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 fork in the path (bennett #2)

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Message(#)fork in the path (bennett #2) EmptyMer 30 Déc 2020 - 5:27

Sloan s’est endormi. Entre un babillement et un autre, il a fini par creuser son cocon de confort entre ma joue et mon épaule, faisant de ma clavicule son nouveau terrain de jeu. Les rayons du jour se faufilent à travers les rideaux de la chambre, eux qui jouent à cache-cache avec mes orteils enfouis sous les couvertures. De l’autre côté de la porte de la chambre, c’est le branle-bas de combat d’allers et de retours, de conversations entre médecins et infirmiers. Ils vont et ils viennent, véritables petites fourmis à même leur fourmilière. Ici, le seul bruit ambiant reste l’acouphène de la petite merveille qui a décidé de produire son poids en salive contre mon épiderme déjà collante de son énième sieste du jour. Auden a filé à la machine à café ou alors il terrorise Matt, Ezra, qui que ce soit sur son chemin ; et moi je me recroqueville un peu plus entre les coussins. C’est que mon index a tôt fait d’apprendre à mémoriser la douceur des joues de Sloan, le mouvement que font ses mèches lorsqu’elles sont laissées lasses, à vivre d’elles-mêmes. Son souffle est régulier mais il me chatouille encore, mes baisers sont muets mais ils réchauffent sa tempe inévitablement glacée dès que mes lèvres la quittent.

On toque à la porte, je pense. La silhouette qui s’en dégage est commune derrière les vitres givrées, ç’aurait pu être qui que ce soit de ma famille ou de celle d’Auden. Mais lorsque la poignée tourne et retourne sur elle-même, que je reconnais ses mèches d’ébène et son regard assorti, une inspiration plus tard suffit à ce que je me redresse dans mon lit. Les couvertures remontent avec, Sloan reste calé contre moi sans sursauter une seule fois. « Tu peux entrer. » mes mots glissent, autorisent. Ils suffisent à ce que Bennett sache qu’il est en terrain neutre, que le drapeau blanc est levé et que tout ira bien parce que je l’ai décidé. J’ignore s’il a croisé Auden dans le couloir adjacent, ou même si Williams le suit de près. Je sais seulement qu’il est là et qu’il se tient droit, stoïque dans l’embrasure de la porte qu’il n’a visiblement pas encore quittée. Mes prunelles détaillent son visage comme elles l’ont déjà fait des dizaines de fois, à la recherche de cernes ou de traits marqués, d’indices pouvant trahir qu’il n’est pas celui qu’il prétend être une fois le jour levé. Pourtant il me rassure sans rien dire ni rien faire et il va sûrement bien, il semble vraiment léger, heureux même. Mes doigts eux, improvisent des mélodies inventées le long de la colonne vertébrale de Sloan. Si Bennett a envie d’entrer il peut, s’il souhaite rester à une infinité de mètres de nous il peut aussi. Personne ne force personne - tout va doucement, tout est doux aussi. Entretemps, mes baisers ont arrêté de couvrir le front de bébé assoupi.

« C’est un hasard ou tu passais déjà dans le coin? » chacun de mes mots vient naturellement, rien n’est choisi ou calculé. Aujourd’hui, personne n’a besoin de se sentir brisé, cassé. Personne n’a besoin de mal ressentir les choses, surtout.

on est dans le turbo soft là:
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Message(#)fork in the path (bennett #2) EmptyMer 30 Déc 2020 - 19:56

La dernière fois qu’il était venu ici, c’était exactement pour les mêmes raisons. Un mélange confus de sensations, fait d’appréhension, d’excitation, de joie et d’angoisse, l’envahit lorsqu’il passe les portes de l’établissement – presque par instinct. Il passe la porte, passage obligé des plus grandes épreuves et des plus grands bonheurs de l’existence, et pénètre dans l’antre à la senteur aseptisée. C’est plus calme que dans ses souvenirs, ou étaient-ce ses souvenirs qui étaient encore trop injectés d’adrénaline… ? Traversant l’air médicamenteux pour se faire accepter à l’intérieur, il finit par accéder aux escaliers qui devraient le mener à la chambre 402. Trompé d’étage. Il traverse le couloir, dépasse un brancard et un couple âgé pour se retrouver devant un cul-de-sac. 398, 399… « Excusez-vous, où se trouvent les chambres 400… ? » Décidément, il fallait redescendre, mauvais passage, cette aile du bâtiment était en rénovation, il n’écoute pas la suite des explications de l’aide-soignant – retard oblige. Il se perd dans les rouages de la vaste machine à donner la vie ou à accueillir la mort, slalome entre cabinets et secrétariats pour finir par tomber sur les chambres 480, 479, 478. On y arrive. Il essaye de vider son esprit, de ne pas trop penser à ce qu’il devrait faire ou dire, certain que l’émotion du moment et la spontanéité surpasseraient de loin tous les calculs qu’il pouvait échafauder ; Ginny, Ginny et Auden étaient parents de Sloan. Est-ce qu’il avait besoin de réfléchir, de raisonner ? La logique et les êtres chers appartenaient à deux catégories totalement différentes. Il s’attend d’ailleurs à le voir trainer dans les parages, si ce n’est dans la chambre, le peintre ; et il brûle d’envie de lui parler pour ne rien dire, de partager ces instants fragiles qui renfermaient l’infini, la plénitude, le sens. Il ne croise ni Auden, ni la famille McGrath ; mais il trouve les trois chiffres convoités, lettres blanches sur la porte grise.

C’était le moment. Peut-être frapper ? Oui, pourquoi pas, ce n’était pas le moment où elle souhaiterait voir débarquer n’importe qui à l’improviste… quoique tout le monde le faisait quand même, généralement. Il frappe. « Tu peux entrer. » Deux petites secondes d’hésitation, et sa main se pose délicatement sur la poignée pour pénétrer dans la chambre 402. Elle est là, il est là, le miracle prend forme, la réalité dépasse la fiction. « C’est un hasard ou tu passais déjà dans le coin ? » Touché. « Je fais ma tournée des accouchements du jeudi, tu étais juste sur le passage, » se permet-il, parfaitement sérieux – un exploit. Mais à peine ses yeux se posent-ils sur le nouveau-né qu’il ne peut empêcher un sourire trop grand pour son visage de le traverser d’une oreille à l’autre – ces sourires qui deviennent douloureux au bout de quelques minutes, ces sourires qui endolorissent les joues et finissent par brûler les muscles. Il s’avance précautionneusement, comme si le sol était fait de verre, partagé entre le désir de voir la nouvelle merveille et la crainte d’envahir l’espace de la jeune femme. Un mur de verre semble se dresser devant lui. Il s’était dit, encore dans la rue, que Sloan serait une superbe excuse pour ne pas regarder Ginny dans les yeux, seule étape du parcours qui assombrissait ses pensées. Désormais il n’y pensait plus vraiment ; il lui semblait qu’ils étaient dans une bulle où le cours ordinaire des choses avait pris congé, et d’où rien qui n’était pas la naissance d’un être ne pouvait l’importuner. Il avait le droit, le devoir même, de laisser ses bagages en dehors de la chambre ; et c’était beaucoup moins difficile qu’il l’aurait cru, de tout oublier, par égard pour l’évènement, et de ne devenir rien d’autre qu’un ami de la famille. Cette pièce immaculée existait pour Sloan ; lui, eux n’étaient que des protagonistes secondaires, à côté du puits de lumière que créait la présence de l’enfant. (Mais le mur de verre l’importunait quand même.) « Félicitations, » qu’il finit par articuler d’une voix qu’il voudrait ferme, mais qui s’étrangle, trahissant son émotion. Son petit mot fade ne le satisfait pas – seulement les expressions manquent, elle le sait, il le sait ; pour être tout à fait honnête, il faudrait ne pas parler du tout, laisser Sloan emplir l’espace et les pensées, s’abreuver de bonheur en silence… sauf que ça ne fonctionne pas comme ça, alors Bennett se reprend, à défaut de s’avancer pour contempler le trésor de plus près. « C’est magique. » Et il faudrait quelqu’un qui connaisse l’esprit synthétique et carré du sculpteur pour comprendre à quel point son murmure avait de poids. Il n’y avait que la magie ou le surnaturel pour expliquer cette dose délirante de sentiments qui pouvaient s’engouffrer dans un être en une seconde bénie ; tout cela dépassait largement les mathématiques, le langage, la sculpture, l’art, la petite chambre blanche. « Ça s’est bien passé ? » S’enquérir, s’assurer que tout allait bien, même si tout allait forcément bien ; profiter du temps que les petites banalités suffisaient pour conduire une conversation – la vie suffisait, il n’y avait pas besoin de la maquiller de métaphores. Il pose les doigts sur le rebord opposé du lit – il est venu les mains vides, il est venu vite. Vague ironie… elle qui a tout entre ses bras.
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Message(#)fork in the path (bennett #2) EmptyMer 30 Déc 2020 - 22:30

« Je fais ma tournée des accouchements du jeudi, tu étais juste sur le passage, » il se justifie, mon cœur se serre un peu plus. Il est loin le Bennett qui balayait tout sur son passage, toujours un peu scotché entre tout avoir et tout donner. Le voilà qui avance à tâtons, qui prend ses précautions. Mes épaules sont relâchées pourtant, ma mâchoire aussi. Je n’ai jamais eu peur du sculpteur qui fût un temps était surprenamment l’un de mes plus proches amis ; simplement de ce qu’il était capable de faire lorsqu’il laissait les démons à l’intérieur de lui prendre les commandes. « On est pas lundi? » je nargue, fronçant du nez. Mes fossettes se creusent une place contre mes joues, Sloan fait de même le long de mon cou. Ses doigts sont bouillants sur ma peau glacée. C’est que j’ai perdu la notion du temps, entre le Japon, entre le père d’Auden malade, entre la naissance du petit prince entre mes bras. N’en reste que Bennett a au moins le mérite de m’aider à marquer la date concrètement au calendrier. Son esprit logique contre le mien, férocement dissipé. « Félicitations, » et le voilà, qui approche. Mes prunelles alternent entre Sloan et lui, dévient vers ses doigts qui se triturent, ceux-là même qui trouvent refuge sur la structure de métal du lit d’hôpital.

Sous les draps, j’ai les orteils qui battent la mesure. « C’est magique. » « Il est magique. » si j’ai l’air de le reprendre, de le corriger, ma voix est suffisamment douce pour que personne n’en soit froissé. Bennett est parfaitement placé pour savoir à quel point un petit être d’à peine une poignée d’heures est encore irréel, impossible à décrire. Il sourit, alors je souris en retour. Pendant une brève seconde, j’imagine les rôles inversés. J’imagine ma visite sur le pas de sa porte et Jonah dans ses bras. Le miroir est doux lui aussi, parfaitement parfait. Puis j’inspire et il parle, puis je me rappelle et il soupire. La case départ a un goût amer de regrets mélangés aux remords, semblerait-il. « Ça s’est bien passé ? »  hm? Oh. « Je croyais que j’allais accoucher dans les embouteillages. » alors j’en appelle au pragmatique. À celui qui aime les détails et les données, au Bennett qui se nourrit de chiffres comme de faits. Celui-là je le connais et je le maîtrise, celui-là m’apparaît foncièrement plus familier que tout le reste. Le reste, il est laissé las sur le pas de la porte de la chambre de toute façon. Demain ce sera différent - au lever du soleil également. Aujourd’hui il a le ton des nuits blanches et des secrets. Sauf que celui-ci est beau, celui-ci pallie sur l’autre, qu’on cache à deux comme une épée de Damoclès de plus. « Oui, ça s’est bien passé. Ça a été rapide, un claquement de doigts et il était là. » parlant de doigts, les miens dégagent le front encore rosé de Sloan, sa peau de papier de soie aussi fragile qu’il me semble solide. C’est un battant mon garçon, un gamin au caractère déjà bien ancré, lui qui a décidé quand il verrait le monde pour la première fois, lui qui l’a vu d’avance et selon ses envies à lui rien qu’à lui et à personne d’autre.

Sur la table de chevet à ma gauche traîne un carnet, une poignée de crayons. Y’a des souvenirs brouillés et embrumés qui se raccrochent à son homologue dans le temps. Mon sourire n’a rien de dissipé, lorsque je lui pointe le cahier du menton. « On offre à tout le monde d’y barbouiller un truc, c’est juste si tu veux. » des messages, des dessins, des blagues nulles (mon frère vous salue) - tout est possible, quand ces pages deviendront un petit récit en elles-mêmes de l’arrivée de Sloan dans nos vies à tous et à toutes. « Ce sera son petit musée de naissance rien qu’à lui. » une exposition sur des bouts de papier de toutes les couleurs. Le corail prend place sur le papier, le noir et le gris aussi. Pour une des premières fois, mes couleurs se mélangent à celles d’Auden sans qu’on ne discerne qui est quoi. Lorsque j’anticipe la curiosité de Bennett à venir voir les croquis ma voix reprend, les questions aussi légitimes que nécessaires. « Em est là? Jonah? » aujourd’hui, il n’y a pas que lui et moi.

pas de gif je suis sérieuse là:
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Message(#)fork in the path (bennett #2) EmptyJeu 31 Déc 2020 - 16:54

A l’extérieur, il perçoit le bruissement des infirmiers et des médecins, frôlements de blouses et cliquetis de lits brancards, lui donnant l’impression qu’on pouvait faire irruption à tout moment. Pourtant, malgré l’effervescence au-delà des parois nues de la chambre, rien ne venait troubler le calme de la respiration du nouveau-né ; et cette tranquillité tranquillisait Bennett, l’empêchait de se forcer à avoir l’air normal. Ici tout devait être naturel et fluide – n’est-ce pas ? Rien qui puisse troubler la rivière. « On est pas lundi ? » Sur la date et l’heure, elle ne l’aura pas, il est trop méticuleux pour s’y tromper. Jeudi, milieu de semaine, la tête dans le week-end, et pourtant du travail encore ; la magie avait jeté les dés. Qu’importe sa décision, ils trouveraient le moyen d’y voir un signe du destin. Les hommes regardent le ciel et pensent que les étoiles ont été disposées à leur égard ; ils écoutent la terre et entendent des murmures ; pourtant dans les mots qu’ils ont eux-mêmes inventés, ils n’entendent rien, ne comprennent rien, et préfèrent retourner à l’étude des planètes et des arbres – ayant inventé le langage avant de déceler le sens. « Il est magique. » Il accepte sans mal la rectification, la faiblesse des paroles. Lui qui aimait décrire les choses dans leur plus stricte réalité baissait les armes devant les miracles – ils étaient d’autant plus beaux que Bennett était rationnel ; c’est l’athée qui est subjugué par la révélation, pas celui qui a la foi. A défaut d’être converti, Bennett était convaincu que la défaite de l’esprit était toujours la victoire d’autre chose, et qu’autre chose en valait bien la peine. « Je croyais que j’allais accoucher dans les embouteillages. » Les mains moites sur le volant, les feux rouges allumés par un esprit du chaos sur la route de l’hôpital, l’insupportable file de gauche qui n’avançait pas, parce qu’on est toujours dans la file la plus lente, au point de vouloir la prendre dans ses bras et courir jusqu’à la maternité – autant de souvenirs qui lui remontaient dans les sens à mesure que Ginny parlait. « Oui, ça s’est bien passé. Ça a été rapide, un claquement de doigts et il était là. » Elle prêchait un convaincu ; Bennett avait lui aussi l’étrange sentiment qu’ils savaient ce qu’ils faisaient, qu’ils choisissaient leur heure et se moquaient d’eux silencieusement dans leur bulle de liquide amniotique et d’affection inconditionnelle. « Il savait que vendredi, avec les départs par le nord, aucune chance d’arriver à temps. Ça me rappelle le sens de l’organisation de ses parents. » Plaisanterie ; Auden et Ginny n’étaient pas spécialement connus pour planifier leur vie selon des prévisions très casanières. Mais Sloan aurait tout le temps d’apprendre que sa génétique le prédestinait quelque peu aux décisions à contre-temps, aux voyages impromptus, à la vie inspirée.

« On offre à tout le monde d’y barbouiller un truc, c’est juste si tu veux. Ce sera son petit musée de naissance rien qu’à lui. » L’opportunité est là comme une main à saisir ; Bennett s’avance sans trop raser les murs, et pose prudemment sa main sur le carnet sans prétendre l’ouvrir tout de suite. Il se rappelle d’un carnet. Ça ne doit pas être le même. Nouvelle vie, nouveau carnet. Pourtant il jurerait pendant une seconde que le papier à grain sentait le rhum. Illusion comique… Arrête de penser, trouve quelque chose à dessiner. « C’est le seul musée où on veut de mes œuvres, mais les autres ne valent rien, » sourit-il en référence à ses années d’Académie à griffonner avec acharnement sans jamais réussir à trouver un coup de crayon intéressant – tout au plus original, selon les termes courtois. Un temps, il avait maudit les professeurs et les spécialistes dédaigneux ; toutes les galeries d’art lui avaient paru de sombres fumisteries faites pour acclamer la médiocrité. Aujourd’hui il voyait qu’il avait visé juste ; à côté du musée de naissance, le plafond de la Chapelle Sixtine pouvait bien dépérir en attendant une énième restauration – il était sans intérêt. « Em est là ? Jonah ? » La voix de Ginny le ramène sans à-coups dans la petite chambre blanche qui ne sentait rien d’autre que l’hôpital et le bébé. Bennett arrache son regard au carnet. Les choses concrètes et connues, il les maitrise sans trembler ; pas besoin de chercher des mots ou des expressions du visage, la simple vérité suffit. « Ils devaient arriver avant moi… Jonah a dû s’attacher à la baby-sitter, je n’ai pas d’autre explication. » Seul, les bras ballants, le sculpteur avait l’air d’être en avance, ou d’avoir voulu devancer les siens. Il imagine la surprise de son propre bambin face au minuscule poupon, ses yeux écarquillés essayant de comprendre ce que pouvait être cette chose baveuse et immobile, la phrase malhabile qu’il tenterait de prononcer en le pointant du doigt. Jonah ne voyait pas souvent plus petit que lui. Les prunelles de Bennett étincellent à l’idée qu’un jour, les deux marmots gazouilleraient ensemble autour d’un jeu d’éveil, et son cœur s’allège ; un souffle de courage monte en lui, au milieu de cette cordialité suspendue au bébé. « Je peux lui dire bonjour ? » Pour que ses doigts se détachent du carnet qui les brûlait et rencontrent à nouveau la stabilité, l’évidence, la joie. Ou simplement pour souhaiter à Sloan la bienvenue dans ce monde, et donner à Ginny le bonheur de le retrouver après quelques minutes d’absence, qui seraient déjà trop longues, il le savait.

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Message(#)fork in the path (bennett #2) EmptyJeu 31 Déc 2020 - 21:52

Ce serait mentir de dire que je ne déteste pas à quel point les mots comme les gestes flirtent avec l’inconfort quand Bennett est dans les parages. On avait pourtant trouvé un terrain d’entente, on avait réussi à enterrer la hache de guerre. L’adolescent en pleine rébellion qu’il personnifiait, celui qui faisait de ma vie un enfer, celui qui se scandait prêt à mettre le monde entier en feu à la moindre envie n’était plus, il s’était canalisé. Puis tout avait changé à nouveau, (re)basculé. « Il savait que vendredi, avec les départs par le nord, aucune chance d’arriver à temps. Ça me rappelle le sens de l’organisation de ses parents. » tout autour on pourrait bien observer la scène et y voir simplement deux amis discutant de la pluie et du beau temps. Autant Bennett que moi, on peut affirmer sans le moindre doute qu’on déteste le small talk et les conversations plus superficielles les unes que les autres. Mon sourire en coin répond au sien et nous voilà à tacler la surface, à jouer de parfaits rôles sertis de nos parfaits masques. « Cet enfant est déjà tellement un nerd, avoue. » cet enfant est parfait, plutôt. Autant ses grands yeux brillants que ses doigts boudinés, autant ses mèches hirsutes que les minuscules ongles fins qui colorent de rose ses doigts. Je me rappelle de Noah à cet âge, de Jonah aussi. Je fais fi du reste, me raccroche aux souvenirs des autres pour ne pas tanguer vers une miette de mémoire qui n’a pas sa place entre nous aujourd’hui. Sans même le dire, on l’a tous les deux compris.

Alors il aura le droit au carnet. Il aura le droit au cahier fraîchement acheté, nouveau et prêt à recevoir ses couleurs à lui. Il pourra y dessiner ce qu’il veut, le signer ou non. Il pourra refuser aussi, jamais je ne lui en tiendrai rigueur. Finalement, je ne lui en veux pas, à Bennett. Je ne lui en ai probablement jamais même voulu. « C’est le seul musée où on veut de mes œuvres, mais les autres ne valent rien, » « Tu travailles sur quoi en ce moment? » il a toujours détesté les musées, du moins à mon sens. Les sorties scolaires dans les galeries adjacentes à l’Académie avaient toujours l’air de l’ennuyer, je ne me rappelle presque pas l’avoir vu participer aux vernissages que l’école organisait. Alors la question remonte, celle d’une artiste curieuse et intéressée bien plus qu’une amie en phase de ne pas savoir où et quand elle doit marcher sur des œufs avec lui. J’aime bien plus ce personnage-là et je m’y raccroche, sachant que lorsqu’on parle d’art au moins là, on parle sensiblement le même langage.

Le bruit du papier crisse sous ses doigts, sous les crayons qu’il a choisis. « Ils devaient arriver avant moi… Jonah a dû s’attacher à la baby-sitter, je n’ai pas d’autre explication. » alors on parle d’art et on parle de famille. On parle de sa femme et de son sourire solaire, de ses cheveux toujours en parfait état et de ses prunelles pétillantes. On parle de Jonah et de ses tentatives d’articuler des mots compliqués entrecoupées de rires cristallins, de ses gestes parfois trop brusques parfois trop lents qui montrent à quel point il a encore toute sa naïveté d’enfant. « Sinon j’ai entendu dire que la distributrice au bout du couloir vendait des chocolats inédits. Peut-être qu’il a réussi à se négocier une nouvelle ration de dessert qui sait. » Noah a dû les intercepter entre l'ascenseur et la chambre. Ou alors Auden. Probablement même les deux, au final - et la boucle est bouclée, et l’équilibre est rétabli. Il y a le même nombre de joueurs dans chaque équipe, personne n’est désavantagé. Sloan au milieu fait le plus doux des arbitres. « Je peux lui dire bonjour ? » et il n’en a plus rien à faire du carnet, Bennett, quand le drapeau blanc sous forme de bambin qu’on compte en jours et en heures plus qu’en années ou en semaines ouvre un oeil et un autre, les vissent vers lui. « Oui, oui bien sûr. » fais attention à la tête, tiens bien le cou. Assure-toi que son dos est complètement soutenu, tu peux te servir de ton coude pour ses épaules. Tous les conseils du monde passent de mon regard à celui de Bennett, dès lors que le poids de Sloan est une seconde lourd, la suivante envolé. Il les connaît tous, les enseignements et les bonnes pratiques. Il est père et il fait un boulot incroyable. Et non, il n’y a pas de mais. Pas aujourd’hui j’ai dit.

« Je me rappelais pas que tu traçais tes angles comme ça. » désormais délestés de la huitième merveille du monde, mes doigts filent vers le musée nouveau genre. Bennett a visiblement laissé la page sur laquelle il dessinait ouverte, j’y vois une autre forme d'accommodement et un aller simple vers un passé chaotique mais classé depuis longtemps. Je n’avais pas le temps d’analyser ses croquis, à Bennett, à l’époque. Je n’avais pas le temps parce qu’il se pressait à ridiculiser les miens. Pour l’heure, c’est le créatif que je découvre un peu plus, alors que mes iris grattent ce qu’il y a à voir sur ses fameux angles et sa manière bien à lui d’en retrousser les coins. « Ils m’ont offert un boulot, à l’Académie. » l’avant a de drôles de teintes, lui aussi. J’ignore pourquoi la nouvelle tombe et j’ignore pourquoi j’en parle aussi naturellement. On dira qu’il s’agit là d’un autre masque, d’une salve de small talk de plus.

t pas drôle:
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Message(#)fork in the path (bennett #2) EmptyVen 1 Jan 2021 - 18:22

Quelqu’un a dit small talk ? Pourtant, ce n’est pas à Bennett de prendre les risques aujourd’hui, de s’engager sur les grands chemins de la conversation profonde et tortueuse. Il n’était pas mal à l’aise, simplement un peu moins expansif que d’habitude, voilà tout. Après donner la vie, voir ses amis donner la vie était sans doute la plus belle chose à vivre (décidément, encore des clichés) ; et tout le chemin parcouru depuis tant d’années, c’était là qu’il aboutissait ; tout avait été disposé pour ça (ou était-ce lui qui avait tendance à penser que tout le malheur ou tout le bonheur étaient logiques et prédestinés). Bien sûr que Bennett était incroyablement heureux pour les nouveaux parents. Son silence ou ses maladresses ne disaient pas le contraire. Il lui semblait juste qu’il manquait de moyens pour exprimer toutes ces choses. D’ailleurs, il ne se souvenait pas d’un mot qu’on avait pu lui dire le jour de la naissance de Jonah. Ni les jours d’après. « Cet enfant est déjà tellement un nerd, avoue. » Et Ginny devait elle aussi rentrer dans ce petit jeu innocent, de phrases banales, de répliques simples, de blagues convenues. La banalité dans l’émotion, sans doute. « Tu travailles sur quoi en ce moment ? » Il hausse les épaules et roule les yeux en l’air, revenant précisément de l’atelier ; les affaires ne tournaient pas trop mal, mais les désagréments de la vie de créateur ne cessaient jamais de lui revenir dans la figure. « J’ai des commandes, un client assez… pointilleux. C’est la fête des gens qui n’y connaissent rien en ce moment. Je sais pas si je préfère ça ou l’absence totale d’intérêt pour la sculpture qu’ils ont d’habitude. » Tout au long de sa vie il avait rêvé d’art, Bennett ; sa tête fourmillait des projets, de miettes de projets, de projets entamés, d’autres jamais commencés, d’œuvres imaginaires qui devraient un jour prendre forme et lui donner satisfaction ; mais il fallait bien mettre de l’eau dans son vin, et prendre les commandes, toujours plus rentables que ses lubies à lui, qui dépendaient de la bonne grâce des critiques. Enfin, il y avait bien une chose qui devrait se concrétiser bientôt, mais Ginny n’avait pas besoin d’en entendre parler pour l’instant. « Sinon j’ai entendu dire que la distributrice au bout du couloir vendait des chocolats inédits. Peut-être qu’il a réussi à se négocier une nouvelle ration de dessert qui sait. » Son cœur se réchauffe à la moindre mention de son fils, et il s’imagine déjà le prendre dans ses bras avant de lui mettre un doigt sur la bouche et de pointer Sloan du doigt, désamorçant la bombe que devenait d’ordinaire le bambin lorsqu’il faisait une nouvelle découverte. « Je pense qu’on les entendra avant qu’ils n’arrivent, Jon est dans sa phase où il pense que crier l’aide à se faire comprendre. » Enfin, lorsqu’elle donne son accord, Bennett soulève le nouveau-né avec une précaution experte, retrouvant l’indescriptible sensation de tenir la plus faible et précieuse créature qui soit, lui qui s’était habitué à moins de précautions lorsqu’il chatouillait Jonah.

Le tout petit corps de Sloan, léger comme une plume, ne faisait presque aucune différence avec l’air, si ce n’était sa chaleur ; sa paume accueillait la peau du crâne fragile, soyeuse à en faire rougir les doigts qui se posaient dessus. Salut, toi. Le marmot garde le silence, grandes prunelles rivées sur le menton de Bennett. « Je me rappelais pas que tu traçais tes angles comme ça. » « Laisse, j’ai une autre idée, je le ferai tout à l’heure, » lâche-t-il à voix basse, faisant clignoter les yeux de Sloan. Il n’avait pas la bosse du dessin, mais il avait de l’expressivité ; et puis il lui était venu quelques petites idées maintenant, il les mettrait à exécution plus tard. « Ils m’ont offert un boulot, à l’Académie. » « Ah, » est la seule réaction qu’il ne peut retenir de lui échapper, surprise réelle, souvenirs lointains. L’établissement ne lui rappelait pas grand-chose de bon, mais si dans l’impétuosité de la vingtaine il avait pu haïr ses larges bâtiments vitrés, de tels sentiments n’avaient plus leur place chez Bennett aujourd’hui. « Tu vas accepter ? » Il ne se rendait pas bien compte d’à quel point l’opportunité était bonne ou pas pour Ginny, et n’avait, à vrai dire, pas envie de commenter plus que ça. A moins de lui donner des conseils pour reconnaître plus tôt les types comme lui, qui comptaient passer leurs études à emmerder le monde plutôt qu’à travailler. Sloan laisse échapper un infime couinement, puis deux, ayant fini par reconnaître la supercherie par laquelle on avait remplacé les bras de sa mère par d’autres. Bennett préfère anticiper la crise de confiance dans leur relation et remettre délicatement le poupon à Ginny. Les mains vides, le brun fait un geste évasif et secoue la tête. « Excuse-moi si je t’ennuie, tu viens d’avoir un enfant et j’ai l’impression de ne rien dire d’intéressant. » Il rit un peu. « Je vais sans doute te parler de la météo maintenant. » Ginny a repris Sloan, le carnet est libre, et Bennett trace une esquisse à larges coups de crayon ; mère et père, de dos, chacun face à leur toile, s’appliquaient à peindre Sloan sans lui prêter attention ; et le bambin, agrippé aux barreaux de son lit, pensait dans une bulle à son prochain biberon. Le réalisme de la chose était entaché par le fait que Sloan était très loin de pouvoir se tenir debout, mais ça n’était pas trop hideux, en tout cas dans l’expression perdue de l’enfant ne comprenant rien à ce manège. Il repose le carnet sur la table, tourné vers Ginny.

it hurts:
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Message(#)fork in the path (bennett #2) EmptyVen 1 Jan 2021 - 19:04

« J’ai des commandes, un client assez… pointilleux. C’est la fête des gens qui n’y connaissent rien en ce moment. Je sais pas si je préfère ça ou l’absence totale d’intérêt pour la sculpture qu’ils ont d’habitude. » ou alors si c’est son caractère qui fait des siennes, de nouveau. Bennett était reconnu pour être autant pointilleux et perfectionniste avec son art que parfois (souvent) bien buté avec les commentaires qu’il recevait d’autrui. Que je mentionne ses angles et surtout la manière dont il les réalise m’aurait valu ses pires relents de bully à l’époque. Aujourd’hui il reste penché sur ses pages, en investissant une en particulier le temps qu’elle l’intéresse encore. « Au Japon j’ai été sur une expo, avec de la pierre et quelques moulages. C’était cool, je pense ajouter une salle à marbre au nouvel atelier. » combler les silences, combler les quelques minutes à attendre patiemment que l’impression de malaise se dissipe sous l’infinité de couches de conversations entremêlées qu’on est en mesure de tenir. À la fois on sillonne différents sujets, à la fois on les égrène tous. C’est de la lâcheté mais apparemment ça nous a toujours réussi. « Si t’as des recommandations, je prends. » je l’aurais dit. Y’a quelques mois encore. Je l’aurais dit et je l’aurais pensé aussi. Mes connaissances en sculpture sont très limitées, elles évoluent et se font leur place bien à elles au studio. N’en reste que si l’univers en entier passe me voir pour me demander quelles sont les teintes d'aquarelle les plus réalistes, c’est vers lui que j’irais si j’avais la moindre interrogation sur son médium qui mine de rien devient un peu plus le mien.

Des, dizaines, de, conversations, en, même, temps. « Je pense qu’on les entendra avant qu’ils n’arrivent, Jon est dans sa phase où il pense que crier l’aide à se faire comprendre. » « Celle de Noah a duré un an et demi. Force et courage, dude. » est-ce qu’on est amis? Est-ce qu’on l’est lui et moi, ou par alliance vu comme Auden et Bennett restent dans la vie l’un de l’autre malgré les années au compteur? Je ne sais jamais comment le qualifier, alors je ne le qualifie pas et personne ne s’en porte le moindrement mal. « Laisse, j’ai une autre idée, je le ferai tout à l’heure, » évidemment que Sloan vole la vedette. À la seconde où il passe de mes bras à ceux de Bennett, le carnet n’existe pas, les angles non plus. Il ouvre les yeux et se laisse guider par une respiration étrangère, un parfum qui s’y associe. Aujourd’hui, Bennett sent la pluie. « Tu vas accepter ? » mes jambes se recroquevillent sous les draps, mon menton vient se loger sur mes genoux. Certains diraient qu’il s’agit là de la meilleure posture pour mettre une distance de plus entre lui et moi, en l’état ce n’est pas du tout ce à quoi je pense. Parler de l’Académie ramène son lot de souvenirs, ceux qu’on peut bien avoir en commun sont tellement réglés qu’ils font bien, au centre de la pièce, comme un éléphant de plus. « J’y pense, ça fait bizarre mais on dirait que ça boucle la boucle aussi. Je commencerais en janvier. » c’est grâce à Auden. C’est lui qui a fait les examens à ma place, c’est lui qui m’a assurée sans le savoir un poste là-bas comme un retour à l’envoyeur aussi nécessaire que naturel. Ça fait bizarre mais ça me semble être logique, une jolie morale. Un fin sourire se dessine sur mes lèvres et le temps d’une poignée de secondes, tout va bien. Sloan revient contre moi, Bennett reprend ses tracés.

Et, et, et, et -  « Excuse-moi si je t’ennuie, tu viens d’avoir un enfant et j’ai l’impression de ne rien dire d’intéressant. » l’inspiration qui suit n’a rien de subtile, elle me brûle les narines et la trachée tant tout autour l’air est infusé des différentes odeurs de médicaments, de produits nettoyants. « Je vais sans doute te parler de la météo maintenant. » il rit Bennett, mais il ne rit pas vraiment. Ses yeux fuient aussi, et ses doigts doivent se féliciter d’avoir attrapé quelques crayons que ce soit au passage pour ne pas céder la réponse entre un soubresaut et un autre. Je prends le temps d’embrasser une énième fois la tempe de Sloan avant de rassembler quelques miettes de courage que ce soit. C’était pas comme ça, avant. Ça ne l’a pas été pendant un long moment, on avait trouvé notre centre, nos discussions, nos intérêts. On n’avait pas besoin de combler chaque particule de vide dans l’espoir que ça empêche de repenser, de ressasser. Quand j’expire, il a déposé le carnet sur la table de chevet à sa place initiale. C’est bien parce que le crayon n’est pas lui aussi à l’endroit où je l’avais laissé que j’ai la preuve que Bennett est vraiment passé. « La météo est nulle de toute façon. Qui sait qu’on se trouve en décembre quand il n’y a pas de neige dehors. » non. Non, c’est pas ce que je voulais dire. C’est pas une relique des hivers à Londres que je voulais exposer comme un prix de consolation, comme un compromis en carton.

« Je déteste ça. » que je m’entends souffler finalement. Si à mes yeux ce que je peux bien détester est aussi évident pour moi que ce doit l’être pour lui, c’est lorsque je réalise que mes iris sont vissés au carnet et non à ceux de Bennett que je reprends. Moins lâche, le menton qui se redresse, ses yeux en joue. « Pas ton dessin, juste... ça. » et tout ce que ça implique.

Live footage de mon coeur de pierre:
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Message(#)fork in the path (bennett #2) EmptyMer 6 Jan 2021 - 0:04

Peut-être qu’il leur faudrait continuer comme ça encore une heure ou deux. Qui sait ? Si personne ne venait les chercher. Peut-être qu’ils étaient bloqués à jamais dans une boucle temporelle dont ils ne pouvaient sortir à moins de suprême impolitesse, et qu’il leur faudrait trouver jour après jour de nouveaux sujets de conversation juste assez lisses pour ne pas être glissants, et surtout politiquement on ne peut plus corrects, qui avaient leur place à la maternité. Peut-être même que… « Au Japon j’ai été sur une expo, avec de la pierre et quelques moulages. C’était cool, je pense ajouter une salle à marbre au nouvel atelier. » Sorti de sa spirale de pensée infernale, il hoche la tête avec approbation en s’efforçant, encore et toujours, de trouver quelque chose à répondre qui ne soit pas horriblement plat, atrocement ennuyeux, considérablement soporifique, sans succès. Quand Auden était là, il avait l’avantage de canaliser l’attention, de servir d’intermédiaire, de remplir l’espace et de permettre à Bennett d'oublier à peu près complètement le malaise général qui persistait en lui. Pourtant, il avait fait des introspections, des raisonnements limpides, des tableaux mentaux qui démontraient par a + b qu’il ne devrait pas se sentir aussi mal pour ça, cette histoire dérisoire, ces deux minutes et demi de dégénérescence de son cerveau survenues deux ans plus tôt. Oh, il était loin de se comporter aussi étrangement que dans les semaines qui avaient directement suivi l’incident ; mais c’était parce qu’il faisait le maximum pour ne jamais se retrouver seul avec Ginny où que ce soit ; tant que ça n’arrivait pas, il était capable de paraître tout à fait normal. Mais dans les circonstances qui le condamnaient à lui faire face, le voile de la gêne persistait à se mettre en travers de ses gestes. Change de sujet, de terrain, de tout. « Si t’as des recommandations, je prends. » « Tu pourras passer à l’atelier, j’ai pas beaucoup d’apprentis à qui partager le plus noble des arts. » Et il n’a aucune foutue idée de pourquoi il a dit ça. Pourquoi suggérer quelque chose qui impliquait lui et Ginny dans une même pièce. Pourquoi impliquer que ce ne serait pas n’importe quelle pièce, pas une pièce neutre et insignifiante, mais l’atelier, l’atelier, la pire salle possiblement imaginable dans laquelle il aurait envie de se retrouver en tête à tête avec Ginny. « Celle de Noah a duré un an et demi. Force et courage, dude. » « Je serai sourd d’ici là, alors, » qu’il fait en regardant derrière lui, comme s’il s’attendait à voir débarquer une terreur ou une autre pour lui sauver la mise. Mais il demeure désespérément livré à lui-même et à toutes les branches auxquelles il pourrait s’accrocher tant bien que mal. Toutes les branches glissent et aucune ne mène à la complicité qui devrait régner entre lui et Ginny.  « J’y pense, ça fait bizarre mais on dirait que ça boucle la boucle aussi. Je commencerais en janvier. » Il garde encore une fois le silence en opinant discrètement. Boucler la boucle, il ne connaissait pas, sa vie était faite de spirales, positives ou négatives, jamais de cycles clos sur eux-mêmes, au grand désespoir de son amour de la stabilité et de la régularité. D’ailleurs, eux non plus ne connaissaient pas ce que ça voulait dire, boucler la boucle. Bennett le savait, qu’il y avait une fuite quelque part, une fuite par laquelle s’échappait ce qui avait été un jour une amitié, et qui ressemblait de plus en plus à un renoncement.

« La météo est nulle de toute façon. Qui sait qu’on se trouve en décembre quand il n’y a pas de neige dehors. » « La neige, oui, » qu’il souffle imperceptiblement, retenant son dégoût de lui-même à grand-peine tandis que ses mains tracent le contour des spirales du carnet. La neige. Ils pourraient en parler, elle avait raison, de la neige. Des différents types de neige. De la neige dans l’hémisphère sud. De la neige sur les pots de fleurs. Du verglas sur les routes. De la prudence à adopter, surtout devant les écoles. De la neige qui ne tombait de toute façon jamais à Brisbane, mais seulement dans des montagnes reculées de l’Australie. Mais une telle conversation serait toujours moins artificielle que tout ce qu’ils pourraient se raconter sur leurs vies respectives. « Je déteste ça. » Premières paroles sincères, à part celles qu’ils avaient pu prononcer à propos de Sloan ; le parfum de la sincérité fait lever les yeux à Bennett. Il ne détestait pas ça, il haïssait ça. Il avait envie de se fracasser la tête contre les murs à chaque syllabe fausse et calculée qui tombait de lui comme un dégât collatéral. Mais il la laisse exprimer la sentence au singulier sans broncher ; après tout, c’était sa faute. C’était lui qui empêchait les choses d’être naturelles. « Pas ton dessin, juste… ça. » Toujours gentille à en crever, Ginny, toujours le mot pour arrondir les angles et se préserver d’une accusation que de toute façon personne n’aurait soupçonné de sa part – surtout pas Bennett qui avait usé et abusé du naturel conciliant de l’artiste. Alors il secoue la tête. « Je te jure que j’essaye. » Que ce soit naturel. J’aimerais que les mots viennent tout seul, te prendre dans les bras pour te souhaiter tout le bonheur du monde avec Sloan, rire et arrêter de dire n’importe quoi. Mais il y avait un voile froid sur les choses, une épine de culpabilité qui l’empêchait de s’autoriser ce plaisir. « Je ne… » « Ouiiiiiiiiii… » Dieu merci. Le babillage reconnaissable à mille lieues de Jonah traverse la porte tandis qu’une petite silhouette adorable s’accroche à la jambe de Bennett. « Mais c’est à moi, ça, » lance-t-il avant de soulever Jonah au-dessus du sol, provoquant un gloussement du bambin. Le serrant tendrement contre lui, il semble à Bennett que le destin, ou tout autre principe fondamental qui régissait le monde, lui accordait enfin un répit en l’empêchant de finir une phrase dangereuse. Jonah est dans ses bras, son petit corps chaud dans ses bras – et Emily apparait à sa suite, illuminant la pièce de son soleil personnel qui la suivait partout. (Maintenant que Bennett y pensait, il aurait été assez étrange que Jonah soit venu seul jusqu’ici.) La femme de sa vie lui ébouriffe les cheveux en passant tandis qu’elle se dirige vers la nouvelle accouchée. « Ginny, tous mes vœux de bonheur, félicitations, tu ne sais pas à quel point je suis heureuse pour toi ! Pardonne-moi ce retard... Il est absolument adorable…! » Emily et son sourire à faire éclater la terre, ses rayons qui irradiaient l’air, penchée sur Sloan avec une expression de total ravissement. « Mais je crois que je vous ai interrompus, continuez, je ne veux surtout pas déranger, » continue-t-elle. « Déranger ! » Répète fièrement Jonah, visiblement plus perspicace que sa mère.

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Message(#)fork in the path (bennett #2) EmptyLun 11 Jan 2021 - 2:03

Stop, arrêt sur image. « Tu pourras passer à l’atelier, j’ai pas beaucoup d’apprentis à qui partager le plus noble des arts. » mais qu’est-ce qui se - « Ça fait longtemps que je suis passée en plus, tout doit avoir changé là-bas. » deux ans. Ça doit même faire deux ans et des poussières - tu sais très bien ça remonte à quand, Ginny. Et si l’ambiance ne pouvait pas être plus délicate, plus difficile, la voilà qui vient d’en prendre pour son grade. Tout est faux, tout l’est tellement que je ne sais même plus ce qui est vrai et ce qui est forcé. Le résultat rend la scène malhonnête dans toute son entièreté et même si Sloan agit à merveille pour dédramatiser, décanter la pression entre un bâillement et un autre, ce n’est pas dit qu’il a à porter sur ses frêles petites épaules la pression d’un passé qui a encore tellement de difficulté à s’emietter. Je déteste les secrets autant que je déteste les mensonges, je déteste qu’on ne soit pas capable d’en parler comme je déteste avoir à le sous-entendre aussi. C’est terminé, non? Rayé, biffé, oublié - ça le devrait, en tout cas. Personne ne se porte mieux lorsqu’on l’aborde à demi-mot, personne n’en a envie de toute façon. « Je serai sourd d’ici là, alors, » et moi tantôt muette, tantôt aveugle. La boucle est bouclée, et elle ne le serait pas d’autant de futilités si la météo ne venait pas prendre sa place de bon joueur tout en haut d’un podium superficiel qui se charge facilement de comprimer ma cage thoracique. La neige, oui, »

Ça suffit. Quand ses yeux se redressent vers les miens, c’est là où je réalise que ça doit faire deux ans et des poussières, ça aussi. Que j’ai bel et bien pu y ancrer mes propres iris, que j’ai bel et bien pu y voir une miette du véritable lui derrière les coups d’oeil volés et les discussions avortées.  « Je te jure que j’essaye. » ce n'est pas qu’à lui d'essayer. J’étais là, moi aussi. J’étais là et j’aurais dû être plus claire et j’aurais dû lui dire d’emblée, et je n’aurais pas dû me brûler les doigts et les lèvres jusqu’à en finir par consumer tout et trop vite. Il était l’une des personnes en qui j'avais étrangement énormément confiance, avant. Il était l’une des personnes qui connaissaient le pire de moi et qui jamais ne l'avait jugé, l’avait plutôt avidement partagé. Était. « Je sais. Moi aussi, je voudrais juste que- » tout s’efface, que tout se règle. Que les souvenirs de ce soir-là s’apparentent à quelques grains de sable qu'une vague et une autre emportent loin, nettoient de preuves pour mieux, pour plus. Je voudrais juste que tout redevienne comme avant, je voudrais juste qu’on avance. « Je ne… » je voudrais juste que - « Ouiiiiiiiiii… » et le rideau tombe, laisse place à une tornade aux joues joufflues, aux yeux brillants, aux mèches en bataille et au rire solaire qui décide de prendre la jambe de Bennett en otage. Jonah est incroyable de vivacité, il sautille et il rigole encore, pile électrique qui ne fait que confirmer que les miracles existent. Pour la première fois depuis un long moment, ce n’est pas pour trouver un point inutile vers l’horizon ou chercher le moindre coucher de soleil que mes prunelles lâchent celles de Bennett, mais bien pour se visser à la petite silhouette vive de Jonah dominant la chambre de ses assauts. « Mais c’est à moi, ça, » suffira à ce que le bambin serre un peu plus, rien que pour prouver son point, rien que pour laisser son caractère encore pur d’enfant qui n’a jamais rien vu ni connu d’autre que ses parents aimant envelopper de bienveillance la chambre. Je voudrais juste que des moments comme ceux-là soient notre habitude, notre routine, finalement.

« Ginny, tous mes vœux de bonheur, félicitations, tu ne sais pas à quel point je suis heureuse pour toi ! Pardonne-moi ce retard... Il est absolument adorable…! » Emily et sa voix chantante, Emily et sa capacité à attirer vers elle toute l’attention et tous les regards à la seconde où elle apparaît. Elle est incroyablement belle, véritable petit soleil qui sert d’aimant à bonheur, pur et dur. J’ai toujours été catégorique à les voir ensemble tous les deux, à les imaginer aussi complémentaire que vital l’un à l’autre. Emily et Bennett sont les deux faces d’une même pièce, sont deux morceaux de puzzle qui en ont eu assez d’être des électrons libres, bien plus forts et solides ensemble que divisés. « Mais je crois que je vous ai interrompus, continuez, je ne veux surtout pas déranger, » « Déranger ! » deux ans et des poussières, que j’ignore, que je balaie du revers. C’est ça, notre habitude. C’est ça notre routine, tellement ancrée que je ne sais même plus comment on pourrait bel et bien l'arrêter, finalement.

« On parlait de la neige. T’en as déjà vue, Jonah? » et le voilà qui secoue la tête de la négative, vivement surexcité à l’idée d’en voir de la vraie, un jour. La météo a le dos large et si elle arrive à colmater les derniers dommages collatéraux, elle amène avec elle un goût aussi momentané qu’amer au creux de ma gorge de devoir lui mentir, à elle. « Je pense qu’il veut te dire bonjour, à toi aussi. » Sloan, bon joueur, finit par émerger d’une sieste qui n'en avait finalement que le nom maintenant que la chambre est bel et bien envahie d’amour et de nouveaux visages venus expressément pour lui. « MAMAN! Tu m’avais promis que tu me le dirais quand ils seraient là! » ça, c’est un visage connu, et ça, c’est la cerise sur le gâteau qui évidemment arrive au chevet de mon lit comme s’il avait gagné la première place dans un concours de crieurs de rue, ou qu’il avait décidé aujourd’hui de personnifier un éléphant dans un magasin de porcelaine. Oh, Noah. « Quelle personne ignoble je fais. » que je murmure, jouant à la maligne à son oreille, ébouriffant ses cheveux à mon tour, à Noah qui grimpe au centre des regards de tous. Une personne ignoble, oui.

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