| wait for the signal, and i'll meet you after dark (lou) |
| | (#)Dim 13 Déc 2020 - 1:04 | |
| Wait for the signal, and I'll meet you after dark. « Vous avez les informations que je vous ai demandé ? » L'homme assis face à lui acquiesça, avant de faire glisser un dossier sur la table que James n'attendit pas pour ouvrir. Quelques feuilles, quelques photos, tout ce qu'il s'attendait à y trouver en faisant appel aux services du meilleur détective privé qu'il connaisse – car oui, ça n'était pas la première fois qu'il avait besoin de mettre la main sur des informations que seul un professionnel saurait lui procurer, mais c'était la première fois en revanche qu'il se mettait en tête de retrouver une vieille amie. Lou et lui, ça remontait aux bancs de l'école et il s'était aujourd'hui presque passé quinze ans depuis la dernière fois qu'ils s'étaient vus. Le contact avait été rompu durant leur adolescence, et si James aurait en partie honte de l'avouer aujourd'hui, les addictions dans lesquelles la jeune Lou avait plongé à l'époque avaient précipité cette cassure. Il ne voulait pas prendre le risque de subir sa mauvaise influence ou de décevoir son père d'une manière ou d'une autre. Alors même si l'ami qu'il était s'était inquiété, même s'il aurait sûrement voulu réagir autrement, s'éloigner lui avait semblé être la seule chose à faire. Le temps avait ensuite passé, souvent James s'était demandé comment elle allait et si elle en était sortie, si quelqu'un lui avait tendu la main et avait fait ce dont il se sentait incapable à l'époque. Ce n'est que bien après qu'il avait su que Lou avait coupé tout contact avec ses parents, et de la bouche même du père de la jeune femme. Un homme bon, qui aussi loin qu'il s'en souvienne avait toujours fait preuve de bienveillance à son égard. Une bienveillance qui à l'époque n'était pas toujours du goût de sa fille, sous le regard de qui James se plaisait parfois un peu trop à tenter de conquérir le cœur de ses parents. A défaut d'avoir connu les siens ensemble au-delà de ses dix ans, le couple formé par les parents de Lou l'avait toujours attendri. Avec les années, James s'était surpris à entretenir un contact régulier avec le père de la jeune femme, à qui il avait fréquemment donné des nouvelles et tout aussi régulièrement pensé à en demander. Jusqu'au jour où Dexter Grimes lui avait fait part de la plus triste d'entre elles. Il souffrait alors d'un cancer et les choses ne s'annonçaient pas très bien. A ce moment-là, James avait éprouvé une empathie que peu avaient déjà su lui inspirer.
Dexter Grimes s'était finalement éteint quelques jours plus tôt, et pour James le dépit et la douleur furent réels. Il percevait en lui comme un deuxième père du temps où Lou et lui étaient encore des adolescents, et ce deuil avait inévitablement réveillé celui avec lequel il vivait depuis trois ans. Perdre Alessandro et Mr Grimes en seulement quelques années, c'était particulièrement éprouvant et James devait déployer une énergie phénoménale pour ne rien laisser paraître. Il y avait dès lors plus important que ses propres états d'âmes, et c'était de retrouver la trace de Lou. Lou, qui il le savait ignorait tout de la maladie dont son père avait souffert et vivait maintenant sans savoir que ce dernier était mort. Il s'en voulait, bien sûr, de ne pas avoir entrepris plus tôt de la retrouver pour qu'au moins elle ait une chance de renouer avec lui avant que celui-ci ne s’éteigne. Mais James se l'était répété un million de fois : ce n'était pas à lui de le faire, et ni Dexter ni Lou n'aurait sûrement apprécié qu'il interfère dans leur relation. Il se sentait dans l'interdiction de trahir le secret de l'état de santé de Dexter de son vivant, et il y a longtemps que sa loyauté lui était entièrement acquise. Seulement la donne avait changé et aujourd'hui il ne voulait plus priver son amie d'enfance d'une vérité qu'elle était en droit de connaître, quoi qu'elle décide d'en faire. C'était injuste, d'avoir la possibilité de faire son deuil tandis qu'elle ne pouvait pas commencer le sien. James avait donc recouru à des moyens peu conventionnels pour remonter sa trace et finalement découvrir qu'elle vivait sous un pseudonyme depuis de nombreuses années et était connue partout sous le nom Aberline. L'adresse où elle vivait était une autre des informations contenues par ce dossier, et James savait maintenant ce qu'il lui restait à faire. Il se rendit chez elle le matin suivant, guidé par son instinct qui lui disait que dans ce genre de situations, le plus tôt était le mieux. Il ne pouvait s'empêcher d'imaginer ce qu'il aurait voulu, à sa place, si son père et lui ne s'étaient pas parlés depuis des années et qu'il s'était éteint sans qu'il ne le sache. Alors, une fois à sa porte, il toqua et ne tarda pas à voir apparaître une silhouette familière. C'était elle, avec comme lui quelques années de plus que la dernière fois. « Bonjour, Lou. » Il énonça, le ton placide et l'air imperturbable, parce que certaines choses étaient restées les mêmes. « T'as pas tellement changé. » Depuis la dernière fois, qui lui semblait remonter à hier quand il posait les yeux sur elle comme à cet instant. Il pesait ses mots, loin d'être aussi à l'aise que son expression le laissait penser. Parce qu'il n'était pas là pour se remémorer le passé autour d'un verre, et que ce qu'il venait lui annoncer Lou n'avait sûrement aucune envie de l'entendre de sa bouche.
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| | | | (#)Mer 23 Déc 2020 - 16:56 | |
| | | ► wait for the signal, and i'll meet you after dark
Now this is an open-shut case I guess I should've known from the look on your face
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Si le départ de Finnley et sa soudaine solitude dans ce grand appartement lui avaient déjà soufflé l’idée, la récente intrusion de Mitchell et la sensation persistante d’insécurité depuis lors le lui avait confirmé ; Lou avait besoin de prendre un chien. Elle avait trouvé son bonheur dans un refuge de la ville, non pas motivée par une soudaine bonté d’âme en sauvant un animal de ces cages glauques et offrir une famille à l’un de ces malheureux, mais parce qu’elle savait qu’il n’y avait que là-bas qu’elle trouverait le parfait candidat à ses besoins. Et lorsqu’elle passa devant ce grand mastiff noir bruyant à l’écriteau alertant d’une agressivité particulière à cause de laquelle la femelle avait été laissée sur le bord de la route, la jeune femme sut que la bête était faite pour elle. Elle signa les papiers, se fit alléger de trois cent dollars, et ramena chez elle celle qu’elle avait décidé de renommer Tiny. La blague ne faisait sûrement rire qu’elle. Rapidement, Lou fut forcée de constater que l’agressivité de Tiny n’avait pas été surévaluée. Recluse dans un coin de l’appartement, apeurée par un nouvel environnement la mettant sur la défensive, la chienne montrait les crocs à la moindre approche de sa nouvelle maîtresse et aboyait à en faire trembler les murs. A plusieurs reprises, elle manqua de retourner les meubles, faire tomber la télévision, ou de croquer la main de la jeune femme. Les balades étaient épuisantes, le mastiff promenant la petite brune en bout de laisse bien plus que l’inverse. Il y allait y avoir du boulot, et Lou n’était pas connue pour sa patience. Face à cette boule de poils et de muscles capable de prendre le dessus sur elle en une fraction de seconde, l’australienne finissait par se sentir désarmée, découragée. Le chien avait peu à peu des allures de grossière erreur. Mais un coup d’oeil à sa frimousse faisait passer à Lou toute envie de la rendre au chenil. Elle voyait la terreur dans ses grands yeux noirs, inspirée par une vie de rejets. Elle voyait l’affection bafouée qu’elle avait voulu offrir sans condition aux mauvaises personnes. Elles étaient similaires, au fond ; trop pleines d’une colère qu’elles ne savaient pas gérer ou diriger correctement. Oui, Lou aussi avait été abandonnée sur le côté de la route -ou du moins elle en eut la sensation le jour où ses parents lui firent comprendre qu’elle devait plier bagages et se débrouiller seule sans jamais regarder en arrière. Elle aussi, elle connaissait les blessures de la trahison et de l’incompréhension générale d’un entourage voulant la forcer dans une case, d’un monde attendant d’elle de changer pour ce qu’elle n’était pas. Alors peut-être que Tiny était véritablement faite pour elle, d’une toute autre manière que celle à laquelle elle avait songé initialement. Et au bout de deux semaines, la chienne accepta d’être touchée pour la première fois.
Tiny aboyait à pleins poumons dès qu’un visiteur approchait de la porte d’entrée et se ruait dessus toutes griffes dehors, considérant toute forme de vie comme un potentiel agresseur. Lou la conduisait donc sur le balcon le temps que ses nerfs se calment avant d’aller ouvrir à la personne qui venait de frapper. Elle n’attendait personne mais il n’était pas rare que ses amis ou ses associés fassent un crochet à l’improviste ; cela ne l’avait jamais dérangée et surtout, la fréquence ne s’était pas arrangée depuis que la Ruche avait vu le jour. Trop petite pour obtenir un aperçu de son visiteur à travers le judas, Lou entrouvrit le battant bloqué par une chaîne, lui offrant une ouverture de quelques centimètres. Son regard glissa tout le long de la silhouette du jeune homme jusqu’à son visage -un faciès familier qui la laissa interdite un instant. “James.” Elle le soufflait comme si elle s’étonnait de connaître encore son nom malgré les années qui les séparaient de leur dernière rencontre. Pourtant, ils avaient été amis pendant assez longtemps pour que ce souvenir ne périsse pas. C’étaient les années après que le blond ait décrété être trop bien pour elle qui auraient pu pousser son esprit à effacer son existence. Mais non, il était là, et si le temps avait changé ses traits, il demeurait parfaitement reconnaissable. James Weatherton. “Toi t’as pris trente centimètres et perdu dix kilos.” rétorquait Lou sans vraiment avoir le compas dans l’oeil. On le lui avait souvent dit, qu’elle ne changeait pas. C’était à peine si la trentaine avait laissé ses marques sur sa bouille juvénile. C’était surtout la taille qui n’aidait pas, comme si être considérée comme un adulte était un manège réservé aux personnes au-dessus d’un mètre soixante. Passée la surprise, les yeux de Lou se plissèrent. Personne de son ancienne vie de Grimes n’avait son adresse, pas même Lene avec qui elle n’avait pas parlé depuis un an. “Comment tu m’as trouvé ?” elle demanda, ce qui n’était sûrement pas aussi important que la raison qui avait poussé James à flairer sa piste jusqu’ici après quasiment dix années de silence radio. Sans libérer la porte de sa petite chaîne et agrandit l'entrebâillement, elle renchérit ; “Qu’est-ce que tu fous là ?”
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| | | | (#)Jeu 7 Jan 2021 - 15:12 | |
| Wait for the signal, and I'll meet you after dark. James n'était pas quelqu'un qu'on qualifiait communément de diplomate. C'est vrai le blond ne passait généralement pas par des chemins détournés pour dire les choses, même les vérités les moins plaisantes à entendre, et avec les années tous ceux qui le côtoyaient de près avaient appris à s'en accommoder. Après tout, sa franchise était aussi un atout dans un milieu fait d'apparences et de sourires forcés. Il oserait même dire qu'elle était rafraîchissante lorsque tout le monde encensait la robe que vous aviez décidé de porter pour un événement mondain et qu'il était le seul à oser vous dire que non, le jaune n'était définitivement pas votre couleur et votre silhouette pas le moins du monde avantagée par cette coupe, qui vous faisait plutôt ressembler à une dinde un soir de Noël. Il ne disait jamais rien avec l'intention même de blesser, mais il ne cherchait pas à épargner l'amour propre de ses semblables. Parce qu'on n'avait pas toujours nécessairement épargné le sien, ne serait-ce qu'à l'adolescence lorsque son rapport aux autres se résumait à essuyer les mêmes insultes et nier qu'aucun des qualificatifs qu'on associait à son nom ne le marquerait à l'âge adulte. Avec du recul, James savait que ces mésaventures avaient contribué à lui forger un caractère sans lequel bien des choses lui auraient été insurmontables ces dernières années. A la mort d'Alessandro, lorsque Gina avait commencé à perdre pied et qu'il avait fallu gérer mille choses dont aucun être déjà écrasé par le chagrin ne devrait jamais avoir à se soucier, James avait trouvé en lui la force de se relever et de tout gérer de front. Ainsi aimait-il penser que s'il se montrait franc avec les personnes qui l'entouraient, c'est elles qui y puiseraient à leur tour une certaine force. Lorsque ses employées sollicitaient son avis au sujet d'une création, il n'était pas dans leur intérêt qu'il prenne des pincettes pour leur spécifier tout ce qui n'allait pas. Plus tôt elles savaient ce qui laissait à désirer, plus tôt elles pouvaient y remédier. Et par la suite, elles n'auraient plus besoin qu'il soit derrière elles à pointer du doigt les imperfections que leur œil affûté aurait appris à repérer, c'est donc seules qu'elles sauraient voir ce qui aurait besoin d'être corrigé, ajusté, abandonné parfois. Ainsi, il en était persuadé, la franchise donnait plus de résultats que le besoin de préserver les autres à tout prix. Et s'il était toujours possible que quelqu'un s'insurge de son manque de diplomatie, jamais personne n'avait réellement eu à en souffrir.
Annoncer un décès, par contre, n'avait rien d'anodin. Et moins encore lorsque la personne qui se tenait face à lui n'était pas une inconnue, peu importe le nombre d'années qui les séparaient aujourd'hui de leur dernière conversation. Lou avait compté pour lui, elle avait même été l'une des rares personnes à avoir vu plus loin que ce que les autres percevaient à l'époque, et si le temps avait pu balayer certaines choses, ses souvenirs eux étaient restés intacts. L’entrebâillement de la porte lui permit tout juste de distinguer la surprise sur son visage, celui-là même que les années semblaient avoir épargné. Si seulement il ne s'était pas éloigné à l'époque, sans doute qu'il n'aurait pas eu à déployer autant d'énergie – ou de moyens, plutôt – pour retrouver sa trace aujourd'hui. Si seulement Lou et son père avaient gardé contact, il n'aurait pas eu à frapper à sa porte et trouver comment lui annoncer ce que personne ne voudrait jamais avoir à entendre, aussi compliqué ait été leur passif. Des regrets, il en avait beaucoup et si ses traits ne donnaient toujours à voir qu'une apparente décontraction, ça n'était là qu'un masque censé lui rendre les choses un peu moins pénibles. Parce que tant qu'il n'aurait pas parlé, tant qu'il n'aurait pas mis Lou au courant, c'est seul qu'il aurait à porter le poids de cette nouvelle, qui quoi qu'il soit en droit d'éprouver le faisait souffrir plus qu'il ne l'admettrait. « Il faut bien qu'il y ait quelques avantages à devenir adulte. » Bien que Lou se montre un peu trop clémente dans ses calculs, il est vrai qu'il affichait une allure bien différente aujourd'hui. Les lèvres du blond s'étirèrent dans une très fine esquisse alors qu'une partie de lui demanderait presque à se détacher du reste de son corps pour contester de telles paroles. Le James d'aujourd'hui était plus épanoui que le James d'il y a quinze ans ne l'avait jamais été, et pas uniquement parce qu'il ne s'était jamais illustré ni comme un fêtard qu'on conviait à toutes les soirées un tant soit peu branchées, ni comme un tombeur qui compensait ses quelques boutons d'acné avec une incroyable personnalité. Pour autant, il n'imaginait pas à quinze ans les épreuves que lui réserverait l'âge adulte. « Ça a une quelconque importance ? » La façon dont il s'était procuré son adresse, maintenant qu'il était là devant elle. Il pourrait lui parler de ce détective privé grassement payé, qui en ce moment même avait bien du trouver un million de manières toutes très excitantes de dépenser son argent. Mais c'était plus qu'anecdotique qu'autre chose, bien moins important que le reste surtout. « Sache juste que tu m'as pas facilité la tâche. » C'est bien la raison pour laquelle il s'était offert les services d'un professionnel, qui lui n'avait pas eu tant de mal à remonter la trace de Lou Aberline. Un nouveau nom pour ce qu'il supposait être une nouvelle vie, du peu qu'il pouvait en voir du moins. Il savait pour autant qu'il la trouverait seule, aujourd'hui, et ça valait probablement mieux. « Ce qui m'amène est important, Lou. » Et il ressentait le besoin de le préciser maintenant qu'il pouvait lire la méfiance que sa venue inspirait à la jeune femme. Une méfiance légitime, mais qui lui laissait craindre que la conversation qu'il lui faudrait initier soit plus délicate encore que ce qu'il redoutait. « C'est au sujet de ton père. » Une précision qui n'avait pas pour but de la braquer, bien au contraire, James osait espérer que la jeune femme aurait envie de savoir de quoi il pouvait retourner. Là où même James trouvait tout ça cruel, c'est qu'il ne venait raviver le souvenir de Dexter Grimes que dans l'unique but de lui apprendre sa mort. « Je crois qu'il vaudrait mieux que tu me laisses entrer. » Juste un instant, juste pour ne pas qu'ils aient cette discussion sur son pallier, alors qu'une porte entre-ouverte le séparait encore de Lou. Il n'était pas d'un naturel diplomate, c'est vrai, mais certaines situations méritaient qu'il fasse un effort.
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| | | | (#)Dim 17 Jan 2021 - 14:58 | |
| | | ► wait for the signal, and i'll meet you after dark
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Planquée derrière le battant, Lou ne voyait James qu’à travers cinq centimètres de bâillement. Peu de personnes de ce qu’elle appelait son ancienne vie pouvaient se vanter de lui avoir manqué, mais le blond que se dressait là comme revenu d’entre les morts pouvait, lui, prétendre au titre de celui qui était parvenu à lui manquer avant même que cette vie soit derrière elle. La manière dont leurs chemins s’étaient séparés tout en demeurant parallèles lui avait crevé le coeur de la pire des manières, et ce sentiment de trahison fut sûrement le premier d’une longue liste tandis qu’elle ne réalisait pas, à l’époque, que c’étaient ses propres pas qui l’éloignaient de son entourage. Que c’était elle qui prenait une direction différente, qui empruntait un chemin que d’autres ne pouvaient suivre. Lou avait été présente pour James pendant leur enfance, l’avait relevé lorsqu’il trébuchait, l’avait encouragé à être fidèle à lui-même et cracher sur les étiquettes que l’on voulait lui coller sur le front. Elle n’avait jamais supporté les labels, c’était dans sa nature, quelque chose de viscéral. Et elle n’avait jamais accepté de le voir devenir le parfait exemple de ce que les parents Grimes auraient voulu qu’elle soit depuis toujours pendant qu’elle s’appliquait à endosser le rôle de son parfait opposé. C’était comme si elle lui avait laissé la place et préparé son départ en s’effaçant peu à peu à son profit. Qu’avait-il fait, lui, lorsqu’elle avait trébuché ? La jeune femme en vint à se demander s’il avait demandé de ses nouvelles après avoir appris que ses parents l’avaient confié aux bons soins de la rue après avoir décrété que sa cause dépassait leurs compétences. S’était-il inquiété ? S’était-il demandé une seule fois ce qu’elle devenait ? Ou s’était-il simplement senti soulagé, lui aussi, de ne plus être le témoin quotidien d’une décadence hors de contrôle, hors de portée ? Puisqu’il s’agissait de la première fois qu’elle le voyait depuis tout ce temps, elle optait pour cette option. Car visiblement, s’il l’avait cherché, il l’aurait trouvé, comme ce jour-là. “C’est l’idée.” qu’elle répondit sèchement à l’aveu de James quant aux difficultés qu’il avait eu pour lui mettre la main dessus. Entre le faux nom dont son entourage n’avait pas idée et la boîte postale qu’elle communiquait aux organismes gouvernementaux, elle avait fait disparaître Lou Grimes et rendu Lou Aberline fantomatique. Cela n’était cependant pas assez pour maintenant ce revenant de Weatherton à distance. Son regard noisette vissé sur lui, la jeune femme n’avait pas la moindre intention de le laisser entrer. Certes, elle se doutait bien qu’il ne se serait pas donné tout ce mal si l’objet de sa visite n’était pas importante à ses yeux, mais il y avait un fossé entre ce qui l’était pour lui et pour elle. Et elle doutait que ce qu’il avait à dire ne l’intéresse réellement. Il lui fallut mentionner son père pour qu’il obtienne une réaction aussi subtile soit-elle qu’on froncement de sourcils. “J’ai pas revu ce putain de paillasson depuis dix ans, qu’est-ce qui te fait croire que j’en ai quelque chose à cirer de ce que tu peux me dire à son sujet ?” Alors que l’initiative de mettre Lou à la porte était celle de sa mère, elle n’avait trouvé aucun soutien auprès de son paternel à l’époque. Ils avaient toujours été si proches pourtant, si complices. Il savait faire preuve de patience avec elle et il avait tenté encore et encore de lui faire comprendre la dangerosité de ses décisions plutôt que de la considérer comme une cause perdue -sa mère, elle, avait rapidement baissé les bras et préféré se faire à l’idée que sa nature était mauvaise et que rien ne pouvait aller à l’encontre de cela. Pourtant Dexter s’était contenté d’acquiescer et d'approuver la décision de son épouse quand l'abattement dans sa posture et ses yeux trahissait son dépit et son désaccord. Mais il n’avait pas tenu tête. Il n’avait pas eu le courage de dire non. Et cela était pire, à ses yeux, que d’être le cerveau de la manœuvre.
Au bout de quelques secondes de silence, Lou posa son front sur la porte et lâcha un soupir. James ne bougerait pas, et la curiosité commençait à la chatouiller comme le passage d’une plume sur sa nuque. Elle ne nourrissait aucun espoir à propos de ce que le jeune homme avait à lui dire. Mais une partie d’elle n’avait pas le courage de fermer le battant sur son nez et continuer le cours de sa vie sans savoir. Cela la rongerait bien assez tôt et s’ajouterait à sa trop longue liste de regrets. “Fais chier.” on l’entendit souffler tout bas avant de fermer la porte, ôter la chaîne qui la verrouillait, et la rouvrir en grand cette fois, laissant James pénétrer dans l’appartement à sa guise. Tiny, en le voyant approcher, se mit à aboyer de plus belle sur le balcon, ses larges pattes s’abattant sur la baie vitrée qui se dressait entre elle et l’intrus. Jouant volontiers à la pire des hôtes, Lou ne proposa pas même un verre d’eau au blond, ni de s’asseoir. Elle se contenta de se planter devant lui au milieu du salon, bras croisés, les yeux levés au ciel. “Même après tout ce temps, tu continues de lécher les bottes de mes parents.” lança-t-elle, au cas où il n’était pas assez évident qu’elle n’avait aucune envie de parler à James. Le plus court cette discussion serait, le mieux elle se porterait. Bizarrement, elle n'appréciait pas vraiment la présence de personnes ou de choses qui lui remémoraient l’époque où elle était encore une Grimes -l’ampleur de la déception qu’elle fut pour son entourage, la manière dont elle fut rejetée, et la genèse de sa vie telle qu’elle était désormais. “Je t’écoute. Qu’est-ce que Dexter-j’envoie-ma-gosse-dormir-sous-les-ponts-putain-de-Grimes peut bien me vouloir ? Je te préviens si c’est des remords, il peut aller se faire voir.” Elle ne voulait pas entendre qu’il était désolé, qu’il regrettait, qu’il aurait dû dire ceci, faire cela. Rien de tout ceci ne pouvait changer ce qu’il s’était passé. Rien ne pouvait leur rendre les dix dernières années. Rien ne pouvait réparer leur famille.
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| | | | (#)Dim 24 Jan 2021 - 20:54 | |
| Wait for the signal, and I'll meet you after dark. Dieu sait qu'il ne se sentait pas souvent coupable d'ordinaire, lorsqu'il parvenait toujours à justifier la moindre de ses décisions avec bon sens. Pourtant, c'est bien une pointe de culpabilité qui piquait son cœur à mesure que son regard détaillait les traits de Lou dans l’entrebâillement de la porte, son visage lui rappelant ce qui avait été, ce que lui avait gâché le jour où il avait pris ses distances. Une décision qui lui avait paru censée à l'époque mais à laquelle il n'avait ensuite cessé de repenser, jusqu'à la regretter lorsqu'il y avait eu quelque chose de profondément anormal dans le fait de garder contact avec les Grimes, mais pas elle. Le petit bout de femme plein de méfiance qui lui faisait face n'était pas si différent de la gamine qu'il avait quitté, pourtant une vie entière semblait se dresser entre eux même lorsqu'ils n'étaient qu'à un mètre l'un de l'autre. Quelle vie avait-elle mené durant tout ce temps ? Qu'était-elle devenue, durant toutes ces années où James ne s'était pas senti le courage de remonter sa trace ? Au début, c'était plus simple de prétendre qu'ils avaient emprunté deux chemins différents même avant qu'il ne s'éloigne. Au début, il pouvait se convaincre que c'était la seule chose à faire pour ne pas risquer de décevoir les espoirs de son père. Au début, il pouvait mettre cette partie de son passé derrière lui parce que ça lui permettait aussi d'oublier le reste, tout ce à quoi ses années lycée resteraient associées dans son esprit. Et puis, un jour, il y avait eu Alessandro. Alessandro et sa douceur, Alessandro et sa curiosité. Des questions sur son passé, il lui en avait posé des tas mais l'une des plus difficiles à laquelle il ait eu à répondre portait sur ses amis d'enfance. Un détail qui n'aurait pu être qu'une des nombreuses choses anodines qu'ils s'étaient confiés, mais qui avait réveillé cette même culpabilité qu'il sentait aujourd'hui. Puis, Alessandro était mort, l'idée de retrouver Lou s'était faite non seulement de moins en moins réaliste mais surtout plus effrayante encore. James ne s'attendait pas à ce qu'elle ait oublié, pas plus qu'il ne s'attendait à ce qu'elle lui pardonne. Il avait fallu un deuil pour qu'il songe à combien ce serait plus douloureux encore d'expérimenter quinze ans plus tard le même rejet que celui dont il s'était rendu coupable à l'époque. Et comble de l'ironie, il avait fallu un nouveau deuil pour qu'il se décide à la retrouver. Pour qu'il sonne à sa porte avec l'espoir qu'à défaut de l'accueillir chaleureusement, quelque chose subsiste entre elle et lui après toutes ces années. Pas parce qu'il espérait naïvement retrouver son amitié, mais parce que c'est bel et bien en sa qualité d'ancien ami qu'il se présentait à sa porte avec la lourde tâche de lui annoncer la mort de son père. Évoquer Dexter Grimes était risqué, James le savait, et la réaction de Lou ne se fit pas entendre. Son regard se teinta d'une mélancolie particulière, qu'il ravala aussitôt. « C'est ton père, Lou. » C'était, du moins, mais la précision serait aussi prématurée qu'elle serait en soi inexacte. On ne cessait jamais d'être père, même une fois mort, tant que la chair de notre chair demeurait de ce monde. « Et je sais que tu n'as jamais cessé d'être sa fille, durant tout ce temps. » Et peut être qu'il lui donnerait l'impression de le défendre, mais bien au contraire une partie de lui ne s'était jamais expliquée que Dexter n'ait pas entrepris de retrouver sa fille lorsqu'il le pouvait encore. James ne l'avait pas jugé dans les derniers mois de sa vie, pour autant Lou aurait mérité de connaître la vérité de sa bouche et plus encore, de savoir que son père était mourant lorsqu'il leur restait encore une chance – même infime – de se réconcilier. Alors il ne prenait pas sa défense, il s'assurait juste de restaurer une vérité que son père lui aurait sûrement soufflée s'il avait pu se tenir devant elle aujourd'hui. Il aimait du moins le penser.
Sa détermination à poursuivre cette conversation poussa finalement la jeune femme à capituler. Elle ne le faisait pas de bon cœur, probablement même qu'elle espérait se débarrasser de lui plus rapidement. Mais il avait juste besoin d'un peu de temps, n'imaginant pas un instant repartir d'où il était venu sans avoir pu lui annoncer ce qu'il tenait maintenant personnellement à lui dire. Mieux valait lui que quelqu'un qui n'en aurait rien à faire, car peu importe le nombre d'années qui se dressaient entre eux James avait à cœur de se racheter. Tout vaudrait mieux que de la laisser plus longtemps dans l'ignorance en attendant le moment où sa vie serait chamboulée d'un coup de hasard. Elle ôta la chaîne qui retenait la porte et James soupira de soulagement. Le plus dur restait à faire, mais l'occasion lui était donnée d'engager cette conversation qu'il redoutait pourtant bien plus que son air impassible le laissait penser. « Merci. » Il souffla, alignant quelques pas prudents à l'intérieur de son appartement. Les aboiements d'un chien sur le balcon lui valurent de sursauter légèrement mais avant qu'il n'ait pu faire le moindre commentaire, la voix de Lou s'éleva à nouveau et son regard retrouva le sien. Elle était toujours amère pour la façon dont il avait cherché à plaire à tout prix à ses parents à l'époque, et il ne pouvait l'en blâmer. « Ce n'est pas lui qui m'envoie. » C'aurait pu être le cas, c'aurait peut être même du parce qu'au moins il aurait pu se raccrocher à l'idée que Dexter avait pensé à sa fille dans les derniers instants de sa vie en s'assurant qu'elle apprenne son décès de la bouche de quelqu'un qui l'avait bien connue. Hélas, la vérité était plus désolante que ça. « Je veux dire, je suis ici de mon propre chef. J'ai décidé seul de retrouver ta trace et je suis venu seul, si tu veux vérifier. » Et il n'avait aucune raison de lui mentir alors que plus que tout, il avait besoin qu'elle baisse sa garde. Si Lou se postait à la fenêtre, elle ne verrait aucun véhicule suspect stationnant devant son immeuble, ni personne pour attendre les bras croisés de l'autre coté de la rue. Ce n'était pas non plus un guet-apens, et aucun de ses deux parents n'attendait son signal pour se présenter à leur tour et initier de touchantes retrouvailles. Dieu sait qu'il aurait aimé lui offrir cette alternative, lui laisser le choix de faire ou non un pas vers eux. Mais il n'y aurait rien de tout ça, parce que Dexter n'était plus. Son regard la couva un instant, il n'était définitivement plus question de reculer. Alors il prit une inspiration, sa main frottant nerveusement son menton, puis souffla. « Il est mort, Lou. » Le voilà, le moment le plus difficile qu'il ait eu à affronter depuis des années. L'annonce était aussi abrupte qu'elle était cruelle, peu importe le tact qu'il s'était assuré de prendre. James le savait mieux que personne : le choc restait le même. « Ton père est mort. » Il répéta comme s'il voulait s'assurer qu'elle ait bien compris, elle qui une minute plus tôt ne voulait pas entendre parler de ce père qui s'était détourné d'elle. Les détails, il les lui partagerait seulement si Lou éprouvait l'envie de les connaître. Il le savait, elle pourrait décider qu'elle en savait déjà assez. « Je suis vraiment désolé. J'aurais voulu... j'aurais aimé ne pas avoir à te l'apprendre. » Parce qu'elle aurait du pouvoir accompagner son père dans ses derniers mois. Parce qu'elle aurait du pouvoir se préparer à sa mort. Parce qu'elle aurait du le savoir plus tôt, et parce qu'elle n'avait sans doute aucune envie de l'apprendre de sa bouche à lui. Parce que tout aurait du être différent. « Tu devrais t'asseoir. Je peux aller te chercher un verre d'eau, si tu veux. » Ce serait dérisoire, mais peut être qu'à défaut d'autre chose elle saisirait l'occasion de le lui jeter à la figure si ça pouvait la soulager. La vérité, c'est qu'il n'avait aucune idée de ce qu'il était censé faire pour adoucir son annonce, quand il n'avait aucune idée de la manière dont Lou la vivrait.
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| | | | (#)Mar 2 Fév 2021 - 15:10 | |
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Personne, depuis des années, n’avait pu entendre Lou mentionner ses parents. Lorsqu’elle avait claqué la porte de leur foyer avec son baluchon, elle les avait effacés de sa vie. Elle aurait pu naître dans un chou ou apparaître par magie dans l’air que cela n’aurait pas été différent. Pas de mère, pas de père, pas de famille. L’avantage de côtoyer des personnes issues du monde de la rue était que la plupart avaient un problème avec l’un, l’autre ou les deux, et personne ne voulait en parler non plus. Finalement, la question était rarement posée, comme d’un commun accord avec tous ces êtres blessés, déçus, abandonnés par leur cellule familiale. Lou n’avait pas à se justifier de sa solitude, de sa situation ; elle était simplement une nouvelle âme perdue qui s’ajoutait à toutes les autres, chacun avec son histoire tragique, ses traumas, ses démons. Malgré tout, la jeune femme n’avait jamais complètement cessé de penser à eux. D’abord dans un élan d’apitoiement, pour leur reprocher de l’avoir rejetée, puis de compassion lorsqu’elle réalisa sa part de responsabilités dans l’état de son existence. Elle leur en voulait, mais elle conservait une part d’empathie pour eux, ces parents démunis face au chemin qu’empruntait leur fille et dont ils ne parvinrent pas à la détourner malgré tous leurs efforts, les cures qu’ils avaient payé. Peut-être que sa mère avait raison, que c’était dans sa nature. Peut-être qu’il n’y avait rien à faire. Peut-être que tout était écrit de cette manière. La jeune femme n’avait jamais cherché à les recontacter, et eux non plus. Elle en avait rapidement conclu qu’ils étaient soulagés d’être débarrassés d’elle. L’auraient-ils remplacée par un nouvel enfant qu’elle n’en saurait rien. L’auraient-ils mentionnée de temps à autre qu’elle n’en aurait pas eu écho. La visite de James était finalement l’unique preuve de leur existence depuis dix ans, et l’un des rares témoins qu’il avait existé un temps avant Aberline, la Ruche, et toute la spirale de vengeance, de violence et de folie qui se refermait peu à peu sur ce monde-là. Elle le laissa entrer, sur la défensive. Ses mots ne faisaient pas grand sens pour la brune qui n’avait toujours aucune idée de l’objet de sa venue. Si ce n’était pas Dexter qui l’avait envoyé, était-ce sa mère ? Non, il se présentait devant elle de son propre chef, et tout devint plus flou encore. “Qu’est-ce que ça veut dire ? T’as dit que c’était à propos de lui.” Lou ne prit pas la peine de vérifier si James était venu seul ou non ; elle n’en doutait pas, s’il n’avait pas changé il demeurait un homme de parole. Son attention était focalisée sur ce qu’il avait à dire, sur la gravité dans son regard, sur les milles pincettes qu’il prenait et qui n’étaient pas dans ses habitudes. Quelque chose aurait pu lui mettre la puce à l’oreille, pourtant la jeune femme ne vit rien venir. Et même lorsque les mots furent articulés, elle n’eut aucune réaction pendant une poignée de secondes, comme si elle en avait oublié le sens dans le dictionnaire. Les syllabes dansaient un instant dans sa tête, reformant les sons, la phrase, associant les concepts et révélant le message derrière ces paroles. Il y avait ce temps présent, cette notion de fatalité, de réalité ; il est, pas il fut, pas il sera. Il est, et il y avait quelque chose de si radical dans quelque chose d’aussi simple. “Mort ?” elle souffla comme un écho dans le salon. Elle avait vu la mort, elle l’avait sentie, elle l’avait touchée, elle en connaissait tous les détails. Elle savait que ce n’était pas ce moment où la vie s’éteignait, où l’on sentait la personne partir, cet instant vague sans nom où l’on passe de l’autre côté ; c’était la seconde d’après, quand la vie avait disparu, ce grand rien, ce vide, cette absence sans retour en arrière possible. Et puis il y avait son père. Elle pouvait essayer de toutes ses forces, elle ne se souvenait plus à quoi ressemblait son visage la dernière fois qu’elle l’avait vu, il y avait dix ans. Elle devinait sa silhouette, sa voix vaguement. Il était un concept, une entité. Il n’existait plus depuis si longtemps pour elle. Maintenant, il n’était plus du tout. “Il est mort.” Le mot s’expulsa d’entre ses lèvres au moment où elle tomba, sans s’en rendre compte, dans son canapé, le visage vide, le regard absent. Elle n’entendait pas James, elle l’oublia. La massue venait de tomber sur son crâne, engourdissant tout son corps. Lou n’avait jamais espéré revoir son père, mais désormais toute opportunité lui était arrachée. Il demeurerait à jamais cette silhouette floue dans ces souvenirs qui s'effaçaient. Figé dans le rôle de celui qui l’avait abandonnée. Elle ne reverrait jamais son visage, elle n’entendait jamais sa voix. Ils ne se pardonneraient jamais l’un l’autre. Tout cela s’était envolé. “Qu’est-ce qu’il s'est passé ?” elle demanda finalement du fond de sa gorge sèche. C’était tout ce qu’elle avait besoin de savoir, pour le moment, afin d’enfin comprendre, appréhender cette nouvelle réalité, la faire sienne. Bras ballants sur ses cuisses, il lui semblait avoir douze ans à nouveau. Elle attendait son père dans son bureau. Elle attendait, mais il ne viendra pas. La déception était familière, l’absence. Le mal au coeur aussi. Rien n’avait changé. Ils étaient des étrangers depuis longtemps. Pourtant les couleurs du monde disparurent, comme lors du passage d’un nuage gris. Elle sentit le changement de pression dans l’air retourner son estomac. Allait-il pleuvoir, ou n’était-ce que sa soudaine mélancolie ?
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| | | | (#)Dim 7 Fév 2021 - 2:22 | |
| Wait for the signal, and I'll meet you after dark. Au fond, il n'avait aucun droit de débarquer dans sa vie après quinze ans de silence pour tout bouleverser. Il n'avait aucun droit de remuer un passé que Lou avait du sciemment enterrer – en témoignait ce nouveau nom, qui l'avait rendue plus difficile à retrouver. A sa place, James aurait détesté qu'on se rappelle à son bon souvenir sans avoir rien tenté pour le retrouver plus tôt, et après s'être détourné de lui comme il s'était détourné d'elle. Il aurait détesté devoir évoquer les parents avec qui il n'avait plus aucun contact, peu importe qu'il y ait sans doute beaucoup de choses qu'il ignore aujourd'hui sur ses rapports inexistants avec eux. Alors une part de lui se sentait coupable, de l'obliger à revivre tout ça quand Lou n'imaginait probablement pas en se levant ce matin qu'un fantôme de son passé se tiendrait devant elle avec tout ce que ça remuait forcément. Mais il s'en serait voulu deux fois plus de l'avoir laissée dans l'ignorance, même après tout ce temps où sa loyauté envers elle pouvait largement être remise en doute. Mais c'est précisément pour cette raison, et parce qu'il n'avait pas été là pour elle dans ce qu'il imaginait avoir été les moments les plus pénibles de sa vie, qu'il tenait à faire ça pour elle. Sa démarche n'avait aucune chance d'être bien accueillie par la jeune femme et James avait peu d'espoirs qu'elle comprenne qu'il avait voulu lui éviter d'apprendre l'impitoyable vérité de la bouche d'un inconnu – ça ne faisait peut être pas une si grande différence pour elle après tout ce temps, après tout. Mais malgré tout, c'était important pour lui de savoir qu'elle ne vivrait pas une journée de plus sans savoir pour son père. Quels qu'aient été leurs rapports, quoi qu'elle ait éprouvé pour Dexter ces dernières années, elle méritait de savoir. Elle méritait de décider ce que ça lui faisait et de pouvoir faire son deuil d'une manière ou d'une autre. Il n'était pas là pour lui dire qu'elle devait pleurer cet homme qui, il le savait, n'avait pas été plus présent que lui ces dernières années. Il n'était pas là pour lui en parler en des termes élogieux, saluer sa mémoire et lui rappeler à quel point il avait toujours été bon avec lui. Lou le jetterait dehors, et elle aurait raison. Non, James était là pour faire ce que Dexter n'avait pas eu la force ou le courage de faire dans ses derniers instants. Ça ne réparerait pas tout, mais il lui devait bien ça.
Sa première annonce fut loin d'être la plus difficile. S'il était effectivement venu de son propre chef et non de la part des époux Grimes, Lou n'avait pas tardé à comprendre que ça les concernait pourtant de près ou de loin. « C'est le cas. » Oui, ça concernait son père. Et peut être que si les choses s'étaient passées différemment, il aurait bel et bien été à l'origine de sa visite. Ou mieux, c'est lui qui se tiendrait aujourd'hui devant Lou pour tenter de rattraper toutes ces années de perdues. Seulement il y a longtemps que cette famille avait explosé et James commençait à le comprendre, sans savoir si ça rendait la suite un peu plus facile ou un peu plus cruelle. Les mots qu'il redoutait tant, il finit par les prononcer et se sentit l'espace d'un instant comme le pire être qui soit. Personne n'aimerait avoir à annoncer à une fille que son père était mort, peu importe les détails autour. Ce n'était pas un rôle qu'il lui plaisait de tenir devant celle qui longtemps en arrière avait tant compté pour lui. Mais à présent, elle savait. Et si ses yeux scrutèrent les traits de son visage en silence, ses lèvres maintenant pincées entre elles comme si elles se refusaient à lui faire plus de mal, James comprit que Lou aurait besoin d'un instant pour réaliser. L'annonce aurait été soudaine et brutale pour n'importe qui, mais elle n'avait pas vu son père depuis assez longtemps pour que l'idée de sa disparition doive sembler plus déroutante encore. Que pouvait-il faire alors, si ce n'est lui proposer une assistance bien dérisoire ? Lou répéta ses mots comme une manière d'intégrer la douloureuse vérité, et il hocha la tête. « Oui, Lou. » Et c'était presque plus dur encore de le lui confirmer, mais il ne pouvait pas se permettre de supposer qu'elle avait compris ce que ça signifiait. Tout ce que ça signifiait. Il fallait qu'elle intègre cette réalité, aussi cruel que ce soit. Lorsqu'elle demanda à comprendre, et James s'arma de plus de tact encore. Il n'avait jamais été question de lui cacher quoi que ce soit, plus maintenant. « Il est tombé malade. Un cancer. » Un foutu fléau contre lequel même un homme comme Dexter n'avait pas pu lutter. « Il s'est rapidement généralisé, les médecins ont compris qu'ils ne pourraient rien faire. C'était une question de mois, tout au plus. » Une perspective qu'il imaginait terrifiante, et pourtant le père de Lou n'avait rien laissé paraître dans ses messages. Ni peur, ni désespoir. Il était resté cet homme digne, prêt à réunir ses dernières forces pour livrer un ultime combat. « Ton père se savait condamné lorsqu'il m'a informé de son état. On avait gardé contact et il m'arrivait de lui écrire, de temps en temps. J'avais pas eu de ses nouvelles depuis quelques temps. » Son regard chercha le sien, sans qu'il sache si Lou s'était doutée qu'il avait gardé contact avec son père même après toutes ces années. Cet aveu pourrait réveiller sa rancœur, c'est ce que James redoutait et la raison pour laquelle il ne le partageait que maintenant. Parce que c'était injuste, alors qu'elle n'avait plus eu le moindre contact avec ses parents depuis des années. « Je lui ai dit de t'en parler, Lou. Et je prétends pas savoir pourquoi il l'a pas fait, mais une partie de moi pense qu'il voulait pas revenir dans ta vie dans l'état qui était le sien. » Il pesait chacun de ses mots de peur de se montrer maladroit, la dernière chose qu'il voulait étant de prêter des intentions à cet homme pour qui Lou ne savait peut être pas elle-même ce qu'elle ressentait à cet instant. « Il parlait souvent de toi. » Il parlait souvent de sa fille, semblait toujours si profondément s'inquiéter pour elle. Comment avait-il pu préférer ignorer ce qu'elle était devenue même dans ses derniers instants ? L'ignorait-il vraiment, au fond ? James n'avait pas les réponses à toutes ces questions. Et tandis qu'il prononça ces mots-là dans un souffle, James aligna un pas dans sa direction. Pas plus, parce que Lou avait sans doute besoin d'espace. Mais si le choc était trop rude, si le poids de ces révélations s'avérait trop lourd pour ses épaules, alors il serait là pour la soutenir. Il n'avait pas été là pendant quinze ans, mais il l'était aujourd'hui. « Je suis désolé. » Il était désolé d'avoir peut être eu tort de penser qu'elle voudrait savoir, quand à sa place il n'était même pas certain de ce qu'il aurait voulu.
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| | | | (#)Mar 16 Fév 2021 - 12:00 | |
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Elle était si molle que le sofa sembla l’engloutir toute entière, tout petit bout de femme qu’elle était, rendue encore plus petite par la cruauté de l’univers à cet instant. Les planètes et les étoiles s’étaient tournées pour poser leur regard sur elle, pour admirer le spectacle de leur alignement funeste. Non, Lou ne parviendrait pas à défier les augures cette fois, il n’était rien qu’elle puisse faire, contrôler, remodeler à sa convenance. Cette fois, elle subissait, tout simplement. La fatalité s’imposait à elle, appuyait sa tête sous l’eau afin de l’empêcher de remonter prendre son souffle. Elle avait passé toutes ces dernières années à déjouer la mort qui lui courait sur les talons, pour être finalement incapable d’empêcher que celle-ci frappe autour d’elle. La faucheuse avait patienté assez longtemps et un Grimes était dû ; un Grimes fut pris. Les circonstances du décès de son père étant la dernière inconnue au tableau, Lou se surprit à espérer que malgré tout le mal qu’elle lui avait souhaité pendant bien longtemps, il n’avait pas trop souffert. Mais là encore, le destin n’avait tiré toutes les flèches de son carquois, et les paroles de James furent la nouvelle missive qui lui firent l’effet d’être transpercée de part en part. Cancer, des mois d’agonie, aucun espoir au bout du tunnel. Et quand Lou laissa finalement une larme témoigner enfin de son émotion, elle-même fut incapable de savoir si celle-ci coulait à l’idée de la souffrance que Dexter avait enduré ou celle qu’elle ressentait en réalisant qu’il avait délibérément refusé de la voir dans ses derniers instants. Ce n’était pas l’univers qui lui avait arraché la possibilité de dire pardon et au revoir ; c’était lui, et lui seul. Serrant les dents, la jeune femme referma ses poings autour du tissu du canapé. Elle écoutait James sans lui accorder un regard, encaissant silencieusement les informations et les hypothèses rapportées par le blond. Ligne après ligne, il ne faisait que rajouter des couches supplémentaires à la peine mêlée de colère qui la faisait bouillir de l’intérieur. Réalisait-il seulement la cruauté de la chose ? Apprendre la mort de son propre père de sa bouche était un premier affront, mais réaliser qu’il avait su pendant des mois, qu’il avait pu être à ses côtés dans ce privilège lui avait été refusé à elle, c’était tourner le couteau dans la plaie. “Désolé ?” souffla-t-elle avec ironie. Malheureusement pour le styliste, il ne pouvait pas être le funeste messager et celui qui panserait la blessure infligée. “T’as pas le droit d’être désolé.” L’était-il vraiment, de toute manière ? Comment pouvait-il avoir la moindre idée de l’effet que tout ceci lui faisait ? Lui, le flamboyant, tandis qu’elle avait été reléguée au rang de sujet tabou, de secret honteux de la famille. Pouvait-il s’imaginer la hauteur de la chute, la sensation d’être suspendue dans le vide, chaque lien sectionné peu à peu jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien pour ralentir l’atterrissage ? Lou leva son regard, sombre et offensé. “Toi t’as été mis au courant. Toi tu l’as vu. Toi t’as pu dire au revoir.” A se demander pourquoi elle en était étonnée, pourquoi cela faisait si mal. Bien sûr que Dexter lui avait dit. Il avait fait son choix de compagnie sur son lit de mort, et sa junkie de fille n’y avait pas sa place. Il n’aurait pas fallu lui rappeler le principal échec de sa vie, n’est-ce pas ? Il n’aurait pas pu la regarder dans les yeux et prétendre partir en paix après ce qu’elle était devenue. “Des MOIS, James. Des mois et pas un mot.” Il savait, mais le hurler donnait toute sa dimension à la cruauté de la chose. Pourquoi lui n'était-il pas venu la chercher avant que son père ne passe l’arme à gauche ? Sûrement trop occupé à se complaire dans son statut de fils de substitution, de privilégié. “Encore une fois t’as plus été leur gamin que moi. Jusqu’au bout, ils m’auront fait comprendre quelle moins que rien je suis pour eux. Jusqu’à la fin. C’était même plus important que de me dire adieu.” Il ne faudrait pas qu’elle oublie sa place, non ; loin d’eux, hors de leurs vies. Si jamais Lou en doutait encore, maintenant elle était certaine de ne pas avoir sa place dans le caveau familial. Il lui semblait que son existence toute entière était niée, qu’elle n’avait plus la moindre racine. “Alors j’en ai rien à foutre que tu sois désolé.” fulminait-elle en essuyant rageusement ses joues brûlantes du dos de la main. Ne pas tirer sur le messager n’était pas dans sa politique. S’il n’y prenait pas garde, James prendrait pour eux tous, pour l'intégralité de cette famille qui l’avait effacée. Après tout, il en faisait plus partie qu’elle.
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| | | | (#)Sam 27 Fév 2021 - 0:32 | |
| Wait for the signal, and I'll meet you after dark. Il ne prétendrait pas qu'il ne méritait pas chaque mot que Lou lui crachait au visage, chaque nuance de dédain qu'il percevait dans son regard lorsque l'agacement qu'il devait lui inspirer ne l'empêchait pas de le reposer sur lui. Il ne le prétendrait pas, parce qu'aujourd'hui n'était qu'une preuve de plus qu'il avait failli dans son rôle d'ami. A l'époque où ils n'étaient encore que deux adolescents relativement préservés des drames et des désillusions cruelles propres à la vie d'adultes, James poursuivait nul autre but que celui de faire la fierté de son père. Sa mère ne faisait plus partie du tableau depuis déjà plusieurs années, c'était lui qui l'avait élevé dès ses dix ans et à qui il devait tout ce qu'il était devenu. Mais au milieu de cette quête effrénée pour devenir à ses yeux le fils parfait, James avait commencé à éprouver le besoin maladif de voir briller une lueur de fierté dans le regard de chaque adulte ayant croisé sa route. Parce que c'est eux qu'il voyait trôner dans le salon familial lorsque son père recevait ces riches collaborateurs aux costumes et aux tailleurs impeccables. C'est eux qu'il admirait depuis son spot de prédilection, la tête passée entre les barreaux de la rampe d'escalier, écoutant tout des conversations qui se tenaient autour d'un verre de whisky. Le monde des adultes l'avait fasciné bien avant qu'il n'ait été lui-même en âge d'en faire partie, peut être parce qu'il n'avait jamais vraiment su trouver sa place dans le petit monde censé être le sien. Au milieu des railleries et de la médisance, face aux humiliations en tous genres. Il n'y avait qu'auprès de Lou qu'il avait trouvé une vraie amie, et sans doute que tout aurait été bien différent s'il n'avait pas là aussi éprouvé cette fascination immédiate pour Mr et Mme Grimes. Les avait-il idéalisés ? Sans doute, mais tous les deux avaient été si bons avec lui qu'il n'avait su rechercher leur approbation qu'encore et toujours plus. Et pour quel résultat ? Si ça ne les avait pas directement menés à ce moment, ça y avait au moins contribué. « C'est pas non plus comme ça que j'aurais voulu que les choses se passent. » Pour ça, oui, il était réellement désolé. Désolé, parce qu'il mesurait combien la situation était injuste et elle en droit de les maudire tous autant qu'ils étaient de n'avoir pas été foutus de la protéger davantage. Ils étaient au moins trois dans la confidence, il aurait suffi qu'un seul la prévienne au bon moment. « J'ai jamais approuvé la manière dont ils s'étaient détournés de toi. » Ça, Lou n'avait sans doute aucune envie de l'entendre, mais lui ressentait le profond besoin de le dire. « J'ai toujours eu beaucoup d'affection pour tes parents, c'est vrai. Et j'ai pas toujours su voir que leur façon de me la rendre était injuste envers toi, leur fille. » Ou s'il l'avait vu, sans doute qu'il s'en était amusé lorsque la jeune Lou semblait toujours si agacée de le voir briller, lui, aux yeux de ses parents. Ça ne pouvait pas être si grave, parce que loin de chercher à lui nuire à elle, c'est à lui qu'il avait pensé du début à la fin. « Mais pour ça, je leur en ai voulu. Ça change rien à mes propres choix, ça répare pas la façon dont j'ai réagi à ce qui t'arrivait à l'époque. Mais j'ai jamais voulu ça. » Pourtant, lorsque les yeux de Lou menaçaient de cracher des flammes et de le brûler, là au milieu de son salon, James savait qu'il l'avait bien cherché. Il lui avait causé un mal irréparable, peut être pas volontairement mais a minima parce que ses choix avaient fait de lui le complice des Grimes.
« J'ai voulu venir plus tôt, mais c'était son choix de te garder dans l'ignorance de son état et j'avais déjà fait du tort à ta famille en tenant un rôle qui n'a jamais été le mien. » Et en occupant une place qui n'avait jamais été sienne non plus, lorsque le fait de percevoir dans le regard des parents de Lou qu'il était pour eux comme un fils de substitution ravissait bien trop le cœur du gamin qu'il était. James garda son regard posé sur elle, ébranlé de la voir ici comme si elle n'avait jamais cessé d'être cette gamine frêle dont tout le monde s'était détourné. Lui le premier. « Je sais que tu vas détester ce que je vais dire, mais il y a encore ta mère Lou. Elle, elle est toujours là. » Il pourrait craindre que cette seule mention fasse bouillir le sang de la jeune femme et enterre pour de bon leurs chances d'éviter à ces retrouvailles de prendre une saveur plus amère encore. Mais James était aujourd'hui le seul responsable de la peine et de la colère qui déformaient les traits de Lou, le seul du moins à qui elle puisse s'en prendre. Ce n'était pas comme s'il pouvait arranger les choses, bien qu'il le veuille. « Je dis pas qu'elle mérite que tu fasses un pas vers elle, aucun d'eux ne l'a sans doute jamais mérité. Mais elle, elle peut encore t'apporter des réponses. » Des réponses au sujet de son père et de ses derniers mois, des réponses au sujet de cette vie qu'ils avaient continué de mener sans leur fille durant toutes ces années. Des réponses que Lou avait sans doute déjà cherché, ou qui à défaut de changer quoi que ce soit au mal qui avait été fait l'aideraient peut être à faire la paix avec une partie de son passé. Sa mère devait être la dernière personne au monde avec qui elle souhaiterait s'entretenir, mais elle était aussi tout ce qu'il lui restait. Marquant une pause, le cœur serré au fond de sa poitrine, James retrouva le regard de la brune et souffla d'un ton chargé de regrets. « Je sais que tu préférerais que je parte. » Elle n'avait même pas besoin de le dire, il le voyait dans ses yeux et devinait qu'elle préférerait le savoir n'importe où plutôt qu'ici. « Et c'est normal, je voudrais pas non plus me retrouver dans la même pièce que moi si j'étais à ta place. » Lui, le messager. Lui, l'oiseau de mauvais augure. Lui, le fantôme du passé venu lui annoncer le pire en plus de lui rappeler que ses chances de se réconcilier avec son père étaient à présent nulle. Lui, celui qui n'avait pas fait assez quand il aurait pourtant pu. James avait tous les torts, il ne chercherait pas à le nier. « Alors si y'a quelqu'un que je peux appeler pour toi, dis-le moi. Je le ferai. » Quelqu'un qu'elle jugerait plus à sa place que lui ici. Lou pouvait en douter, elle était en droit de le faire, mais il voulait l'aider à défaut de l'avoir fait plus tôt. Et si cette aide devait venir de quelqu'un dont elle supporterait davantage la présence, alors au moins n'aurait-elle pas à gérer ça toute seule. Lui avait raté l'occasion d'être là pour elle, cette fois encore.
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| | | | (#)Ven 5 Mar 2021 - 15:02 | |
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Peut-être que le temps avait bel et bien mis en perspective le comportement des parents Grimes vis-à-vis de James, peut-être que celui-ci avait en effet réalisé l’injustice du tableau auquel Lou avait eu droit pendant des années. L’âge, la maturité avaient ce pouvoir d’observer de loin les erreurs et injustices passées. Et quand bien même aurait-il souhaité réécrire ces moments, les regrets n’y changeaient rien, ni pour hier, ni pour aujourd’hui ; il avait accepté cette affection sans se poser de questions, il s’en était pleinement satisfait. Il s’en était nourri pendant qu’elle fanait de son côté comme une plante sans lumière et sans eau. Il déclarait désapprouver les décisions des Grimes mais n’avait jamais ouvert la bouche. Il ne s’était jamais rangé de son côté. Elle n’avait probablement jamais été assez importante à ses yeux pour qu’il s’en donne la peine. Et ce jour-là, c’était une fausse sympathie agrémentée de pitié et d’une volonté de soulager sa conscience qui l’avait mené jusqu’à cet appartement, elle n’en doutait pas. Il ne faudrait pas être du mauvais côté de l’histoire, non. “C’est un peu tard pour tout ça.” répondit Lou à ses soi-disant regrets. Car cette époque était écrite et indélébile. Car cela aussi avait forgé qui elle était désormais. Elle ne laisserait pas James se défausser de son rôle, le domino qu’il avait été dans l’enchaînement des événements. Si sa part de responsabilités dans la manière dont les Grimes s’étaient détournés d’elle pouvait le hanter jusqu’à la tombe alors elle en serait satisfaite. Ils étaient jeunes, à l’époque. Mais pas assez pour ne pas réaliser que James brillait aux dépens de Lou. Dieu seul savait ce qu’il se serait passé s’il n’avait pas été là pour l’éclipser. Il était le styliste à succès dans cette réalité bien à eux, et elle, l’éternelle rebelle aux démons tenaces. Il était solaire et elle faisait partie intégrante d’un monde d’ombres et de fumée.
...c'était son choix de te garder dans l'ignorance… C’était ironiquement incroyablement Grimes de la part de Dexter que son choix soit d'empêcher quiconque d’en faire un. Il avait renié à sa propre fille le droit de décider si elle souhaitait le voir ou non dans ses derniers instants. Comme à chaque fois, on ne lui accordait aucune option que celle sélectionnée pour elle. Exprimer sa propre personnalité qui ne correspondait pas à leurs standards ? Ils devaient l’étouffer plutôt que de l’écouter. L’aider à trouver sa voie hors de leurs attentes initiales ? Plutôt la briser jusqu’à ce que chaque petit os entre dans la boîte. Peut-être n’aurait-elle jamais eu besoin de la drogue si elle n’avait pas ressenti le besoin aussi pressant de s’échapper. Peut-être n’auraient-ils pas eu besoin de l’éjecter du cocon familial s’ils l’avaient aimée sans conditions. “La méchanceté ça conserve.” souffla Lou à propos de sa mère. D’après elle, Lauren aurait dû partir en premier. Si l’âme avait le pouvoir de faire pourrir une personne de l’intérieur, alors cela aurait été le cas. Mais voilà qu’elle devenait la seule parente restante de la jeune femme, à son plus grand regret. “J’ai rien à lui dire.” Pas de questions à poser, pas de réponses dont elle lui serait redevable, pas d’excuses à formuler, pas de regrets à accepter, encore moins de reproches à tolérer. Si Lou avait vécu en orpheline ces dernières années, alors continuer à prétendre que Lauren n’existait pas ne lui demanderait aucun effort supplémentaire. La voir, en revanche, sonnait comme une escalade de l'Everest.
Une réalité frappa l’australienne tandis que James initiait son départ, maintenant qu’il avait livré le message, et qu’il suggérait de contacter une personne plus à même de partager son chagrin, une épaule plus légitime sur laquelle pleurer. La bouche de Lou s’entrouvrit un instant, et rapidement, son regard parut perdu, désorienté. Elle ne pouvait pas appeler Finnley, son ex-petit ami lui avait bien fait comprendre qu’il ne voulait plus faire partie de sa vie et elle ne pouvait lui partager la nouvelle de la mort de son père sans donner la fausse impression de chercher sa pitié. Lene ? Les deux demoiselles ne s’étaient pas adressé la parole depuis plus d’un an, et si Lou n’avait pas été à ses côtés pendant sa grossesse alors elle ne pouvait attendre d’elle qu’elle réponde présente lorsqu’elle en avait besoin à son tour. Anwar ? Même histoire. Aisling ? Pas mieux. A croire qu’il n’existait pas un seul de ses plus vieux amis qu’elle ne soit parvenue à retourner contre elle. Quant aux membres de la Ruche, la jeune femme songeait que pareille nouvelle aurait l’air d’une brèche, d’un potentiel moment de faiblesse ; cela était bien la dernière chose dont elle avait besoin. Et si la solitude avait été une sensation prépondérante depuis un certain temps, sa forme la plus concrète à cet instant asséna une grande claque sur le visage de la brune forcée d’effectuer un amer constat ; “Non, personne. J’ai personne...” Ses lèvres se pinçaient alors qu’elle réprimait un hoquet de chagrin et autant de larmes. Comme si un coup de pied venait de heurter ses tripes, elle sentit une vive douleur la plier en deux. Voilà où tous ces efforts l’avaient mené ; à devoir supporter seule la disparition de son père. Le visage baissé, Lou saisit vivement la manche de James dans un sursaut animé par le désespoir de supporter les prochaines heures dans le silence et le vide. “Pars pas.” eut-elle à peine le temps de souffler avant que sa voix ne s’étrangle et sa bouche se déforme dans une grimace affligée. Suppliciée par la vague de peine qui l’engloutissait, ses épaules et son dos courbés secouaient son corps tout entier. Ses doigts se resserraient autour du tissu que portait James. Finalement, il était le seul qui pouvait comprendre et partager son deuil.
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| | | | (#)Sam 13 Mar 2021 - 21:54 | |
| Wait for the signal, and I'll meet you after dark. C'était un peu tard oui, pour éprouver des regrets. Un peu tard pour mettre en doute les choix des Grimes quand il n'avait rien trouvé à redire à l'époque, lorsqu'il pouvait vraiment faire en sorte de changer le cours des choses. James y avait souvent repensé, il s'était souvent demandé ce qui aurait peut être été différent s'il n'avait pas tenu ce rôle de parfait fils de substitution auprès de Dexter et Lauren. S'il n'avait pas contribué au fossé qui s'était creusé entre ses parents et Lou, puis s'il ne s'était pas détourné d'elle comme il l'avait fait à l'époque. Peut être que s'il n'avait pas attendu autant d'années pour venir la trouver, que s'il n'avait pas attendu que la mort de son père replace la jeune femme sur sa route, alors c'est l'histoire dans sa quasi intégralité qui aurait été changée. Et une autre fin, surtout, qu'il aurait pu offrir à Lou et son père lorsqu'il leur restait encore une chance de renouer. James le comprenait à présent, il avait été un ami déplorable et il avait enchaîné les choix discutables par la suite. Il se contenta ainsi de hocher silencieusement la tête, infiniment plus dur encore avec lui-même que Lou ne l'était envers lui à cet instant. Il s'en voulait d'avoir contribué à ce que tout soit aussi immuable et injuste pour celle à qui personne n'avait pensé un seul instant dans cette histoire. Lou devait se sentir terriblement seule, depuis trop longtemps. Et le plus triste était sans doute qu'il le réalisait le jour où il venait lui apprendre la mort de son père, comme un énième coup porté par un destin injuste.
James n'avait qu'à mentionner la mère de Lou pour que l'atmosphère se charge de plus d'animosité encore, et s'il avait du subsister le moindre doute dans son esprit quant au dédain que Lauren inspirait à sa fille, probablement que son seul regard les aurait balayé. Loin de juger sa réaction démesurée, il comprenait au contraire qu'elle soit la dernière personne qu'elle doive espérer revoir même après toutes ces années. Après tout, si quelqu'un aurait du se trouver ici aujourd'hui pour lui annoncer la mort de son propre père, c'était probablement elle. Peut être que Lou aurait rejeté cette rencontre comme elle rejetterait sans doute toute occasion qui se présenterait à l'avenir de recroiser sa mère, mais au moins aurait-elle pu faire un pas vers sa fille et lui prouver qu'elle se souciait d'elle malgré les choix qui avaient été faits. Mais elle n'avait rien fait, peut être parce que c'était plus simple de regarder ailleurs même encore après tout ce temps. « Je comprends. » Il comprenait qu'elle ne tienne pas à remuer un passé douloureux en plus de ce qu'elle devait déjà endurer aujourd'hui, et que la dernière chose qu'elle souhaite était d'être celle qui agiterait le drapeau de la réconciliation quand c'était ses parents, sa mère, qui l'avait laissé livrée à elle-même des années plus tôt. « Je lui dirai pas où te trouver. » Il ne lui donnerait aucun nom, aucune adresse, rien qui puisse permettre à Lauren Grimes de frapper un matin à la porte de sa fille sous le coup de remords un peu tardifs. Il avait certes fait les mauvais choix à l'époque et n'avait pas été là lui non plus quand elle aurait peut être eu besoin de voir qu'elle comptait encore pour quelqu'un, mais il ne se ferait pas plus longtemps le complice des Grimes. Il aurait toujours énormément de respect et d'affection pour celui qu'avait été Dexter, malgré tout, tout comme il garderait de Lauren l'image naïve et idéalisée qu'il avait façonné d'elle à l'âge où il voyait probablement en elle la mère qu'il avait cessé d'avoir à l'âge de dix ans. Mais il ne s'impliquerait pas davantage qu'il ne l'avait déjà fait et, surtout, il ne ferait pas plus de tort à Lou. « Si elle le souhaite, elle a les moyens de se débrouiller seule. Et toi, tu seras libre de la garder hors de ta vie. » Si Lauren tentait quoi que ce soit pour la retrouver à son tour, il ne doutait pas que Lou saurait la dissuader d'insister. Il serait heureux pour elles si elles parvenaient à se retrouver parce qu'ainsi il aurait peut être l'impression qu'une partie de l'histoire n'était pas vouée à mal finir, mais ça n'était pas son combat, ça n'était pas sa place. Ça ne l'avait finalement jamais été, peu importe à quel point il avait voulu s'en convaincre.
Il songea à partir, il offrit à Lou une occasion de lui montrer la porte à présent qu'il avait délivré son funeste message comme l'élément perturbateur qu'il avait au fond toujours été. Il n'était réapparu dans sa vie que pour la bouleverser, ça ne faisait pas de lui quelqu'un qu'elle avait probablement envie d'avoir sous les yeux beaucoup plus longtemps. A la place, il suggéra de contacter pour elle une personne plus apte à tenir ce rôle, quel que soit ce dont elle ait besoin pour supporter le poids de cette nouvelle. Dans ces cas-là, il y avait toujours un nom qui vous venait avant les autres. Quelqu'un qui pouvait vous voir aussi bien dans vos bons jours que dans ceux où vous n'étiez plus que l'ombre de vous-même, quelqu'un qui vous laisserait pleurer sur son épaule pendant des heures sans vous laisser penser un instant qu'il avait mieux à faire que de rester là à vous offrir du réconfort. James n'avait besoin que d'un nom et d'un numéro, il se chargerait du reste, y compris d'expliquer la situation. Il lui devait bien ça, après les innombrables fautes dont il s'était rendu coupable. Pourtant, quelque chose au fond de son regard lui serra le cœur comme le jour où il avait deviné à l'expression affichée par Gina qu'il était arrivé quelque chose à Alessandro avant même qu'elle n'ait eu à le dire. Cette profonde détresse dans les yeux de Lou le bouleversa au plus profond de lui quand tout ce qu'elle semblait contenir depuis son arrivée menaçait à présent de l'engloutir toute entière. Il pouvait voir la peine, le désespoir, la solitude dans ce regard qui ne savait à quoi se raccrocher. Il pouvait les entendre à la façon dont sa voix se brisa dans des sanglots bouleversants. Il pouvait même maintenant les sentir, à la manière dont ses doigts frêles se refermèrent comme par désespoir autour de sa manche. Il était le témoin privilégié d'un état dans lequel il ne l'avait jamais vue, et c'était de loin un honneur dont il aurait voulu se passer. « D'accord. » Il souffla sans être un seul instant habité par le doute, la voix pour autant pétrie d'émotion. « Je reste. » Quoi qu'il ait eu l'intention de faire, où qu'il ait eu l'intention d'aller, ça attendrait. Personne n'avait autant besoin de lui en dehors de ces murs que Lou à cet instant, et pas une seule partie de lui ne voudrait en plus avoir à se reprocher de l'avoir laissée seule dans un moment pareil. James la couva du regard au moment de prendre place à coté d'elle sur le canapé, là où il ne se serait jamais permis de la rejoindre autrement. C'était différent, à présent, parce qu'il était le seul qui puisse à cet instant l'aider à traverser les prochaines heures et qu'il ne comptait pas se défiler. Pas à nouveau. « C'est du coton, ça craint pas trop. » Il précisa en désignant sa veste, maladroit mais véritablement habité des meilleures intentions. « Viens. » James passa doucement un bras autour de ses épaules pour l'attirer contre lui et la laisser reposer sa tête sur son épaule si elle en avait envie. Les larmes avaient besoin de couler, il ne ferait aucun commentaire là-dessus, tout comme elle savait maintenant qu'elle pouvait bien les sécher sur sa veste sans qu'il n'y voit le moindre inconvénient. Lou pourrait rester là aussi longtemps qu'elle en aurait besoin qu'il ne bougerait pas, ou seulement pour aller lui chercher de quoi manger lorsque le chagrin laisserait un soupçon de répit à son estomac. Il n'irait nulle part, c'était sa façon de le lui promettre.
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