@"IVY WATERHOUSE" & KIERAN HALSTEAD (juillet 2020) ⊹⊹⊹ i saw you down the neighborhood and I understood, Spiritual hangover that I can't shake, It's getting more than I can take And in this restless, disfigured place, We've only got each other.

(SUR LA ROUTE). Le problème d’être né en hiver, c’est que lorsqu’on fête son anniversaire dehors et que celui tourne mal, au point de dormir à la belle étoile en plein mois de juillet, il fait froid. Très froid.

Kieran l’a expérimenté, alors que la température a baissé de quelques degrés entre le moment où ils sont arrivés sur ce bateau avec Ivy et celui où les choses ont dégénéré au point où elle en vienne à quitter le pont pour ne plus l’avoir sous les yeux. Kieran a respecté sa décision et ne s’est pas imposé auprès d’elle, passant la nuit sur l’un des transats à l’extérieur de la cabine. À vrai dire, hormis la température, le confort aurait été le même s’il avait dormi à l’intérieur, car il l’a bien vu, ce lit unique et il n’aurait probablement pas voulu le partager avec Ivy, préférant dormir par terre. Inutile de dire qu’il l’aurait vexée à ce moment-là aussi et que, dans un sens, il s’est évité une situation encore plus difficile pour tous les deux en ayant pas la possibilité de la rejeter une seconde fois, la première ayant fait suffisamment effet pour qu’ils s’ignorent quelques heures. Physiquement, du moins, car Kieran n’a cessé de ressasser l’issue de la soirée de la veille, s’en voulant sincèrement pour la tournure qu’ont pris les choses, conscient d’en être responsable. Et plus que jamais, il se déteste pour son incapacité à laisser autrui l’approcher – au sens propre. Au sens figuré, il donne toujours trop de pouvoir aux autres qui peuvent entrer dans sa vie sans qu’il ne questionne leur présence ou leur attention. C’est ce qu’il s’est passé avec Ivy, car même s’il a formulé des craintes face à la manière dont elle pourrait le traiter, elle s’est faite très rapidement une place dans son quotidien, alors même qu’il y a cette petite voix qui ne cessait de le mettre en garde sur la manière dont elle se lassera inévitablement de lui, parce qu’ils sont bien trop différents pour qu’elle conserve de l’intérêt pour lui à termes. La manière dont la preuve lui a été apportée la veille s’est avérée douloureuse, mais pas surprenante. Ce n’est pas ce qui l’a maintenu éveillé durant une bonne partie de la nuit, car s’il a été blessé en découvrant que leur amitié semble être à sens unique, il est bien plus critique envers lui-même et le fait que la situation se répète. Il a repoussé Eve, désormais il repousse Ivy et finalement il ne fait que ça ; se braquant dès qu’on envahit son espace vital alors que c’est quelque chose qui devrait être si naturel qu’il ne devrait pas avoir à réfléchir. Et ce serait mentir que de dire que la proposition d’Ivy formulée la veille ne l’a pas intéressé. Bien sûr qu’il aurait voulu l’embrasser, bien sûr qu’il aurait voulu la rattraper pour le faire suite à sa maladresse, bien sûr qu’il a hésité à quelques reprises durant la nuit à se frayer un chemin jusqu’à ce lit ne serait-ce que pour se souvenir de la sensation d’être proche d’autrui ou, mieux, de tenir quelqu’un dans ses bras, mais il n’a pas su le faire. Il n’a pas su le faire et il continue de s’en vouloir pour ça, alors que son désintérêt pour les contacts physiques impactent encore une fois ses relations et qu’il ne sait plus comment gérer les choses pour éviter que cela continue d’être aussi handicapant, autant pour les autres que pour lui. Parce qu’il était sincère sur un point, la veille. Ce n’est pas une question d’envie, parce qu’elle est là, toujours présente, depuis 8 mois, ne serait-ce que pour tenir la main de quelqu’un, mais il n’y arrive tout simplement pas.

Un bruit sur sa droite le fait sursauter et il se relève de son transat, détournant le regard pour croiser Ivy qui émerge de sa cachette. S’il maintient son regard pour sonder le niveau de son agacement à son encontre, il reste néanmoins muet pendant de longues secondes, avant de trouver suffisamment de courage pour prendre la parole. « J’aurais bien piloté jusqu’au port pour qu’on gagne du temps pour partir d’ici, mais je-enfin, j’ai pas le permis, moi. » Il s’excuse presque, alors qu’il aurait sincèrement voulu lui éviter de perdre encore plus de temps en sa compagnie que ce n’est déjà le cas. Il se doute bien que c’est l’issue du voyage, qu’ils vont faire demi-tour jusqu’à Brisbane et que leur amitié (qui n’en est pas une s’il croit Ivy) s’arrêtera-là. Il ne voit pas d’autres issues et c’est probablement ce qui l’aide à lui parler. Dans d’autres circonstances, il aurait fui durant la nuit pour s’éviter d’entendre des critiques à son encontre ou il aurait tous mis en œuvre pour réparer les pots cassés, mais puisqu’aucune option n’est possible, il ne lui reste plus que sa langue et sa culpabilité. « Pour ce que ça vaut... j’aurais dit non à n’importe qui, tu sais. » Qu’il finit par préciser, conscient que revenir sur le sujet est une très mauvaise idée, conscient aussi qu’il n’a rien à perdre et qu’à défaut, il aimerait au moins qu’ils se quittent en sachant qu’Ivy sait que son rejet n’était pas du tout personnel. « Je suis désolé. » Qu’il conclut, son regard qui ose soutenir le sien, parce qu’il veut qu’elle sache à quel point il est sincère. Il est désolé pour ce rejet, il est désolé d’être celui qu’il est, il est désolé qu’elle y ait été confrontée.  

J’ai passé le reste de la nuit dans la chambre à fouiller dans mes affaires. J’ai fermé les yeux et me suis certainement endormie quelques minutes. Je ressasse ce qu’il s’est passé, il m’a blessé dans mon ego et j’ai été agressive. Je suis toujours sur la défensive dans ces moments là, et je sais que j’ai été méchante avec Kieran en lui faisant comprendre que je ne pouvais pas le considérer comme un ami. Je pense que c’est un ami en réalité, mais je n’accepte pas de ne pas avoir eu ce que je voulais au moment où j’en avais envie. Qui aurait pu croire que ce serait Kieran qui me donnerait autant de fil à retordre ? Certainement pas moi. Je serre les dents, je suis toujours énervée mais ma réaction est un peu trop forte par rapport à la situation. C’est simplement ma fierté qui prend le dessus, il me résiste, mais je sais qu’un jour il ne le fera plus. Je ne sais pas pourquoi il est aussi bloqué, pourquoi il ne profite jamais vraiment de ce qu’on pourrait faire en étant ami ou non. Je déteste ces cases, ça réduit bien trop les possibilités. Je vois les premiers rayons du soleil passer au travers de la fenêtre et je décide de sortir. Je ne commencerai pas à parler, c’est à lui de le faire.

Je peux rester des heures à le fixer avec mon regard noir sans dire un mot, mais je n’ai pas besoin de le faire. Seulement quelques minutes après mon arrivée il se décide à parler et je fronce les sourcils. “Tu veux rentrer ?” Si cette fois il dit oui, il peut être sûr que plus jamais on ne se reverra. Je profiterai de ce bateau seule et il se débrouiller pour rentrer à la nage parce que je n’ai pas prévu que ce bateau bouge tout de suite. Je serre les dents, pourquoi il continue de toujours s’enfoncer un peu plus le jeune homme ? Il m’énerver. “Je ne suis pas n’importe qui.” Et je suis outrée qu’il puisse être capable de me comparer à n’importe quelle femme qu’il pourrait croiser au cours de sa vie. Je soupire et observe l’horizon, c’est pour la vue du lever de soleil qu’on est là et j’aimerais bien voir l’arrivée des baleines, même si je n’avais pas prévu que l’ambiance tournerait ainsi.

Il soutient mon regard, et ça c’est étonnant. Je ne baisse pas les yeux quand je me décide enfin à le regarder. Il a l’air d’aller mal et je grogne quand il s’excuse. Je n’ai pas envie qu’on gâche cet anniversaire même si c’est entièrement sa faute à lui si on en est là ce matin. “Y’a des combinaisons dans le bateau si on veut aller dans l’eau. Elles devraient bientôt arriver mais l’eau doit être glacée.”

Il déteste les conflits, Kieran et si d’ordinaire il prend les torts uniquement pour atténuer ceux-ci, même lorsqu’il sait pertinemment qu’il n’est pas fautif, cette fois-ci il lui est plus facile d’accepter le mauvais rôle, conscient que son attitude est effectivement problématique. C’est ainsi qu’il le perçoit, alors que son incapacité à être tactile est, encore une fois, la source de tension avec autrui. Ça l’était déjà à l’issue de sa relation avec Méduse, ça l’est devenu durant ce qu’il construisait avec Eve et cela semble avoir achevé l’amitié qu’il croyait avoir avec Ivy. Pourtant, s’il est conscient que son attitude est surprenante, probablement inattendue d’un homme comme on lui le fait souvent remarquer. Kieran aimerait simplement qu’on essaie de le comprendre, une fois, juste une fois, pour qu’il cesse d’avoir à s’excuser d’être lui-même. Mais il comprend aussi que ceci ne sera jamais acquis et qu’il continuera d’être celui qui formule les excuses au lieu de les recevoir et aujourd’hui ne fait pas exception à la règle alors qu’il croise le regard noir d’Ivy, étant, à sa grande surprise, le premier à rompre le silence, dans une tentative de s’expliquer encore une fois. Fronçant les sourcils à la question d’Ivy, il hausse les épaules avant de détourner le regard un bref instant. « Non, pas vraiment, mais j’ai pensé que... enfin, j’ai pensé que toi tu le voudrais. » Il admet en se mordant la lèvre sous l’effet de la gêne, marchant sur des œufs en supposant savoir mieux qu’elle ce qu’elle veut, un comportement qui ne devrait pas lui ressembler pour le vivre tous les jours dans son quotidien et savoir à quel point c’est désagréable que son opinion ne puisse avoir aucune valeur. « Je sais, oui, mais... » Oui, Ivy n’est pas n’importe qui. Autant au sens premier du temps de par son statut social et sa célébrité qu’il a découvert sur le tard, mais aussi dans sa vie à lui, en mettant ses aspects de côté ; elle n’est pas n’importe qui, parce qu’elle a réussi là où d’autres ont échoué avec lui et rien que pour cela, elle mérite un statut à part. Un statut qui n’a finalement pas de poids, comme il l’a découvert la veille, en réalisant qu’elle ne veut pas du piédestal sur lequel il l’a mise. « ... c’est juste que... » Que quoi, Kieran ? Qu’elle a écopé du même traitement que tout le monde ? Qu’elle est le dommage collatéral de tes traumatismes, comme tant d’autres ? Il ne ferait que s’enfoncer à vouloir se justifier, à vouloir se faire comprendre, ainsi Kieran finit-il par abandonner l’idée. « Désolé. » Qu’il préfère répéter, autant par automatisme que sincérité. Il est désolé pour elle, il est aussi désolé pour lui. Il soutient son regard alors qu’il comprend que s’excuser n’est peut-être pas la chose à faire en vue du grognement qu’il obtient en guise de réponse, mais il ne sait pas faire grand-chose d’autre, Kieran. Il ne s’est pas s’expliquer, il ne sait pas s’ouvrir, alors il s’excuse, parce que d’ordinaire ça marche toujours et ça évite de trop en dire. « C’est pas un problème. » Qu’il souligne alors qu’elle parle de cette sortie en mer qui n’est pas annulée et qu’un sourire s’affiche sur ses lèvres. « Je te laisse même me pousser si ça peut te faire du bien. » Il l’invite, avec un léger rire – même s’il regrette l’invitation aussitôt formulée, conscient qu’elle ne se ferait pas prier pour le jeter à l’eau. Il n’est pas aussi détendu qu’il le montre, Kieran, alors qu’il se relève et s’approche d’un pas vers la jeune femme, hésitant quant à ce qu’il s’apprête à faire, mais ayant besoin d’être, comme toujours, rassuré. « On est okay ? Au moins pour quelques heures ? » Il interroge, sa main tendue comme s’il avait le désir qu’elle signe ce contrat, conscient aussi qu’il invite au rejet, mais ce ne serait qu’un juste retour des choses, après tout.

@Ivy Waterhouse

S’il dit qu’il veut partir je jure qu’il le fera à la nage avec une horde de requins à ses trousses. J’attends impatiemment qu’il réponde, mes bras sur ma poitrine. Je suis de mauvaise humeur, et il va devoir empatir toute la journée s’il décide de rester. Je regarde rapidement au loin, je ne veux pas louper le spectacle qu’on m’a promis. Si on ne voit pas de baleine je suis dans le bon état d’esprit pour faire le pire scandale que cette île ait connu. “T’es pas dans ma tête.” Il ne sait pas ce que je pense, il ne peut même pas essayer de le deviner parce qu’il n’est pas doué pour ça Kieran. Il aurait su sinon que je n’étais pas du genre à rentrer au moindre problème. J’aurais seulement pu le jeter par dessus bord si je n’avais réellement plus pu le supporter. On est à l’abris de rien, peut-être que ça finira par arriver avant qu’on ne rentre à Brisbane pour de vrai.

J’attends, je le regarde. Pour une fois ça lui arrive de soutenir mon regard pendant un long moment et ça m’étonne. Il tente de s’expliquer, tourne autour du pot et finit par s’excuser encore une fois et je soupire longuement. Il est vraiment épuisant, et moi, je suis incapable de comprendre pourquoi il est aussi difficile à cerner et à approcher. Je serre les dents. Je pourrais dormir pendant des heures sans ouvrir un oeil si je n’étais pas aussi énervée et blessée dans mon ego. Je déteste qu’on me dise non, et je ne pensais pas que Kieran en serait capable un jour. C’est aussi étonnant que je reste aussi aimable face à lui, certains sont morts pour moins que ça. “Ca sert à rien de t’excuser.” Plus il s’excuse et moins ça paraît sincère. Je pince les lèvres et bouge un peu sur le bateau avant de me tourner vers lui à nouveau. Il fuit encore mais je n’ai pas envie de le pousser dans ses retranchements encore une fois. S’il décide de ne pas me répondre je risquerais vraiment de devenir méchante et ce n’est pas le but.

“Pour que tu meurs de froid ?” Je suis au maximum de ma gentillesse pour ce matin. Et, avec ou sans permission, je pourrais le jeter à l’eau si l’envie me prend. Et il n’aurait même pas le droit de résister. C’est la moindre des choses qu’il devrait faire pour se faire pardonner de m’avoir rejeté comme si j’étais n’importe qui. Il tend sa main et mes yeux font des allers-retours entre sa main et ses yeux. Est ce que ça peut être compté comme un cadeau d’anniversaire que je le pardonne aussi vite ? Ma fierté n’accepte pas ce choix. “Tu comptes faire quoi pour te faire pardonner ?” Il devrait bien être capable de trouver une idée tout seul cette fois.

Il n’est pas dans sa tête et à cette réflexion, il aimerait s’excuser à nouveau – mais s’en empêche en réalisant qu’il ne cesse de le faire et que cela ne va que renforcer son agacement à son encontre. « Je sais. » Il se répète, Kieran, pourtant il ne sait rien : si c’était le cas, il serait parvenu à renverser la situation pour ne pas être aussi mal à l’aise qu’il ne l’est à cet instant. Il cesserait de se marcher dessus, il cesserait de cocher toutes les cases de ce que pourrait lui reprocher Ivy et de creuser toujours plus ce fossé qu’il existe entre eux depuis la veille. Il s’en veut, il s’excuse, pour autant il ne compte pas, pour une fois, aller à l’encontre de sa volonté pour faire plaisir aux autres. Dans d’autres circonstances, il se serait jeté sur les lèvres d’Ivy pour rattraper son erreur en sachant que c’est ce qu’elle souhaitait la veille, pour lui faire plaisir et s’assurer d’aller selon sa volonté, même si cela implique d’aller à l’encontre de la sienne. Il ne peut pas nier qu’il n’est pas totalement réfractaire à cette idée, mais cela ne pèse pas autant que ses peurs dans la balance et c’est bien ce qui l’en empêche. Il pourrait les verbaliser auprès d’Ivy, il en aurait envie pour ne pas avoir l’impression d’être seul, mais elle ne veut pas de ses excuses et il s’abstient donc d’en formuler de nouvelles, quand bien même l’envie ne manque pas. Et dans un sens, il n’est pas mécontent qu’elle l’en empêche, sans quoi il aurait persisté et effectivement manqué de sincérité, parce qu’il ne cesse d’être désolé pour son comportement, alors même qu’il y a toujours cette petite voix dans sa tête qui lui dit qu’il n’a pas toujours à l’être. Que parfois, ce sont aussi les autres qui peuvent essayer de comprendre et pas seulement à lui de faire un pas en leur direction. Personne ne le fait jamais et il commence à s’en agacer, Kieran, alors dans un sens peut-être qu’Ivy lui est d’une grande aide, parce qu’elle le pousse au-delà de ce qu’il peut supporter. Il lui en veut, même s’il ne le dira pas, mais peut-être que cette colère pourrait lui être bénéfique. « D’accord, j’arrête. » Qu’il finit toutefois par annoncer, pour lui assurer qu’elle n’aura plus de ses excuses déplaisantes et qu’il cesse à partir de maintenant, ce qui devrait déjà l’aider à comprendre que le trentenaire fait des efforts, pensant naïvement qu’elle en fera à son tour. Même s’ils ne sont pas amis, même si, elle, n’a rien à gagner ni à perdre dans cette amitié à sens unique. Il pense à nouveau à ses propos de la veille et la colère se mue en blessure, même si encore une fois, il restera silencieux sur la question. Pire encore, il prend une nouvelle fois la totalité des torts alors qu’il lui propose de le pousser par-dessus bord si cela peut l’aider. Oh, Dieu sait qu’il pourrait en faire de même si elle lui en donnait l’autorisation et s’il s’en donnait l’autorisation à lui-même, surtout. « Ça me dérangerait pas. » Il souligne en haussant les épaules lorsqu’elle évoque sa mort par hypothermie. Son regard se porte un instant sur l’étendue d’eau dans laquelle il pourrait se noyer et Kieran ne ressent pas la peur habituelle qui l’accompagne, la même qu’il ressentait la veille en songeant à de potentiels requins qui pourraient leur tourner autour. La main tendue, il s’attendait à un nouveau rejet, mais ça ne le rend pas moins supportable alors que sa main retombe mollement contre sa cuisse et qu’il baisse les yeux, expulsant un soupir de gêne. « J’en sais rien. » Qu’il admet alors qu’il est question de se faire pardonner et le fait qu’elle le dise à voix haute heurte Kieran plus qu’il ne l’aurait cru. J’en ai marre d’avoir à me faire pardonner, qu’il aimerait ajouter, mais encore une fois, il garde son ressenti pour lui-même. Il relève finalement les yeux vers Ivy, n’y croise pas l’ombre d’un sourire, d’un regard malicieux, lui faisait comprendre qu’elle est sérieuse. J’en ai marre d’avoir à m’excuser d’être qui je suis. Et il essaie de la réduire au silence, cette petite voix dans sa tête qui prend toujours plus de place à mesure que son regard fixe Ivy, sans s’en détourner, à mesure que la gêne naturellement présente sur ses traits se mue peu-à-peu en colère dirigée à l’encontre de la blonde, et de tous les autres – parce que pour une fois qu’il est prêt à s’énerver, ce seront tous ceux envers lesquels il conserve une apparente neutralité qui paieront avec elle. « Tu sais quoi ? » Qu’il finit par reprendre la parole d’une voix plus affirmée que d’ordinaire, même s’il ne respire pas la confiance en lui. Il a peur, Kieran, de ce qu’il s’apprête à faire, de ce qu’il s’apprête à dire, de ce besoin d’être sincère qui lui brûle les lèvres et qu’il s’apprête à laisser échapper pour la première fois. « Une personne que j’apprécie beaucoup m’a dit que je devais arrêter de m’excuser. » Il confesse, en soutenant son regard même si ça lui coûte énormément. « Alors même si je me suis trompé sur elle parce que je croyais qu’on était amis, je crois que je vais l’écouter. » Parce que l’attitude d’Ivy lui fait comprendre qu’il n’y aura pas de retour en arrière possible et que ce qui s’est brisé la veille l’est définitivement, que tous ses efforts pour réparer les choses n’en seront que plus vains. Alors il n’a plus de filtre, Kieran, parce qu’il prend conscience que tout est fichu. Par sa faute, peut-être, mais aussi par celle de la blonde. « Je suis désolé d’être comme je suis, crois-moi que je le suis. » Qu’il avoue avec un rire nerveux, avant de se reprendre « mais je crois que je... je crois que je commence à en avoir marre de toujours m’en excuser. » Et il ne s’arrête plus, Kieran, alors qu’il n’arrive plus à contenir le flot de ces paroles qu’il a contenues depuis tellement longtemps. « Alors ouais, désolé de t’avoir fait perdre ton temps, désolé que ça t’ait pris du temps à remarquer qui je suis, pour le reste... j’aurais apprécié que tu essaies de comprendre, j’ai cru que tu... » pourrais le comprendre. « Oublie. On est pas amis, après tout, je vois pas pourquoi c’est à toi que je dis ça. » Qu’il achève, car s’il l’a blessée dans son égo, elle l’a blessé bien plus profondément et il a osé le dire. Il a osé le dire et il est terrifié, alors qu’il prend conscience du poids de ses paroles, de ce qui vient de s’échapper de ses lèvres et qu’il ne se reconnaît plus, qu’il n’arrive pas à comprendre ce qui lui a pris autant qu’il n’arrive pas à s’excuser comme il le fait machinalement d’ordinaire. Tétanisé, debout devant elle, le regard perdu, la bouche entrouverte qui cherche à s’excuser, encore et toujours, sans s’y parvenir, sans s’autoriser à le faire. Il a peur, Kieran et tout ça, c’est à cause d’Ivy. Ou grâce à Ivy.

@Ivy Waterhouse

Je reste debout, j'attends de voir ce qu'il veut faire. Il a l'air de penser que je vais le virer du bateau, et ce n'est pas dans mes plans pour le moment. Je soupire, mes dents se serrent de temps en temps et je grogne alors qu'il ne s'arrête pas de s'excuser. Je ne sais pas ce qu'il veut, j'ai beaucoup de mal à le comprendre et ca me frustre. Il n'a pas voulu de moi hier soir, mais je suis certaine que je peux arriver à mes fins un jour.

Comment ça ça ne le dérangerait pas ? Il voudrait mourir noyé ? "Mais qu'est ce que tu raconte ?" La question est réelle. Est ce qu'il a vraiment ce genre d'idées Kieran ? Je ne pense pas que ce soit le moment d'avoir ce genre d'explication. Mais je pourrais m'inquiéter s'il me disait qu'il pense vraiment à ça. Tout à coup, je ne suis pas sure que l'idée de voir les baleines directement dans l'eau soit la meilleure que j'ai pu avoir. Je ne veux pas avoir sa mort sur la conscience. Je comptais passer un bon moment, et je ne sais pas pourquoi toute l'ambiance a changé aussi rapidement.

Je lui demande comment il compte se faire pardonner. C'est un pas vers lui, j'essaie de m'ouvrir, on ne doit pas gâcher cet anniversaire. Il tient mon regard et je suis étonnée. Il se passe de longues secondes avant qu'un de nous n'ouvre la bouche pour parler. C'est Kieran qui parle, et chacun de ses mots me laisse sans voix. Je suis une personne qu'il apprécie, je ne peux retenir un petit sourire en coin qui naît sur mes lèvres. Il suit mes conseils, mais, tout à coup, je ne suis pas vraiment sûre d'apprécier. "J'ai pas dit qu'on était pas ami." Si je l'ai dit. Je l'ai dit parce que j'étais vexée et blessée mais il n'a pas besoin de le savoir. Je préfère le laisser penser que c'est lui qui avait mal compris depuis le debut. Je garde les bras croisés et j'attends de voir ce qu'il peut bien me dire.

Je fronce les sourcils. Je ne sais pas comment il est puisqu'il ne se dévoile jamais. Et j'ai bien l'impression qu'il est en train de le faire à cet instant et je m’approche imperceptiblement en l'écoutant parler. J'ai envie de le pousser à parler. "Continue. Arrête d'avoir peur, tu crois que je vais chouiner ou que tu vas me blesser ?" Je me rapproche encore d'un pas sans le lâcher des yeux. "Peut-etre que c'est parce que pour une fois tu sors un peu de ta coquille." Moi je ne le fais pas, mais lui pourrait le faire. "Tu vois que tu trouves du caractère" il peut en avoir Kieran. Et il peut commencer à devenir terriblement attirant s'il continue sur cette voie. Et j'oublie un peu la raison de pourquoi j'étais aussi énervée quand je vois qu'il commence peu à peu à écouter mes conseils.

Cette situation conflictuelle avec Ivy lui laisse un gout amer de déjà vu, le renvoyant deux semaines plus tôt, dans des conditions similaires. Il était aussi question de son anniversaire ce jour-là avec Eve, il était aussi question de cette affection qu’il n’est pas en mesure de montrer physiquement et il était également question des torts qui étaient les siens et jamais ceux des autres. Et ce qui devait être sa grande journée s’est finalement transformée en terrible cauchemar duquel il n’arrive pas à sortir. Parce que c’est toujours lui le problème, comme les deux blondes l’ont fait comprendre ; alors que pour la première fois de sa vie, Kieran tend à considérer qu’il n’a pas à épouser ce rôle d’ordinaire conçu sur-mesure pour lui. Pour la première fois, il commence à envisager les choses sous un autre angle, celui où il n’aurait pas à s’excuser perpétuellement d’être qui il est et où il pourrait même faire accepter l’idée à d’autres, qui sauraient le comprendre. Cette idée a été implantée il y a déjà de longs mois, Race of Australia a contribué à le faire grandir et c’est bien aujourd’hui qu’elle s’épanouit ; même si toutes ses pensées et toutes ses opinions qu’il affirme pour la première fois tendent à lui faire peur. Parce que ça ne lui ressemble pas et qu’il est lui-même perdu dans ce qu’il doit (ou non) penser. Ça ne lui ressemble pas et c’est autant un problème qu’une solution, mais Kieran n’arrive pas encore à se situer sur ce continuum qui oscille constamment entre ces deux extrêmes. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il en a marre. Véritablement marre et que le rejet d’Ivy lui est encore plus insupportable que celui d’Eve, parce que s’il n’était pas suffisamment aveugle pour faire fi de la situation de la plus jeune, il a réellement été dupé par l’attitude de celle qui se trouve devant lui. Pourtant, cette petite voix dans sa tête n’a cessé de lui répéter depuis leur rencontre qu’elle était bien trop différente de lui pour être sincère et que l’intérêt qu’elle lui porte ne repose pas sur des bases solides ; et finalement il se rend compte qu’il n’est pas si stupide que ça, pour avoir vu clair dans son jeu dès le départ quand bien même elle tentait de lui assurer du contraire. Merci Ivy. Soupirant à sa question, il ne prend pas la peine d’y répondre, après tout il ne voit pas pourquoi il s’ouvrirait auprès d’une personne qui n’a aucune considération pour lui. Et s’il l’aurait fait il y a encore quelques semaines, cette fois-ci Kieran est épuisé. Épuisé de donner sans compter, d’accepter d’être le jouet d’autrui pour être gratifié de cette façon, et jamais il n’aurait pensé que ce qui devait être le meilleur week-end de sa vie puisse finalement s’inscrire comme le pire de tous. « Ouais, c’est ça. » Qu’il rétorque sous l’agacement lorsqu’elle tente de se dédouaner, ne faisant qu’accentuer la colère muette d’un Kieran qui en a marre, toujours plus. Sous prétexte qu’elle n’a pas formulé la dite phrase mettant un terme à leur amitié ne veut pas dire qu’elle en pensait différemment, mais encore une fois le problème émane de lui, c’est lui l’idiot qui ne comprend rien, c’est lui qui fait des interprétations biaisées, c’est lui qui accepte d’avoir le mauvais rôle pour faire plaisir aux autres. Mais pas aujourd’hui, pas pendant quelques minutes et s’il y a fort à parier qu’il s’en voudra durant autant de semaines qu’il macère tout ça dans sa boîte crânienne, à cet instant il s’en fiche bien des conséquences. Il s’en fiche de passer par-dessus bord, il s’en fiche de ruiner le semblant d’amitié qu’il croyait avoir avec Ivy – elle ne s’est pas préoccupée de cet aspect et, de toute évidence, leur lien est scellé, alors pourquoi prétendre ne pas être blessé par son attitude ? Il l’est et puisque la fierté de la jeune femme ne leur permettra pas de renouer, il n’a décemment plus rien à perdre. C’est ce qu’elle voulait, après tout, qu’il parle, qu’il s’exprime, qu’il puisse se mettre en colère, mais peut-être n’aurait-elle pas pensé en être la cible. Et elle le provoque, alors qu’il a dit toutes ces choses qu’il n’est pas certain de penser, alors qu’il est pétrifié par sa propre attitude, incapable de se mouvoir ni de s’excuser, attendant que le couperet tombe. Et à sa surprise, elle le provoque. Elle ne le pousse pas, elle ne l’insulte pas, pire, elle lui demande de continuer. « Non. » Non, il ne veut pas continuer, non, il ne veut pas poursuivre sur ce terrain glissant, non, il ne veut pas être encore plus effrayé par lui-même qu’il ne l’est déjà. Il ne veut pas toutes ces choses et pourtant, à cet instant, il n’arrive pas à s’en passer. « Arrête. » Qu’il répète à son intention, tandis qu’à mesure qu’elle avance, il recule. Arrête de me pousser à bout, arrête de me pousser à ça, arrête d’en être fière, mais surtout « arrête de croire que c’est un jeu » et qu’il est le trophée, ou le perdant tout désigné, il ne sait pas exactement. « C’en est pas un pour moi et si je te blesse je compte pas m’excuser, parce que tu comptes pas le faire, toi, pas vrai ? » Il l’interroge du regard, alors qu’il sait pertinemment la réponse à cette question. Si elle avait voulu le faire, elle l’aurait déjà fait. « Parce que c’est comme ça que ça marche, hein ? Si je m’excuse pour toi, pour Eve, pour tous les autres, alors pourquoi quelqu’un s’excuserait envers moi ? » Personne ne l’a jamais fait et il a bien intégré la leçon selon laquelle ça n’arrivera jamais. Il ne mérite pas qu’on prenne le temps de s’excuser de l’avoir blessé, Ivy le montre encore aujourd’hui. « Pourquoi m’écouter et essayer de comprendre que je puisse être blessé, quelle perte de temps d’imaginer que l’autre paumé puisse avoir une opinion. » L’image d’Eve lui vient en mémoire durant un instant et il ne sait plus vraiment à qui il s’adresse, dans le fond. « Arrête. » Qu’il répète finalement alors qu’elle ne cesse de le fixer, que le naturel refait surface et qu’il comprend que jamais il n’aurait pu dire cela dans d’autres circonstances, marquant le début des regrets et la perte de cette confiance retrouvée. « Je sais ce que t’essaies de faire et je te donnerai pas ce que tu veux. » Ni physiquement, ni mentalement ; elle n’obtiendra pas plus de lui, alors qu’il se plonge à nouveau dans le mutisme.

@Ivy Waterhouse

Je suis toujours aussi énervée. Je m’imaginais me retrouver devant un Kieran désolé, qui aurait tout fait pour que je le pardonne et pour qu’on continue ce week-end aussi bien qu’il avait commencé. Mais c’est bien le contraire qui se passe. Il me dit clairement qu’il ne s’excusera pas, qu’il ne s’excusera plus. Mon regard est certainement confus, et étonné. Il a évolué en une seule nuit et je ne sais pas si je dois être fière ou outrée qu’il ose me parler de cette manière. Il suit mes conseils, mais je ne suis pas sûre d’aimer l’idée qu’il les utilise contre moi. “T’as jamais dit qu’on l’était, ami.” Si j’ai mes torts il a les siens. Je n’ai jamais dit qu’on était amis et il ne l’a pas fait non plus. On a jamais parlé du lien qui nous liait parce que je n’aime pas ranger les gens dans des cases prédéfinies et entourées de règles. Je n’ai pas envie de me cantonner à un rôle d’amie alors qu’un peu plus avec le jeune homme ne me dérangerait pas, ce un peu plus est même un objectif que je me suis donnée depuis que je l’ai rencontré lors de ROA.

Il parle beaucoup, il a du mal à s’arrêter et j’ai l’impression qu’il se fait plus peur à lui qu’il ne me fait peur à moi. Je croise mes bras sur ma poitrine, je le fixe et j’attends qu’il termine pour lui dire de continuer à hurler s’il en a besoin. Après tout il peut toujours essayer de me défier, de hurler, ou de m’insulter, on sait tous très bien qui serait le plus en capacité de gagner cette partie au final. Il implose Kieran, et je continue de me demander pourquoi ça tombe sur moi et pas une folle qui traîne autour de lui. Je grogne, je n’avais pas du tout prévu ça en venant sur ce bateau cette nuit, et pourtant, je suis obligée de m’adapter si je veux continuer. Je hausse les épaules, fronce les sourcils quand il dit encore non. C’est le week-end du non apparemment à ça commence à vraiment m’énerver. “Arrête de croire que tout est toujours sérieux et grave.” Il a du mal à s’amuser le jeune homme, et je lui reproche à cet instant. Il ne sait pas lâcher prise alors que c’était l’endroit idéal pour qu’on puisse profiter d’absolument tout. “Je m’excuse jamais, avec personne.” Il m’a fait comprendre que j’étais comme les autres, à moi de lui dire qu’il ne fait pas exception à la règle. C’est donnant donnant, mais je ne suis pas sûre que Kieran soit vraiment assez fort pour encaisser tous ces coups.

Il continue de me mettre dans le même panier que tout le monde et ça m’agace. J’ai l’habitude d’être unique, et il est en train de me faire comprendre que je ne le suis pas du tout à ses yeux. “Et donc quoi ? C’est parce que tu t’excuses tout le temps que tu es à la limite de me hurler dessus ? C’est de ma faute peut-être ?” Bien au contraire, c’est lui qui est comme ça et qui ne cherche pas à changer malgré tout ce que je peux lui donner comme conseils. Je hausse un sourcil, pince les lèvres, et attends qu’il ait fini de parler pour en placer une. Les derniers mots donnent encore un coup à mon ego, mais j’ai compris. C’est bien la dernière fois que je cherche à me rapprocher de lui de cette manière. S’il doit se passer quelque chose un jour ça viendra de lui et certainement pas de moi. “C’est à toi d’arrêter de raconter n’importe quoi maintenant.” Je plante mon regard dans le sien. “Tu parles pas, tu mens, et tu veux que par miracle je comprenne ce que tu peux bien penser ? Je suis pas medium, et si tu veux pas parler je vais pas m’agenouiller devant toi pour que tu le fasses. T’es un grand garçon Kieran. T’as le droit de faire ce que tu veux, de demander ce que tu veux. Alors arrête de te cacher derrière tout ça pour éviter d’être toi même.” Les mots et le ton sont durs, mais il a certainement besoin d’entendre ce genre de choses pour évoluer. Il a besoin de grandir, il ne peut pas être un enfant terrifié jusqu’à la fin de sa vie.

« C’est ma faute, je sais. » Non, en réalité il ne sait pas beaucoup de choses Kieran, mais il en apprend tellement d’autres aujourd’hui. Pourtant, il y a une ligne stable dans sa vie fracassée ; c’est que la faute est toujours la sienne. Peu importe la situation, peu importe la dureté des mots, la violence des actes, il sera toujours le fautif. Il a intégré la leçon et probablement que n’importe quel professeur apprenant la perte d’estime de soi serait heureux d’avoir un élève aussi impliqué que Kieran, répétant la leçon dans sa tête, encore et encore, alors même que le cours est terminé depuis longtemps. Mais il veut être le meilleur dans le domaine, il ne veut laisser à personne la chance de le détrôner. C’est son domaine, le sien, celui que ses parents ont décidé pour lui, celui qu’il suit parce que ça lui donne l’impression qu’ils sont encore un peu là, quelque part et qu’il peut encore compter sur eux. Alors oui ; il le sait qu’il ne l’a jamais dit, il le sait que peut-être s’il l’avait verbalisé avant elle ils n’en seraient pas là aujourd’hui et comme toujours, Kieran accepte ses torts. Mais cette fois-ci, il ne le fait pas de gaieté de cœur et la petite voix dans sa tête lui répète qu’il n’a pas à accepter tout ça simplement pour faire plaisir à d’autres. Et pour la première fois, il y croit.

Pour la première fois, il le dit, Kieran. Il a atteint ses limites et ce rejet qui fait suite au sien a été le détonateur activé de cette bombe en lui depuis tant d’années. Elle est là, à l’intérieur, a menacé d’exploser régulièrement au cours des derniers mois, mais jamais personne ne s’est décidé à l’activer, pas même lui. Ivy est apparue comme la tornade qu’elle est depuis le premier jour ; elle a tout chamboulé sur son passage, elle n’a pas pris les avertissements au sérieux, s’amuse de la situation, a pressé le bouton « pour rire » et doit désormais assumer les conséquences de sa décision. Et comme n’importe quelle tornade, elle détruit tout sur son passage et il serait facile de lui rejeter l’ensemble des dégâts, mais elle permet aussi l’opportunité de repartir à zéro et d’épouser une chance qu’on ne se serait pas accordée dans d’autres circonstances. Elle le défie, elle le provoque, elle le menace même et Kieran puise au plus profond de lui pour rester impassible, ne voulant pas lui donner ce qu’elle désire. Mais il n’y arrive pas, elle sait très bien dans quoi elle le lance, elle sait très bien qu’il n’y a pas de retour en arrière malgré toute la volonté du jeune homme. Et ça lui fait peur, de découvrir cette nouvelle facette de lui, facette qu’il a imaginé à de nombreuses reprises, sans jamais qu’elle ne prenne le dessus dans la réalité. Elle est désormais réelle, elle est concrète et c’est un pas qu’il ne s’était jamais osé franchir. « Mais tout est toujours sérieux et grave, Ivy ! » Pourtant, au fond, il ne le pense pas, Kieran. Ce n’est pas ainsi qu’il a construit sa vision du monde, mais c’est celle qu’il a compris au contact de ses parents, du foyer, d’Autumn, de sa belle-famille, d’Eve. Tout est toujours sérieux et grave, tout acte a des conséquences, la spontanéité et la légèreté ne peuvent s’exprimer. C’était sérieux que ses parents perdent sa garde, c’était grave qu’il finisse chez les Bates. C’était sérieux les reproches qu’Autumn lui faisait et c’est grave la maladie qui touche Eve. « J’ai cru comprendre. » Elle ne s’excuse jamais, elle ne s’excusera pas, alors que ce serait tellement plus simple. Ce serait plus simple, parce que si elle l’avait fait, il n’en serait pas là, il n’en serait pas à réaliser qu’il n’a plus rien à perdre et qu’il peut écouter ses envies plutôt que ses raisons. Il ne serait pas en train de se juger comme incontrôlable, il n’aurait pas peur de lui-même et des conséquences que cette franchise exacerbée pourraient avoir. Non sur elle, mais bien sur lui.

Est-ce que c’est sa faute ? Son cœur lui hurle que oui, sa raison sait pertinemment qu’elle n’y est pour rien et son assurance s’en va à chaque minute qui passe. « Je... » J’en sais rien, Ivy. Mais comment aurait-elle pu savoir que son envie de se rapprocher lui ferait aussi mal ? Qu’elle réactiverait des schémas qu’il a volontairement éteint en s’empêchant la moindre proximité avec qui que ce soit ? « Non. » Qu’il finit par dire, parce qu’il aurait voulu qu’elle s’excuse, mais il se raisonne en sachant qu’elle ne peut pas le faire si elle ne sait pas de quoi être désolée. Pour cela, il faudrait qu’il s’ouvre et il refuse de le faire. Il y a des secrets bien enfouis qui doivent le rester, y compris pour lui. Et en songeant à ceux-ci, il enterre définitivement l’assurance dont il faisait preuve jusqu’ici alors qu’il redevient ce garçon paumé et sans défense, qui donnerait tout pour s’échapper, pour ne plus exister. Mais il n’a aucun courage, Kieran, alors il se condamne à supporter cette vie par lâcheté de la terminer. Chacun de ses mots l’impacte plus que les précédents et le malmène. Mais si d’autres circonstances il se serait contenté de fuir, il est pris au piège sur ce bateau, l’obligeant à se confronter à la dureté d’Ivy, à la réalisation de son propre mal-être. Et il aurait voulu continuer à être dans le déni, Kieran, mais il n’a plus d’autres choix que de se confronter à la réalité. « Et je fais ça comment, Ivy, hein ? » Qu’il finit par reprendre la parole en baissant la tête pour ravaler sa fragilité et ne pas montrer cela à la jeune femme, parce qu’il sait que son émotion est source de moqueries et qu’il aimerait s’éviter un nouveau malaise. La voix plus posée, le débit plus calme, il expire profondément avant de reprendre. « Comment je fais si j’ai pas de réponse à ça, si j’en sais rien de qui je suis ? » Il n’en parle jamais, conserve cette faiblesse pour lui, mais s’il ignore autant où se trouve sa place, c’est surtout parce qu’il ignore qui il est, tout simplement. « Même mon prénom et mon nom n’ont aucun sens. » Il est Kieran Halstead pour le reste du monde, mais il ne sait pas ce que c’est, d’être un Halstead. Il s’agit du dernier lien qu’il conserve avec ses parents, obligé de porter cette identité qui n’a aucun sens, parce qu’elle ne se rapporte à personne. « Ça a l’air tellement facile pour toi. » Il admet en relevant la tête et en fuyant son regard. « Tu sais ce que tu veux, Ivy, tu sais qui tu es, tu sais d’où tu viens, tu sais que les gens t’apprécient et tu sais qu’ils t’abandonneront pas. » Ou du moins, il en a l’impression. Il sait surtout qu’elle sait ce qu’elle veut et qu’elle sait qui elle est ; et c’est finalement le plus important. « Je sais pas faire ça. Je sais pas être moi-même, je sais pas ce que je veux. » Il reconnait en se mordant la lèvre et en ravalant l’humidité dans ses yeux. « Et quand j’essaie, c’est un désastre. » Il ponctue avec un rire nerveux tandis qu’il passe une main sur ses yeux. « Je suis désolé. » Qu’il répète finalement, contredisant toutes ces certitudes précédemment énoncées, faisant marche-arrière quant à son attitude. « Je sais que c’est pas ainsi que tu envisageais ce week-end. » Et lui non plus. Et comme d’habitude, il a tout gâché. Il accuse le coup de ce constat alors qu’il réfléchit un instant. « T’as raison. Je mens. Et je... je crois pas avoir le droit de faire ou demander ce que je veux, non. » Non, dans sa réalité à lui, les choses ne marchent pas ainsi. « Mais je... » Il hésite un instant, ravale sa salive, expire, se donne le courage de croiser le regard d’Ivy.

Foutu pour foutu, il n’a plus rien à perdre, qu’il se répète.

« Je t’ai menti. J’aimerais bien que ça arrive. Pas seulement pour mon anniversaire ou avec toi. » Et peut-être qu’elle s’offusquera d’être à nouveau considérée comme le reste du monde, mais il s’abstient de dire qu’il serait plus qu’heureux que ça arrive avec elle, seulement il ne le dira pas pour ne pas se sentir rougir plus que ce n’est déjà le cas. « C’est que... tu pourrais pas comprendre pourquoi je t’ai repoussé, je crois que moi-même je comprends pas tout ce qu’il se passe là-haut. » Il s’amuse avec un sourire triste en désignant sa tête d’un geste de l’index. « J’aimerais que ça arrive. J’en ai envie, même. Mais je crois que j’en suis pas capable ou que... je sais plus comment faire. » Et son sourire se transforme en rire tout aussi nerveux alors qu’il baisse à nouveau le regard. « C’est cool, en plus de Kiki tu pourras désormais m’appeler le puceau au lieu de m’insulter quand tu penseras à moi. » Ce qui n’arrivera sûrement jamais, puisqu’elle lui donne l’impression d’être en mesure de prendre de la distance quant à ses émotions, contrairement à lui. Alors c’est pour ça qu’il en rit, qu’il préfère lancer les hostilités des moqueries qu’il pourrait recevoir, parce que ça lui permet de se sentir moins impliqué. Ou d’en avoir l’impression, du moins.

@Ivy Waterhouse

Je sens qu’on arrive à quelque chose. Que plus les minutes passent, plus les mots et les phrases s’enchaînent plus Kieran boue à l’intérieur. Il s’énerve et je ne l’avais jamais vu dans cet état là. J’en profite pour le pousser dans ses retranchements, c’est ce que je fais toujours après tout non ? “Non Kieran !” Et il va devoir se mettre ça en tête. Il va devoir comprendre que la vie peut être cool et belle quand on est entourée des bonnes personnes. Que là il est entouré d’une bonne personne et qu’il pourrait profiter de la vie comme il l’entend et comme il le veut. C’est le but de cet anniversaire, qu’il s’amuse et qu’il profite de tout ce qui nous entoure. Il vit dans mon monde pendant quelques jours, et il se doit de profiter et de ne penser à rien d’autre que s’amuser. Je ne sais pas ce qu’il compte faire, je ne sais même pas s’il va rester sur le bateau finalement alors autant tout balancer maintenant. Autant le suivre dans son idée de parler et de reprocher à l’autre tous les malheurs du monde pendant une fraction de seconde. Je ne m’excuse pas, il m’accepte comme ça ou il ne m’accepte pas, c’est à lui de voir, c’est lui qui décide cette fois.

Je parle moi aussi, je n’ai pas peur de le blesser ou de dire quelque chose de travers. Je suis complètement honnête, et je sens qu’il en a terriblement besoin le jeune homme. Il ne faut pas le protéger sans cesse, ni lui dire qu’il a raison de se cacher constamment pour vivre à l’abris des regards du monde. Il devrait lever la tête, et laisser voir quelles sont les choses qu’il veut vraiment. Le ton redescend, il se calme et je ne le lâche pas du regard. Ce n’est pas de ma faute s’il passe son temps à se bloquer pour tout et n’importe quoi. Je finis de parler et j’attends seulement sa réaction. J’ai presque oublié ce qui c’était passé le jour d’avant. Presque. Mais je ne me concentre pas sur ça pour le moment. Parce que, croyez le ou non, je m’intéresse vraiment à ce qu’il peut bien se passer dans la tête de Kieran et pourquoi il m’a rejeté de cette manière. C’est étonnant, en sachant qu’il me trouve à son goût et qu’on s’amusait bien autour de ces verres.

Je fronce les sourcils, pas bien sûre de comprendre réellement ce qu’il veut me dire par là. Il ne sait pas qui il est, ou il ne le comprend peut-être pas. Et je me tais pour continuer de l’écouter. Il s’ouvre enfin donc ce n’est pas vraiment le moment de le couper. “Y’a quelqu’un que tu caches j’en suis sûre. Faut juste que tu lâches prise. Et t’as tout le week end pour tenter l’expérience.” Mon ton à moi aussi s’est adoucie même si je garde mes distances physiques en restant debout face à lui. C’est facile pour moi, et je ne retiens pas le léger rire qui s’échappe d’entre mes lèvres. S’il savait. “C’est différent. Nos vies sont littéralement opposées.” Et ça me va, je l’aime ma vie, j’ai appris à m’y habituer. “Un nom ça veut rien dire. C’est toi, il faut que tu te libères t’en as besoin.” Je reste au même endroit, ne bouge pas d’un pouce quand je vois qu’il semble se décomposer sous mes yeux. Il en avait certainement besoin. “Affirme toi, arrête d’avoir peur de blesser le monde entier et pense à toi.” Etre égoïste, c’est la clef de mon bonheur qu’il semblait décrire quelques secondes plus tôt. “C’est un désastre là ?” Je ne trouve pas, et pourtant, il a l’air de s’ouvrir, de montrer un peu plus le vrai Kieran. “C’est pas non plus de ta faute si t’as croisé que des cons sur ton passage qui ont pas été capable de te faire comprendre que t’avais le droit d’être toi même.” Je me surprends tant je donne de merveilleux conseils au brun, il devrait tout écouter pour être heureux, et je suis sûre qu’il le sait au fond de lui. “T’as le droit, et tu vas le prendre.” Je vais m’en assurer. Il va commencer à devenir le vrai Kieran lors de cet anniversaire.

Il y a un mais, et mon regard se pose sur lui. J’attends silencieusement qu’il m’en dise plus, et je reste scotchée par ces informations. Mon ego va un peu mieux tout à coup, même si je suis toujours frustrée et que ça sera sûrement le cas jusqu’à ce que j’arrive à le faire craquer. Il s’arrête de parler et je reste étonnée. Il a lâché mon regard et ça ne m’étonne pas. Il est gêné, et moi je comprends un peu mieux comment je vais devoir m’y prendre avec lui. Je penche la tête et réfléchis une seconde à ce que je vais bien pouvoir dire ou faire. “Tu sais comment faire, c’est pas le genre de chose qui s’oublient.” Je ne peux retenir un sourire de trainer au coin de mes lèvres. “Tu es le seul à te bloquer. Faut que t’arrête de toujours penser à tout. Fais ce que t’as envie sans réfléchir tu vas y arriver.” Je hoche la tête, j’ai vraiment envie de le voir se libérer. “Tu vas avoir un week-end… non… attends… une semaine pour essayer. Cette semaine, dès que je te demande ce que tu veux t’as interdiction de me dire que tu ne sais pas” Je m’assois à côté de lui, on voit bien l’océan assis sur les transats. “Et si tu demandes pas, il se passera rien entre nous.” Je hausse les épaules, la porte est ouverte, et c’est un effort surhumain pour moi de ne pas vouloir tout contrôler pendant la durée de notre séjour, mais cette décision là, je la lui laisse. “Alors, qu’est ce que tu veux pour commencer cette journée ?”

Et il ne contrôle plus rien, Kieran, alors que les mots dépassent sa pensée à une vitesse effrénée, que ces constats qu’il contient depuis des mois, voire des années, se dévoilent les uns après les autres dans un mélange de soulagement autant que de frustration. Mais au-delà de ça, c’est surtout deux autres sentiments qui prédominent. La colère, tout d’abord, d’avoir enterré tout ça pendant autant de temps jusqu’à l’explosion ; d’autant plus face à Ivy, l’une des personnes face à laquelle il aurait voulu garder contenance. Parce qu’elle est si différente de lui, si opposée, qu’il y a cette petite voix dans sa tête qui lui répète qu’elle sera la plus à même de se moquer de ses faiblesses en vue des forces qui sont les siennes. Et il y a la peur, dirigée à son encontre ; la peur de cette brèche qu’il vient d’ouvrir qui le propulse vers un constat duquel il aurait souhaité rester innocent, de cette facette de sa propre identité méconnue qui s’active, qui se dévoile alors qu’il aurait préféré ne jamais la découvrir. S’il est capable de s’opposer avec une telle vigueur – qui ne lui ressemble pas – face à Ivy, celle qui d’ordinaire ne manque pas de l’intimider, qu’est-il capable de faire d’autre ? Il n’a pas envie de le découvrir, bien trop en sécurité dans cette banalité, cet effacement qui dicte son quotidien en temps normal. Oh, il s’est opposé à d’autres au cours de son existence, il a même émis à quelques reprises une opinion bien arrêtée, mais le constat est là : ça ne lui a jamais réussi et il est persuadé qu’aujourd’hui ne fait pas exception. Que ce n’est pas parce qu’il n’a rien à perdre de cette confrontation que c’est supposé la rendre plus agréable, plus utile – ça ne devrait pas être le cas et il devrait reprendre la place qu’est la sienne, rester en retrait en acceptant la colère qu’Ivy déverse sur lui suite à cette frustration dont il s’est rendu coupable. Mais si elle lui tombe dessus, la moquerie attendue ne dicte pas ses paroles et ce sont presque des conseils qui s’échappent d’entre ses lèvres. Non, tout n’est pas toujours sérieux et grave, elle le répète ; il n’y croit pas plus, mais reprenant peu-à-peu sa place il se contente de demeurer silencieux pour ne pas aggraver la situation plus qu’elle n’est déjà tendue. Il est responsable de celle-ci, comme toujours et une part de lui cherche encore à l’adoucir, même si l’attitude d’Ivy est terriblement désagréable et le met à mal. Parce qu’ils ne sont pas amis, elle l’a dit, parce qu’il ignore ce qu’il est supposé attendre de leur échange, si elle va s’empresser de le retourner contre lui à la première occasion, si elle va accentuer ce rejet qu’il ne vit pas aussi bien qu’il le prétend.

Son ton, il y a encore quelques instants presque assuré, se veut à nouveau timide lorsqu’Ivy le confronte à son attitude. Il persiste à espérer qu’on comprenne celle-ci et qu’on le comprenne ; mais le fait est qu’il ne l’explique jamais autant qu’il ne se dévoile jamais, il ne peut pas attendre de la clémence s’il ne donne rien en échange. Les mots d’Ivy résonnent plus qu’il ne l’aurait voulu, plus qu’ils ne le devraient. Il devait s’amuser, aujourd’hui. Il devait oublier tout le reste et non pas évoquer tout ce reste, ça ne devait pas être le plan et il ne maîtrise plus grand-chose Kieran ; il en revient à cette peur. Cette peur de ressentir un soulagement qu’il voudrait réitérer en s’épanchant, cette peur de trop en dire sur toutes ces choses qu’il ne se sent pas encore prêt à aborder quand bien même il semble en avoir déjà dit beaucoup. Ivy s’est également calmée, lui permettant de retrouver un rythme cardiaque normal pendant les prochaines minutes, jusqu’à ce que ses mots se veuillent à nouveau maladroits et qu’il réactive la frustration de la blonde. « J’en suis pas aussi sûr. » Il se contente de rétorquer en haussant les épaules ; il refuse d’y croire – c’est mieux et on en revient à cet aspect terriblement plus sécurisant. Acquiesçant silencieusement quand elle met en avant que leurs vies sont littéralement opposées (elles ne pourraient pas l’être plus), il écoute dans le même mutisme le discours de la jeune femme qui se veut presque rassurant, presque encourageant, comme il ne l’aurait pas espéré d’elle, comme il ne l’aurait jamais attendu de quiconque. Et c’est peut-être qu’il soit aussi confrontant et direct qui l’aide à l’entendre, pour une fois. « Euh... alors t’aurais une idée de nouveau nom ? » Il l’interroge, avec un rire nerveux, sachant bien qu’elle ne parle pas de cette libération-là, mais préférant interpréter les choses comme ça l’arrange. « C’en était un, il y a quelques minutes. » Il s’explique lorsqu’elle l’interroge sur le désastre, convaincu que la situation était bien moins à leur avantage il y a encore quelques instants. Un rire, toujours nerveux, s’échappe d’entre ses lèvres lorsqu’elle mentionne le nombre incalculable de cons qu’il a pu croiser sur son chemin, ce à quoi il se contente de répondre : « si tu savais » et ça fait du bien, pour une fois, de le verbaliser. D’admettre que la plupart des gens qu’il a croisé dans sa vie n’ont eu qu’un effet négatif sur lui et sa construction ; lui qui leur cherche toujours des excuses et qui le fait encore constamment. Un fin sourire s’affiche sur ses lèvres lorsqu’elle lui parle de ce droit à prendre, partagé entre un remerciement silencieux quant à ce qu’elle essaie de faire autant qu’une gêne perceptible quant au fait qu’il ne s’en sent pas plus légitime malgré les convictions de la jeune femme.

Et finalement, le plus difficile à garder pour lui ne sont pas toutes ces choses qui l’ont mené à douter autant de lui aujourd’hui, mais bien les causes de son rejet de la veille. Jamais évoquées, pas réellement plus aujourd’hui, mais abordées du bout des lèvres, par le biais de la même réserve qui le caractérise habituellement. « J’ai l’impression que oui. » Il souligne en haussant les épaules ; c’est son impression du moins et outre le fait qu’il fait un rejet de toute forme d’intimité pour des raisons qui lui sont propres, il angoisse aussi quant à la possibilité de ne simplement plus savoir ne serait-ce qu’embrasser quelqu’un, tel l’ado qu’il a l’impression d’être redevenu au fil des derniers mois, rougissant à la moindre interaction, angoissant quant à ses capacités et étant terriblement mal à l’aise dès que le sujet est abordé. « Tu penses ? » Qu’il la questionne lorsqu’elle est bien plus persuadée que lui qu’il va y arriver ; il n’est pas certain, mais comme toujours, il se base sur l’opinion d’autrui et a besoin de cette forme de validité sociale. « Une semaine ?! » Il s’étonne soudainement, écarquillant les yeux et fronçant les sourcils. Est-ce qu’elle est sérieuse, là ? Pas qu’il s’y opposerait, mais ils peuvent constater à quel point les choses ne se passent pas nécessairement comment ils l’envisagent depuis la veille. « Merci. » Il glisse ensuite lorsqu’elle lui assure qu’il ne se passera rien tant qu’il ne le demande pas, le rassurant quant au fait qu’il n’y aura plus une telle méprise. « C’est aussi ton anniversaire bientôt, je te signale. » Il souligne, des fois qu’elle s’imagine qu’il soit passé à côté de ce détail. « T’as tout autant le droit que moi de diriger les activités du week-end... Non, de la semaine ? » Il questionne, des fois qu’il aurait réellement mal compris. « Mais... t’es sérieuse ? » Qu’il finit par demander, un peu hésitant. C’est beaucoup de changements que d’avoir à être le capitaine de leur séjour ; d’avoir autant de pouvoir que de décider de ce qu’il veut faire, lui qui a passé trente ans à éviter soigneusement cette responsabilité. « Je vais... je vais faire au mieux, je t’assure, juste... juste que ça fait beaucoup d’un coup, alors m’en veux pas. » Si c’est encore difficile, si c’est encore trop compliqué pour lui. « Sinon, pour répondre à ta question... » Il se laisse un temps de réflexion, avant de reprendre la parole. « Aller voir ces foutues baleines depuis le temps que tu me vends du rêve avec elles. » Il finit par avouer, un sourire sur les lèvres ; et ce soulagement toujours plus grand, mais qui, cette fois, ne s’accompagne pas de peur.

@Ivy Waterhouse

Je lève les yeux au ciel, il est énervé et je suis agacée. Je reste calme parce qu’on est sur un bateau, parce que c’est Kieran et parce que pour une fois je vois qu’il évolue et qu’il parle comme il ne l’avait jamais fait avec moi avant. Il m’aide à le comprendre un peu mieux et étonnement j’écoute et je m’y intéresse. Ca n’arrive pas avec tout le monde, j’espère qu’il se sent privilégié et qu’il ne va pas griller toutes ses chances pour qu’on devienne ami. “Moi je le sais.” Et ça se voit. Je sais qu’il est bloqué et qu’il cache la personne qu’il pourrait être vraiment pour je ne sais quelles raisons. Je ne les entendrai pas aujourd’hui, peut-être jamais. Mais après tout ce qu’il a pu dire ce soir j’ai un peu d’espoir que ça s’arrange et que je le comprenne mieux. Il a peur de s’ouvrir, mais il l’a fait ce matin en s’énervant. Je continue de parler, et de l’écouter quand je sens qu’il en a besoin. J’enregistre les informations et prends des décisions encore et encore. Je cherche comment je dois réagir, ce que je peux faire pour qu’il se décoince enfin et obtenir ce que je veux depuis le début. C’est lui qui devra prendre la décision et ça me frustre, mais je suis prête à essayer de faire un effort. On verra combien de temps je peux bien tenir. “Ca peut être une mission de cette semaine. Trouver un nouveau nom.” Et ça pourrait être amusant, surtout s’ils se retrouvent avec douze grammes d’alcool dans chacune de leurs veines. “Et alors ? La vie peut pas toujours être calme. Et ça a duré combien de temps ? Quelques heures ? Ca tue personne de crier un bon coup. C’est même plutôt sain.” Comme si je savais ce qui était sain et ce qui ne l’était pas. Moi je sais que j’aime crier sur les gens, ça me défoule. Et je me suis défoulée hier soir après qu’il m’ait jeté. C’est donnant donnant. “Quand quelqu’un est nocif tu le jette, et t’arrête de te prendre la tête.” J’ai toujours fonctionné comme ça, et tout le monde devrait fonctionner de la même manière.

Le sujet est plus intime, on parle du baiser loupé et je comprends que ce n’est qu’une question de temps avant que ça n’arrive. Je dois le laisser faire, selon ses envies et en prenant en compte ses problèmes. Je serre les dents mais je sais que ça arrivera, il est sur le point de craquer Kieran, et rien ne l’empêche de prendre un peu de plaisir et un peu plus confiance en lui pendant cette longue semaine d’anniversaire. “Certaine.” Il faut le rassurer, et qu’il soit persuadé qu’il peut y arriver. “Une semaine.” Je répète ses mots, je ne sais pas encore ce qu’on va faire, mais ce sera scandaleusement amusant. Il n’oubliera jamais cet anniversaire.

C’est bientôt mon anniversaire, je le sais, et apparemment il le sait aussi. Du moins, il s’en souvient et je hausse un sourcil. “T’avais prévu un truc pour mon anniversaire ?” Je préfère qu’on reste sur ce bateau, je n’ai pas envie de retourner à Brisbane tout de suite. “T’as déjà dirigé une partie de ce qui se passe pour ce week end ?” Je hausse un sourcil, il n’a rien géré du tout, c’est moi qui ai tout fait. Donc il va devoir trouver des activités lui aussi, il va devoir trouver ce qu’il veut vraiment. “Toujours.” Je suis sérieuse sur ce point, on va passer une semaine ensemble. “J’espère que t’avais rien de prévu.” Parce que désormais il n’a même plus le choix. “T’as le temps, c’est toi qui décide.” Lui qui décide pour ce qu’il se passera entre nous pendant ce séjour, mais j’espère qu’il ne sera pas trop long à se décider.

J’ai posé la question, je lui ai demandé ce qu’il voulait et il répond. C’est la première fois qu’il répond à ce genre de question et je tourne la tête vers l’océan qu’on voit de mieux en mieux maintenant que le soleil est levé. Je pointe du doigt le coin où on devrait voir apparaître les baleines. “Faut qu’on se change, et après on va dans l’eau pour voir tout ça de plus près.” Une combinaison, un masque, et un tuba plus tard, on se retrouve tous les deux à descendre dans l’eau qui est bien plus froide que ce que je ne pouvais l’imaginer.

Son cœur reprend un rythme normal et il n’est plus au bord de l’explosion, Kieran, alors que sa colère est passée et que c’est un tout autre sentiment qui l’envahit désormais : la culpabilité. La culpabilité de s’être ainsi déchargé sur une Ivy qui n’a rien demandé, dont le seul tort est de s’être braquée suite à son rejet de la veille. Il ne trouvait pas son attitude justifiée, pour autant il a conscience que si les rôles étaient inversés et qu’il avait été celui qui essuyait un tel rejet, il ne l’aurait pas aussi bien vaincu qu’il veut s’en convaincre. La raison est simple ; le mutisme d’Ivy au réveil et son regard noir de la veille l’ont mis dans la même position et il s’est senti complètement dépassé par ce désintérêt qu’elle lui a porté et qui l’a atteint plus qu’il ne l’aurait voulu. Ils ne sont pas amis et le constat le blesse aussitôt, bien qu’il s’atténue à mesure qu’ils discutent, plus calmement et qu’il comprenne que, contrairement à ce qu’il craignait, tout n’est pas perdu. Il ne peut s’empêcher de s’inquiéter à l’idée de ne pas réussir à obtenir à nouveau l’intérêt d’Ivy et d’être reléguée au rang de vague connaissance, néanmoins il s’accroche au fait qu’ils se parlent toujours alors qu’il y a une dizaine de minutes, cela lui semblait impossible. Tout n’est pas perdu, qu’il se répète et même si cette dispute transformée en simple mise au point entre deux adultes lui a causé bien des tracas, il constate pour la première fois depuis longtemps qu’il n’est pas toujours obligé de se plier à la volonté des autres pour éviter les conflits. Ils ont eu un conflit, il a exprimé ce qu’il voulait ; et ils se parlent toujours. Les faits sont là et finalement la culpabilité est vite remplacée par un certain soulagement, sensation nouvelle et ô combien appréciable, comme beaucoup en compagnie d’Ivy.

Il prétend ne pas entendre ses certitudes ; une chose après l’autre et si Kieran a accepté d’écouter l’avis d’Ivy, ce n’est pas pour autant qu’il transformera le sien. Cet échange lui procure du soulagement, mais le terrifie également quant à ses limites qu’il a outrepassées pour la première fois alors qu’il s’était convaincu que jamais, ô grand jamais, il ne le ferait. Tout est remis en question et ce tout le déstabilise suffisamment pour qu’il s’abstienne de le verbaliser. « Je te promets pas de l’enregistrer à l’état civil, mais d’accord. » Il s’amuse, désormais un peu plus détendu, au point de se permettre une plaisanterie : « de toute façon, tout sera mieux que ‘’Kiki’’. » Ce qui, en réalité, n’est pas difficile. Et alors que son cœur réchauffe quand Ivy lui assure que ce n’est pas un désastre, son sourire ne quitte plus ses lèvres alors qu’elle accentue le fait que tout ceci n’est pas bien grave et qu’il n’y a pas mort d’homme. Un discours qu’il a besoin d’entendre et il ne pensait pas qu’Ivy serait celle qu’il écouterait. « Je ne trouve pas que crier sur quelqu’un soit sain, mais je-je vois ce que tu veux dire. » Il modère avec des pincettes ; mais là-aussi il préfère se murer dans le silence que d’avoir à s’expliquer. Probablement que de la même manière qu’elle ne peut comprendre son rejet, elle ne comprendrait pas pourquoi il ne supporte pas que les gens crient. Mais ce n’est pas le but du voyage que de s’épancher sur tous les événements qui ont fait de lui ce qu’il est aujourd’hui et Kieran relègue ce constat au fond de ses pensées, la priorité étant ailleurs. « Ça a l’air si facile quand tu le dis. » Il rétorque, presque fasciné, presque enclin à boire ses paroles avant de réaliser que les choses ne sont pas aussi faciles qu’elle ne les présente et que ce qui fonctionne pour elle n’a jusqu’ici jamais fonctionné pour lui.

Il s’épanche un peu plus sur le fiasco de la veille, par nécessité de la rassurer autant parce qu’il a, pour la première fois, besoin d’admettre certaines choses qui rendent son quotidien plus difficile qu’il ne devrait l’être et qu’il l’assume. Mais Kieran finit par porter son attention sur les mots de la jeune femme plus que sur ses tourments – fort heureusement, parce qu’il comprend que ces mêmes pensées qui chamboulent son esprit doivent définitivement être mises de côté le temps d’une semaine entière ; il ne peut plus se permettre de se laisser envahir par le flot de ses émotions au détriment de cet anniversaire qui est supposé être inoubliable et qu’il gâche à trop réfléchir. En guise de réponse à la confirmation de la jeune femme, c’est un grand sourire qui s’affiche sur ses lèvres – il n’a pas besoin d’en dire plus.

« Je, euh. Oui. Peut-être ? Enfin. Si tu voulais, hein. » Il bégaie tandis qu’elle s’étonne de ses plans quant à son anniversaire à elle. Il a une très bonne mémoire, Kieran et il n’a pas oublié que le neuf août était son jour ; et comme il pensait encore il n’y a pas si longtemps qu’ils étaient amis, il a tout naturellement envisagé de lui demander de le fêter en sa compagnie quand elle le pourrait. « Enfin, c’est rien de concret, mais enfin, j’ai ton cadeau et il faut bien que je te le donne. » Il admet tandis qu’il parvient à soutenir son regard, sans rougir – jusqu’à ce qu’elle s’étonne qu’il prétende gérer le week-end. « ... J’ai dirigé la dispute ? » Qu’il s’ose, hésitant, essayant d’user de l’humour encore et toujours pour désamorcer le malaise qu’il perçoit encore. « Ah bah j’ai plus trop le choix, là. J’ai jamais été bon nageur, alors tu vois, hein. » Il s’amuse en désignant du doigt son visage encore marqué par la finale de ROA et son échec au rafting. Ainsi, retourner à Brisbane pour respecter ses obligations n’est pas vraiment sa priorité. Et comme toujours, Kieran obéit alors que c’est à lui de faire un choix. Heureusement, pour cette première décision il est aidé par les plans de la veille sur lesquels il se calque sans aucune originalité – mais Ivy ne le dispute pas, ce qui concrétise le bon chemin qu’il emprunte.

Il prend soin de se changer dans la salle de bain, à l’abri d’Ivy avant qu’ils se rejoignent sur le ponton et s’apprêtent à sauter à l’eau pour mener à bien l’activité. Il descend le premier, grimace alors que l’eau est gelée, mais finit par sauter dedans – autant arracher le pansement tout de suite. Et alors qu’Ivy est à la traîne, il lui tend une main, avant de songer, à voix haute. « Ce que je veux, pas vrai ? » Elle ne lui a rien demandé, mais il prend le droit. Il ne fait qu’obéir, après tout, qu’il tente de se rassurer. « Je veux te voir à l’eau. » Il dit, tandis que ses doigts s’enlacent aux siens et que d’un coup de force, il la tire vers lui.

Il sera probablement mort d’ici deux minutes, mais ça aura le mérite d’être une belle mort.

@Ivy Waterhouse

Ca aurait pu être catastrophique, ça aurait pu être l’horreur entre nous deux et j’aurais pu le jeter par-dessus bord pour rejoindre la berge et retourner dans mon avion. Je l’aurais laissé là, avec pour seule compagnie les baleines et le levé de soleil. Mais finalement, il s’exprime le jeune homme, il parle, il se défoule et il est surprenant. Je le laisse parler, pour une fois il se livre et c’est en partie ce que je voulais pour le comprendre. Je veux savoir pourquoi il m’a rejeté, pourquoi il n’a pas profité de l’occasion pour s’amuser et lâcher prise. “Oh donc on doit te trouver un nouveau nom.” Je ne pensais pas qu’il allait accepter. J’ai l’impression qu’il s’ouvre vraiment, et que, cet anniversaire, ces vacances commencent vraiment aujourd’hui. Il va avancer, il pourrait évoluer et se mettre à m’écouter pour de vrai et grandir. “T’es sûr ? Kiki c’est pas mal quand même !”Je me moque et je secoue la tête, je sais qu’il déteste ce surnom et je risque de m’en servir dès que j’aurais envie de le chercher un peu et de rire. Je hausse les épaules et me mets à observer l’horizon qui s’illumine peu à peu. “Tu devrais trouver un moyen de te défouler. N’importe quoi mais quelque chose qui marcherait pour toi.” Peut-être qu’il n’aime pas hurler ni frapper, mais il peut sûrement trouver un autre moyen. On est très différent, et on ne fonctionnera jamais de la même manière mais je fais ce que je peux pour l’aider, et c’est toujours aussi étonnant. “C’est facile, c’est toi qui rends tout ça aussi compliqué” Je soupire et capte son regard.

Il a l’air impressionné, il a vraiment l’air de m’écouter alors j’en profite pour tenter de le faire changer. On est plus complice, et grâce à ça il se détend un peu et c’est bon pour moi et pour notre proximité. Il se rappelle de mon anniversaire et je ne peux pas m’empêcher de sourire en levant les yeux au ciel. Finalement j’arrive à oublier en partie notre dispute, parce que je sens que ce n’est pas une fin. Que son refus n’est pas définitif alors je change de tactique et je cherche à l’aider plutôt que de l’enfoncer. “Je le veux !” Je tape quelques fois des mains, comme une enfant un peu trop excitée par la situation. Je veux savoir ce qu’il a pu m’offrir. Bien sûr, ça ne sera pas aussi beau que ce que j’ai pu lui organiser mais je ferai avec. Je hausse les sourcils et me tourne vers lui, je capte son regard et je ne le lâche pas. “Et tu comptes diriger toutes les disputes de la semaine ?” Je le teste, je le taquine un peu aussi mais c’est sérieux, je ne compte pas m’engueuler avec lui toute la semaine et je suis certaine que lui non plus. Je pouffe de rire quand il montre son visage marqué par des blessures. “Ca donne toujours un côté aventurier” Je lui ai déjà dit le jour d’avant, quand on était encore à Brisbane. Il y a seulement quelques heures en réalité.

On se change, il a envie de voir les baleines et moi aussi. Je mets de longues minutes à enfiler ma combinaison. Il descend dans l’eau avant moi et je grimace en me rendant compte que l’eau est vraiment glacée. J’hésite à le suivre, je pourrais très bien les voir du bateau. Je m’apprêtais à remonter avant qu’il n’attire mon attention. Je tourne la tête, et j’aurais dû remonter avant qu’il ne s’approche de moi. “Mhmh…” Je fronce les sourcils, et j’aurais dû me méfier. Il attrape ma main et m’entraine de force dans l’eau. Ma tête passe en dessous de l’eau et c’est réellement glacé. Je mets quelques secondes avant de remonter à la surface. Je lui lance un regard noir et grogne. “Je te déteste” Je fais la moue, faussement triste et je reste dans l’eau. J’y suis maintenant, alors autant continuer à nager. Je me rapproche doucement de lui en lui indiquant une fausse direction histoire qu’il détourne son attention de moi une seconde ou deux. Mes mains se posent sur le haut de son crâne et je cherche à le couler. Il faut au moins ça pour me venger un peu. “C’est bon je suis dans l’eau là ! Dépêche on va finir par les louper à cause de toi !”

Ce qui était une boutade devient presque un objectif alors qu’il est désormais question de changer son identité et Kieran n’est pas certain de vouloir poursuivre sur cette voie-là autant qu’il est curieux de découvrir les propositions que la jeune femme pourrait lui faire. Elle est probablement plus créative que lui de ce côté-là ; pour Kieran qui s’assure de mener une vie la plus morne qu’il soit, s’empêchant toute extravagance ou chemin qui sortirait des sentiers battus, il y a fort à parier que le nom qu’il se choisirait serait très original (non). John Smith ou Joe Daniels feraient l’affaire pour lui – ça serait tout de suite moins original que Kieran Halstead, mais ça aurait le mérite d’avoir du sens. Quoi qu’il en soit, il se contente de grimacer légèrement face à l’assurance d’Ivy, soudainement en proie au doute quant à la perspective de changer d’identité, n’osant pas pour autant verbaliser son envie de recul – ce serait prendre le risque d’abîmer une nouvelle fois la dynamique qui l’unit à la blonde et il n’est pas sûr de supporter de nouvelles tensions entre eux. « Tu veux qu’on parle de Vivi ? » Il rétorque rapidement en fronçant les sourcils avant qu’un sourire ne trahisse le peu de sérieux à accorder à sa menace. Néanmoins, ses traits se durcissent tandis qu’elle lui souligne la nécessité de trouver un moyen pour lui de se défouler. Crier sur les autres est éliminé d’office ; peut-être qu’Ivy parvient à se satisfaire de cette façon de fonctionner, mais Kieran ne peut l’envisager. Pour autant, les propos de son amie (non, pardon, ils ne le sont pas) résonnent dans son esprit. « Oui, sûrement. Je-je sais juste pas quoi, mais je... j’imagine que je vais bien finir par trouver. » Il commente en haussant les épaules, baissant les yeux un bref instant, supposant qu’il a encore le temps. Mais à force de se faire cette réflexion, le constat est sans appel : comme toujours, il repousse la prise de ses décisions, ce qui ne lui permet pas d’évoluer et il n’est pas le seul à pouvoir se le reprocher. Ivy soupire, souligne qu’il est le seul responsable de rendre les choses compliquées et ce discours est encore bien trop ancré dans sa tête, d’une autre voix féminine, pour qu’il n’accepte de répondre. Alors il se contente de pincer les lèvres et de baisser la tête ; si seulement elle savait pourquoi tout est aussi compliqué.

Il se concentre sur l’anniversaire de la jeune femme, peu éloigné du sien et la perspective qu’elle décide autant que lui des activités qui animeront les prochains jours l’arrange fortement. Autant que le fait de réitérer l’expérience pour elle, même s’il ne peut guère rivaliser avec les cadeaux qu’elle lui fait depuis la veille. Et si, bien évidemment, elle est d’accord de partager cet événement avec lui. La réaction de la jeune femme change du tout au tout et son excitation est transmissible. Le sourire de Kieran s’agrandit. « Okay, c’est noté. Mais enfin, juste que tu saches, ce sera pas aussi, euh... grandiose que toi. » Loin de là, même. Très très loin de là. « J’espère que t’apprécieras quand même. » Ce n’est pas garanti, mais au pire, ils ne sont pas amis et par conséquent la déception ne devrait pas être trop importante. « Euh non, non, je-j’aimerais autant éviter, tu vois. » De diriger d’autres disputes, d’être à l’origine d’entre elles, il vit très bien s’il n’a pas besoin de réitérer l’expérience, merci pour lui. Quant au fait d’être noyé par Ivy, il s’en passerait là-aussi, d’autant qu’il a prouvé il y a encore quelques jours que la nage n’était pas sa discipline favorite. « Cool, faut vraiment que je trouve un moyen de garder ce look. » Il précise en haussant les épaules avec un fin sourire ; le côté aventurier, ça plaît forcément aux filles. Le détail résidant dans le fait qu’il n’est pas sûr de vouloir leur plaire, en fait.

Les tensions s’apaisent alors qu’il finit par écouter la jeune femme et décide de ce qu’ils vont faire par la suite ; depuis le temps qu’elle parle de ces fameuses baleines, il veut les découvrir et pouvoir se vanter d’en avoir vues des vraies. Rapidement changé, tout aussi rapidement dans l’eau, il doit faire avec la réticence d’Ivy. Et les paroles de celles-ci résonnent encore dans son esprit, pour son plus grand malheur alors qu’il verbalise son envie, ses doigts qui s’emmêlent au sien pour la rapprocher de lui, pour la mettre à l’eau. Il va probablement mourir à cet instant, mais ce sera une belle mort. Sans surprise, elle lui adresse un regard noir avant de préciser qu’elle le déteste et elle ne récolte qu’un éclat de rires qu’il regrette bien vite quand elle essaie de le couler et qu’il boit la tasse. En revenant à lui, il serait tenté de rendre la monnaie de sa pièce à la blonde, mais elle s’excite déjà ; « Ça va se payer ! » Il lui crie alors qu’elle s’éloigne un peu et qu’il ne tarde pas à la rejoindre à la nage, restant en retrait, obéissant à ses ordres pour mieux profiter du spectacle. Et lorsque celui-ci se déroule devant ses yeux ; il ne peut qu’avoir l’impression d’être dans un film, de se retenir de demander à la jeune femme de le pincer pour qu’il soit certain que tout ceci est réel. Il ne le fait pas ; elle ne se gênerait pas pour lui faire mal et il veut autant garder un bon souvenir de ces instants magiques. Il est bouche bée, Kieran ; et les tensions, le malentendu, la gêne, la colère et tous les ressentiments qu’il pourrait avoir sont oubliés en songeant au fait qu’elle est bien la seule personne qui lui permettre de vivre ça, mieux encore ; elle a délibérément fait en sorte qu’il puisse vivre ce moment. Personne ne s’était donné cette peine auparavant et peut-être que malgré le fait qu’ils ne soient pas amis, il y a un lien différent qui peut les unir. « Merci, Ivy. » Qu’il finit par briser le silence ; et même si le jeu de la veille est oublié, il aurait bu des dizaines de verres si cela lui aurait permis de réitérer ses remerciements sincères encore et encore, juste pour qu’elle sache à quel point tout ceci le touche.

@Ivy Waterhouse