Il y a de ces périodes où on a juste l’impression que tout s’enchaîne et que le sort s’acharne sur vous. Il est de cette période pour moi. Je suis assisse dans mon canapé, la télécommande à la main entrain de passer d’une chaîne à l’autre sans grand intérêt. Mon regard ne fixe pas l’écran mais le vide. Le vide que je ressens depuis que mon meilleur ami a quitté l’appartement suite à une grosse dispute… Ou encore le vide que je ressens parce que j’ai coupé les ponts avec deux personnes à qui je tenais. Geo et Alec. Une paire que je n’aurais jamais pu penser compatible et pourtant, c’est dans cette allée que j’ai découvert leur relation, tout deux appartenant à un gang de la ville appelé le Club. C’est là aussi où j’ai découvert leurs vrais visages… Surtout le sien. Jamais je ne l’avais vu dans un état pareil. Les coups portés à Geo m’ont fait froid dans le dos, les paroles qu’il a eues à son encontre tout autant. Il était prêt à en découdre, il était prêt à l’envoyer six pieds sous terre. Ses menaces, sa poigne lorsqu’il le tenait et lui envoyait les coups m’ont fait vaciller. J’ai assisté impuissante à tout cela et la scène ne cesse de me revenir dès que je n’ai pas l’esprit occupé. Effrayée. C’est ainsi que je me suis sentie en le voyant agir envers Geo. Une colère, une rage indéfinissable dans laquelle je ne l’avais jamais vu. Même avec moi, et pourtant, il y en avait eu des tensions entre nous. Plus d’une fois… Je ne le connaissais pas si bien que ça finalement… Et c’est ce qui fait le plus mal. De me dire que j’ai été trompé sur toute la ligne le concernant, que j’ai cru avoir trouvé celui qui me rendrait peut-être heureuse… Stupide. C’est ainsi que je me trouve quand je repense à cette relation dans laquelle j’ai eu espoir. C’est ainsi que je me sens quand, malgré toutes ses fuites et toutes les déceptions, je reste attachée à lui et que son absence me ronge. Parce que je lui ai demandé. Je ne veux plus le voir. Jamais. Je repense alors à son comportement ce jour où, derrière son restaurant, j’ai découvert son secret. Celui dont il a essayé de me tenir éloignée. Sa réaction a été de fuir comme toujours. Pas une parole, pas un geste, pas un regard. Rien. Strictement rien. Il n’a pas jugé utile de tenter de s’expliquer ou de tenter de me retenir. Il a fui, illustrant à la perfection le lâche qu’il est et qu’il restera à mes yeux… Déçue, triste, brisée. C’est ainsi que je suis.
Je sursaute. Quelqu’un frappe à la porte alors que je n’attends personne. Je me dirige alors vers celle-ci, ne prenant pas la peine de regarder par le judas pour voir qui pouvait bien être derrière. J’ouvre et mon cœur manque un battement. Mon regard s’assombrit en voyant Alec… « Ferme pas la porte Mia. S’il te plait. ». Pourtant, c’est l’unique chose que j’ai envie de faire en le voyant là. La porte est semi-ouverte et prête à se refermer à tout moment. « Je… ». Les mots ne semblent pas sortir. Je reste silencieuse et de marbre face à lui. Je ne sais pas quel est le but de sa visite mais je n’ai pas envie qu’il se contente d’un je suis désolé, qui n’a plus lieu d’être… C’était trop tard… « Je te ferais pas de mal. Tu le sais ça ? ». Mon sourcil se arque, j’ai l’impression qu’il se fiche un peu de moi sur le moment « Le mal est déjà fait Alec » je lance alors fermement. Il m’en a fait et il m’en fait encore malgré tout rien qu’en se tenant devant ma porte. Parce que plus rien ne sera comme avant, parce que je serai incapable de lui pardonner ses mensonges et accepter le monde dans lequel il vit. Et d’y penser me déchire encore plus le cœur parce que celui-ci s’accélère malgré tout en sa présence. « Je suis désolé Mia » il lance alors en posant son regard dans le mien. Des frissons parcourent mon corps alors que ma gorge se serre. Non, je ne peux pas accepter de simples excuses… Ce n’est pas suffisant… « Ca n’a plus d’importance maintenant ». Mon ton est las car épuisée de tout ça. Et surtout parce que ça ne changera rien entre nous. Les déceptions à son égard sont trop nombreuses pour que je puisse passer outre. J’essaye de ne laisser rien transparaitre, tente de rester forte face à lui pour ne pas lui montrer que tout cela me fait du mal… « Je le pensais quand je t’ai dit que dans une autre vie je ne t’aurais jamais laissée partir ». Et là, ce sont les mots de trop. Les mots qui font que la porte se referme inévitablement sur lui parce que je ne peux pas l’entendre me dire ça à nouveau. Pas quand je sais qu’il n’y aura aucun retour en arrière possible. Pas quand je sais qu’il n’y aura plus jamais de nous envisageable. Pas après ce que j’ai découvert. Et alors que je pensais encore une fois qu’il allait certainement partir et alors que j’ai atteint le comptoir de la cuisine sur lequel je me suis appuyée pour reprendre mon souffle, Alec entre. Je me retourne alors et m’approche de lui « Comment tu peux te permettre de me dire ça à nouveau Alec ?! ». Surtout en sachant la répercussion que ces derniers mots ont eu sur moi, m’amenant à me raccrocher à lui, à l’espoir que peut-être, tout n’était pas fini entre nous. Je m’approche davantage de lui, lui soutenant le regard, le ton de la colère reprenant le dessus « Pourquoi tu es là ? Pour essayer de me convaincre que tu n’es pas un monstre ? » Parce que les images de lui dans cette allée avec Geo resterait sûrement ancrée à tout jamais « Ou pour me faire croire qu’il y a encore de l’espoir entre nous ? Pour mieux fuir ensuite et te comporter comme un lâche ? ». Mes mots sont durs, mon regard l’est tout autant, méprisant. Et pourtant au fond, j’ai envie de crier mon désespoir d’en être arrivé là avec lui « Ou alors pour enfin être honnête avec moi ?! ». Parce qu’il y a eu trop de non-dit et que désormais, il n’avait plus aucune excuse pour fuir.
Alec ne fuit pas cette fois. Non à la place il retient la porte que j’ai tenté en vain de lui fermer au nez. Je ne suis pas prête à l’entendre. Surtout lorsqu’il utilise des mots qui ont eu tant de répercussions sur moi, qui m’ont laissé penser que tout était encore possible entre nous. Des mots aussi qui ont pris tout leur sens quand j’ai découvert qu’il appartenait au Club… Dans une autre vie… Un espoir qui s’écroule et qui ne fait que creuser un peu plus cette sensation de tomber encore plus bas à chacune de nos rencontres. Alors il entre quand même dans l’appartement, sans permission. Mais cela est le cadet de mes soucis finalement. Je l’affronte tout de même, son regard planté dans le mien. Il me laisse m’exprimer sans mot dire. Et ce silence me pèse encore, un silence que je ne supporte plus parce que j’ai besoin qu’il réagisse, qu’il dise quelque chose. Peu importe quoi je veux juste l’entendre répondre à mes questions ! Je le qualifie de monstre, et cela semble le toucher au vue de sa réaction. Pourtant, aucun mot ne sort encore d’entre ses lèvres. Mes questions s’enchaînent et il semble encaisser ma colère. Tout simplement.
« A quoi tu t’attendais Mia ? Comment tu crois que j’aurai pu te le dire ? Je sais pas moi pourquoi pas à la libraire quand on s’est revu j’aurai pu te dire « Oh au fait, avec mon frère, on est à la tête d’une organisation criminelle, toujours partante pour venir manger chez moi ? ». Mes sourcils se froncent, mon regard s’assombrit davantage, mes mains venant se poser sur mes hanches. Ma colère grandit alors qu’il ose être sarcastique « Tu es de mauvaise foi Alec ! Tu aurais pu être honnête à partir du moment où ça a été plus qu’une histoire sans lendemain entre nous. Maintes fois tu en as eu l’occasion. Et encore plus lorsque je t’ai demandé de me dire la vérité lors de Diwali ». Je ne supporte pas qu’il ait pu me mentir à ce point, qu’il n’ait pas voulu me dire la vérité alors que j’avais l’impression de compter pour lui. Il s’approche alors un peu plus de moi, quelques centimètres à peine nous sépare. « Tu penses que c’est facile ? Tu penses que ça a été facile de te quitter en août, de te laisser à l’hôpital ? De me barrer de cette allée ? » « C’est l’impression que tu m’as donné à chaque fois Alec » je réponds alors du tac au tac. Il a beau hausser le ton, il ne m’effraie pas pour autant. Malgré cette image de lui dans cette allée, d’un homme violent, il ne me fait pas peur. Je ne serai jamais effrayé devant lui car au fond, je me disais qu’il ne me ferait aucun mal physiquement, pas s’il tenait à moi comme il a su le prétendre à plusieurs reprises… « Tu crois que c’est quoi les choix que j’avais ? Rester avec toi et te mentir ? Te dire la vérité et arriver à cet exact résultat avec toi qui me regarde comme si j’étais la pire personne sur terre ? ». Je commence à ouvrir la bouche pour parler et finalement rien n’en sort. Parce qu’il a peut-être raison au fond. Quelle était la solution ? Est-ce que s’il me l’avait dit lui-même cela aurait changé les choses entre nous ? Je baisse le regard, soupire et murmure alors « Tu n’en sais rien ». Mes yeux se posent à nouveau sur lui « Tu ne m’as pas laissé cette possibilité finalement, comment tu peux le savoir ? ». Mon ton reprend le chemin de la colère au fur et à mesure des mots. « Et tu sais quoi ? Ce n’est pas le fait que tu appartiennes à ce gang qui m’a le plus déçu. C’est cette violence que tu as eu envers Geo, ces coups, ces mots que tu as pu prononcé à son encontre. Si je n’étais pas intervenu, qu’est-ce qui se serait passé Alec !? ». J’approche encore et encore sans m’en rendre compte, peut-être pour l’obliger à parler, à ne pas fuir, à répondre à ma question.
« Si je le sais Mia… Il n’y a aucun monde où tu aurais accepté ce que je fais ou les gens que je fréquente et au fond tu le sais… ». Il trempe dans des affaires illégales, et j’en ai désormais le cœur net. Je n’ai pas voulu y croire lorsque Danika m’a mis sur la piste. Mais l’évidence était devant mes yeux, même lorsque j’ai eu accès à ces rapports de police qui citaient le nom de son frère… et le sien aussi, même s’il n’avait pas été inculpé comme lui pour ce trafic de stupéfiants à l’arrière du restaurant. La confirmation devant mes yeux, lorsque je l’ai vu dans cette ruelle avec Geo, parlant sans filtre de leur implication dans l’organisation criminelle, avait été comme une chute de plusieurs étages pour moi. Jamais je n’aurai pensé ça de lui. Alors oui, cette vérité me fait mal, cette vérité est difficile à avaler pour moi. Et il a sûrement raison. Au fond je le sais… Je ne pourrais jamais accepter d’être avec lui en le sachant investi dans le Club… Je ne réponds rien alors face à son affirmation… A la place, j’enchéris en disant que ce qui m’a le plus marqué reste l’image violente qu’il a renvoyé dans cette allée. Sa capacité à perdre son sang froid en une fraction de secondes, se transformant à un homme inconnu à mes yeux. L’impression d’avoir été dupée sur toute la ligne. Alors je lui demande jusqu’où il aurait été capable d’aller si je n’étais pas intervenue « J’en sais rien. Probablement rien. Il est doué dans ce qu’il fait ». Ce haussement d’épaules, cette indifférence face à cette situation que j’ai trouvé grave m’horripile. Probablement n’était pas suffisant à mes yeux pour me convaincre qu’il n’aurait pas été capable d’aller plus loin. Pour lui, frapper quelqu’un, menacer une personne semblait être comme monnaie courante et sans importance « Je rêve ». Je laisse échapper alors. Mon regard méprisant réapparait à nouveau, écœurée par son comportement. Il s’écarte alors « T’étais pas censée voir ça. Je peux pas te dire que c’est pas moi Mia. Parce qu’il y a une part de moi qui est comme ça ». Mon regard se reporte sur lui sur ces derniers mots. Il m’avoue qu’il y a une part de violence en lui, le reconnait ouvertement. Et je vois ce regard triste sur son visage qui me pousserait à lui demander pourquoi… qu’est-ce qui pouvait expliquer qu’il soit ainsi ? Mais je n’en vois pas l’intérêt quand je sais qu’il ne me répondrait probablement pas et qu’il n’en savait peut-être rien au fond… Puis, à quoi bon aussi quand je me disais que cette partie de lui, je serai sûrement incapable de l’accepter quand j’ai pu voir à quoi elle ressemblait et qu’elle m’avait effrayée malgré tout ? Il refait un pas vers moi, et je remarque cette main qui se soulève, qui souhaite m’attraper comme pour appuyer les paroles qu’il s’apprête à prononcer, mais qui n’y parvient pas « Mais le reste, comme j’étais avec toi… C’est moi aussi. C’était pas un mensonge ». Un pincement au cœur se manifeste inévitablement. La tristesse peut se lire sur mon visage. Tristesse du fait qu’il y ait cet attachement des deux côtés malgré tout. Je le sais au fond, que ce n’était pas que du mensonge, que ce n’était pas juste que du bon temps entre nous. Qu’il y aurait pu avoir plus. Mais tout cet espoir que j’avais porté dans cette éventuelle relation avec lui était réduite à néant désormais. Et cela faisait encore plus mal. Je ravale difficilement mais je m’interdis de flancher, et m’efforce de repenser à ce soir là dans l’allée du restaurant. Pour résister à l’envie de me retrouver à nouveau dans ses bras, à attraper cette main qui n’a pas eu le courage de saisir la mienne quelques secondes plus tôt. « J’ai du mal à y croire maintenant. Je ne sais plus quoi penser… tu es un inconnu pour moi désormais… ». Les mots que je prononce me blesse tout autant qu’ils le blesseront certainement, mon ton est calme tout le long, mon regard fixant le sol et se relevant lorsque je prononce inconnu. Parce qu’il y a eu trop de mensonges et que ceux-ci ont empiétés l’image que je pouvais avoir d’Alec, quand d’autres voyaient en lui quelqu’un qui a profité de moi uniquement alors que j’ai voulu croire qu’il valait mieux que ça, que sous cette carapace, il y avait un homme honorable et qui avait tant à donner…
« Qu’est-ce que tu veux savoir ? ». Il y en avait tant au point que je ne savais pas par où commencer « Il y a tellement de choses que j’aimerai savoir Alec » je soupire « Comme tes activités dans le Club, ton rôle dans tout ça ». Mon regard devient dur à son égard alors que je poursuis « Que tu m’expliques ce qui t’a amené ton frère et toi sur cette voie ? Ou encore si tu as déjà commis l’irréparable ? ». Je marque une pause, comme pour rassembler mes idées qui sont que brouillons « Oh et j’y pense, mais ces plusieurs jours sans nouvelles de toi au mois d’août, c’était dû à tout ça n’est-ce pas ? Rien à voir avec des soi-disant problèmes au restaurant. Bien sûr que non, Mia, tout est lié ! ». Je lève les yeux au ciel, regarde sur le côté avant de me rapprocher de lui et reprend ce ton sec que j’adopte depuis le début de mon interrogatoire. « Tiens, vu que je suis au courant maintenant, tu pourrais être franc sur la perquisition qui a eu lieu il y a cinq ans. Et m’expliquer comment vous êtes parvenu à vous en sortir ton frère et toi ? ». Je n’utilise plus de filtres, je ne me contrôle plus et j’assène Alec de questions. Puisqu’il me l’a demandé, le voilà servi. Maintenant, est-ce que j’espérais obtenir des réponses à toutes ces questions ? J’en doutais fortement, le connaissant…
Il me demande ce que je veux savoir… Mais il y a tellement de choses, tellement de questions qui se bousculent dans ma tête à ce moment-là. Alors les questions fusent, sans nécessairement avoir de liens entre elle. Je veux en savoir plus sur le Club, sur leur activité et surtout son rôle à lui. Car c’est ce qui m’intéresse le plus. L’idée qu’il fasse partie d’une organisation criminelle m’est encore difficile à digérer et surtout à réaliser. Au fond, en posant cette question, j’attends sûrement qu’il me rassure, qu’il me dise que c’est son frère qui gère tout et qu’il est très peu impliqué dans tout ça. Je me raccroche à je ne sais quoi, gardant une lueur d’espoir, même si je sais que ce n’est encore qu’illusions « Il n’y a rien de plus que ce que t’as vu dans les rapports Mia. Quelqu’un chez nous a parlé aux flics. Mais dans tous les cas, il n’y a pas eu assez de preuves, pas de quoi envoyer quelqu’un en prison. Et moi, moi j’avais le restaurant. Une réputation. Pas de preuves concrètes. Mon frère a fait un an et ça a été classé sans suites ». Mon sourcil s’arque en même temps qu’un sourire hypocrite presque moqueur se forme sur mes lèvres lorsqu’il parle de réputation. Je n’arrive plus à visualiser cet homme qui m’a impressionné lors de notre deuxième rencontre, sur qui j’ai écrit un article, mettant en avant ses talents culinaires mais aussi l’homme qu’il était. Une réputation que j’ai embellie, alimentée par mes quelques lignes pour le journal local. Tout ça pour un homme qui ne le mérite pas. Parce que tout désormais me semble faux… « Et malgré tout vous avez continué ? ». La vraie question est là finalement. Ils se sont fait attraper une fois et pourtant, ils ont poursuivi leur activité. Car il n’y avait plus aucun doute là-dessus, cette arrestation n’a pas arrêté les deux frères. Autrement, je ne l’aurai jamais trouvé dans cette allée avec Geo… « Je peux t’expliquer pourquoi on a commencé, probablement pour la même raison que tous les pauvres types qui se mettent à faire des jobs pas nets. Pour le fric. Mon frère d’abord puis moi, j’ai suivi. Ça a commencé par un petit boulot sans risque qui en a amené un plus gros risqué et en quelques années on était rois du monde ». Ces derniers mots me font tiquer, me fige sur place. Parce que même s’il en rit, je reste de marbre face à cette affirmation. Comment pouvait-il se qualifier ainsi quand pour moi il n’était qu’un « Minable ». Je lâche ce mot en soutenant son regard parce que c’est tout ce que je vois maintenant. Surtout lorsqu’il semble penser sincèrement cette qualification pour lui et son frère. « Je peux comprendre le fait qu’en ayant rien, vous ayez mal tourné lui et toi. Mais tu semble tellement fier de ce que tu es devenu Alec » J’avance alors vers lui « Comment tu peux être fier d’être le roi quand on sait ce que tout ça comprend hein ? ». Comme si mes mots allaient lui faire ouvrir les yeux, comme s’il ne le savait pas déjà tout ça. Je sais que mes mots n’auront aucune répercussion alors je m’éloigne aussitôt, lui tournant le dos parce que je ne supporte plus ce que je vois…
« Je peux pas te parler du Club Mia. Te parler de moi oui. Mais pas de ça ». Evidemment, il n’allait pas m’exposer clairement toutes les manigances qui se tramaient dans ce gang. Mais avait-il vraiment besoin de me les exposer ? Peut-être avais-je juste besoin qu’il me le dise de vive voix pour réaliser… pour réaliser qui il était vraiment « Je te dirais juste que je gère le restaurant principalement qui est notre façade légale » « Alors même cette passion que tu as su bien me démontrer un nombre incalculable de fois n’était que de façade ? ». Déçue, c’est l’air que j’adopte en prononçant ces mots. Sa passion pour la cuisine, ce talent qu’il avait me semblait pourtant réel, et c’est une part de lui que j’aimais. Je ne sais plus, je ne sais plus qui est cette personne qui a pourtant une place dans mon cœur, depuis trop longtemps, beaucoup trop longtemps « Quant aux jours où je disparaissais Mia, oui il y avait le Club. Mais surtout, surtout il y avait simplement le fait que ce n’était pas dans mes plans. Ce n’était pas dans mes plans de m’attacher à toi. Et j’ai tout fait pour l’éviter. Sans succès ». Il avoue. Surement à regret mais il avoue qu’il s’était attaché lui aussi, plus qu’il ne l’aurait voulu. Parce que je ne pouvais être inclus dans cette vie dont j’en découvrais les contours. Mais le plus marquant reste ces derniers mots. Il a essayé de rester loin de moi parce qu’il ne voulait pas s’attacher. Et pourtant, il n’a pas réussi. Je ressens un picotement dans mon cœur, ma gorge se serre alors que je relève les yeux vers lui, doucement. Et ce regard a changé. Encore une fois. Un regard plus tendre. Mais il y a aussi de la tristesse, un sentiment d’injustice face à cette situation insoutenable. Je m’avance doucement, comme si un fil invisible me tirer vers lui. Pourtant, une fois à sa hauteur, je soupire. Pourquoi les choses devaient être ce qu’elles étaient ? Mes yeux se perdent dans les siens, dans ce bleu qui m’a fait si souvent flancher. « Il va falloir qu’on se détache pourtant… ». je murmure alors. Dire cela me déchire intérieurement un peu plus. Beaucoup trop. Mes yeux s’humidifient alors que je ne lâche pas son regard.
Parce que je l’ai écouté, allant de temps en temps de mon petit commentaire, d’une autre question posée. Mais il n’a rien dit à ce sujet. L’irréparable. « Ton silence parle pour toi Alec… Mais je n’ai pas besoin de plus pour comprendre que tu l’as déjà fait… ». Déçue, las, triste… Même pas une once de colère. Non, je suis exténuée face à toutes ses vérités qui ne font que me transperçaient encore plus ce cœur qui ne supporte plus de souffrir. Comme une vieille poupée vaudou que l’on transperce dans tous les sens, voilà comment je me sens…
« Pourquoi on aurait arrêté Mia ? On n’est pas tombé. Je me suis assuré que le Club tourne quand Mitch était en prison et quand il est sorti il a repris sa place ». Cet espoir que j’ai au fond de moi qu’il n’est pas si investi que ça dans cette organisation s’amenuise de plus en plus. Quand son frère était en prison, il a tout fait pour que le Club continue de fonctionner et il a réussi avec brio puisque celui-ci existe toujours. C’est de plus en plus difficile pour moi de le regarder droit dans les yeux, tellement la déception à son égard est grande. Déception du fait de découvrir l’homme qu’il est vraiment, déception du fait que j’ai été trompé sur toute la ligne. « Et tu as aimé occuper cette place ? Peut-être même que tu en rêve ? ». Son frère est à la tête de cette organisation et je l’ai bien compris. Alec est uniquement son bras droit et peut-être que là encore, il voulait plus que cette simple place. Alors, je lui demande, de bout en blanc, sans réfléchir, mais avec ce regard et ce ton méprisant qui reprennent le dessus…
« Je dis pas que je suis fier Mia. Crois-moi je n’en suis pas fier ». Alors que je lui tourne le dos, il se défend, contredisant mes paroles, contredisant mon ressenti lorsqu’il a évoqué être devenu le roi du monde avec son frère après avoir gravie rapidement les échelons dans ce milieu sombre. Je me retourne alors et pensant m’être éloigné suffisamment de lui, je me rends compte qu’il a, à son tour avancé. Je vois dans son regard qu’il est sincère et je ressens même une certaine lassitude dans le ton qu’il adopte. Je me contente de le regarder alors, sans rien ajouter de plus. « C’est pas une façade ». Il m’agrippe le bras à peine ma question prononcée. Mon regard d’abord sur cette main qui m’attrape puis sur son visage, m’obligeant alors à le fixer dans le blanc des yeux. Je ne suis pas effrayée malgré cette colère qui se ressent dans ses paroles « Ca ne sera jamais une façade, c’est tout ce que j’ai toujours voulu faire Mia. Ce restaurant c’est moi qui l’ai créé, c’est moi qui ai créé chaque recette. J’ai jamais menti sur ça ». Et là, je reconnais cette part de lui qu’il m’a laissé découvrir au fil du temps passé ensemble. Cette partie de lui qui me plait, cette passion qu’il a pour la cuisine, cette détermination. Je pourrais le rassurer, lui dire que je le crois, que sur ce point, je n’ai aucun doute. Non à la place je fixe son regard quelques secondes, sans rien dire et reporte à nouveau mes yeux sur cette main qui m’a agrippé le bras. Il me relâche doucement et s’éloigne à nouveau.
Comme un ballet incessant, il s’approche alors que je m’éloigne, je m’approche alors qu’il s’éloigne. Une sorte de suis-moi je te fuis, fuis-moi je te suis. Mais ce jeu du chat et de la souris n’en est pas un, il n’y a plus aucun jeu entre nous comme il a pu en avoir lors de nos moments de complicité. Il avoue que ces moments ont fait qu’il s’est attaché lui aussi. Ça me touche, ça m’attendrit même. Parce que j’avais besoin de l’entendre malgré tout, comme un besoin de savoir que tout ça n’a pas été vain… Que je n’ai pas été la seule dans l’histoire à ressentir bien plus que de raison à son égard… « Oui il va falloir ». Il le faut. Il faut qu’on se détache l’un de l’autre parce que cette histoire ne mènera à rien et ne marchera jamais. Surtout après ce que j’ai découvert et que je ne peux pas accepter. A ses paroles, mes yeux s’humidifient davantage pourtant je ne veux pas le montrer. Montrer que cela me blesse, que ça va être encore une épreuve que de m’éloigner définitivement de lui. De briser à jamais ce lien, ce dernier espoir auquel je m’étais raccrochée me disant que, peut-être, nous y arriverions… Sa main vient effleurer ma joue quelques secondes et c’est le geste qui rend la chose encore plus difficile à avaler. Ma gorge se noue davantage et je n’arrive plus à m’éloigner de lui. Quand sa main retombe le long de son corps, la mienne vient la frôler, comme pour la rattraper, elles ne sont qu’à quelques millimètres l’une de l’autre, le rythme de nos respirations les faisant danser à leur tour comme nos corps quelques minutes plus tôt s’éloignant et se rapprochant. J’ai compris par son silence qu’il ne me dit pas tout. L’irréparable a été fait. Une fois, deux fois, plus que ça ? Je n’en sais rien. Parce qu’il ne me dira rien. Evidemment.
« J’ai cherché à te garder éloignée de tout ça Mia. J’aurai aimé… que les choses soient différentes ». Trop… C’était beaucoup trop. Larmes de colère mêlées à la tristesse commencent à dévaler mes joues et mes poings viennent tambouriner son torse « Comment ? » Premier coup « Comment les choses auraient pu être différentes » Deuxième coup un peu plus fort « Pourquoi Alec faut-il que ce soit si compliqué ? ». Troisième coup et les larmes roulent alors le long de mes joues. Mes jambes commencent à trembler alors que la colère monte, j’ai besoin de lui balancer en pleine figure tout ce que j’ai retenu au fond de moi pendant des mois « Je n’ai pas envie que tu ais ta place dans cette liste! ». J’avoue à demi-mot que je ne veux pas en arriver là mais…« Pourtant c’est inévitable. Comment les choses pourraient être possible entre nous avec tout ça ? Comment je pourrais te regarder tous les jours sans ressentir cette déception, ce dégout… ». Un mot fort, peut-être prononcé trop vite « Alors que je n’ai envie que d’une chose c’est être à tes côtés ». Je flanche, et finit par le repousser pour m’éloigner…
« Oh crois moi Mia ce n’est pas de ça dont je rêve ». Je n’arrive plus à comprendre l’homme qui se trouve devant moi. J’aimerai lui demander de quoi il rêve réellement mais allait-il me répondre franchement ? Et est-ce que j’ai vraiment envie de savoir quand déjà toutes les vérités dévoilées font suffisamment mal comme ça ? Mal à entendre, mal à comprendre ? Alors non, je m’abstiens, à contre-cœur parce que tout autant, cette réponse me satisfera, me fera croire à nouveau en lui, peut-être même en nous. « Ca a été la pire année de ma vie ». Là encore j’aimerai comprendre pourquoi… Parce que son frère était en prison ? Parce qu’il s’est senti démuni à la tête du Club ? Je ne sais pas, je me contente de supposition mais là encore, je m’abstiens. Je m’abstiens de lui demander pourquoi. Peut-être parce que je m’avoue déjà vaincue.
Et j’explose. Mes paroles, mes gestes, mes poings notamment qui s’abattent contre son torse à plusieurs reprises. Je n’en peux plus. J’ai besoin d’extérioriser tout ce que je ressens depuis des mois par sa faute. Tout ce que j’ai eu le temps de ruminer encore et encore pendant ma convalescence, après mon accident de surf. Ma colère sort, tout ce que je pense, il n’y a plus de filtres. Je ne vois plus d’issues favorables pour nous deux et ça me déchire. Son « Je… », j’y prête à peine attention car je sais qu’il ne dira rien de plus. Comme toujours. Je sais qu’il ne trouvera aucun mot pour me réconforter, pour me dire que tout ira bien, qu’on trouvera une solution lui et moi. Non, c’était inévitable. Et puis il y a ce mot de trop qui sort « dégout ». Peut être trop vite prononcé, peut-être dit aussi pour lui faire mal, pour lui faire payer ce qu’il me fait subir en ne m’offrant pas la possibilité d’être à ses côtés. Sur ce dernier mot, en tout cas, il recule d’un pas. Et je m’éloigne à mon tour, le repoussant alors que je lui avoue que j’ai envie d’être à ses côtés malgré tout. Je lui tourne le dos, je ne suis plus capable de le regarder parce que je ne contrôle plus la colère et la tristesse qui se mêlent en moi, laissant échapper mes larmes, des larmes que je retiens depuis que j’ai découvert son vrai visage, dans l’impossibilité de le partager avec qui que ce soit…
D’un coup, je sens ses bras se nouer autour de moi et sa tête vient se glisser dans le creux de mon épaule. Je me laisse faire, cette fraction de secondes durant laquelle je me retrouve à nouveau dans ses bras. Alors mes mains viennent se poser sur ceux-ci naturellement, pour répondre à son étreinte « Je suis désolé ». Ils font mal ces mots et le fait qu’il se détache aussi vite tout autant. Je me retourne alors et plonge mon regard dans le sien « Pour tout ». Ses mots me transpercent je suis figée et incapable de faire un mouvement « Je vais y aller ». Il ne me regarde plus, il prononce ses paroles dans un murmure et j’ai l’impression que tout s’écroule. Je suis toujours de marbre, je ne parviens pas à faire ce pas en avant, ce mince pas pour le retenir, lui dire de rester, lui dire que je ne veux pas le voir quitter ma vie définitivement. Mon regard est triste, il n’y a plus l’once d’une colère, et pourtant, malgré la déchirure que cela me procure, je prononce ces quelques mots « Il vaut mieux… ». Nos regards se croisent une dernière fois, les regrets se lisent autant dans mes yeux que dans les siens, et puis je le regarde une fois de plus, une fois de trop, partir en direction de la porte. Il ne se retourne pas, l’ouvre et la ferme derrière lui aussitôt. Et ce qu’il ignorera c’est que je me laisse glisser le long du comptoir de la cuisine pour verser toutes ces larmes que j’ai retenu pendant trop longtemps, depuis tout ce temps où lui et moi nous déchirons sans cesse.