Plusieurs jours se sont écoulés depuis que j’ai été confronter Danika sur l’existence de Maddox et je n’ai toujours aucune nouvelle de sa part. Ce n’est pas l’envie qui manque de la relancer, mais j’essaie d’être patient et de la laisser venir à moi cette fois-ci. Je sais que je ne ferai que l’éloigner encore plus si je lui mets trop de pression. Ma patience a toutefois ses limites et je n’hésiterai pas à retourner la voir si elle me tient à l’écart trop longtemps. En attendant, je ne peux faire autrement que de me poser mille et une questions au sujet de mon fils qui restent pour le moment sans réponses. Qu’aime-t-il manger? Quels sont ses intérêts? Quel genre de personnalité a-t-il? Les quelques minutes pendant lesquelles je l’avais vu ne m’avait pas permis d’en apprendre beaucoup à son sujet. Cette rencontre m’avait au moins permis de voir de quoi il avait l’air et il n’y avait aucun doute que Danika ne l’avait pas fait avec le facteur. Lorsque j’étais rentré à la maison ce soir-là, je m’étais dépêché de sortir la seule photo qu’il me reste de ma famille, une photo prise lors de nos dernières vacances ensemble alors que j’avais sept ans. Maddox ne partageait peut-être pas les boucles blondes que j’avais à l’époque, la ressemblance était tout de même frappante. Il était un parfait mélange de nos traits, ses cheveux foncés faisant ressortir ses yeux clairs. Ses petits yeux avec lesquels j’avais l’impression qu’il me transperçait l’âme. J’espérais vraiment qu’il aurait plus de chance que nous et qu’il n’allait pas hériter du tempérament colérique de ses deux parents.
La journée à l’hôpital a été plutôt calme, ce qui fait mon affaire pour une fois. Je m’entraîne beaucoup dernièrement en vue d’une compétition et je n’ai pas particulièrement envie de me blesser en devant intervenir auprès d’un patient turbulent. Comme je suis passé au dojo ce matin avant le travail, je peux profiter d’une soirée de repos bien méritée. En revenant à l’appartement, je saute directement dans la douche pour pouvoir troquer mon habit de travail pour un t-shirt et des pantalons mous un peu trop grands pour moi. Je mets une lasagne dans le four et je me décapsule une bière avant de me laisser glisser dans le canapé en soupirant. Je venais à peine d’ouvrir la télévision lorsque j’entends sonner à la porte. Je n’attends personne mais je décide d’aller ouvrir après avoir déposé ma bière sur la table basse du salon. J’ai à peine le temps de réaliser que c’est mon ex qui est devant moi qu’elle m’adresse la parole. « Tu es sur le certificat de naissance. » Pris par surprise, je fronce les sourcils sans dire un mot. J’ai l’impression qu’il y a une suite à ce qu’elle vient de dire alors je la laisse poursuivre en la regardant avec intérêt. « J’ai signé à ta place mais ton nom y est. » Danika baisse les yeux, honteuse. De mon côté, je serre les mâchoires mais pas de rage cette fois-ci, je tente plutôt de ravaler le sourire fier qui menace d’apparaître au coin de mes lèvres. Je ne cautionne pas son geste mais c’est déjà mieux que d’avoir inscrit père inconnu. Maddox ne le sait peut-être pas encore mais légalement j’existe et, rien que ça, ça me fait plaisir. « Ok. » C’était une belle surprise à laquelle je ne m’attendais pas mais ça n’avait rien à voir avec celle que j’allais avoir avec ses paroles suivantes. « Son nom complet c’est Maddox James Kirby Riley. » « Kirby? » Ça sort tout seul alors que je la dévisage avec la bouche entrouverte et les sourcils haussés, comme pour confirmer que j’ai bien compris. Elle sort un bout de papier de son sac à dos et me le tend ensuite. Je baisse les yeux sur le certificat de naissance et je constate qu’elle dit vrai. La vue de mon surnom sur le bout de papier me fait rire silencieusement pendant que je le caresse avec mon pouce. Je relève la tête et lui rends. « Je ne comprends pas… pourquoi lui avoir donné ce nom si tu ne voulais pas que je sois dans sa vie? » Ma question est sincère et mon but n’est aucunement de la provoquer cette fois-ci. Je peux voir à son langage corporel et verbal qu’elle ne semble pas être venue ici pour qu’on s’engueule encore et ça me donne un peu d’espoir pour la suite de la conversation, qu’elle soit venue ici pour me donner ma chance. Alors pour le moment, j’accepte d’enterrer la hache de guerre. « En tout cas, ça représente beaucoup pour moi. » dis-je en posant ma main droite sur mon cœur. Elle était loin de connaître tous les détails de mon enfance mais de donner ce surnom à notre fils ne pouvait pas mieux rendre hommage à Malcolm. « Je peux entrer ? » Sans hésiter, je hoche la tête et je me dirige vers le salon pour la laisser entrer. Je reprends ma bière sur la table basse et j’en prends une gorgée en attendant. « Tu veux quelque chose à boire? »
Danika est difficile à suivre, les femmes sont difficiles à suivre. D’un côté elle tient mordicus à me tenir loin de notre enfant, et elle y arrive relativement bien pendant trois ans et demi, alors que de l’autre elle lui donne mon surnom. J’essaie de comprendre son raisonnement, mais je dois me rendre à l’évidence que je ne comprendrai jamais ce qui s’est passé dans sa tête sans lui poser la question directement. « Pour rien. » dit-elle sèchement. Visiblement, sa trêve n’aura pas durée très longtemps. Je fronce les sourcils et croise mes bras contre mon torse en la fixant alors que je sais très bien qu’elle ne lui a pas donné ce nom juste comme ça, pour rien. Ce n’est pas l’envie de lui répondre qui manque mais je me retiens. Il faut croire que la motivation de pouvoir passer du temps avec mon fils est assez forte. « J’en sais rien. Peut-être pour me rappeler que s’il devient insupportable ça sera de la faute de son père ? » « C’est toi qui commences à être désagréable mais c’est moi qui suis insupportable? » je lui réponds du tac au tac en sachant très bien que Danika peut remporter la palme si elle s’y met. Au moins moi j’assume mes paroles, mon regard cherche à soutenir le sien qui tient à tout pris à se détourner. Malgré le début d’irritation que j’éprouve en entendant sa réponse, j’accepte tout de même de la laisser entrer dans mon appartement en espérant que la suite ne me décevrait pas.
Convaincu qu’elle est venue ici avec une intention derrière la tête, je lui demande si elle veut boire quelque chose par politesse en attendant qu’elle se lance. « Je veux bien une bière. » Je me dirige vers la cuisine pour sortir une deuxième bière du réfrigérateur, que je décapsule dans mon chandail. Je retourne vers elle et lui tends. « Je vois que ton appart a pas beaucoup changé. » Je secoue négativement la tête en pivotant sur moi-même pour regarder mon appartement. En effet, il n’a pas tellement changé depuis quelques années, à l’exception du trou gigantesque dans le mur du salon qui date d’une semaine. « Same old same old. » Certaines personnes ressentent le besoin de changer la couleur des murs régulièrement, ce n’était pas mon cas. Peinturer n’est pas mon activité préférée, même si j’allais visiblement avoir besoin de le faire après avoir replâtré le mur du salon. À force, j’allais être un expert. « Je suis certain que t’es pas venue ici pour me parler de mon appartement. » dis-je avant de prendre une gorgée de ma bière le regard plongé dans le sien. Elle n’attend pas trop longtemps avant d’entrer le vif du sujet. « J’ai réfléchi et…maintenant que tu sais… » Je reste silencieux pendant que toute mon attention est dirigée vers elle. Je n’ose ni bouger, ni dire un mot alors que je sens les battements de mon cœur qui s’accélèrent. « Je veux pas t’empêcher d’être dans sa vie. » Je tente de contenir ma joie mais ses paroles font instantanément naître un sourire lumineux sur mon visage. Je repose ma bière sur la table basse à côté de nous. « Tu es sûr de toi Lawrence ? Tu es sûr que c’est ce que tu veux ? » Je hoche vivement la tête, le regard pétillant. Je n’ai pas besoin de réfléchir, la réponse est évidente pour moi. « Fuck oui. » Puis sans trop réfléchir je m’approche de Danika pour la prendre dans mes bras, posant une main dans le haut de son dos et l’autre sur sa nuque. J’accote ma tête sur le dessus de la sienne, une joue pressée contre ses cheveux. Je suis reconnaissant et heureux qu’elle accepte enfin de me faire confiance, même si ça n’efface pas la colère que je ressens face au fait qu’elle m’ait caché ce fils pendant toutes ces années. Pour le moment, la joie prend le dessus, pour le temps que ça dure. J’avais une petite pensée pour son père, grâce à qui j’avais appris ma paternité. Sans lui, je serais clairement encore dans l’ignorance, même si je lui en voulais un peu à lui aussi de ne m’avoir rien dit alors qu’il était toujours en vie. Cet homme que je considérais presque comme un père et qui m’avait lui aussi menti pendant toutes ces années finalement. Je me rends alors compte que je la serre encore contre moi. Je la lâche et me recule en me râclant la gorge, le regard évitant. Je m’assois sur le canapé et me concentre sur ma bouteille de bière que je reprends dans mes mains pour en prendre une gorgée. Après un moment en silence, je lève finalement les yeux vers elle. « Je peux le voir quand? » J’avais déjà perdu trois ans et demi, je n’avais pas envie d’en perdre une seconde de plus.
Trois ans et demi qu’il vit sans savoir que j’existe. Trois ans et demi qu’il vit sans que je sache qu’il existe. Maintenant que j’ai la confirmation que c’est bien le mien, je n’ai pas envie de perdre une seconde de plus. Par la faute de Danika, je n’aurai jamais la chance de le voir faire ses premiers pas ou l’entendre dire ses premiers mots. Ces moments sont perdus à jamais, je ne pourrai jamais les revivre avec lui. À son âge, il change à la vitesse de l’éclair et je n’ai pas envie de rater d’autres moments comme ceux-ci. Je vais donc droit au but et lui demande quand j’aurai la chance de le revoir, d’avoir un peu de temps pour interagir avec lui, pour voir naître l’aube de cette relation père-fils qui me fait rêver depuis une semaine. « Je vais pas lui dire tout de suite. » La réponse de Danika ne me surprend pas vraiment mais ça ne la rend pas moins difficile à entendre. Je suis déçu et j’essaie tant bien que mal de le cacher en prenant une gorgée de ma bière. Je ne peux quand même pas m’empêcher de soupirer bruyamment avant de parler. « Je comprends. » Je n’approuve pas mais je comprends. Je comprends que ce n’est pas évident pour elle de me laisser prendre ma place même si elle est responsable de ce malaise. Si elle m’avait laissé prendre ma place dès le début, nous n’en serions pas là aujourd’hui. L’idée de devoir commencer cette relation sur la base d’un mensonge ne m’enchante pas vraiment. Je vais devoir me résoudre à apprendre à le connaître en lui faisant croire que je ne suis qu’un ami de Danika, rôle que je ne joue même pas en vrai. Si ce n’était pas de Maddox, nous continuerions probablement notre vie chacun de notre côté en essayant de se côtoyer le moins possible. « Tu vas lui dire quand? » Je lui demande d’une voix calme en étouffant l’agacement que je ressens de devoir perpétuer son mensonge plus longtemps.
« Mais, on pourrait passer du temps ensemble, à trois, et tu pourrais….apprendre à le connaître et il apprendrait à te connaître. » Une autre réponse qui ne me surprend pas tellement de sa part, j’aurais été plutôt surpris qu’elle accepte de me laisser Maddox pour notre première rencontre. Autant je suis content qu’elle veuille bien me laisser le voir, autant la pression de sa présence à elle ne m’enchante pas du tout. J’aurai déjà bien suffisamment de stress de vouloir faire bonne impression à lui sans devoir en plus gérer l’impression que je ferais à Danika. Parce que je sais qu’elle me déteste, je pars donc avec une longueur de retard en ce qui la concerne. Je ne suis toutefois pas vraiment en position de m’obstiner avec elle sur le sujet alors j’acquiesce « Ok. » Je me force pour lui sourire un peu avant de rabattre mon attention sur ma bière encore une fois. « Maddox aime beaucoup Noel. » « Ah oui? » Ses paroles provoquent chez moi un sourire en coin alors que je repense à mon enfance. Noël n’a plus la même signification pour moi depuis tellement longtemps. J’en garde tout de même de très bons souvenirs de l’époque où mes parents et Malcolm étaient toujours en vie. Chaque année, nous harcelions nos parents pour savoir quand nous allions enfin décorer le sapin de Noël ensemble. Ce n’était jamais assez tôt à notre goût. Revivre un peu de cette magie avec Maddox me réchauffait le cœur. « Tout va être installé en ville ce weekend. Peut-être…peut être qu’on pourrait y faire un tour. » Malgré qu’elle ne compte pas lui dire la vérité tout de suite, elle semble sincère quant à l’idée qu’on puisse passer du temps ensemble dans un avenir rapproché. Je me sens excité juste à penser à cette première journée en sa compagnie, qui pourrait avoir lieu dans quelques jours à peine. Alors que ma joie se traduit par un grand sourire, je cherche ses yeux avec les miens. « J’aimerais vraiment ça. » J’espère tout simplement qu’elle ne me fera pas de faux espoirs en changeant d’idée à la dernière minute parce que je ne serais pas aussi docile. Je prends une autre gorgée de ma bière puis je rapporte mes yeux sur celle-ci en faisant tournoyer le liquide dans ma bouteille pour vérifier combien il m’en reste. Après un petit moment en silence, j’ose enfin la regarder de nouveau pour lui poser une question qui a beaucoup d’importance pour moi. « Je sais que c’est tôt… mais est-ce que tu crois que je pourrai l’avoir une journée dans le coin de Noël? » Je déglutis difficilement, mal à l’aise de lui poser cette question qui, je le sais, ne fera probablement pas son bonheur. Sauf que Noël est dans à peine un mois et que je préfère lui faire part des mes intentions (ou de mes souhaits) tout de suite. « J’aimerais vraiment pouvoir le présenter à ma sœur. »
« Quand j’estimerais que ça sera le bon moment. » Malgré la froideur que je trouve dans ses yeux, je soutiens son regard avec le mien qui se durcit instantanément. Mon visage exprime ma colère dans un rictus sans aucune retenue. J’ai le goût de lui répondre, les répliques fusent dans ma tête alors que je tape au sol d’un pied sans m’en rendre compte. Je meurs d’envie de l’attaquer avec mes mots, de lui faire mal à elle aussi. Ce serait tellement facile… En espérant que ça ne te prenne pas autant de temps que pour t’excuser. Ton père n’est pas là pour le faire à ta place cette fois-ci. Histoire de me calmer et de ne pas prononcer ces mots que je pourrais regretter, j’essaie de penser à Maddox et à ce que je pourrais gagner en bout de ligne avec lui si je me ferme la gueule pour une fois. La pensée de son petit visage semble suffire parce que je reste silencieux. Je me mords plutôt l’intérieur de ma joue jusqu’à ce que ça goûte un peu le sang avant d’esquisser un sourire qui a l’air faux.
L’ambiance devient un peu plus légère alors que Danika me propose qu’on se rencontre en ville avec Maddox pour qu’on puisse passer un peu de temps ensemble tous les trois. Cette idée me fait sourire à pleines dents et Danika me répond en souriant à son tour. Une facette d’elle à laquelle j’ai peu accès depuis presque toujours mais qui me rappelle certains bons moments qu’on a passés ensemble avant que tout explose en mille morceaux. « Alors on fera ça. Je ne travaille pas dimanche. On pourra y aller l’après-midi si tu es libre. » Je fronce les sourcils, pensif, avant de hocher la tête avec vigueur. « Je vais vérifier mon horaire au travail, je vais m’arranger pour pouvoir être là. Fais juste me dire où et à quelle heure. » Quitte à échanger de quart de travail avec un collègue s’il le fallait, je n’allais certainement pas manquer ma première opportunité de passer plus de deux minutes avec lui, même si ça impliquait de passer du temps avec elle aussi par le fait même.
Lorsque j’aborde le sujet de Noël avec elle, je suis conscient que j’entre sur un terrain glissant mais je suis aussi conscient que je n’obtiendrai rien si je ne lui demande pas. Maddox a le droit de connaître les membres de ma famille comme ceux-ci ont aussi le droit de faire sa rencontre. Sauf que cette idée ne réjouit pas du tout Danika, je peux le voir à son sourire qui disparait en un claquement de doigt. Son visage devient froid, comme j’y ai tellement trop souvent le droit. « Mais bien sûr Lawrence, et puis dès demain je te le laisse à dormir ? Il ne te connait pas. Il ne connait pas Stacey. C’est un enfant, je vais pas laisser mon fils tout seul à des gens qui sont des inconnus pour lui. » Encore une fois, elle appuie sur le bon bouton pour me faire sortir de mes gonds. Je me relève d’un bon, le regard foudroyant. « Par la faute de qui?! » demandai-je sèchement en haussant le ton. Je ris de colère devant ses excuses pathétiques. « À t’écouter parler, on dirait presque c’est ma faute d’être un fucking inconnu pour lui. C’est tout ce que je demande de le connaître. » Je cale ma bière le regard planté dans le sien. J’essaie de penser à Maddox encore pour me calmer, mais tout ce qui me vient en tête c’est que je peux bien crier comme je le veux ici, il n’est pas là pour nous entendre. J’ouvre la bouche pour continuer sur ma lancée sauf que l’alarme du four se met à sonner. Danika est sauvée par la lasagne. Avant de partir vers la cuisine, j’arrache la bière de Danika de ses mains et j’en prends une gorgée toujours en la regardant. Ton fils, ma bière. Je m’éloigne ensuite en direction de la cuisine pour sortir la lasagne du four. Je lui en aurais probablement offert un morceau plus tôt, mais là elle pouvait bien se torcher avec. Je me sors une assiette, me sers un morceau que je me commence à manger sur le coin du comptoir face à elle. Toujours fâché mais sans crier cette fois, je reprends la discussion où je l’avais laissée. « C’est dans un mois Noël, Dan. » J’espère bien que ma relation avec Maddox aura un peu évoluée d’ici là, à moins qu’elle ait l’intention de me tenir plus à l’écart qu’elle le laisse paraître. « J’ai le droit de le voir pendant les fêtes. Légalement, j’aurais le droit de l’avoir pour Noël ou le jour de l’An. » Je n’ai pas le goût de me lancer dans des procédures judiciaires pour faire valoir mes droits et je suis certain qu’elle non plus. « Il faudra qu’on trouve une solution qui plaira à tout le monde. » dis-je avant de prendre une bouchée de ma lasagne en la fixant. Visiblement, élever Maddox à deux allait loin d’être simple avec cette relation qui a tout sauf l’allure d’un fleuve tranquille.
« Pour l’heure après la sieste de Maddox ? Il sera plus en forme. Pour le lieu on a qu’à se donner rendez-vous devant le grand sapin. » Je hoche lentement la tête en lui souriant jusqu’à ce que je réalise que je n’avais aucune idée de l’heure à laquelle il prend sa sieste. « Ça me va, mais il faudra que tu me dises à quelle heure m’y rendre, je n’ai aucune idée de l’heure de sa sieste. » Par sa faute d’ailleurs, mais il n’y avait aucun reproche dans mes paroles, seulement un léger malaise de ne pas connaître cette information si banale. Visiblement, j’ai moins bien caché l’agacement dans ma voix lorsque je lui ai demandé quand elle comptait dire à Maddox que j’étais son père. Danika l’a senti et elle n’a pas tardé à réagir. « Je crois que t’as la mémoire courte Cabbott, tu veux que je te repasse le film de la fin de notre relation ? » Question à laquelle je réagis en haussant les épaules clairement agacé par ses justifications sans queue ni tête. « Tu sais quoi? Peut-être que tu devrais parce que je ne vois rien qui justifie ta décision de me tenir à l’écart. » Je croise mes bras contre ma poitrine en tenant ma bière du bout des doigts. « La seule fucking bonne raison aurait été que je t’aille mise en danger. Est-ce que je t’ai déjà frappée? Fuck non. » Elle semble bouchée Danika, tenant à gagner son point à n’importe quel prix. Alors je sors la carte de mes droits légaux, prêt à tout. Et ça semble fonctionner parce qu’elle reste silencieuse en me fixant. De mon côté, je soutiens son regard avec le mien, entêté à gagner cette bataille silencieuse. Elle finit par s’approcher pour s’asseoir à côté de moi pendant que j’engloutis ma lasagne. « Peut-être. Pour l’instant tout ce que je peux te promettre c’est que tu pourras le voir pendant les fêtes. Stacey aussi. Quant à si je serais là ou pas ça ne dépendra pas que de moi, ça va dépendre de si Maddox est à l’aise ou pas. » Je la regarde silencieusement en hochant la tête. Ce n’était pas parfait comme solution, mais c’était mieux que rien. Je suis conscient qu’elle ne me donnera pas tout sur un plateau d’argent aussi facilement et je suis prêt à faire des concessions de mon côté aussi. S’il faut que je passe Noël avec elle pour pouvoir voir mon fils, ce serait déjà mieux que de ne pas le voir du tout.
« J’essaye Law. Je suis là non ? » Je ne peux que lui donner raison alors que je vois très bien qu’elle fait elle aussi des efforts. Sa voix plus douce me calme et je me force à baisser le ton moi aussi, à relaxer mes épaules tendues. « Je sais. » MAIS, ce fameux mais. Celui auquel je dois toujours penser avant de parler parce que je sais que chaque mot est un potentiel risque d’explosion entre elle et moi comme si nous étions perpétuellement en train de marcher dans un champ de mines. « Tu ne me fais pas confiance. » dis-je en soupirant entre deux bouchées, omettant de prononcer le fameux mais. Mais il est bien là, sous-entendu sans aucune subtilité. Je prends mon temps avant de poursuivre, me concentrant sur ma lasagne que j’essaie de centrer dans mon assiette en grattant le fond avec ma fourchette. « Je sais que je ne suis pas un bon amoureux Dan. Probablement que je gagnerais la palme du pire, s’il en existait une. » Je lève les yeux vers les siens en souriant sans trop savoir pourquoi parce que ce n’est pas une facette de ma personnalité dont je suis particulièrement fier. « Mais je pense que je suis capable d’être un père décent pour lui. » Même si je sentais que j’allais toujours devoir lui prouver à elle que je n’étais pas qu’un bon à rien, que j’étais capable d’apporter quelque chose de positif dans la vie de Maddox même si ça allait nous demander des efforts inhumains, à elle et moi, pour entretenir un semblant de relation cordiale pour lui. « J’ai besoin de temps et il a besoin de temps. Mais je vais te laisser prendre la place que tu veux avoir dans sa vie. » Je réponds à son sourire en lui souriant à mon tour, satisfait de ne pas avoir à me battre pendant des mois pour pouvoir prendre la place qui me revient. C’était déjà ça de gagné.
Pendant que je continue de manger, Danika se lève et va se chercher une assiette et des ustensiles, visiblement déterminée à me voler une partie de mon repas. « Maintenant arrête de faire ta tête de cochon et file moi des lasagnes. » Et je le vois cet air de défi que j’ai si souvent aperçu dans ses yeux dans le passé. Cet air qui m’a si souvent fait flancher face à ses demandes. Je tente de lutter alors que je soutiens son regard mais je n’y arrive pas. Mes lèvres s’étirent en un grand sourire alors que mes joues sont gonflées comme celles d’un rongeur parce qu’elles sont pleines de lasagnes. Je prends mon couteau et je lui coupe un minuscule morceau de lasagne (plutôt une bouchée) que je pousse dans son assiette en guettant sa réaction d’un regard complice en riant silencieusement. « Est-ce que je dois comprendre que tu t’ennuies de ma bouffe? » Je coupe finalement ma part de lasagnes en deux et j’approche mon assiette de la sienne pour lui donner. J’éprouve une impression de déjà-vu en pensant à cette soirée qui illustre parfaitement le déroulement chaotique de notre relation dans laquelle on pouvait passer d’un extrême à l’autre en un claquement de doigts. Et malgré tous nos mauvais moments, qui surpassent probablement de loin les plus beaux, je suis pris d’une nostalgie soudaine.
La rencontre était officielle, il ne restait plus qu’à attendre et espérer que tout se déroule bien, que je n’allais pas tout faire foirer. Je ressentais déjà cette pression de vouloir faire bonne impression alors que je n’avais aucune idée de comment j’étais supposé me comporter en présence d’un enfant de son âge. Des enfants, il y en a peu dans mon entourage et j’ai plutôt l'habitude de les laisser faire leurs choses sans trop interagir avec eux. Cette fois-ci, les choses devaient se passer autrement cependant, il ne s’agissait pas d’un enfant comme les autres. Il s’agissait du mien, du nôtre. « Vers seize heure, seize heures trente. » Je lui souris timidement en hochant la tête avant de répondre d’une voix basse. « C’est noté, je vais être là. » Heureusement pour moi, nous avions convenu d’une date et d’une heure avant que je lui pose une question qu’elle n’apprécia pas du tout. Qui sait, elle aurait peut-être changé d’idée.
« Non je te fais pas confiance. Et aux dernières nouvelles, tu ne m’as jamais fait confiance non plus. » Je détourne la tête, le regard évitant. Cette fois-ci, c’est à mon tour de rester silencieux et de ne pas répondre parce que je sais qu’elle a en partie raison. Je sais que mon attitude a beaucoup pesé dans la balance pour notre rupture et je me sens coupable. J’étais persuadé que les choses pourraient être différentes avec elle, comme si j’avais cru qu’elle me comprendrait tellement on se ressemblait. Mais j’avais eu tort et nous nous étions déchirés après quelques mois à peine. En même temps, je ne pouvais que me blâmer, elle n’aurait jamais pu me comprendre sans que je lui donne accès à mes pires souffrances. J’avais souvent eu le goût de lui expliquer que la jalousie dont je souffrais n’avait rien à voir avec elle, au fond, mais ça aurait impliqué que je me montre vulnérable face à elle en lui racontant mon passé et j’en étais incapable. Sans vérité, notre relation n’avait pas fait long feu. Notre amour n’avait pas suffi.
Pour Maddox, je rends les armes. J’arrêter d’agir comme un enfant et je lui sers un petit bout de lasagne une lueur de malice dans les yeux. « Peut être. Fait gaffe je vois tes chevilles grossir d’ici je vais devoir te mettre une raclée au dojo pour les faire dégonfler. » Je me lève en riant pour aller me chercher une nouvelle bière, en amenant une autre pour Danika au passage. « Est-ce que je dois vraiment te rappeler comment tout a commencé? Et si t’as fait dégonfler quelque chose ce soir-là, je doute que ce soient mes chevilles. » Je reprends place à côté d’elle après avoir décapsulé ma bouteille, osant la défier du regard. « Je l’attends encore cette raclée d’ailleurs. Peut-être que tu devrais enfin te rendre à l’évidence que je suis juste meilleur que toi et que ça n’arrivera jamais. » Parce que je sais de toute façon qu’il s’agirait d’un jeu dangereux dans lequel je ne pouvais pas me faire avoir une nouvelle fois. Parce que ça ne ferait que tout compliquer avec Maddox et qu’il y avait trop en jeu cette fois-ci. De toute façon, pour l’avoir essayé, je savais que ça ne donnerait rien de bon à long terme.
Pendant ce moment de trêve, Danika me parle des goûts de Maddox et je bois ses paroles avec intérêt. « Il adore les animaux, surtout les chiens et les lapins. En ce moment il a une obsession pour le dessin animé How to train your Dragon. Il pense qu’au dojo c’est pour devenir un super héro qu’on s’entraîne. » Je pousse un rire franc en imaginant le scénario dans ma tête. « Tant que je n’ai pas à porter un costume moulant. » dis-je en haussant les sourcils, peu enthousiaste à l’idée de me costumer de la sorte. Pourtant, si quelqu’un était apte à me convaincre de le faire, ce serait sans doute lui. Je serais probablement prêt à tout pour lui plaire. « Depuis qu’il a vu monstre et compagnie chez ma sœur, il est persuadé qu’il y a des monstres dans le placard et il veut toujours que les placards soient fermés. Il est fasciné par les combats parce qu’il en regardait avec mon père à l’hôpital à la télévision pendant des heures. » Lorsque le regard de Danika s’assombrit à la mention de son père, je reste silencieux, conscient qu’elle n’a probablement pas le goût de m’en parler. J’étire toutefois mon bras vers elle pour poser affectueusement ma main sur son avant-bras. Même si le décès de mon père remonte à plus de vingt ans, je suis bien placé pour comprendre sa douleur. Même la mort de son père ne m’avait pas laissé indifférent alors qu’il avait joué un rôle important dans ma vie. Malgré tous nos différends, j’espérais qu’elle réussirait à faire son deuil et à avancer. « Il est facile. Il t’aimera bien. » Un mince sourire s’affiche sur mes lèvres pendant que je retire ma main de sur son avant-bras. Le regard évitant, je hoche lentement la tête et je me lève pour aller porter mon assiette vide dans l’évier. « J’espère. » Mais je ne peux m’empêcher de douter parce que j’ai plutôt l’habitude d’attirer la haine que l’amour. Pourquoi serait-ce différent avec lui?