► SAY SOMETHING @Caelan Leckie & MARCUS LECKIE Well, it cuts so deep when you try to speak But the words don't come out right

“Faut qu’on parle.”
Jamais Marcus n’utilisait-il pareille formulation cliché et agressive pour sommer qui que ce soit d’avoir une discussion. Jamais ne la disait-il à haute voix, ni ne l'envoyait par texto. S’il n’avait aucune crainte de la confrontation, il n’était pas d’un naturel brut de décoffrage, intimidant de quelque sorte. Il était même particulièrement rare de le voir en colère -cela accélérait les rides d’après lui. Si la contrariété était un lot quotidien dans le cadre de son travail où son amour de la rigueur s'imposait à tous les collaborateurs de son service, il laissait cette émotion de côté dans sa vie privée. Avait-il déjà été en colère contre un de ses frères et sœurs ? Vraiment en colère ? Si cela avait été le cas, Mac n’en avait pas le souvenir. Rien d’aussi vibrant, et brûlant, et horrifiant que ce qu’il ressentait tandis qu’il prenait sa voiture pour se rendre chez Caelan comme prévu. Ils allaient parler. Ou plutôt, son cadet allait parler, et il avait intérêt à s’expliquer et à faire pénitence s’il espérait avoir la moindre chance de ne pas recevoir une salade de phalanges dans le nez. Il s’en sentait capable, l’australien, les mains serrées fermement autour du volant, et il avait en horreur cette pensée qui traversait son crâne. Mais il avait encore plus en horreur l’image qui s’était formée dans sa tête au fur et à mesure du récit de son ancienne belle-sœur. Aussi fort aurait-il voulu ne pas en croire un mot, il lui était impossible de considérer Jessica comme une menteuse. Non, elle avait été comme une véritable soeur pour lui durant toutes ces années où son alliance avait orné son doigt. Il vivait ses révélations comme si l’on s’en était pris à Norah. Ses jambes nerveuses en tremblaient sur les pédales. Son regard sombre tentait de demeurer concentré sur la route alors que ses pensées et ses émotions secouaient ses os et retournaient son estomac. Et une seule question se répétait encore et encore comme un écho se fracassant contre les parois de son crâne ; comment avait-il pu ?

Marcus arriva sur place, en un clignement de paupières il se retrouvait devant la porte de l’appartement de son frère. Son poing frappait fermement le battant. Caelan ne tarda pas à ouvrir -au moins avait-il le courage de le confronter- et le brun s’invita à l’intérieur sans attendre d’en recevoir la permission -ce qui était de toute manière étranger à son cadet d’après ce qu’il avait découvert. Quelques pas dans le salon et il fit volte-face, bras croisés sur son torse. “T’as la tronche de quelqu’un qui sait exactement pourquoi je suis là.” Cette moue déconfite et coupable que Caelan avait depuis qu’il était petit, l’exact même regard que celui qu’il jetait à leurs parents lorsqu’il était pris la main dans le sac après l’une de ses bêtises. Il le connaissait par coeur, cet air, si bien qu’il reconnaissait ce rictus au coin de sa bouche qui voulait dire “n’y va pas trop fort”. “Jess m’a tout dit, Caelan.” Ou plutôt, elle lui avait raconté tout ce qu’elle avait eu le courage de dire, et cela était déjà bien assez. Plus que ce que son propre frère avait été en mesure de lui confier. Non, il avait fallu qu’il apprenne tout cela de la bouche de la victime tant Caelan faisait preuve de lâcheté. “C’est quoi ton problème, bordel ? Qu’est-ce qui tourne pas rond chez toi ?” lança-t-il en ajoutant quelques décibels à sa voix grave, forte. Marcus ne pouvait s’empêcher de se demander ce que leurs parents avaient raté, ce qu’il avait raté lui en qualité de grand frère, de modèle, pour que Caelan devienne un homme capable du pire. “Quand est-ce que tu comptais dire quoi que ce soit ?” Et dire qu’il était revenu du Canada la bouche en coeur, comme si de rien n’était, prêt à se faire accueillir à bras ouverts. Dire qu’il avait vécu tout un mois sous son toit sans que rien ne lui soit exigé en retour et qu'il n’avait rien dit. Pendant des semaines, la vie reprenait, et il n’avait même pas l’air de se sentir coupable de quoi que ce soit. Ces pensées rendaient Marcus malade. La respiration profonde, les dents serrées, sa tête dodelinait négativement quelque part entre le blâme et l’incompréhension. Finalement, c’était un inconnu qui était revenu à Brisbane, et ce dont il ne s’était pas douté, c’était depuis combien de temps son frère était devenu l’homme qu’il avait sous les yeux.

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« Faut qu’on parle. » Les mots de Marcus avaient frappé Caelan de plein fouet. Sans lui poser la moindre question, il savait très bien de quoi son aîné souhaitait discuter. Parce qu’il ne voyait aucun autre sujet que son divorce qui pouvait justifier les paroles que son frère avait utilisées. Pendant un instant il se demanda si Norah pouvait être celle qui avait vendu la mèche, mais elle lui avait bien dit que ce n’était pas son rôle à elle de le faire. Alors sans chercher davantage, il assuma que Jessica devait être celle qui avait tout raconté à Marcus étant donné qu’elle était la seule autre personne au courant qui était proche de lui. Bien que Caelan aurait préféré avoir lui-même cette discussion avec son frère, il était tout simplement incapable d’être fâché contre son ex-femme de lui avoir dit, pas après ce qu’il lui avait fait. Il ne pouvait que s’en vouloir de ne pas l’avoir fait avant elle alors qu’il était conscient qu’il était chanceux que son secret n’ait pas été découvert plus tôt alors que leur séparation remontait à presque deux ans déjà. « Ok. Je suis chez moi toute la journée » s’était-il contenté de répondre, la peur au ventre. Il redoutait tant l’arrivée de son frère qu’il contempla l’idée de s’enfuir de son appartement pendant une fraction de seconde, mais il se ravisa parce qu’il était bien conscient que ça ne servirait absolument à rien sauf amplifier la colère que son aîné ressentait probablement déjà. Alors il se contenta de faire les cents pas dans son appartement en l’attendant, après avoir été vomir son dernier repas sous l’effet du stress. Il pourrait au moins se consoler du fait que sa colocataire était absente de leur appartement aujourd’hui, elle ne serait donc pas témoin de la conversation houleuse que les deux frères s’apprêtaient à avoir.

Lorsque Marcus cogna à la porte de l’appartement de son cadet, ce dernier avait la tête enfouie dans une de ses armoires, en quête d’une bouteille de vodka pour se donner un peu de courage. Il abandonna toutefois le projet, préférant aller ouvrir la porte à son frère avant qu’il ne s’impatiente. Le cœur battant à tout rompre et le teint blafard, il sourit faiblement lorsque son regard croisa celui de son ainé. « Hey… » dit-il d’une petite voix qui manquait cruellement d’assurance. Tandis que Marcus se dirigeait vers le salon, Caelan referma la porte. La mine piteuse, il se retourna lentement vers Mac sans toutefois faire un pas dans sa direction. Il avait beau chercher dans ses souvenirs les plus lointains, il ne se rappelait pas avoir déjà vu son grand frère en colère, du moins pas à ce point. Il préférait donc garder une certaine distance avec lui puisqu’il n’avait aucune idée de comment ce dernier allait réagir. Visiblement mal, c’est tout ce dont il était certain. « T’as la tronche de quelqu’un qui sait exactement pourquoi je suis là. » Le regard évitant, Caelan déglutit difficilement en hochant la tête tout en triturant nerveusement le bas de son chandail à deux mains. « Je m’en doute, oui. » Une infime partie de lui espérait toutefois se tromper, même s’il savait que les chances étaient plutôt minces. « Jess m’a tout dit, Caelan. » Le brun poussa un long soupir, ferma les yeux, puis pinça ses lèvres d’un air coupable. Il se massa nerveusement la nuque d’une main avant d’enfouir ses deux mains dans les poches de son pantalon, ne sachant pas trop quoi en faire. « C’est quoi ton problème, bordel ? Qu’est-ce qui tourne pas rond chez toi ? » Le visage de Caelan se décomposa lorsque Marcus haussa le ton. Intimidé, il courba l’échine et fixa ses pieds. « Ce n’était pas mon intention, Mac. J’ai jamais voulu… » Sentant les émotions remonter dans sa gorge, il se tut et se tourna face à la porte d’entrée le visage dans une main. « Quand est-ce que tu comptais dire quoi que ce soit ? » Il prit une grande inspiration avant de se retourner vers son frère, plongeant son regard embué dans le sien. « J’en ai parlé à Norah il y a quelques semaines, je voulais t’en parler bientôt… » Sauf qu’il n’avait pas voulu gâcher le Noël de tout le monde alors il avait préféré attendre, même s’il était conscient qu’il n’y avait pas de moment idéal pour ce genre de confession. « Je m’en veux tellement Mac, je n’ai jamais voulu lui faire de mal je te le jure. » Sa voix s’étrangla dans sa gorge tandis qu’il implorait son grand frère du regard de bien vouloir le croire.

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Serait-il parvenu à entendre la vérité sur la séparation de son frère et sa belle-sœur plus tôt que ce jour-là ? Aurait-il gardé la tête froide ? Aurait-il moins blâmé Caelan ? Marcus n’avait pas la réponse et puisque son cadet n’avait pas trouvé nécessaire de se confier à lui sur ses erreurs, ils ne le sauraient jamais. Non, il avait préféré attendre, fuir à l’autre bout du monde et garder le silence à son retour. Il avait opté pour la lâcheté, et le brun était certain que ce n’était pas dans ce bois que cette famille avait été taillée. Ils étaient vrais les uns avec les autres, que cela leur plaise ou non parfois, car c’était sur les bases de l’honnêteté que pouvait pousser la confiance. Désormais l’aîné se sentait non seulement pris au dépourvu, mais désavoué par son propre frère. Il était bien assez âgé et adulte pour prendre ses décisions entre toute connaissance de cause, assez mature pour en assumer les conséquences, à première vue. N’avait-il pas assez eu confiance en lui pour lui en parler à la seconde où le drame avait eu lieu ? Croyait-il qu’en tournant le dos à cette histoire, son erreur s’effacerait toute seule comme un vulgaire message dans le sable ? Avait-il l’intention d’emporter ce secret dans sa tombe et de s’en sortir à si bon compte ? Les questions débordaient de l’esprit de Marcus, hurlant toutes dans son crâne comme les klaxons de camions dans un embouteillage en heure de pointe. Il était mis à piétiner dans le salon, pris du trop plein d’énergie allant de paire avec l’adrénaline de la confrontation et la frustration. S'il le pouvait, il n’accuserait pas son frère de la sorte. S’il s’en sentait capable, il ne lui ferait pas part d’autant de dégoût et de colère. Mais le rejet pour tout ce que Caelan était désormais à ses yeux transpirait dans son regard, dans le rictus au coin de ses lèvres. Un inconnu, pire, un sauvage. Un animal incapable de contrôler ses pulsions. Un être incivilisé qui faisait honte à toutes les valeurs de leur famille. « Ce n’était pas mon intention, Mac. J’ai jamais voulu… » qu’il bredouillait comme si l’excuse était valable, comme si ce genre de maigres regrets étaient recevables. Comment était-il humainement possible d’ignorer la blessure que l’on infligeait à la personne qu’on aimait ? Comment pouvait-on être aussi aveugle, dans le déni de l’égoïsme le plus pur qui était nécessaire pour en arriver à ce point ? « J’en ai parlé à Norah il y a quelques semaines, je voulais t’en parler bientôt… » Bien sûr qu’il en avait parlé à Norah. Twin thing. Pourquoi en était-il étonné ? Et Norah ne lui avait rien dit non plus, évidemment, tandis que Marcus avait décroché son téléphone dans la seconde afin de prévenir Percy. Il avait compris que leur frère n’aurait jamais le cran de le faire lui-même, et il se fichait bien si Caelan prenait cela comme un poignard dans le dos lorsqu’il le découvrirait ; il n’était plus le mieux placé pour juger des trahisons des autres. “Et c’est quand ça “bientôt” ? Dans deux ou trois années supplémentaires ?” lançait-il, et si l’exagération était un effet de la colère, le fond de la question demeurait inchangée. “Je t’accueille tout un mois chez moi et t’es même pas foutu d’être honnête avec moi ! Je dois l’apprendre de la bouche de ton ex !” Marcus doutait à peine, désormais, de la capacité de Caelan à garder le secret le plus longtemps possible tout en demeurant parfaitement capable de les regarder dans les yeux, de leur sourire, de faire comme si son divorce était une banalité et que la vie continuait. Jess n’avait pas ce luxe, ce privilège. Elle était la victime, et elle vivait avec ce label invisible sur le front chaque jour qui passait. Son rapport aux hommes, sa confiance en eux en était altérée. Son mari, celui supposé l’aimer jusqu’à la fin de ses jours, la protéger, la chérir, lui avait infligé un mal irrémédiable. Et lui s’envolait pour le Canada dans un élan de déni le plus lâche que Mac eût pu penser voir un jour dans sa vie. “Comment tu as pu lui faire ça ?” assénait-il encore, car “je n’ai pas fait exprès” n’était pas suffisant et ne le serait jamais. « Je m’en veux tellement Mac, je n’ai jamais voulu lui faire de mal je te le jure. - Mais tu l’as fait ! Tu l’as fait et ça me dépasse que mon propre frère soit capable d’une chose pareille ! » Le ton lui échappa, les décibels aussi. Il avait de l’affection pour Jessica comme pour une membre de la famille à part entière. Il ne cessait de s’imaginer ce qu’il ferait si cette affaire était arrivée à sa véritable soeur, à Norah, et il était certain qu’il n’aurait pas eu le même self control, qu’importe s’il avait eu Frank face à lui à l’époque. Et même s’il s'époumonait sur lui, c’était l’amour qui retenait son poing serré d’embrasser la joue de Caelan pour que le message puisse monter directement à son cerveau. “C’était quoi l’idée ? Entre Percy et moi il n’y avait pas assez de représentation de la bonne grosse masculinité dans la famille, tu devais te charger d’être le gros con de service ? Ou alors t’as senti le besoin d’avoir ce que Norah avait quitte à forcer Jess à l’avoir, ce gamin ? Dis-moi Caelan ! Dis-moi ce qu’il t'est passé par la tête parce que j’ai beau essayer de comprendre, je ne vois pas comment t’as pu en arriver là.”

Spoiler:

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Lui dire la vérité, il n’y avait pas une semaine pendant laquelle Caelan n’y pensait pas depuis qu’il avait remis les pieds en Australie. Sauf que considérant les circonstances de son retour au pays, il avait préféré tout d’abord attendre que leur sœur soit tirée d’affaire, jugeant qu’ils en avaient tous suffisamment sur les épaules. Étant donné le lien privilégié que Norah et lui partageaient depuis leur naissance, il avait ressenti le besoin de lui avouer à elle en premier, d’autant plus qu’il lui avait fait la promesse à l’hôpital qu’il lui dirait la vérité dès qu’elle serait de retour chez elle. Il aurait certainement pu l’avouer à Marcus tout de suite après, mais il avait eu besoin de reprendre son souffle. Parce qu’en voyant que sa relation avec sa jumelle s’était dégradée suite à sa confession, il savait bien trop que ce ne serait qu’encore pire avec Mac. Alors il s’était dégonflé, encore une fois, parce qu’il avait peur de se retrouver seul sans les siens. Pourtant, au début du mois, il s’était senti prêt à aller de l’avant avec sa démarche (autant prêt pourrait-il être), mais Jessica l’avait visiblement devancé. « Et c’est quand ça “bientôt” ? Dans deux ou trois années supplémentaires ? » Il secoua la tête en signe de dénégation tout en se massant la nuque d’une main. « Non… je voulais t’en parler dans les prochains jours… » dit-il le regard évitant, incapable d’affronter celui de son frère plus longtemps. « Je t’accueille tout un mois chez moi et t’es même pas foutu d’être honnête avec moi ! Je dois l’apprendre de la bouche de ton ex ! » L’air déconfit, Caelan croisa ses bras contre son torse en pinçant ses lèvres. « Je suis désolé Mac, j’aurais dû te le dire avant… » Il prononça ces mots à voix basse en espérant que ça aurait comme effet de calmer un peu les foudres de son frère. « Comment tu as pu lui faire ça ? » Il haussa lentement les épaules, n’ayant aucune réponse valable à lui fournir. Il tenta toutefois d’expliquer à son frère qu’il s’en voulait pour ce qu’il avait fait et qu’il n’avait jamais voulu faire de mal à Jessica, ce à quoi Marcus réagit en haussant le ton. « Mais tu l’as fait ! Tu l’as fait et ça me dépasse que mon propre frère soit capable d’une chose pareille ! » Face à ses mots, Caelan eut le réflexe de reculer un peu, s’arrêtant seulement lorsque son dos cogna contre la porte de son appartement. Il était encore gamin qu’il cherchait déjà l’approbation de son aîné, qu’il idolâtrait, auprès duquel il avait toujours l’impression de devoir se faire valoir. Entendre aujourd’hui tout le dégoût et la déception que celui-ci ressentait à son égard lui faisait mal, même s’il savait que c’était absolument mérité. « C’était quoi l’idée ? Entre Percy et moi il n’y avait pas assez de représentation de la bonne grosse masculinité dans la famille, tu devais te charger d’être le gros con de service ? Ou alors t’as senti le besoin d’avoir ce que Norah avait quitte à forcer Jess à l’avoir, ce gamin ? Dis-moi Caelan ! Dis-moi ce qu’il t'est passé par la tête parce que j’ai beau essayer de comprendre, je ne vois pas comment t’as pu en arriver là. » À chaque mot que Marcus prononçait, le visage de Caelan se décomposait un peu plus. Lorsqu’il eut terminé de parler, le brun déglutit difficilement puis il se racla la gorge pour essayer de dégager toutes les émotions qui remontaient. Il se sentait pris au piège alors que, pourtant, la porte de son appartement se trouvait juste derrière lui et que ce serait si facile de l’ouvrir et de s’enfuir en courant. Et à la course, il savait que Marcus serait incapable de le rattraper mais Caelan devait faire face à son frère pour espérer qu’un jour leur relation prenne du mieux. « Je l’ai jamais forcé à avoir d’enfant avec moi. Lorsque je lui ai dit que j’étais prêt à en avoir un, elle m’a dit qu’elle allait arrêter la pilule. Elle a recommencé à la prendre un mois plus tard sans me le dire. » commença-t-il par expliquer d’une voix tremblante. Il n’essayait en rien d’excuser son geste, il savait qu’il était dans le tort même si Jess n’avait pas été tout à fait honnête avec lui. Il releva les yeux vers ceux de son frère, s’obligeant à le regarder malgré l’immense malaise qu’il ressentait alors qu’il s’apprêtait à entrer dans le vif du sujet. « Je pensais qu’elle voulait… » Il soupira bruyamment en portant l’une de ses mains à son visage pour essuyer le coin de ses yeux humides avant de laisser son bras retomber le long de son corps. « Quand je lui ai demandé, elle a dit oui, avant de changer d’idée. On a parlé un moment puis… puis je me suis réessayé. Parce que c’est arrivé à plusieurs reprises qu’elle dise non mais que ça lui tentait ensuite. » Il secoua la tête en détournant le regard, fâché contre lui-même de ne pas avoir été assez attentif pour comprendre plus tôt que c’était à cause de son insistance et non parce qu’elle en avait réellement envie. « Je n’ai pas réalisé qu’elle ne voulait pas, Mac. » Il plongea son regard dans celui de son frère, laissant quelques larmes rouler sur ses joues lorsqu’il cligna des yeux. « Je sais que j’ai foiré big time, que tout est de ma faute…» Le regard baissé vers les poings serrés de son frère, il marcha lentement vers celui-ci en levant les bras de chaque côté de son corps, paumes tournées vers le plafond. Il affronta toutefois le regard de Marcus lorsqu’il s’arrêta à quelques pas de lui. « Vas-y, frappe-moi, c’est tout ce que je mérite. » Les derniers mots s’étranglèrent dans sa gorge alors qu’il se tenait immobile face à son ainé dans l’attente de son châtiment.

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Non, il ne comprenait pas. Il n’était pas certain d’être capable de comprendre. Marcus ne voulait trouver aucune excuse ni justification aux actions de son frère, quand bien même cela rendrait tout ceci plus facile à digérer. Se détourner du problème, lui inventer des causalités qui arrondiraient les angles, cela pourrait sauver leur relation mais rien au monde ne pouvait dédramatiser la situation aux yeux de l’aîné. Et cela lui brisait le coeur autant qu’il s’en brisait la voix, d'exprimer tout haut le dégoût qu’il ressentait, la colère qui lui échappait tel qu’il n’en avait jamais ressentie. La déception était immense, la désillusion qu’il vivait face à l’image de famille parfaite, saine, heureuse et sans drames qu’il entretenait dans sa tête. Caelan allait détruire tout ceci. Comment pouvait se sentir Norah après avoir appris que son propre jumeau, son reflet dans le miroir, avait commis une chose pareille ? Comment allaient réagir leurs parents ? Le désarroi du brun nouait son estomac, impuissant, incapable d’éviter leur fratrie d’être blessée à jamais. Ils ne pourront jamais oublier, passer l’éponge. Ils allaient devoir vivre avec cet incident marqué noir sur blanc dans l’histoire de leur famille. Marcus, lui, n’était pas même certain de pouvoir pardonner. L’hypothèse était à des années lumières de son état d’esprit actuel, lui qui n’avait pourtant aucune limite aux sacrifices dont il était capable pour ses cadets. Quelque chose s’était brisé. Sa confiance, sa foi en l’intégrité de son frère. Et plus les minutes passaient, plus il devenait difficile de le regarder dans les yeux. « Je l’ai jamais forcé à avoir d’enfant avec moi, se défendait-il face aux accusations de Marcus. Lorsque je lui ai dit que j’étais prêt à en avoir un, elle m’a dit qu’elle allait arrêter la pilule. Elle a recommencé à la prendre un mois plus tard sans me le dire. » Les raisons de Jess ne regardaient qu’elle ; le brun aurait pu dire que cela ne regardait qu’ “eux”, mais Caelan avait perdu tout droit d’être inclus. “Breaking news : les gens changent parfois d’avis.” il rétorqua avec un cynisme mauvais comme il en avait horreur, preuve supplémentaire, s’il en fallait, de cette colère qui commençait à bâtir un mur entre lui et son frère. Brique par brique, minute après minute, il imposait dans son coeur la même distance entre eux que celle qu’il maintenait envers n’importe qui. Ce masque de tous les jours, pour les collègues, les pseudo-amis, ceux qui n’avaient pas gagné le droit de le connaître ; et ceux, désormais, qui l’avaient perdu. « Quand je lui ai demandé, elle a dit oui, avant de changer d’idée. On a parlé un moment puis… puis je me suis réessayé. Parce que c’est arrivé à plusieurs reprises qu’elle dise non mais que ça lui tentait ensuite. » Mac n’arrivait pas à croire ce qu’il entendait. Il avait connu des hommes forceurs qui ne comprenaient pas le mot non à moins qu’il leur soit hurlé au visage. Il avait vu les plus pernicieux tenter de se frayer un chemin en insistant doucement, comme un serpent. Jamais n’aurait-il pensé pouvoir mettre son frère dans l’une ou l’autre de ces catégories. Il lui était même impensable que pareil cas de figure puisse arriver au sein de n’importe quel couple marié, entre deux personnes supposées se connaître sur le bout des doigts. “Ca la tentait ou elle cédait juste pour que tu lui foutes la paix ?” interrogeait-il rhétoriquement. Car la réponse était évidente, mais cela n’était pas ce que Caelan disait. Il maintenait ses œillères et refusait de mettre les mots sur ce qu’il s’était réellement passé. « Je n’ai pas réalisé qu’elle ne voulait pas, Mac. - Combien de fois t’as “pas réalisé qu’elle voulait” pas, hein ? Tu t’es posé la question ? » Etait-ce juste cette fois ? Non, lui-même admettait avoir déjà insisté de la sorte auparavant. Alors est-ce que Jess n’avait pris conscience de l’anormalité de cette habitude avant, ou est-ce que toutes ces années à subir ce manège avaient été nécessaires à réaliser qu’elle devait y mettre un terme ? Il était impossible de savoir ce qu’il se déroulait dans la vie des autres, derrière les portes closes. Impossible de s’imaginer ce que vivent les uns et les autres. Cependant, personne ne pouvait s’imaginer ce genre de violences banalisées. « Je sais que j’ai foiré big time, que tout est de ma faute…» Il manqua de s’étrangler face à l’absence totale de justesse -non, de décence, dont faisait preuve Caelan. C’était à s’en arracher les cheveux. Mac cessa soudainement de piétiner le tapis du salon et se figea, tous muscles crispés, le regard assassin dirigé vers son frère. “T’as foiré ? C’est le seul mot que t’arrives à trouver pour qualifier la situation ? Que t’as “foiré” ?!” On foirait lorsqu’on renversait son café sur quelqu’un. On foirait lorsqu’on laissait un plat trop longtemps dans le four. On foirait lorsqu’on faisait tomber son téléphone dans la cuvette des toilettes. On ne foirait pas quand on violait sa propre femme, mentait à toute sa famille et s’envolait pour l’autre hémisphère le temps de se remettre de ses émotions. “C’est un crime, Caelan. Un crime. T’as pas juste foiré, tu pourrais aller en taule. Tu devrais aller en taule.” Et Marcus se méprisait presque d’espérer ce sort pour son cadet. Qu’il soit jugé, qu’il purge sa peine, s'acquitte d’une amende, qu’il paie concrètement pour le mal qu’il avait causé, qu’il fasse pénitence telle que la société le voulait. C’était la moindre des choses pour que Jessica connaisse un semblant de justice.

Il aurait voulu avoir des larmes à verser pour que Caelan réalise que son ex-femme n’était pas seule à souffrir. Marcus, à sa façon, ressentait une peine qui lui martelait le crâne. Mais ses yeux étaient secs, ses gestes nerveux, ses dents serrées. Oui, il aurait pu en coller une à son cadet, pourtant lorsque celui-ci l’y invita, l’envie lui passa en un claquement de doigts. « Vas-y, frappe-moi, c’est tout ce que je mérite. » Ils n’étaient plus des enfants. Ils n’avaient pas d’excuse pour régler leurs problèmes à coups de poings. Ils valaient tous les deux mieux que cela -et si Caelan se sentait capable de s’y rabaisser, alors Marcus seul s’élevait au-dessus de cette stupidité. Pas seulement parce qu’il était l’aîné, mais parce qu’il n’était pas question que son frère soit absous de ses torts à ses yeux parce qu’il aura accepté de recevoir quelques coups. C’était la solution de facilité qu’il adoptait, encore et toujours. “Te frapper ? T’es sérieux ?” fit-il en réduisant l’écart entre eux de quelques pas, parlant toujours autant avec ses mains comme un jeune De Niro de son temps. “C’est pas moi l’animal dans la pièce, Caelan.” Les mots claquaient dans sa bouche avec un mélange de froideur et de dégoût qui laissait sur la langue une sensation amère. Il réalisait la dureté, la cruauté de ses paroles, pourtant il était incapable de les retirer sur l’impulsion du moment. Il les regretterait, plus tard, sûrement. Il ne supporterait pas bien longtemps le poids de la culpabilité d’avoir traité Caelan de cette manière, qu’importe à quel point il le méritait. Ce n’était pas dans sa nature, la colère. “Et dire que t’as fui à l’autre bout du monde pour éviter d’assumer tes actes. T’as complètement traumatisé Jess et toi, ta première réaction c’est d’aller jouer à l’apprenti bûcheron au pays des caribous. Bordel, t’es vraiment un lâche. Je pensais sincèrement que tu valais mieux que ça.” Ressasser sa scandalisation n’avait aucune autre utilité que de défouler ses nerfs, et cela ne faisait même pas tant de bien. Mac se contentait de tourner le couteau dans la plaie, et cela était sa manière de porter des coups. Cependant, ce n’était pas plus à sa hauteur qu’une véritable punition physique, et il le savait parfaitement. “Tu mériterais que Jess dise tout à la police.” Elle le pouvait encore mais ne parvenait pas à s’y résoudre. Caelan s’en tirait à trop bon compte. “J’ai déjà appelé Percy pour lui dire quel genre d’ordure est son frère. T’as de la chance que j’en ai pas parlé à papa et maman.” L’information allait leur briser le coeur à eux aussi. Malheureusement, Marcus doutait si peu du fait que son frère n’aurait jamais le courage de leur parler. Peut-être étaient-ils mieux dans l’ignorance. Dieu savait que le brun aurait préféré ne jamais savoir.

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« Breaking news : les gens changent parfois d’avis. » Et Marcus ne lui apprenait rien, il avait lui-même changé d’avis, n’étant pas prêt à avoir un enfant la première fois que Jessica lui avait fait part de son désir de devenir mère quelques années plus tôt. Il aurait simplement apprécié qu’elle le mette au courant alors qu’elle n’en ressentait plus l’envie, mais ce n’était pas de ça dont il était question aujourd’hui. « Ca la tentait ou elle cédait juste pour que tu lui foutes la paix ? » Caelan soupira en baissant son regard rempli de honte parce que Marcus avait raison et il le savait bien. Il avait réalisé trop tard que le comportement qu’il avait adopté avec Jessica était inacceptable et il n’avait malheureusement pas de baguette de magique pour revenir en arrière, pour effacer tout le mal qu’il lui avait fait au fil des années. Il ne pouvait que faire en sorte de ne pas commettre la même erreur avec quelqu’un d’autre, être plus à l’écoute de l’autre et moins centré sur ses désirs à lui. « Combien de fois t’as “pas réalisé qu’elle voulait” pas, hein ? Tu t’es posé la question ? » Il renifla en hochant lentement la tête, osant relever son regard vers celui de son aîné. « Oui. Et ça me rend malade de penser que j’ai pu lui infliger ça pendant tout ce temps. » répondit-il le regard noyé de larmes. Aussi difficile que ça pouvait l’être, Caelan tenait à répondre aux questions de son frère de façon honnête. Parce qu’il leur devait bien ça après être parti pendant des mois sans aucune explication. En étant honnête, il espérait que ses proches verraient à quel point il s’en voulait et qu’il avait pris conscience de la gravité de son geste. Qu’avec un peu de temps, ils réussiraient à entretenir un semblant de relation avec lui. Comme avant. « T’as foiré ? C’est le seul mot que t’arrives à trouver pour qualifier la situation ? Que t’as “foiré” ?! C’est un crime, Caelan. Un crime. T’as pas juste foiré, tu pourrais aller en taule. Tu devrais aller en taule. » « Penses-tu vraiment que je ne le sais pas que ce que j’ai fait c’est grave?! » demanda-t-il en haussant le ton, le regard planté dans celui de son frère. Les sourcils froncés, il porta ses mains tremblantes à son visage, puis il expira bruyamment avant de laisser retomber ses bras de chaque côté de son corps. « C’est la plus grosse erreur que j’ai faite de ma vie. Je m’haï pis je vais m’haïr pour le restant de mes jours pour ce que je lui ai fait Marcus. Il n’y a pas une journée pendant laquelle je n’y pense pas. Je regrette tellement. » avoua-t-il à son frère d’une voix vacillante alors qu’il était rongé par les remords.

La douleur était telle que, dans un élan de lâcheté, il s’approcha de son frère en espérant que la douleur infligée par ses poings serait plus facile à accepter que celle infligée par la culpabilité et le rejet qu’il vivait. « Te frapper ? T’es sérieux ? » Le brun retint son souffle lorsque son frère réduisit l’écart qu’il y avait entre eux, craignant les mots qui pourraient suivre parce qu’il devinait qu’il n’avait pas fini de subir la colère de son ainé. Sans le quitter des yeux, il détourna lentement la tête comme s’il tentait de se protéger d’un coup de poing qui ne vint jamais. « C’est pas moi l’animal dans la pièce, Caelan. » À ses paroles, Caelan sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. Il détourna le regard et pinça ses lèvres dans l’espoir de faire cesser le tremblement dont sa lèvre inférieure était victime. Lentement, il s’assit sur le canapé non loin d’eux pour remettre un peu de distance entre son frère et lui, accoudant l’un de ses bras sur l’accoudoir pour appuyer le bas de son visage contre sa paume. « Et dire que t’as fui à l’autre bout du monde pour éviter d’assumer tes actes. T’as complètement traumatisé Jess et toi, ta première réaction c’est d’aller jouer à l’apprenti bûcheron au pays des caribous. Bordel, t’es vraiment un lâche. Je pensais sincèrement que tu valais mieux que ça. » Il tentait tant bien que mal d’encaisser les insultes de Marcus sans trop réagir, sans trop montrer à quel point ça l’affectait, mais à chaque fois sa carapace s’effritait un peu plus. Et cette fois-ci, il fut incapable de réprimer la grimace de douleur qui prit place sur ses traits lorsqu’il entendit son frère prononcer ces mots qu’il reçut comme un coup de couteau en plein cœur. « Tu mériterais que Jess dise tout à la police. » Les joues humides, il regarda furtivement son frère en reniflant bruyamment. « Je ne me battrai pas si elle le fait. » Même si l’éventualité de devoir vivre avec l’étiquette d’un crime sexuel sur le dos ne l’enchantait pas, il était hors de question qu’il oblige Jess à passer à travers un procès pendant lequel, il le devinait, son avocat tenterait de la faire discréditer. Elle avait suffisamment souffert par sa faute sans qu’il n’en rajoute une couche. Il devrait vivre avec les conséquences de ses actes et il ne pourrait que s’en vouloir à lui-même. « J’ai déjà appelé Percy pour lui dire quel genre d’ordure est son frère. T’as de la chance que j’en ai pas parlé à papa et maman. » Blessé face aux mots utilisés par son frère, Caelan se recroquevilla sur le canapé, les genoux remontés contre son torse. Les coudes appuyés contre ses genoux, il cacha son visage dans ses mains alors que son corps était secoué de sanglots qu’il était incapable de réprimer. « Je suis désolé. Je suis tellement désolé. » réussit-il à prononcer entre deux sanglots alors qu’il laissa son visage lentement glisser sur ses paumes afin d'agripper ses cheveux à deux mains. Le poids de ses actes était lourd à porter sur ses épaules et s’il avait cru que se libérer de son secret l’allègerait un peu, il s’était royalement trompé. Bien que Norah acceptait toujours de le voir malgré toute la déception et la colère qu’elle ressentait face au geste qu’il avait commis, il n’y avait aucune possibilité aux yeux du cadet que Marcus fasse de même. Sa famille était ce qu’il avait de plus important dans sa vie et le rejet de ses proches était la pire sentence qui pouvait être prononcée.  

► SAY SOMETHING @Caelan Leckie & MARCUS LECKIE Well, it cuts so deep when you try to speak But the words don't come out right

Il ne s’était pas levé ce matin-là en se doutant qu’il confronterait son frère de la sorte le soir venu. Il ne s’était pas préparé à discourir tout le dégoût qu’il ressentait pour ses actes en long, en large et en travers. Comment aurait-il pu s’attendre à découvrir une chose pareille ? Marcus ne saurait dire s’il avait vécu dans une bulle durant tout ce temps, songeant naïvement que les hommes de sa famille n’étaient pas taillés dans le bois de ces prédateurs qui faisaient trembler les femmes dans les rues dès que le soleil commençait à se coucher. On ne voulait jamais croire son entourage capables d’horreurs de ce genre, il était même impossible de se l’imaginer. Pourtant, il s’agissait désormais d’une image ancrée dans l’esprit de l’australien ; il ne pouvait pas l’ignorer, il ne pouvait pas fermer les yeux. Car cela faisait aussi partie de son rôle, celui de grand frère, de mettre Caelan face à ses actions, de lui mettre le nez dedans et de le pousser à assumer bien plus que cela n’avait été le cas jusqu’à présent. « Penses-tu vraiment que je ne le sais pas que ce que j’ai fait c’est grave?! » se défendait son cadet. Pourtant, en qualifiant son acte comme il l’avait fait, Caelan s’évertuait à dédramatiser la chose, à la rendre plus digeste pour lui-même, plus facile à vivre avec au jour le jour alors que rien ne l’autorisait à diminuer la souffrance qu’il avait infligée. “C’est pas l’impression que tu en donnes, non !” Et Mac n’en démordrait pas. « C’est la plus grosse erreur que j’ai faite de ma vie. Je me haïs pis je vais m’haïr pour le restant de mes jours pour ce que je lui ai fait Marcus. Il n’y a pas une journée pendant laquelle je n’y pense pas. Je regrette tellement. » Il toisa son jeune frère de haut en bas, le visage fermé. Si une chose pareille le hantait de cette manière chaque minute de chaque jour, lui n’aurait pas mis longtemps avant de cracher le morceau. Il aurait été incapable de vivre avec lui-même, avec ce poids sur la conscience. Encore aurait-il fallu que pareil niveau d’égoïsme et d’inconscience lui traverse l’esprit dans un premier temps pour le mener jusqu’à malmener la personne avec qui il partageait sa vie. “Pourtant tu vis assez bien avec ta conscience pour faire durer le mensonge pendant des années.” Des années ; c’était ce qui était le plus frappant. Caelan n’avait pas manqué d’occasions de se confier à sa famille au moment où la procédure de divorce était en cours, mais il avait préféré omettre la vérité. Il pouvait se cacher derrière sa honte comme un enfant dans les jupons de sa mère, mais cela ne changeait rien à la lâcheté dont il avait fait preuve en quittant le continent. Malgré les regrets émis par son frère, tout pardon paraissait exclu de la part de l’aîné.

Non, il ne le frapperait pas. Pas avec les poings en tout cas. Cependant Marcus réalisa rapidement qu’il avait bel et bien molesté Caelan avec ses mots. Le brun se décomposait devant lui au fur et à mesure qu’il avançait dans ses propos plus violents les uns que les autres. Et il ne répliquait pas, il ne se battait pas contre lui. Coup après coup après coup, le cadet encaissait toute la colère, la déception et l’incompréhension que Mac déversait sur lui. Pourtant les larmes et la manière dont il se recroquevillait ne pouvaient pas émouvoir ce dernier. « Je suis désolé. Je suis tellement désolé. » répététait-il en boucle désormais, dans l’attente que le brise-motte cesse enfin de lui rouler dessus. Ce n’était pas assez. Cela ne pouvait pas être assez. Il était bien trop aisé de clamer des regrets et attendre que le temps passe l’éponge sur les événements. “Il est révolu, le temps des excuses. Tu t’es bien foutu de tout le monde.” fit-il, retrouvant un niveau de décibels moins écrasant. Marcus n’était pas catholique ; être désolé n’offrait aucun droit au pardon. Ce n’était pas un dû. C’était une récompense qui demandait du travail. “Je veux plus te voir tant que tu ne feras rien pour réparer ce que t’as fait, Caelan. Je peux plus poser les yeux sur toi en sachant ça et en constatant que t’as jamais fait quoi que ce soit d’autre que fuir tes responsabilités dans cette histoire.” Au Canada, rien que ça. Il aurait pu faire le tour de l’Australie en SUV, mais non, il avait choisi de changer d’hémisphère. Il était parti se chercher à l’autre bout du monde comme si sa vie était un film de Sean Penn. Et à son retour, il s’était octroyé le droit de reprendre sa vie exactement où il l’avait laissée. Pendant ce temps, le monde de son ex-femme avait cessé de tourner. “Fais-toi aider, vois un psy, j’en sais rien.” Caelan devait lui-même comprendre ce qu’il s’était passé. Il devait lui aussi revivre, encore et encore, le film des événements. Il devait décortiquer son état d’esprit et tout ce qui l’avait mené à traverser cette ligne. S’il ne se faisait pas face à lui-même, s’il ne déconstruisait pas les mécanismes de son esprit qui l’avaient empêché de réaliser ce qu’il faisait, alors tout pouvait recommencer. “Et va présenter de vraies excuses à Jess, pas ton discours d'apitoiement à la mord-moi le nœud." conclut Marcus avant de se diriger vers la porte. Son coeur était lourd, son estomac se serrait à chaque pas ; s’il était fidèle à sa parole, alors il ne reverrait pas son frère de sitôt. Et il n’y avait rien de plus déchirant pour un homme qui pouvait citer “grand frère” dans la liste de ses vocations.

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« C’est pas l’impression que tu en donnes, non ! » Découragé, Caelan poussa un soupir en laissant sa tête basculer vers l’arrière. Il ne savait plus quoi dire pour convaincre Marcus, pour qu’il le croit lorsqu’il disait qu’il avait conscience de la gravité de son geste. Il avait l’impression que, peu importe ce qu’il dirait, ce ne serait jamais suffisant. Que la colère de son frère était trop grande pour pouvoir être calmée à l’instant d’une manière ou d’une autre. Si le cadet détestait être sous les projecteurs actuellement, il comprenait tout de même la réaction de son aîné. Parce que si Norah avait été à la place de Jessica, Caelan aurait probablement été le premier à débarquer chez Frank pour lui dire sa façon de penser et il n’y serait pas allé de main morte lui non plus. « Je ne sais pas quoi te dire pour que tu me crois. » dit-il en haussant les épaules. Il tenta tout de même de le convaincre une dernière fois en lui expliquant qu’il se détestait pour ce qu’il avait fait et qu’il y pensait en permanence. Mais à voir la réaction de Marcus, Caelan devina qu’il avait frappé un mur encore une fois. « Pourtant tu vis assez bien avec ta conscience pour faire durer le mensonge pendant des années. » Le brun déglutit difficilement puis il secoua la tête négativement en s’essuyant les yeux du bout des doigts. « Parce que je savais que j’allais vous perdre. » expliqua-t-il d’une voix tremblante presque inaudible. En aucun cas aurait-il fini par être prêt à cette éventualité, à cette certitude plutôt, et il n’avait d’autre choix que d’y faire face maintenant. Même s’ils ne s’étaient pas encore parlés, le cadet se doutait que sa relation avec Percy souffrirait elle aussi de cette annonce et il n’y avait tout simplement aucune possibilité pour que leurs parents le prennent bien, il pouvait déjà voir la colère et la déception dans leurs yeux. Il allait donc forcément devoir apprendre à vivre dans la solitude alors qu’il l’avait toujours fuie comme la peste. La chute s’annonçait brutale et il craignait de toucher le fond encore plus que deux ans auparavant maintenant que les membres de sa famille s’éloignaient de lui avec raison.

Recroquevillé sur le canapé, Caelan s’excusa encore et encore entre chaque sanglot, sans trop préciser de quoi parce qu’il y avait tellement de raisons différentes. Il était désolé d’avoir blessé Jessica, d’être parti comme un lâche et de leur avoir caché la vérité pendant tout ce temps. Il était désolé de décevoir tout le monde et de ne pas avoir été à la hauteur de leur famille. Et même s’il regrettait son départ précipité, une partie de lui ne pouvait faire autrement que de penser qu’il aurait peut-être mieux fait de rester au Canada plutôt que de revenir en Australie et d’être un boulet pour tout le monde, une ordure pour reprendre les mots de son aîné. « Il est révolu, le temps des excuses. Tu t’es bien foutu de tout le monde. Je veux plus te voir tant que tu ne feras rien pour réparer ce que t’as fait, Caelan. Je peux plus poser les yeux sur toi en sachant ça et en constatant que t’as jamais fait quoi que ce soit d’autre que fuir tes responsabilités dans cette histoire. Fais-toi aider, vois un psy, j’en sais rien. Et va présenter de vraies excuses à Jess, pas ton discours d'apitoiement à la mord-moi le nœud. » Le cœur serré, Caelan n’arrivait pas à prononcer le moindre mot, les paroles de son frère ne faisant que secouer un peu plus son corps de sanglots. Même s’il savait qu’il ne réagirait pas bien à l’annonce de ce qu’il avait fait, il espérait au fond de lui que Mac aurait une réaction plus proche de celle de Norah, qu’il aurait besoin de temps mais qu’il accepterait quand même de le garder dans sa vie. Je ne veux plus te voir avait-il plutôt dit, et le rejet était brutal pour Caelan qui avait toujours voulu rendre fier son grand frère. Autant dire qu’il avait échoué lamentablement. Lorsqu’il entendit les pas de Marcus s’éloigner en direction de la porte, il osa relever la tête pour poser son regard sur la silhouette de son frère qu’il distinguait à peine à travers ses larmes. Il le regarda s’éloigner de lui sans rien dire, sans tenter de le retenir parce qu’il savait qu’il n’y avait rien qu’il pouvait dire à l’instant pour arranger les choses entre eux. Il espérait qu’avec un peu de temps, ils pourraient retrouver leur relation d’antan, que tout ceci n’était qu’un aurevoir et non pas un adieu.