| (noranwar) letters from the sky |
| | (#)Lun 21 Déc 2020 - 20:51 | |
| norah & anwar letters from the skyOne of these days letters are gonna fall from the sky telling us all to go free, but until that day I'll find a way to let everybody know that you're coming back, you're coming back for me, 'cause even though you left me here I have nothing left to fear, these are only walls that hold me here. ☆☆☆ Plusieurs fois déjà Anwar avait repoussé à plus tard ce qu’il s’apprêtait à faire, se persuadant chaque fois que le moment n’était pas bien choisi, que les conditions n’étaient pas idéales, que Norah avait autre chose à penser, autre chose à faire. La vérité c’est que quoi qu’il fasse la lettre de Frank arrivait quatre ans trop tard, et si jusqu’au printemps dernier tout cela n’était pas de son fait, depuis que Warrington la lui avait remise chaque jour supplémentaire qui passait sans que le brun ne la rende à sa destinataire devenait un peu plus sa responsabilité – et son fardeau. Le fardeau de craindre qu’il s’agisse d’une fausse bonne idée, que de lire tout cela fasse plus de mal que de bien et ne rouvre chez Norah des blessures déjà si difficiles à faire cicatriser … Fallait-il vraiment qu’il soit celui qui versait du sel sur ses plaies ? Il avait envie de croire que non, mais savait bien au fond que c’était la couardise qui le faisait raisonner ainsi, et que dans ce cas précis on ne lui demandait pas d’être un décisionnaire mais simplement un messager. De quel droit déciderait-il à la place de Norah ce qu’elle souhaitait faire de cette lettre ? Elle lui appartenait, elle était sa destinataire autant que sa propriétaire, et lorsque ce matin-là il avait garé sa voiture devant le cinquante-sept de la rue et traversé le jardinet jusqu’au perron de la maison de Norah, la lettre vivait ses derniers instants dans la poche arrière du short du musicien. Difficile de s’y retrouver pourtant dans l’enthousiasme cacophonique qu’avait provoqué son arrivée, et surtout la perspective pour les deux enfants de la maison de passer la journée à profiter de la mère et du soleil. Là où le plus petit s’offusquait d’un « Mais je suis habillé j’ai mis une chaussette ! » fesses à l’air depuis le haut des escaliers tandis que sa mère le houspillait de ne pas encore être prêt, la grande tentait tête en bas de natter ses cheveux sans parvenir au résultat après lequel elle semblait courir « Maman j’y arrive pas tu peux m’aider ? » et cette dernière s’y était donc attelée avant d’envoyer Julie aider son frère à terminer de s’habiller. Au bout du compte Anwar avait même eu le temps de se faire offrir un café et de demander une dernière fois – tout en connaissant déjà la réponse « Tu es sûre que tu ne veux pas nous accompagner ? » Mais Norah préférait passer son tour, et si dans d’autres circonstances le brun aurait tenté d’insister cette fois-ci il ne s’y était pas risqué, ne souhaitant pas voler à l’infirmière une occasion de se reposer sans que les enfants n’accaparent son attention et son énergie. Et les secondes passaient, et sa fenêtre se refermait – encore quelques minutes et Julie et Aidan dévaleraient l’escalier dans lequel ils étaient pourtant supposés ne pas courir, et Anwar n’aurait pu qu’à attendre le soir pour espérer donner la lettre à Norah. Inenvisageable, car s’il y avait bien une chose dont le brun était sûr c’était que la jeune femme voudrait être seule pour en découvrir le contenu. C’était maintenant ou jamais, et la récupérant dans sa poche arrière en s’éclaircissant la gorge d’un air un peu mal à l’aise, il l’avait fait glisser jusqu’à Norah sur la table de la cuisine. « Derek me l’a donnée quand tu étais à l’hôpital … ils l’ont retrouvée en débarrassant des affaires dans les vestiaires. » Inutile d’en dire plus, elle reconnaîtrait son écriture. Inutile d’expliquer, le contenu n’appartenait qu’à Norah et il préférait qu’elle le découvre d’elle-même. « Je pense que tu devrais profiter d’être tranquille aujourd’hui pour la lire. » Et choisissant leur timing à la perfection les deux enfants avaient déboulé du premier étage la seconde suivante, débordant d’énergie et prêts à décoller. « Tout va bien ? » Observatrice comme à son habitude, Julie avait trouvé à sa mère un drôle d’air, mais détournant son attention le premier Anwar avait quitté sa chaise et forcé un ton enthousiaste « Bien sûr que tout va bien. Allez, on est prêts ? » Ils étaient prêts, dans un « oui » général le marin et ses deux moussaillons avaient levé l’ancre. ***Du côté du Borealis la journée était passée à toute allure. Les pâtisseries préparées par Norah n’avaient pas fait long feu, les sandwichs préparés par Anwar non plus, et la balade en bateau s’était terminée sur les rives de Moreton Island où l’adulte autant que les enfants avaient mis pied à terre pour jouer dans les vagues, lézarder sur le sable et chasser les plus jolis coquillages. Sur le chemin du retour ils s’étaient arrêtés pour prendre des pizzas, et à la maison Norah avait dressé la table sur la terrasse du jardin. Plusieurs fois au cours de la soirée le brun n’avait pu s’empêcher la scruter du coin de l’œil, mais sans jamais parvenir à décoder ses gestes ou ses expressions. Malgré ses bâillements à s’en décrocher la mâchoire Aidan soutenait à corps et à cris qu’il n’était pas fatigué, mais malgré un peu de rab lié au fait qu’ils étaient en vacances leur mère avait fini par les envoyer au lit sa sœur et lui, les embrassant tous les deux pour leur souhaiter bonne nuit Anwar avait laissé Norah monter avec eux et en avait profité pour débarrasser la table, lancer un lave-vaisselle et se décapsuler une bière avant de retourner s’installer dehors. Malgré la chaleur de la journée il commençait à faire frais, et attrapant sa veste de survêtement abandonnée sur le dossier de sa chaise il l’avait enfilée en réprimant un frisson. Une notification avait fait vibrer son téléphone, Lene lui avait envoyé une photo d’Alma, et pianotant une réponse avec un sourire aux lèvres Anwar n’avait relevé les yeux qu’au moment où Norah l’avait rejoint, et rangé l’appareil dans la poche de son short. « Cette bouille qu’il avait en assurant qu’il n’était pas fatigué tout en bâillant à moitié. » s’était-il amusé d’une voix tranquille, portant sa bouteille de bière à ses lèvres. « Tarek était pareil, il avait les yeux rouges de fatigue mais il était toujours là à te soutenir qu’il n’était pas du tout l’heure d’aller au lit. » Sur certains points les enfants étaient décidément tous les mêmes.
|
| | | | (#)Mer 13 Jan 2021 - 16:06 | |
| LETTERS FROM THE SKY one of these days letters are fonna fall from the sky telling us all to go free – @anwar zehri
| |
La surexcitation des enfants Lindley n'était jamais une mince affaire, surtout lorsqu'il s'agissait d'une virée en bâteau avec Anwar. Aidan, déjà bien énergique de nature, était bien intenable et peu attentif à ce qu'on pouvait bien lui dire. Quant à Julie, cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas verbalisé un tel enthousiasme. Ils faisaient plaisir à voir, cela ne faisait aucun doute. Mais pour une Norah qui était encore convalescence, gérer leur impatience lui demandait énormément d'efforts. Ses côtes avaient beau être resoudées et sa main débarrassée de son attelle, elle avait parfois des douleurs lancinantes qui apparaissent quand elle faisait certains mouvements quand elle portait des charges trop lourdes. Malgré cela, elle ne perdait pas son sang froid et se surprenait à attendre avec tout autant d'impatience la venue de l'inspecteur afin qu'elle puisse avoir un peu de temps calme. Elle ne ferait probablement pas grand chose de ces quelques heures. Un film ou un livre, peut-être, avec une tasse de café et les quelques cookies qui avaient survécu au passage de Marcus la veille. La brune vit sa fille s'approcher d'elle, quémandant de l'aide pour tresser ses longs cheveux. Même si elle venait d'avoir ses onze ans et à s'affirmer un peu plus, il y avait quelques moments d'affection qu'elle aimait toujours autant partager avec sa mère. Elle tressait avec attention sa chevelure pendant qu'Anwar buvait son café servi quelques minutes plus tôt. Aidan continuait à courir (et à tomber) partout, mais elle le laissait faire. Il dépensait son énergie comme il le pouvait. Norah avait hâte de lui trouver une activité sportive qui lui plaise. Elle savait qu'il s'y retrouverait dans tous les cas. Se dépenser dans un but précis, bien sûr qu'il allait adorer. "C'est gentil, mais j'ai besoin de me reposer un peu." lui souffla-t-elle avec sourire reconnaissant malgré tout pendant qu'elle se sortait une tasse pour se servir aussi une boisson chaude. Le visage d'Annie changeait tout au tout en une fraction de secondes, profitant de ce temps bref mais calme pour glisser un papier sur la surface de la table de la cuisine. Le regard bleu de Norah se relevait en sa direction, perplexe et interrogateur. Elle n'eut pas eu besoin de prononcer le moindre mot pour donner quelques explications. Ce n'était qu'au second coup d'oeil qu'elle devinait sur l'enveloppe son prénom écrit d'une main qu'elle pouvait reconnaître entre mille. Sa gorge se serra immédiatement, ses yeux s'humidifièrent tout aussi rapidement. Chamboulée, interdire, Norah restait totalement muette, se sentant presque incapable ne serait-ce que d'effleurer les fibres de l'enveloppe. Après toutes ces années, elle avait encore des surprises, un souvenir d'outre-tombe qu'elle ignorait comment prendre. Anwar lui conseillait de la lire tranquillement une fois qu'elle serait seule. Forcément, Julie fit rapidement irruption et le brun épargnait à Norah de devoir répondre en attirant son attention sur autre chose. "Faites attention. Et écoutez bien ce qu'Anwar vous dit de faire." leur dit-elle tout de même lorsqu'ils furent tous les trois sur le départ.
Et là voilà seule. Dans un silence aussi agréable que pesant. Seule face un fardeau dont elle n'avait même pas soupçonné l'existence jusqu'à ce jour. Son regard clair restait rivé sur l'enveloppe, qui n'avait pour le moment pas changé de place depuis qu'Anwar l'avait posé sur la table. Elle l'observait longuement, songeuse, à se poser une ribambelle de questions dont elle n'avait pas la réponse. L'infirmière en avait même oublié son café, qui, durant les longues minutes de contemplation et de réflexion, avait largement eu le temps de refroidir. Finalement, Norah prit la lettre d'une main tremblante avant de s'installer sur le canapé. Elle se trouvait bête, d'avoir toujours aimé l'écriture de Frank. Elle n'avait rien de très particulier pourtant. Ce n'était ni des lettrines, ni les traits longilignes des médecins qu'elle pouvait retrouver parfois sur certaines prescriptions médicales. Elle était banale. Et pourtant, jamais ne l'avait-elle autant aimé qu'à ce jour. Norah pouvait remarquer cependant qu'il avait écrit son nom avec soin. Pas une griffe à la va-vite, entre deux enquêtes quand il avait une minute pour lui. Non. Ce sentiment persistait une fois qu'elle avait ouvert l'enveloppe après avoir cherché un couteau à lettres. Elle savait qu'elle en avait un mais elle ne l'avait jamais utilisé (Frank, oui, par contre). Elle tenait à préserver au mieux cette enveloppe. Il y avait dedans une lettre, écrite de sa main. Norah n'en avait même pas encore lu les premières lignes que des larmes s'étaient déjà écoulées sur ses joues, totalement ébranlée par ce qu'elle tenait entre ses mains. Elle avait des vertiges, se sentait frêle, comme si le poids de l'intégralité de son deuil venait de s'abattre sur elle. Et Dieu seul savait la véritable charge de cet accablement, susceptible de faire perdre la raison.
Faire comme si de rien n'était au retour des enfants fut assez difficile. Ce pourquoi Norah demeurait silencieuse la plupart du temps, à écouter l'épopée qu'Aidan s'était imaginé à bord du bateau de son parrain et à être attentive au plaisir que Julie avait eu à nager et à collecter quelques coquillages. Le dîner était agréable et convivial. Norah adorait ce genre de soirées, en famille ou entre amis, dans une ambiance légère et bonne enfant. Le plus difficile était de convaincre Aidan d'aller au lit, à prétendre qu'il n'était pas fatigué alors qu'il contestait tout ce qu'on pouvait bien lui dire. Sa mère dut se montre bien plus ferme pour qu'il daigne écouter et accepter de monter à l'étage et de prendre une douche avant de filer au lit. Il était le premier à être couché et avant de descendre, elle voulait s'assurer que tout allait bien pour sa fille aînée, qui tenait encore à bouquiner un peu avant de dormir. "Tu es triste, Maman ?" lui demanda-t-elle calmement, son regard vissé dans le sien. Norah lui sourit avec tendresse et s'installa à côté d'elle dans le lit. "Un peu, oui." Julie la regarda avec inquiétude. "Une mauvaise nouvelle ?" "Pas tout à fait." L'infirmière déposa un baiser sur ses cheveux. "Il y aura des jours où je serai plus triste que d'autres, tu sais ? Mais tu ne dois pas t'en inquiéter. D'accord ? Je vais bien, je vais mieux." lui assura-t-elle avec un sourire confiant. "Maintenant finis ton livre, comme ça tu pourras embêter Mac en lui raconter la suite la prochaine fois qu'il viendra." Elles s'enlacèrent et Norah la laissait à sa lecture. Avant de rejoindre Anwar, elle enfila un gilet ample avant de se prendre également une bière au frigo. Le calme après la tempête était tout aussi appréciable. "C'est drôle dans un premier temps, jusqu'à ce qu'il devienne si susceptible qu'il en devient insupportable." Et il fallait la gérer, la tornade là. "On entre dans la période d'inscriptions pour les clubs de sport, crois-moi qu'il en fera partie de l'un d'eux." s'amusa-t-elle à répondre. Et réflexion faite, Norah se disait aussi que, potentiellement, le temps qu'Aidan passerait à se dépenser, c'était aussi un peu de temps pour elle. Ca ne semblait pas lui être une mauvaise chose, au fond. Anwar et Norah savaient tous deux que la conversation allait sensiblement s'alourdir. Elle se doutait qu'il voudrait en savoir plus, ou ne serait-ce que savoir comment elle allait. "C'était un sujet qu'on n'avait jamais vraiment abordé." dit-elle finalement après quelques instants silencieux. "Si l'un de nous deux partait plus tôt." Que ce soit par la dangerosité du métier de Frank, ou un coup dur du Destin en rendant l'un d'eux gravement malade. "Pas que c'était un sujet qu'on voulait éviter ou qu'on se pensait au-dessus de tout, mais..." Elle haussait les épaules, se sentant incapable de finir sa phrase. "J'veux dire... Bien sûr que j'avais peur pour lui, peur pour vous deux." Elle s'attendait à les voir rentrer blessés, mais... morts ? Inconcevable. "Et là j'ai lu une lettre, qui m'était destinée si jamais il lui arrivait quoi que ce soit." Une foule d'émotions se battait en elle, tout était encore si frais. Norah essuyait ses larmes et but une gorgée de bière. "Il y pensait, il y avait suffisamment pensé pour ressentir le besoin de m'écrire une lettre s'il lui avait été impossible de pouvoir me dire ce qu'il aurait voulu partager avant de partir." Elle fit glisser ses doigts sur ses paupières pour retirer quelques larmes. "Maintenant c'est moi qui ai les yeux rouges." lançait-elle avec mélange de rires et de larmes, démontrant assez significativement le mélange d'émotions qui la désemparaient totalement.
|
| | | | (#)Mer 17 Fév 2021 - 20:47 | |
| Après l’enchevêtrement des conversations qui avaient animé tout le repas, Anwar savourait chaque seconde du silence retombé sur la terrasse tandis que Norah mettait les enfants au lit. C’était ce genre de soirées d’été où il regrettait – un peu – de ne pas avoir de jardin, mais quelques secondes de réflexion suffisaient généralement à lui rappeler qu’il n’avait ni le temps ni la patience suffisante pour en entretenir un … Il s’occupait déjà de l’ancien bonzaï de Frank, affectueusement surnommé Pepito par la brigade lorsqu’il trônait sur le bureau du policier, et là s’arrêtaient ses velléités de jardinage. Voilà en tout cas comment d’une énième réflexion sur les avantages et les inconvénients d’un bout de verdure à soi, le brun était capable de laisser son esprit vagabonder de nouveau dans la direction de son ancien équipier. C’était souvent comme ça, Frank se frayait un chemin là où il ne l'attendait pas et lui manquait parfois sur des détails qu’il n’aurait pas soupçonnés … Certains jours étaient plus durs que d’autres, assurément. Celui-ci l’était un peu, la lettre qu’il avait rendue à Norah rouvrant de vieilles plaies pas réellement cicatrisées – et si Anwar avait mal, il n’osait imaginer ce qu’il devait en être de Norah. Les enfants couchés, cette dernière était finalement réapparue armée du même combo veste et bière déjà adopté par le brun en son absence, et s’était installée à côté d'Anwar en relâchant un léger soupir. Maintenant elle aussi pouvait profiter du silence, du calme après la tempête. « C'est drôle dans un premier temps, jusqu'à ce qu'il devienne si susceptible qu'il en devient insupportable. » La réflexion arrachant au policier un sourire compréhensif, il avait pointé Norah du bout de sa bouteille lorsqu’elle avait ajouté « On entre dans la période d'inscriptions pour les clubs de sport, crois-moi qu'il fera partie de l'un d'eux. » comme pour souligner qu’elle marquait un point. « Plus ça sera salissant et plus y’a des chances que ça lui plaise. Je crois que c’est un peu leur devise, à cet âge-là. » Reste que l’infirmière n’aurait probablement aucun mal à convaincre son fils de s’investir dans une activité sportive quelle qu’elle soit – Aidan le premier ne refusait jamais une occasion de dépenser ce trop-plein d’énergie dont il ne savait pas toujours quoi faire. Ce soir-là cependant le petit garçon n’était qu’une excuse pour ne pas avoir à adresser l'éléphant dans la pièce. La lettre Norah l’avait lue, Anwar en avait eu la certitude dès l’instant où il avait passé la porte avec les enfants et les pizzas en début de soirée, et le silence relatif auquel elle s’était adonnée tout le long du repas n’avait fait que le confirmer. Pour autant le brun n’était pas certain de vouloir lui-même mettre le sujet sur le tapis – s’il connaissait la teneur du courrier rédigé par Frank, le détail de ce qu’il avait eu le cœur à adresser à son épouse n’appartenait qu'à elle. Quant aux émotions qu'aurait réveillées le courrier, elle ne souhaitait peut-être pas les partager elles non plus … Et pourtant, c’était d’elle qu’était venu le premier pas, le premier mot. « C'était un sujet qu'on n'avait jamais vraiment abordé. Si l'un de nous deux partait plus tôt. » Les doigts triturant sa bouteille de bière, Anwar n’avait rien répondu. Avec lui Frank l’avait déjà abordé, sans en faire un sujet récurrent la question les avait déjà taraudés à plusieurs reprises, suffisamment pour qu’ils échangent à ce sujet, tiraillés entre le besoin de verbaliser leurs craintes et la peur de s’attirer le mauvais œil. « Pas que c'était un sujet qu'on voulait éviter ou qu'on se pensait au-dessus de tout, mais ... » Mais ? « J'veux dire ... Bien sûr que j'avais peur pour lui, peur pour vous deux. » Mais avoir peur n’empêchait pas le déni, avoir peur n’empêchait pas l’inconscient de se persuader que les drames n'arrivaient qu’aux autres. Frank et Anwar eux-mêmes l’avaient oublié parfois, dès qu’ils passaient plusieurs mois sans avoir l’impression d’être passé à un cheveu de la catastrophe … Cette naïveté il avait fallu attendre que Frank disparaisse pour qu'Anwar la perde pour de bon. « Et là j'ai lu une lettre, qui m'était destinée si jamais il lui arrivait quoi que ce soit. » Dans sa vision périphérique il avait vu l’infirmière essuyer quelques larmes et prendre une gorgée de bière, puis reprendre d’une voix éteinte « Il y pensait, il y avait suffisamment pensé pour ressentir le besoin de m'écrire une lettre s'il lui avait été impossible de pouvoir me dire ce qu'il aurait voulu partager avant de partir. » La gorge du policier se serrant à son tour, il avait avalé une longue gorgée de bière et laissé échapper un reniflement furtif. S’il se concentrait un peu il pouvait presque se figurer le profil de Frank, penché sur son bureau de leur ancien poste et couchant ses pensées sur papier à la lueur de cette horrible lampe 70’s qu'Anwar avait toujours trouvée laide, imperturbable dans le dialogue hypothétique qu’il entretenait avec Norah de la pointe de son stylo. « Maintenant c'est moi qui ai les yeux rouges. » Lentement le regard du brun avait glissé dans la direction de son amie pour lui offrir un sourire triste. « Tu y penses forcément, quand tu fais ce boulot. Pas tout le temps, mais … disons que c’est toujours dans un coin de ta tête. » N’appelait-on pas ça les risques du métier, après tout ? « C’est juste que tu apprends très vite à ne pas ramener ça à la maison, sinon tu vis plus. C’est plus facile de s’en parler entre nous … » Il aurait aimé pouvoir lui expliquer pourquoi plus en détails, mais il n’était pas certain de savoir comment … Au fond il doutait que l’on puisse vraiment comprendre l'ambivalence de la chose sans la vivre soi-même, vivre en se sachant une épée de Damoclès sur la tête mais faire sciemment le choix de ne pas y penser plutôt que de s’en rendre malade. C’était simplement plus simple à faire lorsque l’on était soi-même concerné et que l’on savait se rappeler pourquoi on aimait ce métier … Et malgré tout rien d’étonnant, dès lors, au fait que le taux de divorce soit si élevé dans la police. Même Frank ne s’était jamais caché d’avoir parfois eu des accrochages avec Norah concernant la dangerosité de son choix de carrière. « Mais s’il t’en parlait pas c’est aussi parce qu’il avait plus peur de ce qu’il adviendrait de vous que peur de ce qu’il pouvait lui arriver à lui. » Alors qu’il le savait bien au fond, que Norah ne serait jamais seule et les enfants non plus … Mais ça n’empêchait pas de s’inquiéter, de se monter la tête avec des Et si ? de la même façon qu'Anwar retrouvait depuis peu des angoisses qui s’étaient calmées à mesure que Tarek avait grandi … Son fils était un adulte désormais, il saurait s’en sortir. Mais Alma ? Et s’il arrivait quelque chose à Lene ? Et si Talia ne pouvait pas veiller sur elle ? Et si elle était trop petite pour se souvenir de lui ? Et si, et si, et si … Les mêmes qui tenaient parfois Frank éveillé la nuit, sans doute. « Le plus important ça a toujours été vous … jusqu’à la fin ça a été vous. » La fin, oui. Celle à laquelle il avait assisté, celle à laquelle il refusait de penser tout autant qu’il refusait de l’oublier. « Je suis désolé que cette lettre ait mis autant de temps à te parvenir alors qu’elle était si importante pour lui. » Il n’y était pour rien, mais il s’excusait au nom de tout ce qui avait permis à cette lettre de se perdre durant tant d’années, comme on s’excusait de la fatalité parce qu’il fallait toujours un coupable quelque part.
|
| | | | (#)Ven 19 Fév 2021 - 0:38 | |
| LETTERS FROM THE SKY one of these days letters are fonna fall from the sky telling us all to go free – @anwar zehri
| |
Norah avait un rapport avec la mort qui lui était très propre. Contrairement à certains de ses collègues, elle n'était pas gênée de se trouver en présence d'un corps sans vie, ni d'accompagner une personne jusqu'à son dernier souffle. Elle ne croyait pas à l'enfer ou au paradis. Oui, les défunts allaient quelque part, mais elle ne saurait dire où. Elle pensait qu'il y avait des entités qui étaient incapables de s'y rendre, coincés parmi les vivants. Pour l'avoir frôlée de près, les rapports avec la fin de vie avaient aussi changé. Mais rien de son expérience professionnelle ni de ses croyances ne l'aurait préparé à la perte de son mari. Alors qu'elle avait conscience de la dangerosité de son travail, qu'ils s'étaient disputés plus d'une fois à ce sujet. Elle mentirait si elle disait qu'elle n'avait jamais eu peur de le débarquer aux urgences, ou pire, dans son service, à l'article de la mort. "De base, on ramenait rien à la maison. Pas grand chose, du moins." souffla-t-elle, les yeux rivés sur la bouteille qu'elle tenait en main. "Enfin, on se disait seulement : aujourd'hui, c'était difficile ou un truc du genre, mais quand c'était vraiment dur, et on savait quoi faire. Mais en dehors de ça..." Elle haussait les épaules. "En dehors de nos disputes, on ne voulait pas en parler. On passait déjà nos journée là-bas, alors aborder le sujet à la maison..." Ils aimaient parler de tellement d'autres choses. Norah avait toujours aimé la richesse de leur conversation, tout autant que la sérénité des moments silencieux passés à ses côtés. "J'avoue que ça me rassure que... Qu'au moins, il t'en parlait à toi." Anwar et Frank avaient été extrêmemnt proches. Une amitié vraie, une alliance indéfectible. Il était tout à fait normal qu'il y ait eu des confidences qu'ils préféraient ne partager qu'entre eux. Une complicité que la belle brune avait toujours respecté. Elle lâcha un soupir quand Annie lui expliquait pourquoi son ancien co-équipier ne préférait pas en parler avec elle. "Pourquoi ça ne m'étonne pas de lui." souffla-t-elle, avant tout pour elle-même. Toujours à s'inquiéter pour sa famille. Frank y tenait tant. Il était fier d'avoir réussi à fonder sa propre famille, à voir ses enfants grandir dans un cadre idéal, à partager la même affection avec sa femme. Au point d'être effrayé de que sa famille adviendrait s'il n'était un jour plus de ce monde. "Peut-être qu'en parler ensemble aurait rendu cette éventualité trop réelle, trop concrète. J'en sais rien." Une supposition comme une autre. Norah savait comment son mari fonctionnait, mais jamais n'aurait-elle l'audace de dire qu'elle le connaissait absolument par coeur. Comme tout le monde, il avait son jardin secret, ne révélant les éléments que lorsqu'il le voulait. Elle ne l'avait jamais poussé à parlé de ses parents, et de son frère – elle était déjà bien contente de savoir de quoi était composée sa famille. Anwar était intimement convaincu que tout ce que Frank faisait, c'était pour eux. Jusqu'à son dernier souffle. A cette phrase, Norah redressait son regard en sa direction. "Ce soir-là, il avait choisi son boulot plutôt que sa famille." Ce n'était pas de l'amertume, ce que Norah ressentait, non. Elle avait toujours que Frank était entièrement dévoué à son boulot. Il n'aurait pas du travailler, le soir d'Halloween. Un jour de congés qu'ils s'étaient accordés pour profiter des festivités avec les enfants. A la place, Norah avait du rassurer ses enfants à cause de la tempête pendant que son mari se faisait tirer dessus en ville. Avec cette pensée elle fut absente pendant une demi-seconde. Il lui arrivait souvent, de songer à cette soirée-là. Elle aurait voulu lui dire au revoir, elle aurait voulu lui dire qu'elle l'aimait. Tout ça, il le savait déjà, lui dirait Anwar s'il l'entendait penser. "T'y peux rien." lui assura-t-elle. "J'aime croire qu'elle me soit parvenue au moment peut-être le plus opportun." Pas sûre que Norah aurait été dans les meilleures dispositions psychiques les années précédentes pour être en mesure de lire la lettre de son mari."Il avait deviné comment je réagirai." Dans les grandes lignes, certes, mais son esprit de déduction avait rapidement su faire les liens. Il avait pris le temps de songer à la façon dont Norah le vivrait. "Du moins, il savait comment je me sentira vis-à-vis de lui." Etre incapable d'avancer dans son deuil, à ne consacrer son exister qu'à ses enfants et plus à elle. La bouche soudainement bien sèche, la brune avalait une gorgée de sa bière et restait silencieuse quelques temps. "J'ai du mal à croire qu'il ait poussé autant sa réflexion sur comment seraient nos vies s'il n'était plus là." Frank avait toujours eu un don particulier pour dissimuler ses émotions, ses pensées. Les signaux qu'il émettait étaient toujours discrets, à peine perceptibles. Il fallait très bien le connaître pour les remarquer. "Et pourtant." Elle avait eu tort, elle n'y avait vu que du feu. Seulement la douceur de regard quand il était de retour à la maison à une heure décente lui permettant de passer du temps à sa famille, ou la chaleur de son étreinte quand il ne rentrait qu'au milieu de la nuit et qu'il se faufilait le plus délicatement possible dans le lit conjugal après avoir déposé un baiser sur le front des enfants, profondément endormis. Il y avait certains tracas qu'ils partageaient, d'autres moins. "On n'en a jamais parlé." répéta-t-elle une nouvelle fois alors que les engrenages de son esprit ressassaient le moindre souvenir qu'elle avait de lui. "Je sais même pas trop quoi ressentir." admit-elle dans un rire mêlé aux larmes. "Je me sens submergée." Elle non plus, n'était pas très démonstrative. "Et je sais pas si c'est normal, mais la première réaction que j'ai eu, c'est..." Elle relevait les yeux vers lui, à chercher ses mots tant elle ne parvenait pas à faire le tri. "La première chose que j'ai ressenti, c'est que... J'ai ressenti comme une sorte de soulagement. Mais aussi... Enfin j'irai pas jusqu'à dire que j'étais heureuse... Mais j'était contente de pouvoir relire son écriture. C'était aussi idiot que ça." La foule d'émotions qui s'en était suivi était pour l'heure encore impossible à décrire avec des mots. Des larmes au bord de ses yeux bleus, un sourire sur le bout de ses lèvres. "Et aussi de savoir que notre véritable dernier échange n'aura pas été la soirée d'Halloween, de me dire qu'il n'est peut-être pas parti en ne pensant pas à ça, mais plutôt à ce qu'il a écrit dans cette lettre." Pas qu'elle avait douté du fait qu'il partait plus en colère qu'autre chose, mais d'avoir lu les mots de Frank avait confirmé ce qu'elle pensait, en partie. "Et même avant que je n'y songe, lui avait déjà pensé qu'il préférerait savoir que je refasse ma vie plutôt que... Qu'être la personne que j'ai été ces dernières années." Cela dit, personne ne pouvait lui reprocher d'avoir fait son deuil. L'on ne devrait jamais perdre sa moitié si jeune. Et ça, Frank l'aurait respecté aussi. En revanche, il avait été bien le premier et le seul à savoir qu'elle ne s'y serait jamais résolue s'il n'avait pas échangé avec elle quelques derniers mots d'amour et son approbation. Car il savait que dans tous les cas, elle ne l'oublierait jamais.
|
| | | | (#)Mer 24 Fév 2021 - 15:52 | |
| Il y avait quelque chose d’un peu étrange pour Anwar à se faire ainsi conter l’autre point de vue d’histoires qu’il avait déjà eu l’occasion d’écouter, la vision de Norah sur la façon dont Frank et elle choisissaient de gérer la balance entre leurs vies professionnelles respectives et la vie personnelle qu’ils partageaient. Le brun n’était pas naïf, sur tous les sujets impliquant deux personnes et plus particulièrement sur ceux qui fâchaient il y avait toujours deux versions, deux visions des choses parfois motivées par de biens différentes priorités, et de laquelle chacun rapportait bien ce qu’il voulait et de la manière la plus opportune pour appuyer sa propre opinion. Par chance, si Frank avait aussi souvent utilisé l’oreille attentive d’Anwar pour partager ses craintes ou ses réflexions que le brun l’avait lui-même fait en retour, il n’avait jamais attendu de lui qu’il prenne parti ou se range d’un côté plutôt que d’un autre. Tous les deux ne vivaient pas les mêmes problématiques, là où « les risques du métier » étaient un sujet de discorde que Frank tentait de compenser en mettant un point d’honneur à ne pas – trop – laisser son travail déborder sur sa vie de famille, le brun lui se débattait avec l’absence toujours plus pesante d’une épouse n’ayant que faire du facteur risque, puisqu’en prenant bien plus que lui à chaque déploiement à l’autre bout du monde. Lorsque les deux policiers échangeaient sur leurs doutes et les craintes qui les accompagnaient souvent c’était donc pour s’en décharger plus que dans l’espoir d’obtenir une solution miraculeuse à laquelle l’autre n’aurait pas pensé seul. « J'avoue que ça me rassure que ... Qu'au moins, il t'en parlait à toi. » avait à ce sujet commenté Norah d’un ton songeur, laissant Anwar silencieux mais un vague sourire étirant ses lèvres. Sans surprise le mari de l’infirmière avait toujours bien plus craint les retombées de sa propre disparition sur ses proches que la disparition en elle-même. Frank n’avait pas peur de la mort ; Il préférait la savoir loin, mais au bout du compte il la savait immuable et faisant partie de la vie. Rare réflexion permettant de déceler une spiritualité toujours présente chez le roux, mais sur laquelle il s’épanchait peu. « Pourquoi ça ne m'étonne pas de lui. » Secouant la tête, Norah avait repris « Peut-être qu'en parler ensemble aurait rendu cette éventualité trop réelle, trop concrète. J'en sais rien. » Peut-être, oui. Anwar et Riley avaient quant à eux choisi un chemin différent, pour un résultat pas beaucoup plus heureux du point de vue de leur relation … au fond il n’y avait pas de bonne ou de mauvaise solution. « Ce soir-là, il avait choisi son boulot plutôt que sa famille. » Secouant la tête, le brun avait pris le parti de ne pas s’engouffrer dans ce qui ressemblait à un reproche mais malgré tout soufflé « C’est pas aussi simple. » après une nouvelle gorgée de bière avalée en silence. Elle aussi faisait des heures supplémentaires à la pelle, avait-elle pour autant l’impression de choisir son travail plutôt que ses enfants ? Les choses n’étaient pas aussi binaires. Sur la cime de la montagne des regrets d’Anwar on trouvait en tout cas maintenant le fait de ne pas avoir pu remettre cette lettre à Norah plus tôt, au moment où Frank aurait souhaité qu’il le fasse. Il l’avait cherchée pourtant, mais sans jamais remettre la main dessus … Il s’était figuré que son ami avait dû changer d’avis, ou voulu la réécrire sans avoir trouvé le temps de le faire. Il y avait vu une occasion manquée, mais l’un dans l’autre c’en était une aussi après tout. « T'y peux rien. » lui avait néanmoins assuré Norah, et tout en le sachant déjà l’entendre de la bouche de la jeune femme avait retiré un – petit – poids de ses épaules. « J'aime croire qu'elle me soit parvenue au moment peut-être le plus opportun. » Un brin surpris, il avait quitté sa contemplation de l’herbe face à eux pour reposer les yeux sur l’infirmière. « Il avait deviné comment je réagirai. Du moins, il savait comment je me sentirais vis-à-vis de lui. J'ai du mal à croire qu'il ait poussé autant sa réflexion sur comment seraient nos vies s'il n'était plus là. Et pourtant. » Il ne laissait jamais rien au hasard, Frank. Il n’avait pas son pareil pour surprendre les autres mais rares étaient les occasions de pouvoir le surprendre lui. « Il te connaissait par cœur. C’est ce qu’il a toujours dit, et quelque part je crois que pour lui c’était pas seulement une façon de parler. » Et pour le titiller gentiment Anwar le traitait de vantard ou de cœur d’artichaut – en vérité il l’enviait un peu. « On n'en a jamais parlé. » avait à nouveau murmuré Norah d’un air absent, un éclat de rire lui échappant en même temps qu’un nouveau sanglot. « Je sais même pas trop quoi ressentir. Je me sens submergée. Et je sais pas si c'est normal, mais la première réaction que j'ai eu, c'est ... » Oui ? « La première chose que j'ai ressenti, c'est que ... J'ai ressenti comme une sorte de soulagement. Mais aussi ... Enfin j'irai pas jusqu'à dire que j'étais heureuse ... Mais j'étais contente de pouvoir relire son écriture. C'était aussi idiot que ça. » La respiration que retenait le brun en attendant la chute de la phrase lui avait échappé aussitôt, expression d’un soulagement aussi vrai qu’avait été l’inquiétude en lui remettant la lettre ce matin-là. « C’est pas idiot. Et je pense que c’est ce qu’il espérait en te l’écrivant. » Lui laisser un dernier souvenir qu’elle trouverait doux, qui l’apaiserait peut-être, au moins un peu. Autant que l’on puisse être apaisé en ayant perdu l’amour de sa vie. Les yeux toujours brillants de larmes mais ces dernières ayant provisoirement cessé de lui mouiller les joues, Norah avait repris, enfin « Et aussi de savoir que notre véritable dernier échange n'aura pas été la soirée d'Halloween, de me dire qu'il n'est peut-être pas parti en ne pensant pas à ça, mais plutôt à ce qu'il a écrit dans cette lettre. Et même avant que je n'y songe, lui avait déjà pensé qu'il préférerait savoir que je refasse ma vie plutôt que ... Qu'être la personne que j'ai été ces dernières années. » L’aurait-elle été de la même manière, la personne de ces dernières années, si les mots de son mari avaient trouvé leur destination en temps et en heure au lieu de quatre ans plus tard ? Aurait-elle remonté la pente plus vite, ou au contraire sombré de la même façon mais avec en plus la culpabilité de ne pas s’en tenir à ce que Frank souhaitait pour elle ? « Peut-être que c’est ce que tu avais besoin d’être, ces dernières années. » Sourire compatissant à l’appui, il s’était redressé sur son fauteuil et avait machinalement fait passer sa bière d’une main à l’autre « Peut-être que tu avais besoin de toucher le fond pour réussir à remonter. Et je suis sûr qu’il aurait compris que ça demande du temps. » C’était beaucoup de peut-être et d’incertitudes, mais tout à ce sujet ne serait jamais que spéculations après tout. Lentement, la main libre d’Anwar était allée se poser sur l’avant-bras de Norah avec douceur. « Mais peu importe ce que vous vous êtes dits la dernière fois que vous vous êtes vus, c’est pas en pensant à ça qu’il est parti … ça je peux te le promettre. » Et d’y repenser la gorge du brun s’était serrée à nouveau, témoin impuissant qu’il avait été des derniers instants et des dernières paroles de son ami, tournées vers sa famille mais à mille lieux de son accrochage avec Norah tant il n’était qu’un grain de sable dans l’immensité de leur relation. « Et peu importe quand et avec qui tu décideras de refaire ta vie … au fond je pense que s’il était en paix avec l’idée au moment de t’écrire cette lettre, c’est parce qu’il n’avait aucun doute sur le fait que malgré ça il aurait toujours sa place à lui. Et ça rien ni personne ne te l’enlèvera, ça n’appartient qu’à vous. » Il restait le père de ses enfants, l’homme avec qui elle s’était unie dans la volonté de passer le restant de ses jours à ses côtés … Personne n’irait lutter contre cela. La bière descendait à vue d’œil, elle soignait à peine l’étau qui semblait se resserrer autour de sa gorge, et laissant passer quelques autres minutes de silence pour retrouver la maitrise de sa voix le policier avait avoué « Aidan m’a posé beaucoup de questions sur lui. Pendant que tu étais à l’hôpital. » Le timing n’était probablement pas anodin, il y aurait sans doute eu à creuser de ce côté-là, mais pour Anwar il avait simplement été pris au dépourvu, habitué depuis toujours à ce Julie soit celle des deux enfants la plus susceptible de mettre le sujet sur le tapis – elle possédait bien plus de souvenirs de Frank que son frère, après tout.
|
| | | | (#)Dim 28 Fév 2021 - 20:24 | |
| LETTERS FROM THE SKY one of these days letters are fonna fall from the sky telling us all to go free – @anwar zehri
| |
Etre inspecteur de police demandait un investissement personnel conséquent. Frank était forcément touché par les affaires sur lesquels il travaillait. Certaines avaient un impact plus important que d'autres, mais dans tous les cas elles laissaient une marque indélébile. C'était à lui de décider ce qu'il en ferait, comment il l'utiliserait dans son quotidien. De là étaient nés des appréhensions, des craintes de perdre sa famille. Ce pourquoi il avait demandé de temps en temps à son épouse qu'elle évite certains quartiers ou qu'il passait des coups de fil à des heures incongrues ou quand elle était au travail juste pour s'assurer si elle allait bien. La brune le savait, au fond, que lorsqu'il désirait la contacter, c'était parce qu'il avait besoin d'être rassuré. De savoir que, de près ou de loin, son épouse n'avait pas été impacté par l'affaire en cours, ou l'intervention qu'il venait tout juste de faire. Il était tellement dépourvu d'égoïsme qu'il craignait bien plus pour la vie de ses proches que pour la sienne. "Ca n'a jamais été simple." lui rétorquait-elle dans un souffle triste. Regardant dans le vague, Norah avait cessé de compter le nombre de fois où il avait été appelé au milieu de la nuit, où il devait partir au beau milieu d'un dîner au restaurant, ou lors d'une journée passée ensemble à la plage. C'était devenu une marque de leur quotidien. Frank s'en était voulu à chaque fois, et savait qu'il devrait le compenser autrement ultérieurement. Tout autant qu'il avait connaissance qu'elle comprenait. Comme tout couple composé d'un policier, les tensions étaient plus fréquentes que la moyenne (s'il y avait une moyenne), mais ils parvenaient à surmonter chacune d'entre elles. "Je l'ai épousé et connaissance de cause." lui fit-elle remarquer en levant le regard sur Anwar, un sourire discret aux lèvres. "Je savais pour quoi je signais. Je savais qu'il y allait avoir des journées plus dures que d'autres." Qu'ils s'agisse de leurs disputes, de l'organisation de la journée ou de la complexité de leur métier respectif. "Je savais que son boulot passerait quasiment toujours avant moi." Norah ne s'était jamais faite d'illusions à ce sujet. En revanche, s'il avait du partir précipitamment le jour de leur mariage, elle l'aurait incendié – et c'était un euphémisme. Norah et Frank s'étaient toujours aimés. Elle n'avait pas besoin d'en savoir plus. Au delà de leurs quelques soucis conjugaux, ils étaient fidèles, aimants et affectueux. Ils se faisaient entièrement confiance. C'était tout ce dont elle avait besoin.
Il avait laissé derrière lui un dernier message. Un dernier mot écrit, si jamais il était mené à êre tué lors de l'exercice de ses fonctions. Frank avait déjà su à cette époque là qu'elle en aurait besoin. Qu'elle aurait été incapable de passer le cap sans qu'il l'y pousse un peu. Oui, il la savait fidèle, mais il savait qu'elle prendrait ce principe un peu trop au pied de la lettre. Anwar était l'oreille dont le roux avait eu besoin. De ce fait, il avait du entendre, des histoires. Autant le côté guimauve que les prises de tête les plus difficiles à vivre pour Frank. Il lui donnait suffisamment de données pour que le brun puisse lui-même aisément deviner que Frank connaissait Norah sur le bout des doigts. Il avait totalement saisi comment elle fonctionnait, la façon dont elle gérait ses émotions, sa capacité à rester impassible et d'un calme olympien en de nombreuses circonstances, ce qui la faisait sourire, ce qui l'apaisait. Il avait toujours tout su d'elle et il s'était donné les moyens pour. Elle esquissait un nouveau sourire en entendant le brun en parler. Il ne jugeait pas le premier ressenti de la soignante après avoir lu la fameuse lettre. Bien au contraire. "J'avoue qu'il y a un côté un peu plus... négatif, disons. J'ai encore du mal à le définir." reconnut-elle sans mâcher ses mots. "C'est pas un sentiment doux-amer non plus, tu vois ? C'est... Allez, au bas mot, 80% de positif et 20% de négatif." Mais elle était là, cette toute petite part d'amertume, peut-être même de rancoeur. Que serait un deuil s'il n'y avait pas un peu de colère ? "Mais c'est minime, comparé au reste." Comparé au soulagement que d'avoir lu son écriture, d'avoir vibré à chacun de ses mots, à entendre le ton qu'il aurait emprunté pour chaque phrase s'il l'avait prononcé à haute voix.
Il semblerait qu'Anwar s'était décidé à adopter une manière de penser qui avait bien appartenu à Frank. Il ne laissait aucune place au hasard. "C'était pas moi." Elle n'avait été que l'ombre d'elle-même et Norah. On la reconnaissait toujours sur certains points, mais l'on avait facilement remarqué l'impact qu'avait eu la perte brutal de son mari. "Mais si c'était à refaire, j'aurais pas pu faire autrement. Je préfère être comme ça plutôt que de n'être alimenté par la colère, à chercher à tout prix qui a pu lui faire ça." dit-elle d'un ton si monocorde que cela pouvait en être effrayant si on ne la connaissait pas. "C'est la personne qui a tenu le flingue qui doit vivre avec sa mort sur la conscience." Pas elle, pas Anwar. Norah ne laissait que peu de place aux regrets et le seul qu'elle pouvait avoir était en rapport avec le dernier échange qu'elle avait eu avec Frank. Il était évident pour Annie, au point de vouloir le promettre, que ce n'était pas à cela que son coéquipier pensait lorsqu'il vivait ses dernières minutes. "Je croyais que votre dernière conversation concernait les Skittles." A moins qu'ils avaient eu un de ces échanges de regard, où les mots ne seraient que des artifices totalement inutiles. "Et si hypothétiquement un jour je me trouve quelqu'un, faudra aussi que cette personne accepte ce fait là. Et je suis pas sûre que le combo veuvage avec deux enfants en cadeau bonus soit très attrayant." dit-elle sur le ton de la plaisanterie. Norah ne serait pas non plus malheureuse si elle ne rencontrait personne. Si ça doit arriver, ça arrivera un jour. Elle s'était aussi retirée l'idée de vouloir un troisième enfant, depuis le jour où Annie était venu lui annoncer le décès de son coéquipier. De son côté, le brun s'inquiétait des questions posés par son filleul. Aidan s'était beaucoup interrogé sur son père ces derniers temps. "Ca avait déjà commencé un peu avant l'accident. Je pense que n'avoir aucun de ses deux parents dans les parages pendant plusieurs semaines l'a... lui a fait beaucoup réfléchir sur le sujet." Une réflexion d'un petit bout de chou de six ans, certes. Mais il commençait à faire les liens, à avoir des raisonnements logiques et bien construits. "Qu'est-ce que tu lui as dit ?" lui demandait-elle alors, bien curieuse de voir ce que le brun avait su raconter (ou plutôt, avait pu raconter). "Pas plus tard que la semaine dernière, j'ai vu Julie lui montrer les albums photo de notre mariage ou même des photos qui remontaient à l'université ou quand il était tout fraîchement sorti de l'école de police." De toute façon, Frank n'avait jamais vraiment voulu conserver des photos de sa vie avant d'être arrivé à Brisbane. Il avait toujours estimé qu'elle avait véritablement commencé à ce moment-là. "Ils étaient touchants." dit-elle avec un léger sourire. "Je suppose qu'il arrive dans l'âge où il va beaucoup se questionner à ce sujet. Ca risque de durer encore pas mal d'années." Par chance, il avait plusieurs personnes vers qui il pouvait se tourner s'il avait des questions à poser. Plusieurs figures masculines qu'il avait pour exemple et qui avaient tous connu son père. "La question qui me fait le plus peur, c'est pourquoi on n'a pas retrouvé le méchant qui a fait du mal à Papa ? Il la posera, c'est sûr et certain." Norah était sûre d'elle, pour le coup. Elle connaissait Aidan comme si elle l'avait fait – ah oui, pardon, en fait, c'était le cas. "J'ai peur que ça fasse naître en lui de la colère voire même un désir de vengeance. Il y en a bien assez qui sont dans cette vibe là pour que mon fils se maltraite l'esprit avec ça."
|
| | | | (#)Sam 3 Avr 2021 - 19:27 | |
| C’était peut-être ce qui faisait toute la différence au fond. Anwar s’était senti obligé de chercher une ligne de défense à Frank là où en réalité Norah n’avait pas besoin de lui trouver des excuses pour aimer l’entièreté de sa personne – et aimer Frank entièrement c’était accepter l’idée que son travail était une vocation. « Je l'ai épousé en connaissance de cause. Je savais pour quoi je signais. Je savais qu'il y allait avoir des journées plus dures que d'autres. » avait-elle d’ailleurs fait remarquer, avec dans la voix ce que le brun identifiait comme de la résignation. Lorsqu’elle avait ajouté « Je savais que son boulot passerait quasiment toujours avant moi. » cependant Anwar avait eu toutes les peines du monde à retenir les protestations qu’un tel constat lui inspirait. Ce n’était pas l’image que lui renvoyait Frank à l’époque, ce n’était pas l’idée qu’il se faisait de quelqu’un pour qui le boulot était plus important que sa famille … Son sens accru du devoir était une qualité autant qu’un fardeau, les heures supplémentaires étaient souvent acceptées par volonté de mettre du beurre dans leurs épinards, et sa principale source de motivation à exercer son métier résidait avant tout dans l’espoir de faire de Brisbane une ville plus sûre pour leurs enfants. Mais Norah semblait s’être fait sa propre idée, et au fond n’était-il pas un peu tard désormais pour tenter de plaider les intentions de Frank ? Un peu désabusé, il s’en était tenu à un vague soupir et avait avalé une gorgée de bière « J’ai été pendant quinze ans l’amant de quelqu’un qui était marié à son travail. C’était pas le cas de Frank, je t’assure. » Frank ne cherchait pas toutes les excuses du monde pour éviter sa femme et ses enfants, lui. Il s’en souciait, s’en inquiétait, suffisamment pour même aller jusqu’à prendre les devants quant à l’éventualité qu’il puisse lui arriver malheur, comme conscient qu’il y aurait toujours des choses qu’il n’aurait pas eu le temps de dire, de faire, mais soucieux de pouvoir au moins coucher sur papier ce qui lui semblait probablement être le plus important. À raison ou à tort, ensuite … seule Norah avait la réponse à cette interrogation en revanche, en étant l’unique destinataire. « J'avoue qu'il y a un côté un peu plus ... négatif, disons. J'ai encore du mal à le définir. » avait-elle d’ailleurs admis ensuite. « C'est pas un sentiment doux-amer non plus, tu vois ? C'est ... Allez, au bas mot, 80% de positif et 20% de négatif. Mais c'est minime, comparé au reste. » Alors sans doute le pari était-il réussi malgré tout, si au bout du compte la balance continuait de pencher du bon côté. Et anar égoïstement d’être soulagé qu’avoir enfin remis cette lettre à sa destinataire n’ait pas eu pour unique effet que celui de rouvrir de vieilles plaies pas encore cicatrisées. Norah pour autant ne méritait selon lui pas de se jeter la pierre quant à la manière dont elle avait géré son deuil durant les quatre années écoulées. D’autres auraient peut-être agi différemment, d’autres auraient peut-être ressenti différemment, mais il y avait au bout du compte autant de types de deuils que de personnes endeuillées et il était bien là une de ces choses que l’on ne pouvait pas anticiper avant d’y être soi-même confronté. « C'était pas moi. Mais si c'était à refaire, j'aurais pas pu faire autrement. Je préfère être comme ça plutôt que de n'être alimenté par la colère, à chercher à tout prix qui a pu lui faire ça. » La phrase de Norah s’était terminée et l’inspecteur avait senti l’oxygène quitter ses poumons. Les doigts se resserrant autour de sa bière, il avait baissé la tête sans rien répondre, imperméable au « C'est la personne qui a tenu le flingue qui doit vivre avec sa mort sur la conscience. » rajouté ensuite, sa conscience à tout toute aussi entachée – si ce n’était plus encore. L’assassin courait toujours et ça c’était entièrement sa faute, c’était le sous-texte qu’il décelait dans les paroles de la veuve, et pourtant il n’avait jamais eu besoin d’elle pour y penser, et pour se laisser consumer. Elle s’impatientait peut-être, ou même s’agaçait de cette promesse qu’il avait faite sans être jusque-là parvenu à la tenir … S’imaginait-elle qu’il avait oublié, qu’il avait abandonné ? « J’ai pas abandonné. » Ça ne donnait rien, c’était un enchaînement de fausses pistes et d’espoirs déçus qu’il ne partageait pas avec elle parce qu’elle n’avait pas besoin de s’abreuver de ce qui n’était qu’une succession d’échecs … Mais il n’abandonnait pas. Et s’il devait y consacrer le reste de sa carrière ou de sa vie, si c’était le prix à payer pour que plus jamais son sommeil ne soit troublé par les souvenirs des derniers instants de Frank, alors il le ferait. « Je croyais que votre dernière conversation concernait les Skittles. » Sourire triste, et le regard glissant à nouveau momentanément vers Norah il avait rectifié « C’était notre dernière conversation normale. » Et pouvait-on vraiment qualifier la suite de conversation ? C’était l’agonie de l’un face à l’impuissance de l’autre, c’était l’un qui cherchait désespérément son air et l’autre qui l’implorait de l’économiser, et ce n’était pas de ça dont Anwar avait envie de se souvenir. Ce n’était pas non plus ce que Frank aurait voulu qu’il pense lorsqu’il penserait à lui, et peut-être viendrait un jour où Norah, lui et les autres parviendraient à penser au rouquin sans sentir leur cœur de serrer. « Et si hypothétiquement un jour je me trouve quelqu'un, faudra aussi que cette personne accepte ce fait-là. Et je suis pas sûre que le combo veuvage avec deux enfants en cadeau bonus soit très attrayant. » Peut-être. Mais peut-être aussi que cela ferait fuir les clowns, ceux qui ne seraient pas assez sérieux, pas suffisamment prêts à s’engager … « Ça t'arrêterait, toi ? Si la situation était inverse. » Il était sûr que non. Parce que Norah n’était pas naïve au point de se bercer de l’illusion que les hommes qui croiseraient sa route n’auraient pas eux aussi eu une vie avant elle. À leur âge on avait forcément un bagage, peut-être pas aussi lourd que celui de l’infirmière, peut-être pas du même acabit … Mais malgré tout. Le silence à nouveau installé et le niveau de sa bière qui baissait aidant, Anwar avait fini par mettre sur le tapis un autre sujet qui lui causait un peu de souci. Car si les questions d’Aidan à propos de son père n’étaient pas une surprise en soit, que le petit garçon choisisse précisément le moment où sa mère était en mauvaise posture pour les poser n’était pas anodin et le brun s’était retrouvé un peu pris au dépourvu. « Ça avait déjà commencé un peu avant l'accident. Je pense que n'avoir aucun de ses deux parents dans les parages pendant plusieurs semaines l’a ... lui a fait beaucoup réfléchir sur le sujet. » Pris d’un frisson, l’inspecteur avait tiré sur les manches de sa veste comme pour se couvrir un peu plus. « Qu'est-ce que tu lui as dit ? » – « Sur comment il était, la vérité. Sur ce qui lui était arrivé … pas grand-chose. » Un rictus soucieux sur le visage, il s’était éclairci la gorge et avait reposé sur Norah un regard sérieux. « C’est aussi pour ça que je voulais t’en parler. Je ne sais pas si tu y as déjà réfléchi, s’il y a des choses que tu préfères dire ou ne pas, si y’a des choses que tu préfères que Julie et lui ne sachent pas … Je voulais pas te couper l’herbe sous le pied. » Il avait bien sûr sa propre opinion sur le sujet, mais il ne s’agissait pas de ses enfants et il n’entendait pas interférer dans la manière dont leur mère déciderait de leur présenter les choses. « Pas plus tard que la semaine dernière, j'ai vu Julie lui montrer les albums photo de notre mariage ou même des photos qui remontaient à l'université ou quand il était tout fraîchement sorti de l'école de police. Ils étaient touchants. » La nostalgie lui arrachant un sourire, Anwar était resté songeur un court instant. Le mariage de Frank et Norah lui semblait remonter à une éternité, Tarek avait tout juste l’âge qu’avait Julie désormais … Cela semblait remonter à une autre vie. « Je suppose qu'il arrive dans l'âge où il va beaucoup se questionner à ce sujet. Ça risque de durer encore pas mal d'années. » Laissé songeur, la reprise de parole de l’infirmière l’avait ramené sur terre. « La question qui me fait le plus peur, c'est pourquoi on n'a pas retrouvé le méchant qui a fait du mal à Papa ? Il la posera, c'est sûr et certain. J'ai peur que ça fasse naître en lui de la colère voire même un désir de vengeance. Il y en a bien assez qui sont dans cette vibe-là pour que mon fils se maltraite l'esprit avec ça. » Et s’il finissait par se maltraiter l’esprit avec ça ce serait de sa faute à lui, pour ne pas avoir encore retrouvé le coupable ni obtenu pour Frank la justice qu’il méritait. C’est bon, il avait compris le message. La mâchoire crispée par la frustration, il avait trouvé à sa bière un arrière-goût plus amer en avalant sa gorgée suivante et donnait probablement raison à Norah en gardant le silence – le silence était un aveu de culpabilité après tout, il avait mené suffisamment d’interrogatoires pour le savoir. Il faisait ce qu’il pouvait mais ce n’était pas assez, il faisait de son mieux mais ce n’était pas suffisant … Il n’avait pas de résultat à présenter, alors c’était presque comme s’il avait cessé de se démener. Après ce qui avait semblé être une éternité de silence Anwar avait finalement repris la parole « Je peux te poser une question ? » Bien que rhétorique, il avait attendu un signe de la part de Norah au sujet de celle-ci avant de poser celle qu’il venait de laisser en suspens. « Est-ce que tu m’en voudrais si je … Si pour retrouver celui qui a fait ça j’étais obligé de faire des choses que Frank n’approuverait pas ? Des choses … qui vont à l’encontre de ce pourquoi lui et moi a toujours fait ce métier ? » Dans sa cage thoracique il sentait les battements de son cœur s’emballer et l’angoisse lui comprimer les poumons. Était-ce un aveu ? Lui-même ne le savait pas vraiment, incapable de définir où se situaient ses propres limites et s’il les avait oui ou non déjà franchies … Il avait franchi celles de Frank en tout cas, à la seconde même où il avait contacté Strange la première fois.
|
| | | | (#)Sam 10 Avr 2021 - 21:19 | |
| LETTERS FROM THE SKY one of these days letters are fonna fall from the sky telling us all to go free – @anwar zehri
| |
Il arrivait que parfois Norah oublie que son ami était encore marié, officiellement. Juste pour une histoire de paperasse et d'assurance, certes, mais factuellement, il était en couple. La dynamique au sein de celui de Frank et Norah avait été bien différent, sous le regard heureux et peut-être un peu envieux de Zehri. Celui-ci continuait de prendre la défense, envers et contre tout, même dans la plus grande subtilité. Norah ne pouvait pas lui en vouloir, mais elle le devinait assez facilement. C'était son meilleur ami de toujours, il le connaissait avant qu'il ne fasse connaissance de la brune. Frank était un coéquipier sur qui il pouvait compter, en qui il avait eu une confiance peut-être aveugle. Même face à Norah, Annie continuerait à le défendre contre des accusations qui n'en étaient pas vraiment. "Il n'y était pas marié, mais il aimait tellement son boulot que lorsqu'on lui demandait de venir pour une raison ou pour une autre sur un jour de repos, il ne répondait quasiment jamais non." lui rappelait-elle. "Je connaissais ses motivations, Annie. Je connais les tiennes aussi. A vouloir faire de ce monde meilleur, plus safe pour les enfants, peut-être pour moi aussi. Et je le respecte. Crois-moi quand je te dis que j'ai toujours respecté ça." Il y avait toujours une sorte de fermeté dans la voix de Norah. Elle savait ce qu'elle disait, et pourquoi, et ne mâchait pas ses mots pour se faire comprendre. Là où certains voyaient de l'impassibilité et de la froideur, d'autres voyaient une honnêteté et une authenticité qui l'avaient toujours définie. "Il avait un tel dévouement et une telle foi en l'humanité. Ce sont des qualités rares" C'était tout aussi respectable. Mais parfois agaçant. "Mais dis-moi, à quoi bon rendre un monde meilleur si lui-même n'a pas le temps d'en profiter avec sa propre famille ?" lui demandait-elle d'un ton un peu plus ému, cette fois-ci, en levant son regard translucide vers lui. Elle haussait les épaules. "Je suis pas innocente dans l'affaire non plus. Notre relation n'a jamais été ni tout noir, ni toute blanche. Il m'avait jamais demandée de ne faire plus faire de nuits ou d'avoir des horaires de bureau. J'avais convenu avec lui que je répondrai non pour remplacer au pied levé et je pense m'y être tenue." Mais à cette période, Norah prenait beaucoup moins d'heures supplémentaires qu'elle n'en avait prises avant l'accident. Oui, la question financière se posait régulièrement. Ils désiraient tellement le meilleur pour leurs enfants, de finir de faire de leur maison un lieu de rêve et d'épanouissement. Elle s'y était plutôt bien tenue, à cette promesse, à quelques exceptions près. "Il y avait des problèmes partout dehors pendant la tempête, je le sais. Des gens qui étaient dans le besoin bien plus que nous, avec un tout autre critère d'urgence." Elle lui en avait voulu, oui. "Oui, nous avions eu une fête d'Halloween de prévu, rapidement tombé à l'eau à cause du mauvais temps. Je le sais tout ça, crois-moi. Et je vais faire preuve d'égoïsme pendant cinq secondes, là." Et ce n'était pas vraiment Norah, d'être égoïste. "Mais il avait deux gosses à la maison qui étaient tétanisés de tous les bruits qu'ils entendaient dehors. Et j'étais seule à devoir les apaiser alors que je n'étais moi-même pas rassurée." Par la tempête, par le fait que Frank doive travailler dans de telles circonstances. Tous les regrets liés à cette fameuse s'étaient pour la plupart évaporé au moment où la belle soignante avait lu la lettre de son amant. 80%, c'était le nombre approximatif qu'elle venait de donner à Anwar pour lui faire comprendre que tout celle qu'elle venait de lui dire juste avant cela, ces propos parfois un peu crus, s'étaient tout autant apaisés que sa propre conscience. "Elle m'est devenue si précieuse, cette lettre." La valeur sentimentale que Norah lui accordait était inestimable, impossible à quantifier tant c'était énorme. "Même son écriture m'avait manquée." reconnut-elle, avec un sourire tantôt triste, tantôt nostalgique. "Merci de me l'avoir apporté." Il aurait très bien pu ne pas en avoir la force, peut-être qu'il se serait senti coupable, pour une raison ou pour une autre. Qu'il ait mis du temps pour la lui remettre lui importait peui. Même si Anwar n'en connaissait pas le contenu, avoir cette enveloppe en main avait du avoir un impact important également. Il avait toujours tant tenu à lui.
Là où Norah restait très factuel, l'inspecteur semblait y comprendre des reproches, alors qu'il n'en était rien. Elle ne trouvait absolument aucun réconfort à l'idée de mettre un nom, un visage, un mobile sur celui qui avait mis fin aux jours de son mari. Et Annie, lui, en avait besoin. Par justice peut-être, ou alors par vengeance. Par l'envie de boucler ce dossier une bonne fois pour toutes, alors qu'il prenait peu à peu la poussière. Ils n'en parlaient que trop peu, mais la soignante savait pertinemment qu'il ne lâchait pas l'affaire. Tout autant que Marcus ne pardonnerait jamais au flic de ne toujours pas avoir mis la main sur le meurtrier. "Je sais." lui répondit-elle calmement, son regard bleu sondant le sien. "Je sais que tu lâcheras jamais." Même s'il manquait de preuve ou de témoins, même si les informations qu'il découvrait lui semblait fausses. Anwar était de ceux qui s'accrochait avec détermination tant qu'il n'aurait pas trouvé ce qu'il recherchait si ardemment. Frank était de la même trempe; c'était probablement pour ça qu'ils s'étaient si bien entendus. Au de-là de ça, ils débattaient des Skitlles. Du moins, c'était la dernière discussion que le brun qualifiait de normale avant que le roux ne se fasse descendre. S'étaient-ils dits autre chose, lorsque Frank était dans l'agonie ? Y avait-il là un secret qu'Anwar ne désirait pas révéler ? Bien que Norah estimait avoir le droit de savoir, elle ne songeait pas à lui tirer les vers du nez jusqu'à ce qu'il verbalise le fond de sa pensée. L'époux de la belle brune avait été en avance sur beaucoup de choses, même sur ce que serait la vie de son épouse s'il lui arrivait quoi que ce soit. Sans en avoir parlé, Norah savait que Frank n'aurait pas voulu d'acharnement thérapeutique s'il s'était condamné et au fond d'un lit d'hôpital. Il n'aurait pas voulu être un poids pour sa famille, de quelque façon que ce soit. Il voulait qu'elle refasse sa vie avant même que la première personne concernée n'y songe véritablement. "J'en dis que si dans le couple, on est deux toujours en deuil, ça ferait un couple sacrément névrosé." ironisait-elle. Norah reprit ensuite son sérieux. "De la façon dont je le vis, je dirais que la personne en face doit sacrément s'accrocher et qu'elle doit vraiment voir un quelque chose derrière tout ça. Pas que j'ai aucune fois dans l'humanité, mais je pense qu'il faut être doté d'une sacrée patience pour ça. Et on est dans un temps où la patience devient une qualité très rare." Norah les voyait, les gens qui voulaient tout, tout de suite. Sans attendre, sans en avoir préalablement sué ou bavé pour le mériter. Non, tout devait être acquis. Et ça, ça avait tendance à agacer un peu Norah. "Je ne serais même pas désolée pour les éventuels prétendants qui seraient bien déçus de n'avoir pas de résultats dans l'heure qui suivrais le rencard." affirmait-elle avant de boire une gorgée de sa bouteille.
En parallèle, Anwar s'était inquiété par les questions récemment soulevés par son filleul concernant son père. Il était dans un âge où il parvenait à faire des liens plus complexes. Il était donc tout à fait normal qu'il s'interroge sur ses origines, sur la figure paternelle manquant au tableau de la famille. Norah y avait déjà été confrontée. Pas qu'elle s'y était préparée spécialement, mais elle savait que ça viendrait, un jour ou l'autre. Anwar s'était vu également confronté à cela et en semblait particulièrement dérouté. Il préférait s'assurer à avoir l'aval de Norah sur certains faits avant s'étendre outre mesure la prochaine fois qu'Aidan poserait des questions au sujet de son géniteur. "Je compte pas leur cacher quoi que ce soit à son sujet." lui dit-elle. "Il n'est déjà plus là en tant que tel, je ne tiens pas à leur faire une version bisounours de qui il était." Pas qu'il était un mauvais bougre non plus, loin de là. "Frank est parfait tel qu'il était, ni plus ni moins. Ils vont probablement de base l'idéaliser par le simple fait qu'il ne soit plus là." C'était déjà le cas de Julie et des quelques souvenirs de son père qu'elle chérissait plus que tout au monde. "Alors s'ils t'en reparlent, dis-leur juste comme tu le penses." Norah était plutôt posée, par rapport à ça. Elle avait suffisamment confiance en son ami, lui-même père. Il trouverait lui aussi les bons mots, les bonnes intonations pour répondre au mieux aux nombreuses interrogations des enfants de Frank. "Julie et Aidan restent avant tout ses enfants. Ils ne méritent pas qu'on leur cache des choses." Pas après la perte qu'ils ont déjà du subir, à un si jeune âge. La conversation s'arrêtant à cela, Norah notait par ce silence persistant la mâchoire serré de l'inspecteur. Alors, elle se demandait pourquoi il était bien contrarié. Qu'est-ce qu'il avait compris, ou mal compris, pour se sentir si mal d'un coup ? Elle restait elle-même mutique, le connaissant suffisamment pour savoir qu'il finirait par s'exprimer à un moment ou à un autre. Alors son regard restait rivé sur son jardin, bière fraîche en main. Il finit par rompre le silence par une question rhétorique. Norah tournait sa tête à nouveau en sa direction et approuva d'un signe de tête malgré tout. Il était nerveux, presque fébrile alors que les mots traversaient ses lèvres avec une très grosse dose de courage. La façon dont il avait tourné ses questions avec du conditionnel transformait rapidement ces suppositions en confession. Norah en était persuadée, il avait fait quelque chose qui allait à l'encontre de ses principes. Elle restait silencieuse, peut-être beaucoup longtemps pour lui. "Vue la façon dont tu me le demandes, ça laisse penser que t'as déjà fait quelque chose qui va en ce sens." lui fit-elle finalement remarqué, de son air toujours aussi posé. Quoiqu'elle appréhendait un peu ce qu'il allait lui confesser. Jusqu'à quel point avait-il dépassé les bornes ? Avait-il déjà atteint le point de non-retour ? Ses lèvres se pinçaient. Son regard ancré dans le sien, elle finit par lui demander, d'un ton sensiblement plus ferme. "Qu'est-ce que t'as fait, Annie ?"
|
| | | | (#)Mar 4 Mai 2021 - 9:02 | |
| C’était quelque chose qu’Anwar entendait depuis le tout début de sa carrière dans la police mais dont il avait à son tour pris conscience de ses propres yeux au fil de ses années de service : les bons policiers se répartissaient en deux catégories. Il y avait d’un côté ceux qui avaient des fautes à expier, et de l’autre des idéalistes convaincus de pouvoir changer le monde un délinquant après l’autre. Si l’on reprochait souvent aux derniers leur naïveté, les premiers étaient régulièrement et souvent à raison taxés de névrosés … Alors l’un dans l’autre, Anwar préférait être un imbécile d’idéaliste, et Frank l’avait assurément été lui aussi. Conscients qu’ils ne changeraient pas le monde mais soucieux d’apporter une minuscule pierre à l’immense édifice. Et Norah comprenait, ou au moins l’aimait-elle assez pour avoir toujours fait comme si, mais non sans qu’il y en ait justement un, de « mais » : « Mais dis-moi, à quoi bon rendre un monde meilleur si lui-même n'a pas le temps d'en profiter avec sa propre famille ? » Elle était légitime, la question, mais au fond de lui Anwar savait que la réponse importait peu car Norah ne pourrait jamais comprendre – parce qu’ ils ne pouvaient pas comprendre, tous. « Une fois que tu connais le revers de la médaille, c’est difficile de juste … profiter. T’as beau essayer de te forcer tu penses toujours à la partie immergée de l’iceberg. T’as toujours l’impression que tu pourrais faire plus, parce que ça s’arrête jamais – c’est sans fin. Mais je t’assure qu’il faisait de son mieux. » Mais ce n’était pas parfait, c’était comme tenter sans cesse d’équilibrer une balance dans laquelle on rajoutait aléatoirement de quoi faire pencher un côté plus que l’autre … c’était une gymnastique supplémentaire, usante, parfois trop, et ce soir-là même pour défendre l’honneur de Frank Anwar ne se sentait pas l’énergie suffisante pour s’y prêter. Il n’en voulait pas à Norah non plus d’user des arguments que lui-même opposait parfois à Riley – c’était le jeu, c’était comme ça. C’était voir les choses avec ses propres yeux. « Et je vais faire preuve d'égoïsme pendant cinq secondes, là. Mais il avait deux gosses à la maison qui étaient tétanisés de tous les bruits qu'ils entendaient dehors. Et j'étais seule à devoir les apaiser alors que je n'étais moi-même pas rassurée. » Et j’étais seul dans un quartier sordide à tenter d’empêcher leur père de se vider de son sang avec personne pour m’entendre appeler à l’aide, alors tu vois. Il l’avait pensé, il ne l’avait pas dit. Elle n’avait pas besoin de l’entendre. Si c’était à refaire ils referaient les choses différemment, mais c’était toujours tellement facile à dire après coup … Le mal était fait. Et cette lettre, c’était tout ce que Frank pouvait encore offrir de là où il était. « Elle m'est devenue si précieuse, cette lettre. Même son écriture m'avait manquée. Merci de me l'avoir apportée. » À court de mots, il s’en était tenu à un signe de tête et avait pressé un court instant sa main contre le bras de l’infirmière. Peut-être parce qu’il en parlait peu, peut-être parce qu’il ne savait pas comment le montrer, Anwar se torturait à l’idée que quiconque s’imagine qu’il avait abandonné sa quête de l’assassin de Frank. Ce n’était pas qu’une question de principe, c’était une question de justice – c’était rééquilibrer la balance pour que celui qui avait ôté la vie de son ami, du mari de Norah, du père d’Aidan et Julie, ne coule pas des jours heureux après tout le mal qu’il avait causé. « Je sais. Je sais que tu lâcheras jamais. » Mais savait-elle qu’il ne s’agissait pas que d’une façon de parler ? Savait-elle qu’il ne saurait pas se regarder dans la glace sans y voir de la culpabilité tant que justice ne serait pas faite ? Et savait-elle que rien, pas même retrouver le coupable, ne guérirait cette sensation qu’il avait depuis de vivre à crédit, de mener une existence que Frank aurait peut-être plus mérité que lui ? De grandes phrases auprès de Norah sur la nécessité de tourner la page et d’avancer, mais en vérité il n’était pas capable de les appliquer lui-même. Chez l’infirmière en revanche, l’idée semblait lentement commencer à faire son chemin, et s’il fallait trouver un bénéfice en chaque chose celui de son accident résidait peut-être là-dedans. « J'en dis que si dans le couple, on est deux toujours en deuil, ça ferait un couple sacrément névrosé. » avait-elle en tout cas repris pour rebondir sur sa rhétorique, avant de s’épancher un peu plus sur ses attentes, ses envies, sur la façon dont elle envisageait la possibilité d’une autre vie à deux. Elle restait de toute façon seule maître à bord, dans ses relations autant que dans le reste de sa vie Norah n’avait jamais été du genre à se laisser dicter sa conduite, et lorsque finalement elle avait asséné « Je ne serais même pas désolée pour les éventuels prétendants qui seraient bien déçus de n'avoir pas de résultats dans l'heure qui suivrais le rencard. » d’un ton presque narquois elle était, malgré tout, parvenue à arracher un léger rire à Anwar. La vérité c’est qu’il ne craignait pas le moment où elle referait sa vie parce qu’il savait qu’au fond de son cœur Frank aurait toujours la première place. Si l’infirmière semblait peu à peu faire la paix avec la situation et refermait une à une des portes restées ouvertes depuis trop longtemps, le temps lui avait amené des questions dans les esprits plus juvéniles de ses deux têtes blondes, particulièrement dans celle d’Aidan dont la possibilité de perdre sa mère avait été bien plus palpable que ne le serait peut-être jamais la perte de son père, trop jeune qu’il était pour véritablement s’en rappeler. Et si l’inspecteur ne demandait qu’à apaiser ces questionnements à la hauteur de là où se situait sa place – celle de parrain, celle d’ami de leur mère, celle d’ami de leur père – il avait à cœur de ne pas prendre Norah à revers en posant, peut-être, des mots sur des choses qu’elle préférait laisser abstraites. « Je compte pas leur cacher quoi que ce soit à son sujet. » avait-elle alors assuré (et rassuré). « Il n'est déjà plus là en tant que tel, je ne tiens pas à leur faire une version bisounours de qui il était. Frank est parfait tel qu'il était, ni plus ni moins. Ils vont probablement de base l'idéaliser par le simple fait qu'il ne soit plus là. Alors s'ils t'en reparlent, dis-leur juste comme tu le penses. » Acquiesçant d’un signe de tête, il avait pourtant semblé à peine convaincu, comme s’il doutait que Norah et lui se soient véritablement compris quant au sens des questions sur lesquelles il hésitait à répondre. « C’était pas vraiment ce à quoi je faisais référence … Je parlais de ce soir-là. De ce qui s’est passé. » Lorsqu’elle avait ajouté « Julie et Aidan restent avant tout ses enfants. Ils ne méritent pas qu'on leur cache des choses. » pourtant il avait capitulé ; Au fond il avait toujours son instinct pour lui. S’il sentait quelque chose était mieux ignoré il le garderait pour lui, et pour le reste il tâcherait de faire au mieux. L’infirmière avait raison pourtant, lorsqu’elle pointait du doigt les dégâts que pourraient faire dans l’esprit de ses enfants cette impression qu’on leur avait enlevé leur père et que rien n’avait été fait pour que ce drame – ce crime – soit puni. Comment exiger d’orphelins qu’ils croient en la justice si on ne l’avait pas rendue au parent qu’ils avaient perdu ? Et cette responsabilité reposait sur les épaules d’Anwar, il le savait, sans besoin que Norah ou qui que ce soit n’ait à le lui rappeler chaque fois que le sujet revenait sur le tapis. Avaient-ils seulement conscience de ce que cela impliquait, des plumes qu’il fallait y laisser, des principes qu’il fallait bafouer à mesure que le temps passait et que la situation s’enlisait ? Et des principes, oh ceux-là, Anwar en avait bien bafoué quelques-uns déjà … Mais à peine l’avait-il admis à demi-mot que le courage lui avait manqué. « Vue la façon dont tu me le demandes, ça laisse penser que t'as déjà fait quelque chose qui va en ce sens. » La gorge serrée, il avait pincé ses lèvres l’une contre l’autre avec hésitation, mais lorsqu’elle avait insisté en demandant « Qu'est-ce que t'as fait, Annie ? » il s’était refermé comme une huître. Il ne pouvait pas la mêler à cela. Il ne pouvait pas faire peser sur les épaules de quelqu’un d’autre le poids de quelque chose qu’il avait promis de régler seul … Et surtout pas sur ses épaules à elle. « Rien, oublie ça. » Conscient toutefois qu’elle ne saurait pas se contenter de ce rétropédalage, il avait tenté autre chose. « C’est juste que … » Que quoi, Annie ? « C’est juste que plus le temps passe plus je doute que tout ça puisse se régler à la loyale … Tu vois ? J’adore ce boulot, mais je connais ses limites. On ne gagne pas une partie si en face l’adversaire joue selon ses propres règles. » Et Mitchell n’était qu’un tricheur parmi les tricheurs au fond. « Si les choses avaient dû se régler en restant dans les clous, ce serait déjà fait … Peut-être qu’il est temps de changer de méthode. » Et il fallait bien qu’Anwar soit désespéré pour remettre en question les méthodes et les devoir d’un métier que Frank et lui avaient toujours tenus en si haute estime … Mais au fond, qu’avait apporté ce badge et cet uniforme au Lindley, si ce n’était une mort prématurée ?
|
| | | | (#)Mer 9 Juin 2021 - 18:55 | |
| LETTERS FROM THE SKY one of these days letters are fonna fall from the sky telling us all to go free – @anwar zehri
| |
Bien qu'ils appréciaient énormément passer du temps ensemble tous les deux, il y aurait toujours quelque part l'ombre de Frank qui planerait au-dessus d'eux. Il suffisait d'une anecdote, d'un objet, d'un aliment, pour que des souvenirs jaillissent. Pour l'heure, cela les attristait bien plus que ça ne pouvait les faire sourire. Norah espérait voir ce jour arrivé, où Anwar et elle parviendraient à parler de Frank avec le sourire, avec une légèreté sincère. Pour l'heure, ils confrontaient avant tout leur point de vue respectif; celle du collègue et de l'épouse. Deux visions bien différentes et qui s'entrechoquaient, comme s'il y avait presque un concours de celui ou celle qui le vivait le plus mal, qui pensait que c'était pire pour eux que pour l'autre. Frank vivait quotidiennement avec un poids sur la conscience, à force de ne voir que le pire de Brisbane. A entendre le brun, le mari de Norah n'avait peut-être jamais su, ni pu, profiter pleinement de sa famille et de son temps libre. Cette pensée attristait la jeune femme plus qu'autre chose, troublée par les propos de son ami. Elle restait tout aussi silencieuse que lui après qu'elle ait fait part de cette petite part d'égoïsme qu'elle avait jusque là gardé pour elle. Ce qu'elle comptait aussi conservé précieusement, c'était la lettre. A ce jour, elle n'avait pas envie que qui que ce soit d'autre ne la lise. Peut-être que l'envie lui viendrait plus tard, laissant probablement Marcus et Anwar la lire en premier.
Il était grand temps qu'ils discutent un petit peu plus de l'éléphant dans le pièce. Ce sujet dont ils ne parlaient pas vraiment alors qu'ils savaient tous les deux qu'il mérité d'être abordé de temps en temps. Anwar ne le verbalisait pas, essayait peut-être même de le cacher, mais Norah savait qu'il continuait de faire tout son possible pour mettre la main sur le tueur. Il ne serait pas tranquille tant que cette affaire n'était pas classée. Au delà de cela, l'inspecteur avait pleine confiance en Norah et la façon dont elle comptait reprendre sa vie en main. Il l'avait vu durant sa descente aux enfers et désormais il la voyait enfin revivre. C'était suffisant pour lui, de retrouver enfin la Norah qu'il avait toujours connu. A l'anecdote de ses futurs rencards, elle parvint même à le faire rire un petit peu. Et rien que ça, ça lui faisait plaisir. De le voir sourire. Parmi les sujets les plus délicats, il y avait celui des enfants et de ce qu'ils devaient leur raconter. La façon dont il fallait aborder le sujet de ce fameux soir d'Halloween 2016. Norah s'accordait quelques secondes de réflexion. "Pour Aidan..." Elle soupira. "Il arrive à un âge où il comprend ce genre de choses. Et à la différence de Julie, il n'a aucun souvenir de Frank, ni de l'affection qu'il lui portait." Elle haussait les épaules. "Je sais pas comment il réagira par la suite mais c'est pas juste pour lui non plus d'éviter le sujet sous le seul prétexte que ça nous mette mal à l'aise d'en parler. Il a bien saisi ton travail à toi, arrêter les méchants, ce genre de choses." Il comprendrait donc que par conséquent, parfois, ce n'était pas toujours les gentils qui gagnaient. Il était inutile d'entrer dans les détails. "Par contre après ça, il risque d'avoir peur pour toi quand t'iras au boulot." Elle esquissa un sourire triste. "Ce sera rien qu'on n'arrivera pas à gérer." L'éducation des enfants était devenue un travail d'équipe. Les frères de Norah et Anwar lui étaient d'une grande aide. Ils n'avaient jamais essayé de piétiner sur son rôle de mère, ni de prétendre savoir mieux qu'elle ce qu'il y avait de meilleur pour ses deux trésors. Ils la respectaient. C'était pas donné à tous les hommes d'être ainsi. Les épaules d'Anwar semblaient porter le poids du monde entier lorsque la conversation convergeait une nouvelle fois vers le fait qu'il ne serait jamais en paix tant qu'il n'avait pas débusqué ce criminel qui était à ses yeux l'ennemi public numéro un. Il voulait faire croire à l'éventualité qu'il avait envisagé d'outre-passer la légalité pour y parvenir, ce à quoi Norah supposait qu'il l'avait déjà fait. Mais dès qu'il semblait enclin à faire des révélations, Anwar se rétracta immédiatement bien qu'il savait qu'il lui avait mis la puce à l'oreille. "Difficile d'oublier, maintenant que tu l'as mentionné." lui fit-elle remarquer. Cependant, les explications qu'il lui donnait ensuite était transposables à ce qu'elle vivait au travail au quotidien. Combien de fois avait-elle dépassé son champ de compétences ? C'était quotidien, systématique, bien plus qu'on ne saurait jamais l'entendre. Ca avait un impact sur les vies dont elle devait prendre soin. Pour Anwar, cela signifiait sâlir sa plaque pour enfin mettre un nom sur ce visage, enfin trouver justice et peut-être un peu de paix. Enfin. Seulement, outrepasser les capacités offertes par son métier lui donnait un cas de conscience. Jusqu'où irait-il pour Frank ? L'épouse de celui-ci restait songeuse un moment. Le cautionnait-elle ? Absolument pas. Cependant, elle le comprenait. "Je t'aurais bien dit que tu risquerais d'être blessé ou d'être tué mais c'est un danger que tu as au quotidien." commençait-elle. "Tu risquerais aussi ton job, Annie." Et lui aussi, aimait énormément son boulot. Elle leva finalement les yeux vers lui. "Tu te sentirais prêt à être radié pour ça ? Alors que t'es même pas certain qu'outrepasser les moyens en ta possession va donner de meilleurs résultats ?" Le ton de Norah restait monocorde, calme, impassible. "La question que je me pose est : est-ce que Frank aurait préféré que les choses soient réglées en bonne et due forme ou aurait-il préféré qu'absolument tous les moyens soient mis en place, même illégaux, pour trouver le responsable." Et ça, Norah le reconnaissait, elle n'en avait pas la réponse. Anwar devait être désespéré pour en arriver à ce genre de réflexions. "Ce serait quoi, ces méthodes que tu as en tête ?" Juste par curiosité. S'il avait déjà mûrement réfléchi au fait de basculer dans l'illégalité, il avait déjà certainement songé aux moyens qu'il utiliserait.
|
| | | | (#)Sam 10 Juil 2021 - 3:09 | |
| Avec ses propres enfants, Tarek tout du moins, la question de savoir comment aborder la teneur et la dangerosité n’avait jamais été sujet à hésitation pour Anwar : son fils avait dû faire depuis sa naissance avec la présence sporadique d’une mère qui, lorsqu’elle était en territoire étranger, risquait presque toujours sa vie à plus ou moins grande échelle. Tenter de lui mentir en minimisant les risques également inhérents au métier de son père n’aurait donc servi à rien, et si l’inspecteur s’était efforcé de ne jamais être alarmiste il avait toujours répondu aux questionnements de Tarek avec autant d’honnêteté que possible. Avec Aidan cependant les choses étaient différentes : d’abord parce qu’il n’était pas son fils et qu’Anwar n’avait aucunement l’intention de se substituer à la manière dont Norah souhaitait élever ses enfants, mais aussi parce que la violence du métier de son père l’enfant l’avait déjà vécue en devenant orphelin si jeune qu’il ne se souviendrait jamais d’une époque où il n’en avait pas été ainsi. « Il arrive à un âge où il comprend ce genre de choses. Et à la différence de Julie, il n'a aucun souvenir de Frank, ni de l'affection qu'il lui portait. » Sans le savoir, Norah avait suivi un cheminement de pensée similaire au sien et tous les deux cogitaient à propos du même sujet. « Je sais pas comment il réagira par la suite mais c'est pas juste pour lui non plus d'éviter le sujet sous le seul prétexte que ça nous mette mal à l'aise d'en parler. Il a bien saisi ton travail à toi, arrêter les méchants, ce genre de choses. » Il en avait saisi ce que l’imaginaire collectif voulait bien en dire, surtout, mais à son âge mieux valait s’en contenter. « Arrêter les méchants … » avait-il finalement répété d’un ton pensif, pour lui-même plus qu’à l’intention de Norah. Parfois il se demandait si tout cela n’était pas vain. « Par contre après ça, il risque d'avoir peur pour toi quand t'iras au boulot. Ce sera rien qu'on n'arrivera pas à gérer. » Par réflexe, il avait rendu son sourire à l’infirmière comme pour la rassurer, mais désireux au fond de lui de protéger encore tant qu’il le serait possible la naïveté d’enfant d’Aidan – ce qui une fois perdue ne se récupérait jamais. Il y avait sans doute un peu de cela également, pour Anwar. Retrouver l’assassin de Frank il estimait le devoir au concerné, bien sûr, mais de la justice rendue pour leur père dépendrait peut-être aussi la confiance qu’avaient ses deux enfants dans la balance du bien et du mal, et dans cette utopie qui voulait que les crimes et les mauvaises actions en générales ne restaient jamais impunies. Et comment transmettre ces principes, alors, quand on venait soi-même à en douter ? Comment demander à ces deux têtes blondes, à Norah, à Caelan, aux autres, d’avoir confiance en la justice quand Anwar lui-même n’y croyait plus ? Ces questionnements d’ordinaire l’inspecteur préférait les garder pour lui, les ranger dans un coin de son esprit et tenter de s’en accommoder, mais ce soir-là les mots avaient été plus vifs que la raison et tenter de noyer le poisson n’avait pas suffi à dissoudre l’intérêt de l’infirmière. « Difficile d'oublier, maintenant que tu l'as mentionné. » Mais au fond Norah était peut-être la mieux placée pour lui répondre – elle était la plus à même de se mettre dans les chaussures de Frank, et respectait suffisamment l’amitié qui avait lié son époux et l’inspecteur Zehri pour lui offrir une réponse honnête. Elle n’était pas du genre à dire quelque chose simplement parce que vous aviez envie de l’entendre, Norah, et si à de rares occasions Anwar se sentait pris à rebrousse-poil la plupart du temps il lui en était reconnaissant. « Je t'aurais bien dit que tu risquerais d'être blessé ou d'être tué mais c'est un danger que tu as au quotidien. » lui avait-elle alors d’abord fait remarquer avec pragmatisme, la voix s’adoucissant un peu lorsqu’elle avait ajouté « Tu risquerais aussi ton job, Annie. Tu te sentirais prêt à être radié pour ça ? Alors que t'es même pas certain qu'outrepasser les moyens en ta possession va donner de meilleurs résultats ? » Les lèvres du policier quant à elles s’étaient pincées, et sa tête s’était lentement secouée avec lassitude. « J’en sais rien … je sais pas. Mais je sais pas non plus si j’arriverai éternellement à me regarder dans une glace en sachant que je n’ai pas tout essayé. » Il avait même prié. Lui, l’homme le moins religieux qui soit, il avait prié tous les Dieux y compris celui de Frank simplement pour se donner l’impression d’avoir tout tenté. Tout, sauf franchir cette ligne morale qui différenciait les flics réglos de ceux qui ne valaient pas mieux que les criminels après qui ils courraient. « La question que je me pose est : est-ce que Frank aurait préféré que les choses soient réglées en bonne et due forme ou aurait-il préféré qu'absolument tous les moyens soient mis en place, même illégaux, pour trouver le responsable. » Alors ils en étaient au même point. C’était cette même question qui les taraudait, et si Norah ne possédait pas plus la réponse que lui alors Anwar savait que personne d’autre ne l’aurait. « C’est idiot, mais … » avait-il finalement murmuré, l’esprit ayant fait une autre connexion sans que l’infirmière n’ait eu le loisir d’en suivre le cheminement « Tout à l’heure je te disais qu’on en parlait souvent entre nous. Des risques, de la probabilité d’y rester en faisant ce boulot … Mais de ce que ferait celui qui resterait si ça arrivait, ça, on n’en a jamais parlé. » Peut-être auraient-ils dû, ou peut-être tout cela n’aurait-il rien changé … Il y avait de ces situations que l’on ne pouvait pas anticiper sans y avoir été confronté, et celle-ci en était probablement une. « Ce serait quoi, ces méthodes que tu as en tête ? » Pragmatisme, encore et toujours, mais quittant finalement sa chaise pour faire quelques pas dans l’herbe Anwar avait enfoncé les mains dans les poches de sa veste et reposé les yeux sur l’infirmière « Tu sais bien que je peux pas répondre à cette question. » C’était une chose d’envisager de se compromettre, c’en était totalement une autre d’impliquer une civile – Norah, qui plus est – dans ses manigances, et si le brun cherchait encore où se situait la limite à son propre sujet il n’avait aucun doute sur le fait que Frank n’aurait jamais, dans aucune configuration, approuvé que sa femme n’y soit mêlée. Que Strange ait tenté de l’approcher une fois était déjà une erreur qu’Anwar entendait bien ne pas permettre à l’américain de commettre à nouveau. « C’est probablement juste une idée en l’air, de toute façon. » Non. Ou peut-être que si … il n’en savait rien, et la bière ajoutée à la fatigue et l’excès de soleil de la journée embrouillaient probablement (un peu) son jugement. « J’aimerais seulement pouvoir faire plus. » Plus que cette lettre et la maigre consolation qu’elle devait apporter à la veuve, en tout cas.
|
| | | | (#)Dim 18 Juil 2021 - 22:04 | |
| LETTERS FROM THE SKY one of these days letters are fonna fall from the sky telling us all to go free – @anwar zehri
| |
Le dilemme que s'était imposé Anwar l'empêchait de voir au-delà de ses oeillères. Du moins, c'était l'impression que Norah avait, lorsqu'elle le voyait se torturer à trouver un moyen de trouver la personne qui avait appuyé sur la détente, ôtant ainsi la vie d'un homme qui ne méritait pas de mourir si jeune. Peut-être que le fait qu'elle soit aussi passive le dépassait, il se faisait probablement des idées sur ce qu'elle pensait vraiment alors qu'il n'en était rien. Il savait que Marcus le considérait bien moins alors que le temps passé, sans pouvoir mettre de nom ou de visage sur le meurtrier. Avec les années, c'était bien quelque chose qui n'avait pas changé : Norah savait qu'elle ne se sentirait pas mieux une fois qu'on lui aurait mis la main dessus. Dans tous les cas, ça n'allait pas ramener Frank. De ce fait, la notion de justice lui était tout à fait illusoire. Juste un principe comme un autre pour apaiser quelques esprits. Mais les faits, eux, n'allaient jamais changer. "Parce que tu te sentirais mieux si tu te mouillais pour rien ?" lui répliqua-t-elle en gardant son regard vissé sur lui. "Qui dit que de tremper dans de sales affaires t'apportera plus de réponses qu'en restant un minimum dans les clous ? Est-ce que tu arriverais aussi à te regarder dans une glace si par malheur tu ne trouves pas les réponses à tes questions ?" Sa conscience en prendrait probablement un coup aussi et son âme n'en sortirait que plus torturée qu'elle ne l'était déjà. En poussant peu à peu cette réflexion, l'inspecteur réalisait que Frank et lui n'avaient jamais parlé de l'après. De ceux qu'ils devraient faire si l'un ou l'autre partait bien plus vite que prévu. Pourtant, de son côté, Frank avait pensé à écrire une lettre à Norah. C'était la première chose qui lui était venu à l'esprit. "Qui a envie de parler de ça, franchement ?" lui demandait-elle, de façon quelque peu rhétorique. "Certains, même en étant à l'article de la mort, ont pas envie d'évoquer tout ça. Enfin si, peut-être les formalités et certaines conditions." Elle haussait les épaules. Tout le monde avait tellement peur de la mort, de ce qui se passerait ou pas ensuite, que l'on évitait le sujet. La mortalité de l'homme était ce qui le rendait humain. Qui aurait envie d'être confronté à sa propre mort ? Personne. Absolument personne. "Ca n'a rien d'idiot." lui affirmait-elle. "Si tu me le demandais, je voudrais pas foncièrement en parler non plus. Pourtant je suis pas passée loin." Elle avait appris, depuis longtemps. "Vous êtes tous les deux terre-à-terre, vous avez tous les deux conscience du danger de votre boulot. Mais je trouve pas ça choquant que vous n'ayez pas discuté de ce que vous feriez si l'un de vous venait à partir. C'est juste insupportable d'y songer." lui fit-elle remarquer. C'était arrivé à Norah, au réveil de son coma. Depuis, elle vivait dans cette ambivalence où elle se refusait de façon catégorique d'y songer. Et pourtant, cela ne l'avait pas empêché d'absolument tout prévoir si elle venait à disparaître trop rapidement. La soignante l'observait se lever et faire les cent pas dans l'herbe. "Alors pourquoi jusqu'ici tu demandes mon avis sur ce que tu serais prêt à faire pour le trouver ?" lui répliqua-t-elle aussi sec. "C'est presque comme si tu tâtais le terrain." Voir si elle approuverait ou non. Avoir un indice de ce que Frank en aurait pensé. Mais Norah n'était pas Frank et inversement. Jamais n'allait-elle prétendre savoir de ce qu'il en penserait, de cette supposition. Soit Anway s'était déjà risqué à outrepassé son insigne, soit il l'envisageait très sérieusement. Dans les deux cas, ça ne présageait rien de bon. "De la façon dont tu te comportes, là, Annie, tout me laisise croire que t'as envie de prendre le risque." Il transpirait la mauvaise idée, se disait-elle. "Je sais que tu ressens le besoin de le faire pour toi, pour Frank. Crois-moi, je le sais." Et derrière, certains Leckie attendaient de pied ferme des réponses également. "Mais réflexion faite, jamais Frank n'aurait voulu que tu ailles jusque là, même pour lui. Je ne voudrais pas que tu ailles, même pour lui." Déjà que Norah n'était pas la femme la plus expressive qui soit, elle avait là cet air impassible qui donnait l'impression qu'elle était d'une froideur extrême. Elle s'appuyait sur les accoudoirs de sa chaise afin de se relever. Une douleur se manifestait le long de sa colonne vertébrale en se mobilisant, ce pourquoi elle grimaçait brièvement avant d'être debout. "Si j'avais été à sa place, j'aurais pas voulu que vous franchissiez cette ligne rouge, si ça avait été toi et si l'idée l'avait effleuré, je ne l'aurais pas laissé faire non plus." Anwar devait être sacrément désespéré pour songer à tout ceci. Il voulait en faire plus. "Comme pour tous les patients qui souffrent le martyr et pour qui je ne trouve absolument aucun moyen de les soulager. Mais on est pas maîtres de tout, contrairement à ce que certains aiment se persuader." C'était frustrant, énervant. C'était dur d'accepter ses limites et de devoir faire avec. "Ca fait partie de ces trucs qui nous rendent humains." Norah se plaçait en face de lui. Elle pouvait être dure parfois, mais c'était parce qu'elle tenait à lui. "Je sais que tu veux que justice soit faite, surtout pour lui. Surtout pour toi aussi. Je t'ai déjà dit que je m'en fiche, que tu le trouves ou pas. Qu'il soit jugé ou non, ça ne ramènera pas Frank. Ca ne permettra pas aux enfants de mieux connaître leur père. Et jamais je t'en voudrais, si tu ne le retrouves pas. Si t'as besoin de continuer tes recherches, fais-le." Elle n'allait pas l'en empêcher non plus. "Par contre, jamais je cautionnerai que tu risques imprudemment ta vie pour ça." Au moins, il savait son point de vue s'il était mené à merder. "Et ça, par contre, je peux te dire avec certitude que Frank ne l'aurait jamais voulu." Il ne voulait pas pas impliquer Norah dans toute cette histoire ? Alors le plus simple était de ne pas se frotter avec les criminels de Brisbane (mais ça, il l'avait déjà fait et il se gardait bien de le dire à Norah). La belle brune finit par le prendre dans ses bras. Elle n'était pas dans ses bottes, mais pouvait aisément imaginer le dilemme qui le déchirait de toute part. "Cette famille a déjà suffisamment perdu, Annie." lui murmura-t-elle. "Prends pas de risques inutiles." Pas besoin de lui dire de ne pas faire ce qu'il avait en tête parce qu'ellle se doutait qu'il le ferait quand même. "Je voudrais pas qu'on te perde toi aussi pour ça."
|
| | | | (#)Jeu 12 Aoû 2021 - 0:35 | |
| Elle ne comprenait pas, Norah. Elle n’était pas la seule, Anwar ne lui en voulait pas, elle plus que n’importe qui d’autre avait subi de plein fouet la perte de Frank … Mais comme tous les autres elle ne pouvait pas comprendre, parce qu’elle n’était pas présente ce soir-là. Le souvenir et la responsabilité de ce qui s’était passé dans cette épicerie ils n’étaient plus que deux à la porter, deux sur trois, et l’inspecteur refusait l’idée d’être le seul que cela continuait de hanter. Est-ce qu’il dormait bien, l’assassin de Frank ? Est-ce que le tonnerre lui donnait la chair de poule et l’obscurité des palpitations ? Est-ce qu’il pensait parfois au sang qu’il avait fait couler, ou Anwar était-il le seul, depuis, à frotter parfois ses mains avec frénésie comme pour retirer encore et encore celui dont les siennes s’étaient couvertes ce soir-là ? Quelqu’un devait payer pour ça, pour Frank ; Il avait besoin que quelqu’un paie. « Parce que tu te sentirais mieux si tu te mouillais pour rien ? Qui dit que de tremper dans de sales affaires t'apportera plus de réponses qu'en restant un minimum dans les clous ? Est-ce que tu arriverais aussi à te regarder dans une glace si par malheur tu ne trouves pas les réponses à tes questions ? » Il était certain que oui. Pour Norah cela n’avait peut-être aucun sens, tant elle semblait en paix avec l’idée d’une fatalité à laquelle Anwar, lui, ne parvenait pas à se résoudre … « J’en sais rien. » avait-il pourtant préféré nuancer, pour se donner l’air moins buté qu’il ne l’était en réalité. « J’aimerais juste pouvoir rentrer dans un magasin ou dans un bar sans me demander à chaque fois s’il n’est pas là, sous mon nez. Juste une fois. » Était-ce trop demandé ? De l’avoir laisser filer une fois était déjà une chose, mais l’idée qu’il puisse lui passer sous le nez à nouveau sans qu’il n’en sache rien … Il y avait de quoi s’en rendre malade. Il s’était préparé à bien des choses Anwar, mais pas à cela. Ils s’en étaient confié bien des choses, Frank et lui, mais celle-ci ils n’y avaient pas songé, ils n’avaient pas voulu l’envisager, et à ce sujet comme pour tant d’autres le brun aurait aimé pouvoir demander conseil à son ami et obtenir sa guidance. « Qui a envie de parler de ça, franchement ? Certains, même en étant à l'article de la mort, ont pas envie d'évoquer tout ça. Enfin si, peut-être les formalités et certaines conditions. » lui avait cependant opposé la veuve du disparu d’un ton catégorique. « Ça n'a rien d'idiot. Si tu me le demandais, je voudrais pas foncièrement en parler non plus. Pourtant je suis pas passée loin. » D’y repenser, Anwar avait senti son estomac se contracter désagréablement. « Vous êtes tous les deux terre-à-terre, vous avez tous les deux conscience du danger de votre boulot. Mais je trouve pas ça choquant que vous n'ayez pas discuté de ce que vous feriez si l'un de vous venait à partir. C'est juste insupportable d'y songer. » Elle n’y était pas, en réalité. Pas tout à fait. Des occasions de discuter du pire ils en avaient eu, des frayeurs ils s’en étaient faites – dont certaines en se gardant bien de les révéler à leurs proches parce qu’ils n’avaient pas besoin de savoir – et la promesse faite de garder un œil sur la famille de l’autre n’était pas venue de nulle part … Mais jamais ils n’avaient envisagé que leur mort possible soit un mystère, qu’elle soit le début d’un chapitre inachevé plutôt que la fin d’une histoire. Jamais ils n’avaient songé à l’idée que le pire, s’il arrivait, puisse rester impuni. Las cependant le brun n’avait rien répondu, ne se sentant pas l’énergie pour témoigner les nuances et admettre les zones d’ombres que Frank laissait volontairement sur ce qu’était parfois leur métier. Ça n’était pas que Norah n’était pas assez forte pour l’entendre, Anwar n’en disait pas plus à Riley fut un temps et d’eux deux elle mettait sa vie bien plus en danger que lui … Mais cela pesait plus lourd de savoir que les autres s’inquiétaient pour soi, que de s’en inquiéter seul. Précaire, cet équilibre ne tenait qu’à la force de la volonté de l’équilibriste qui se l’imposait, et ces derniers temps l’inspecteur sentait qu’il vacillait. Le pour et le contre pesaient trop lourd mais jamais en même temps, jamais sans lui donner l’impression d’être à deux doigts de la chute, et tandis que Norah s’agaçait « Alors pourquoi jusqu'ici tu demandes mon avis sur ce que tu serais prêt à faire pour le trouver ? C'est presque comme si tu tâtais le terrain. » lui n’espérait que d’être rattrapé par, à défaut de Frank lui-même, la personne la plus à même de se mettre dans ses baskets. « De la façon dont tu te comportes, là, Annie, tout me laisse croire que t'as envie de prendre le risque. » Envie ? Non. Besoin ? Peut-être. « Je sais que tu ressens le besoin de le faire pour toi, pour Frank. Crois-moi, je le sais. Mais réflexion faite, jamais Frank n'aurait voulu que tu ailles jusque-là, même pour lui. Je ne voudrais pas que tu ailles, même pour lui. » Même pour lui. « Si j'avais été à sa place, j'aurais pas voulu que vous franchissiez cette ligne rouge, si ça avait été toi et si l'idée l'avait effleuré, je ne l'aurais pas laissé faire non plus. » Elle existait dans tous les métiers relevant d’un devoir moral, cette ligne rouge, et Norah la première était capable d’y voir un parallèle avec sa propre vocation et les limites qui s’y attachaient. « Ça fait partie de ces trucs qui nous rendent humains. » justifiait-elle, et au fond de lui Anwar savait qu’elle avait raison. Il savait que pour n’importe quelle autre personne la question ne se serait pas posée et le dilemme n’en aurait pas été un … Mais Frank n’était pas n’importe quelle personne, et là était toute la différence. Toute la difficulté. « … jamais je cautionnerai que tu risques imprudemment ta vie pour ça. Et ça, par contre, je peux te dire avec certitude que Frank ne l'aurait jamais voulu. » Il avait fermé les yeux. Norah était la seule en mesure de parler pour Frank, de pouvoir affirmer le connaître suffisamment pour savoir ce qu’il aurait dit, ce qu’il aurait pensé, et c’était bien pour cette raison qu’Anwar avait levé le voile sur une (minuscule) partie des dilemmes moraux avec lesquels il était actuellement aux prises. Et la sentence était sans appel : s’il s’obstinait il ne pourrait plus se cacher derrière Frank, parce que ce combat ne serait plus que le sien et celui de son égo. « Cette famille a déjà suffisamment perdu, Annie. » Il ne l’avait pas vu venir mais s’était laissé faire sans broncher lorsqu’elle avait fini par le prendre dans ses bras, sans qu’il ne sache si c’était ce contact qui lui avait serré la gorge ou le fait qu’à demi-mot, Norah lui donnait dans sa famille une place qu’il n’aurait jamais osé réclamer seul. Il avait toujours considéré Frank comme un frère, Anwar, mais sans jamais avoir la prétention de conclure que la chose soit réciproque. Et lorsque l’infirmière enfin avait murmuré « Prends pas de risques inutiles. Je voudrais pas qu'on te perde toi aussi pour ça. » il avait resserré à son tour ses bras autour d’elle et hoché la tête en silence, honteux d’en avoir déjà pris plus qu’il n’avait osé l’admettre, mais soucieux de croire qu’il lui était encore possible de faire machine arrière. « C’est d’accord. » Relâchant son étreinte, la gorge encore nouée et le regard humide, le brun avait pincé ses lèvres l’une contre l’autre comme s’il hésitait. « Mais ça veut pas dire que j’abandonne. » Il avait besoin de le dire, il avait besoin qu’elle le sache. « Je me fiche que ce soit ce que les autres pensent, je me fiche que ce soit ce que pensent tes frères, tes parents ou … Peu importe. Mais toi et les enfants j’ai besoin que vous le sachiez. Que je laisse pas tomber. » Qu’il ne le laissait pas tomber, lui. Qu’il y aurait toujours quelqu’un, tant qu’il vivrait, pour réclamer la justice que méritait le père, l’époux, l’ami, le frère. Frank.
|
| | | | | | | | (noranwar) letters from the sky |
|
| |