Trente trois ans et toujours une tête de gamin. Je me regarde dans le miroir de la salle de bain.  Ca doit faire des années que j’ai la même tête, ça m’arracherait presque un sourire. Seul moment de répit alors que la fête bat son plein dans la villa de Dylane pour mon anniversaire. Je n’ai pas le cœur à la fête, pas autant que les autres années et pourtant comme toujours j’ai souri plus grand et crié plus fort et bu bien trop accompagné de mes amis.  J’ai emmerdé Mia, fait un énième beerpong avec Matt, je me suis extasiée sur le nouveau bébé de Ginny que Matt me montrait, j’ai pris un million de photos de Molly, je me suis inquiétais pour Tessa aussi un peu.  Mais surtout j’ai évité Jill, la fuyant toute la soirée, lui adressant des sourires s’il le fallait vraiment mais sans qu’aucun ne soit véritable.

Je soupire, fatigué. L’alcool commence enfin un peu à redescendre et ma tête ne me tourne plus autant et je me passe un peu d’eau sur le visage avant de sortir. Au lieu de redescendre pourtant, je choisis de me diriger vers ma chambre comme un besoin de solitude. Peut-être que je suis fatigué de prétendre. Peut-être que voir Jill ce soir alors que je ne lui ai pas adressé la parole depuis des semaines n’a pas aidé. Peut-être que je n’ai pas envie aujourd’hui de prétendre que tout va bien.

J’ouvre la fenêtre pour fumer ma cigarette, mon regard se perdant vers l’horizon, le bruit de la musique un peu étouffé jusqu’à ce que la porte s’ouvre et que ma tête se tourner pour regarder qui est entré. Jill. Évidemment. Mon regard se tourne de nouveau vers la fenêtre. Je n’ai pas envie de rester seul dans cette pièce avec elle.

« Qu’est ce que tu veux Jill ? » Je soupire. On a pas l’habitude de se faire la gueule. Ou plutôt je n’ai pas l’habitude de lui faire la gueule, détestant à vrai dire les conflits préférant les oublier bien rapidement, pardonnant avec facilité. Je ne comprends pas pourquoi cette dernière conversation me reste autant en travers de la gorge, je ne cesse de la revoir partir, incapable de penser à autre chose quand je la vois et qu’elle m’a laissé seul devant ce bar à ruminer un secret qu’elle n’avait jamais souhaité avouer et qui m’était tombé dessus onze ans trop tard.

Elle aurait voulu ne pas se souvenir de cette soirée qu’elle a passé au bar avec Pete. Ce soir où ils auraient dû se retrouver et oublier ensemble, mais où Jill a dû parler de souvenirs qu’elle aurait préféré oublier. Elle avait bien trop bu, et pourtant, elle se souvient de toute cette discussion. Et ce soir, c’est l’anniversaire de Pete. Quoi qu’ils aient pu se dire ou se faire, Jill ne louperait ça pour rien au monde. Il est important pour elle, et il le sera toujours. Jamais elle ne l’abandonnera.

La fête bat son plein mais Jill ne profite pas vraiment. Pete ne lui adresse pas la parole et elle reste dans un coin. Elle l’observe de loin, levant les yeux à chaque fois qu’il la regarde et lui fait le plus faux des sourires. Elle déteste quand il fait semblant de cette manière, et elle préférerait mille fois qu’il lui hurle dessus. Là au moins elle pourrait essayer de le calmer et de le raisonner. Elle ne comprend pas pourquoi il boude depuis si longtemps, ça n’a jamais été dans ses habitudes à lui.

La soirée est presque terminée et elle n’a toujours pas eu l’occasion de s’expliquer. Donc elle attend le bon moment pour aller le voir. Et elle le trouve à l’instant où il décide de monter les escaliers pour rejoindre un endroit qu’elle n’a pas encore visité. Elle le suit et attend quelques minutes avant d’ouvrir la porte qu’il a déjà refermée. Elle reste le dos posé contre l’encadrure de la porte jusqu’à ce que le jeune homme décide de se retourner vers elle. Il n’a pas l’air ravi de la voir et elle grogne un peu. « Qu’est ce que tu veux Jill ? » Elle hausse un sourcil, il est vraiment énervé à ce point là ? “Te souhaiter un bon anniversaire, j’ai pas eu l’occasion de te croiser ce soir.” Et elle sait qu’il a fait exprès de l’éviter. “T’as pas fini de bouder ?” Elle s’assoit en tailleur sur le lit, tentant de capter son regard. Il a vraiment l’air blessé cette fois.

Elle reste dos à l’encadrure de la parte et je la regarde, incapable de me prétendre maintenant qu’il n’y a plus que nous deux dans cette pièce. J’aimerais revenir à des temps plus simples. J’aimerais revenir à cette fugue où on avait été que tous les deux, deux gamins perdus et qui pourtant s’étaient retrouvés. J’aimerais reprendre ces années et lui avouer qu’elle avait gagné ce jeu depuis longtemps et que je n’avais cessé de perdre.

« Te souhaiter un bon anniversaire, j’ai pas eu l’occasion de te croiser ce soir. » « C’était le but. » Ma voix claque sèchement et je crois qu’on n’a jamais eu de disputes comme celle là, pas une qui sonne aussi sérieuse, pas une qui m’a poussé à l’ignorer pendant des semaines.

« T’as pas fini de bouder ? » Je plante mon regard dans le sien, un léger rire passant la barrière de mes lèvres, un rire qui sonne faux. « Sérieusement ? » Je tire sur ma cigarette en secouant la tête avant de lui tourner le dos pour regarder la fenêtre. « Non Jill j’ai pas fini de bouder. »  Je le sens déjà mon sang qui bouillonne, la colère toujours présente, la douleur insidieuse qui revient. J’attrape la bouteille de bière que j’ai posé sur le rebord comme si je devais me préparer à cette conversation.  J’ai envie qu’elle parte, qu’elle quitte cette pièce, la regarder me fait mal au cœur. Je rêve de lui dire de partir et pourtant ce ne sont pas ces mots-là qui passent la barrière de mes lèvres. « Je comprends pas Jill. » Je souffle sans la regarder, buvant une nouvelle gorgée de bière qui n’aide en rien. « Jamais t’as voulu me le dire ? Jamais j’ai compté assez pour que tu me le dises ? » Ma voix s’écorche cette fois, parce qu’il est là le plus lourd à porter, la certitude que je traîne des sentiments depuis le moment où je l’ai rencontrée, la certitude qu’elle ne les a jamais ressentis quand elle a su arracher un morceau de mon cœur à chaque fois qu’elle me défiait et que sans que je ne me rendes comptes je lui laisse bien trop de moi.

« C’était le but. » Il pique et elle continue de le regarder. Elle ne compte pas s’énerver, pas ce soir alors qu’elle est presque complètement sobre et qu’elle sait qu’il va mal. Il a passé une mauvaise soirée, c’est à peine s’il a esquissé un vrai sourire pendant toute la soirée. Elle ne bouge pas d’où elle est, ils ont besoin de parler et il ne peut plus l’éviter maintenant. Elle pince les lèvres mais ne répond rien. Il voulait l’éviter, et même si elle le savait c’est toujours compliqué de l’entendre. Elle soupire et attend qu’il continue de parler.

Elle veut dédramatiser, elle veut qu’il arrête de se prendre la tête pour quelque chose qui s’est passé il y a dix ans. Elle voulait oublier, et elle est obligée de tout faire remonter à la surface pour lui. Il ne veut pas comprendre que si elle avait pu, elle ne lui en aurait jamais parlé. « Sérieusement ? Non Jill j’ai pas fini de bouder. » Elle lève les yeux au ciel. “Tu voulais quoi Pete ? Que je t’appelle en te disant que j’étais enceinte et qu’on fonde une petite famille ?” Elle dit ça en riant parce qu’il n’y a rien de crédible dans tout ça. “Jamais ça aurait pu arriver et tu le sais autant que moi.” Il faut juste qu’il passe au dessus de son ego. C’est seulement à cause de ça qu’il continue de bouder. « Je comprends pas Jill. » “C’est moi qui te comprends pas” Elle soupire et capte son regard. Elle aurait dû monter une bière, elle aurait dû prendre ses cigarettes parce qu’elle n’a aucune envie de s’approcher de lui. « Jamais t’as voulu me le dire ? Jamais j’ai compté assez pour que tu me le dises ? » “Tu dis n’importe quoi.” Il cherche des excuses et des explications où il n’y en a pas. “Personne avait à être au courant de ça. C’était juste une erreur et tu le sais.” Il doit se rendre à l’évidence lui aussi.

« Tu voulais quoi Pete ? Que je t’appelle en te disant que j’étais enceinte et qu’on fonde une petite famille ? » Elle rit et je détourne le regard. Est-ce que je l’aurais voulu ? « Peut être. » Je souffle sans la regarder. Mais c’était un mensonge.  Je n’aurais jamais été capable d’être père encore moins il y a onze ans, jamais je n’aurais été prêt à une telle responsabilité, même aujourd’hui je n’en étais pas sûr d’être capable. Pourtant ce sont les mots que je prononce malgré tout, têtu, persuadé d’avoir été privé d’une information, persuadé qu’elle ne me l’aurait à vrai dire jamais dit dans tous les cas tout simplement parce qu’elle n’avait jamais estimé que j’aurais pu être père. Je sais bien qu’elle ne l’aurait jamais voulu cet enfant et pourtant, pourtant je m’accroche à cette illusion d’une autre vie que j’aurais pu avoir avec elle.

« Jamais ça aurait pu arriver et tu le sais autant que moi. » « Pourquoi parce que tu penses pas que j’aurais fait un bon père ? » Je lance, avec un air de défi en la regardant cette fois. J’ai posé ma clope et ma bière et je m’approche de Jill.  C’est stupide. Tout cette discussion n’a pas de sens quand même moi je sais que je n’aurais jamais fait un bon père. Encore moins il y a onze ans. Mais pourtant j’insiste. J’insiste parce qu’au fond j’ai envie qu’elle me le dise, comme si je cherchais à ce qu’elle creuse un peu plus ses griffes dans mon cœur et qu’il ne reste plus rien, comme si la douleur pouvait anesthésier le reste et me faire me sentir un peu moins vide.  « C’est moi qui te comprends pas. »  Je secoue la tête, évidemment qu’elle ne comprend pas. Elle ne comprend pas parce qu’elle n’a jamais su à quel point elle a compté pour moi.

« Tu dis n’importe quoi. Personne avait à être au courant de ça. C’était juste une erreur et tu le sais. »
Une erreur. Une erreur pour elle et pas pour moi. Je regarde la fenêtre de nouveau et je suis fatigué. Fatigué de prétendre que je suis satisfait de la voir heureuse avec Bailey. Fatigué de prétendre qu’elle ne me manque pas, que je n’ai jamais voulu plus.  Je suis face à elle à présent, mon regard dans le sien. « Toi et moi c’était une erreur aussi ?  Toutes les fois où c’est arrivé c’était une erreur ? »


@Jill McGrath-Fitzgerald  

Jill reste assise sur le lit, et elle n’a pas envie de sortir de cette pièce tant qu’ils ne seront pas tous les deux réconciliés. Elle déteste quand c’est lui qui fait la tête aussi longtemps. Elle n’aime pas que ce soit lui qui décide si ça va entre eux ou non, il n’y a qu’elle qui a le droit de faire ça. « Peut être. » Elle pouffe de rire une nouvelle fois. Il ne peut pas être sérieux, pas vraiment. “On était con et on avait aucune envie de se poser.” Et elle est certaine qu’une histoire entre eux n’aurait jamais été viable. Elle ne comprend pas ce qu’il veut dire, elle n’a jamais voulu comprendre ça, parce que tout aurait été bien plus compliqué.

« Pourquoi parce que tu penses pas que j’aurais fait un bon père ? » Elle a vraiment l’impression qu’il aurait voulu de cet enfant et de cette vie là. Elle, elle sait qu’elle n’aurait jamais gardé ce bébé, mais il aurait apparemment voulu qu’ils réfléchissent à cette décision ensemble. “Je suis déjà une mère médiocre aujourd’hui alors il y a 10 ans j’ose même pas l’imaginer.” Elle secoue la tête, elle n’en voulait pas, et elle n’aurait jamais imaginé en avoir un jour. “T’aurais pas pu être un bon père, ça t’aurait bouffé la vie et ça aurait bouffé la mienne.” Il doit se rendre à l’évidence, ils ne devraient même pas avoir à discuter de ça aujourd’hui.

Son regard fuit celui de Jill pendant de longues minutes. Mais quand leurs yeux se croisent, Jill sent qu’il va parler, et qu’il risque de dire des choses qu’il finira par regretter. Elle serre les dents et attend, elle n’y échappera pas cette fois. « Toi et moi c’était une erreur aussi ?  Toutes les fois où c’est arrivé c’était une erreur ? » Elle soupire fortement mais ne lâche pas son regard. Qu’est ce qu’elle peut bien répondre à ça ? “C’était bien nous deux, c’était amusant…” Parce que, pour Jill, tout ce qui tourne autour du sexe et des sentiments a toujours été un jeu. “C’était pas une erreur, c’était une aventure.” Parce qu’il n’a pas été un coup d’un soir, mais ils n’ont jamais été amoureux non plus. “C’est loin tout ça, pourquoi tu te prends la tête ?” Pour elle c’est loin, c’est terminé, mais peut-être pas pour lui.

« On était con et on avait aucune envie de se poser. » Bien sûr qu’elle n’a pas tort, je n’avais jamais su être en couple, ma relation avec Molly en était bien la preuve. Mais le problème c’est qu’à l’époque, j’aurais aimé me poser avec Jill, j’aurais aimé plus que cette relation dans le cœur de la nuit. «  Je suis déjà une mère médiocre aujourd’hui alors il y a 10 ans j’ose même pas l’imaginer. T’aurais pas pu être un bon père, ça t’aurait bouffé la vie et ça aurait bouffé la mienne. »

Je secoue la tête. Je refuse de l’entendre pas maintenant.  Je refuse de penser à la personne que j’avais été et celle que j’étais encore aujourd’hui, incapable de se poser à un endroit, rêvant toujours de nouvelles découvertes et de nouvelles personnes. J’aurais sûrement été un père médiocre et pourtant je commençais à être fatigué d’être cette personne.

« C’était bien nous deux, c’était amusant… C’était pas une erreur, c’était une aventure. »  La note d’espoir créée par le début de sa phrase vient s’écraser au sol sans que je ne puisse faire quoi que ce soit. Une aventure.  Amusant. Rien de plus. Parce que pourquoi m’aurait-elle aimé moi quand ça n’avait été qu’un jeu ? Ma gorge se serre et je recule avec un léger rire. Un rire qui n’a rien de drôle qui est la seule façon en réalité de ne pas laisser mes émotions prendre le dessus.

« C’est loin tout ça, pourquoi tu me prends la tête ? » « T’as raison c’est loin. » Mais je sais ce qu’on a vécu. Je sais que toutes ces fois ne sont pas arrivées par hasard, si tout a été un défi, je sais que malgré tout c’est arrivé encore et encore pendant des années sans qu’aucun de nous ne l’arrête avant comme après Londres. Il y avait eu la fugue, ce un mois avant qu’elle ne parte pour Londres où ce n’était que nous deux et où on a essayé à notre façon d’être plus que deux corps se trouvant le temps d’une soirée. Je me détourne d’elle, allant fouiller dans une des commodes pour en sortir un objet. J’attends qu’elle se lève et je lui tends sans rien dire le bracelet. « T’as promis de revenir le chercher Jill. » Je plante mon regard dans le sien. Le bracelet que je lui avais piqué avant de l’emmener à l’aéroport, le bracelet qui aurait été la raison pour elle de revenir le chercher. Douze ans que je l’avais gardé avec moi. Tout simplement parce que je m’étais toujours dit qu’à la fin de cette route, on se retrouverait. Qu’un jour on aurait grandi tous les deux et on serait prêt à être ensemble. « Alors je l’ai gardé jusqu’à ce que tu reviennes. » Je souffle d'une voix à peine plus haute qu'un murmur. Mais je relève la tête  et parle d'un ton plus assuré cette fois. « C’était pas une putain d’erreur, c’était pas qu’un défi, c’était pas juste une aventure. Tu le sais que c’était plus que ça Jill, c’était forcément plus que ça. » Je m’y accroche comme si c’était une certitude quand au fond je sais que c’est sûrement un peu faux. Mais j’ai besoin qu’elle me dise qu’on aurait pu être plus que ça, que je n’étais pas le seul à avoir ressenti ça.  J’ai l’impression d’avoir mon cœur dans la gorge et il bat à la chamade m’empêchant de penser clairement.

J’ai besoin qu’elle comprenne l’ampleur de mes sentiments pour la première fois depuis que je la connais. J’ai besoin qu’elle comprenne à quel point je l’ai aimée et à quel point je l’aime, malgré le fait que je n’ai jamais su lui avouer. Alors j’agis d’instinct et mes mains viennent retrouver ses joues et mes lèvres sont sur les siennes. Je n’en ai rien à foutre qu’elle soit mariée avec Bailey, rien à foutre qu’elle ait deux enfants. Rien à foutre que malgré tout Molly est en bas de cette maison et mes sentiments pour elle aussi ont toujours été compliqués et que je ne peux m’empêcher d’y penser aussi.  Non je me concentre sur cette soirée d’anniversaire qui aurait dû se finir comme toutes celles du passé, Jill et moi dans un lit après des verres de trop à oublier le reste.



@Jill McGrath-Fitzgerald  

Elle ne comprend pas pourquoi cette fois il ne fait pas comme si de rien n’était. Il avait toujours fait comme ça avant, et elle aussi. Ils n’ont pas parlé de ce lien qui les a toujours unis et qui est étrange. Mais elle l’aime comme ça ce lien, et elle ne changerait leur histoire pour rien au monde. Mais jamais ils n’auraient pu vivre quelque chose de sain, ils sont bien trop toxiques, et ils n’ont toujours fait que s’entraîner vers le bas l’un l’autre. Il se rapproche puis s’éloigne. C’est comme s’il avait des centaines de choses à dire mais qu’il n’osait pas. Des choses qu’il garde pour lui depuis bien trop d’années et que Jill a toujours ignoré autant qu’elle le pouvait. Elle a joué à l’aveugle, et tout était bien plus simple.

« T’as raison c’est loin. » Et pourtant elle n’a pas l’impression que ça veut dire la même chose pour lui que pour elle. Il part chercher quelque chose dans ses tiroirs et elle fronce les sourcils avant de se lever pour le rejoindre. Qu’est ce que ça peut bien être ? Elle s’approche et ne dit plus rien quand elle aperçoit l’objet. Elle s’en souvient, bien sûr qu’elle se souvient de ce bracelet. Elle déglutit parce qu’elle commence à comprendre qu’il ne la considère pas comme elle le considère. « T’as promis de revenir le chercher Jill. » Elle pince les lèvres et le prend dans sa main. Elle avait oublié ce bijou contrairement à lui. “Tu l’as gardé avec toi pendant 10 ans ?” Elle a la tête qui tourne, et elle est presque terrifiée par ce qu’il est en train de se passer. « Alors je l’ai gardé jusqu’à ce que tu reviennes. » Elle ouvre de grands yeux étonnés, elle ne sait pas quoi répondre à ça. Comment est ce qu’elle est censée réagir ? Elle ne veut pas le blesser, mais elle ne veut pas non plus entretenir de faux espoirs. “Je suis revenue des dizaines de fois.” Et elle a peur de comprendre ce qu’il veut dire par revenir.

« C’était pas une putain d’erreur, c’était pas qu’un défi, c’était pas juste une aventure. Tu le sais que c’était plus que ça Jill, c’était forcément plus que ça. » Il a l’air désespéré et Jill ne bouge pas d’un poil. Elle tient le bracelet entre ses doigts et elle sent qu’il aurait mieux valu qu’elle parte. “C’était…” Elle n’a pas le temps d’expliquer quoi que ce soit que les lèvres de Pete se retrouvent sur les siennes. Qu’est ce qu’il fait ? Il lui faudra plus d’une ou deux secondes avant de reculer brutalement. “MAIS QU’EST CE QUE TU FAIS ?” C’est à elle d’être furieuse. “Arrête tes conneries Pete. Pourquoi tu fais ça ?” Elle se demande déjà comment elle va bien pouvoir parler de ça à Bailey, et elle le déteste. “Ecoute Pete… t’es une personne importante pour moi et tu le seras toujours. T’as toujours été mon meilleur ami.” Ca n’a jamais changé dans son esprit. “Tous les voyages étaient bien, ce qu’on a vécu était bien.” Mais elle ne l’a jamais aimé comme lui l’a fait pendant toutes ces années. “Mais entre nous c’est pas possible. Ca n’aurait jamais marché et j’ai ma vie maintenant, tu dois faire la tienne.”

« Tu l’as gardé avec toi pendant dix ans ? » J’hoche la tête. Évidemment que je l’ai gardé. Je ne me rends pas réellement compte de son regard terrifié et de ce qu’il implique. « Je suis revenue des dizaines de fois. » Mais elle n’était jamais vraiment revenue. Elle et moi n’avions jamais essayé d’être plus que des amis se glissant encore et toujours dans les draps de l’autre lors de soirées trop arrosées. Alors je m’y étais accroché avec la certitude qu’un jour, au bout de cette route, une fois qu’on aurait grandi tous les deux, ça serait elle et moi. Sauf que je n’avais jamais vraiment grandi. Et Jill avait fait sa vie avec quelqu’un d’autre.

« C’était… » C’est l’usage du passé qui me fait attraper son visage, poser mes lèvres sur les siennes. Parce que ce n’est pas le passé, pas pour moi. Pourtant sa réaction est quasiment immédiate, elle recule brusquement, furieuse. “MAIS QU’EST CE QUE TU FAIS ? Arrête tes conneries Pete. Pourquoi tu fais ça ?” « PARCE QUE JE T’AIME JILL. »  Je gueule à mon tour., me reculant malgré tout. Ils sont là les mots que je ne lui ai jamais avoués et qui me déchirent le cœur parce que je commence à comprendre qu’elle ne ressent pas la même chose que moi.  « Ecoute Pete… t’es une personne importante pour moi et tu le seras toujours. T’as toujours été mon meilleur ami.Tous les voyages étaient bien, ce qu’on a vécu était bien. Mais entre nous c’est pas possible. Ca n’aurait jamais marché et j’ai ma vie maintenant, tu dois faire la tienne. »

Je recule comme si elle m’avait giflée, mon regard se détournant du sien.  Le silence s’étire, il se prolonge alors que je tente de contrôler le flot d’émotions qui se déversent en moi qui manquent de m’emporter sans que je ne puisse faire quoique ce soir. Je revois Molly m’annonçant qu’il fallait que je fasse ma vie et qu’elle fasse la sienne. Les mots de Jill en sont l’écho.  Comme si tout le monde avait avancé et que j’étais resté sur le bas-côté de la route.  Il y a le fait que les mots soient prononcés aujourd’hui plus qu’un autre jour. Le sentiment d’abandon a toujours été plus fort le jour de mon anniversaire qui marque aussi le jour où ma famille biologique a fait le choix de ne pas me garder. Il est exacerbé par le rejet de Jill, par des sentiments enfin avoués qui sont piétinés sans que je ne puisse faire quoique ce soit.

« Tu devrais partir. » Il n’y a aucune intonation dans ma voix, comme quelque chose de mécanique. Je force un sourire à apparaître sur mon visage. Comme pour dire ce n’est pas grave Jill. Rien n’est grave Jill. Il n’y pas de vie dans ce sourire, pas de joie, pas de tristesse, il n’y a rien.  Je prends le bracelet dans ses mains et je retourne un instant à la fenêtre pour récupérer ma bière. J’hésite en regardant dehors. Je fume une dernière bouffée de ma cigarette que j’écrase dans le cendrier. Le bracelet toujours dans ma main, je le regarde un instant, je sens son poids presque inexistant sur la paume de ma main et je le jette au loin avant de refermer la fenêtre.  Elle est toujours là Jill et quand je me tourne de nouveau elle, j’ai toujours un sourire plaqué sur mon visage comme pour cacher le précipice de tristesse dans lequel elle m’a poussé. « Rentre chez toi Jill. »

Un dernier regard et je sors de la pièce pour rejoindre ma fête d’anniversaire.  Je fais de mon mieux pour ne pas penser à l'océan de tristesse en train de m'engloutir, je fais de mon mieux pour calmer ma respiration et les larmes en train de s'accumuler dans mes yeux. Je les efface d'un revers de main enragé et je me raccroche à mon royaume d'apparence.

« Qui est prêt à faire la fête ?! » Je gueule en descendant l’escalier alors que tout le monde crie en me voyant arriver. Je reprends la place du clown ou du roi, moi-même je ne sais plus vraiment.   Et on me tend un verre et je bois. Je bois dans l’espoir que l’alcool me fasse me sentir un tant soit peu vivant. Je bois pour oublier le visage de Jill. Je bois comme si cela pouvait anesthésier la douleur que je ressens, je bois parce que la douleur est telle que j’ai envie que l'alcool m'endorme et efface le reste. Que je l'oublie. Que j'oublie tout. Que je disparaisse.

Je bois et je souris. Et à aucun moment mon regard ne se pose de nouveau sur le visage de Jill.

Joyeux Anniversaire Peter.


@Jill McGrath-Fitzgerald  

Elle ne comprend pas, elle ne comprend rien. Elle n’a jamais rien compris de ce qui se passait dans la tête de Pete. Elle tente de relativiser, de lui faire comprendre qu’il n’avait aucun besoin d’être au courant pour qu’il arrête enfin de lui faire la gueule. « PARCE QUE JE T’AIME JILL. » Arrêt sur image. Elle fronce les sourcils. “Quoi ?” Il n’a pas besoin de répéter, elle a très bien entendu. Elle soupire et capte le regard de Pete, il est vraiment sérieux. Elle déglutit, elle ne s’attendait pas à de tels aveux. Elle aimerait dire qu’elle ne l’a jamais vu, ne s’en est jamais douté. Elle préfère se dire qu’elle ne savait pas plutôt que de se dire qu’elle en a joué pendant des années en sachant très bien quel genre de pouvoir elle avait sur lui. Elle ne pourra pas oublier ce baiser, ni le désespoir et la tristesse qu’elle lit dans son regard. Elle aimerait que ce soit différent mais elle ne peut pas lui faire de faux espoirs cette fois.

Elle s’explique, elle veut que les choses s’arrangent, elle voudrait même qu’ils oublient tout ce qui vient de se passer. « Tu devrais partir. » Elle recule d’un pas. Il sourit, mais elle le connait bien trop pour le croire. Il ne va pas bien, elle vient de lui briser le coeur et ce n’est pas ce qu’elle voulait. Peut-être que si tout ça s’était passé il y a des années, tout aurait été différent. Elle ne bouge pas et il se rapproche de la porte. « Rentre chez toi Jill. » Elle soupire, elle ne pourra donc rien dire qui l’aidera à aller mieux. Pas tout de suite en tout cas. “Pete…” Il jette le bracelet par la fenêtre et Jill ne peut s’empêcher de ressentir de la tristesse, et si elle avait été au courant pour tout ça, est ce qu’elle aurait fait les choses différemment ? Est ce qu’ils auraient pu créer une vraie histoire dans le passé ? Elle ne peut pas le savoir, et ils ne le sauront sûrement jamais. Il la regarde une dernière fois et elle ne peut pas le retenir, il est déjà au milieu des escaliers. Il dévale les escaliers et elle le regarde faire, impuissante. Tout est brisé par sa faute, elle aurait dû le laisser tranquille, elle n’aurait pas dû poser autant de questions.

Ce n’est qu’après quelques longues minutes qu’elle se décide à descendre les escaliers pour essayer de voir comment il va. « Qui est prêt à faire la fête ?! » Elle reconnait sa voix, mais elle ne reconnaît pas vraiment la personne qui est en train de danser sur cette table. Elle soupire, ça ne sera pas elle qui le raisonnera cette fois, parce que c’est à cause d’elle qu’il se retrouve à aller aussi mal. Elle le regarde une dernière fois et décide de rentrer chez elle. Super soirée.