Je me souviens encore de ce moment où mon écran de téléphone s’est allumé pour laisser apparaitre son nom. Geo calling. J’ai soupiré, je n’étais pas prête. Pas prête à lui parler après avoir découvert qui il était lui aussi. Pas prête à argumenter de longues heures pour qu’au final, on sache comment ça se terminerait. J’étais las, fatiguée, épuisée de toutes ces déceptions en chaîne. J’en avais assez de cette vie qui semblait tourner en rond, cercle vicieux duquel je ne parvenais à me défaire. Une journée sans fin, ainsi serait le parfait titre pour définir ma vie. Alors dans cet état de fatigue, je n’ai pas pu. Je n’ai pas pu lui répondre, entendre le son de sa voix, même si j’aurai pu décrocher ne serait ce que pour lui dire qu’il aille se faire voir. Seul un soupir était sorti d’entre mes lèvres et j’avais machinalement retourné le téléphone, pour ne plus voir son nom…
Je n’ai pas eu le courage de retourner vers Geo. Tout comme j’ai été incapable de retourner vers Alec. Parce qu’ils m’ont déçu tous les deux et que je voulais les rayer définitivement de ma vie autant l’un que l’autre. Je leur avais dit, clairement, parce que ce que j’ai découvert était tout simplement pas quelque chose que je pourrais accepter. Découvrir leur appartenance à ce Club, organisation illégale qui était mêlée à des histoires de trafics de stupéfiants et surement d’autres choses que je préférais ignorer, avait été un coup dur, une déception immense. Mensonges sur mensonges, voilà à quoi se résumait ma relation avec eux. Les deux n’ont jamais été honnête, me cachant bien des choses sur qui ils pouvaient être vraiment…
Geo… Il a toujours été mystérieux, un peu renfermé sur lui, très peu démonstratif de ses sentiments. Pourtant, c’est ainsi que je l’ai connu cinq ans plus tôt et que je l’ai accepté aussi. Pour moi, c’était son histoire personnelle qui l’avait rendu ainsi…Une histoire personnelle dont il m’a très peu parlé. Mais finalement, il y avait bien plus que ça. Il n’a pas jugé bon de m’en parler quand moi, en retour, je me suis livrée à lui sans filtre. Une confiance que je lui ai accordée, peut-être trop rapidement, voyant en lui un père. Un père pour remplacer celui qui m’a abandonné dix ans plus tôt. Un rôle de père à distance qu’il a su tenir par rapport au mien, décrochant au moindre appel, attentif à tout ce que j’avais à lui dire, toujours de bons conseils, n’hésitant pas à me remuer, à me dire les choses quand cela était nécessaire. La déception est bien trop grande… Une déchirure, parce que, même si je ne lui ai jamais dit, je l’aimais comme un père…
Alors quand je rentre du bureau ce soir, déjà bien perdue dans mes pensées parce que je n’ai pas envie de rentrer dans cet appartement définitivement vide, et que j’entends « Bonsoir Mia », mon sang se glace et je me fige. Il se tient devant moi, il semblait m’attendre, sûrement pour discuter. Mais je ne suis pas prête à l’affronter… « Je sais que me parler est la dernière chose dont tu as envie. Mais laisse-moi une chance de t’expliquer ». Un regard méprisant apparait au moment où il devine très bien que je n’ai pas envie de lui parler. Deux solutions s’offrent à moi à ce moment même : soit je prends la direction de la porte de l’immeuble qui se trouve à quelques pas, qui répondrait clairement à sa question, coupant court à la discussion et il repartirait aussi vite qu’il était sûrement arrivé. Ou alors, je reste là devant lui et accepte de l’écouter sans grande conviction. Parce qu’au fond, je sais que je vais entendre le même discours que j’ai eu quelques jours plus tôt par Alec… Et cette dernière rencontre m’a suffisamment éreintée sans en rajouter une autre qui se finira mal, quoi qu’il en soit… C’est la dernière option que je choisis cependant, lui faisant face en soupirant. « Je ne te demande pas d’accepter et encore moins de me pardonner. J’ai simplement besoin que cette fois-ci, tu m’écoutes ». Mes bras se croisent sur ma poitrine, un sourcil s’arquant sur mon visage « Pour une fois ? Je t’ai déjà écouté un nombre incalculable de fois, surtout ce fameux jour au Mexique où j’ai fait ta connaissance… J’aurai dû m’abstenir ». Catégorique, voilà comment sort cette affirmation. Pas de peut-être, pas d’hésitation, elle annonce la couleur sur mon humeur et sur ma prédisposition à écouter. Et surtout sur les regrets que je peux avoir vis-à-vis de lui et surtout sur notre relation « Qu’est-ce que tu vas me dire Geo ? Que tu regrettes de ne pas avoir été honnête ? Oh non, attends j’ai eu mieux » Je reprends les mots prononcés par Alec « "Comment tu crois que j’aurais pu te le dire ?". Ou alors tu vas me sortir que c’était pour me protéger, comme tu me l’as dit dans cette ruelle ? ». Ton sarcastique, visage fermé. Voilà ce à quoi doit faire face Geo en voulant me parler ce soir.
« Ce n’est pas ce que j’ai dit » Je n’apprécie pas cette façon qu’il a de me demander de l’écouter cette fois-ci. Comme si les fois précédentes, je n’avais jamais été attentive. Automatiquement, cela me renvoie surtout à cette confrontation au Mexique, où je l’avais accusé d’être louche parce qu’il nous suivait Lukas et moi. Ce même jour, il m’avait demandé de l’écouter parce qu’il avait voulu prendre la défense de mon père ou du moins, me faire entendre certains arguments notamment celui que j’allais regretter de rester sur mes positions un jour ou l’autre. C’est à ce moment là aussi, lorsque j’ai accepté de l’écouter, que notre lien s’est créé avec Geo. Ses paroles ont eu des répercussions sur moi. Parce que oui, depuis le retour de mon père, les paroles de Geo au Mexique ont raisonné en moi. Et c’est peut-être aussi pour ça que j’ai accepté de laisser une petite porte ouverte à mon père pour que, progressivement, il refasse partie de ma vie. Cependant voilà, je viens à clamer que je regrette cette rencontre, cinq ans plus tôt, que j’aurai préféré ne jamais croiser son chemin et donc le connaitre à ce point. Car oui, il fait partie d’une déception de plus dans ma liste déjà bien fournie. « Tu ne penses pas ce que tu dis ». Il a surement raison mais je ne le dirai pas, parce que la colère revient quand je le vois, que celle contre Alec revient aussi. « J’ai toujours aucune explication au fait que j’ai ressenti ce besoin de garder contact avec toi. J’en aurais sûrement jamais. Tu pourras dire ce que tu veux, je ne changerais ça pour rien au monde ». Mon regard est ancré dans le sien alors qu’il prononce ses paroles. Il peut y voir de la colère. Pourtant, ses paroles me touchent. Et là encore, si je ne réponds rien, c’est pour ne pas en arriver à dire des choses que je pourrais regretter… parce qu’évidemment je ne changerai ça pour rien au monde aussi. Pourtant, je suis déçue, il ancre son nom dans cette blessure que je ne parviendrai certainement plus à panser…
J’accepte donc de l’écouter, mais évidemment je fais déjà des suppositions sur ce qu’il va bien pouvoir me dire et lui balance en pleine face. J’ai eu cette conversation similaire avec Alec quelques jours plus tôt, c’est à son tour désormais. Je n’ai pas envie d’entendre les mêmes choses, les mêmes excuses que je n’accepterai pas. Il me connait, je me suis livrée à lui pendant cinq ans, sans artifices, sans prétention, sans semblant. Et pourtant, il m’a menti pendant tout ce temps… « Je pourrais te dire tout ça. Que j’ai voulu tout te dire des centaines de fois, pour éviter qu’on se foute dans une situation comme celle-ci. Pour t’épargner, pour que tu saches ce que je fais tous les jours. Pour que tu ne sois pas surprise de me voir disparaitre du jour au lendemain ». Et quand il dit ça, c’est comme un coup de poignard. Parce que finalement son affirmation peut avoir double sens : celui de la fuite qui expliquerait qu’il disparaisse soudainement ou l’autre sens, celui de la mort. Parce qu’évidemment, les activités qu’il mène sont dangereuses, et même si je n’en connais que les contours, qu’il ne me dira pas exactement en quoi consiste les activités du Club, je ne peux que m’en douter « Tu ne serais pas le premier, c’est peut-être pour ça que tu as décidé de ne rien dire, tu t’es dit elle est habituée ma petite après tout » Ma petite, j’utilise volontairement ce terme, peut-être pour lui faire du mal. Surnom qu’il m’a donné depuis son retour à Brisbane et qu’il utilise à tout va à mon encontre. Mon regard est toujours mauvais sur lui, limite méprisant. Mon ton est cinglant. « J’ai jamais réussi. Parce que s’il existe mille raisons pour lesquelles je devais tout te dire, il y en a mille autres pour lesquelles c’était impossible ». J’en ai assez de ses excuses qui n’ont pas de valeurs, qui n’arrangent rien à la situation « Dans ce cas, puisqu’il t’est impossible d’être honnête avec les gens qui comptent pour toi, abstiens-toi. Abstiens-toi d’avoir des personnes qui tiennent à toi si tu ne peux pas être honnête. Trace ta route tout seul ! ». J’élève le ton, faisant un pas de plus vers lui de colère. J’appuie, je le sais, j’appuie là où ça peut le blesser, comme pour lui rendre la pareille. Là encore, je repense à cette rencontre où j’avais lu dans ses yeux que c’était un homme indéfiniment seul et souffrant de cette solitude du fait de la carapace qu’il s’était forgée. Mais aussi, maintenant que je suis au courant, de la vie qu’il a décidé de mener. Je retrouve cet exact même expression dans ses yeux quand je lui balance ces derniers mots en pleine figure. « Je t’ai menti, beaucoup. Je ne vais pas répéter ce que tu sais déjà, on gagnera du temps ». Je roule des yeux, et recule d’un pas en soupirant. Il valait mieux, je n’avais pas envie d’entendre encore et toujours les mêmes excuses.
« Avant Brisbane, il y en a eu d’autres, beaucoup d’autres. Tu dois t’en douter, mais toutes ces cartes postales… mon tour du monde est différent du tien. J’ai toujours pris le temps pour toi, autant que nécessaire. Tu en as pris aussi pour moi. J’ai passé sous silence ce que je fais de ma vie, car j’en suis pas fier. Ce n’est pas quelque chose que l’on peut scander fièrement ». Il ne m’apprend rien de ce que je sais déjà, hormis le fait que tous ses précédents voyages étaient liés aussi à des activités illégales elles aussi. « J’ai toujours su que t’étais pas une gam… une jeune femme ordinaire. Une part de toi savait pour tout ça. Je le sais, car jamais tu n’as cherché à savoir, te contentant de réponses évasives. Et ça m’arrangeait, au fond. Car ce qu’on avait toi et moi, ça passait au-dessus de tout ça ». Un mélange d’émotions encore du fait de ses derniers mots, partagé entre le mal que ça fait de l’entendre utiliser le passé sur ce que nous avions et la colère qu’il pense qu’au fond de moi je le savais. « Qu’est-ce que je pouvais en savoir que tes silences cachaient en réalité des activités minables ? J’ai été encore trop naïve, voulant accorder ma confiance bien trop facilement. Si tu savais à quel point je le regrette ! Tu vaux vraiment pas mieux que mon père ! ». Je crache mon venin, encore et toujours, j’en tremble même. Parce qu’évidemment, j’ai mal, mal de me dire que je le perds lui aussi, que notre relation est désormais réduite à néant… « Et j’ai envie de croire que ce n’est pas perdu. Parce que… Tu es ma famille, Mia. Je te l’ai déjà dit, je découvre ce que c’est, d’avoir une famille. Je me battrai pour la garder ». Mon regard se pose à nouveau dans le sien, des larmes apparaissent, commençant à rouler sur mes joues alors que je l’observe silencieusement quelques secondes. Mon ton est monotone et ferme alors que je reprends la parole « Tu pourras te battre autant de temps que tu le veux Geo, mais je ne pourrais jamais accepter ce que tu es, la vie que tu as choisi. Alors, ne perds pas ton temps, ne me fait pas perdre le mien non plus, et va t-en. Oublie moi, oublie cette relation que nous avions tous les deux ». Ca me fait mal de prononcer de tels mots. Je soupire et avance d’un pas vers lui en ajoutant, la gorge serrée, mon ton devenant plus agressif « Tu étais comme un père pour moi Geo ! Pourquoi il a fallu que tu merdes toi aussi ?! ». Mes larmes s’échappent, roulent et s’écroulent même au sol sans ménagement, tout en gardant le courage d’ancrer encore et toujours mon regard dans le sien.
Les déceptions ne cessaient de s’enchaîner, à croire que ma vie était désormais résumée de la sorte. Bien trop de personnes qui comptaient à mes yeux finissaient inévitablement par en repartir aussi vite qu’elles y étaient entrées. Une impression qu’un mauvais sort m’a été jeté le même jour que mon père a décidé de partir. Il a été le premier, celui qui a créé cette blessure que je n’arrivais plus à panser désormais et que je serais sûrement incapable de panser un jour. Pourtant, ce mal ne semblait pas me servir de leçon, me laissant aller à faire entrer de nouvelles personnes dans ma vie, sans réfléchir, sans craindre que le schéma ne se répète à nouveau. Le résultat est pourtant sous mes yeux, ce soir avec Geo, face à moi. Mais finalement, est-ce que cela me surprend encore ? Au fond, non, car, comme je lui dis, il ne serait pas le premier à disparaitre de ma vie du jour au lendemain. Il y en avait eu d’autres avant lui, il y en aura sûrement d’autres à venir « Je refuse de croire que c’est ce que tu penses vraiment. Je refuse de croire que tu te limites à ça ». Je hausse les épaules montrant que c’est uniquement à ça que je résumais mes relations personnelles. Et rien pour le moment ne me poussait à penser le contraire. Les personnes restées présentes dans ma vie se font trop rare et bien trop peu nombreuses… Je ne préfère pas répliquer, parce que ça ne servirait à rien de débattre à ce sujet quand je refuserais quoi qu’il en soit d’entendre raison.
Il n’a pas été honnête et c’est ce que je lui reproche sans ménagement. Au point d’en venir à lui dire qu’ils s’abstiennent d’avoir des personnes qui tiennent à lui, parce que la déception évidemment était bien trop difficile à supporter… « Parfois, c’est parce qu’on tient à ces personnes qu’on en vient à prendre des décisions comme celles-ci. Tu sais quoi ? Elle est merdique, je le sais. On le sait tous. Et j’ai pas assez de temps ni de mots pour te dire comme j’aimerai n’avoir jamais fait ça. Mais c’est fait, je ne peux rien y changer. Comme je ne peux rien changer au fait que mon meilleur ami ne veuille plus m’adresser la parole depuis qu’il a appris que j’ai un lien avec sa gosse pendant de plus de cinq ans ». Il marque un temps de pause et j’ai l’impression qu’il a des regrets quant au mensonge fait à mon père à propos de cette relation entretenue pendant cinq ans derrière son dos. « Avant que tu ne dises quoi que ce soit, ce n’est pas un reproche. Mais voit qu’il nous arrive à tous de faire de mauvais choix ». « De toute façon, ce lien n’existe plus » Je lance du tac au tac, catégorique, sur le coup de la colère qui s’est accrue en moi au fur et à mesure que je l’écoutais. Les mots sont forts, mais il est certain que quelque chose s’est brisé au moment même où j’ai découvert la vérité. Une brisure qui aura sûrement une incidence sur la suite de ce lien indéfinissable si nous parvenions toutefois à mettre cette histoire derrière nous… « Peut-être que ton meilleur ami acceptera de le redevenir. Après tout, il ignore lui aussi qui tu es, je suppose. Et tu t’abstiendras de lui dire, évidemment. Puisque tu estimes que mentir est une bonne chose, et que les mauvais choix peuvent l’être aussi ». Parce que je ne suis pas certaine que mon père accepterait que son meilleur ami traîne dans des affaires aussi louches que celle du Club. Et encore moins en sachant qu’il puisse mettre en danger sa fille avec tout ça. Donc, il est certain que cela était sûrement, à ses yeux, un excellent argument pour ne rien dire. « Si on remontait le temps et que tu me proposais la même chose, j’accepterai. Parce que sans ça, je n’aurai pas appris à te connaitre ». Il me montre qu’il a aucun regret d’avoir menti à mon père, à son meilleur ami. Et même si cela pourrait me toucher, je ne réponds rien et ne reviens pas sur ma décision… « Tu m’as changé, Mia. Tu m’as rendu meilleur. Alors je ne suis peut-être pas à la tête d’un centre social. Je ne suis peut-être pas l’homme que tu t’imaginais. Mais tu m’as fait réaliser qu’il y a des choses dans la vie pour lesquelles il vaut la peine de se battre. Tu m’as montré ce que c’était que d’avoir quelqu’un sur qui compter. Quelqu’un pour qui on souhaite le meilleur. Tu m’as montré ce que c’était que d’avoir une famille ». Les mots passent difficilement, je sens ma gorge se nouait parce qu’évidemment ils ont un impact. Un impact bien trop grand que j’essaye pourtant de laisser enfouie. Parce que je n’arrive pas, à ce moment-là, devant lui, à me dire que je pourrais lui pardonner aussi facilement. « Peut-être que pour ta véritable famille, si tu parviens à t’en construire une, tu retiendras les leçons de celle que tu as laissé échapper ». je lance alors encore une fois sans délicatesse, aucune. Il espère par ses mots que cela me fera changer d’avis, que je pourrais lui donner une chance de se racheter en quelque sorte. Mais je n’y parviens pas et je ne le ferai pas. Je viens à le comparer à mon père, en lui disant qu’il ne vaut pas mieux que lui, ce à quoi il ne répond rien si ce n’est un non de la tête, confirmant mes paroles et cette comparaison blessante. Les mots s’enchainent dans ma bouche, ils l’attaquent plus fortement, au point d’en arriver à m’approcher de lui, comme pour l’affronter davantage, et le mettre devant le fait accompli de ce qu’il venait de briser. Parce que pour moi, il était comme un père et je ne comprenais pas comment il avait pu lui aussi foutre tout en l’air… « Non ». Cette négation me fige quelque peu, un non qui a la même incidence que celui d’un père… « Je ne peux pas t’oublier. T’es la seule chose de bien qui me soit arrivée en… Je ne saurais même pas te dire. C’est pas une vie parfaite. C’est pas une vie dont on peut se vanter. On en revient toujours au même point ; si j’avais fait d’autres choix. Si, si, si. Ça ne marche pas comme ça. J’ai merdé, on le sait. C’est fait. C’est de maintenant, dont on doit parler. J’ai énormément de choses à remettre en ordre dans ma vie. J’en suis conscient. Ne croit pas que je reste assis à me morfondre en attendant que le vent tourne ». A ça j’arque un sourcil, car je ne suis pas convaincue que ce soit réellement le cas « Qu’est-ce qui a changé pour toi depuis cinq ans hein ? Lorsque je t’ai connu, j’avais devant moi une personne morne, solitaire et sans lumière. Tu estimes vraiment avoir changé depuis ? Et ne trouve pas l’excuse de ma présence dans ta vie. Peut-être que je t’ai apporté quelque chose, mais pas suffisamment pour que tu ne restes pas la même personne que j’ai rencontré cinq ans plus tôt ». Je marque une pause, ravalant mes larmes tellement la colère reprenait le dessus, les essuyant d’un revers de main alors que je fais un nouveau pas vers lui « Il n’y a plus de maintenant sur lequel se concentrer, il n’y a plus de présent à parler. C’est terminé Geo. J’en ai assez de tout ça, j’en ai assez de ces déceptions, j’en ai assez de me battre ». Je déverse toute cette rancœur accumulée, que ce soit contre Geo, contre mon père, contre Alec, contre Lukas, contre Mason… Une jeune femme épuisée, voilà l’image que je renvoyais à ce moment-même, une image que je montrais que très peu « Je t’ai fait énormément de mal, et je m’en voudrais toujours. Mais j’ai envie de croire que tout n’est pas perdu, même si je ne suis pas un exemple à suivre ». Je tournais la tête doucement de gauche à droite, parce qu’il semblait ne pas vouloir comprendre… « J’aimerai que tu me laisses encore un peu vieillir avec toi. Je te laisserai le temps qu’il te faudra. De toute façon, on sait tous les deux que tu ne m’en donnera pas le choix, et il faudrait que je suis sacrément con pour m’y opposer ». Je le fixe, les larmes refont surface malgré tout. Pourtant, rien ne me fera changer d’avis « tu m’as donné une raison de me battre. Ne me retire pas ça ». Et de colère je brise les quelques centimètres qui nous séparent et finit par le repousser, bien que cela n’est aucune incidence sur lui « Va-t’en ! Je ne veux plus te voir ! Plus jamais ! ». J’ai l’impression de remonter quelques mois en arrière, lorsque mon père a refait surface sans crier gare. La même sensation se manifeste en moi, un mélange de colère et de tristesse que je suis incapable de supporter une minute de plus. « Trouve toi quelqu’un d’autre pour qui te battre. Je ne veux plus être cette personne. Va t’en ! ». Je crie avant que mes bras retombent le long de mon corps, las, ne parvenant plus à bouger d’un millimètre, comme totalement éteinte subitement. La mince lueur qui pouvait encore exister en moi se volatilise définitivement pour laisser place à une noirceur dont je ne pourrais certainement plus jamais me défaire…
« Tu me paraît bien sûre de toi » J’ai ce regard un peu hautain, qui montre que je suis sûre qu’il n’aura pas le courage de dire à mon père, son meilleur ami, qui il est vraiment. Ce regard qui l’inciterait presque à me prouver le contraire, à avoir le cran de dire qu’il traîne dans des affaires louches, qu’il appartient à un gang à celui pour qui il a indéniablement des secrets. Le secret, déjà bien trop lourd à porter, et pour lequel mon père lui en veut toujours de ne pas lui avoir dit qu’il était restée en contact avec sa fille depuis cette rencontre au Mexique, qu’il a pris, sans le vouloir, cette place de père qu’il n’a pas réussi à garder, lui. Ce secret, non, n’aidera pas Geo à être honnête avec son meilleur ami qui ne le pardonnera sûrement jamais en plus du précédent. Alors, oui, je suis sûre qu’il ne le fera pas, qu’il ne le fera jamais. J’ai cet air qui va lui crever le cœur encore un peu plus quand ce regard que je lui jette montre à quel point je le dénigre à ce moment-même.
Je sais où appuyer pour l’atteindre. Je le fais volontairement, comme pour me venger du mal que j’éprouve du fait de son mensonge à lui, mais aussi de celui d’Alec. Il paye injustement aussi les blessures déjà bien trop présentes depuis des années, à cause du départ de mon père. Approfondies par d’autres, comme ses ex dont je lui avais parlé, Lukas, qu’il avait rencontré déjà au Mexique ou encore Mason. Le seul à qui j’ai parlé de ma relation avec le frère de Dylane. Mais la douleur est bien trop vive depuis plusieurs jours, depuis ce soir où j’ai découvert la vérité. Alors, je souligne le fait qu’il a laissé échapper la seule famille qu’il n’aurait peut-être jamais. Et je lui balance en pleine face une perception bien négative de sa personne, celle que j’ai pu avoir lors de notre première rencontre, lui faisant penser que, depuis, ma perception n’avait pas évolué. « Tu as raison. Je n’irais pas chercher d’excuses. J’aurai dû rester à Brisbane quelques mois, un an, tout au plus. Je n’ai pas pu partir. Mais n’y vois rien de personnel ». La colère est toujours présente dans mon regard, il peut le voir, ces mots ne font que l’alimenter davantage. « Je ne te retiendrai pas » je lance alors. Mais si je cherche à le blesser lui, je me blesse aussi en disant ça. Parce que je ne veux pas le voir partir, bien que je prétende le contraire, notamment en disant que je ne voulais plus me battre quand, de toute évidence, tout était terminé, qu’il n’y avait plus rien à sauver « J’arrêterais pas. Je me battrais pour deux ». Il me montre qu’il veut que les choses s’arrangent et je préfère ignorer sa remarquer pour accentuer le fait qu’il serait le seul à le faire. J’en ai plus la force, j’en ai plus l’envie. Pas quand, à chaque fois, tout finit par s’écrouler.
Alors je le repousse, physiquement mais aussi verbalement, pour lui demander de partir. Définitivement. Pourtant, je reste figée devant lui, épuisée par cet échange qui n’a duré que quelques minutes. Comme si j’attendais un geste de sa part. Je ne sais pas lequel quand je ne veux plus avoir affaire à lui, que quoi qu’il tente, je le repousserai sans fin. Peut-être une étreinte, une seule, pour m’aider à m’apaiser. Même si elle ne changera rien à la perception que je pouvais avoir de lui, de notre relation, réduite à néant. Une étreinte, une dernière, pour apaiser le mal qui va s’en suivre quand je remonterai dans cet appartement, définitivement vide. Quand je ne pourrais appeler personne pour en parler parce que je lui ai promis de garder le secret. Une étreinte dans l’espoir que celle-ci réparerai tout… parce qu’il me manquait. Parce que j’avais envie au fond de tout oublier pour retrouver notre lien… ce lien indéfinissable. L’inviter à monter avec moi, reprendre là où nous nous étions arrêtés un peu trop précipitamment ce fameux soir où j’ai décidé de le suivre… Où j’aurai peut-être dû m’abstenir.
Je suis incapable de faire ce pas en avant pour fondre en larmes dans ses bras, pour lui dire combien je regrette toutes ces horreurs que j’ai pu prononcer à son encontre. Je suis incapable de faire ce pas en avant pour lui dire que je lui pardonne parce que j’ai inlassablement besoin de lui dans ma vie. Je suis incapable de faire ce pas en avant pour lui montrer à quel point il compte pour moi, à quel point je l’aime comme un père…
Et puis il fait ce pas en arrière, qui marque la fin de cette discussion et sûrement la fin de tout… Je le regarde faire, ravalant mes larmes, essuyant d’un revers celles qui ont osé s’échapper. Il n’y a que de la colère qui transparait jusqu’à mes gestes alors qu’il tourne les talons et que j’en fais de même pour rejoindre l’entrée de l’immeuble. La porte se referme derrière moi, j’entends sa moto s’éloigner et je n’ai pas un regard en arrière alors que les regrets sont déjà là. Alors que le mal me ronge et que la soirée et la nuit ne sera que trop longue, seule dans cet appartement.