Il n’était pas rare qu’Hannah accepte de rendre des services à des collègues et ce malgré la charge de travail déjà existante dans son propre agenda. Mais elle était comme ça la brune et le pire, c’était qu’elle ne le faisait même pas pour l’éternel « à charge de revanche » qu’elle pouvait entendre à chaque fois, mais bel et bien parce que cela lui faisait plaisir. En particulier lorsqu’on lui demandait de recevoir un patient en suivi comme c’était le cas aujourd’hui, car cela lui permettait de renouer avec la véritable psychologie dont elle s’éloignait parfois lorsqu’elle travaillait à l’hôpital. En effet, il s’agissait davantage de traitements médicamenteux pour des cas cliniques que de réelles sessions psy. Dans le fond, la brunette ignorait encore la voie qu’elle finirait par suivre une fois qu’elle aurait obtenu son diplôme, mais les questions commençaient à se bousculer à mesure où la date butoir avançait. Elle avait encore le temps, bien entendu – encore deux années, pour être précis – mais la jeune femme avait toujours eu tendance à anticiper sur du plus long terme que n’importe lequel de ses proches. Café en main, la brunette n’avait guère eu le temps de se plonger dans le dossier que sa collègue lui avait fourni au tout dernier moment – en s’excusant et en blâmant l’administration de l’hôpital – et c’était donc absolument pas préparée qu’elle fit son entrée dans le bureau de la petite blonde qui avait filé à l’anglaise à peine le feuillet remis entre ses mains. Elle l’avait tout de même gratifiée d’un sourire et d’un merci avant de tourner les talons, apriori pour pouvoir organiser l’anniversaire de son petit garçon qui fêtait ses trois ans. L’esprit d’Hannah refusait de concevoir qu’on puisse planter un patient pour des raisons aussi futiles qu’un anniversaire – surtout qu’à cet âge-là, aucun souvenir ne restait gravé dans la mémoire de l’enfant – mais elle s’efforçait de ne pas juger puisqu’elle n’était pas elle-même investie du rôle de mère. Elle ignorait d’ailleurs si elle ne le serait jamais, mais une chose était certaine, elle n’en était pas encore là dans son chemin de vie, au contraire. Son ambition était sa priorité – au grand dam de sa mère – et rien que le fait de voir ses collègues se dérober de leurs responsabilités professionnelles parce que la baby-sitter les avait plantés ou encore, pour avoir le temps d’accrocher des ballons au plafond, suffisait à la conforter dans son idée. La jeune femme posa son café tiède sur le bureau – après avoir dû débarrasser ce dernier de l’amas de paperasses qui trônait dessus – et soupira, espérant avoir encore quelques minutes devant elle pour ouvrir ce dossier et en prendre connaissance. Elle ne savait même pas le nom de la personne qui allait arriver, seulement les grandes lignes ; elle avait été témoin d’un accident grave et devait se représenter chaque année pour un suivi psychologique obligatoire. Pourquoi l’était-il, elle l’ignorait. Sa main se posa sur le feuillet mais elle fût interrompue par quelques coups sur la porte, ce qui provoqua un long soupir chez le médecin qui comprit qu’elle n’aurait guère l’occasion de se familiariser avec les informations de la jeune femme qu’elle devait rencontrer. Tant pis, l’improvisation ça fonctionnait aussi. « Faites-la entrer. » Lança-t-elle à l’infirmière qui était venue lui annoncer que son rendez-vous était arrivé. Elle voulu attraper son gobelet de café mais rata son coup, étalant son contenu sur le fouillis administratif de sa chère collègue. « Merde. » Elle plongea sa main dans son sac afin d’en ressortir des mouchoirs et d’éponger au maximum la catastrophe tout en pensant au fait que si c’était arrivé dans son bureau, seul le bois aurait été mouillé – c’était la différence entre l’ordre et la pagaille. Mais le geste d’Hannah resta en suspens lorsque son regard croisa celui de Diana, cette amie qu’elle n’avait pas vue depuis leur dernière discussion qui s’était révélée… houleuse. « Diana ? Qu’est-ce que tu fais ici ? J’ai un rendez-vous, je n’ai pas le temps de… » La brune s’interrompit et ouvrit le dossier qui était resté jusque-là fermé et le nom Rhodes lui sauta aux yeux, en première page. « Bon, apparemment c’est avec toi. » Elle passa une main sur son visage, se demandant s’il ne valait pas mieux mettre un terme à cet entretien directement, éthiquement parlant du moins.
Elle détestait ces rendez-vous obligatoires. Tous, autant qu’ils étaient - et pourtant, cela faisait désormais une décennie qu’elle devait les supporter. Elle détestait le fait d’être observée comme un morceau de viande, à l’instar de l’attitude qu’elle employait elle lorsqu’elle regardait les étoiles. Elle détestait les hochement de tête que la psychiatre pouvait lui offrir lorsqu’elle venait parler de points particuliers, mentionné dans son dossier depuis des années. Elle ne supportait pas plus également le fait que personne ne l’écoute réellement lorsqu’elle osait dire qu’elle n’avait plus besoin de ce suivi, qu’elle se sentait complètement libérer du poids de l’accident grâce aux années écoulées depuis ce dernier - là où, en réalité, tout le contraire était réalité. Elle détestait tout ce qui composait cette partie là de sa vie et pourtant, Diana arriva à l’hôpital avec presque une dizaine de minutes d’avance sur l’heure du rendez-vous. Marchant d’un pas mesuré dans les couloirs, elle était en train de répondre distraitement aux différentes messages envoyés par son collègue afin qu’il lui lâche la grappe pour les deux prochaines heures et qu’elle puisse se concentrer sur son rendez-vous. Pas qu’elle avait hâte, elle détestait toujours ces rendez-vous obligatoires, mais plus vite elle se concentrerait dessus, plus vite elle en serait ressortie et elle pourrait plus rapidement retourner à l’université pour terminer ce qu’elle avait commencé le matin même.
« Diana Rhodes ? J'ai rendez-vous avec Docteur Farewell ? » Un fin sourire sur les lèvres, l’infirmière lui fit signe d’attendre un instant avant de disparaitre dans un couloir que Diana connaissait en réalité déjà. La jeune femme en vint à avancer d’un pied sur un autre un instant, pendant que son regard se perdait à travers la salle d’attente et à observer un instant les autres personnes s’y trouvant. Elle tentait de se rassurer en se disant que toutes les autres personnes présentes en cet instant avaient, elles, réellement une raison de se trouver ici - contrairement à elle. Diana n’était là que parce-qu’elle n’avait pas le choix, en rien parce-qu’elle en avait besoin. « Mademoiselle Rhodes ? » Elle vint reporter son regard sur l’infirmière avant de venir dans sa direction, cette dernière l’attendant à l’entrée du couloir. « Docteur Farewell est absente aujourd’hui, mais sa collègue est prête à vous recevoir. » Un ou deux pas de la jeune Rhodes en vinrent à être ralentis, alors qu’elle entendait cette nouvelle qui l’enchantait guère, mais elle ne s’arrêta pas pour autant. Si elle n’était en rien fanatique de l’idée de venir s’exposer à quelqu’un qui ne la connaissait en rien, elle voulait vraiment mettre ce rendez-vous derrière elle et n’avoir à revenir en ces lieux que l’année suivante. Diana vint donc avoir un petit soupire avant de hocher légèrement la tête. « Je vous suis. »
Si ses pas avaient réussi à la mener jusque l’intérieur de ce bureau qu’elle ne connaissait, malheureusement, que trop bien, ils en vinrent à être stoppés dans leur élan lorsque son regard vint se poser sur Hannah Whitemore, se trouvant de l’autre côté du bureau. L’étonnement pouvait se lire dans le regard de la Rhodes, qui s’attendait à beaucoup de choses sauf à revoir la jeune femme ici et aujourd’hui. Leur dernière rencontre s’était malheureusement soldée par un silence plus que pesant entre elles deux, et rien que de voir le regard de Hannah se poser sur elle, Diana s’en voulait d’autant plus. Elle n’avait jamais voulu jeter ce froid dans leur relation - car elle se savait largement responsable de ce dernier -, mais la jeune femme ne lui avait pas laissé le choix: si elle voulait pouvoir se protéger, il fallait qu’elle laisse Hannah en dehors et au plus loin de toute cette histoire. « Diana ? Qu’est-ce que tu fais ici ? J’ai un rendez-vous, je n’ai pas le temps de… » « Je… » Les éléments ne semblaient pas vouloir s’ajuster les uns aux autres comme ils avaient pourtant l’habitude de faire, dans l’esprit de Diana. Elle n’arrivait pas à mettre le doigt sur ce qu’elle voulait, et pourtant l’infirmière l’avait prévenu que son médecin habituelle n’était pas présente et qu’une collègue prenait sa place aujourd’hui. Elle n’avait juste jamais imaginé que Hannah pouvait être cette collègue et pourtant, cela tombait sous le sens - si cette dernière avait un rendez-vous comme par hasard à la même heure où Diana se pointait dans un bureau qui n’était pas le sien, elles allaient rapidement avoir la réponse qu’aucune d’elle attendait. « Bon, apparemment c’est avec toi. » Un long soupire vint s’échapper, malgré elle, d’entre les lèvres de Diana alors qu’elle venait poser son sac sur le petit canapé du cabinet. Tout ce qu’elle avait désiré éviter était en train de le rattraper, et son karma devait se réjouir particulièrement présentement. « C’est toi qui remplace le docteur Farewell aujourd’hui, c’est ça ? » La réponse à cette question tombait sous le sens, mais elle ne pouvait s’empêcher de venir la poser juste pour être sûre - pour trouver, peut-être, une porte de sortie qui ne leur sautait pas aux yeux présentement. Mais le regard de Hannah semblait sur de lui, alors qu’il parcourait un des dossiers se trouvant sur le bureau; il devait comporter le nom de Diana sur la couverture et rien que l’idée que Hannah puisse avoir accès à toute cette partie là de sa vie vint lui donner la chaire de poule.
« Je… » Elle n’avait pas l’habitude de se retrouver sans voix de la sorte, Diana. Elle qui arrivait souvent à trouver toujours un mot à dire pour chaque situation ne savait trop comment aborder celle qui se trouvait sous ses yeux présentement. Elle s’attendait à venir ici, à assister - et participer de temps à autres - à l’entretien avec sa psychiatre habituelle pendant une heure avant de retourner tranquillement travailler comme si de rien n’était. Ave cHannah désormais sous ses yeux, ce qui avait eu comme prétention d’être facile jusqu’alors se complexifiait et elle ne savait par quel côté commencer dans toute cette affaire. Car le seul point sur lequel elle était sûre, c’était qu’elle ne repartirait pas d’ici sans que ce rendez-vous soit marqué comme effectué dans son dossier. Il lui était déjà assez pénible de venir se remémorer des événements de sa vie qu’elle aurait préféré garder enfouis au fond d’elle pour imaginer venir repousser cet entretient. « Je suis désolée. D’avance. » Qu’elle vint finalement laisser échapper, alors qu’elle venait s’asseoir sur le canapé, actant l’idée de rester ici malgré l’inconvénients d’avoir la jeune Whitemore en face d’elle comme interlocuteur. Diana savait que cette dernière savait être une professionnelle hors paire, et elle espérait que Hannah pourrait lui démontrer en cette journée qui virait certainement au cauchemar. Diana était toujours ferme sur l’idée que de partager ce pan là de son existence avec son amie n’était en rien une bonne idée - mais elle faisait face au médecin, présentement. Et toutes les données se trouvaient être changées, alors qu’elle commençait déjà à jouer nerveusement avec ses doigts.
Lorsque le regard d’Hannah croisa celui de Diana, son premier réflexe fût de penser qu’elle était peut-être venue la trouver pour s’excuser. Après tout, elle avait peut-être été celle qui s’était rendue à l’improviste pour la voir à l’université, mais la brune était celle qui avait levé un voile de mystère supplémentaire sur une situation qui brisait le cœur du médecin. Elle ne l’avouait jamais, mais la mort de Ella la hantait encore à l’heure actuelle et rien ne semblait l’aider à dépasser cet accident tragique. Les images de cette nuit-là lui revenaient encore bien trop souvent à l’esprit et le fait que son amie s’obstine à conserver le silence sur sa présence lors de la commémoration avait été une source de frustration intense. A sa décharge, Diana ne pouvait pas savoir à quel point elle était encore affectée par le décès de sa meilleure amie, après tout, elles n’étaient que des adolescentes à l’époque. Mais pour Hannah, ça aurait aussi bien pu être la veille. La douleur était toujours aussi vive, les sons et les cris aussi présents et les images encore bien trop nettes dans sa tête lorsque la scène se rejouait, encore et encore. Le deuil était un long processus, elle le savait pour l’avoir étudié et même aidé d’autres personnes à en sortir alors qu’elle-même restait constamment bloquée à la dernière étape : l’acceptation. Dix ans, et elle ne parvenait toujours pas à passer au-dessus. Plutôt nul pour une psy, pas vrai ? La brune n’avait été que la victime d’une projection agressive, un comportement de défense qui lui venait parfois inconsciemment lorsque le sujet de Ella revenait sur le tapis. L’astrophysicienne s’était murée dans le silence, laissant une tension s’installer entre elles pour finalement mettre fin à leur entrevue sans fournir plus d’explications sur sa présence ce jour-là. Elles n’avaient plus parlé depuis et ne s’étaient plus revues, ce qui expliquait que Hannah puisse penser l’espace d’un instant qu’elle était là pour ça. Pour s’excuser, pour mettre les choses à plat. Pourtant, c’était de la surprise qu’elle avait lu dans ses yeux lorsqu’elle avait relevé le nez dans sa direction, non ? Perdue, le médecin lui demanda ce qu’elle faisait ici, à mille lieux de s’imaginer la vérité et ce qui n’allait pas tarder à suivre. « Je… » La jeune femme leva un sourcil intrigué avant de poser ses yeux sur le dossier, puis de les relever une nouvelle fois vers son amie. La pièce ne tarda pas à tomber et elle comprit alors que ce rendez-vous, il était avec elle. C’était elle, la patiente qu’elle avait accepté de voir afin de rendre service à sa collègue bien trop pressée. Pourquoi est-ce que Diana avait besoin d’un suivi annuel ? Les questions se bousculaient à nouveau dans son esprit, ce qui commençait à être récurrent lorsque son amie se retrouvait dans la même pièce qu’elle ces derniers temps. « C’est toi qui remplace le docteur Farewell aujourd’hui, c’est ça ? » Demanda-t-elle dans un soupir tout en s’avançant dans le bureau afin d’y poser ses affaires, un geste qui sous-entendait une certaine aisance dans cet endroit qu’Hannah connaissait mal. Mais cela ne semblait pas être le cas de la brune qui la fixait alors qu’elle-même laissait son regard se perdre sur le nom imprimé en toutes lettres de son amie sur ce dossier qu’elle était supposée traiter. Et qu’était-elle supposé faire maintenant ? « C’est ça… » Répondit-elle avec une hésitation dans la voix, sa main restant désespérément bloquée sur la première page du dossier de son amie. La curiosité était plus forte que tout et son cœur battait bien trop vite pour que cela soit normal, comme si le médecin sentait que quelque chose allait se passer ici et maintenant et qu’elles ne pourraient plus faire marche arrière. « Je… Je suis désolée. D’avance. » Cette réflexion n’augura rien de bon à la brunette qui observa son amie se décomposer sous ses yeux avant de s’asseoir dans le canapé prévu pour les patients. La meilleure chose à faire aurait probablement été de lui proposer de remettre l’entretien à plus tard, de laisser sa collègue reprendre ce dossier comme c’était initialement prévu. Mais à voir l’état de Diana, elle n’allait pas bien du tout, et c’est sans doute ce qui décida Hannah à faire fi de ce que sa raison la poussait à faire pour n’écouter que son instinct, une fois de plus. « Pourquoi ? » Lança-t-elle en s’installant face à elle, laissant volontairement le dossier fermé avant de relever les yeux vers la brune, lui laissant une chance de s’exprimer par elle-même. « Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ? » Qu’est-ce qui te met dans cet état, Diana ? Les sourcils froncés, la jeune femme sondait son amie, cherchant à comprendre ce qui s’avérerait bientôt être un coup de massue comme elle n’en avait encore jamais reçu.
Elle vint oser la question, tout de même, afin d’être sûre de ne pas mal interpréter les signes qu’elle avait sous les yeux - même si ces derniers étaient on ne pouvait plus évidants. « C’est ça… » Hannah était donc bien la fameuse collègue qui venait remplacer, exceptionnellement, le docteur Farewell aujourd’hui. La chance n’était pas du côté de la Rhodes mais, après un instant de réflexion seule et en silence, elle vint accepter cette embuche qui se trouvait sur son chemin. Aucune situation n’était idéale, de toutes façons, lorsqu’il s’agissait de venir évoquer cette fameuse nuit de février 2010. Il n’y aurait eu aucune manière meilleure qu’une autre de venir en parler à Hannah - même si celle qu’elle s’apprêtait à devoir utiliser et, sans aucun doute, la pire de toutes.
« Pourquoi ? » Que vint naturellement demander la Whitemore alors que Diana s’excusait d’avance, sans aucune raison évidente. La jeune femme savait simplement d’avance ce que contenait son dossier, et les thématiques qu’elles auraient à discuter afin de clôturer l’entretien. Elle savait également à quel point elle s’apprêtait à venir ajouter des pièces au puzzle du passé de Hannah sans qu’elle ne lui ait explicitement demandé - pas cette fois-ci. « Qu’est-ce qu’il y a là-dedans ? » Dans ce dossier qu’elle n’avait pas encore ouvert ? Trop de choses au goût de la Rhodes. Des informations que seuls les professionnels de santé l’entourant depuis des années étaient au courant. Des détails qu’elle gardait secrets au plus profond de son être et de son inconscient, en ayant l’espoir qu’ils ne revoient jamais la lumière du jour. N’osant relever son regard vers Hannah, qui pourtant s’était installée à à peine un mètre d’elle dans le fauteuil utilisé d’ordinaire par sa collègue, Diana continuait de jouer nerveusement avec ses doigts. Dans la pire des situations, elle pouvait toujours tenter de sauver un meuble ou deux - et c’était ce qu’elle tentait de faire en prenant un instant afin d’extirper de ses pensées la meilleure formulation quand aux mots qu’elle s’apprêtait à prononcer.
Après s’être autorisée un soupire et une inspiration plus longue que de mesure, Diana vint finalement relever ses prunelles pour les plonger dans celles de son amie. « Le pire dans tout ça, c’est que je suis presque sure que tu connais le contenu de ce dossier… de mon dossier. » Autant appeler un chat un chat, étant donné ce qui s’apprêtait à se passer entre les deux jeunes femmes. Si d’ordinaire, elle irait jusqu’à nier voir un psychiatre dans toute situation, l’évidence était présente aujourd’hui et elle ne pouvait prétendre que son nom était marqué en lettres italiques sur la couverture du dossier que Hannah tenait entre ses mains, toujours fermé. « Parce-que tu connais exactement le déroulé des faits de cette nuit de février 2010. Tu les connais aussi bien que moi je les connais car, avec des points de vue bien différents, on était toutes les deux sur place à ce moment là. » Faire machine arrière n’était plus envisageable, et tous les efforts que Diana avait mis en place ces dernières semaines afin de ne pas faire face à Hannah, et de ne pas avoir cette discussion là avec elle, s’envolaient. C’était nécessaire - elle le savait, au fond d’elle. Elle n’avait juste pas envie de voir l’horreur et l’effroi dans le regard de celle qu’elle considérait toujours comme son amie.
« Je ne sais pas si tu veux que je continue ou si tu préfères que je me taise. Ou si tu souhaites plutôt lire ce que tes collègues ont à dire à mon sujet, à travers mon dossier… » C’en était peut-être de trop, alors elle vint se taire à la suite de ces derniers mots prononcés. Diana était totalement consciente que cette nouvelle variable ajoutée allait chambouler plus d’un élément dans la perception de la situation par Hannah, et elle préférait lui laisser désormais tout l’espace dont elle avait besoin pour digérer ce que la jeune femme venait de lui dire. Elle saurait connecter les points et les images, en regard de la dernière discussion qu’elles avaient partagée autour d’un café rapidement écourté. Hannah saurait replacer Diana et comprendre son rôle dans toute cette situation, autant par rapport à elle-même que par rapport à Ella. La Rhodes n’était pas la responsable directe de la tragédie de cette nuit de février, une décennie auparavant, mais elle en était l’un des principaux acteurs. Son nom avait été tu de part et d’autre, car elle n’avait pas souhaité être reconnue pour cet événement tragique. Mais Hannah n’aurait pas besoin des articles de journaux pour comprendre où Diana se tenait par rapport à elle dans cette affaire.
Pas d’excuses en vue donc, mais bel et bien une situation provoquée par la coïncidence, comme le démontrait l’air surpris que l’on pouvait trouver chez les deux brunes. Un remplacement de dernière minute et voilà qu’elle se trouvait face à Diana après un long moment de silence, après n’avoir jamais obtenu ce qu’elle était venue chercher ce jour-là en la débusquant à l’université. Mais que cherchait-elle exactement ? Elle-même n’en savait rien, persuadée qu’il s’agissait simplement d’une parcelle de vérité qui lui manquait cruellement depuis les faits. La Rhodes faisait partie de sa vie depuis de nombreuses années et pourtant, Ella ne s’était jamais imposée comme un dénominateur commun entre elles. Il avait fallu cette commémoration et un hasard pour qu’Hannah pose les yeux sur l’astrophysicienne, l’espace de quelques secondes, assez pour la reconnaître et deviner qu’elle avait quitté les lieux avant la fin du service. Depuis lors, les questions s’enchaînaient et demeuraient sans réponses, poussant la brune à ressasser une scène qui appartenait au passé mais qui était pourtant aussi vivace que jamais. Et comme si cela ne suffisait pas, elle apprenait maintenant que Diana cachait quelque chose, au travers de ces séances de psy dont elle ne prenait connaissance qu’aujourd’hui. La mine qu’affichait son amie n’augurait rien de bon, pas plus que ses excuses qui n’avaient rien à voir avec leur dernière entrevue, elle en était persuadée. Son regard passa du dossier encore fermé à la brune, sentant son rythme cardiaque s’accélérer alors qu’un mauvais pressentiment s’emparait d’elle. Elle ne parvenait pas à mettre le doigt dessus et pourtant, c’était comme si une part d’elle s’attendait déjà à ce qui allait suivre. Hannah s’installa face à l’astrophysicienne, sourcils légèrement froncés, ne parvenant pas à camoufler l’inquiétude croissante qui faisait rage en elle alors que la sensation d’être proche d’obtenir ce qu’elle voulait se faisait ressentir. Le regard fuyant, Diana mit quelques secondes avant de prendre la parole, plongeant le médecin dans une expectative dérangeante. « Le pire dans tout ça, c’est que je suis presque sure que tu connais le contenu de ce dossier… de mon dossier. » Une fois de plus, la main de la brune passa sur ce dossier qu’elle n’avait pas eu l’occasion de lire, que sa collègue avait remis à la hâte avant de disparaître pour vaquer à ses occupations. Il aurait été tellement facile de l’ouvrir et de prendre connaissance de son contenu, mais elle ne pouvait pas s’y résoudre. Elle ne pouvait pas prendre en charge Diana, car elles se connaissaient, mais les mots restèrent coincés dans sa gorge alors que la curiosité et l’envie de comprendre prenaient le pas sur la raison. « Parce-que tu connais exactement le déroulé des faits de cette nuit de février 2010. Tu les connais aussi bien que moi je les connais car, avec des points de vue bien différents, on était toutes les deux sur place à ce moment là. » Cette nuit de février 2010. Le regard de la brune s’assombrit légèrement alors que les points se connectaient doucement entre eux, la poussant à envisager l’inenvisageable. Ses yeux se remplirent de larmes alors que la scène se rejouait une fois de plus dans son esprit, comme à chaque fois que la discussion touchait de près ou de loin au décès de sa meilleure amie. Le visage de Diana refusait de s’imbriquer dans les images qui lui revenaient les unes après les autres et pourtant, c’était bien elle, la passagère dont elle n’avait jamais su l’identité. C’était bien elle qui s’était retrouvée dans la voiture responsable de la mort d’Ella, celle qui aurait peut-être pu empêcher cette tragédie en s’interposant et en disant qu’elle n’était pas en état de conduire. Les dents de la jeune femme se serrèrent sans même qu’elle ne s’en rende compte, tout comme les doigts de sa main qui se refermèrent sur sa jambe pour pallier aux vives émotions qui faisaient rage en elle. « Je ne sais pas si tu veux que je continue ou si tu préfères que je me taise. Ou si tu souhaites plutôt lire ce que tes collègues ont à dire à mon sujet, à travers mon dossier… » Hannah releva finalement les yeux vers Diana, une lueur d’incompréhension dans le regard. Elle ignorait comment réagir où même comment faire face à ce qu’elle ressentait en cet instant, face à elle et face à cette situation qui n’avait rien de commun. L’incident l’avait profondément affectée et c’était encore vrai aujourd’hui. Apprendre que l’une de ses amies était l’actrice principale de cette tragédie était une nouvelle qu’elle avait beaucoup de mal à intégrer, comme le prouvait son air désarçonné alors qu’elle observait la brune, calme et hésitante. « Je ne compte pas ouvrir ce dossier, il y a conflit et comme on se connaît, ça serait tout sauf déontologique. » Elle soupira et se releva vivement afin de déposer ledit dossier sur le bureau de sa collègue avant de reprendre place face à Diana. « Je vais dire au docteur Farewell de te donner un autre rendez-vous. Ce qui te laisse deux possibilités : tu peux rester et me raconter ce qu’il s’est passé, au nom de notre amitié et absolument pas dans le cadre professionnel. Ou tu peux t’en aller et oublier ce qu’il vient de se passer, à condition de m’oublier, moi aussi. » Elle n’était pas froide ou agressive, simplement sous le choc. Elle ne pourrait pas continuer à alimenter une amitié avec autant de non-dits et surtout pas après ce que Diana venait d’apprendre, c’était absolument au-dessus de ses forces. « Est-ce que tu savais qui j’étais avant que je vienne t’interroger à l’université ? » Les hostilités étaient lancées ; allait-elle enfin se livrer à elle ou préférer se lever et tourner les talons, mettant ainsi un terme à une amitié à laquelle elle tenait énormément ? Hannah n’en montrait rien, mais une fois de plus, son cœur menaçait de sortir de sa poitrine tant il battait vite. Les questions se bousculaient une nouvelle fois mais cette fois-ci la donne avait changé ; les réponses étaient à portée de main, à condition que Diana accepte de se plier à l’exercice difficile de la confession.
Rien que de mentionner cette nuit là de février, déroulée plus d’un décennie plus tôt, lançait des slaves de frissons malsains à travers tous les nerfs composant l’épiderme de Diana. Elle n’aimait pas ça - plutôt, elle détestait ça. De devoir en parler, de devoir ressasser les événements comme si elle racontait un bon souvenir. Tout dans le déroulé de cette nuit-là lui donnait mal à l’estomac, et la nausée allant de paire. S’il y avait bien un événement dont elle se passerait bien, dans son histoire personnelle, c’était celui-ci - il n’était pas aussi simple de rayer des parties de sa vie, malheureusement. Cependant, aujourd’hui devrait être une entorse à la règle. Elle ne pouvait plus faire comme si elle ne comprenait pas de quoi Hannah parlait; ce serait la prendre de nouveau pour une idiote et elle savait très bien que cela n’avait pas fonctionné la première fois, et qu’une seconde tentative serait inutile. La Whitemore savait, elle n’avait juste pas encore mis toutes les pièces du puzzle dans le bon sens afin de voir la plus grand image.
Avant de parler trop vite, de dire des choses que Hannah ne souhaitait pas entendre, Diana préféra venir s’arrêter dans son discours. Si elle avait compris qu’elle ne pouvait faire marche arrière, elle ne savait pas jusqu’où elle pouvait avancer; autant de son point de vue que de celui de son amie. Ce qu’elle avait décidé de faire, en revanche, c’était de ne pas déloger son regard des prunelles de la jeune femme, et elle pouvait y lire tout ce qu’il lui faisait peur de découvrir jusque maintenant. Une fois de plus, la chair de poule vint se répandre sur ses bras, sur son échine. « Je ne compte pas ouvrir ce dossier, il y a conflit et comme on se connaît, ça serait tout sauf déontologique. » A ces mots, la mâchoire de la Rhodes vint se serrer un brin davantage. C’était tout sauf la réponse qu’elle aurait souhaité entendre - avait-elle le droit de souhaiter quelque-chose de la part de Hannah alors qu’elle était clairement la personne défavorisée dans cette conversation ? -, car si Hannah ne souhaitait pas poursuivre réellement l’entretien, rien ne retenait Diana ici. Elle avait besoin du cacher sur son dossier pour ne pas avoir à remettre les pieds ici, et que cette mauvaise passe annuelle soit derrière elle. Elle ne comptait pas se pointer à deux rendez-vous différents pour la même chose, mais il était précisé en toutes lettres dans son dossier qu’elle ne pouvait couper à ces rencontres. Elle allait rapidement se retrouver bloquer dans un cul-de-sac - elle le lut dans le regard de la blonde avant même qu’elle ne vienne prononcer ses prochaines paroles. « Je vais dire au docteur Farewell de te donner un autre rendez-vous. Ce qui te laisse deux possibilités : tu peux rester et me raconter ce qu’il s’est passé, au nom de notre amitié et absolument pas dans le cadre professionnel. Ou tu peux t’en aller et oublier ce qu’il vient de se passer, à condition de m’oublier, moi aussi. » Pour la première fois depuis plusieurs minutes, Diana vint déloger son regard de celui de Hannah. C’était tout sauf ce qu’elle souhaitait entendre. Son instinct la poussait à fuir, à venir prendre la porte sans demander son reste - elle devrait prendre un second rendez-vous, mais au moins elle n’aurait pas à expliciter davantage des faits douloureux à haute voix. L’autre partie d’elle la suppliait de venir raisonner la psychiatre et de lui laisser la chance dont elle pouvait bénéficier; implorer la professionnelle en elle pour que cette mauvaise passe soit derrière elles et qu’elles puissent venir reprendre cette discussion dans d’autres circonstances.
Malheureusement, aucune de ces deux options n’étaient envisageables. Elle ne pouvait pas faire demi-tour. Hannah n’avait pas besoin de mentionner le fait que si elle décidait de se rétracter en cet instant, leur amitié sera de l’histoire ancienne. Elle avait déjà pâti du comportement de Diana lors de leur dernière rencontre. « Est-ce que tu savais qui j’étais avant que je vienne t’interroger à l’université ? » Le bout des doigts venant triturer une peluche imaginaire sur son jeans, le coeur de Diana prenait des tournants inattendus dans sa cage thoracique. A partir de l’instant où elle commencerait à s’exprimer, les dés seraient jetés. « Non, je ne savais pas. » Il lui semblait qu’une éternité s’était écoulée entre la question de Hannah et sa réponse, mais peu importait le temps qu’elle mettait à s’exprimer du moment qu’elle se refusait à quitter ce fauteuil, ce bureau, cette situation. « Disons que ça a confirmé mes soupçons, plutôt. » Elle avait compris les liens qui s’étaient tissés entre la Whitemore et Ella lorsqu’elle l’avait vu le jour de la commémoration, mais n’avait accepté l’horrible réalité que lorsque Hannah était venue la trouver à l’université et qu’elle l’avait mise devant le fait accompli. « Je ne t’ai pas répondu l’autre jour, même si j’ai bien compris que tu avais compris de ton côté, mais c’était bien moi à l’Eglise le jour de la commémoration. Ca me semblait être le minimum que d’être présente, pour cette date… particulière. » Si cet accident avait changé sa vie en une fraction de seconde, cette nuit-là, elle savait qu’il n’en était rien comparé à la famille de Ella et à ses proches, qui avaient perdu un être cher dans l’accident. C’était aussi pour cette raison là qu’elle ne souhaitait pas en discuter avec Hannah, car elle ne savait comment elle allait supporter le retour de la culpabilité tant à distance de l’accident; elle avait déjà mis des semaines et des mois à sortir ne serait-ce qu’un minimum la tête de l’eau la première fois, elle ne souhaitait pas manquer d’air de nouveau.
« La seule responsabilité que j’ai su avoir, ce soir là, ça a été de ne pas prendre moi-même le volant. Je découvrais toute une partie de la vie de jeune adulte, je comprenais enfin pourquoi tant de personnes disaient adorer leurs années étudiantes. Je n’ai plus vu ça de la même façon, après. » Ses mâchoires grinçaient presque, et son regard tentait de rester le moins possible dans le vague - tentait de rester le plus loin possible de celui de Hannah aussi. Elle savait que seule la vérité serait bonne à être énoncée désormais, et elle s’y appliquait au maximum. Ce ne serait pas forcément les paroles que son amie souhaiterait entendre de suite, mais les douleurs savaient se faire rappeler bien trop facilement pour lui permettre de s’exprimer en toute liberté. « J’ai rapidement compris lorsque Jennifer a commencé à perdre le contrôle du véhicule que toute cette idée était idiote. Qu’on aurait du rentrer à pieds, rester sur place, qui sait. Tout sauf prendre la voiture. » Car d’autres personnes étaient restées sur place, à ce coin de rue là, une poignée de minutes plus tard. Les images de ses souvenirs défilaient désormais devant ses yeux, alors que les phares lumineux des autres voitures aux alentours venaient de nouveau éclairer la scène. « Je me rappelle du choc, je me rappelle de l’instant où je me suis réveillée à l’hôpital. Entre les deux, les souvenirs sont plus flous… Comme des images projetées sans ordre particulier. » Elle n’avait pas su de suite que s’en sortir n’avait pas été une option disponible pour tous. Sa soeur avait pris soin de lui épargner cette vérité, le temps qu’elle respire un instant. Mais les souvenirs étaient déjà ancrés, profondément, dans l’inconscient de la jeune femme. « C’est que plusieurs jours plus tard que j’ai appris ce qu’il s’était passé. » Elle déglutit avec grand peine. « Dans les détails, en tous cas. »
Hannah regrettait d’être dans cette position, celle de la psychiatre qui se devait de respecter la déontologie et toutes ces règles qui régissaient sa profession. Sa seule envie était d’ouvrir ce dossier, de le décortiquer jusqu’à enfin réussir à comprendre le comportement de Diana à son égard. Tout avait changé depuis la commémoration, depuis qu’elle s’était rendue jusqu’à l’université afin d’obtenir des réponses à ses nombreuses questions. La brune n’avait fait que l’embrouiller davantage, semant le doute dans son esprit troublé en la poussant à ressasser chaque parole, chaque détail qui aurait pu la mettre sur la voie. Mais sans la moindre information supplémentaire, l’énigme était restée impossible à résoudre et donc une source de frustration pour la jeune femme qui ne supportait pas de nager dans cet océan d’incompréhension provoqué par Diana. Il avait fallu cet entretien et un empêchement pour les réunir aujourd’hui dans cette pièce, pour pousser l’astrophysicienne dans ses derniers retranchements. Hannah pouvait voir qu’elle ne tenait pas à lui avouer ce que contenait ce dossier, qu’elle aurait préféré ignorer cette parenthèse et s’en aller avant de prétendre que rien ne s’était passé. Mais le médecin ne lui en laissa pas l’opportunité, allant jusqu’à lui proposer un choix lourd de conséquences. Dans tous les cas, la brunette pouvait déjà avancer qu’elles ne ressortiraient pas indemnes de cette pièce. La question était : pourquoi ? Quel rôle avait bien pu jouer son amie dans la mort d’Ella ? Rien que le fait de penser à cette question la retournait dans tous les sens, elle qui était à mille lieux de s’imaginer que la jeune femme puisse être impliquée dans l’événement qui avait marqué sa vie, à tout jamais. La réciproque était vraie pourtant, mais à ce stade, Hannah ne parvenait pas un seul instant à se mettre à la place de Diana. Comment le pourrait-elle après tout ? Elle ignorait tout de ce qu’elle avait vécu cette nuit-là. Tout ce dont elle se souvient, c’est de la douleur et de la sensation qu’on lui avait arraché quelque chose, laissant ainsi un trou béant dans sa poitrine. Ce sentiment n’avait jamais réellement disparu et alors que cette fameuse nuit revenait sur le tapis, la brune le ressentait, aujourd’hui plus que jamais. Et alors qu’elle reposait le dossier fermé à côté d’elle, elle formula la première question qui lui vint à l’esprit : est-ce qu’elle savait qui elle était ? Car la perspective d’avoir vécu une amitié basée sur un tel mensonge était insoutenable, et elle avait besoin d’en avoir le cœur net. « Non, je ne savais pas. Disons que ça a confirmé mes soupçons, plutôt. » Le soulagement aurait pu se lire sur son visage, si seulement celui-ci ne demeurait pas résolument fermé alors qu’elle fixait la jeune femme qui lui faisait face. Avoir cette discussion lui soulevait le cœur et sa gorge était nouée, comme s’il s’agissait là d’un signe annonciateur d’une suite qu’elle ne voulait pas entendre. Pourtant, il le faudrait bien. « Je ne t’ai pas répondu l’autre jour, même si j’ai bien compris que tu avais compris de ton côté, mais c’était bien moi à l’Eglise le jour de la commémoration. Ca me semblait être le minimum que d’être présente, pour cette date… particulière. » Hannah hocha la tête en signe de compréhension mais s’abstint de prononcer le moindre commentaire. En thérapie, il était important de laisser du temps au patient afin qu’il poursuive le fil de ses idées, qu’il se laisse immerger dans l’introspection quant à ses émotions. Ici, pourtant, ce n’était pas ça. Ici, il s’agissait tout simplement de l’incapacité de la brune à faire face à ce qu’elle entendait alors qu’elle anticipait déjà la suite, pensant au pire. « La seule responsabilité que j’ai su avoir, ce soir là, ça a été de ne pas prendre moi-même le volant. Je découvrais toute une partie de la vie de jeune adulte, je comprenais enfin pourquoi tant de personnes disaient adorer leurs années étudiantes. Je n’ai plus vu ça de la même façon, après. J’ai rapidement compris lorsque Jennifer a commencé à perdre le contrôle du véhicule que toute cette idée était idiote. Qu’on aurait du rentrer à pieds, rester sur place, qui sait. Tout sauf prendre la voiture. Je me rappelle du choc, je me rappelle de l’instant où je me suis réveillée à l’hôpital. Entre les deux, les souvenirs sont plus flous… Comme des images projetées sans ordre particulier. C’est que plusieurs jours plus tard que j’ai appris ce qu’il s’était passé. Dans les détails, en tous cas. » Au fil du récit de Diana, le médecin ne pouvait ignorer ses expressions qui en disaient long sur ce qu’elle ressentait encore après toutes ces années. Impossible de ne pas se rendre compte qu’elle était encore particulièrement affectée par les faits, même si sa seule présence dans ce cabinet était déjà un sérieux indice sur la question. Et si la boule dans sa gorge n’avait pas disparu, elle avait commencé à s’atténuer lorsqu’elle comprit que Diana n’avait pas été derrière le volant. Elle aurait pu l’en empêcher, elle aurait pu éviter cette catastrophe en parlant et en s’interposant, mais Hannah refusait de se projeter avec des « si ». Ils étaient douloureux et n’amenaient à rien, sauf à davantage de souffrance. « Pourquoi tu as préféré me mentir plutôt que de m’avouer la vérité ? » Lança-t-elle finalement, d’une voix rauque qui trahissait toute l’émotion qui était la sienne. « Ce n’est pas comme si… » Elle soupira et passa une main sur son visage qui avait désormais perdu de sa dureté. « Ce n’est pas comme si c’était toi qui l’avait tuée. » La jeune femme releva les yeux et tenta d’accrocher le regard de son amie, consciente du poids de la culpabilité qui devait être le sien. Hannah n’était plus assez en colère pour lui en vouloir alors que sa responsabilité dans l’accident avait été dégagée, ce qui n’aurait pas été pareil si elle avait été celle derrière le volant ce fameux soir.
Les explications qu’elle était en train de donner à la jeune femme, de formuler à haute voix, elle le faisait uniquement parce-qu’il s’agissait de Hannah et qu’elle l’avait prise pour une idiote assez longtemps comme ça. Si ça avait été quelqu’un d’autre, n’importe qui d’autre, elle aurait déjà pris la porte. Elle ne souhaitait pas se rappeler de ces moments là, et encore moins venir les partager avec une tiers personne. Evoquer ces faits, c’était repartir plus de dix ans en arrière et ressentir une nouvelle fois le choc de l’accident comme s’il était en train de se dérouler en cet instant.
« Pourquoi tu as préféré me mentir plutôt que de m’avouer la vérité ? » Un silence s’était permis de régner entre les deux jeunes femmes, pendant un instant ou deux, laissant comme la poussière retomber. Si elle avait été d’humeur joueuse et rieuse, Diana, elle serait venue demander la malice accrochée aux lèvres à Hannah si elle souhaitait sa liste par ordre chronologique ou par ordre alphabétique. Cependant, l’humour n’était invité à la table de cette conversation et le fait qu’elle triture avec forte intention les fils dépassant de son pantalon montrait à quel point l’humour était loin des pensées de Diana. Présentement, elle se devait de composer avec des émotions qu’elle détestait ressentir, et cela était une des bonnes raisons pour lesquelles elle n’avait, jusque maintenant, jamais avoué la vérité à Hannah. « Ce n’est pas comme si… » Elle ne vint en rien l’interrompre. « Ce n’est pas comme si c’était toi qui l’avait tuée. » « C’est du pareil au même, Hannah. » Sur cet instant là, elle n’avait su se retenir plus longtemps.
Car le coeur du soucis se trouvait ici, en réalité. Ce n’était pas elle qui conduisait la voiture cette nuit là, mais les dégâts se ressentaient de la même façon que si elle avait eu le volant entre ses mains. Elle avait senti autant de doute, autant de regret, et autant de culpabilité que si elle était venue appuyer elle-même sur l’accélérateur. « Ce n’est peut-être officiellement pas moi, mais la culpabilité que je ressens est celle d’une personne coupable parce-que je le suis malgré tout, coupable. » Et avant qu’elle ne puisse y faire quoi que ce soit, une larme, silence, s’échappa de ses yeux. Elle ne resta pas longtemps à découvert, rapidement chassée d’un revers de la main, mais elle fut quand même présente. Là où elle n’aimait en rien venir constater que les progrès qu’elle clamait pourtant faire ne portaient pas leurs fruits, qu’elle était toujours au même point que dix ans auparavant.
La douleur était toujours aussi vive.
« C’est pour ça que je t’en ai pas parlé plus tôt, car je ne voulais pas voir ton regard lorsque tu comprendrais que j’ai tout de même coupable de tout ça. » Car ce n’était pas le genre de ressenti que l’on voulait lire à travers le regard d’une amie, d’une personne proche de nous, surtout lorsqu’il était question de voir s’évanouir la confiance à travers ces fenêtres de l’âme. Certes, l’honnêteté était importante; mais le bruit d’un coeur qui se brise lorsque la vérité venait à être mise en lumière faisait bien plus de bruit que le cri du mensonge.
Hannah tomba des nues en apprenant la vérité et le rôle qu’avait tenu Diana ce jour-là. Les deux jeunes femmes étaient hantées par le même fantôme, mais pour des raisons bien différentes. Si la brune ne faisait que ressasser le souvenir d’une amie partie trop tôt, pour l’astrophysicienne, tout était bien plus éloigné de cela. Elle n’ignorait pas la culpabilité qui pouvait tirailler la Rhodes, mais compte tenu de son rôle dans l’accident, elle avait du mal à comprendre le pourquoi de ces mensonges. La pilule était difficile à avaler, mais puisqu’à leur rencontre Diana n’avait pas la moindre idée de qui elle était, comment pourrait-elle réellement lui en vouloir ? La colère et l’indignation ne l’avaient jamais réellement quitté depuis ce jour, mais Hannah ne parvenait pourtant pas à la rediriger vers son amie. Elle aurait pu, sans doute aurait-ce été plus simple d’ailleurs. Mais la juger pour une erreur commise à l’adolescence qu’elle aurait très bien pu faire elle aussi lui semblait injuste, surtout en voyant à quel point elle s’en voulait encore dix ans après. Certes, elle aurait pu empêcher son amie de prendre le volant, mais il s’agissait là d’un acte qui n’était pas le sien et si les conséquences s’étaient avérées tragiques, elles n’en restaient pas moins purement accidentelles. « C’est du pareil au même, Hannah. Ce n’est peut-être officiellement pas moi, mais la culpabilité que je ressens est celle d’une personne coupable parce-que je le suis malgré tout, coupable. » Une larme s’écoula le long de sa joue et Hannah pinça les lèvres, réfrénant son envie de la prendre dans ses bras. Peut-être que c’était là le geste que Diana attendait, qui l’aurait soulagée, mais la jeune femme était tout simplement incapable de se montrer aussi affable après ce qu’elle venait d’entendre. Il lui faudrait le temps de digérer la nouvelle, de l’analyser sous tous les angles, et puis seulement pourrait-elle mettre des mots sur ce qu’elle ressentait réellement à l’égard de la brune. « C’est pour ça que je t’en ai pas parlé plus tôt, car je ne voulais pas voir ton regard lorsque tu comprendrais que j’ai tout de même coupable de tout ça. » Le médecin hésita quelques secondes avant de secouer la tête, incapable de faire peser cette culpabilité sur les épaules de son amie. « Si on avait été amie à l’époque des faits et que j’avais directement su le rôle que tu avais tenu dans l’accident, je t’aurais probablement tenue responsable de tout ça. » Commença-t-elle dans un soupir, éprouvant toujours autant de difficulté à se replonger dans cette période sombre de sa vie. « Parce que j’étais en colère et que j’en voulais au monde entier. Parce que j’ai trouvé ça injuste qu’on me l’enlève alors qu’elle avait la vie devant elle et qu’elle n'avait rien fait pour ça… Elle était juste au mauvais endroit, au mauvais moment. » Ajouta-t-elle en plissant les lèvres. « Ça aurait tout aussi bien pu être moi tu sais ? » Hannah passa une main fatiguée sur ses yeux avant d’observer Diana avec le plus grand des sérieux. « Mais là, aujourd’hui, je te regarde et je ne te juge absolument pas coupable de ce qu’il s’est passé. » Qui était-elle pour le faire, de toute façon ? Elles étaient jeunes à l’époque des faits et rien qu’à voir la Rhodes, celle-ci ne s’était pas encore remise de tout ça, elle non plus. « Je souhaite que la culpabilité que tu ressens s’efface un jour. » Et elle le pensait, vraiment. « Je ne vais pas te mentir, apprendre tout ça me remue pas mal et si j’essaie de ne pas rajouter une couche à ta douleur, je vais devoir composer avec la mienne… » Parce que tout ce qui touchait à Ella réveillait une plaie béante qui refusait de se fermer totalement, même après toutes ces années. « Tu restes mon amie, mais je vais avoir besoin d’un peu de temps pour me faire à l’idée. » Et ça risquait de ne pas être une mince affaire, même si la perspective de sortir Diana de sa vie n’était pas quelque chose auquel elle voulait penser.
Un léger silence se fit ressentir entre les jeunes femmes, et Diana ne savait trop comment l’interpréter. Si elle s’était montrée hésitante au premier abord à venir ouvrir son coeur et ses souvenirs à la Whitemore, elle était désormais on ne pouvait plus exposée, à coeur ouvert, et l’idée que la jeune femme puisse ne pas apprécier cette idée alors qu’elle lui avait explicitement demandé de le faire insufflait un stress non-désiré au sein de Diana. « Si on avait été amie à l’époque des faits et que j’avais directement su le rôle que tu avais tenu dans l’accident, je t’aurais probablement tenue responsable de tout ça. » Les lèvres de la Rhodes vinrent se pincer un brin davantage, alors qu’elle hochait quelque peu la tête. Là n’était rien d’étonnant, elle aurait surement eu la même réaction à y penser à la place de Hannah. « Parce que j’étais en colère et que j’en voulais au monde entier. Parce que j’ai trouvé ça injuste qu’on me l’enlève alors qu’elle avait la vie devant elle et qu’elle n'avait rien fait pour ça… Elle était juste au mauvais endroit, au mauvais moment. » Au mauvais endroit au mauvais moment, un bien pâle résumé de ce qui s’était réellement passé ce soir là. Ce n’était pas pas Ella qui s’était retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment, mais plutôt la voiture que Jennifer conduisait qui n’avait pas eu sa place dans la scène mise en lumière. « Ça aurait tout aussi bien pu être moi tu sais ? » Les yeux de la Rhodes vinrent accrocher, un instant et pas un de plus, ceux de Hannah. Elle ne savait pas que ça aurait pu être tout aussi bien elle, à la place de celle dont le fantôme les hantait toutes les deux depuis des années. Elle ne savait pas jusqu’à aujourd’hui - et elle se serait peut-être bien passé de cette information. La culpabilité qu’elle ressentait était déjà assez conséquente de la sorte. « Je ne savais pas, non. » Ses mots étaient murmurés, mais audibles.
« Mais là, aujourd’hui, je te regarde et je ne te juge absolument pas coupable de ce qu’il s’est passé. » Un petit sourire, qui pourrait s’apparenter à quelque-chose d’amusé, s’étira pendant deux secondes ou peut-être trois sur les lèvres de Diana. Comment pouvait-elle clamer ce genre de choses, avec les éléments que son amie venait de lui mettre en lumière ? Il n’y avait pas l’espace pour le doute quant au fait qu’elle était tout autant responsable de l’issue de cette soirée que la personne qui conduisait la voiture. Diana ne comprenait pas comment il était possible qu’elle pense autrement - c’était là en grande partie la raison pour laquelle elle ne désirait à aucun moment avoir la discussion en cours avec Hannah. « Je souhaite que la culpabilité que tu ressens s’efface un jour. » « Comme si c’était possible. » La voix de la demoiselle ne portait aucun reproche en prononçant ces mots là, elle venait statuer là une simple constatation. Il n’était pas possible pour elle de voir les autres d’une autre manière, sous un angle différent. C’était quelque-chose d’ancrée en elle, tellement profondément et depuis tellement de temps qu’elle ne voyait sa vie faire chemins séparés de cette culpabilité. Peut-être qu’avec ce type de discussion dix ans plus tôt, elle aurait pu naviguer désormais autrement. Ce n’était pas le cas et elle s’était appliquée pour ne pas avoir ce type de discussion.
« Je ne vais pas te mentir, apprendre tout ça me remue pas mal et si j’essaie de ne pas rajouter une couche à ta douleur, je vais devoir composer avec la mienne… » Diana vint hocher la tête, doucement. Elle ne s’attendait pas à autre chose qu’à une conclusion de la sorte de la part de la Whitemore, en réalité. Même, elle s’était attendue à bien pire que la scène qui se déroulait sous ses yeux. « Tu restes mon amie, mais je vais avoir besoin d’un peu de temps pour me faire à l’idée. » « Je m’attendais pas à autre chose, ne t’inquiète pas. » Elle aurait pu, en réalité, rajouter plus d’une couche à sa douleur, plus d’une couleur à sa culpabilité. Hannah avait toutes les cartes en main pour agir de la sorte, mais aussi étrange que cela puisse paraitre, elle n’en avait rien fait - alors que cela aurait pu, sans l’ombre d’un doute, venir alléger sa douleur à elle. Depuis que l’accident avait eu lieux, elles avaient toutes les deux grandies, muries. Leur discussion semblait finalement plutôt bien se dérouler là où, des années plus tôt, cela se serait résulté en surement une catastrophe. « Merci. » Que vint, après un instant de silence, murmurer Diana. Elle aurait voulu venir ajouter mille et une choses sur la situation, mais son coeur ne semblait pas de cet avis. Si elles s’en sortaient présentement plutôt correctement, c’en était peut-être mieux ainsi. Peut-être même que cela permettrait, la prochaine fois qu’elles se reverraient - Diana espérait plus que fortement qu’une prochaine fois il y aurait -, de se sentir plus légères et plus aptes à ne rien cacher désormais.
« Je vais avoir un service à te demander, en revanche. » Ce qui semblait, initialement, la partie la plus simple de cette rencontre semblait désormais pire qu’une montagne à venir parcourir. Diana ne comptait en rien repartir de ce bureau sans le tampon marquant sa présence et participation à cet entretien dans son dossier. Elle ne comptait en rien reprogrammer ce dernier non plus, mais elle savait qu’elle était suivie de près par les médecins pour s’assurer que le traumatisme qu’elle refoulait depuis tant d’années ne lui joue pas des détours. « Je peux pas repartir d’ici sans avoir validé ce rendez-vous, Hannah. » Elle vint relever son regard vers son amie, presque suppliant, en espérant qu’elle y voit à travers toute la peine qu’il en ressortait pour elle de venir participer à ce type d’entretien. Il était cependant là, le problème: la peine qu’elle ressentait à évoquer cette partie de son existence montrait bien qu’un problème résidait quelque-part. Diana préférait juste le refouler dès qu’une occasion se présentait.
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