« Ring, riing ». J’ouvre les yeux à moitié, avant d’assommer mon réveille-matin d’une force surprenante pour une carrure pourtant si peu imposante. Quel jour sommes-nous? Ah oui, samedi. Pourquoi mon cadran sonne-t-il en plein week-end? Bonne question. J’ai sans doute oublié de l’éteindre la veille. Je ferme les yeux un instant, essayant de me rendormir, en vain. Frustrée, je me lève dans un élan furibond avant d’attraper les premiers vêtements qui me tombent sous la main. Un jean et un chemisier simple, parfait. Je regarde mon cadran qui se tient piteusement sur le coin de la table de chevet, abîmé par mes fracas répétitifs de tous les matins. 7h30. Eh bien, que voulez-vous. Soit.
Je m’empare de mon carnet de dessin et de quelques pastels, avant de me diriger vers l’extérieur de mon appartement dans le fortitude valley. Je manque d’attraper une veste au passage, avant de m’aviser. C’est vrai. Ici, les saisons sont inversées. Nous sommes en plein mois de décembre, et pourtant la température s’avoisine autour des 20 degrés. Pour moi qui vient d’Italie, bien que nous ne soyons pas habitués à des températures très froides en hiver, c’est un détail de Brisbane auquel j’ai du mal à m’habituer. La journée s’annonce chaude et ensoleillée, j’en profite donc pour prendre une longue marche jusqu’au parc de logan city, l’Oates Park. Bien que ce quartier soit situé à l’opposé de la ville, il y règne une ambiance détendue qui fait changement du fortitude valley dans lequel j’habite, district reconnu pour être relativement bruyant. Durant mes jours de congé, j’apprécie beaucoup m’y rendre en compagnie de mon carnet de dessin ou d'une toile afin de profiter d’un moment de détente et de me consacrer à l’un de mes passe-temps favoris, l’art. La proximité de la nature m’inspire et surtout, me calme. Ce qui me connaissant, ne fait certainement pas de tord.
Une fois arrivée sur place, j’observe rapidement les alentours afin d’y dénicher l’endroit le plus confortable à l’abris des regards. Bien que je sois une personne sociable, j’apprécie de pouvoir profiter de certains moments de solitude, rarement certes, afin de me consacrer à mes dessins. Le parc est joliment décoré et bien entretenu. Au centre s’y tient une haute fontaine centrale, où y sont regroupé quelques groupes de personnes. Bien qu’habitant à Brisbane depuis un peu plus d’un an maintenant, je ne me suis pas encore tout à fait habituée à la langue de l'endroit et surtout, à l'accent australien et certains de leurs mots m’échappent. Quelques bancs parsèment l’étendu du parc alors que l’on peut y trouver ce qui semble être de petits jardins communautaires dispersés aux quatre coins de l’endroit. Je remarque alors l’un de ces magnifiques arbres japonais aux feuilles rosées, qui se tient fièrement près du centre du parc. Probablement un cerisier. L’ombre qu’il dégage serait parfait pour me protéger du soleil plongeant en cette journée chaude d’été. Je m’y dirige donc en sautillant de mon habituel pas folâtre, avant de me poser au pied de son tronc. L’air est frais, l’on peut y entendre le chant joyeux des oiseaux. Je prends une grande inspiration, un sourire léger collé sur les lèvres et profitant de l’instant présent, avant d’ouvrir mon carnet de dessin et de sortir quelques pastels. Je regarde alors furtivement les alentours, à la recherche d’inspiration.
Qu’est-ce qui guiderait mon croquis, aujourd’hui?
Spoiler:
Prends tout ton temps pour répondre, je suis vraiment pas pressée
Dernière édition par Freya Lodovico le Jeu 31 Déc - 19:32, édité 3 fois
Tu es du genre à te poser de nombreuses questions existentielles. Toutes plus inutiles les unes que les autres. Ton esprit loufoque a le don de se questionner sur le monde qui l’entoure. Tu te demandes d’ailleurs lequel des deux est le plus perché. C’est un peu comme l’histoire de l’œuf et de la poule. Tu trouves des arguments pour chaque possibilité sans réussir à trancher. Si tu écoutes les autres, c’est clairement toi. Tout cela parce que la teinte de tes cheveux sort des sentiers battus. Tu n’es pas d’accord. Oui, tu aimes les couleurs flashy, surtout le rose, et alors ? Tu restes une femme avant tout. Femme en quête d’une décision importantissime pour le déroulement de ta journée. Sortie de ta salle de bain, tu es en sous-vêtements, debout devant ta penderie. Tu reluques une à une tes robes afin de dénicher l’heureuse élue que tu porteras aujourd’hui. Malgré la présence de trois dizaines de prétendantes, aucune ne te séduit réellement. Après une demi-heure, tu as réussi à en sélectionner deux. Il te faut encore dix minutes pour décider de celle qui aura l’honneur de caresser ta peau en ce jour ensoleillé. Tu as choisi une tes créations. Une robe sans manche terminant sa chute au-dessus de tes genoux à la coloration similaire à celle qui trône sur ta tête. Tu la revêts délicatement avant de t’admirer dans le miroir de ton armoire. Tu replaces une mèche rebelle derrière ton oreille. Te voilà prête à affronter le monde l’extérieur.
Tu enfiles ta paire de spartiates basses blanches. Tu glisses ton carnet et un crayon de papier dans ton sac à main. Tu penses même à y fourrer ton portable. S’il pleut demain, tu sauras pourquoi. Ta carcasse emmitouflée de rose pousse la porte de ton domicile. Tu saisis ton parapluie avant de partir. Le ciel n’est pourtant nullement menaçant. Un brillant soleil estival y brille. Tu ressens la douce chaleur de ses rayons frapper ta peau de porcelaine. Tu n’es pas non plus un sucre craignant de fondre sous les températures estivales malgré ton apparence de bonbon. Tu ne crains jamais la météo. Tu la défies même chaque jour en revêtant tes robes colorées. Parfois elle te rappelle à ta condition de simple humaine et te trempe de toute part. Tu ne lui en veux jamais. Au contraire, tu aimes t’amuser à sauter dans les flaques formées et te salir. Tu as gardé un morceau de ton âme d’enfant. Chose que peu de personnes ont fait, malheureusement. Tu prends la direction de l’Oates park. Tu ne t’y rends pas dans l’optique de profiter des jeux d’enfants. Pas aujourd’hui en tous cas. Enfin, tu t’autoriseras peut-être un peu de balançoire avant de quitter les lieux. Tout dépendra de leur disponibilité. Bien que grande enfant, tu laisses la place aux véritables enfants en priorité. Tu n’es pas un monstre. Tu t’y rends pour stimuler ta fibre dessinatrice. En ce samedi, l’endroit va être bondé. Tu vas pouvoir y croiser une multitude de silhouettes inspirantes. Du moins, tu l’espères.
Tu arrives sur place, contente de t’être souvenue du chemin du premier coup. Tu vas pouvoir faire une deuxième croix sur le calendrier. Tes pas foulent tendrement les allées. Tu te diriges vers le centre du parc, là où tu as tes habitudes. Tu constates que ton banc est libre. Tu t’y assois. Tu sors ton bloc-notes de sa cage de cuir. Tu le poses sur tes genoux. Tu ouvres ton parapluie de ta main gauche. La toile rosée aux imprimés licornes t’offre de l’ombre. Tu avais anticipé ce fait. Merci l’expérience de l’aveuglement. Crayon dans ta main droite, tu observes ensuite ton environnement. Les promeneur.euse.s actionnent tes doigts. La page blanche se noircit progressivement. Tu ne regardes pas ce que tu fais. Tu continues de fixer cette demoiselle promenant son chien jusqu’à ce qu’elle quitte ton champ de vision. Tu effectues ce manège sur trois autres femmes jusqu’à ce que ton regard l’aperçoive. Jusqu’à ce qu’il aperçoive ce petit bout de femme à la crinière cuivrée installée au pied de cet arbre. Les rayons du soleil illuminent sa toison. Tu lui souris ne sachant pas si elle te voit baignée par cette lumière astrale. Tu la fixes pendant que tu reprends tes coups de crayons. Elle vient de devenir ta source d’inspiration. Tu n’as plus d’yeux que pour elle. Artistiquement parlant, bien sûr.
Mon regard balaie le parc d'un œil furtif. Serpentant agilement à travers le parc d'un pas de course lent mais soutenu, une femme vêtue de vêtements sportifs, probablement en train de faire son sport matinal. Un peu plus loin, près de la fontaine dans laquelle l'eau semble bouillonner dans un clapotis aquatique incessant, un jeune couple assis à quelques centimètres seulement l'un de l'autre sur une toile à piquenique, s'enlaçant presque. Ils ne semblaient pas parler, se regardant simplement dans les yeux d'un regard insistant. Pris d'une vague de malaise, j'étouffe un fou rire. Non, toujours pas. Je continue de regarder aux alentours, à la recherche d'inspiration. À la recherche d'une figure qui m'inspirerait suffisamment pour devenir le sujet principal de mon croquis. J'avais pris soin d'apporter avec moi plusieurs pastels, mais l'humeur du moment m'avait fait emmener avec moi des couleurs principalement festives; du bleu clair, rose vif, un jaune chauffant par son intensité. J'avais envie de couleurs, d'un brin de fraîcheur. Que ce soit un oiseau ou encore un enfant jouant dans les arcades, peu importe. J'ai envie de dessiner quelque chose de vivant.
En ce samedi matin, le parc est bondé. Pourtant, rien de ce que je vois ne m'inspire ces couleurs festives que j'ai apportées avec moi. Tout à coup, je perçois un rayon de couleur rose vif. Cet arc-en-ciel de couleur rose me submerge, comme un jet de couleur sorti de nul part me claquant de plein fouet. Je cligne des yeux. En regardant de plus près, j'y vois une silhouette qui semble fine assise sur un banc, à une dizaine de mètres de là où je me tiens. Je la regarde sans la voir. Ce qui m'intéresse chez elle, pour l'instant, ce sont ses couleurs. Ses couleurs vives m'inspirent, et je sors mes pastels. Parmi toutes ces personnes se trouvant dans le parc, elle ressemble à un éclair de couleurs, et toute cette vie me fait instantanément sentir plus vivante, et m'inspire. Mes mains s'activent. Les traits sont courts, succins, précis. Je commence par tracer les traits de sa silhouette, puis de sa crinière d'un rose flamboyant. Il y a tant de couleurs! Puis je commence à dessiner les traits de son visage, et.. c'est à ce moment que je la vois vraiment. Elle me regarde. Malgré le soleil qui plombe étonnement fort en cette matinée et aveugle l'ensemble du parc, le cerisier sous lequel je me suis posée me couvre de son ombre rassurante, et je la perçois très clairement. Elle me regarde, j'en suis sûre. Moi qui suis posée depuis tout ce temps, à dessiner son portrait sans vraiment la regarder, je me demande depuis combien de temps me regarde-t-elle. Tout à coup, je perçois un sourire dessiner ses lèvres. Je n'en suis pas certaine cependant, dû à la bonne distance qui nous sépare. Mais c'est certain, il n'y a plus aucun doute, c'est bien moi qu'elle regarde. Je suis pris d'une vague d'émotion que je ne sais pas contrôler. Comme si j'étais pris en flagrant délit, à dessiner une inconnue dans un parc. Tout à coup, je panique. Je ne le montre pas mais à l'intérieur de moi, je m'affole. Depuis combien de temps me regarde-t-elle? A-t-elle deviné que j'étais en train de la dessiner, suis-je en train de la gêner? Je repose mes yeux sur mon croquis, le cœur batifolant. Au total, j'ai du la regarder quelques minutes seulement. Non, je panique pour rien. Tout cela est dans ma tête. Je retourne à mon dessin, la regardant toujours du coin de l'œil mais cette fois plus furtivement.
Quelques minutes passent, puis je me risque à retenter un rapide coup d'œil pour la regarder plus en détail. Elle me regarde toujours. Combien de temps ce jeu va-t-il durer? Cette fois, c'est décidé. Je range mes pastels dans leur sac, et remet le tout dans mon sac à main. Puis, je me redresse agilement et me dirige d'un pas décidé vers la demoiselle à la crinière rose. Je ne la connais pas et ne l'ai jamais vu auparavant mais, cela va bientôt changer. La dizaine de mètres nous séparant s'amenuise peu à peu et ses traits semblent se préciser davantage à mesure que je me rapproche. En quelques secondes seulement, je me retrouve devant elle. Je suis sur le point de m'arrêter lorsque, tout à coup, j'heurte une roche qui s'était dissimulée sur le sol avec mon pied parfois malhabile.
LE DESTIN
l'omniscient
ÂGE : des milliers d'années, mais je suis bien conservé. STATUT : marié au hasard. MÉTIER : occupé à pimenter vos vies, et à vous rendre fous (a). LOGEMENT : je vis constamment avec vous, dans vos têtes, dans vos esprits, et j'interviens de partout, dans vos relations, dans vos joies, vos peines. POSTS : 31459 POINTS : 350
TW IN RP : nc PETIT PLUS : personne ne sera épargné, c'est promis les chéris.AVATAR : je suis tout le monde. CRÉDITS : harley (avatar), in-love-with-movies (gif) DC : nc PSEUDO : le destin. INSCRIT LE : 15/12/2014
La rousseur. Une teinte si rare, si belle, si hypnotisante. Elle t’a toujours fascinée. De plus loin que tu te souviennes, tu as toujours eu un attrait pour cette couleur. Tu as longuement hésité au moment de ta renaissance à l’adopter dans ta chevelure. Tu te l’es refusée pour respect envers les véritables rousses naturelles. La rareté doit le rester au détriment de ta satisfaction personnelle. Elle n’en est que meilleure lorsque tu croises une femme l’arborant sur son crâne. Davantage quand cette femme la magnifie par la douceur de son visage. Celui de ton inspiration te semble l’être malgré la distance. L’observant, tu détailles de ton regard les traits de son faciès. Ton attitude peut paraître suspecte. Tu scrutes tant que tu as de quoi être prise pour une folle. Tu tentes bien de t’en défaire. Il en serait préférable pour réaliser ton croquis. Tu es trop captivée. Elle t’a emprisonnée dans sa beauté. De toute façon, tu n’as pas besoin de voir ce que tu fais. Tes doigts connaissent le chemin de ton carnet à la perfection. Au pire, ils déborderont et crayonneront sur ta robe. Ce ne serait pas la première que tu te tâches de la sorte. Dessin ou coloriage, tu n’as jamais brillé pour le respect des détours imposés. Enfant, tu dépassais déjà des limites. La table basse du salon de tes parents en a régulièrement fait les frais. Des coups de feutres ont souvent embellis (salis) son revêtement boisé.
Tu poursuis tes gestes. Ils sont guidés par ta vue et surtout ton cœur. Tu as retenu le plus important. Le Renard a raison. Les yeux peuvent se tromper, croire en une illusion, être aveugles. Ils peuvent également tromper, créer une illusion, aveugler. Les tiens expriment ta joie de vivre. Ton franc sourire radieux les accompagne. Ton crayon glisse sur ta feuille. La tendre mélodie de la mine grattant le papier parvient à tes oreilles. Une tenue prend forme. Du moins tu le devines. Tu ne réalises nullement son portait. Tu imagines plutôt une robe pour mettre en valeur ses courbes. Le temps défile. Tu ne saurais dire combien en termes de minutes. Par contre, tu sais le définir en termes de rire enfantins entendus. Tu finis par rompre ta fixation pour te concentrer un instant sur ton esquisse. La découverte te fait sourire. Guidée par sa simple aura, tu t’en es plutôt pas mal sortie. Il y a encore du travail à faire tout de même. Tu peaufines le croquis grossier. Tu l’affines de mouvements précis. Dans ta bulle, tu ignores que ton inspiration vient de bouger. Tu ne distingues pas ses pas et son approche de ta position. Tu ne te rends compte de tout cela trop tard. Lorsque tes prunelles se relèvent de ton carnet pour se réimprégner d’elle. Ils l’aperçoivent devant toi. Surprise, ton premier réflexe consiste à lâcher ton parapluie et redresser ton cahier. Si tu n’as pas honte de t’être servie d’elle pour t’inspirer, elle n’est pas forcément ravie de ton initiative.
L’étonnement passé, tu ramasses ton ombrelle au sol. Tes lèvres s’écartent de nouveau. De si près, tu distingues une charmante particularité de son visage. Il est parsemé d’étoiles orangées, de paillettes rousses la rendant plus rayonnante encore. « L’ombre du cerisier t’a lâchement abandonnée. Tu veux que je te partage la mienne ? », lui demandes-tu souriante. Le soleil a tourné depuis ton arrivée. Si sa place était adéquate, illuminée par de légers rayons, elle est désormais totalement baignée dans la lumière astrale. Tu remets ton parapluie en position au-dessus de ta tête. Tu conserves ton bloc-notes sur tes genoux, recto contre ta peau, empêchant toute vue sur ce qu’il contient. Tu te doutes qu’elle se doute de son contenu. Elle t’a remarqué la reluquer. Ce n’est pas comme si tu avais été discrète. Tu n’as pas cherché à l’être non plus. « Tu peux t’assoir, je promets de ne pas te manger. » Ton rire cristallin résonne dans l’atmosphère. Tu tapotes la partie du banc sur ta droite de ta paume. Tu l’invites à s’y installer. Libre à elle de le faire où de rester debout bien qu’elle ne grandira plus à son âge. Quoi que tu n’en es pas si certaine. Ses airs angéliques trahissent une jeunesse. Tu es peut-être dans l’erreur. Les apparences sont souvent trompeuses. Tu en reviens aux paroles du Renard. Sa décision prise, tes iris fixent son sac. Sans son carnet visible, tu supposes qu’il s’y trouve. « Tu dessinais quoi ? Je peux voir ? », la questionnes-tu d’une voix fluette chantonnante. Tu as très bien vu son manège et le ballet de ses doigts griffonner. « Si tu me montres, je te montrerai aussi. », lui annonces toutes dents dehors. Tu tentes de titiller sa propre curiosité. Tu négocies telle une petite fille. A croire que tu as encore dix ans. Ce qui n’est pas loin de la vérité concernant ton âge mental. Tu t’en donnerais même neuf. Deux chiffres, ça fait trop peur.
Je parviens à me rattraper rapidement, ayant évité le pire. Je me redresse, espérant que l’inconnue en face de moi n’ait pas remarqué mon malaise. Heureusement, ses yeux sont toujours fixés sur son carnet et elle ne semble même pas avoir remarqué ma présence. Je vois ses doigts fins s’activer sur le papier, et elle semble concentrée sur sa tâche. De ma position, je ne peux voir de quoi il s’agit, devinant seulement qu’il s’agit d’un dessin. Je vais dire quelque chose, lorsqu’elle lève les yeux tout à coup. C’est drôle, je pourrais presque jurer que son regard se pose sur le cerisier où je me tenais quelques instants plus tôt. Une coïncidence? Aussitôt son regard posé sur moi, elle relève son cahier, comme dans un geste instinctif. Ce mouvement de retrait n’a que pour seul effet de piquer ma curiosité. De quoi s’agissait-il pour qu’elle tente ainsi de cacher son dessin? Un sourire malicieux se dessine sur mes lèvres, et la curiosité me gagne. Je la vois se pencher pour ramasser son parapluie tombé au sol, les rayons du soleil laissant découvrir sa crinière plus rose qu’elle ne semblait l’être lorsque je me tenais sous le cerisier et elle, sous son parapluie.
Malgré le soleil qui m’aveugle à moitié, je remarque ses traits juvéniles, incertaine cependant s’il s’agit vraiment d’une caractéristique ou si c’est plutôt ses habits si colorés qui trahissent un air de jeunesse. Quoi qu’il en soit, je vois une certaine part de moi en elle et je ne peux m’empêcher de me demander si elle a gardé une part de son âme d’enfant en elle, tout comme moi. « L’ombre du cerisier t’a lâchement abandonnée. Tu veux que je te partage la mienne ? », un sourire accueillant se dessine sur ses lèvres, et je ne peux m’empêcher de lui sourire naïvement en retour. Je remarque néanmoins son carnet posé recto sur ses genoux, comme si elle tentait d’en cacher le contenu. Je ne peux m’empêcher de me demander ce qu’elle peut chercher à cacher ainsi. « Tu peux t’asseoir, je promets de ne pas te manger. » s’exclame-t-elle avant de rire d’un ton joyeux. « Coucou. Oui, je veux bien m’asseoir, si tu le veux bien. », je suis moi-même surprise de ma politesse, moi qui suis d’un naturel pourtant à manquer de tact. Ses yeux semblent fixer mon sac, et je devine qu’elle m’a aperçu la dévisager tout à l’heure. Moi qui suis tout sauf d’un naturel gêné, je ne peux me retenir de penser qu’elle se doute probablement de ce qu’il s’y trouve. Je me dandine nerveusement devant elle, tout d’un coup incertaine. Si elle voyait l’esquisse qui se trouve dans mon cahier, elle se reconnaîtrait certainement. Comme si elle avait lu dans mes pensées, elle s’exclame alors; « Tu dessinais quoi ? Je peux voir ? Si tu me montres, je te montrerai aussi. » sa voix est douce et chantonnante, son sourire avenant. Je me calme aussitôt et lui sourit à mon tour. Et puis, est-ce vraiment si grave si elle découvre qu’elle était la source de mon œuvre? Au mieux flatteur, au pire.. un peu gênant. « Pas grand-chose. » je ris légèrement, consciente que je ne sais pas bien mentir.
Je prends mon sac dans mes mains, un sourire espiègle sur les lèvres, et m’apprêtant à m’asseoir auprès de l’inconnue couleur saumon. Tout en m’asseyant, « En fait tu vois, c’est que.. » tout d’un coup, mon sac ouvert tombe au sol, et il s’éventre là, devant mes yeux horrifiés, son contenu s’éparpillant partout au sol. Devant mes yeux horrifiés, car mon carnet de dessin s’ouvre au passage la tête vers le ciel, ouvert comme par coïncidence sur la page exacte du dessin que je venais de faire de la dame en rose. Comme quoi, il ne faut pas mentir. Je m’assois lourdement sur le banc, regardant un moment mes choses partout au sol, trop gênée pour ne serait-ce que ramasser mes choses et surtout, fermer mon cahier qu’elle a certainement déjà vu grâce aux couleurs extraverties – le rose ne passe pas vraiment inaperçu. Je me tourne vers mon interlocutrice, l’air béant, avant d’éclater de rire. « C’est qu’en fait, je dessinais et tu étais là, donc... en fait, je te dessinais toi. » je me sens rougir légèrement, ne sachant même pas trop pourquoi, tout en surveillant sa réaction. Serait-elle gênée, ou flattée?
Ton carnet est une sorte de journal intime. A travers tes dessins, tu exprimes ton état d’esprit du moment. Il contient tes joies la plupart du temps et parfois tes peines. La plupart des gens n’y voient que des croquis de tenues. Toi, tu sais exactement ce que raconte chacune de tes esquisses. Comme tout journal intime, il est personnel. Tu le montres rarement aux autres. Il faut entrouvrir les portes de ton cœur pour y avoir accès. Malgré ton appréciation de la rousseur, cette fille ne l’a pas fait. Du moins, elle ne l’avait pas encore fait. Depuis qu’elle t’a souris, elle a gagné le droit d’entrer dans ton monde. Son sourire solaire a déverrouillé la porte. Ta serrure n’est pas compliquée à ouvrir. Sourire est facile. Et à la fois difficile. Tant de monde ne sourit plus à la vie, trop préoccupé par leur travail, leur vie de famille, leurs soucis. Alors que sourire est la solution à la plupart des problèmes du quotidien. Sourire devrait être obligatoire. Sourire lui a fait oublier sa mésaventure du cerisier. Sourire l’a mise en confiance. Tu te décales du banc, délaissant son centre pour son côté gauche, libérant ainsi de la place pour son fessier.
Sourire à tant de pouvoir. Il n’accompagne pas ta demande par hasard. Sans, elle aurait probablement refusé. Avec, tu n’as pas la garantie d’obtenir gain de cause mais tu augmentes grandement tes chances. Sa modestie est palpable. Pas grand-chose cache potentiellement une œuvre d’art. La relativité dans ce domaine est courante. Toi aussi tu ne faisais « pas grand-chose » en taguant les murs de ta chambre. Pour ta mère, tu étais la plus grande artiste du monde, la réincarnation de Picasso. En toute subjectivité bien sûr. Elle n’avait d’yeux que pour sa princesse. Avec du recul, tu as conscience de n’avoir réellement pas fait grand-chose. Hormis agacer ton père qui te grondait de sa voix grave. « Moi non plus. Mais à deux pas grand-chose, nous avons peut-être une grande chose. », que tu lui répliques toutes dents dehors. Tu ignores ce qu’elle a dessiné. De ton côté, tu as une robe. Si elle a réalisé une silhouette, vous vous compléterai. Tu ne vas pas tarder à être fixée. Elle s’apprête à sortir son bloc-notes. Tu es excitée de découvrir ce qu’il contient. Tu lèves ton parapluie, lui offrant l’ombre promise. Et tu fixes son sac, pressée de la voir extraire son propre journal intime.
Et là, patatras. L’accident. L’étourderie. Son cabas tombe au sol et déverse son contenu sur les graviers. Tu entends ses crayons hurler leur douleur. Mais tu restes sans bouger, les yeux rivés sur la tache rosée de son cahier. Tu te reconnais immédiatement. Tu as été sa source d’inspiration. Tu lui souris, amusée et fière. Il est si rare que tu serves de modèle. Tu es plus souvent pointée du doigt comme celui à ne pas suivre. Rester un enfant ne plait pas beaucoup. Peu comprennent ton choix. « Vraiment ? Il manque un détail pourtant. » Un rictus accroché à tes lèvres, tu quittes ton siège. Tu t’accroupis et récupères sa pastel rose. Tu reviens t’assoir à ses côtés. Délicatement, tu viens apposer des coups sur sa feuille sans quémander son autorisation. Quelques traits qui se muent en parapluie au-dessus de la tête de son dessin. « Voilà qui est mieux. » Tu te mets à rire. Tu espères qu’elle ne t’en voudra de ton initiative. Tu es rentrée dans son monde sans sa permission. Dans le doute, tu décides de te faire pardonner. Tu en surtout assez d’entendre ces cris de souffrance. Tu retournes proche du plancher des vaches. Tu ramasses ses affaires une par une. Tu les ranges tendrement dans son sac. Une fois terminé, tu te redresses. Tu poses son sac sur ses genoux. « Prends-en soin. », que tu lui dis doucement. Les outils d’un artiste sont comme ses enfants. Sans eux, le vide règne. Tu frottes sa surface recouverte de poussière. Ce qui noircit ta tenue que tu as mis tant de temps à choisir. Heureusement que la machine à laver existe.
« Moi non plus. Mais à deux pas grand-chose, nous avons peut-être une grande chose. » Même si je connais à peine mon interlocutrice, ces mots me percutent d’une façon spéciale. C’est une remarque facile, mais empreinte de légèreté et de positivisme. Ces quelques mots laissent transparaître une certaine douceur et rêverie chez elle, probablement sans qu’elle n’en ait conscience. C’est une capacité qui semble se ternir avec l’âge, et avec le temps l’âme d’enfant qui est abritée chez chacun s’efface peu à peu, jusqu’à disparaître complètement. Cela ne semble pas être le cas chez elle. Moi non plus, du moins pas toujours. Moins qu’elle, cependant.
Mes crayons roulent au sol dans tous les sens, et je les regarde poursuivre leur course, impuissante. Je pourrais me dépêcher à les arrêter et les remettre précipitamment dans leur sac, en refermant mon bloc-notes de dessins au passage, mais le mal est fait. Je voyais le regard de la demoiselle en rose fixé sur mon sac avant même que je n’ai eu le temps de l’ouvrir, et je me doute qu’elle a déjà vu le contenu de mon cahier à présent. Ou plutôt, le contenu de la seule page sur laquelle le cahier ne devait pas s’ouvrir, évidemment – un portrait d’elle, pas terminé cependant, mais suffisamment détaillé pour qu’on puisse la deviner. Elle ne semble pas être dérangée par la chose, heureusement. En lui jetant furtivement un regard en quête d’une réaction, je la vois qui me sourit largement, un air mi-amusé au visage. Puis elle se lève, récupère l’un des crayons rose resté au sol ainsi que mon cahier de croquis, et se rassois sur le banc. Ses doigts s’activent dans une danse rythmée. Je ne vois pas bien l’image qu’elle est en train de crayonner mais j’aperçois des traits roses délicats s’ajouter au dessin, de ma position. Un certain sentiment de panique m’envahit, ce que ressentirait n’importe quel artiste amateur en voyant quelqu’un s’accaparer de ses esquisses. Je ne l’arrête pas néanmoins, trop curieuse de voir ce qu’elle souhaite me montrer. Lorsque ses doigts se calment dans leur action, je m’étire le coup, impatiente. Mais elle a déjà positionné le cahier de façon à ce que je puisse voir son ajout. Les traits roses montent au-dessus de la tête de la femme en rose, formant un parapluie aux mêmes teintes. « Voilà qui est mieux. » dit-elle en riant. Je regarde le dessin, puis elle, et la représentation semble être juste. Il n’y a pas de doute à présent, si je n’étais pas certaine qu’elle se reconnaîtrait, j’étais au moins fixée. « L’image est plus exacte, en effet. » Je pouffe de rire, alors qu’elle s’accroupit au sol, commençant à ranger mes crayons un par un. Un sentiment de culpabilité m’envahit. « Oh non, tu n’es pas obligée! » mon sourire ne se déloge pas cependant, fidèle à lui-même alors qu’elle se redresse et pose le sac empli de crayons sur mes genoux, chose bien aimable. « Oh, merci. C’est gentil. » dis-je sur un ton léger. « Et désolée pour ta robe. » La tâche ressort sur son ensemble uni, détonnant avec le rose de sa tenue.
J’observe les alentours furtivement. Un peu plus loin derrière nous se trouve la fontaine centrale du parc, des couples ayant commencé à s’y installer à mesure que l’heure avance. À quelques mètres de là se trouve un marchand de bonbons, ce qui semble invitant mais mon œil est surtout captivé par les jeux d’arcades se trouvant à l’autre bout du parc. Des enfants s’amusent gaiement sur les balançoires et les glissades et il me prend de les rejoindre. Des pistolets à eau sortent du sol, de quoi s’amuser pendant des heures. Mais ce qui m’intéresse surtout, c’est ce jeu d’arcade avec prix à la clef, semblable à ceux que l’on trouve près des manèges dans les centres d’attraction. Même si le prix doit être complètement désuet et finira probablement au fond du garde-robe, le jeu et le sentiment d’accomplissement d’avoir gagné une peluche m’excite autant que lorsque j’étais enfant. Je ramène mon attention sur l’inconnue en rose, pas certaine cependant qu’elle ait suivi mon regard. Je la regarde, toutes dents dehors. « Aimes-tu les arcades? » Je tâte le terrain, pas certaine cependant. Je me rends compte que je ne connais toujours pas son nom.
Un plus un n’est pas égal à deux. Un mathématicien s’insurgerait de cette pensée. L’union de deux choses dépasse la simple addition de ces choses prises séparément. Deux talents fusionnent pour en former un troisième. Plus grand. Plus fou. Plus beau encore que ses parents. Evidemment, tu te montres audacieuse à crayonner son carnet de la sorte. Gentille et douce, tu serais prête à sortir les crocs envers quiconque s’essaierait de modifier tes croquis de styliste. Les dessins d’un artiste sont des morceaux de son âme. A griffonner dessus, tu touches à ce que la rousse à de plus précieux. Tes gestes sont délicats, ne souhaitant surtout pas la blesser. Tu ne désires que compléter son œuvre. Cette représentation de ton être rosé incomplète. Car il va de soi que c’est toi sur cette feuille. Une silhouette féminine couverte de rose, tu ne peux croire en une coïncidence. Tu es heureuse de servir de source d’inspiration. Tu te sers si souvent des autres pour que cela est un renvoi d’ascenseur à la nature des plus normal. Ton complément terminé, ta consœur à la chevelure cuivrée valide ton ajout. Un parapluie qui n’est nullement une ombre à sa création déjà très belle de base. Et tu ne dis pas cela parce que tu es la modèle crayonnée sur le papier. Tu reconnais son habilité artistique avant le choix de sa source d’inspiration. Ton égo n’est pas démesuré. Mais tu admets être ravie de son choix malgré tout. Pour une fois que l’on ne t’évite pas.
Tu ramasses ses affaires par la suite. Loin d’être la fée du rangement, tu ne supportes pas la souffrance des outils artistiques. Ses pastels méritent mieux que la dureté des graviers. Ils seront bien mieux entre ses doigts que tu supposes doux, à l’image des traits de son visage angélique. Debout face à elle, tu lui fais office d’ombre via ta grande taille. Loin de pouvoir concurrencer son arbre, tu réussis tout de même à la masquer des rayons solaires. Tu détailles davantage son visage. Tes prunelles glissent de son front à ses joues en passant par ses lèvres avant de remonter vers ses pommettes. Un large sourire se dessine sur ton propre visage tant elle est belle. Le roux te fascine depuis longtemps. Tu te souviens d’une collègue mannequin à Melbourne arborant cette teinte si rare. Tu l’enviais, toi la brunette ordinaire noyée dans la masse. Aujourd’hui, la donne est différente. Coiffée de ton gyrophare capillaire, tu n’as plus rien d’ordinaire. Cependant, tu ne le portes pas pour te faire remarquer. Tu exprimes simplement ton état d’esprit enfantin, insouciant, jovial. « Oh t’inquiète pas, elle en a vu d’autres. » Tu recules légèrement. La lumière astrale baigne cet ange humain pendant que tu frottes ta tenue. Elle a déjà subi maintes péripéties. La faute à ton étourderie. La dernière en date, un renversement de ton jus de pomme dessus. Une tâche sucrée qui a été compliquée de faire disparaître.
Tu restes plantée devant elle, ne sachant quoi faire. La logique serait de te rasseoir à ses côtés et de poursuivre votre conversation. Tu n’as jamais été logique. Tu laisses cette notion aux adultes. Tu préfères agir par instinct et spontanéité, telle l’enfant que tu es encore. Tu as tout de même conscience que rester dans cette position risque de l’intriguer. Ton sourire ne suffira pas éternellement à la rassurer. Tes intentions ne sont pas malveillantes. Ton esprit n’élabore aucun plan vicieux à son égard. Tu l’observes juste, admirant sa beauté, jusqu’à ce sa jolie voix ne vienne bercer tes oreilles et te sortir de ta transe éveillée. Tu penches légèrement ta tête sur la droite. Les arcades ? Elle te renvoie dans ta jeunesse, à la fête foraine, là où tu dépensais chaque pièce de monnaie de ta mère en quête d’une peluche licorne. Peluche que tu n’as jamais gagnée. Un forain est comme un casino, il gagne toujours. Au détriment des rêves des enfants qu’il crée, le vilain. « J’aime tout ce qui touche au jeu. », lui annonces-tu souriante. Tu n’es pas difficile. Tu as bien des activités favorites comme faire du toboggan ou du tourniquet. Tu remballes tes affaires. Tu te hâtes sans les abimer non plus. La bandoulière de ton sac sur ton épaule, tu déploies ton ombrelle et lui tends ta main de libre pour l’aider à se lever. « Allons tester notre dextérité. » Tu ne sais pas où au final. Ma foi, elle semble savoir. Tu te laisseras guidée. Tu la suivras où elle ira. Cet ange à la crinière flamboyante à la peau parsemée d’étoiles.
Je ne suis pas du genre rancunière. J’ai certes beaucoup de défauts, n’étant pas reconnue pour ma tranquillité d’esprit ni pour mon caractère facile. Mais une quelconque susceptibilité artistique n’en fait heureusement pas partie. Pour moi, les plus belles choses sont produites en travail d’équipe. Si une tête est capable de produire quelque chose de bien à elle seule, imaginez ce que peut produire la fusion de deux esprits? Cela ne me vexe donc nullement de voir l’ajout dessiné par la jolie rose sur mon œuvre. Au pire, cela ne fait que rendre mon croquis plus singulier encore et dans le meilleur des cas, l’œuvre n’est qu’embellie. Cette fois-ci, ses traits de crayon ont vu juste.
Elle se tient devant moi, dos aux rayons du soleil et me protégeant ainsi des rayons UV que ma peau claire ne supporte pas très bien. Le soleil plombant sur ses épaules, elle me procure une ombre réconfortante comparable à celle du cerisier malgré sa fine taille, à la différence que cette fois, ce n’est plus un arbre qui se tient face à moi, mais une belle inconnue. Ils ont toutefois cette ressemblance d’avoir tous deux cette chevelure couleur saumon. Son regard posé sur moi et me détaillant de haut en bas me rend légèrement mal à l’aise, mais je n’en fais rien. On ne me met pas mal à l’aise facilement. « Oh t’inquiète pas, elle en a vu d’autres. » J’esquisse un sourire lorsque les rayons du soleil m’attaquent sans avertissement. Comme quoi, toute bonne chose a une fin.
Ma courte observation des lieux maintenant terminée, je l’observe silencieusement en quête d’une éventuelle réaction. Les jeux, plus spécifiquement les jeux pour enfants que l’on retrouve dans un parc, n’intéressent pas tout le monde. Toutefois, j’ai cette étrange impression que celle se tenant devant moi n’y est pas totalement indifférente et qu’elle pourrait même devenir un partenaire de jeu. « J’aime tout ce qui touche au jeu. » Toutes dents dehors, je lui lance mon plus grand sourire. « C’est la même chose pour moi. Je crois que j’ai en face de moi une égale. » Je pouffe de rire, alors qu’elle commence à remballer hâtivement ses affaires. Je tente de l’aider au passage, prise de court cependant par son étonnante rapidité. Je parviens néanmoins à agripper deux ou trois crayons roses que je glisse gentiment dans son sac. Ce à quoi elle répond en me tendant la main. Je lui tends à mon tour ma main libre, plus par convenance toutefois, me relevant sans difficulté du banc. Même si mes traits sont doux, les apparences sont souvent trompeuses et je ne suis pas aussi duveteuse que le laisse penser mon visage angélique. Avec elle toutefois, elle paraît si gentille, si douce, qu’il est difficile d’en faire autrement.
Debout devant elle, je la regarde alors, un large sourire toujours collé aux lèvres. Mes yeux sont pétillants. « Tu me suis? » J’agrippe de nouveau sa main et me retourne sans plus attendre, pas même certaine qu’elle ait eu le temps de répondre mais, quand l’envie nous appelle, il faut y aller. Je m’avance d’un pas décidé vers un arcade bien spécifique que j’avais inspecté quelques instants plus tôt. Vous savez, ces jeux près des manèges avec peluche à la clef? Cette fois, c’est ma journée, je le sens. La chance est avec moi. Mes enjambées sont grandes mais je ne marche pas trop vite heureusement. Arrivée près de la machine à une dizaine de mètres de là, je lâche sa main qui a tenu le coup jusqu’ici et glisse un centime dans la machine. Je me cramponne sur les poignées et m’élance dans une course à la peluche. L’appareil est protégé du soleil et de la pluie par un toit soutenu par quatre poutres de bois lui servant d’abris. Le soleil n’est donc pas un obstacle à ma vision et les pinces s’agrippent, presque miraculeusement, autour d’une peluche. Miraculeusement, car récupérer une peluche de ces machines relève d’un sacré coup de chance. Je me retourne alors vers mon interlocutrice, mon sourire encore plus fastueux qu’auparavant, et lui tend le nounours à bout de bras. « Tiens, c’est pour toi. Au fait, je m’appelle Freya. »
Il est difficile de t’égaler dans le domaine du jeu. Tant d’années de pratique ont fait de toi une experte. Tu n’as jamais trouvé quelqu’un capable de rivaliser avec tes capacités ludiques. A chaque fois qu’une personne a essayé, elle a perdu et a été vidée de son énergie avant ton épuisement. Pour jouer, tu es infatigable. Il n’y a que le sérieux de la vie pour t’arrêter de pratiquer cette activité. Et encore, tu as tendance à prendre la vie comme un jeu. Tu doutes de ses paroles pour la peine. Tu lui souris malgré tout, trop heureuse d’être tombée sur une autre adulenfant. Si elle n’a pas ton niveau, tu lui reconnais volontiers son aptitude. Il ne peut en être autrement en évoquant les arcades. Tu acquiesces d’un hochement de tête le départ. Sa main dans la sienne, tu la suis. De te main de libre, tu dresses parapluie pour vous procurer de l’ombre. Tu suis aisément sa marche avec tes grands compas. Tu sautes à pieds joints dans un trou sur le chemin. En cette belle journée ensoleillée, nul eau ne s’y trouve. La force de l’habitude a parlé. Cette absence n’est pas plus mal. Elle a évité à ta complice de se faire éclabousser. Après, si elle est autant joueuse qu’elle le prétend, elle ne s’en serait pas offusquée. Elle t’aurait même sûrement imitée afin de riposter et de déclencher une bataille d’eau et d’éclats de rire. Il vous faudra vous revoir un jour de pluie pour le savoir. En attendant, vous arrivez devant une borne remplie de peluches. Tu abaisses ton ombrelle. Tu observes de ton regard attristé ces nounours enfermés dans cette prison de verre. Tu aimerais tous les libérer. Ton acolyte tente sa chance en première. Elle semble maîtriser le coup. La pince attrape un ourson. Le plus dur reste à faire : la ramener. Le choc lors de la remontée ne la fait pas chuter. En silence, tes iris fixés sur le jouet, tu pries intérieurement que sa petite patte ait assez de force pour tenir. Tu la vois faiblir. Elle ne cède que lors de son passage au-dessus de la caisse. « Bravo ! » Tu l’applaudis chaleureusement, la félicitant de sa dextérité.
La voyant te tendre l’objet, tu stoppes tes clappements. Elle te l’offre. Un large sourire se dessine sur tes lèvres. « M… Merci ! » Tu saisis la peluche et la serres très fort dans tes bras. Elle ne remplacera pas ton doudou licorne mais elle passera la nuit avec toi elle aussi. « Moi, Rose. », lui rétorques-tu à sa présentation. Son cadeau te touche. Vous ne vous connaissez à peine. Elle a le sens du partage et / ou a aperçu la lueur dans tes prunelles face à ces oursons trop mignons. Tu souhaites lui rendre la pareille. Tu fouilles ton sac à main à la recherche de ton porte-monnaie. Forcément, il est au fond, sinon ce n’est pas drôle. Une fois récupéré, tu déposes ton cabas, ton parapluie et ton présent sur ta droite. Tu n’as que quelques pièces, de quoi faire trois essais. Tu écartes doucement Freya des manettes et te lances au sauvetage d’un ourson. Ta première tentative est un lamentable échec. Prise par la sensibilité des manches, tu n’as pas assez avancé et la pince est descendue sur rien. Après un effort de concentration, tu enchaînes sur le second. Plus précis, tu agrippes une peluche par une patte. La montée manque de stabilité. Et au moment de l’arrivée au sommet : plouf ! Tu soupires, déçue. Tu es pourtant douée de tes dix doigts normalement. Comme quoi la couture et cette machine sont deux arts différents. En route pour ton ultime chance. Tu es concentrée comme jamais. Tu diriges la pince sur un ourson central allongé sur le ventre. Elle plonge en plein sur son nombril. La prise est parfaite. Tu le vois déjà dans le caisson des gains. Un peu trop d’ailleurs. Tu cries victoire trop vite. Il tombe sur la bordure, ses pattes arrières du bon côté et le reste côté cellule de verre. Tu tapes du poing contre la vitre, désirant le faire basculer, sans succès. Tu t’accroupis. Tu passes ta main dans le hublot. Tu es trop courte pour l’attraper. Tu dois admettre l’évidence : tu as perdu. « Je n’ai pas ton talent, désolée… », lui annonces-tu la tête basse en te relevant. « Je suis meilleure à la pêche aux canards. » Sur le papier, cette attraction ne nécessite que peu d’adresse. Y être meilleure est logique. Tu as voulu lui indiquer ta faculté à agripper les canards rapportant le plus de points à chaque fois. Par pur chance évidemment.
« Bravo! » ces mots résonnent dans mon dos. Si mon niveau dans le domaine du jeu ne fait pas l’égal de la femme en rose, mon cœur d’enfant ne m’empêche pas de ressentir un sentiment d’accomplissement à la capture de la peluche pour autant. Je me tourne vers elle, toutes dents dehors, beaucoup trop contente pour la hauteur du défi réalisé. Comme quoi, le bonheur est relatif et même les plus petites choses peuvent faire plaisir. Mon sourire ne démord pas alors qu’elle me rend la pareille en acceptant mon cadeau avec un remerciement gêné. Ou plutôt, flatté peut-être? « M… Merci! » Je fais un geste de la main en hochant doucement la tête négativement. « Oh, y’a vraiment pas de quoi. C’est seulement une peluche mais, j’ai pensé que ça pourrait te faire plaisir peut-être. » Elle récupère la peluche de ses longs doigts, avant de la serrer étroitement dans ses bras. Si mon cadeau la touche, sa réaction est tout autant adorable. « Moi, Rose. » Évidemment, j’aurai dû m’en douter. Quel meilleur moyen de prénommer une personne entièrement vêtue de rose que la couleur en elle-même? Voilà que je peux enfin mettre un nom sur celle qui m’a servi de canevas tout à l’heure. « Je n’aurai pas pu imaginer un meilleur nom pour toi. » dis-je à moitié sérieuse. Un fin sourire étire à nouveau le coin de mes lèvres. C’est alors que celle prénommée Rose ouvre son cabas et fouille à l’intérieur pendant plusieurs secondes. Curieuse de savoir ce qu’il va en sortir, c’est finalement avec trois pièces dans la main qu’elle arrête ses recherches. Elle dépose alors son matériel sur le sol, avant de se diriger à son tour vers la borne pleine de peluches. De mon côté, je ne bouge pas, l’observant silencieusement à quelques pas derrière elle. Concentrée sur son objectif, son premier essai est un échec, comme son second d’ailleurs. C’est alors que pour la troisième fois, elle agrippe finalement une peluche, la tirant habilement vers le haut à l’aide de la pince mécanique. Je tape des mains derrière elle d’excitation, lorsque que la peluche retombe finalement au sol. Pas au sol exactement; pire encore, entre la cellule de verre et le carré de métal prévu pour la réception des peluches attrapées. Je n’ai pas le temps de bouger mon petit doigt que Rose commence à taper du poing contre la vitre, visiblement déçue. Elle essaie même de passer son bras dans l’ouverture, sans succès. De mon côté, je me tiens toujours derrière elle, la regardant avec empathie mais pouffant de rire silencieusement face à la scène qui se déroule sous mes yeux. « Je n’ai pas ton talent, désolée… Je suis meilleure à la pêche aux canards. » J’arrête de rire, de peur de la vexer. « C’est surtout une question de chance ces machines, enfin je crois. Et puis, tu as toujours cette peluche que tu tiens dans ton sac pour te réconforter au cas où. » Je lui fais un clin d’œil complice, avant de me pencher et d’attraper son sac qu’elle a laissée par terre, ainsi que son parapluie. Je me relève et les lui tend. « Tiens, je crois que tu as oublié quelque chose. » Je me dirige alors vers la borne, observant un moment la peluche qui se tient dans un équilibre précaire. Je m’accroupi à mon tour comme l’a fait Rose quelques instants plus tôt, et tends mon bras à travers l’ouverture de la machine pour essayer d’attraper la peluche qui est dans une fâcheuse position. Peut-être que mes bras sont plus longs que ceux de Rose et que par chance, la peluche tombera du bon côté? Je sens l’ourson du bout des doigts, et essaie de le tirer vers moi… je le sens alors glisser, et me relève pour voir le résultat. J’ai certes réussi à faire bouger un peu la peluche, mais pas du bon côté cependant. La voilà qui est retombée du côté de la boîte vitrée. Je me retourne vers Rose, penaude. « On a vraiment pas de chance je crois. Si tu es meilleure à la pêche aux canards, voudrais-tu une nouvelle chance de me battre? » dis-je sur le ton de la plaisanterie, en riant à moitié. Je suis joueuse certes, mais également compétitive, sans me prendre trop au sérieux fort heureusement. Je ne suis pas mauvaise perdante, c’est surtout pour pimenter un peu le jeu.
Une simple peluche en effet. On dit que c’est l’intention qui compte dans les cadeaux. Le geste a plus de valeur que le présent en lui-même. Cependant, quand il colle parfaitement à l’esprit de la personne qui reçoit, les réactions n’en sont que meilleures. Dans tous les cas, tu lui aurais souri pour la remercier. Pas simplement pas politesse, juste par nature. Touchée par cet ourson, tes lèvres ont grimpé jusqu’à tes oreilles. Elle n’aurait pas pu te faire davantage plaisir. Sauf si le jouet avait eu la forme d’une licorne. Dans ce cas, plus qu’un sourire, tu l’aurais enlacée chaudement, déposant une bise chaleureuse sur sa joue, quitte à paraître déplacée. Sa remarque sur ton prénom te fait rire. Tu ne comptes plus les gens la faisant. En fait, il est plus rapide de comptabiliser les personnes ne le rapprochant pas de la teinte de tes cheveux que l’inverse. Pourtant, les deux n’ont à rien voir. Leur histoire est totalement indépendante. Tu ne peux malgré tout nier que l’ensemble forme ta propre histoire et ce que tu es aujourd’hui : une fée colorée pleine de vie. « Merci. Je ne peux pas en dire autant du tien. Tu es bien solaire pour porter le nom d’une déesse nordique. » Tu connais la référence. Le cadet de ta fratrie est féru de mythologie en tout genre. Il n’est pas devenu professeur d’Histoire spécialisé dans la théologie par hasard.
Cet échange effectué, tu t’attardes à retourner l’offrande. Ta dextérité est moins bonne. Tu ne peux que constater ton échec. La moue attristée, son rayonnement illumine ton visage dans la seconde. « C’est surtout un attrape-nigaud. », complètes-tu en gloussant. Ces attractions sont comme les jeux au casino, elles perdent rarement. Leur objectif est de faire croire que le gain est facile, que pour une somme dérisoire, le gros lot est à portée de main. Une fourberie dans laquelle tu tombes à chaque fois, trop animée par ton âme enfantine et la naïveté qui l’accompagne. Mais aujourd’hui, tu as gagné. Grâce à la rousse, la machine a perdu. Quatre essais pour une victoire, le ratio est correct même si, commandées en masse, les peluches ne reviennent pas chères. Leur solidité laisse à désirer. Elles ne valent pas celles que tu achètes en magasin. Elle se détériorera bien vite. Tu ne la jetteras pas pour autant. Tu exploiteras tes talents de couturière pour la rafistoler. Elle ne visitera jamais la poubelle. La voilà entrée dans ta collection jusqu’à ton passage à l’âge adulte vous sépare. Ce qui n’est pas près d’arriver de sitôt. Il est même possible que cela n’arrive jamais. En tous cas, ce n’est pas au programme de ta vie. Tu n’as prévu de grandir. Tu te plais tant dans ton monde, loin des soucis du réel. Enfin, hormis quand ils te tombent dessus. Bien qu’enfant dans ta tête, les factures ne t’épargnent pas. Entre autres.
Ton acolyte essaye de récupérer le prisonnier de sa cellule de verre. Sa réussite égale la tienne et est nulle. Vous devez vous contenter du sauvetage d’une unique victime. Tu tenteras d’en libérer une nouvelle lors de ton prochain passage au parc. Tu feras le plein de monnaie. Saisissant tes affaires, sur le point de partir des lieux, son interrogation te fait rire. Nullement compétitrice, tu ne souhaites pas la battre mais simplement t’amuser. « Avec plaisir ! » Ton enthousiasme est palpable à l’intention enjouée de ta voix. « La fête foraine annuelle débarque dans un mois. Là-bas, je te montrerai mes talents de pêcheuse de canards. Et je te paierai des churros. » Il t’est inenvisageable de parcourir une fête foraine sans se régaler d’une gourmandise sucrée. Tu farfouilles ton sac à main. Tu en ressors ton carnet. Sur le bas d’une feuille, tu inscris ton numéro de téléphone. Tu déchires l’encadré, le déposant dans le creux de sa paume. « Tu auras qu’à m’appeler le jour où tu voudras y aller. Si tu veux te balader dans le parc avec moi en attendant, n’hésite pas à m’appeler non plus. » L’invitation est lancée. Les invitations sont lancées. Libre à elle de les accepter ou pas. « Passe une bonne après-midi, Freya. » Et après un doux baiser sur sa pommette, tu t’éloignes. Toute guillerette. Toute heureuse de ta nouvelle acquisition. Il te tarde de rentrer chez toi et de présenter ton nouvel ami à ton doudou licorne.