There's a lullaby for suffering And a paradox to blame But it's written in the scriptures And it's not some idle claim
Contre toutes ses prédictions, Clyde avait retrouvé le chemin du marché de Noël de la ville, en quête d’une nouvelle bouteille identique à celle que lui avait conseillée Nathanael. Après l’accident qui les avaient fauché, lui et Halsey, il n’avait pas eu à coeur d’attendre avant d’ouvrir la bouteille qu’il avait achetée exprès pour la jeune femme. Puisque la situation nécessitait qu’il se fasse pardonner pour cette chute qui n’était pas de son fait mais pour laquelle il se sentait responsable, il lui avait offert la bouteille qu’il gardait en principe pour une occasion ultérieure. Celle-ci avait remporté un tel succès qu’il souhaitait en acheter une nouvelle - ou deux, ou trois, ce qui n’était qu’un détail de l’histoire.
Alors qu’il déambulait dans les allées en direction du stand qui était, bien entendu, à l’autre bout du marché, son regard se perdit successivement sur tous les autres produits qu’il n’avait même pas daigné regarder lors de sa première visite. Noël n’était pas une période particulièrement festive à ses yeux - pour ne pas dire pas du tout - et il n’avait jamais été particulièrement concerné par l’envie d’acheter des babioles ça et là dans le simple but de se conformer à l’esprit festif du moment. Pourtant, depuis qu’il était sorti de l’hôpital - et ses bandages restants étaient là pour le lui rappeler - il avait été pris d’une étonnante volonté de profiter davantage de ce que la vie avait à lui offrir, ou plutôt, d’accorder davantage d’importance aux personnes chères à ses yeux. Dans ce cas-là, il s’agissait donc de faire plaisir à Halsey en ayant une attention supplémentaire à son égard, alors qu’ils avaient décidé de passer le réveillon de Noël ensemble - une nouveauté d’importance qu’aucun des deux n’avait pourtant trop commentée.
Arrivé à l’extrémité du marché, Clyde jeta un coup d'œil aux alentours avant de poser ses yeux sur le stand tant convoité. Ce ne fut qu’à cet instant-là qu’il aperçut un visage qui ne lui était pas inconnu - et pour cause, il l’avait vu passer plusieurs fois lors de son court séjour à l’hôpital. Compte tenu du fait qu’il ne portait pas de casque au moment de l’impact, une côte cassée assortie d’une légère commotion cérébrale étaient un prix bien bas à payer pour ce qui aurait rapidement pu chiffrer plus bien haut. Il s’en sortait donc relativement bien, mais Edward s’était rendu plusieurs fois à son chevet, en souvenir du bon vieux temps quelque peu oublié qu’ils avaient partagé durant leurs soirées étudiantes à Perth. Ces instant-là étaient bien lointains, et sans doute ne se connaissaient-ils plus désormais, mais leurs retrouvailles par inadvertance s'étaient déroulées avec une aisance étonnante. Clyde n’hésita donc pas avant de faire un signe de la main au brun, s’approchant de lui en boitillant toujours quelque peu - la faute aux hématomes qui parsemaient son corps. “Edward!” qu’il l’apostropha, pas certain que ce dernier l’ait repéré parmi la foule dense. “Alors comme ça tu me surveilles jusqu’ici?” Le brun plaisantait, faisant référence au regard noir que le médecin lui avait offert lorsqu’il avait appris que Clyde roulait sans casque. La seule et unique fois - et la mauvaise, bien évidemment.
Il est aisé de se lier d’amitié avec des gens qui nous ressemblent, d’autres jeunes adultes qui se construisent sans père, des gosses en mal d’affection d’avoir été élevés par une mère défaillante. Durant un temps, d’être attiré par ce genre de personnage, Edward s’est demandé s’il répondait à un schéma précis, un rassurant pour son coeur de ne plus être l’objet de sa propre honte d’être à son regard différent alors que mille gamins trempent dans une situation identique. Oui ! C’est facile de s’acoquiner avec les écorchés vifs, mais les entretenir, ces relations-là, relève de l’exploit. Et pour cause, qui aime se confronter à ses propres frustrations à travers le regard de l’autre ? Et, dans l’éventualité où l’on ne trouverait rien dans les pupilles de son semblable, n’est-on pas en droit de craindre d’y découvrir un reflet trop ressemblant à celui qui nous assomme dès le matin ? Est-ce lâche ou pendable qu’une fois la distance installée, on ne s’ébroue que le temps de quelques messages, une fois par mois ou par trimestre ? Le temps allant, la routine s’installant, on oublie généralement et Ed ne fait pas l’exception. Lui-même n’a pas réalisé à quelle vitesse les mois se sont écoulés depuis son retour sur Brisbane. Au contraire, n’aurait-il pas été confronté à un Clyde blessé dans un lit d’hôpital par le fruit du hasard, un hasard formel qui l’aura renvoyé vers ses erreurs, un hasard qui lui aura rappelé de bons souvenirs de Perth. Il s’est figuré ses soirées estudiantines au cours desquelles ils draguaient les filles, ensemble, jusqu’à ce que le premier rencontre Marsh et le second une inconnue à l’air revêche et aux yeux clairs. Comment s’appelaient-elles déjà ? Casey ? Kimberley ? Qu’importe de se triturer les méninges, le vieux pote va bien. Un matin, tandis que Rhodes prenait son service, Clyde était sorti non sans lui avoir adressé un message, un de ceux qui prétend : “on se recontacte. J’ai été ravi de te revoir.” Pour beaucoup, ça ressemble à des foutaises, à des politesses que l’on chante pour se donner bonne conscience. Mais, qu’à cela ne tienne, la vie d’Edward à l'hôpital a repris son cours plus ou moins normal. Il a enchaîné les gardes, il a retrouvé sa femme et son fils à la nuit tombée au tôt dans la matinée. Il s’est également promené sur le marché de Noël en quête de cadeaux pour l’ensemble dans sa famille, profitant d’être seul pour s’assurer le bonheur d’en surprendre les membres. S’attendait-il à tomber nez à nez avec Wakefield ? Pas le moins du monde. Brisbane est grande. C’est le genre de coïncidence auquelle Ed ne croirait pas dans un film mais qui lui arrache un sourire authentique : « Moi ? Te surveiller ? C’est bizarre, j’aurais plutôt prétendu le contraire.» a-t-il tenté pour renverser la vapeur d’un brin d’humour. « Même si ce n’est pas moi qui ai risqué ma vie par imprudence. Comment tu vas ? » Il lui épargna les sacro-saintes questions du genre : que fais-tu là ! Il n’y a pas mille activités possibles dans ce genre d’endroit. « Mais, ça me fait plaisir de te croiser ici. Alors ? Tu te remets ? » Quoique l’accident en lui-même n’ait pas été réputé grave ou engageant pour sa vie. « Tu boîtes encore d’après ce que j’ai vu. C’est douloureux ? »
Clyde était le genre de personnes à compter ses amis sur les doigts d’une main, ou de deux, selon la définition apportée à ce terme - et Edward n’en faisait pas partie. Les deux n’avaient jamais été proches au point de se confier leurs plus lourds secrets ou leurs peurs inavouables, et pourtant, il avait toujours subsisté entre les deux une compréhension et une entente silencieuses. La notion qu’ils avaient tous deux forgé des façades parées de sourires là où se cachait pourtant la tempête. Alors, quand bien même ils ne s’étaient pas donné de nouvelles depuis bien longtemps, Clyde n’avait pas hésité une seconde à faire signe à Ed, plutôt que de prétendre ne pas l’avoir vu et continuer à vaquer à ses occupations sans perdre de temps à se confondre en small talk. Après tant d’années sans réellement davantage de nouvelles qu’un message ça et là, c’était pourtant ce genre de discussions qui les attendait - à défaut que l’un d’eux prenne à un moment l’initiative de pousser à une discussion plus approfondie devant une bière ou ce genre de choses que partagent les connaissances.
Pourtant, Ed avait fait partie des médecins à prendre en charge le brun, accompagné d’Halsey, lors de leur arrivée à l’hôpital. Rien que pour cela, et compte tenu du fait que Clyde s’en sortirait sans aucune séquelle à terme, il ne pouvait que regarder son ancien comparse d’un bon œil, celui qui le considérait comme type doué dans son boulot - une qualité qui avait une valeur certaine à ses yeux. “Moi? Te surveiller? C’est bizarre, j’aurais plutôt prétendu le contraire.” Clyde lâcha un rire qui avait tout à voir avec le fait qu’il était en effet coupable de surveiller certaines personnes, même si le médecin n’en faisait pas partie. Néanmoins, à choisir, il aurait privilégié un endroit autre que le marché de Noël pour se lancer dans une filature qui avait toutes les chances d’échouer étant donné la foule compacte. “Même si ce n’est pas moi qui ai risqué ma vie par imprudence. Comment tu vas?” “Ça va mieux, mais ça me servira de leçon, crois-moi.” Dire qu’il avait pris ce risque pour céder aux demandes incessantes de la brune n’était quelque chose qui le rendait particulièrement fier, au contraire. “Mais, ça me fait plaisir de te croiser ici. Alors? Tu te remets? Tu boîtes encore d’après ce que j’ai vu. C’est douloureux?” “Encore quelques hématomes, mais rien de grave.” Le jour où Clyde se plaindrait à la mort n’était pas encore arrivé - à part devant Halsey, pour attirer un peu de compassion et d’attention, évidemment. “J’ai eu de la chance de tomber sur un médecin pas trop mauvais” qu’il rajouta avec un sourire narquois, ne laissant aucun doute quant au fait qu’il s’agissait là d’un compliment. “Alors comme ça tu ne passes pas ta vie à l’hôpital?” Les clichés avaient la vie dure, et l’idée de croiser Ed ailleurs que dans un couloir aseptisé l’étonnait encore, même s’il ne s’en plaignait pas - car à l’avenir, Clyde préférerait ne pas avoir à faire un autre aller-retour en ce lieu.
Il y a des mélodies qui nous renvoient des années en arrière, des chants comme celui d’un rire qui nous conduisent sur les sentiers de la nostalgie. Certains sont escarpés : ils nous obligent à affronter des échecs. D’autres, comme celui-ci, est plus agréable à emprunter pour Edward. Il ne regrette pas de s’être peu investi dans cette amitié avec Clyde. Marsh ne l’appréciait que peu. Elle considérait qu’il n’avait rien de bon à lui apporter et, en bon petit ami, Rhodes n’a pas cherché à discuter ou à creuser l’intuition de celle dont il était éperdument amoureux. Dès lors, il joint son éclat de rire à celui de son comparse parce qu’il lui fait du bien, parce qu’un instant durant, ce moment de franche camaraderie l’éloigne de ses tracas du quotidien. C’est tout aussi vrai dès lors qu’il s’inquiète de la santé de Clyde. En le reconnaissant sur le brancard lors de son admission aux urgences, Ed n’a pas réussi à se défaire de cette sensation que le hasard n’a pas fomenté ses trouvailles sans une idée précise derrière la tête. Ils doivent certainement avoir quelque chose à s’apporter aujourd’hui. La question est “quoi ?” et s’il lui est donné la chance de le découvrir, il ne se privera pas d’investiguer. « Tu m’étonnes. Surtout que tu n’étais pas tout seul. Comment va ta copine ?» Nul doute que celle qui l’accompagnait partage sa vie. Ed en aurait mis sa main au feu. D’après lui, il ne prend pas beaucoup de risque en formulant cette allégation. « Ouais. C’est l’histoire de quelques jours. Si ça persiste, fais pas ta tête de mule, reviens me voir à l’hôpital, je regarderai parce que ouais, j’y passe le plus clair de mon temps. Je suis de garde là d’ailleurs. Mon téléphone est bien au chaud dans ma poche, allumé et je suis aux aguets pour ne rien te cacher. Mais, il me fallait quelques cadeaux de Noël… et j’avais aussi besoin d’air.» Quitter l’ambiance peu engageante chez lui ne pourrait pas lui faire de tort, que du contraire. Il n’en peut plus des regards chargés de reproches que lui lancent Marsh. « Et toi ? Qu’est-ce que tu fous là au lieu de te reposer ? Cadeaux pour toi aussi ? » Pour qui ? Pour sa dulcinée ? Pour ses parents ? Ils se sont fréquentés durant des années et force est d’admettre qu’il ne sait rien de Wakefiel, rien d’autres que des futilités. « ça fait longtemps que tu as quitté Perth ? » Déjà, presque naturellement, Edward fait un pas en avant dans tous les sens du terme : un vers une échoppe et un autre vers Clyde, un qui suggère que rien ne les empêche de faire leurs emplettes ensemble.
Edward avait été aux premières loges de leur accident, et si Clyde était reconnaissant d’avoir pu poser son regard sur un visage connu lorsqu’il avait enfin émergé des ténèbres dans lequel le choc l’avait plongé, cela amenait son lot de questions qu’il préférait habituellement éviter. “Tu m’étonnes. Surtout que tu n’étais pas tout seul. Comment va ta copine?” Cette question-ci, en particulier. Devant de sombres inconnus, le brun aurait confirmé ou nié sans hésitation, ne voulant pas prendre la peine de se justifier envers quelqu’un qu’il ne reverrait pas - mais devant Ed, la situation était quelque peu différente. Ce dernier ne lui avait jamais connu de relation réellement sérieuse, là où le médecin était lui davantage du genre à s’engager. Alors, si Clyde pouvait comprendre sa curiosité concernant la brune qui l’accompagnait, il ne put retenir un raté accompagné d’un haussement de sourcils lorsque la question lui parvint. “Ma cop…” Ce n’était pas sa copine - mais se justifier ainsi reviendrait à devoir la qualifier autrement, chose qui était loin d’être aisée. Qu’étaient-ils, au juste? Possédaient-ils l’un ou l’autre une définition capable d’englober la relation qui les liait? “Elle va mieux.” Sans qu’il ne puisse expliquer comment, le fait de parler ainsi d’Halsey devait quelqu’un qu’il estimait ne le laissait pas indifférent. “Je lui avais filé mon casque donc elle a moins pris.” Et c’était sans nul doute ce qui l’avait sauvé, là où lui s’en était tiré à plus mauvais compte.
Néanmoins, Clyde n’était pas là pour s’étendre sur le cas de la demoiselle, mais plutôt parce qu’il était agréablement surpris de croiser le médecin qu’ailleurs dans les couloirs de l’hôpital - qu’il l’avait vu traverser de nombreuses fois durant les deux jours où il était resté cloué entre quatre murs blancs. “Ouais. C’est l’histoire de quelques jours. Si ça persiste, fais pas ta tête de mule, reviens me voir à l’hôpital, je regarderai parce que ouais, j’y passe le plus clair de mon temps. Je suis de garde là d’ailleurs. Mon téléphone est bien au chaud dans ma poche, allumé et je suis aux aguets pour ne rien te cacher. Mais, il me fallait quelques cadeaux de Noël… et j’avais aussi besoin d’air.” Un sourire étira les lèvres de Clyde, qui n’était pas réellement étonné de savoir que le travail de n’arrêtait jamais pour Ed - et il s’agissait là bien de la seule chose qui ne semblait pas avoir changé depuis leurs années d’étude. “Des cadeaux pour Marsh?” Aux dernières nouvelles, la brune était toujours dans la vie du médecin, mais Clyde se garda bien de relever ses derniers mots, car la question de savoir s’il avait besoin d’air à cause d’elle serait quelque peu abrupte pour des retrouvailles. Le courant entre Marsh et Clyde n’était jamais réellement passé, sans qu’il ne l’explique pourtant, car si la brune ne lui inspirait aucune sympathie, il la trouvait néanmoins tout à fait respectable. “Et toi? Qu’est-ce que tu fous là au lieu de te reposer? Cadeaux pour toi aussi?” Le médecin en lui n’était jamais très loin, et Clyde leva légèrement les mains comme pour s’innocenter face à son mauvais comportement. “Je venais juste reprendre quelques bouteilles là” qu’il lâcha en désignant le stand de vins à quelques mètres d’eux. “Si tu cherches du vin, je te le conseille.” Inutile de préciser qu’il était toujours aussi peu calé niveau boisson, mais qu’il avait lui-même eu de l’aide pour faire son choix la première fois. “Ça fait longtemps que tu as quitté Perth?” Clyde fit quelques pas avec Edward, en direction du fameux stand qu’il venait de lui indiquer. “Pas vraiment, je suis arrivé en mars. J'ai trouvé un poste chez ABC.” Nous sommes arrivés en mars aurait été plus précis, mais les deux hommes n’avaient pas encore entamé la pente des confessions. “Et toi, t’es dans la dernière ligne droite? Quand est-ce que je pourrais t’appeler docteur pour de bon?”
Aurait-il été plus curieux qu’Edward ne se serait pas contenté de relever mentalement l’hsitation de Clude à l’évocation de sa compagne de galère. Il aurait souri avec un soupçon de mesquinerie pour mieux questionner son acolyte d’hier. Sauf qu’ils n’en sont pas là, le vieux pote et le médecin. Ils n’en sont pas au stade des confidences au milieu d’un marché. Bien sûr, toutes remarques auraient été gentillettes, mais Ed s’abstient. Il réinvestit plutôt son rôle de médecin et se réjouit d’apprendre que la dénommée Halsey s’en est bien tirée. Il applaudit aussi la galanterie de Clyde puisqu’elle aura sauvé les meubles et n’ajoute pas qu’il regrette le caractère dangereux de la démarche. L’oncologue est mal placé pour faire la leçon. Lui-même, il aime le risque. Toutefois, il le mesure, l’évalue et jamais il ne l’aggrave par imprudence. Jamais. Mais, n’est-ce pas plus facile pour lui maintenant qu’un petit bonhomme dépend de lui ? Ô grand jamais il ne voudrait le propulser dans un processus de deuil avec autant de violence. Il ne sait que trop bien les conséquences sur un bambin. Mais, Clyde, pour qui apprendrait-il la précaution ? A-t-il seulement quelqu’un en qui il tient plus qu’à lui-même ? Quelqu’un pour lui enseigner la générosité ? Dans le doute et conscience que la bienveillance se borne à des frontières minces - il suffit d’un pas pour verser dans l’indélicatesse - il entretient la conversation à l’aide de futilités : son boulot, sa garde et les cadeaux de Noël. Ce sont des sujets badins. Il s’y engouffre donc sans craindre de commettre une quelconque bévue. « Oui ! Pour Marsh et pour mon fils, parce que oui, j’ai un fils….» a-t-il précisé avec fierté. Peu de chance pour que la rumeur de sa paternité ait traversé l’Australie de Melbourne à Perth. Il y connaissait peu de monde… il est donc convaincu de l’effet de surprise et déjà il se résigne à ne surtout pas jouer les pères en dégainant son appareil photo. Ce n’est pas l’apanage des femmes. Seuls les sexistes imaginent cette manie comme une fatalité du sexe dit faible. « Et, pour répondre à ta question, tu pourrais déjà. J’ai entamé ma spécialisation, même si je ne suis plus tout à fait convaincu par mon choix. Et, toi, tu fais quoi chez ABC ?» Autrement dit, de quelle rubrique a-t-il la charge ? Politique ? Chien écrasé ? Et tandis qu’il discute de tout et surtout de rien, il le sent son téléphone vibrer dans sa poche. Il pressent l’urgence, le docteur. Il fait néanmoins erreur. C’est Marsh. Marsh qu’il n’a ni envie d’entendre ni de retrouver ce soir.
Les deux hommes ne s’étaient vus depuis bien longtemps, et pourtant, Clyde retrouvait en Ed celui avec qui il avait partagé de nombreuses soirées et tout autant de conversations et de verres lorsqu’ils étaient encore en âge de l’assumer le lendemain. Leurs vies avaient pris des chemins différents et s’étaient complexifiées, mais le hasard les avait réuni dans ce que Clyde espérait ne pas être la dernière fois, puisqu’ils semblaient tous deux bien établis à Brisbane désormais. “Oui! Pour Marsh et pour mon fils, parce que oui, j’ai un fils…” Cette information-là, en revanche, Clyde ne l’avait pas vu venir et ne put s’empêcher d’ouvrir des yeux agrandis par la surprise alors que ses sourcils se haussaient également. Il était étonné, et pourtant, il aurait été quelque peu hypocrite de songer que la brun l’aurait tenu au courant d’une telle nouvelle alors qu’ils avaient tout simplement perdu contact. Personne n’était réellement à blâmer, mais Clyde prenait cette rencontre impromptue pour un signe lui rappelant que fut un certain temps, il considérait Ed comme quelqu’un faisait partie de son quotidien. Il était difficile d’estimer si cela serait possible à nouveau, néanmoins, il était désormais curieux d’en savoir plus sur les méandres de sa vie qui l’avaient propulsé jusque dans sa situation actuelle. “Et bien, félicitations!” Simple, efficace, mais attendu, n’est-ce pas? “Je crois que c’est ça qu’il faut dire.” Il se laissa aller à un petit rire, ne remettant en aucun cas en cause le rôle de père du médecin, qui, s’il avait suffisamment de souvenirs de Clyde, aurait dû se rappeler que la paternité ne faisait pas réellement partie de ses objectifs de vie. Ni à l’époque, ni aujourd’hui, d’ailleurs - la faute à une enfance tout sauf équilibrée qui avait laissé son lot de traces. “Et, pour répondre à ta question, tu pourrais déjà. J’ai entamé ma spécialisation, même si je ne suis plus tout à fait convaincu par mon choix. Et, toi, tu fais quoi chez ABC?” “Plus tout à fait convaincu?” La question était double: quelle était sa spécialisation, ou plutôt vers laquelle tendait-il en regrettant de ne pas s’y être dirigé? A cet instant, le téléphone d’Edward vibra et Clyde vit son ancien ami le sortir pour y jeter un coup d'œil, au moment-même où il lui répondait. “J’ai continué dans le journalisme, je fais de l’investigation.” Un mot qui en couvrait beaucoup d’autres et laissait planer une sorte de mystère sur les missions auxquelles il s’adonnait réellement. Pourtant, la situation ne semblait être idéale pour pousser la conversation, alors que Clyde ne comptait passer qu’en coup de vent et qu’Edward semblait attendu ailleurs. “Prends l’appel, je passais juste rapidement je dois filer.” Une demi-seconde plus tard, ses pas le portaient déjà vers le stand de vins. “Ça m'a fait plaisir de te recroiser. On s’appelle?” Du moins, il l’espérait sincèrement.