que je veux croire, ouais. « Je suis venu pour rester. Si tu ne veux pas de moi, je m’en irai. Tu n’as qu’un mot à dire. » le lit que j’abandonne d’office, les boucles d’oreilles avec. Mes pas réduisent la distance entre nous deux, mes doigts se calquent de parts et d’autres de sa mâchoire, pour tourner son regard fuyant vers le mien. Non, je dirai pas le mot, ou les mots, ou une foutue de demande qu’il parte. S’il s’attend à ça, il attendra longtemps. Reste qu’on a attendu deux mois, là. C’est suffisant. Et ouais, j'insiste, et ouais, je reste muette. Le bleu contre bleu, le chaud contre froid électrisent, dramatisent. Lui, il choisit la droite. La gauche a toujours été à moi dans les petits caractères du contrat. « Mais je veux bien des conseils pour cacher un corps. » « Il est dans tes valises? » mais il en a pas, de valises. Il en a pas et il arrive et il s’impose et il peut prendre toute la place qu’il veut - n’en reste que je ne sais plus quelle est ma place à moi, dans tout ça. Pour le moment elle est sous les draps et les coussins. « Y’a sûrement un briquet qui traîne pas loin. » et les affaires de Jet, aussi, accessoirement. « Après on part. » après on se tire ouais. Il voudra partir Saül, quand il saura. Me voilà nocivement à me raccrocher à ça.

Et le lit, il n’est pas investi que par lui et moi, il l’est par l’entière totalité de ce que les restaurants livrant toujours à cette heure ont été en mesure de nous offrir.
« Comment va le bébé ? » mieux.
« Comment va la maman ? » hum.
« Qu’est-ce que tu as fait, ces dernières semaines ? » Saül.
« J’aimerais pouvoir être capable de te mentir en disant que je n’ai fait que des choses productives. » on en est là?

On en est là, lui qui veut dire un truc et moi aussi. Sa silhouette est à une distance de merde de la mienne, nous dirons que c’est pour garder les esprits de s’échauffer. Nous dirons que c’est pour pas se rappeler de devoir reprendre notre souffle si on est trop occupés à être des adolescents près à se suffoquer tant on s’embrasse. L'ascenseur est loin, on a dit. « Je t’aime encore ça a pas changé. » mes doigts se chargent de dégager les dernières tartelettes de ses pattes, visant la croûte quand je lui laisse le centre. « Ça. » insister est chiant, insister est lourd. Insister est nécessaire, aussi. « Le reste par contre tu voudras pas l’entendre. » j’ai le mérite d’être claire même si je sais que lui non plus n’a pas envie de mentir. On s’est fait assez de mal, là-bas. Ce serait bien qu’à Paris la dynamique change pour une fois. Comme d’habitude. « Mais je veux te le dire. » les assiettes servent à rien et je les dégage dans un geste et un autre. L’impression de déjà vu des hôtels investis remontent, celle de sentir sa proximité avec. « Deal quand même? » deal quand même, alors que j’attends pas qu’il dise quoi que ce soit pour prendre son bras, le forcer autour de mes épaules. Forcer est un terme vague, relatif. Il est comme une poupée de chiffon Saül, il est cassé de l’extérieur comme de l’intérieur.

« Jet est venu. » il le sait, il le sait je serais prête à parier. « Ici. » j’ai pas de compte à lui rendre pourtant je lui rends tout ce qui me reste. C’est dramatique mais c’est logique, et mes doigts trouvent les siens comme si l'ascenseur était pas juste un brumeux, ou nuageux souvenir. « C’est fini, on avait besoin d’une conclusion une bonne fois pour toutes et on l’a eue. » qu’il prenne pas ses aises ici Saül, je sais qu’il voudra partir. Je sais qu’il voudra tester la théorie et brûler tout sur son passage, aussi. « Ça m’a fait l’effet d’une claque à la gueule parce que si c’est fini avec lui ça l’est pas avec toi. Pas pour moi en tout cas. » malgré tout ce que j’ai pu dire, à l’aéroport. Malgré tout ce que j’ai pu dire après, tout autant qu’avant aujourd’hui.

Il t’a posé des questions, Ariane. « Le bébé va bien. Je sais pas le sexe encore, t’es pas le seul qui comprend pas que je veux attendre. » j’ai entendu le cœur, deux fois. Il était pas là autant que j’ai envie de croire que pour les prochaines fois, il le sera. « Avant de le savoir. Le sexe. Pas le reste. » le reste qui a été vivotant, le reste que j’ai bousillé à coup de vin, de cigarettes et de mauvais choix. Depuis, j’ai fait gaffe, depuis, j’ai assumé. « Je veux le garder. Je peux le faire toute seule. T’es pas obligé de te mettre la pression de rester. » c’est con, c’est stupide, c’est ridicule, de vouloir l’entendre qu’il assume, lui aussi.


Dernière édition par Ariane Parker le Lun 14 Déc 2020 - 4:07, édité 1 fois
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Message(#)and the darkest hour is just before dawn | willer #35 EmptySam 12 Déc 2020 - 23:37

« Comment il a réagi? »
« Mal. Mon cou s’en souvient encore. »

Il a serré fort, le gamin que rien n’a empêché de tout retourner sur son passage. Il aura fallu Anastasia et le peu de volonté de Saül pour le faire lâcher prise, avant la fuite de ce dernier. Auden aura été rapide en besogne, pour achever la soirée en beauté. Saül a presque honte de retrouver Ariane ainsi, tout cassé qu’il est, alors que tous les mouvements qu’il peut exécuter lui font grincer des dents. Elle est splendide, Ariane, dans sa robe du soir qui sied évidemment à Paris. « N’en parlons pas ce soir. » Ce soir est une autre paire de manches, une autre sorte de bataille à mener. Les tartelettes aux fraises feront assurément office de calmant. « C’est toi le pire, tout mon stock de tartare va puer la mort d’ici demain matin. » « Il était temps que je vienne, pas vrai. » qu’il pique, sourire aux lèvres alors qu’elle se plaint. Elle est jolie aussi quand elle râle et cette moue là est probablement celle qui a manqué le plus à l’italien.

La pièce est un champ de bataille, Saül s’y sent moins bien que dans l’ascenseur. Pourtant, les chambres d’hôtel ont toujours été leur territoire de prédilection, leur bulle à eux et surtout lorsqu’il était question de Paris. « Ici les trucs brûlent vraiment bien, et vite. Un truc dans l’air sûrement. » Il y a des objets que Saül ne reconnaît pas, des feuilles qui ne sont pas raturées de la main de l’auteure. Probablement des contrats, quoi d’autre ? Oh, qu’il ne s’intéressera pas à ce morceau là, préférant éluder les questions qui lui viennent en tête. Saül n’a jamais été un excellent diplomate, mais a toujours parfaitement su se protéger de ses propres doutes afin de s’éviter de douloureuses constatations. Il s’en ira si elle en manifeste l’envie, peut-être occupée avec un autre. Un autre qui porte un nom que Saül se refuse à penser, soudain concentré sur la pluie légère qui s’abat sur les vitres. Il a les mains dans les poches lorsque Ariane se lève, lorsqu’il l’observe en silence, jusqu’au moment où il peut enfin lui voler un baiser. Alors, il ne partira pas - pas ce soir, du moins. « Il est dans tes valises? » Lesquelles ? « Y’a sûrement un briquet qui traîne pas loin. » « Entre autre chose. » qu’il ose souligner en se glissant du côté droit du lit.

Les tartelettes font un bel effet, meilleur que le bouquet qui traîne piteusement du côté des affaires éparpillées. Elles ont le mérite de garder éloignée la tempête qui menace à chaque instant, au moins jusqu’à ce que Saül ne ramène le sujet qui fâche sur la table. « Je t’aime encore ça a pas changé. » Il ne la lâche plus des yeux, désormais, alors qu’elle s’est imperceptiblement rapprochée - à moins que cela ne soit son mouvement à lui et voilà qu’il les confond déjà, absorbé. « Ça. » « Ça. » qu’il répète, pas certain d’avoir envie d’entendre la suite. « Le reste par contre tu voudras pas l’entendre. » « Non. » Parce qu’il sait déjà, en partie. Sa tête s’est échouée contre un oreiller. Quelque chose en lui voudrait déjà tout casser, à commencer par les vitres et les meubles encore en ordre. « Mais je veux te le dire. » Il n’est pas prêt à entendre, se prépare pourtant à écouter. Ariane se rapproche et Saül lui fait toute la place nécessaire, ouvrant ses bras comme un réflexe. « Deal quand même? » Elle sait, quand il ne répond pas mais qu’il referme ses bras sur ses épaules, lorsque son menton se pose sur le sommet de son crâne et qu’il inspire, fourbu mais heureux, le parfum qui lui a tant manqué ces derniers temps. Cet instant précis a quelque chose d’un temps passé, réconfortant et terriblement empreint de bonheur. Saül sait que désormais, rien de ce qu’elle pourra dire ne lui fera quitter la paix qu’il a retrouvée contre elle, paix qu’il ne voudra plus quitter, jamais. Pas sans elle.

« Jet est venu. » Évidemment.
« Ici. » Bien sûr. Le lit devient soudain moins confortable et elle a raison de lui parler de briquet, lui qui voudrait tout brûler en cet instant précis. Le sentiment de paix ne quitte pourtant pas Saül, que l’âpre colère guette, tapie tout au fond de lui.
« C’est fini, on avait besoin d’une conclusion une bonne fois pour toutes et on l’a eue. » Quelque chose d’égoïste hurle qu’elle ne devrait pas avoir eu besoin de ça pour savoir. Ils ont fait pareil, au fond, lui avec son morceau de vie d’avant et elle avec Jet. Ils ont fait pareil et ils se retrouvent sur le chemin, c’est tout ce qui importe. C’est tout ce que retiendra Saül, du moins.
« Ça m’a fait l’effet d’une claque à la gueule parce que si c’est fini avec lui ça l’est pas avec toi. Pas pour moi en tout cas. » « Pour moi non plus. » Ses doigts distraits jouent avec les cheveux d’Ariane, ceux qui étaient coiffés avant qu’elle ne se laisse tomber ici, au creux de ses bras. « Je ne voulais pas te donner l’impression que c’était le cas pour moi. » Et trois, deux, un, qu’elle soit bien attentive. « Je suis désolé. Vraiment désolé, pour tout ça. » Les mots ne lui arrachent pas la langue, pour une fois. C’est d’un baiser qu’il vient en marquer la sincérité, même si ses lèvres piquent encore des coups laissés la veille, ombre au tableau.

« Le bébé va bien. Je sais pas le sexe encore, t’es pas le seul qui comprend pas que je veux attendre. » « On attendra tout ce que tu voudras attendre. » On, qui remplace désormais toutes les formules dans lesquelles elle se retrouvait seule pour faire face. Elle n’a jamais mérité de se retrouver dans la tempête toute seule. « Avant de le savoir. Le sexe. Pas le reste. » Alors, elle est toujours aussi sûre. « Je veux le garder. Je peux le faire toute seule. T’es pas obligé de te mettre la pression de rester. » C’est à son tour à lui de planter ses yeux dans ceux de la française, le regard fatigué mais brillant de certitude. « Je ne pars plus nulle part. Je veux de cet enfant et par dessus tout, je veux qu’on l’élève ensemble. » Au moins, ces mots-là sont clairs et ne passent par aucun chemin détourné. Il a été un père nul, Saül. Un mari terrible, par deux fois. Un fils brillant en apparence seulement, un frère médiocre. Il aura aussi réussi à briser la confiance d’Ariane dans le lot. A son tour, donc, de tenter de restaurer ce qui pourrait l’être. Elle transformera peut-être son je peux en je veux après ça. « Je n’ai pas quitté l’Australie pour les fuir eux, je l’ai quittée pour te retrouver toi. » Et il y a en Australie tout un morceau de son existence qu’il met, alors, derrière lui et pour toujours. Certains morceaux seront assurément à restaurer si cela est possible, mais Damon ne sera probablement pas approchable avant un moment. « Je vais signer les papiers du divorce. Plus rien n’est en pause, si jamais tu en doutais. Rien n’a jamais vraiment été en pause autrement que sur le papier. » Pour les apparences, encore. Mais le dîner de famille les a toutes faites voler en éclat, de toute façon. Il n’y a plus rien à cacher - presque plus rien à cacher - à qui que ce soit. « Je veux rester auprès de toi. Auprès de vous, bientôt. » Ses doigts osent, se risquent à quitter ceux d’Ariane pour retrouver le giron de cette dernière. « Je t’aime encore, ça n’a pas changé. » Toujours, ça ne changera jamais.

La pièce, Saül a pourtant toujours autant envie de la brûler. Ses lèvres se sont posées sur le front de l’auteure et c’est un sourire qui a repris place sur son visage aux traits tirés. « On s’en va. Où tu veux, mais on s’en va. » L’imaginer ici, lui, l’autre incompétent musicien, le raté, le pire qu’arrogant, c’est de trop. « Je peux nous trouver un appartement. » De quoi achever ses dernières économies avant de toucher au compte d’urgence. Elle a peut-être compris pour ça aussi, Ariane. Elle est probablement tout ce qui lui reste. « Comme ça, je pourrai faire du tiramisu. » Comme ça, aucun risque de croiser l’autre connard à l’improviste, aussi - note de la rédaction : haha - parce que la paix ne tient qu’à un fil et ce dernier est vraiment très, très mince. « Et si on rentre, c’est à deux. » Mais le départ, Saül ne veut pas l’évoquer. S’il avait pu, il serait resté à Paris pour l’éternité, auprès d’elle - mais pas dans ce lit.
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Message(#)and the darkest hour is just before dawn | willer #35 EmptyLun 14 Déc 2020 - 4:07

Et j’y pense même pas, à faire la lâche et à rien dire de rien. Ç’aurait été facile. De brûler les preuves de la présence de Jet ici, de le foutre dans le premier avion en lui disant que je lui en devrais une pour la vie - ou au moins jusqu’à ses 50 ans. Ç’aurait été facile de faire la morte et d’effacer les dernières semaines rien que pour avoir un tableau impeccable, immaculé comparativement à celui peu glorieux de Saül. J’avais l’occasion là juste là d’avoir un sans faute à ses yeux et d’être enfin autre chose que la vilaine dans l’histoire ; mais le truc, c’est que j’y pense même pas. Mes yeux sont calés sur ses fleurs, celles qui font office de drapeau blanc - rouge - celles qui viennent avec lui et tout son bagage quand ironiquement il n’a aucune valise. Tant qu’à saboter tout le reste ; on part de rien là, de toute façon. Autant faire les choses bien. « Pour moi non plus. » c’est pas fini, c’est pas fini et ses doigts tirent même pas mes cheveux, et il y fait même pas de nœuds. C’est pas fini pour moi, ni pour lui. « Je ne voulais pas te donner l’impression que c’était le cas pour moi. » ouais ben t’as été particulièrement convaincant dans ta mise en place et dans ta mise en scène et rien que d’y penser mes doigts à moi ont envie de quitter les boutons de sa chemise qu’ils comptaient en oubliant les nombres rien que pour ajouter un hématome ou un autre de plus à son cou, y’en manque à gauche et tiens, aussi à droite et -

« Je suis désolé. Vraiment désolé, pour tout ça. » - et ta gueule Ariane, écoute un peu. « On a merdé fort, cette fois-là, hen? » on a merdé, on comme dans j’ai pas été meilleure que qui que ce soit. Il a été plus vocal, j’ai été plus hypocrite. Il a été all over the place, j’ai joué au serpent à la moindre occasion. On fait une équipe impeccable et on le savait déjà, autour d’une table de poker du moins. Voilà que pour se détruire on a fait un boulot d’enfer comme collaborateurs.

Mes jambes ont depuis longtemps abandonné la moindre possibilité que les siennes soient sur le dessus, ou sur le dessous, je sais plus. Elles sont emmêlées et c’est apparemment la seule chose qui compte en l’instant. Ça et le fait que ni lui ni moi ne brûle quoi que ce soit. Je pense que je l’ai jamais entendu chuchoter autant, et moi pareil. « On attendra tout ce que tu voudras attendre. » on attendra parce qu’on a le temps de, plutôt. Le temps de confondre ma silhouette à la sienne, le temps de piquer la dernière bouchée d’une tartelette aléatoire rien que pour égarer mes lèvres contre les siennes et les miettes sucrées avec.

« Je ne pars plus nulle part. Je veux de cet enfant et par dessus tout, je veux qu’on l’élève ensemble. Je n’ai pas quitté l’Australie pour les fuir eux, je l’ai quittée pour te retrouver toi. »
« Redis-le encore une fois. »

Ariane l’égoïste, Ariane l’exigeante, Ariane l’épuisée. Ariane qui vient de se décaler pour redresser mon regard et rattraper le sien, la demande qui sonne immature et enfantine pour qui que ce soit d’autre, essentielle et vitale pour maintenant et tout de suite. Il a mis du temps à le dire, il a mis du temps à le montrer et j’en ai mis du temps à le croire. S’il le répète, je le croirai encore plus. Il le sait autant que moi, le baiser qui est volé entre ne fait que sceller le contrat. Parlant de papiers sérieux d’adultes et blablabla. « Je vais signer les papiers du divorce. Plus rien n’est en pause, si jamais tu en doutais. Rien n’a jamais vraiment été en pause autrement que sur le papier. » je sais plus trop, quand les desserts et l'infinité d’assiettes sont devenus obsolètes et que mon index et mon majeur se sont mis en tête d’aller enserrer son poignet, le gauche. Ils jouent et ils se ferment, s’ouvrent et se referment encore. « J’ai des stylos, si tu veux. » et la montre, j’aimerais l’avoir aussi. Plus rien n’est en pause aujourd’hui. « Je veux rester auprès de toi. Auprès de vous, bientôt. » sa main est bouillante à Saül, sur mon ventre. Le pan de ma robe et les draps ont sauté, lorsque de ma paume j’ai faufilé la sienne directement là où il sentira la vie, un jour ou l’autre. Les premiers coups n’ont pas encore été donnés, mais ils disent que c’est normal, les médecins. Ça viendra - et pour ça aussi, on peut attendre. « Je t’aime encore, ça n’a pas changé. » « Copieur. Sois plus créatif dans tes déclarations, la prochaine fois. » je sais pas si ça, il l’a entendu. C’est que de souffler des insultes contre ses lèvres que j’ai retrouvées des miennes est pas la tactique la plus efficace pour l’envoyer chier. On dirait presque que j’ai adouci la technique, là aussi.

Il bouge pas et pourtant ses mots proposent autrement. « On s’en va. Où tu veux, mais on s’en va. » « Il est encore à Paris. » le détail qui mérite mention sans qu’il n’en doute une seule seconde. Qu’il sache que Jet sera là à un moment ou à un autre, qu’il prépare sa patience légendaire ou pas. J’ai appris à arrêter de faire les choses salement, avec tout le monde finalement. « Je peux nous trouver un appartement. » « Je m’en occupe. Faut que ça serve, les contacts. » il connaît pas les quartiers, il connaît pas les loyers. Il connait pas le coin et je connais les restes de ses poches - vides - grâce à la grande gueule de celle qui signera ses papiers homologues, et ses messages sans équivoques. Les informations se passent vite, d’un océan à l’autre. « Comme ça, je pourrai faire du tiramisu. » « Et je pourrai encore m’assurer que tu le rates. » encore longtemps.

« Et si on rentre, c’est à deux. »
« On rentrera pas. »

Je précise, claire et simple. S’il avait un doute ou s’il se cherchait un discours de sortie, le voilà qui vient de s’envoler en même temps que les couvertures que j’ai battues de mes pieds. On partira pas parce qu’il n’y a rien en Australie qui vaut la peine pour l’heure. Ni pour lui ni pour moi. « J’avais dit “une heure”. Tu fais chier à être toujours à temps. » mes yeux quittent les siens rien que pour jeter un coup d'œil au cadran sur la table de nuit, celui que je pensais avoir débranché dans un élan machiavélique comme un autre. Non, ça c’était dans notre autre version de Paris. « Hey. » ça aussi, de mes doigts qui se referment sur le col de sa chemise à la pression qu’ils mettent pour le rapprocher avant qu’il se tire du lit. « Embrasse-moi. »

Et la nuit est pluvieuse, un temps. Il fait froid pourtant, la pluie restera pas au profit du vent. La brise elle, se casse sur mes joues, sur les siennes. Il est déjà glacé Saül, et je bouille un peu plus, un peu mieux. Les habitudes sont retrouvées. « Faut juste faire un arrêt, genre deux secondes. » il était censé jouer le chauffeur mais apparemment marcher était une possibilité. C’est Sophie qui a fait aller son annuaire à cette heure, et qui nous a trouvé une place au-dessus d’une des libraires où elle a choppé la propriétaire y’a des semaines déjà. Un appartement de bonne comme un autre, à l’étage, qu’on laisse derrière nous parce que sa vue vers les quais est trop clichée pour qu’on en abuse pas. Ma main le tire, le tire jusqu’à ce qu’il râle ou que j’anticipe qu’il le fasse. Il râle pas Saül, ou alors on râle à deux. Il a rien à râler d’ailleurs, compte tenu du fait que j’ai encore ses fleurs entre les mains. Le reste de mes affaires est à l’hôtel, j’en ai pas besoin.

« Si tu m’écrases les orteils, glace ou pas tu finis direct dedans. » à son oreille que je chuchote, pilant moi-même sur ses pieds pour m’y hisser. Pas besoin de pointer la Seine pour qu’il sache, pas besoin qu’on ait l’occasion ou qu’il y ait de la musique pour qu’on valse. Et la nuit était pluvieuse, un temps. Jusqu’à ce que le premier flocon vienne se casser sur son épaule, le second sur ma joue.
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