On le voit venir à des kilomètres, Swann, quand il a quelque chose qui lui trotte dans la tête. Ses tourments sont d’une évidence même, ils peuvent se lire au milieu de son visage. Certains inconnus arrivent même à le voir, bien que peu d’entre eux prennent la peine de lui en faire part ou même de réellement s’en inquiéter. Ses proches, eux, par contre, le remarquent tous et tout de suite. Il ne sait pas mentir et dès que cela se rapporte à lui-même, il devient alors le pire gardien de secrets qui soit. Il a besoin qu’une autre personne soit impliquée pour être capable de mettre les bouchées doubles dans tout ce qu’il entreprend. Aujourd’hui, sur ce sujet au moins, il n’y a plus personne à couvrir. Il est seul, à nouveau, et c’est avec un sourire en demi-teinte qu’il a passé sa soirée au bar à osciller entre le rôle de client et celui de serveur de pacotille.

A force de “non mais vraiment, ça me dérange pas” et autres politesses, il a laborieusement fait comprendre à Deklan qu’il pouvait partir un peu plus tôt ce soir puisque Swann allait prendre sa place pour ranger le bar à la fermeture. C’est un soir de semaine, il n’y a pas grande affluence et le DBD sera nettoyé en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Il peut y arriver seul avec Matt sans mettre son frère en retard dans son emploi du temps - ou plutôt l’absence d’emploi du temps qui (ne) rythme (pas) sa vie. Il sourit davantage depuis quelques temps, son aîné. Il a l’air bien plus heureux ; il a repris des couleurs. Swann ne le dira pas en retour, mais il l’a bien vu. Ils ne sont peut être pas les meilleurs pour se faire des confidences à cœur ouvert mais cela ne veut pas dire pour autant qu’ils ne tiennent pas l’un à l’autre, bien au contraire. “Ça fait presque un an depuis les dernières confessions familiales.” Depuis que Swann leur a parlé de ses poignets marqués par les cicatrices, depuis que Matt a parlé de cet enfant qu’il n’a pas eu la chance de connaître. La journée avait fait autant de mal que de bien, à l’époque, mais elle n’est pas la raison pour laquelle le cœur de l’anglais se sert horriblement en même temps que ses doigts autour de l’éponge qu’il maltraite au-dessus de l’évier. “Tu m’offres un tour de plus ?” Dire “Matt, j’ai besoin de te parler” aurait été sans doute bien trop simple ; tout comme à l’époque lui dire qu’il était en couple aurait été aussi facile qu’un bonjour. Il a un don inné pour tout rendre compliqué, le blond. “Je peux parler seul cette fois-ci.” Ses propres confessions n’ont pas à forcer la main de son frère pour qu’il parle en retour. Ce sont ses problèmes à lui et à lui seul, il ne veut pas être un boulet à son pied, pas plus qu’il n’a déjà l’impression de l’être.

“Ça fait presque un an depuis les dernières confessions familiales.” je les sens, les frissons qui passent de mes bras à ma nuque, qui laissent dans leur sillage une traînée de chair de poule sponsored by la sensation que y’a quelque chose qui cloche. “Tu m’offres un tour de plus ?” bien sûr, qu’ils disent non qu’ils hurlent, mes yeux, quand je me lève en silence du banc calé prêt du bar de là où je donnais des ordres à qui le veux bien sur où et sur quand et sur comment et sur pourquoi fallait mettre telles bouteilles sur telles tablettes. “Je peux parler seul cette fois-ci.” et le simple fait qu’il s’isole comme ça me fait ralentir le pas, quand j’étais à même de chasser les clients restant avec mon sourire de jeune premier aussi faux que possible tant à l’intérieur ça gronde.

Swann veut parler. Swann parle jamais. Quand il parle, c’est pour nous dire à quel point Lucia est mignonne, ou à quel point leur chien est plus cool que celui de Ginny. Il en a même fait des graphiques. Quand il parle c’est pour me glisser des idées de cocktails à tester, ou pour introduire sans presque pas hurler une nouvelle recette de dessert qu’il veut manger dans la seconde. Quand il parle, il ne l’annonce pas, pas avec un trémolo dans la voix. Sauf l’an passé. Et aujourd’hui aussi, apparemment.
“Si on vous demande, c’est le meilleur macchiato que vous avez bu de votre vie.” que je finis avec le dernier client qui traîne de la patte, lui pour qui je verse les quelques gorgées de merde qui marinaient au fond de sa pinte dans un des gobelets à café du DBD. Ça veut dire “dégage mon gars et dégage vite” mais j’ai passé une vie à tenter de camoufler mes insultes derrière des blagues et une tête de mannequin Colgate et je pense que ça passe bien le message, alors que le type laisse du pourboire avant de faire sonner pour la dernière fois la sonnette de la place. Même Dek s’est envolé c’est pour dire.

Et on est seuls. “L’an dernier on était à l’intérieur, dehors ça revampe un peu le concept tu trouves pas?” on va prendre l’air. On va au jardin, là où on s’y sent le mieux parce qu’on peut inspirer des tas de parfums des fleurs fraîches que Lily entretient sur sa vie par-delà la terrasse. On va au jardin pour qu’il puisse se lever comme s’assoir, on va au jardin parce que c’est là où je vais quand j’ai besoin de penser et j’imagine que si on est pareils pour ça aussi, il en aura besoin lui avec. Les tables sont belles, au jardin. Les parasols servent à rien mais les guirlandes de lumière qui y sont accrochées rendent le tout un peu plus doux, tamisé.

Quand je m’installe sur l’une des chaises en bois tressée et que celle face à moi est logiquement la sienne, c'est un “Je t’aime. Ça faisait longtemps que je te l’avais pas dit.” qui glisse de mes lèvres à ses oreilles. On a tout le temps du monde, je viens à peine de lancer le café.

C’est stupide d’avoir le rythme cardiaque qui s’accélère simplement en anticipation de ce dont il va parler, n’est ce pas ? C’est aussi le quotidien de Swann, et ce n’est pas avec ses deux confessions annuelles en tout et pour tout qu’il risque de s’améliorer à ce niveau-là. Quand bien même il a une confiance totale et absolue envers son frère, cela ne semble pas être suffisant pour qu’il ait aussi confiance en lui-même. Il sait faire semblant et cela n’étonnera pas Matt, ça. Son frère sait réagir bien mieux que personne, il envoie balader les derniers clients non sans oublier de glisser des coups d'œil en direction de son cadet.

Ca ne presse pas, Matt, ça n’est pas grave non plus. Calme toi. Swann est le seul à s’en vouloir dans cette histoire ; son frère a été parfait tout du long, depuis la première heure. “L’an dernier on était à l’intérieur, dehors ça revampe un peu le concept tu trouves pas?” Aller à l’extérieur calmera bien plus le brun que cela n’aura d’effet sur le blond mais c’est bien ce dernier qui le suit avec un sourire sincère au coin des lèvres, ses mains pourtant à jamais enfoncées et cachées au fond de ses poches. Il lui offre un peu de répit et de raisons de se réjouir d’un rien. Même lorsqu’il ne le sait pas, Matt l’aide énormément. Pourtant il a raison : l’extérieur est charmeur. Il a retrouvé la touche féminine de sa femme, il a survécu aux difficiles températures de l’été australien. Les chaises ne grincent pas sur le sol, même celle sur laquelle Matt s’installe maladroitement. Il a l’air plus stressé que son petit frère, désormais, et quiconque entrerait dans le jardin s’inquiéterait bien plus pour lui que pour Swann.

Il parle pour deux et pour cette raison aussi, il est le meilleur frère dont il aurait pu rêver. “Je t’aime. Ça faisait longtemps que je te l’avais pas dit.” Et la première chose qui s’élève en retour, c’est le rire nerveux de Swann. Il n’est pas de ces hommes qui ont honte de dire de telles choses à leur double ou leur famille, bien loin de là, mais cette fois-ci le contexte est tout autre. Si en temps normal il se serait contenté de dire qu’il l’aime aussi même s’il est chiant, cette fois-ci il se retient bien de tout commentaire du genre. Il tourne en rond comme un chien en cage, le dos voûté et ses yeux occupés à scruter le sol comme s’il y cherchait réellement quelque chose. “Moi aussi, Matt.” Bien sûr qu’il aime son frère et même s’il crève d’envie d’enfin cracher le morceau à propos de Rory, il n’est pas égoïste au point de le laisser de côté. Il ne fera jamais une telle chose. “Tu me tends une perche tellement immense que je sais pas quoi en faire.” Il a donné la transition toute trouvée, Matt, mais il a aussi fait voler en éclats tous les plans d’un Swann qui avait prévu de partir de zéro sans aucune aide. De là, n’importe qu’elle amorce lui paraît stupide, enfantine, inadaptée. Ses reproches n’en ont que le nom alors qu’il rigole doucement à nouveau, en réalité, gardant des fossettes imprimées au coin de ses joues. “On a souvent parlé de filles ensemble, pas vrai ?” Ils ont donné des notes (c’est mal), ils ont parlé de leurs meilleurs coups (c’est mal) et de leurs pires (c’est mal, mais c’était drôle). Ils ont parlé de tout et de rien, de l’intime comme du plus intime encore. Aujourd’hui, c’est de Lucia dont il lui parle tout le temps, cette fois-ci pourtant sans jamais trahir l’intimité de sa petite amie, tout comme il ne l’avait pas fait avant à propos de Noa - cette fois-ci, c’est Matt qui ne voulait rien entendre. “Tu te souviens de Rory ?” Il aurait dû saisir la perche de Matt, parce que ses transitions sont les pires du monde. Il fait un pas et un autre en arrière, préférant se poser contre le mur face à lui plutôt que simplement venir sur la chaise qui n’attend que lui. Ses doigts triturent ses poches, ses dents attaquent l’intérieur de ses joues et ses yeux, eux, ont bien du mal à retrouver leur chemin vers son frère.

“Je t’aime. Ça faisait longtemps que je te l’avais pas dit.”

Ça semble être l’évidence, ça semble aussi être la pire comme la meilleure des choses à lui dire rien qu’à voir comment il passe en deuxième vitesse à tourner autant en gestes que dans sa tête. Ça m’enrage, ça. Jamais envers lui - surtout envers moi-même. Si un jour je pouvais arriver à être foutu de réussir à vraiment bien calmer l'air entre nous tous, dans tout ce qui peut bien se tramer à l’intérieur pour mes sœurs et mon frère, j’aurai au moins appris à faire quelque chose de bien de mon insignifiante vie.

“Moi aussi, Matt.” j’en doute pas une seconde, je doute pas non plus que l’amorce est pas celle à laquelle il s’attendait alors que j’aurais pas pu faire autrement. C’est important de les dire, ces mots-là. Si j’ai bien retenu quelque chose de la conversation qu’on a pu tous avoir l'an dernier, c’est qu’on sait jamais quand ça sera la dernière fois. “Tu me tends une perche tellement immense que je sais pas quoi en faire.” qu’il rigole mais pas vraiment fait mal, j’en laisse pas paraître la moindre miette. Quand mes yeux trouvent les siens, c’est avec un calme presque olympien que je lui mets la table au propre comme au figuré. “Fais ce que tu crois être le mieux.” c’est ce qu’on tente tous de faire chez les McGrath, depuis toujours. Faire au mieux pour le monde en entier.

Là, il est temps de faire au mieux pour lui. “On a souvent parlé de filles ensemble, pas vrai ?” ouais et? Y’a un truc qui va pas avec Lucia. Ils ont rompus, elle lui a brisé le coeur, faut absolument pas que Jill ou Ariane le sache. Les scénarios se multiplient et je passe déjà en mode survie, prêt à fermer le café ou à en donner l’entière responsabilité à Deklan pour qu’on s'organise un roadtrip, que dis-je, un voyage à l’autre bout du monde pour lui changer les idées. Dans ma tête, les billets d'avion sont déjà achetés et l’hôtel tout trouvé. On va faire une croisière, tiens, c’est bien un bateau au beau milieu de l’océan et des îles paradisiaques tout autour à perte de vue. “Tu te souviens de Rory ?” hen quoi wait what? Les liens se font pas, bien sûr qu’ils se font pas quand t’es un grand frère aveugle qui n'a jamais vu la moindre bribe de relations évidentes que Jill, Swann ou Ginny ont bien pu avoir même sous mes yeux. Passons.

Sa silhouette recule, il s’appuie contre le mur de briques. “Il va pas? Il lui est arrivé quelque chose?” come on Matt, va direct sur le drame, vise toujours vers le catastrophique, c’est bien comme ça qu’on t’a élevé non? Bien sûr que je me rapelle de Rory. Rory et son sourire de roi, Rory et ses histoires de plateau qui devenaient toujours de plus en plus croustillantes au fil des cocktails gratuits que je lui posais savamment sous le nez. Rory et ses dizaines d’apparitions dans la vie de Swann, Rory et ses éternelles étoiles dans les yeux quand il était dans le coin, Rory et - “Oh.” oh, indeed.

“Tu te souviens de Rory ?” Il parlait de filles et soudainement il parle de Rory. Cela ne fait aucun sens, ce n’est pas logique, ce n’est pas normal. Il s’est trompé de prénom peut être, il l’a échangé avec l’une de ses aventures d’un soir du temps de Londres. Un lapsus, rien d’autre. Si seulement. Jamais il ne confondrait ce nom avec celui d’un autre tout comme jamais il ne laisserait leurs souvenirs ensemble se brouiller pour mieux s’évanouir. Alors Swann fait craquer ses doigts, il rape la semelle de sa chaussure contre le mur, il joue des muscles de ses joues qui se contractent et se décontractent sans raison apparente. Il a fait des efforts depuis la dernière fois et maintenant au moins, il peut regarder son frère dans les yeux. Il l’observe alors que les pensées cheminent silencieusement dans son esprit et que peu à peu, il parvient à l’évidence. “Il va pas? Il lui est arrivé quelque chose?” Il va pas, non, mais il ne lui est techniquement rien arrivé. Ironiquement, Swann est juste parti. L’anglais qui ne répond pas, d’ailleurs, parce qu’il sait que son frère va arriver à la conclusion par lui-même. Maintenant qu’il a ouvert la boîte de Pandore, tout va lui sembler d’une logique évidente et couler de source.

“Oh.” Voilà. Oh. Swann hoche de la tête, toujours étrangement silencieux. Est ce qu’il a réellement besoin de tout expliquer alors qu’un simple “oh” semble suffire pour révéler quatre années de vies volées, manquées ? Il a envie de s’en aller et de se dire que le devoir est accompli, qu’il n’a rien à faire de plus dans les environs. Il est lâche et il ne changera pas, mais ce qu’il fait il ne le fait pas pour lui. C’est pour Rory, tout ça, parce qu’il mérite enfin d’être reconnu à sa juste valeur. “Je l’aimais comme un fou.” Et il ne l’a jamais dit à personne. L’acteur le savait, oui, mais il était le seul. Il n’aurait jamais dû se faire le gardien d’un tel secret alors que Swann a dû se pincer à tant de reprises pour se rappeler des règles qu’il avait lui-même mis en place et que non, il ne pouvait pas lui tenir la main. Ses paupières ne tiennent pas en place, ni même ses dents qui prennent d’assaut ses lèvres quand ce ne sont pas ses joues. “Mais je voulais pas être différent.” Pas sur ce sujet là, pas dans un état conservateur, pas alors qu’un mariage entre eux était encore prescrit au début de leur relation. Il ne voulait pas être différent, surtout pas aux yeux de sa nouvelle famille face à laquelle il tentait de faire au mieux. “Je voulais pas me rapprocher de ces filles parce que j’étais en couple avec lui.” Cela ne l’empêchait pas de les trouver drôles et jolies, mais ce n’était rien en comparaison de l’homme qui le rendait infiniment heureux. Elles n’arrivaient pas à sa cheville et Matt, lui, il faisait au mieux avec les informations qu’il avait en sa possession. Pour ça, Swann ne lui en voudra jamais. Tout ce qu’il espère c’est qu’en retour, il ne lui en voudra pas de lui avoir caché une telle chose pendant autant de temps - il s’en veut déjà lui-même bien assez, sans aucun doute. “Quatre ans. Ça a duré quatre ans.” Il a été son roc qui l’a aidé à s’adapter dans ce nouveau pays, ce nouveau métier, ces nouvelles habitudes, cette nouvelle famille. Il était tout mais aux yeux du reste du monde, il n’existait pas.

Enfin, le blond souffle doucement. “Je suis désolé.” De ne rien lui avoir dit, d’avoir menti. D’être ce genre de personne, aussi.

Qu’il craque ses doigts, qu’il soupire. Qu’il se cale sur le muret, qu’il prenne tout son temps. J'ai pas du tout prévu d’être ailleurs ni maintenant ni jamais, comme je n’ai pas plus prévu de le presser à faire ou à dire quoi que ce soit. C’est Swann qui est devant moi et c'est aussi lui qui prend son temps, qui cherche ses mots. Les miens - le mien - il remonte comme une évidence. Le facepalm mental et le souffle qui se perd, les sourcils qui se haussent, inutile à souhait. Sérieux Matt, t’aurais pu faire un bac en lettres juste pour pas avoir l’air d’un abruti d’imbécile d’empoté.

“Je l’aimais comme un fou.” il reprend le blond, sans une seule pause de plus. Il reprend et sa voix est enrouée même s’il vient tout juste de parler. Je déteste qu’il parle au passé. Je déteste qu’il l’amène comme une fatalité, presqu’autant que je hais qu’il semble être aussi mal de le dire. Ce que je crains, ce qui se brandit au-dessus de ma tête comme une épée de Damoclès, un putain d’éléphant dans la pièce, ne fait que rester ambiant. Et j’espère, de toutes les forces qu’il me reste, que ça ne soit pas à cause de ça. Qu’il n’ait pas gardé ça pour lui parce qu’il croyait qu’il devait - “Mais je voulais pas être différent.” fuck. La salve de frissons qui me passent comme une bourrasque de vent des doigts aux tempes n'a rien de doux, tout d’amer. Je craignais ça, sans même le réaliser avant aujourd’hui. Je craignais qu’on lui ait donné l’impression qu’il devait prouver quoi que ce soit. Qu’il avait à faire sa place, à la mériter, à se plier coûte que coûte au moule que Isaïah avait fait de nous comme un connard d’égoïste en nous cassant depuis la naissance. Je craignais le tout sans jamais avoir cru que ça pouvait être véritablement vrai. Nous y voilà.

“Je voulais pas me rapprocher de ces filles parce que j’étais en couple avec lui.” pas une seule once de jugement dans mon regard envers lui, bien sûr que non. Il a bien le droit d’aimer comme un fou qui il veut, d’être en couple avec qui il veut, il a pas besoin de se mettre de la pression sur les épaules et d’office, je l’oublie le ais, je l’oublie et suis déjà prêt à brainstormer des tas de plans pour le sortir de son couple actuel rien que pour lui permettre de rattraper ce qu’il a perdu et et et et et “Quatre ans. Ça a duré quatre ans.” putain. Quatre ans. “Je suis désolé.” non. Non soit pas désolé Swann, tout sauf ça. “Est-ce que tu l’aimes encore?” et Matt, c’est pas tes affaires. Ça l’est absolument pas, et c’est pas du tout le sujet d’aujourd’hui. Je pourrai pas rattraper le temps perdu, je pourrai pas sauver ce qu'il a perdu. Par ma faute, la nôtre. Pourtant je me meurs de ne pas avoir une clope au bec, un joint, une pinte, n’importe quoi pour m’occuper les doigts qui se triturent. Je sais même pas si je suis furieux ou nerveux, dépassé ou un mélange au choix du chef. Contre moi, contre la famille. Contre tout le monde sauf Swann. “Quand t’aimes comme un fou tu -” qu’est-ce qu’on a dit Matt? Pas ton combat, pas ta place. “C’est moi qui est désolé de pas l’avoir vu plus tôt. De pas t’avoir aidé à pas te sentir différent.” ça, là, juste là. C’est ça ta place. Et encore une fois, j’y ai échoué.

Désormais, il serait bien difficile de définir lequel des deux frères se sent le plus mal à l’aise. La soirée était belle et prometteuse mais Swann ne pouvait pas attendre un instant de plus avant de mettre Matt dans la confidence, lui qui fait office de crash test pour la famille toute entière. Il en parlera à ses sœurs ensuite, bien sûr, mais allez savoir pourquoi l’avis du sexe masculin semble bien plus compter en cet instant. Comme s’il avait besoin de prouver ( à lui même et au reste du monde) que cela ne l’empêchait pas le moins du monde d’être viril et tout ce qui va avec. “Est-ce que tu l’aimes encore?” Il répond par un rire nerveux simplement parce que cette discussion prend déjà les mêmes airs de celle qu’il a eu avec Lucia. Est ce que tu l’aimes encore ? Est ce que tu penses encore à lui ? Est ce que tu t’en veux de l’avoir quitté ? Les questions sont légitimes et il ne remet pas ça en question, il s’en veut simplement de ne pas en avoir parlé de suite et d’avoir tout rendu infiniment plus douloureux que cela aurait pu l’être. “J’aime Lucia.” Il est certain de cela, tout comme il est certain de ne plus aimer Rory. Pas comme il l’aimait avant, en tout cas, et aujourd’hui ses sentiments pour l’australien ne peuvent plus être qualifié d’”amour”. C’est quelque chose d’autre, quelque chose qui n’appartient qu’à eux et cette fois-ci ce n’est pas seulement dû à une demande de l’anglais : les deux hommes ont toujours besoin de garder une certaine intimité toute relative.

Perdu dans ses pensées, il relève néanmoins le regard lorsque son frère reprend. “Quand t’aimes comme un fou tu -” En cet instant, il aurait réellement voulu connaître l’avis de son grand frère et se fier à son expérience. Il ne le fait jamais, il ne demande jamais rien non plus et ce ne sera pas différent cette fois encore mais Swann répond à sa façon en mordant muettement de ses molaires l’intérieur de ses joues. Les possibilités de paroles pour la fin de sa phrase sont infinies et il se fait plus de mal qu’autre chose à tenter d’en dresser la liste, tant et si bien que des excuses semblent bien plus appropriées en cette situation. “C’est moi qui est désolé de pas l’avoir vu plus tôt. De pas t’avoir aidé à pas te sentir différent.” Le blond aimerait répondre que cela n’aurait rien changé mais il ne veut pas avoir à lui mentir davantage. Ça aurait tout changé, absolument tout, mais ce n’est pas pour autant qu’il en veut à son aîné de ne pas avoir vu des indices qu’il a passé une vie à tenter de cacher. Le cas échéant, il s’en serait voulu d’avoir imposé un secret qu’il aurait lui-même été incapable de cacher. Il s’agit là de l’éternelle histoire du serpent qui se mord la queue. “Je t’en veux de rien, Matt. C’est moi qui lui ai imposé ce secret.” Par conséquent, la faute ne peut pas être rejettée sur personne d’autre que lui même et c’est tant mieux. Il a la gorge éternellement serrée mais un sourire paradoxal se forme au bout de ses lèvres alors qu’il repense simplement aux instants partagés avec le Craine. “Il s’est jamais plaint, il n’a jamais rien dit. Pendant quatre ans il a joué le jeu, tu sais, même devant sa famille et devant vous.” Les mots peinent de plus en plus à trouver leur chemin alors que son visage prend la forme de bien des rictus différents pour lui qui oscille entre les larmes au bord des yeux et les sourires voilés. “Et toi tu dis rien non plus.” Il ne fulmine pas, il ne lui crie pas dessus, il ne le traite pas de tous les noms, il ne lui souhaite pas non plus une mort lente et douloureuse. Il est Matt, juste Matt. Il est son frère et même après cet aveux, rien n’a changé. Ce n’était pas le plan de base et alors qu’il devrait se contenter d’être rassuré, il ne peut que s’en vouloir davantage encore. “Je l’ai fait souffrir pour rien.” Ses propres tourments étaient une chose mais ceux de Rory, c’en est une autre, une qu’il accepte avec bien moins d’aisance. Il ne regrette pas la vie qu’il mène aujourd’hui, bien loin de là, mais il regrette celle qu’il a imposé à un être qu’il estime de tout son coeur.

Quand t’aimes comme un fou tu finis toujours par faire du mal aux autres, c’est bien ça ?

“Est-ce que tu l’aimes encore?” j’ai pas le droit de lui demander ça.
“J’aime Lucia.” autant que lui a pas le droit de répondre autre chose que ça.

Quand t’aimes comme un fou tu - tu veux pas entendre ton grand frère de merde qui a pas pu être là quand t’en avais besoin te donner le moindre conseil. “Je t’en veux de rien, Matt. C’est moi qui lui ai imposé ce secret.” ouais, ouais. J’ai toujours été bien plus doué pour me mettre le nez partout où il fallait pas et pour ça, rien que pour lui, j’aurais dû. Je l'ai (trop) fait pourtant, avec Jill, avec Ginny. J’ai été lourd et surprotecteur, le suis encore si vous vous demandez. Mais avec Swann, avec la seule personne pour qui j’saurais dû l’être, nope, meilleure chance la prochaine fois, remboursé, service discontinué. “Il s’est jamais plaint, il n’a jamais rien dit. Pendant quatre ans il a joué le jeu, tu sais, même devant sa famille et devant vous.” comme Ginny avec Auden. Comme Jill avec Bailey. Comme Swann et Rory maintenant. C’est à croire qu’on est doués pour ça, jouer les amoureux transis cachés. Comme si plus ça pouvait être compliqué plus ça nous menait, comme si tant qu'on a aucun chance que le monde l’accepte on y saute à pieds joints. Est-ce que c’est à cause de ça, que systématiquement on aime comme des fous? Est-ce que c’est parce que le truc est maudit d’avance qu’on s’y jette corps et âme, ou juste parce qu’on croit éternellement et comme des idiots qu’on ne mérite rien de mieux qu’une fin avant même de s'autoriser un début? Un peu de tout ça, j’crois. Les preuves sont là faut dire.

Il pleure presque. Je déteste ça. “Et toi tu dis rien non plus.” comme à l’époque non? C’est pas ça le deal, que je sois le raté, le connard, l'aveugle qui sait pas se la fermer avec l’univers en entier mais qui joue les carpes bien muettes avec la seule personne qui aurait dû avoir le droit d’en parler? Je l’ai fait souffrir pour rien.” et c’est le moment qu’il arrête de souffrir lui aussi, tout seul en plus de ça. Quand ma silhouette s'arrache avec violence d’un bond d'un seul de la chaise, c'est même pas négociable que mes bras passent de chaque côté de ses épaules. Que l’étreinte en vienne à devenir suffocante même si l’ironie reste que je veux juste lui donner un peu d'air, un peu de place pour mieux respirer face à tout ça. C’est à son oreille que je joue les grands frères quatre ans trop tard, un murmure qui essaie de colmater les fissures, de calmer les dommages collatéraux. Je l’ai fait souffrir pour rien. “Quand t’aimes comme un fou c’est jamais pour rien.” quand t'aimes comme un fou, c'est jamais véritablement fini.

Il se sent pathétique et tel un enfant alors que son frère s’avance vers lui et commence à le tenir entre ses bras. Ce n’est pas qu’il n’aime pas ce geste, bien au contraire. C’est justement qu’il en avait infiniment besoin. Ça sonne comme un “c’est ok, Swann, c’est pas grave” et quand bien même personne n’a prononcé ces mots, ce sont ceux qu’il comprendre et s’invente dans son petit esprit qui a éternellement besoin d’être rassuré de tout. Sa tête ne prend plus la peine de se tenir droite et il l’enfouit contre sa clavicule, un bras dans le vide, un autre remontant maladroitement et brusquement jusque dans son cou. Il serre le tissu de son tee shirt entre ses doigts. Alors c’est tout ?

Après avoir passé presque cinq années à tenir ce secret, voilà qu’on lui fait comprendre qu’il n’y en a jamais eu l’utilité. Matt s’en moque. Matt s’en contrefiche de savoir s’il aime Rory ou Lucia, un homme ou une fille. Il est heureux pour lui dans les deux cas parce qu’il l’aime pour être son frère et non pour la personne pour qui son coeur bat. C’est tellement évident qu’il n’a jamais pris la peine d’y penser et qu’il n’a simplement jamais pensé à cette éventualité ci. L’anglais n’avait vu que le mal et le pire, jamais la réalité. Les nerfs lâchent et ses larmes avec, il se sent encore plus vulnérable et enfantin mais puisque son frère en est le seul témoin, il n’a pas honte pour autant. Son corps est secoué de sanglots silencieux et ses larmes imbibent une à une le tee-shirt de son aîné. Tout ça pour ça est la seule chose à laquelle il pense, entourée de nombreux “et si”. Et s’il avait tout dit dès le début ? Tout aurait pu être différent, plus beau encore.

Tout aurait pu être étouffé dans l’oeuf, aussi, et il sait désormais qu’il n’aura jamais la réponse à sa question. Ce n’est déjà plus une question, ce n’est qu’un poids infini qui se décroche enfin de ses frêles épaules. Son cœur bat encore bien plus vite qu’il ne le devrait et ses bras serrent son frère plus fort qu’il ne le fait mais bientôt, c’est promis, il sera capable de se reprendre. “Quand t’aimes comme un fou c’est jamais pour rien.” Il sera le dernier à réfuter cet argument là, surtout pas alors que c’est désormais Lucia qu’il aime comme un fou et c’est pour elle qu’il fait tout ça. Il aimait bien garder ce secret au fond de son cœur mais elle méritait qu’il reparte de nouvelles et saines bases. Leur couple le mérite.