Une réunion familiale... ça faisait longtemps. Pas que cela avait particulièrement manqué au second fils des Walker qui, bien qu'il prenait son rôle à coeur et tenait beaucoup à sa soeur, n'était pas un fan incontestable des tensions que faisaient naître ces retrouvailles. David s'était défilé, à nouveau, sans que cela ne le surprenne. Alors pour aujourd'hui, ce serait Mary, Lexie et lui. Il avait passé une matinée tranquille à se prélasser dans son loft, dormant jusqu'à ce que son réveil affiche environ dix heures. Il ne se souvenait même plus de la dernière fois qu'il avait pu s'offrir un luxe pareil, sans rendez-vous pour le tirer hors du lit. Il s'étira un bon moment, emmêlé dans le confort de ses draps en soie, laissant le soleil filtrer par les fenêtres pour venir réchauffer sa peau. Un peu de simplicité et de douceur, là était une recette infaillible pour le mettre de bonne humeur. Classique, efficace. Il avait pris sa journée pour pouvoir se consacrer entièrement à leur réunion de fin de journée, et il était heureux de savoir qu'il pouvait prendre son temps. Lorsqu'il se décida enfin à se tirer hors du lit, les heures suivantes défilèrent bien plus vite qu'il ne l'aurait imaginé. Il s'était préparé et avait été brunché en ville, puis le temps de rentrer et de faire un peu de rangement il était déjà l'heure de repartir.

Channing se gara devant la demeure familiale, en en admirant une seconde la devanture. Il se souvenait encore très nettement des moments de bonheur que les trois enfants y avaient passé avant qu'ils ne commencent à grandir. Il se souvenait d'une époque où ils étaient encore trop jeunes pour se soucier de tout ce que le futur avait bien à leur réserver, et où leur seul tracas était celui d'avoir des légumes au dîner. Une époque lointaine, dont il se souvenait pourtant si bien. Le voilà maintenant entrain de quitter l'habitacle de sa sportive, lui, trentenaire, homme mûr et réfléchi, futur dirigeant de l'entreprise familiale. Business bien trop à l'image de ses responsables à son goût. Un bel aspect extérieur, une agence qui se veut prospère, tout ça dans l'unique but de cacher les divergences familiales et les difficultés financières que Channing tâche déjà de rattraper sans avoir officiellement les rênes du groupe. Il laissa son véhicule derrière lui pour aller toquer à la porte de la maison de son enfance, maison où il ne venait plus que lorsqu'il y était invité. On le fit entrer dans la foulée, et Channing se glissa dans l'humble demeure.

La mère et son fils étaient déjà dans le salon lorsque Lexie arriva. Mary pestait déjà contre la brunette avant même son arrivée, tandis que Chan tâchait de calmer le jeu. Dix minutes, qu'est-ce que c'est dans une vie ? Un sourire ne put s'empêcher de se glisser sur ses traits en voyant arriver sa petite soeur, sa petite tête à lui, et il la serra à son tour dans ses bras. Lexie quitta son étreinte pour aller saluer leur mère, scène que regarda Chan en restant en recul. « Tu es en retard, comme d’habitude. » Un frisson monta sur les bras du brun et il appuya son regard sur sa mère, comme pour lui intimer d'y aller doucement. Il était le tampon, le médiateur, et c'était son job de vouloir calmer le jeu. Si les deux demoiselles pouvaient éviter de se jeter dessus en cinq minutes, il en serait ravi. Ils retournèrent s'asseoir, et il posa son regard noisette sur Lexie avec un sourire. « Comment tu vas ? Comment ça se passe, à l’entreprise ? » Les deux avaient toujours été proches. Confidents, sincères l'un avec l'autre, présents l'un pour l'autre. Chan tenait terriblement à elle, et il avait toujours fait tout ce qui était en son pouvoir pour la protéger et la rendre heureuse. En ce moment, il voulait surtout lui garder la tête hors de l'eau et la ramener sur la rive, loin des personnes toxiques qui étaient entrées dans sa vie. Toutefois, ils savaient aussi bien l'un que l'autre qu'avec leur mère dans la pièce, les choses se corsaient considérablement. « Ca va bien petite soeur, et toi ? » Il gardait son sourire doux en la regardant, posant sa main sur la sienne. Il était là, et il n'irait nul part. Est-ce que l'entreprise lui plaisait réellement ? Channing ne s'était jamais posé la question de savoir s'il voulait faire autre chose. Il avait compris tôt qu'il allait devoir en prendre la tête, et l'avait accepté. Il était diplomate, responsable, avait un mental de leader : il était fait pour ce genre de job. Alors honnêtement, oui, ça lui plaisait. et ça arrangeait tout le monde, lui y compris. « Ca se passe plutôt très bien même, la barre se redresse. C'est ce qu'on voulait. » Il posa un instant ses yeux sur sa mère, avant de se reporter sur Lexie. « Normalement, je ne devrais pas tarder à en prendre officiellement la tête. Ca facilitera les choses pour tout le monde. » Un serveur sortit de nul part arriva dans le salon pour remplir leurs verres, attirant un peu l'attention, et Channing en profita pour offrir un battement de cils entendu à Lexie. Comme pour lui confirmer qu'il allait réellement bien, et qu'elle n'avait pas à s'en faire pour lui. Une fois les verres servis, l'homme s'éloigna à nouveau et Chan reprit. « Alors, comment ça se passe toi à ABC ? Tout va bien ? »

Au moins, elle allait bien. Enfin, il savait que la réponse de sa petite soeur était relative. Relative à la présence de leur mère sur le canapé d'en face, et aux tracas de la brunette dont il avait connaissance. Sans compter le fait qu'ils n'étaient pas des fans inconditionnels de ces réunions familiales organisées de temps à autre d'une manière assez irrégulière. Toutefois, il s'agissait de l'une des contraintes qu'apportait le nom des Walker. « Oui, très bien même ! La chaîne me confie de plus en plus de missions journalistiques. J’ai récemment aidé à la réalisation d’un sujet sur les tensions au Moyen-Orient, c’était très intéressant, et un sujet important, large … Bref, c’était génial ! » Il était heureux de l'apprendre. Lexie se plaisait dans son travail, même s'il la connaissait assez pour savoir que ce n'était pas le métier de sa vie et que ce dernier cachait d'autres ambitions. Mais il était heureux que cela lui plaise. « C'est top ! j'ai suivi un peu ça à la télévision je t'avoue, je suis ravi que tu sois heureuse dans ce que tu fais petite soeur. » Il serra un peu sa main, caressant une seconde les doigts fins de la brune. C'était sans compter sur Mary pour apporter sa touche très personnelle à ce court moment de réjouissances. Rien ne serait jamais assez bien pour leur génitrice que de faire ce qu'elle voulait qu'ils fassent. « Oui, enfin, tu es Miss Météo, c’est tout. Ce n’est pas comme si il fallait sortir d’Harvard pour montrer un soleil sur une carte … » Chan leva sensiblement les yeux au ciel, son visage tourné en direction de Lexie afin que leur mère ne remarque pas son comportement. Une réaction que cette dernière aurait sûrement qualifiée digne d'un gamin mal élevé, et certainement pas celle attendue venant de son fils. Si elle venait à être mise au courant de certaines choses, la pauvre femme ferait sûrement une crise cardiaque.

Les deux enfants Walker furent sauvés par la demande de leur mère en cuisine et ils la laissèrent s'éloigner en silence, Chan se pinçant chastement les lèvres. Il se reporta sur sa soeur. « Tu connais ta vraie valeur, et moi aussi. Ne laisse pas ces piques t'atteindre réellement, Lexie. Elle sait viser où ça fait mal, on le sait. » souffla t'il d'un ton calme. Quoiqu'elle lui en dise, il savait que de tel propos sortis de la bouche de la femme qui vous a donné la vie sont plus tranchants que n'importe quels autres. C'était toujours une situation délicate d'éviter, même si elles n'auraient pas toutes cette chance. Les épaules de sa soeur s'affaissèrent un peu et il glissa son bras sur ces dernières pour l'enlacer un instant, la bisoutant sur la joue dans un geste protecteur et réconfortant. Le brun n'était pas d'un naturel câlin ou même tactile d'une manière générale, toutefois avec certains de ses proches et Lexie plus particulièrement, il avait tendance à être plus à l'aise et à ouvrir ses bras plus facilement. « On se fait un petit morceau à quatre mains ? » Lorsque la demoiselle désigna le piano, il se mit à sourire. « J'ai pas joué depuis une éternité, ça devait déjà être avec toi la dernière fois. » Il se leva, dos bien droit et plaçant dramatiquement une main dans son dos, avant de tendre délicatement l'autre à la brunette. « Madame. » Ils avaient bien besoin de se détendre et rire un peu. Il prit alors la main de sa petite soeur pour l'aider à se relever, et il laissa finalement son attitude retomber dans un rire doux et léger avant qu'ils ne s'approchent de l'instrument. S'installant sur le banc, il fit glisser ses doigts sur le clavier en frôlant les touches. et après s'être mis d'accord sur un morceau qu'ils affectionnent aussi bien l'un que l'autre, les deux Walker se mirent à jouer ensembles. Ils avaient fait ça pendant des années lorsqu'ils étaient plus jeunes, et il s'agissait de l'une des rares choses qui avait persisté dans le temps, à son plus grand bonheur. Le brun avait également bel et bien un piano chez lui, toutefois il ne prenait que rarement le temps d'y jouer. Faute d'envie peut-être, il avait beaucoup associé la pratique de cet art à sa soeur et s'il avait déjà joué pour lui seul, cela remontait à trop longtemps pour qu'il s'en souvienne réellement. Ils jouèrent en harmonie de longues minutes, un sourire doux figé sur les lèvres du brun, profitant d'un peu de calme avec que la tempête ne revienne perturber leur liberté.

« Mouais, en effet, ça fait mal. Ca ne devrait pas pourtant, n’est-ce pas ? Est-ce que tu penses qu’elle considère avoir réussi sa vie ? » Lexie marqua une pause, avant de reprendre. « Bien sûr qu’elle pense avoir réussi. Elle est devenue riche et célèbre … » La perception de réussir sa vie est propre à chacun. Chaque personne se fixe une finalité à atteindre, et concernant leur mère la richesse et la célébrité étaient les deux choses sur lesquelles elle avait concentré son attention. Alors à la question est-ce que Mary pensait avoir réussi sa vie ? Très certainement, oui. Toutefois, le brun ne répondit pas à voix haute et se contenta de regarder sa petite soeur, acquiesçant d'un battement de cils. Ils savaient tout deux que leur chère génitrice était très satisfaite de sa situation et de la tournure de sa vie. Pendant quelques secondes, Chan s'égara dans ses pensées. Est-ce qu'il en dirait autant un jour ? S'il n'aspirait pas tout de suite à trouver l'âme soeur pour se poser, se marier et fonder une famille, il espérait toutefois être heureux aux côtés d'une demoiselle un jour ou l'autre. Pour la vie ou pour une durée x ou y, il se connait assez pour dire qu'il fait parti de ceux qui ont de l'amour à offrir. Et dernièrement, il n'en a pas eu réellement l'occasion dans une vraie relation de couple. Le grand réaliste qu'il est n'est pas pour autant moins romantique, et lorsque que ses sentiments sont trop impliqués il a tendance à montrer une facette bien plus fragile de lui même. Cependant, lorsque c'est arrivé pour la dernière fois, la demoiselle en question est partie alors il a reconstruit ses murs plus solidement. « Tu as tort, mon cher, je suis certaine que ça pourrait te détendre. A moins que d’autres passions ne prennent le dessus ? » Surtout qu'il a bel et bien un piano dans son loft. Mais Lexie ne pense pas si bien dire en mentionnant d'autres passions qui prennent le dessus. Quoiqu'il en soit, jouer avec elle lui fit du bien, jusqu'à l'interruption de leur mère.

La famille, la loyauté, l’entraide... comme si Mary était celle pour qui ces principes étaient essentiels. Où voulait-elle en venir ? Ils n'allaient pas tarder à le savoir. Le brun rendit au regard dubitatif de sa soeur un léger mouvement de tête, pour lui signifier que lui aussi était un peu perdu. « Les finances du Walker Group ne sont pas … mirobolantes, ces derniers temps. En réalité, la société rencontre des problèmes financiers. Nous sommes à la recherche de quelqu’un qui voudrait en devenir actionnaire. » Le brun perdit un peu son sourire, ne quittant plus leur mère des yeux. Quoi...? « Cet actionnaire aura besoin d’injection beaucoup d’argent dans la société, et aura par conséquent beaucoup de pouvoir. On parle d’un étranger, qu’on fait entrer dans une entreprise familiale, et qui n’a pas forcément les mêmes valeurs que nous. On a besoin d’être sûrs de lui, d’être certains qu’il ne ferait rien qui pourrait nuire à la société. C’est pourquoi il doit rejoindre la famille. En t’épousant. » Cette dernière phrase perdit le brun. La société était quoi, en chute libre ? et sa mère voulait que Lexie épouse un homme par intérêt pour lui faire remonter la pente ? Son regard s'égara sur la table, son oreille distraite écoutant la brunette hausser le ton. Bien sûr qu'elle protestait, comment pouvait-il en être autrement. Mais quoi alors, tout ça pour ça ? Tout cet apparat, cette façade impeccable, pour une annonce pareille ? Il releva les yeux sans même se reporter sur sa soeur sur le moment. « C'est une façon comme une autre de m'annoncer que tu me donnes les rênes d'une entreprise en faillite ? »  parce-que quoi, elle n'avait pas su la gérer correctement et maintenant que cela ne la faisait plus rire elle lui en confiait les restes pour pouvoir le blâmer de l'inévitable ? Le brun s'était mis à bouillonner, sous son apparence neutre. « Je pense que Lexie a bien compris qu'elle ne pouvait compter que sur elle-même, surtout ces dernières années. et maintenant tu veux la faire dépendre d'un homme pour une société qui ne la concerne pas directement ? » Il avait froncé les sourcils, regardant sa mère en parlant calmement même si ses épaules s'étaient tendues. « Lexie et moi avons déjà fait beaucoup pour cette famille. Ni elle ni moi n'injecterons de l'argent à l'entreprise par le biais d'un mariage arrangé. Je vais m'occuper personnellement de faire remonter la pente à la société, mais je vais le faire à ma façon. »

Les affaires ne sont plus ce qu'elles étaient. C'était plutôt clair comme réponse, une façon comme une autre d'essayer de faire passer la pilule plus facilement. Channing soupira malgré lui, laissant ses épaules retomber au contact de la main de sa soeur sur la sienne. Il devait garder son sang froid. « Voyons, mon chéri, ta sœur, comme toi, vivez quotidiennement avec l’argent qui nous provient de cette société. Sans moi, vous ne seriez rien. Vos appartements, vos voitures, vous me devez tout. Lexie ne peut pas prétendre profiter de la fortune des Walker sans vouloir jouer dans l’équipe. » Ce type de discours avait le don de fatiguer le brun. Bien sûr qu'ils devaient énormément à l'entreprise, ils en avaient conscience, mais l'avaient-ils choisis ? Ils ne le sauraient jamais, mais sans le nom des Walker à la suite de leur prénom, que seraient-ils devenus ? Des citoyens ordinaires ? peut-être. Des personnes plus influentes encore ? qui sait. Mais même s'il devait son mode de vie à l'agence, Chan se refusait à entendre qu'il n'avait jamais rien fait d'autre qu'être assis là à profiter sans la moindre reconnaissance. Il était d'ailleurs peut-être bien le plus reconnaissant de cette famille. Lexie prononça tout haut ce qu'il pensait tout bas, et le brun guetta avec attention la réaction de leur génitrice. Leur mère qui, malheureusement manquait comme souvent l'essentiel. Elle ne les connaissait pas comme une mère est censée connaître ses enfants, et le fait était prouvé à nouveau aujourd'hui. Lexie avait choisi d'aller travailler chez ABC, et il s'agissait bien là de la démonstration la plus directe possible pour prouver qu'elle préférait encore travailler dur et gagner moins plutôt que de s'asseoir sur la richesse familiale. « Viens à la société demain. On regardera ça ensemble, et tu verras que j’ai raison … comme d’habitude. » L'héritier hocha la tête. Il en avait bien peur, qu'elle ait raison. D'où sa réaction à chaud. Cette réalité là risquait d'être difficile à avaler pour le brun, lui qui avait toujours tout fait pour protéger au maximum sa petite soeur. Il avait bien l'intention de se pencher attentivement sur toutes les alternatives possibles, que sa mère en soit sûre. « Je pense qu’on en a assez entendu. Merci pour ce repas que tu n’as pas cuisiné, comme d’habitude. Et merci pour l’ambiance. C’était parfait. » Il regarda la brunette se lever, et fit de même, plus doucement toutefois. Il battit des paupières d'un signe entendu vers Lexie, la laissant s'éloigner, avant de se reporter sur Mary. « Mère. Merci pour le repas. Je passerais à l'agence demain matin, pour me pencher sur tout ça. » Il la salua de la même façon qu'à son arrivée, récupéra sa veste et suivit les pas de sa soeur pour la rejoindre à l'extérieur de la villa. Ils pouvaient rentrer. « Je t'offre un verre chez moi petite soeur. Non négociable. » comme si Lexie allait chercher à négocier pour refuser une telle proposition. Il lui fit un clin d'oeil, cherchant en réalité à s'apaiser lui tout aussi bien que sa soeur. Le brun gagna sa voiture, et prit la direction de chez lui. Ils en avaient assez entendu de la bouche de leur mère.